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La Direction et la consolation des personnes mariées

Ce frontispice met l'accent sur la consolation que représente les enfants dans le mariage, selon les deux citations bibliques. La figure féminine prononce les paroles de Rachel dans le livre de Genèse, XXX, 1, où elle exprime son désir d'avoir des enfants ([...] da mihi liberos alioquin moriar dans la traduction de la Vulgate). Le prêtre répond en citant I Samuel I, 17, où Anna demande à Dieu de lui donner un enfant mâle. Le prêtre Eli répond que Dieu lui accordera ce qu'elle a demandé; Deus Israel det tibi petitionem tuem. (Ce livre de la Bible était autrefois appelé le premier Livre des Rois, d'où I Reg ici.) Voir latinvulgate.com.


LA
DIRECTION
ET LA
CONSOLATION
DES PERSONNES
MARIEES,
OV LES MOYENS
infaillibles de faire vn Mariage
heureux, d'vn qui ſeroit mal-
heureux.

Auec l'abregé des vies de quelques Saincts
& de quelques Sainctes , qui ont beaucoup
ſouffert dans leurs Mariages.

Composé par le R. P. Thomas le Blanc ,
de la Compagnie de Ieſus.


Ouurage tres vtile & neceſſaire auxperſon-
nes Mariées.

1 A PARIS,
Chez Gilles André , ruë S.Iacques à l'Ima-
ge S. François , attenant la vieille Poſte.
filet maigre M. DC. LXIV.
AVEC PRIVILEGE DV ROY. 2


APPROBATION.

IE Soubſigné Prouincial de la Com-
pagnie de Iesvs
, en la Prouin-
ce de Champagne, ſelon le Priuile-
ge accordé à ladite Compagnie : par
les Roys tres-Chreſtiens Henry III.
le 20. Mars 1583. Henry IV. le 20. De-
cembre 1608. Louys XIII. le 14. Fe-
vrier 1619. & Louis XIV. à preſent
regnant le 23. Decembre 1650. Per-
mets à Iean Riuiere , priuatiuement
à tous autres ; de faire imprimer le
liure intitulé : La Direction & la
Conſolation des perſonnes Mariées.

Compoſé par le R. P. Thomas le
Blanc de la meſme Compagnie , &
ce ſur les peines contenües audit
Priuilege. Fait en Noſtre College
de Dijon le 24. Decembre 1663.

Pierre le Cazre.


3

4 bandeau
AVANT-PROPOS.

lettrine
M ON cher lecteur , ie
vous preſente ce petit
trauail , pour voſtre
conſolation , & pour la ſatis-
faction des perſonnes d'honneur,
qui m'ont ſouuent preſſé , en
France & en Italie , de vouloir
aſſister ceux qui ſont dans le tra-
cas du meſnage : & dans le mal-
heur d'vn mariage infortuné.
Comme la maladie eſt ex-
treme : auſſi la difficulté d'y
trouuer des remedes doux &
efficaces , a pluſieurs fois fait
trembler ma plume , & eſbran-
lé ma reſolution. Mais l'ar-
deur de ceux qui me pouſſoient
à ce deſſein , ne me donnant
ã ij

AVANT-PROPOS.
nulle treue : i'ay eſté comme
neceſſité de ployer ſous leurs rai-
ſons , dont ie vous veux faire
part. Ils me diſoient auec vne
amiable colere & vne charita-
ble importunité.
Quoy donc ? Aurez-
vous fait tant d'efforts,  pour
aider diuerſes perſonnes,  ſans
auiſer au ſecours de ceux de la
vertu deſquels dépend la per-
fection de tous les autres.
N'eſtes-vous pas entré
dans les armées , pour donner
aux ſoldats , au milieu de la
licence de la guerre , vn cœur
Chrestien ; & vne vertu
maſle , qui remporte tous les
iours la victoire ſur les vices :
leur preſentant Le Soldat ge-

AVANT-PROPOS.
nereux. N'eſtes-vous pas en-
Impri-
mé au
Pont à
Mouſ-
ſon.
tré dans les cabarets , pour y
apporter de la moderation : &
pour en retirer ceux qui y noyent
leur raiſon dans le vin , leur
Au Põt
& à
Dijon.
donnant l'Homme de bon-
ne compagnie
. N'estes-vous
pas entré dans les berlans , &
dans les lieux de deſbauche , où
les blaſphemes ſont dans leur
regne , pour en bannir les iure-
mens & les execrations ,  leur
monſtrant les foudres du Ciel ,
qui pendent ſur leurs teſtes : &
A
Dijon.
Dieu vangeur & ennemi
des blaſphemes , des iure-
mens des maledictions, &
des imprecations.
Quoy ? N'auez-vous
pas taſché d'exciter tous les
ã iij

AVANT-PROPOS.
Chreſtiens à la modeſtie , au
ſilence & à la deuotion : dans
les temples dediez au Dieu vi-
uant : par le Chreſtien dans
A
Dijon.
l'Egliſe : D'eſclairer les peti-
tes filles dans les eſcoles : par
le Miroir des Vierges les
A
Dijon.
ieunes enfans dans les Colle-
A
Paris ,
chez
Binière
ges : par le bon Ecolier.
Vovs auez penetré dans les
Cloiſtres des Religieux : leur
auez porté l'Idée parfaite des
A
Lyon.
Chez
Barbier
Religieux, ou le ſainct tra-
uail des mains
: qui contient
amplement toute la perfection
qu'ils doiuent acquerir enuers
Dieu , enuers le prochain , &
enuers eux-meſmes.
Vous n'auez point negligé
les gens de meſtier , dans leurs

AVANT-PROPOS.
boutiques ; & les gens de labeur ,
dans le lieu de leurs ſueurs ; leur
A
Dijon.
monſtrant le bon Vigneron,
le bon Laboureur, & le bon
Artiſan
. Vous auez mené les
riches & les pauures par les rües:
& par tous les lieux , où ils
peuuent ſe perfectionner , & ſer-
uir leur Createur : leur donnant
A
Dijon.
pour guide le bon Riche &
le bon Pauure
. Vous auez
viſité les maiſons , pour y eſſüier
les larmes des veuues , & pour
les auancer en la plus haute per-
fection : leur mettant en main,
A
Dijon.
A
Paris.
la conſolation & la dire-
ction des Veuues
. Vous n'a-
uez pas meſmes negligé les Co-
chers & les Laquais , eſtant ſur
le point de faire paroiſtre en pu-
ã iiij

AVANT-PROPOS.
blic, le bon Cocher & le bon
Laquais
.
Apres tous ces trauaux,
laiſſerez vous ſans ſecours ceux,
de la vertu ou du vice deſquels
depend la bonne conduite ou le
naufrage de tous ceux à qui
vous auez tendu la main ?
Si vn homme marié eſt deſ-
reglé dans ſon meſnage : où il a
toutes les occaſions de viure en
paix , & de ſeruir Dieu: com-
ment ſe fera-t-il vn ſoldat vti-
le à la Republique , & aſſez
genereux , pour dompter la vio-
lence de ſes paſſions , au milieu
de la tempeſte & de la furie des
armées & des batailles ?
Par quelle induſtrie fer-
merez-vous les cabarets , ſi vne

AVANT-PROPOS.
femme vit dans ſa maiſon , com-
me vne megere , & ne donne
aucun repos à ſon mari le tour-
mentant par ſes crieries , par ſes
maledictions , & par ſes rages.
La fumée ne le chaſſera point
ſi-toſt de ſa chambre : qu'elle le
fera ſortir du logis : & chercher
dans vn berlan , auec des fri-
pons , ce qu'il ne peut trouuer en
ſa maiſon parmy ſes domeſtiques.
Si le mary & la femme s'ac-
couſtument à des iuremens iour-
naliers & à des maledictions re-
ciproques : par quel artifice arre-
ſterez vous la langue d'vn liber-
tin, qui perd tout ſon bien en vn
coup de dez : ou qui reçoit vn
ſanglant affront, par ſon ennemi ?
Le veritable moyen d'auoir

AVANT-PROPOS.
des Chreſtiens deuots , dans les
Egliſes : des filles modeſtes , dans
leurs eſcoles : Eſcoliers dili-
gens , dans les claſſes : des Re-
ligieux feruens , dans les cloi-
ſtres : des Artiſans , des La-
boureurs , des Vignerons cou-
rageux dans leurs fatigues : des
Riches moderez , dans leur pro-
ſperité : des Pauures patiens ,
dans leur affliction : des Veuues
contentes, dans leur ſolitude : des
valets obeiſſans , dans leurs ſer-
uices , c'eſt de mettre ordre dans
la famille : & rendre la femme
& le mari vertueux.
Si la teste ſe conſerue en bon-
ne ſanté , tous les membres ſeront
dans vne vigueur , capable de
les fortifier pour toutes leurs fon-

AVANT-PROPOS.
ctions. Si la teſte eſt dans vne faſ-
cheuſe langueur , tout le reſte du
corps tombera en foibleſſe , & ne
fera rien, dans la perfection ne-
ceſſaire. Lors qu'vne fontaine eſt
empeſtée , tous les ruiſſeaux ſont
corrompus : & cauſent la mort à
ceux qui en puiſent de l'eau.
Ne croyez donc pas auoir
fait grand progrez par vos li-
urets : ſi vous n'aidez le pere
& la mere de famille : dont de-
pend la vertu & la ſaincteté
de tout le reſte des hommes. Iuſ-
ques icy ſont les entretiens de
mes amis , ou pluſtoſt des vô-
tres: qui me ſollicitoient de vous
aſſiſter.
Ie ne vous rapporteray point
le reſte de leurs motifs. C'eſt

AVANT-PROPOS.
aſſez , que ce raiſonnement pa-
roiſſant tres-fort , i'y ay donné
les mains & le cœur : & me
ſuis euertué de trouuer des re-
medes à tous les maux que
vous ſouffrez : & à toutes les
paſſions , qui vous tranſportent.
Rendez-vous aux diſcours que
ie fais : & ie vous promets de la
part de Dieu , vne paix rem-
plie de ioye & de conſolation ,
dans les plus cuiſans trauaux
de cette vie : & vne immor-
telle felicité, dans le Ciel : où les
larmes & les plaintes ne trou-
ueront plus de lieu : & où vn
eternel repos aſſouuira tous les
deſirs de voſtre ame. Ainſi ſoit-
il.

bandeau

TABLE
DES CHAPITRES
CONTENVS EN CE LIVRE.
Livre premier.

filet mi-maigre
  • CHAPITRE I. LE Mariage eſt vn excellent Eſtat de
    vie , & tres-agreable à Dieu. page 1
  • CHAPITRE II. Il ne ſe faut point marier par phantaiſie,
    mais par vne meure deliberation 14
  • CHAPITRE III. Il eſt fort difficile de n'eſtre point mal
    marié. 23
  • CHAPITRE IV. Ceux qui ſont mal Mariez , ſont dans
    vn Eſtat tres douloureux. 30
    §. I. Vne Femme mal marièe eſt vne Ame
    damnèe, ſi elle n'y prend garde.
    là meſme.
    §. II. Vn Homme mal marié eſt dans vn
    faſcheux Purgatoire, quoy qu'il faſſe.
    34
  • CAAPITRE V. Ceux qui ſont mal Mariez , ſe peuuent
    
    TABLE.
    faire de grands Saincts. 39
    §. I. Vne Femme mal mariée , peut eſtre
    vne glorieuſe Martyre de
    Iesvs-
    Christ
    .
    40
    §. II. Vn Homme malmarié peut deuenir
    vn parfait Confeſſeur de
    Iesvs-Christ. 44
  • CHAPITRE VI. Quatre moyens generaux pour viure
    content & ioyeux , eſtant mal marié. 49
    §. I. La Patience oſte l'amertume des
    choſes douloureuſes , qui arriuent dans le
    meſnage.
    50
    §. II. La memoire de la Paſſion de Noſtre
    Sauueur Iesvs-Christ, donne de la dou-
    ceur dans l'amertume du meſnage.
    57
    §. III. L'exercice de la preſence de Dieu,
    cauſe de la ioye au milieu des plus rudes
    attaques.
    63
    §. IV. L'Oraiſon obtient les forces neceſ-
    ſaires , & vne conſtante perſeuerance dans
    les afflictions domeſtiques.
    70

LIVRE DEVXIESME.

  • Chapitree I. LA Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , qui n'eſt point aimée de
    ſon Mary.
    76
    
    TABLE.
    §. I. Remedes du coſté de la Femme , qui
    croit n'eſtre point aimée par ſon mary.
    79
    §. II. Conſiderations pour le Mary qui
    n'aime point ſa Femme.
    93
  • CHAPITRE II. La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , qui eſt battuë par ſon Mary. 101
    §. I. Aduis à la femme , qui eſt battüe par
    ſon mary.
    102
    §. II. Aduis pour le mary qui bat ſa fem-
    me.
    III
  • CHAPITRE III. La Conſolation & la Dirction d'vne
    femme dont le mary eſt ialoux. I2I
  • CHAPITRE IV. La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , qui a vn Mary débauché & peu
    chaſte. 140
  • CHAPITRE V. La Conſolation & la Direction d'vne
    femme , qui eſt mal obeïe par ſes enfans
    & par ſes ſeruiteurs, ſans que ſon mary les
    maintienne dans leur deuoir. 162
    §. I. Aduis pour la femme bafoüée par ſes
    enfans , & par ſes ſeruiteurs.
    la meſme.
    §. II. Aduis pour le Mary; dont la Fem-
    me eſt mesprisée par ſes enfans , & par ſes ſer-

    
    TABLE.
    uiteurs. 173
    §. III. Aduis aux Enfans , qui meſpriſent
    leur Mere.
    184
    §. IV. Auis aux Seruiteurs , qui meſpri-
    ſent la Maiſtreſſe du logis.
    187
  • CHAPITRE VI. La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme, laquelle a vn Mary auaricieux; qui
    la laiſſe & ſes enfans dans la neceſſité. 190
  • CHAPITRE VII. La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , dont le mary eſt faſcheux à ſon
    Pere,à ſa Mere, à ſes enfans d'vn autre lict,
    & aux Seruiteurs & Seruantes qu'elle af-
    fectionne. 209
    §. I. Aduis à la Femme , dont les parens ,
    & les domeſtiques ſont mal traitez.
    la méme.
    §. II. Aduis pour le Mary , en ce qui con-
    cerne ſes enfans & ceux de ſa Femme.
    214
    §. III. Auis au Mary , touchant ſes ſer-
    uiteurs & ſes ſeruantes , que ſa femme ſup-
    porte.
    222
    §. IV. Auis au Mary , pour ce qui con-
    cerne le Pere & la Mere de ſa Femme.
    228
  • CHAPITRE VIII. La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , dont le Mary ne gagne rien , ou
    par
    
    TABLE.
    par pareſſe, ou par maladie. 232
  • CHAPITRE IX. La Conſolation & la Direction d'vne Fem-
    me, qui a vn mary ignorant , ſtupide & mé-
    prisé 252
  • CHAPITRE X. La Conſolation & la Direction d'vne Fem-
    me, dont le mary eſt gourmãd & yurogne. 272
  • CHAPITRE XI. La Conſolation & la Direction d'vne Fem-
    me , qui a vn Mary prodigue & joüeur. 289
  • CHAPITRE XII. La Conſolation & la Direction d'vne fem-
    me , dont le Mary eſt impie , qui luy empeſ-
    che ſes deuotions. 304

LIVRE III.

  • Chap i. La loüange des fẽmes vertueuſes. 333
  • Chap. ii. Quatre auis generaux , pour faire
    d'vne mauuaiſe femme vne bonne. 344
  • Chap. iii. La Conſolation & la Direction
    d'vn Mary , dont la Femme aime trop les
    Compagnies. 350
  • Cmap. iv. La Conſolation & la Direction
    d'vn mary , qui a vne femme libertine & dé-
    bauchée. 367
  • Chap. v. La conſolation & la Direction d'vn
    Mary , dont la femme dépenſe trop en habit ,
    & en d'autres ſuperfluitez. 394
  • Chap. vi. La Conſolation & la Direction d'vn
    mary , dont la femme eſt auaricieuſe. 410
  • Chap. vii. La Conſolation & la Direction
    d'vn mary,dont la femme traite mal ſon Pere,
    ſa Mere , & ſes enfans d'vn autre lit. 429
  • Chap. viii. La Conſolation & la Direction
    
    TABLE.
    d'vn Mary , dont la femme eſt poſſedée de ia-
    louſie. 440
  • Chap. ix. La Conſolation & la Direction
    d'vn Mary, dont la Femme eſt ſterile. 457
  • Chap. x. La Conſolation & la Direction
    d'vn mary , dont la femme eſt laide ou ma-
    ladiue. 465
  • Chap. xi. La Conſolation & la Direction
    d'vn mary dont la Femme eſt groſſiere, ſtu-
    pide & pareſſeuſe. 476
  • Chap. xii. La Conſolation & la Direction
    d'vn Mary, dont la femme eſt exceſſiue en ſes
    deuotions. 486
  • Chap. xiii. La Conſolation & la Direction
    d'vn Mary , dont la Femme eſt babillarde , &
    & inquietante par ſes plaintes & par ſes diſ-
    cours impertinens. 501
  • Chap. xiv. La Conſolation & la Direction
    d'vn Mary , dont la Femme eſt colere mal
    gracieuſe. 518
  • Chap. xv. La Conſolation & la Direction
    d'vn Mary , dont la Femme eſt ſuperbe &
    deſobeïſſante. 546

LIVRE IV.

Vies de quelques Saints, de quelques Sain-
tes , & d'autres perſonnes illuſtres & vertu-
euſes , qui ont beaucoup ſouffert dans leurs
Mariages.


    TABLE.
    filet décoratif

    Extraict du Priuilege du Roy.

    PAr grace & Priuilege du Roy , don-
    né à Paris le vnzieſme iourde Mars
    1663. Il eſt permis à IEAN Riviere,
    Marchand Libraire à Paris , d'imprimer
    ou faire imprimer , vendre & debiter vn
    Liure intitulé, La Direction & la Conſola-
    tion des perſonnes mariées
    , Composé par le
    Reuerend Pere Thomas le Blanc
    Docteur en Theologie de la Compagnie
    de Iesvs; Et deffenſes ſont faites à toutes
    perſonnes de quelque qualité & condi-
    
    tion qu'elles ſoient , d'imprimer ou faire
    imprimer ledit Liure pendant le temps &
    eſpace de quinze ans entiers & accom-
    plis , à compter du iour que ledit Liure
    ſera acheué d'imprimer, à peine d'en cou-
    rir l'amande & la confiſcation des exem-
    plaires , ainſi qu'il eſt plus amplement
    porté par ledit Priuilege.

    Et ledit Riviere a aſſocié auec
    luy Gilles Andre' & Clavde Calle-
    ville
    , pour en ioüir coniontement en-
    ſemble , ſuiuant l'accord fait entre eux.

    Regiſtré ſur le Liure de la Communauté
    des Marchands Libraires & Imprimeurs de
    cette Ville de Paris , ſuiuant & conforme-
    ment à l'Arreſt de la Cour de Parlement ,
    du 8. Auril 1653. & aux charges portées
    par le preſent Priuilege.

    Acheué d'imprimer pour la premiere fois
    le 24. Avril 1664.

    Les Exemplaires ont eſté fournis.
    
    I
    bandeau

    LA
    DIRECTION
    ET LA
    CONSOLATION
    DES PERSONNES
    MARIEES.
    LIVRE PREMIER.
    filet mi-maigre

    CHAPITRE PREMIER.
    Le Mariage eſt vn excellent Eſtat de
    vie, & tres-agreable à Dieu.

    lettrine; "I" (J) encadré, entouré de feuilles
    I. I E ne pretẽs point diſputer
      aux Vierges & aux Reli-
    gieux, les auantages & les
    prerogatiues qu'ils ont au deſſus de
    ceux qui ſont engagez dans les liens
    A
    
    2
    La direction & la Conſolation
    du Mariage , & dans les ſoins d'vne
    famille.
    Mais ie maintiens,que les perſonnes
    mariées peuuẽt arriuer à vne haute,
    tres-heroïque , & tres-admirable ſain-
    cteté : s'ils veulent cooperer aux graces
    que Dieu leur preſente,& ſe ſeruir des
    occaſiõs qu'ils rencõtrent pour s'éleuer
    aux plus hauts degrez de perfection.
    I'auouë qu'vn homme marié ne
    peut demeurer iour & nuict à l'Egliſe
    pour y chanter les loüanges de Dieu:
    qu'il ne peut ny porter ſouunet des ci-
    lices & des haires , ny faire pluſieurs
    diſciplines , ny jeuſner au pain & à
    l'eau , ny ſe tenir retiré dans vne ſoli-
    tude , pour vacquer à la contempla-
    tion des choſes diuines , auec vne ſi
    tranquille & ſi parfaite liberté d'eſprit,
    qu'vn Chartreux ou qu'vn Anachorete.
    Mais il peut exercer la Charité , qui
    eſt la Reine & la plus eminente de
    toutes les vertus , la patience , la de-
    bonnaireté, la juſtice, la force, la tem-
    perance , l'humilité , & toutes les
    ſainctes actions d'vn Chreſtien. Il en
    trouue à chaque moment des ſujets
    
    3
    des perſonnes Mariées.
    enuers ſa femme , enuers ſes enfans,
    enuers ſes ſeruiteurs & ſes ſeruantes.
    Sa porte luy offre tous les iours des
    boiteux, des aueugles, des eſtropiants,
    & des perſonnes reduites à vne extre-
    me pauureté. Il a ſes Fermiers neceſſi-
    teux à diriger & à ſoulager. Il entend
    ſouuent ſes voiſins , ſes parens & ſes
    amis qui implorent ſon aſſiſtance. Il
    peut ſelon ſes moyens & ſon eſprit,
    ſouſtenir ſa Ville , ſa Prouince & ſon
    Royaume : y contribuër de ſes ſoins,
    de ſes conſeils, de ſon argent , & de
    ſon ſang, ſi la neceſſité l'y oblige. Se-
    lon ſa vocation , il aide les villageois
    dans leurs procez,dans leurs affaires,
    & dans leurs miſeres ; leur donnant
    conſeil , trauaillant pour eux, & leur
    eſlargiſſant ce dont ils ont beſoin.
    II.  Dieu eſt vn ſage Pere de famille.
    Il occupe ſes enfans à diuers Meſtiers;
    où ils peuuent s'auancer & faire for-
    tune.
    Les Vacations & les Offices des
    hommes ſont ſemblables aux ſaiſons
    de l'année, qui ont leurs commoditez
    & leurs difficultez. Dieu les fauoriſe
    A ij
    
    4
    La direction & la Conſolation
    tous , & offre ſon aide à tous. S'il a
    honoré la Virginité en naiſſant d'vne
    Vierge ; il a voulu qu'elle fuſt mariée.
    Il a choiſi l'Apoſtre ſainct Iean Vierge
    pour eſtre ſon Bien-aimé : mais il a
    pris ſainct Pierre qui auoit eſté marié,
    pour eſtre le chef de toute ſon Egliſe.
    Noé le Reparateur du Monde , Abra-
    ham
    le Pere des Croyans,tous les Pa-
    triarches & preſque tous les Prophetes
    ont eſté mariez, & ont eu des enfans.
    Moïſe , le Legiſlateur des Hebreux,
    qui auoit dompté Pharaon & toute
    l'Egypte par de prodigieux miracles ;
    qui auec ſa houlette auoit changé l'eau
    en ſang, & la pouſſiere de la terre en
    grenoüilles & en mouſches : qui auoit
    ouuert la Mer rouge, pour y faire paſſer
    trois millions de perſonnes à pied ſec :
    qui ne marchoit qu'à la lumiere d'vn
    Ange caché dãs vne nuée: qui parloit à
    Dieu face à face, auec la meſme fami-
    liarité qu'vn amy diſcourt auec ſon
    amy : qui ſortoit de l'oraiſon auec vn
    viſage tout éclatant & lumineux : qui
    faiſoit pleuuoir le pain du Ciel , &
    ſortir l'eau des rochers , auoit vne
    
    5
    des perſonnes Mariées.
    femme & enfans.
    III.  Dans la Loy de grace , noſtre
    Sauueur a voulu aller aux nopces, auec
    la glorieuſe Vierge ſa Mere , & auec
    tous ſes Apoſtres : & les honorer par
    le premier de ſes miracles : conuertiſ-
    ſant l'eau en vn vin delicieux.
    Il donne maintenant ſa benediction
    à tous ceux qui reçoiuent le Sacrement
    de Mariage : & leur confere la grace
    ſanctifiante, s'ils y ſont bien diſpoſez.
    Ce qui eſt le plus conſiderable , & qui
    peut cauſer vne grande ioye, c'eſt que
    le Sacrement laiſſe vn droit d'auoir
    d'autres graces actuelles, dans les oc-
    currences , & dans le beſoin de l'Eſtat,
    où l'on doit viure le reſte de ſes iours.
    Ces graces ont eſté ſi puiſſantes ,
    qu'elles ont fait de tres - excellens
    Saincts : & ont donné à l'Egliſe des fa-
    milles; où le mary & la femme ont eſté
    canoniſez. Tels ſont ſainct Xenophon,
    & ſa femme Marie : ſainct Caſtule , &
    ſaincte Irene : ſainct Nicoſtrate , &
    ſaincte Zoë: ſainct Seuerien, & ſaincte
    Aquila
    : ſainct Adrien , & ſaincte Na-
    talie
    : ſainct Maxime , & ſaincte Se-
    A iij
    
    6
    La Direction & la Conſolation
    conde: ſainct Lucien , & ſainct Paule.
    On pourroit en rapporter diuers au-
    tres, s'il eſtoit neceſſaire : & vous eſtes
    certain , qu'il ne tient qu'à vous d'e-
    ſtre du nombre de ces amis de noſtre
    Seigneur.
    IV. Le Mariage ne donne pas ſeule-
    ment au Ciel le mary & la femme : il
    les fait comme des arbres de vie, au
    milieu du Paradis terreſtre de l'Egliſe :
    qui portent des fruicts dignes des
    yeux, des mains, & de la bouche de
    Dieu.
    Quelle choſe pourroit eſtre plus
    agreable à cette diuine Majeſté , que
    de contempler la mere des Machabées,
    auec ſes ſept enfans qu'elle anime au
    martyre ? que de voir les ſainctes Feli-
    cité
    & Symphoroſe auec vn pareil
    Mari-
    næus
    & Ma-
    riana
    hiſt.
    Hiſp.
    ſed vo-
    cat
    Mar-
    cellum
    nombre ? & ſainct Martiel auec onze
    enfans, qui gagnerent tous la palme
    & la couronne d'vn glorieux Martyre?
    Saincte None ſa femme mourut d'vne
    façon miraculeuſe avec le douzieſme.
    V. Vn Religieux n'a point cét auan-
    tage. Il eſt vn arbre excellent au par-
    terre de l'Egliſe: mais il eſt ſterile. Que
    
    7
    des perſonnes Mariées.
    s'il recompenſe par ſes inſtructions, en
    la culture des ames : il ne trauaille que
    ſur la matiere que luy offre le Mariage.
    Et il s'eſt trouué des hommes mariez,
    qui ont conuerty autant ou plus de
    perſonnes à la veritable Foy qu'aucun
    Religieux.
    Sainct Eſtienne Roy d'Hongrie,
    eſt eſtimé l'Apoſtre de toutes les Pro-
    uinces de ce beau Royaume. Sainct
    Charlemagne
    Empereur & Roy de
    France, eſt appellé l'Apoſtre des Sa-
    xons
    . Il les a inſtruits & conuertis,
    auec la bouche des machines de guer-
    re , & auec la langue des eſpées. Il a
    auſſi beaucoup ſeruy à l'Eſpagne & à
    d'autres Royaumes , pour y mainte-
    nir la veritable Religion contre les In-
    fidelles ?
    VI.  De plus, qui eſt-ce qui a don-
    né à l'Egliſe les Religieux. Qui eſt-ce
    qui leur baſtit des Monaſteres ? Qui
    eſt-ce qui leur donne des rentes ? Qui
    conſerue leurs biens des vſurpations
    de l'impieté, ſinon les perſonnes ma-
    riées,leſquelles par leurs trauaux s'ac-
    quierent des richeſſes : & par leur pie-
    A iiij
    
    8
    La Direction & la Conſolation
    té les conſacrent à Dieu , entre les
    mains de ſes ſeruiteurs particuliers.
    Et il peut arriuer que par l'exerci-
    ce de la Charité , de la Iuſtice , de la
    Patience, & de diuerſes autres vertus:
    vn homme marié ſera plus vertueux
    qu'vn Religieux, encore que ſon eſtat
    ait moins de perfection. Sainct Ald
    helme
    dit, en ſon Traicté qu'il a com-
    poſé de la Virginité. La Virginité eſt
    de l'Or: l'Eſtat des Veuues eſt de l'ar-
    gent , & le Mariage eſt de l'airain.

    Quand cela ſeroit veritable: ie pour-
    rois dire que l'airain de Corinthe a
    eſté autrefois plus eſtimé que l'or
    meſme.
    VII.  Que ſi le Mariage eſt vn eſtat
    propre pour les parfaits, il l'eſt beau-
    coup plus pour les foibles, qui ſont
    agitez de faſcheuſes tentations , &
    ſont continuellement dans les flots, en
    peril de faire vn triſte naufrage. Le
    Mariage eſt un port, comme l'appelle
    Sainct Gregoire , lequel conſeille ſa-
    gement, à ceux qui ſont dans ces agi-
    tations d'eſprit & de corps , de ſe lier à
    cét Eſtat qui eſt donné de Dieu pour le
    
    9
    des perſonnes Mariées.
    remede de la concupiſcence, & pour la
    L. 12.
    Mor.

    procreation des enfans. Ceux, dit-il,
    qui ſouffrent auec difficulté, & qui ont
    peine de ſurmonter les vagues des ten-
    tations de la chair, doiuent ſe retirer au
    port du Mariage
    .
    L'Apoſtre dit clairement , qu'il
    eſt meilleur de ſe marier, que de ſe
    conſumer dans les ardeurs de ſon
    corps. Car il n'y a nulle offenſe en ſe
    mariant : pourueu qu'on ne ſe ſoit
    point aſtreint par aucun vœu, à vne
    autre maniere de vie. Ainſi parle ſainct
    Gregoire
    .
    VIII.  La ſaincte Egliſe a condam-
    né comme heretiques, ceux qui ont
    reprouué les nopces, Et veut meſmes
    qu'on ſe puiſſe marier pluſieurs fois,
    ſi la neceſſité ou l'vtilité y oblige.
    Sainct Paul écriuant à ſainct Ti-
    I. Tin.
    4.
    mothée , Eueſque d'Epheſe , declare
    ouuertement, que ceux qui defendent
    de ſe marier, ſe ſont retirez de la veri-
    table creance , qu'ils s'arreſtent à vn
    eſprit d'erreur , & à la doctrie des de-
    mons : que ce ſont des hypocrites, des
    menteurs, & des hommes qui ont la
    A v
    
    10
    La Direction & la Conſolation
    conſcience cauteriſée.
    Eſcriuant aux Hebreux5 , il dit,
    Eph. 5.
    32.
    Que le Mariage doit eſtre honoré de
    tous
    : Et aux Epheſiens , Que c'eſt vn
    Sacrement qui eſt grand en Ieſus-Chriſt
    & en l'Egliſe
    .
    IX.  Dieu l'a inſtitué : & a ordonné
    que nulle puiſſance humaine ne puiſſe
    ſeparer le mary d'auec ſa femme , ny la
    femme d'auec ſon mary : puis que luy-
    meſme les a vnis en deux corps, pour
    eſtre vne meſme choſe.
    X.   L'Ange Raphaël conduiſit le
    jeune Tobie auec de merueilleux ſoins,
    & auec vne bonté incomparable : afin
    de luy trouuer vne femme. Il luy en-
    ſeigna tout ce qu'il deuoit faire en ſui-
    te, meſmes pour ce qui concernoit l'v-
    ſage du Mariage. Ce qui prouue eui-
    demment que tout y eſt ſainct:moyen-
    nant qu'on y ſuiue les loix que Dieu y
    a ordonnées.
    XI.   Dieu meſme commanda au
    Prophete Oſée de prendre vne femme,
    de taſcher d'en auoir des enfans, & de
    leur impoſer les noms qu'il luy deſi-
    gna. Que peuuent dire les ennemis du
    
    11
    des perſonnes Mariées.
    Mariage contre toutes ces raiſons ſi
    preſſantes & ſi euidentes.
    XII.  Sainct Auguſtin auance vne
    In
    Pſal-
    99.6
    propoſition plus auantageuſe aux per-
    ſonnes qui ſont dans le tracas du mé-
    nage , aſſeurant qu'vne perſonne ma-
    riée , qui eſt humble , eſt meilleure
    qu'vn Religieux qui eſt orgueilleux.
    XIII.  Ie ne m'arreſteray point à
    vous déduire vne verité qui eſt toute
    éuidente. Que le Mariage fait preſ-
    que tout l'ornement du monde.
    C'eſt le Mariage qui a aſſemblé les
    hommes en des Communautez: qui a
    eſtably les Loix , qui les a fait obſer-
    uer: qui a baſty les Villes & les Palais:
    qui a cultiué les terres & les vignes :
    qui dirige les armées : qui trauerſe les
    mers , & qui exerce tous les Arts que
    nous voyons , & que nous admirons.
    Demandez à vn Marchand qui va
    aux Indes , ſans ſe ſoucier ny des flots
    de la mer, ny des rochers de la terre,ny
    des vens de l'air , ny des Pyrates, ny de
    mille incommoditez , quel motif il a
    de ſon voyage ? Il vous répondra in-
    continent : Que le deſſein d'enrichir
    A v
    
    12
    La Direction & la Conſolation
    ſes enfans l'anime , & luy oſte la
    frayeur des perils qui s'offrent à luy
    tous les iours.
    Interrogez vn Seigneur, Qui eſt-
    ce qui le pouſſe à expoſer ſa vie dans
    les attaques des Villes, dans les batail-
    les & dans les aſſauts , il dira : Que le
    deſir d'auancer ſa famille , pour le bien
    de ſa poſterité , luy communique cette
    ardeur, & luy fortifie le cœur & les
    bras.
    XIV.  Enfin , ſi vous oſtiez le Ma-
    riage de la terre, vous oſteriez la cha-
    rité des familles, n'y ayant nulle liai-
    ſon entre les hommes. Aujourd'huy,
    on rejette au nombre des beſtes brutes,
    ceux qui n'aiment pas leurs femmes,
    leurs enfans , leurs peres , leurs meres,
    leurs oncles , leurs tantes , leur cou-
    ſins , leurs couſines , & tous les
    alliez.
    L'eſperance meſme de pouuoir vn
    iour s'allier à vne famille, auec laquel-
    le on n'a nulle proximité de ſang , fait
    qu'on agit auec tous ceux d'vne ville
    & d'vn païs auec plus de reſerue , que
    ſi l'on eſtoit certain, que iamais on ne
    
    13
    des perſonnes Mariées.
    pourroit y auoir aucune vnion ny al-
    liance : Et pour cette cauſe, l'Egliſe a
    defendu , que les parens aux quatre
    premiers degrez ne ſe puiſſent marier
    enſemble , afin que diuerſes familles
    ayent vn moyen plus facile de s'vnir
    en charité. Et de ce fait, on trouue des
    Villes , où la pluſpart ſont liez
    par le moyen de parenté ou d'al-
    liance,du mary ou de la femme : ce qui
    empeſche beaucoup de haines , de de-
    tractions , de proccz , & d'autres in-
    conueniens.
    XV.  Si Dieu auoit ordonné , com-
    me il pouuoit , que la production des
    hommes ſe fiſt ſans le Mariage : toute
    la terre ſeroit vn deſert. L'vn ſe retire-
    roit dans vn bois, pour n'eſtre inter-
    rompu de perſonne. L'autre ſe cache-
    roit dans quelque grotte de monta-
    gne , ou dans quelque petite cabane
    de Berger. Chacun demeureroit dans
    vn chagrin melancholique , & ne ſe
    ſoucieroit de choſe aucune qui con-
    cernaſt le bien public.
    XVI.  Ne mépriſons donc point le
    Sacrement de Mariage, puis qu'il eſt
    
    14
    La Direction & la Conſolation
    ſi vtile , & pour le bien de la Republi-
    que , & pour l'vtilité des familles:que
    Dieu l'a inſtitué & commandé : que
    Ieſus-Chriſt l'a honoré de ſa preſence,
    & eſleué à la dignité d'vn Sacrement
    de ſon Egliſe : que les Anges l'ont
    conſeillé, & que tous les Saincts l'ont
    loüé & reſpecté, dans la conſideration
    de ſes vtilitez, pour l'eſtabliſſement des
    Royaumes , pour la victoire de tenta-
    tions , & pour l'acquiſition des plus
    eminentes vertus.
    filet décoratif

    CHAPITRE II.

    Il ne ſe faut point marier par phan-
    taiſie , mais par vne meure
    deliberation.

    I. LE feu de la jeuneſſe eſt ſi actif,
      & fait ſes efforts auec tant de
    promptitude , qu'il eſt ſouuent impoſ-
    ſible à la prudence humaine de mode-
    rer ſes ardeurs & d'empeſcher ſes ra-
    uages. Que ſi l'amour y meſle ſes
    
    15
    des perſonnes Mariées.
    flammes & ſon aueuglement , il eſt
    ſemblable à vn torrent impetueux, qui
    ſortant d'vne montagne enflammée,
    deſole toute la campagne, & ne peut
    eſtre retenu par aucune induſtrie.
    La jeuneſſe qui bruſle du feu de
    l'amour, pour venir à bout de ſes deſ-
    ſeins , foule aux pieds ſa nobleſſe , ſes
    richeſſes , ſa ſanté, ſes commoditez, &
    tout ce qui eſt de plus ſouhaitable en la
    vie.
    II.  Pour grands que ſoient les
    maux , qui ſont cauſez par la temerité
    d'vn jeune homme , ils paroiſſent tole-
    rables, s'ils ſont de peu de durée. Mais
    vn Mariage mal fait eſt vn malheur
    eternel, & dont rien ne peut deliurer
    que la mort d'vne des deux parties.
    C'eſt Ieſus-Chriſt meſme qui l'ordon-
    ne en ſainct Matthieu. Que l'homme
    Cap.
    19.7
    ne ſepare point ceux, que Dieu a con-
    joints enſemble
    .
    III.  L'Amour eſt vn feu de paille
    qui s'allume dans vn clin d'œil, qui
    éleue ſes flâmes fort haut,& qui a vn ſi
    furieux embraſement , qu'il eſt capa-
    ble de reduire en cendres les plus belles
    
    16
    La Direction & la Conſolation
    maiſons , & les plus riches Palais.
    Neantmoins ce feu folet s'eſteint fa-
    cilement , & lors qu'on y penſe le
    moins.
    Qui plus eſt, lors qu'il n'eſt fondé
    que ſur vne vaine phantaiſie, ſur vne
    illuſion de beauté , ou ſur quelque
    choſe ſujette à changement:il ſe trans-
    forme ſouuent en vne ſi grande haine,
    qu'on ne peut ſouffrir la veuë de l'ob-
    jet , qui auoit charmé les ſens & le
    cœur : & qu'on auoit recherché à tra-
    uers les eſpées & les hazards d'vne
    mort honteuſe.
    Cette verité parut dans Amnon,
    le fils aiſné du Roy Dauid, Ce jeune
    Prince,charmé & enſorcelé de la beau-
    té de ſa ſœur Thamar , la força &
    en abuſa. A l'inſtant, il conçeut vne
    ſi déraiſonnable & ſi furieuſe auerſion
    d'elle , qu'il la chaſſa de ſon logis , &
    n'en voulut iamais plus oüir parler.
    Pluſieurs ſont comme les poiſ-
    ſons , qui à la veuë de la naſſe deſirent
    d'y entrer : & qui ne ſont pas pluſtoſt
    dedans , qu'ils font tous leurs efforts
    pour en ſortir. Vous les pouuez auſſi
    
    17
    des perſonnes Mariées.
    comparer aux oyſeaux qui courent à
    l'amorce , & qui ſe trouuant pris au
    glu , ſe tourmentent en battant des
    aiſles pour ſe dégager.
    IV.  Que feriez-vous ſi vn pareil
    malheur vous arriuoit, apres que vô-
    tre paſſion auroit jetté ſon feu ? Les
    Loix diuines & humaines vous obli-
    gent de demeurer iour & nuict & tou-
    te voſtre vie, auec la femme que vous
    aurez vne fois priſe. Si vous la voyez
    pauure ou roturiere, ou beaucoup au
    deſſous du luſtre de voſtre famille,
    vous aurez vne infinité de regrets,
    d'auoir par vne legereté precipité
    perdu voſtre reputation , rabaiſſé
    vos enfans, attriſté vos parens & vos
    alliez.
    V.  Le meilleur conſeil que ie puiſſe
    vous donner, eſt : de vous ſeruir d'vne
    meure deliberation, de conſulter nô-
    tre Seigneur par de feruentes oraiſons,
    & de luy demander les lumieres ne-
    ceſſaires pour vn choix ſi important,
    de vous informer des inclinations &
    de la volonté de voſtre Pere, de voſtre
    Mere, & de vos autres parens. Sur
    
    18
    La Direction & la Conſolation
    tout , ne vous mes-alliez iamais, ny
    pour ce qui concerne les biens , ny
    pour ce qui regarde la nobleſſe.
    VI.  Ie vous conſeille meſmes, de
    ne point viſer plus haut que voſtre
    portée. Car ſi vous auez vne femme
    notablement plus noble , plus riche,
    & meſme plus belle & plus adroite
    que vous : vous eſtes vn euident
    peril, qu'au lieu d'vne femme qui vous
    obeïſſe ſelon ſon deuoir : vous n'en
    ayez vne qui faſſe la Maiſtreſſe & qui
    vous gourmande.
    Ioan.
    Peter-
    ſius in
    Chron.
    Holſat.
    Ces motifs pouſſerent les Holſa-
    tiens
    à ordonner, qu'vn homme no-
    ble priſt vne femme noble : qu'vn
    homme libre en prit vne libre , &
    qu'vn eſclaue ne ſe puſt allier qu'à vne
    eſclaue. La peine de ceux qui contre-
    uenoient à cette Loy , eſtoit vne mort
    ignominieuſe.
    Du
    Iarric.
    hiſt.des
    Ind. l.
    2. Ch.
    14.
    Les Loix de l'Empire du Calecut
    ſont plus faſcheuſes. Non ſeulement
    les Nobles, & ceux qui ont la liberté,
    ſont obligez encore aujourd'huy de
    prendre vn party égal : mais vn Char-
    pentier , par exemple , ne peut auoir
    
    19
    des perſonnes Mariées.
    pour femme que la fille d'vn Charpen-
    tier: vn Maſſon , que la fille d'vn Maſ-
    ſon , & ainſi du reſte. Cela eſt fort ru-
    de : & empeſche , qu'vn bel eſprit ne
    puiſſe iamais porter ſon vol bien haut.
    Mais ce reglement maintient la paix
    dans les familles particulieres.
    VII.  Il eſt vray , que la reſſemblan-
    ce eſt la mere de l'amour, & de l'amour
    ſolide & conſtant , toutefois il faut
    auoüer , que l'excellence de l'eſprit
    peut & doit tenir lieu de nobleſſe & de
    richeſſes. Les parens y doiuent auoir
    vn grand égard : mais ils ne doi-
    uent iamais violenter les enfans à vn
    party qui ne leur agrée point.
    Il eſt plus facile, mais plus peril-
    leux, de faire conſentir les filles à vn
    Mariage deſauantageux & deſagrea-
    ble. La crainte & la vergogne leur fer-
    ment le cœur & la bouche : & ne leur
    permettent pas d'expliquer leurs deſirs
    ny leurs auerſions.
    Pour éuiter ce peril , les Indiens
    Cæl. l.
    1 .cap.
    31.
    menoient leurs filles dans vne place
    publique, lors qu'elles eſtoient en âge
    
    20
    La Direction & la Conſolation
    d'eſtre mariées. Vne multitude de ieu-
    nes gens y accouroit , & la fille choi-
    ſiſſoit en toute liberté , celuy qu'elle
    connoiſſoit auoir plus de vertu & plus
    de rapport à ſes humeurs.
    VIII.  Si vous auez vne antipathie
    naturelle de quelque perſonne, auer-
    tiſſez en ſerieuſement vos parens : &
    par vous-meſme , & par ceux qui ont
    de l'authorité ſur leurs eſprits. Toute
    la contrainte que vous apportez à
    vous vaincre, ne ſera point de longue
    durée. Et ſi par voſtre ſilence , vous
    vous laiſſez engager dans vne alliance,
    qui ſoit contre voſtre deſir : la triſteſſe
    vous accablera dans la continuation
    d'vn malheur, que vous verrez ineui-
    table.
    De cette reſolution dépend voſtre
    vie : de voſtre vie, depend voſtre mort :
    & de voſtre mort , l'eternité. Parlez
    donc auec liberté , mais auec mode-
    ſtie. N'acceptez point en vne heure ,
    ce que vous regretterez en tous les
    momens qui vous reſteront.
    IX.  Que ſi la demande de vos pa-
    
    21
    des perſonnes Mariées.
    rens eſt raiſonnable:& que vos amours
    ſoient volages, & mal fondez : accom-
    modez-vous à leur volonté : Et gene-
    ralement parlant, c'eſt le meilleur, &
    ce que Dieu benit dauantage: ſi l'auer-
    ſion naturelle n'eſt point trop grande:
    ou les defauts de celuy qu'on preſente
    trop notables , & qui choquent trop
    puiſſamment voſtre imagination. Ainſi
    Rebecca accepta Iſaac, Lia & Rachel
    accepterent Iacob , & Sara prit pour
    mary le ieune Tobie : & le Ciel verſa
    ſes plus diuines benedictions ſur tou-
    tes ces familles.
    X.  Les parens doiuent auoir com-
    paſſion de leurs enfans , lors qu'ils
    voyent des auerſions naturelles trop
    exceſſiues. Il vaut mieux leur laiſſer la
    paix & la joye dans vne moindre for-
    tune : que de les bruſler des flammes
    d'vne colere & d'vne rage infernale,
    dans vn eſtat brillant.
    Les antipathes de la nature pre-
    uiennent noſtre liberté. Nous en voyõs
    aux animaux meſmes, aux poiſſons, &
    aux oyſeaux de ſi étonnantes, que nous
    aurions peine de les croire : ſi nos yeux
    
    22
    La Direction & la Conſolation
    ne nous en faiſoient vn fidelle rapport.
    Souuent , dés le premier abord , ſans
    iamais s'eſtre veus, ils s'attaquent , ils
    ſe tuent , & ſe mettent en pieces les
    vns les autres. Ils portent meſme quel-
    quefois leur haine apres la mort : Le
    ſang des vns ne ſe pouuant joindre au
    au ſang des autres , & les chordes fai-
    tes de leurs entrailles ſe taiſant , lors
    que celles de leurs ennemis ſont pro-
    Plin.
    l. 28 c.
    4.
    ches & reſonnent.  Si meſme vous
    mettez les peaux de l'Hyene & de la
    Panthere enſemble : le poil tombe à
    celle de la Panthere.
    Voudriez-vous donc mettre voſtre
    fils & voſtre fille dans vne telle con-
    joncture, qu'ils deſſechaſſent ſur leurs
    pieds & dans leurs cœurs, eſtant con-
    tinuellement tourmentez par ces
    auerſions conſumantes.
    XI.  Enfin, ſi vous conſiderez com-
    bien de qualitez il faut en l'homme &
    en la femme, & en tout ce qui ſe trou-
    ue dans la famille pour vn Mariage ac-
    comply: vous ſerez tres-reſerué à vous
    lier à cet Eſtat , & vous y apporterez
    vne tres meure deliberation , auant
    
    23
    des perſonnes Mariées.
    que de permettre qu'on vous ſerre par
    des liens indiſſolubles , dont on ne
    pourra iamais vous déliurer.
    filet décoratif

    CHAPITRE III.

    Il eſt fort difficile de n'eſtre point
    mal marié.

    I. THeophraſte a fait vn Liure tou-
      chant les nopces, où il demɑ̃de.
    Si vn hõme ſage doit prendre vne fem-
    me ? Et il reſpond , que ſi vne femme
    eſt recommandable par ſa beauté, par
    ſes bonnes mœurs , & par la vertu de
    ſes parens , vn homme ſage s'y peut
    marier : s'il a vne bonne ſanté , & des
    moyens pour faire ſubſiſter ſa famille
    auec facilité & auec honneur. Ainſi
    parle ce Philoſophe.
    II.  Mais il adjouſte , Que tout cét
    aſſemblage de perfections ſe rencontre
    rarement dans vn Mariage : & que par
    conſequent , vn homme ſage doit s'e-
    xempter d'vn joug ſi rude & ſi peſant.
    En premier lieu , dit-il , les ſoins le
    
    24
    La Direction & la Conſolation
    detournent de l'eſtude de la Philoſo-
    phie , & il luy eſt impoſſible de vac-
    quer ſuffiſamment à ſes Liures, & aux
    deſirs d'vne femme. Elle a beſoin de
    pluſieurs choſes qui ſont difficiles à
    trouuer. Elle deſire des habits pre-
    cieux , de l'or, des perles, des ſuper-
    fluitez, des ſeruantes, des meubles de
    pluſieurs ſortes, des litieres, & des ca-
    roſſes dorez. Toute la nuict elle eſt im-
    portune par ſes plaintes & par ſes la-
    mentations : & rompt les oreilles
    d'vn mary , fatigué par le continuel
    trauail de la iournée. Celle-la, dit-elle,
    eſt mieux habillé que moy : elle en eſt
    honorée par vn chacun : & ie gemis dãs
    le mépris & dans le rebut au milieu des
    compagnies. Pourquoy auez - vous
    jetté les yeux ſur noſtre voiſine ? Quel
    motif vous pouſſe à tant parler à noſtre
    ſeruante? Combien auez-vous rappor-
    té d'argent au retour du Parquet?
    Sa jalouſie fait qu'on ne peut auoir
    l'amitié d'aucune autre femme : l'a-
    mour qu'on témoigneroit à quelqu'v-
    ne , luy paroiſtroit vne haine formée
    contre elle.
    Si quelqu'vn
    
    25
    des perſonnes Mariées.
    Si quelqu'vn eſt capable de ſe fai-
    re connoiſtre par ſa doctrine dans vne
    meilleure Ville que la ſienne , il n'y
    peut aller auec ſa femme , & ne peut
    neantmoins la quitter ſans crime. Si
    elle eſt pauure, ſa nourriture eſt diffi-
    cile à trouuer. Si elle eſt riche, elle eſt
    à charge par ſon inſolence.
    III. Adjouſtez à tous ces malheurs,
    qu'il n'eſt point permis d'en choiſir
    vne autre. Quelle quelle ſoit il la faut
    retenir , la nourrir & viure auec elle
    iuſqu'à la mort. Si elle eſt ſtupide,
    colere, laide, orgueilleuſe : on ne le
    connoiſtra pas bien qu'apres les nop-
    ces. On donne permiſſion à vn Mar-
    chand d'éprouuer vn cheual, vn aſne,
    vn bœuf, vn chien , & les plus chetifs
    des eſclaues. Les habits meſmes , les
    pots, les chaiſes, les vaſes de terre &
    de bois, auant que de s'engager à l'a-
    chapt. La femme ſeule ſe tient cloſe
    & couuerte: de peur qu'elle ne deplai-
    ſe , auant le contract ſolemnel qu'on
    Lib. I.
    c. 28.
    & 29.
    en fait. Ce ſont les paroles de Sainct
    Hieroſme
    , au Traicté qu'il a fait con-
    tre l'Hereſiarque Iouinien. Où il re-
    B
    
    26
    La Direction & la Conſolation
    marque , Qu'vn Gentilhomme Ro-
    main eſtant repris de ce qu'il auoit re-
    fuſé vne femme, qui eſtoit belle,chaſte
    & riche : il montra ſon pied , & dit.
    Ce ſoulier , que vous voyez , vous pa-
    roiſt beau pour ſa nouueauté : mais
    vous ignorez où il me bleſſe. Il vou-
    loit dire , qu'il ſçauoit des imperfe-
    ctions ſecrettes de celle, dont on luy
    faiſoit des Eloges.
    IV.  Il eſt tres difficile de trouuer
    vne perſonne qui ſoit ſi accomplie
    que rien ne luy manque : beaucoup
    plus eſt-il impoſſible d'en trouuer plu-
    ſieurs. Et neantmoins il y a dans vn
    ménage , non ſeulement vne femme,
    mais auſſi des enfans, des ſeruiteurs,
    des ſeruantes, des Fermiers, des crean-
    ciers , des debteurs , qui cauſent plu-
    ſieurs faſcheries , pluſieurs procez &
    pluſieurs pertes. Comment donc ne
    confeſſerons-nous pas, qu'il eſt diffi-
    cile de n'eſtre point mal marié.
    V.  Pour ne parler preſentement
    que de la femme , ſi l'on en rencontre
    vne mauuaiſe , ſans doute toute la vie
    ſera remplie de quantité de miſeres.
    
    27
    des perſonnes Mariées.
    Sainct Chryſoſtome dit, Qu'vne mau-
    In
    Matth.
    c. 19.
    uaiſe femme n'eſt autre choſe , que l'en-
    nemie de l'amitié & de la paix , vne
    peine ineuitable, vn mal neceſſaire , vne
    tentation naturelle , vne calamité ſou-
    haitée , vn peril domeſtique , vn dom-
    mage delectable , vne malice ornée d'v-
    ne belle couleur
    .
    Stob.
    ſerm.
    66.
    Le Philoſophe Thalés , qui fut l'vn
    des ſept Sages de la Grece, auoit vne ſi
    grande frayeur de mal rencõtrer: qu'é-
    tãt preſſé par ſa mere en la fleur de ſon
    âge de prendre vne femme, il répondit,
    qu'il n'eſtoit point encore temps : Et
    ſur la meſme inuitation, dans vn âge
    plus auancé, il luy repartit qu'il eſtoit
    trop tard. Ce qui reuient à l'opinion
    de Platon , qui diſoit : Qu'en la Ieu-
    neſſe il n'eſtoit pas encore temps de ſe
    marier : & qu'en la vieilleſſe c'eſtoit
    folie de le faire.
    Quelques Philoſophes ont eſcrit,
    Que ſi les hommes eſtoient ſans fem-
    mes , ils ſeroient dignes de la viſite &
    de la conuerſation des Dieux.
    VI.  Tout cela ſe dit auec plus de
    chaleur que de verité. Le Mariage eſt
    B ij
    
    28
    La Direction & la Conſolation
    ſainct : mais il faut prendre garde,
    comment on l'entreprend. Et lors
    qu'on s'y eſt obligé , il faut paſſer par
    ſes difficultez , comme par vn chemin
    qui eſt bon, & qui meine droict au ter-
    me où l'on va : mais qui eſt heriſſé
    d'épines.
    VII.  Menedeme & Socrate me
    ſemblent auoir bien rencontré ſur ce
    ſujet.
    Laer.
    lib.2.8
    Le premier eſtant interrogé, ſi vn
    homme ſage deuoit ſe marier, repartit
    à celuy qui parloit. Me tenez-vous
    pour vn homme ſage ? Ouy, Monſieur,
    repliqua celuy qui vouloit ſçauoir le
    ſentiment d'vne perſonne ſi renom-
    mée. Ie ſuis marié, adjouſta le Phi-
    loſophe.
    Ibid.9
    Socrate dit encore mieux. Soit que
    vous preniez vne femme, ou que vous
    n'en preniez pas : c'eſt merueille , ſi
    vous n'auez diuers repentirs de voſtre
    reſolution. Il donnoit à entendre, que
    le Celibat & le Mariage ont leurs dif-
    ficultez particulieres qu'on ne peut
    éuiter.
    Le Celibat eſt ſeul ſans enfans, &
    
    29
    des perſonnes Mariées.
    ſans poſterité , & voit ſon bien paſſer
    en des mains eſtrangeres. Le Mariage
    a pour ſes compagnes les anxietez con-
    tinuelles , les lamentations qui ne
    trouuent iamais de fin , les reproches
    du peu de dot qu'on a donné,vn viſage
    arrogant des alliez , vne belle-mere
    babillarde & querelleuſe, des euene-
    mens incertains pour les enfans, pour
    la femme , & pour les biens. Ainſi
    il n'eſt point icy queſtion de faire vn
    choix entre le bien & le mal , mais
    entre deux maux, dont il faut peſer la
    grandeur, afin de prendre le moindre.
    VIII.  Tous ces raiſonnemens vous
    prouuent le peril qu'il y a de mal ren-
    contrer ſi l'on ſe marie , & la neceſ-
    ſité de mettre vn temps raiſonnable,
    pour auoir cette ſatisfaction d'eſprit,
    d'auoir fait ſon deuoir en vn choix de ſi
    grande importance. Ce ſoin pris dans
    la veuë de ſon ſon ſalut, eſt vne des plus
    aſſeurées conſolations qu'on puiſſe
    auoir dans toutes les amertumes qui
    ſe rencontreront en diuerſes occur-
    rences , durant tout le cours de la
    vie.
    B iij
    
    30
    La Direction & la Conſolation
    bandeau

    CHAPITRE IV.

    Ceux qui ſont mal Mariez , ſont dans
    vn Eſtat tres-douloureux.


    CHacun eſtime que ce Tyran
    Me-
    zence.
    eſtoit tres-cruel, lequel joignoit
    vn corps mort auec vn corps viuant:
    afin de faire mourir dans la puanteur
    du mort, celuy qui eſtoit en vie.
    Mais ce mal n'eſtant point de lon-
    gue durée, & ſe finiſſant dans peu de
    iours, eſtoit moindre que le malheur
    d'vn mary, vny par le contract de Ma-
    riage à vne mauuaiſe femme : ou d'vne
    femme jointe à vn mauuais mary. Ex-
    pliquons cette verité.
    §.  I.  Vne Femme mal mariée eſt vne
    ame damnée, ſi elle n'y prend garde.
    L'Enfer eſt terrible à cauſe de l'hor-
    reur du lieu , de l'ardeur du feu , de la
    compagnie des demons & des damnez,
    de l'eternité des peines & du deſeſpoir,
    qui prouient de tous ces maux.
    Le meſme malheur preſque ſe re-
    
    31
    des perſonnes Mariées.
    trouue, lors qu'vne femme eſt obligée
    de demeurer toute ſa vie auec vn mau-
    Plut.
    de ſup.
    p. 295.
    uais mary.
    Premierement , ſa maiſon eſt dans
    de continuelles tenebres. Elle reſſem-
    ble à ce païs des Cimmeriens  :  qui,
    comme on conte , non ſeulement vi-
    uoient dans l'obſcurité : mais igno-
    roient meſme qu'il y euſt vn Soleil au
    monde. Dans cette miſerable maiſon,
    ce ne ſont que pleurs , que lamenta-
    tions, que regrets,d'auoir iamais mis le
    pied, en vn lieu ſi deplorable.
    Secondement, le feu de la colere,
    & le deſir de la vengeance s'allument
    d'vne telle ſorte ; qu'aucunes fois la
    rage pouſſe à des actions tres-funeſtes,
    dont ie n'oſe ſoüiller ce papier.  Le
    cœur d'vne femme qui eſt dans vne
    continuelle triſteſſe, eſt ſemblable aux
    ſtatuës de l'Idole Moloch , qu'on fai-
    ſoit embraſer , & lors qu'elle eſtoit
    toute rouge de feu, on y iettoit des en-
    fans pour les bruſler & conſumer.
    Toutes les penſées de ces pauures crea-
    tures affligées les tourmentent , les
    font perir à petit feu : & ne leur don-
    B iiij
    
    32
    La Direction & la Conſolation
    nent aucun rafraiſchiſſement , ny iour
    ny nuict.
    Troiſieſemement , vn homme im-
    pie & furieux eſt vn demon enragé,
    qui ne fait que remplir l'air d'execra-
    tions & de blaſphemes , & qui frappe
    ſans raiſon, ſur ceux qui luy donnent
    le moindre déplaiſir.
    Solin.
    pag.97
    Les Angiles10, peuple barbare, n'a-
    doroient aucunes diuinitez, que celles
    qu'ils reconnoiſſoient dans les enfers.
    Les hommes ſcelerats ſont encore plus
    execrables. Ils ſçauent qu'il y a vn
    Dieu dans les Cieux, qui merite la ve-
    neration & l'adoration de tous les
    Eſtres créez. Et neantmoins , ils le
    blaſphement & le maudiſſent pour
    plaire aux demons.
    Ils ſont en cela pires que ces
    Strab.
    lib.5:
    Ethiopiens , qui dés le matin maudiſ-
    ſoient le Soleil d'Orient , & ſe ca-
    choient dans des Marais pour ſe garan-
    tir de ſes ardeurs.
    Dieu donne de la lumiere & de la
    chaleur à toute la terre, & merite pour
    ſes bien-faits l'amour & le culte de
    tous les peuples. Et toutefois ces fu-
    
    33
    des perſonnes Mariées.
    rieux & ces yurognes le deshonorent
    par leurs impietez ordinaires.
    N'eſt-ce pas vn grand ſupplice
    d'auoir ſans ceſſe les oreilles battuës
    des blaſphemes de ces monſtres force-
    nez , & d'oüir les maledictions & les
    imprecations que les enfans, les ſerui-
    teurs & les ſeruantes leurs donnent. Si
    l'on viuoit parmy les Ours , parmy les
    Lions , & parmy les ſerpens , on n'au-
    roit point plus de douleur , & on ne
    ſeroit pas dans vn plus grand peril
    Greg.
    9. Mer.
    c. 48.
    pour le ſalut de ſon ame.
    Quatrieſmement , l'Eternité eſt le
    plus grand malheur des damnez , qui
    comme dit ſainct Gregoire , ont vne
    mort ſans mort , vne fin ſans fin , vn
    defaut ſans defaut. Car leur mort vit:
    leur fin commence touſiours , & leur
    defaillance tourmente , & ne chaſſe
    iamais la frayeur : leur flamme bruſle
    & eſt ſans lumiere. Tout cela , & ce
    que ce ſainct Docteur adjouſte , con-
    uient tres-veritablement à vn Mariage
    mal fait , qui doit durer tout le long
    de la vie.
    Cinquieſmement , enfin de cette
    B v
    
    34
    La Direction & la Conſolation
    perpetuelle durée , ſans apparence de
    ſeparation ny de ſoulagement , ſuit vn
    cruel deſeſpoir de ne ſortir iamais de
    ſes douleurs. La femme qui eſt dans
    ce deplorable eſtat , maudit mille fois
    l'heure qu'elle a veu ſon mary, ou plû-
    toſt ſon bourreau : Elle maudit l'heure
    qu'elle luy a parlé, qu'elle a conſenty à
    ſon alliance , qu'elle eſt entrée en ſon
    logis , qu'elle a mangé auec luy , &
    fait le reſte des deuoirs du Mariage.
    N'eſt-ce pas veritablement eſtre dans
    vn enfer continuel que de viure de la
    ſorte.
    §  II.   Vn homme mal marié , eſt
    dans vn faſcheux Purgatoire, quoy
    qu'il faſſe.
    Ie ne le mets qu'en Purgatoire,
    dautant qu'il eſt le maiſtre du logis, &
    qu'il en ſort lors qu'il luy plaiſt, pour
    ſe diuertir dans le trafic & dans d'au-
    tres affaires. Mais la femme eſt obli-
    gée de gemir continuellement dans ſa
    maiſon, ſans aucun pouuoir de donner
    de l'air à ſa douleur , lors qu'elle eſt
    tombée entre les mains d'vn mauuais
    mary qui eſt ſon Maiſtre , & à qui elle
    
    35
    des perſonnes Mariées.
    eſt obligée d'obeïr.
    Si neantmoins vous voulez, vous
    pouuez auec raiſon mettre auſſi dans
    les Enfers vn homme qui eſt mal ma-
    rié. Car , comme Dieu meſme aſſeu-
    re. Il eſt meilleur de demeurer auec les
    Lions , auec les Serpens , & auec les
    dragons , qu'auec vne méchante fem-
    me. D'où il eſt facile de tirer vne con-
    ſequence, qui concluë qu'elle eſt vne
    furie d'enfer. Parce que n'y ayant rien
    au monde, qui ſoit pire que la cruauté
    des Lions , & le venin des Serpens &
    des dragons : celle qui eſt plus à crain-
    dre doit eſtre de la nature des diables,
    rien ne ſe trouuant ſur la terre égal à ſa
    malice.
    Ie n'oſerois dire ce que les anciens
    Autheurs & les Saincts Peres en ont
    marqué dans leurs eſcrits. Laiſſons les
    parler ſans rien y adjouſter : Nous ver-
    rons en ſon lieu les loüanges des fem-
    mes vertueuſes.
    I.  Le Philoſophe Secundus eſtant
    Max.
    ſer.92
    prié de dépeindre vne femme mauuai-
    ſe. C'eſt, dit-il , le naufrage du mary,
    la tempeſte du logis, l'empeſchement du
    B vi  36 La Direction & la Conſolation repos , la captiuité de la vie , vn dom-
    mage iournalier , vne bataille volontai-
    re & ſans relaſche , vne guerre qui ſe
    fait à grands frais , vne beſte farouche,
    auec qui l'on eſt forcé de boire & de
    manger tous les iours , vn ſoin plein
    d'anxieté , à qui neantmoins il faut
    montrer de la confiance , vne Lionne
    qui embraſſe, vn gouffre qui paroiſt beau
    & aimable , vn animal malicieux, &
    vn mal neceſſaire.
    de De-
    coll: S.
    Ioan.11
    II.  Sainct Chryſoſtome, traictant
    de la meſchanceté d'Herodias parle en
    ces termes. Les Lions reſpecterent le
    Prophete Daniel dans la foſſe où il
    fut ietté par ſes ennemis : & l'impie Ie-
    zabel
    tua le iuſte Naboth. La Balene
    conſerua Ionas dans ſon ventre : & la
    perfide Dalila mit entre les mains des
    Philiſthins le valeureux Samſon , apres
    l'auoir trompé par ſes artifices , & luy
    auoir coupé ſes cheueux par ſa déloyau-
    té. Les dragons & les aſpics ont reue-
    ſainct Iean Baptiſte au deſert , &
    ont depoſé leur ferocité à ſes pieds, &
    voicy qu'Herodias luy coupe la teſte,
    & la demande pour le prix de ſa dan-
     37 des perſonnes Mariées. ce. O le pernicieux & le cruel dard
    du demon qu'vne méchante femme.
    Adam fut chaſſé du Paradis de deli-
    ces par vne femme. David fit maſſa-
    crer malheureuſement Vrie vaillant Ca-
    pitaine , eſtant incité par vne femme.
    Les femmes precipiterent Salomon , le
    plus ſage des hommes, dans le ſacrilege
    & dans l'Idolatrie. Vne femme lia le
    chaſte Ioſeph , & le confina dans vne
    priſon.
    Que m'arreſtay-je au dommage qui
    en arrive aux hommes , veu qu'vne
    femme a fait tomber les Anges du Ciel,
    & a jetté au plus profond des abyſmes
    ceux qui par leur ſaincteté eſtoient eſ-
    gaux aux Seraphins. La malice de la
    femme renuerſe tout , elle tuë tout , &
    reduit tout au neant. Elle ne pardonne
    à perſonne. Elle ne reſpecte ny les Dia-
    cres , ny les Preſtres , ny les Prophetes.
    O le mal , qui ſurpaſſe tous les maux,
    qu'vne femme vicieuſe, ſoit qu'elle abon-
    de en richeſſes , ou qu'elle ſoit pauure!
    Si elle a le pouuoir de nuire ſelon ſes
    deſirs ! O le mal intolerable , & la vi-
    pere, qui a du poiſon ſans remede,
     38 La Direction & la Conſolation qu'vne femme meſchante & impudente!
    Si on luy fait quelque tort, elle entre en
    des rages inexplicables , & qui luy font
    perdre l'eſprit. Si on l'honore, elle de-
    uient orgueilleuſe & inſupportable. Si
    ſon mary eſt puiſſant, elle ne ceſſe iour
    & nuict de le porter à des crimes.
    Elle le careſſe auec malignité , & le
    pouſſe auec violence à l'execution de
    ſes deſſeins. Si ſon mary eſt pauure,
    elle l'incite ſans ceſſe à la colere & aux
    debats auec ſes voiſins. La crainte de
    Dieu ne donne aucune retenuë à ſa
    langue : & dans ſes furies, elle ne pen-
    ſe nullement au iour du Iugement , &
    ne leue iamais ſon cœur à Dieu.
    Voi-
    là vne partie de ce que ſainct Chryſo-
    ſtome
    écrit de la malice de cette Me-
    gere.
    Ie ne rapporteray point icy d'au-
    tres authoritez , tous les ſaincts Peres
    entrans dans la penſée de ſainct Chry-
    ſoſtome
    , & tous les Philoſophes Pa-
    yens , dans celle de Secundus.
    Vous voyez euidemment , quels
    tourmens reſſentent ceux qui ſont
    obligez de viure & de mourir entre les
    
    39
    des perſonnes Mariées.
    mains de ces monſtres : & combien
    grand eſt leur Purgatoire , ou leur
    Enfer.
    Nous verrons amplement au troi-
    ſieſme Liure , le profit qu'ils en peu-
    uent faire. Diſons en maintenant vn
    mot : & donnons auſſi quelque conſo-
    lation aux femmes, qui ont rencontré
    vn mauuais mary.
    filet décoratif

    CHAPITRE V.

    Ceux qui ſont mal Mariez , ſe peu-
    uent faire de grands Saincts.


    TOute noſtre vie eſt vn chemin à
    l'Eternité : & par conſequent , le
    meilleur Eſtat eſt celuy qui nous offre
    des ſentiers plus aſſeurez pour arriuer
    à vne ſublime perfection , quoy qu'ils
    ſoient bordez de ronces & d'eſpines.
    Tel eſt l'eſtat d'vne femme mal mariée,
    il ſemble qu'elle ne marche que ſur des
    precipices : mais ſi elle veut bien agir
    dans le chemin de la Croix, elle y ren-
    contrera de tres illuſtres couronnes.
    
    40
    La Direction & la Conſolation
    §.  I.  Vne Femme mal Mariée,
    peut eſtre vne glorieuſe Martyre de
    Ieſus-Chriſt.
    S.Tho.
    22. qu.
    124.
    art.1.12
    Le Martyre eſt vn acte de quatre
    vertus : qui ſont, la Force, la Patien-
    ce, la Charité & la Foy. La Force exer-
    ce cét acte, comme la premiere & la
    principale cauſe : la Patience vient en
    ſuite : la Charité le commande , & la
    Foy en eſt la fin.
    La Mort eſt de l'eſſence du Marty-
    re , comme enſeigne ſainct Thomas,
    & ſi elle ne s'enſuit, on ne tient point
    le Martyre parfait & accomply.
    Les tourmens & la mort meſme
    ne manquent point à vn Mariage mal
    fait : & vn mary cruel , auaricieux,
    yurogne, farouche , arrogant , brutal,
    colere, luxurieux, & corrompu par de
    ſemblables vices, eſt vn bourreau im-
    pitoyable , qui fait mourir tous les
    iours vne pauure femme ; laquelle
    deſſeche ſur ſes pieds , & noye ſans
    ceſſe ſa vie dans vn torrent de lar-
    mes.
    Son affliction eſt extreme : mais ſa
    recompenſe eſt eminente, Dieu la pla-
    
    41
    des perſonnes Mariées.
    plaçant entre les Martyrs , auec ceux
    qui viuent dans les opprobres & dans
    In
    Hom.
    les afflictions. Celuy, dit ſainct Gre-
    goire
    , que le Tyran fait maſſacrer , eſt
    euidemment Martyr , à cauſe de l'a-
    ction qui eſt connuë d'vn chacun. Mais
    celuy qui ſouffre des contumelies , &
    qui aime ſes ennemis , eſt Martyr par
    ſes ſainctes affections, qui ne ſont con-
    nuës que de Dieu ſeul
    .
    Ne vous eſt-ce pas vne tres-ſenſi-
    ble conſolation d'auoir cette certitu-
    de : que toutes vos eſpines ſe change-
    ront en roſes , & toutes les pierres qui
    vous accablent , deuiendront les per-
    les & les diamans de voſtre Guirlande?
    Et que ſi Dieu ne vous met pas preſen-
    tement à couuert des violences de vô-
    tre Mary , ſous l'abry d'vne viſible pro-
    tection , il vous reſerue des threſors &
    des honneurs eternels ?
    Il eſt neceſſaire que d'auoir tout
    vôtre recours à Dieu,& deverſer toutes
    vos larmes à ſes pieds : il a vn cœur ſi
    tendre & ſi paternel, qu'il ne vous re-
    butera iamais. Il vous donnera la
    Force , la Patience , la Charité & la
    
    42
    La Direction & la Conſolation
    Foy , pour vous faire vne Saincte &
    vne Martyre.
    A cela vous aideront pluſieurs
    moyens que ie vous propoſeray dans
    le Chapitre ſuiuant ; & diuers motifs
    que ie déduiray particulierement au
    deuxieſme Liure de ce Traicté.
    Ie ne vous mettray maintenant de-
    uant les yeux que quelques Martyrs
    pour animer voſtre conſtance. Conſi-
    derez auec attention leurs tortures
    & leur generoſité. Et demandez-vous
    de temps en temps, & deuant le com-
    bat, & au plus fort de vos ſouffrances: Acta
    Mart.

    Quoy me fuſtige t'on auec des verges
    armées de fer & de plomb , & faites
    en forme de ſcorpions, pour me deſchi-
    rer iuſques aux os , comme les ſaincts
    Saturnin & Siſinnie. Me rompt-on
    les os à coups de baſtons, comme aux
    ſaincts Anaſtaſe , Perſan , Valentin &
    Genulphe? Suis-je eſcraſée ſous vne greſle
    de pierres comme ſainct Eſtienne ? Me
    couronne-t'on la teſte d'eſpines de fer,
    comme à ſainct Frontaiſe , & à ſes com-
    pagnons. M'arrache-t'on les ongles
    comme à ſainct Leuce? Me met-on des
     43 des perſonnes Mariées. aleines toutes rouges entre les doigts,
    pour les faire paſſer iuſques aux cou-
    des : comme aux ſaincts Celement Eueſ-
    que d'Ancyre
    , & à ſainct Agathange.
    Me fend-on le ventre comme à ſainct
    Leon Eueſque de Nicée en Thrace
    ?
    M'arrache t'on les mammelles comme à
    ſaincte Agathe ? Où ſont les flambeaux
    pour me bruſler tout le corps comme à
    ſainct Valerien ? Qui m'a ietté de la
    poix fonduë ſur la teſte comme à ſainct
    Cyriaque
    ? M'a-t'on eſtendu & bruſlé
    ſur vn lict de fer tout enflammé comme
    ſainct Thyrſe : ou ſur vn gril comme
    ſainct Laurent ? M'a-t'on ietté dans la
    bouche du plomb fondu ? Sainct Carte-
    rie
    a ſouffert ce tourment auec patien-
    ce. Qui m'a deſchiré auec des ongles
    de fer , comme les Saincts Vincent ,
    Ananle , & Eugene ? Me bruſle-t'on
    par tout le corps auec des flambeaux
    ardens : comme les Saincts Valerien,
    Candide & Felicien : ou comme ſainct
    Cyre
    & ſainct Iean , que l'on ſaupou-
    dra de ſel & de vinaigre , apres ce
    tourment ſi cruel ?
    La veuë de la generoſité des Mar-
    
    44
    La Direction & la Conſolation
    tyrs, du ſecours qui leur vient de Pa-
    radis , & de l'atrocité de leurs tour-
    mens dont ils ſe mocquent, vous ren-
    forcent le cœur, & vous prouueront
    euidemment , qu'auec la grace de
    Dieu vous pouuez ſouffrir conſtam-
    ment toutes les faſcheries qui vous
    arriuent par la cruauté de voſtre
    mary , de vos enfans , & de vos do-
    meſtiques.
    Si vous experimentez, que cette
    conſideration des Martyrs vous forti-
    fie , liſez leurs vies entieres : Priez vô-
    tre Confeſſeur de vous en ramaſſer des
    Impr.
    Lugd.13
    exemples illuſtres. Il en trouuera vne
    grande quantité d'aſſez remarqua-
    bles en mon Commentaire ſur les
    Pſeaumes14, & particulierement ſur le
    quarante-troiſieme , que i'ay entiere-
    ment expliqué des Martyrs , partie
    montrant l'atrocité de leurs tour-
    mens , partie le ſecours merueilleux
    du Ciel , partie leur inuincible & con-
    ſtante perſeuerance.
    §.  II.   Vn homme mal marié peut
    deuenir vn parfait Confeſſeur de
    Iesus-Chriſt.
    
    45
    des perſonnes Mariées.
    Les Martyrs confeſſent & ſouſtien-
    nent la Foy au milieu des glaïues , des
    feux, des huiles boüillantes,& de diuers
    autres tourmens , ſans branler à la
    veuë de la mort la plus cruelle. Les
    Confeſſeurs profeſſent la meſme Foy
    dans leurs Oraiſons , dans leurs con-
    uerſations , & dans toutes les actions
    de pieté, & de toutes les vertus qu'ils
    exercent auec ferueur & auec perſeue-
    rance, iuſques au dernier periode de
    leur vie.
    Cette profeſſion de Foy eſt tres-
    neceſſaire à vn mary, qui a eſté ſi mal-
    heureux, ſelon le monde, que de trou-
    uer vne femme , laquelle choque ſes
    inclinations , & qui agit contre ſes
    volontez.
    A peine trouuerez-vous vne ſeule
    vertu , dont il ne rencontre de ſigna-
    lées occaſions tous les iours, ſans ſor-
    tir du logis. Pour cette cauſe, le Phi-
    loſophe Socrate conſeruoit ſa femme
    Xantippe , qui eſtoit d'vne tres-faſ-
    cheuſe humeur: afin d'auoir le moyen
    d'eſtre continuellement dans la reſer-
    
    46
    La Direction & la Conſolation
    ue, & dans la practique des plus maſ-
    les vertus.
    Dieu nous dit en l'Eccleſiaſtique, Eccli.
    25. 17.

    Que toute la malice eſt en la malice
    de la femme
    . Il faut donc toute la
    bonté,pour ſe premunir contre ſes ſur-
    priſes : & pour n'eſtre point abbatu par
    ſes attaques.
    Æ-
    neas
    Sylu.

    l.2.de
    geſtis
    Alph.15
    Gregoire de Haimberg, homme
    tres-excellent en l'Eloquence & aux
    belles Lettres , retournant d'vn long
    voyage demanda ſur ſon chemin com-
    ment on ſe portoit dans ſa famille ? &
    ayant appris que ſa femme eſtoit en
    bonne ſanté. Ah ! dit-il , ſi elle eſt en
    vie ie ſuis mort : pour declarer , qu'il
    eſtimoit ſes mauuaiſes mœurs auſſi
    faſcheuſes que la mort meſme.
    Cteſias , au rapport de Photius,
    nous raconte , Que la Martichore eſt
    vne beſte farouche qui a le viſage de
    femme. Elle eſt grande comme vn
    Lion , de couleur rouge, & a triples
    rangs de dents. Elle a vne queuë lon-
    gue d'vne coudée, & heriſſée de tres-
    piquantes eſpines. Elle ſe ſert de cette
    queuë comme d'vn arc pour tirer ſes
    
    47
    des perſonnes Mariées.
    picquerons , qu'elle iette de la lon-
    gueur d'vn arpent de terre: Elle tuë
    tout ce qu'elle rencontre, excepté l'E-
    lephant. Solin adjouſte , qu'elle à la
    queuë comme vn Scorpion , & vne
    voix ſi raiſonnante , qu'elle imite les
    fluſtes & les trompettes. Elle deuore
    les hommes auec auidité, & eſt ſi le-
    gere à la courſe , qu'on ne la peut
    euiter.
    Vne femme meſchante eſt vne
    beſte furieuſe, qui a la rage des Lions
    par ſes coleres: triple rang de dents par
    ſes detractions , n'épargnant ny ſes
    Superieurs, ny ſes égaux, ny ſes infe-
    rieurs. Elle eſt heriſſée d'eſpines dans
    ſa conuerſation, & à le venin des Scor-
    pions , par ſes maledictions & impre-
    cations ſecrettes. Elle a vne voix plus
    perçante que les trompettes, & allume
    le combat à toutes occaſions qui ſe
    preſentent. Enfin , ſi elle peut , elle
    atterre & deuore ſon mary , le ruinant
    en ſes biens, & en ſa renommée.
    InMu
    lier.
    Im-
    prob.16
    Sainct Ephrem en dit bien dauan-
    tage. O qu'vne mauuaiſe femme eſt
    vn mal extreme ! Elle eſt vn lacet orné,
     48 La Direction & la Conſolation vn naufrage ſur la terre, vn viſage ma-
    lin , vn threſor d'immondice , vne con-
    uerſation qui cauſe la mort , le rauage
    des yeux , la perte des ames , vn dard
    qui perce les cœurs, le ſceptre des en-
    fers, vne conuoitiſe precipitee, la conſo-
    lation du diable , le repos du ſerpent,
    vne douleur inconſolable , vn four al-
    lumé , l'achoppement de ceux qui tra-
    uaillent à leur ſalut , vne malice incu-
    rable, la boutique des furies, vne amour
    criminelle , vne beſte impudente , vne
    impetuoſité, qui n'admet aucune bride:
    vne bouche effrenée qui reuele les ſe-
    crets, le triomphe des tenebres, la guide
    des pechez , la maistreſſe des plaiſirs,
    vn deſir de meſchanceté, la cauſe d'vne
    eternelle damnation, vne prudence ter-
    reſtre, la pareſſe & l'engourdiſſement des
    hommes , vne vipere bien habillée , vn
    combat volontaire , vn malheur de tous
    les iours , vne tempeſte domeſtique , la
    ruine de ſon mary, vne beſte cruelle, vn
    rendez-vous des adulteres, les armes
    de l'enfer, vne rage ſouhaitée, vne mort
    deguiſée & ornée
    . Iuſques icy ſainct
    Ephrem
    .
    Combien
    
    49
    des perſonnes Mariées.
    Combien de vertus doit profeſſer ce-
    lui qui entre tous les iours en lice auec
    vn monſtre ſi dénaturé , s'il ne veut à
    chaque heure perdre la victoire , &
    tomber auec cette furie dans des abyſ-
    mes ſans reſſource.
    Celuy-là donc , qui ſort victo-
    rieux de ces combats , ne merite-il
    pas d'eſtre appellé vn veritable Con-
    feſſeur de Ieſus-Chriſt , pour l'amour
    duquel il ſurmonte tant de difficultez
    qui ſe preſentent à luy , & qui le
    veulent retarder dans le chemin du
    Ciel.
    filet décoratif

    CHAPITRE VI.

    Quatre moyens generaux pour viure
    content & ioyeux , eſtant mal
    marié
    .


    VN Soldat bien armé depuis les
    pieds iuſques à la teſte , ne
    craint point les cuops de fleſches : ſi
    principalemẽt elles ſont tirées par vne
    perſonne foible. Vn homme genereux,
    C
    
    50
    La Direction & la Conſolation
    renforcé par la ſeule nature , ſe moque
    des paroles & des actions malignes
    d'vne mauuaiſe femme.
    Mais la grace luy donne encore
    des armes , qui ſont de meilleure
    trempe & plus impenetrables.  I. La
    Patience.  II. Le ſouuenir de la Paſ-
    ſion de Ieſus-Chriſt.  III. L'Exercice
    de la Preſence de Dieu.  IV. L'O-
    raiſon.
    §  I.  La Patience oſte l'amertume
    des choſes douloureuſes qui arriuent
    dans le meſnage.
    I.  Dieu donne du miel à ſes ſerui-
    teurs , mais de la bouche des Lions,
    comme au valeureux Samſon chef de
    ſon peuple. Il tire le vin de la grappe
    des raiſins : l'huile des oliues : le grain
    de froment de l'écorce qui le renferme.
    Mais toute cette douceur & cette
    commodité ne ſe donnent point, que
    ſous le preſſoir & ſous le fleau.
    II.  Tous les biens & tous les
    contentemens de ce monde, ſont les
    fruicts de la Croix de Ieſus-Christ. Il
    y faut monter auec luy , ſi nous vou-
    lons les cueillir.
    
    51
    des perſonnes Mariées.
    III.  Cherchons nos aiſes tant qu'il
    nous plaira ; il nous faut porter noſtre
    Croix. Chacun a la ſienne , & perſon-
    ne ne s'en peut exempter. De quel-
    que coſté que nous nous tournions,
    nous l'aurons touſiours à la rencontre.
    Quelques Chreſtiens de la Syrie font
    Trig. le ſigne de la Croix , commençant de
    la droite à la gauche : nous commen-
    çons de la gauche à la droite. Les
    Chreſtiens du Iapon ſe l'imprimoient
    ſur le front : le Bien heureux Henry
    Suſo
    , ſur ſon cœur & ſur ſon dos.
    Pluſieurs Cheualiers la portent ſur
    leur ſein , les autres ſur leurs bras:
    quelques vns ſur leurs manteaux &
    ſur leurs caſques. Les vnes ſont rou-
    ges, les autres ſont blanches, jaunes,
    noires, argentées, & de diuerſes ma-
    tieres. Mais toutes ſont Croix. Nous
    ne ſommes point meilleurs que noſtre
    Maiſtre , qui a porté la ſienne iuſques
    à la mort.
    IV.  Dans les Cours meſme des
    Rois , on paſſe ſa vie en receuant des
    affronts & des diſgraces , & en remer-
    ciant ceux qui les font , ſi l'on veut
    C ij
    
    52
    La Direction & la Conſolation
    auancer ſa fortune , & paroiſtre à la
    fin dans vn beau iour.
    V.  Vn homme patient & coura-
    geux tourne tout en bien : comme
    vn bon eſtomach tire vn bon ſuc d'vne
    Oſorias
    lib. 2.
    de Em-
    man.
    mauuaiſe viande. La Patience tire le
    miel de la pierre, & vne bonne nour-
    riture du poiſon-meſme. Vous pou-
    uez emprunter des Braſiliens vn ex-
    cellent ſymbole de cela. Ils ne ſement
    point de bled pour auoir du pain. Ils
    ont vne racine grande comme la pour-
    celaine. Elle a vn venin ſi pernicieux,
    que ceux qui en mangent ſans la cuire
    meurent ſur le champ. Pour euiter ce
    peril ils la battent , & en font ſortir le
    ſuc veneneux : ils la ſechent au Soleil,
    la broyent ſous vne meule & en font
    de la farine. Les pains qu'on en fait
    ſont bons , & d'vn gouſt ſauoureux.
    VI.  Iamais vous n'euiterez les pe-
    chez dans voſtre maiſon, ſi vous n'af-
    fermiſſez voſtre eſprit par la patience.
    Tous les iours vous ferez quelque
    naufrage, ſi vous n'affermiſſez voſtre
    cœur par cette anchre de ſalut.
    Socrate diſoit, qu'vn Nauire ne ſe doit
    
    53
    des perſonnes Mariées.
    pas contenter d'vne ſeule anchre , &
    qu'vne ſeule eſperance n'eſt point ca-
    Max
    ſer de
    ſpe.
    pable d'aſſeurer noſtre eſprit. Mais ie
    ſuis certain que la Patience toute ſeule
    ſuffit, pour aſſeurer au milieu des plus
    furieuſes tempeſtes vn homme vraye-
    ment Chreſtien. Vn cœur patient eſt
    vn Rocher inébranlable , que les flots
    courroucez de la fortune ne font que
    lauer & endurcir.
    VII.  Si l'on n'euite point les pe-
    chez ſans la vertu de Patience, beau-
    coup moins acquiert-on les vertus. Il
    faut tailler les pierres auant que d'en
    baſtir la Ieruſalem Celeſte. Les vertus
    compoſent l'edifice ſpirituel de l'ame: Lib.31
    de
    clauſt.
    animæ.17

    Et Hugues de ſainct Victor dit.  Que
    l'Humilité en eſt le fondement , & y
    tient la profondeur : que la Charité en
    eſt la largeur : que les bonnes œuures
    eſleuent les murailles , & obtiennent la
    protection qui les couure & qu'enfin la
    longueur s'acheve, auec la fermeté d'v-
    ne conſtante & ſolide Patience
    .
    VIII. Mais ce qui vous cauſe vne plus
    ſenſible douleur, c'eſt que le mal vous
    vient par voſtre femme , laquelle de-
    C iij
    
    54
    La Direction & la Conſolation
    uroit eſtre voſtre conſolation & voſtre
    ſoulagement. Pour vous parler auec
    franchiſe , ie vois bien que voſtre mal
    eſt extreme : & d'autant plus qu'il eſt
    ineuitable. Mais quand vous entre-
    rez dans des fougues peu raiſonna-
    ble & peu Chreſtiennes , vous aug-
    menterez vos douleurs, & ne mettrez
    aucun remede à voſtre infortune.
    Conſiderez pluſtoſt , que vous-
    meſme auez choiſi cette femme. Qu'il
    eſt iuſte d'accomoder vos humeurs
    à celle à qui vous auez donné voſtre
    cœur. Si voſtre choix a eſté precipité
    dans les boüillons de voſtre paſſion, ac-
    ceptez-en la penitence que la Iuſtice
    diuine vous enuoye.
    Laert.
    lib.2.18
    Antiſthenes reprenoit les hommes
    de ce qu'ils mettent beaucoup de con-
    ſideration à l'achapt d'vn vaſe qui ſe
    vent à l'encant de peur d'y eſtre trom-
    pez : & qu'ils ne conſiderent point la
    vie de ceux , en l'amitié deſquels ils
    s'engagent.  Auec combien plus de
    raiſon doiuent eſtre repris ceux qui ſe
    lient pour toute leur vie à vne femme
    ſans vne meure deliberation,ſans auoir
    
    55
    des perſonnes Mariées.
    long temps conſulté l'Oracle diuin, &
    la volonté de leurs parens ?
    Laert.
    lib.2.19
    IX.  Si vous voulez, vous vous ac-
    couſtumerez au bruit dans peu de
    temps. Le Philoſophe Socrate voyant
    qu'Alcibiade admiroit comme il rete-
    noit ſa femme Xantippe, qui ne faiſoit
    que criailler & le quereller : il l'aſſeu-
    ra, Que toutes ces crieries ne l'offen-
    ſoient non plus , que le bruit de la
    rouë qui tiroit l'eau de ſon puits.
    Prom.
    19 11.
    Vn homme ſage eſt plus fort , que
    tout le tintamarre d'vne babillarde : &
    la Sageſſe, dit Salomon, ſe montre dans
    la Patience
    .
    X.  Tout ſeroit tolerable , dites-
    vous , s'il duroit peu : mais vne fem-
    me par ſa malice afflige tout le cours
    de la vie. Pour moderer cette affliction,
    il faut ietter la veuë ſur la briéueté de
    vos iours , & ſur la longueur de l'eter-
    nité. Cette veuë appaiſera voſtre eſprit
    par l'eſpoir d'vne prompte déliurance,
    & d'vne recompenſe qui ne finira
    iamais.
    Le Philoſophe Simonidés diſoit,
    Mille ans & cent mille ans comparez
    C iiij  56 La Direction & la Conſolation à l'éternité ne ſont qu'vn moment vo-
    lant & paſſager
    .  Le Prophete Royal20
    Pſal.
    69.4.21
    auoit enſeigné deuant luy , Que mille
    années ne ſont non plus deuant les yeux
    de Dieu ; que le iour d'hier qui eſt paſ-
    . Quoy donc n'aurez-vous point vn
    courage aſſez maſle pour ſouffrir vn
    ſeul iour , ou pluſtoſt vn ſeul poinct
    de temps qui s'écoule?
    XI.  Roidiſſez-vous contre le tor-
    rent , & demandez ſouuent à Dieu la
    Perſeuerance dans vos bonnes reſolu-
    tions d'eſtre patient. Les autres ver-
    tus voyent la couronne & courent
    apres: mais la ſeule perſeuerance l'ob-
    Epiſt.
    129.22
    tient.  La Perſeuerance, dit ſainct Ber-
    nard
    , eſt la nourriſſe du merite, la me-
    diatrice du prix, la ſœur de la Patien-
    ce , la fille de la conſtance , l'amie de
    la paix , le nœud des amitiez , le lien
    de l'vnion des cœurs, le bouleuart de la
    ſaincteté.  Oſtez la Perſeuerance , le
    ſeruice n'a recompenſe aucune , ny le
    bien-fait aucune grace, ny la force au-
    cune loüange.  L'Eternité ne ſe donne
    qu'à elle ſeule, où pluſtoſt elle ſeule por-
    te l'homme à l'eternité : veu que noſtre
     57 des perſonnes Mariées. Seigneur dit. Celuy qui perſeuerera ſera
    ſauué
    .  Ainſi parle S. Bernard. Tenez
    donc ferme, & toutes les difficultez
    s'applaniront, auec le temps & auec la
    Patience.
    §.  II.   La memoire de la Paſſion
    de noſtre Sauueur Ieſus-Chriſt, donne
    de la douceur dans l'amertume du
    meſnage.
    Exod.
    15.23
    I.  Au ſortir de l'Egypte , Moïſe en-
    tra auec le peuple de Dieu dans le de-
    ſert de l'Arabie , & trouua d'abord vne
    eau fort amere , auſſi l'appella-t'il
    Mara , qui ſignifie , Amere , ou Amer-
    tume
    . Le peuple ſe mit incontinent à
    murmurer : mais Dieu y pourueut, en-
    ſeignant vn bois ſi doux & ſi efficace,
    qu'eſtant ietté dans cette eau il la ren-
    dit douce , partie par ſa vertu naturel-
    le, partie par la force particuliere qu'il
    luy communiqua, dans l'extremité du
    beſoin de ſes ſeruiteurs.
    II.  Noſtre vie eſt vn deſert, plein
    d'vne infinité d'amertumes.  Il faut
    prendre le bois de la Croix de noſtre
    Seigneur, & le ietter dans nos angoiſ-
    ſes, ſans aucun doute il les adoucira.
    C v
    
    58
    La Direction & la Conſolation
    Car, comme aduertit ſainct Gregoire,
    il n'eſt rien de ſi faſcheux, que l'on ne
    ſupporte auec gayeté de cœur , ſi l'on
    ſe remet en la memoire la Paſſion du
    Redempteur de nos ames.
    III.  Comment ſeroit-il poſſible,
    qu'vn homme chargé de pechez , di-
    gne de la colere de Dieu pour ſes offen-
    ſes paſſées : mépriſable à cauſe de la
    baſſeſſe de ſon corps, & de l'ignorance
    de ſon ame , ſe plaigniſt de ce qu'il en-
    dure , voyant Dieu meſme cloüé ſur
    vne Croix , déchiré depuis les pieds
    iuſqu'à la teſte , & couronné d'eſpi-
    nes, mourir entre deux voleurs pour
    l'amour de luy ?
    Sainct Bernard ſe paſme dans cette
    conſideration.  Le chef de Ieſus , dit-
    il , qui eſt redoutable à tous les Anges,
    eſt percé d'vne multitude d'eſpines. Son
    viſage qui eſt le plus beau d'entre tous
    ceux des hommes, eſt ſoüillé par les cra-
    chats des Iuifs.  Ses yeux plus luiſans
    que le Soleil, ſont obſcurcis en ſa mort.
    Ses oreilles qui oyent la muſique des
    Eſprits celeſtes, entendent les brocards
    & les iniures des impies. Sa bouche
     59 des perſonnes Mariées. qui enſeigne les Seraphins, eſt abreuuée
    de vinaigre.  Ses pieds dont on adore
    l'eſcabeau, ſont cloüez en la Croix. Ses
    mains qui ont formé les Cieux , ſont
    eſtendues ſur la meſme Croix, & percées
    de gros cloux. Son corps eſt deſchiré par
    les foüets, & meurtry de coups de pieds,
    de poings, & de baſtons.  Son coſté eſt
    transſpercé d'vne lance. Il ne luy reſte que
    la langue libre , afin de prier ſon Pere
    Eternel pour les pecheurs
    .
    IV.  Si la Croix de ſainct Thomai-
    ſe , Patriarche de Conſtantinople
    , &
    celle de ſainct Xauier , trempées dans
    des mers courroucées , en ont appaiſé
    les flots qui menaçoient du naufrage :
    qui pourra douter que la Croix du Sau-
    ueur de l'Vniuers , ne mette le calme
    dans vn cœur , pour flottant & agité
    qu'il puiſſe eſtre.
    V.  L'experience a montré cette for-
    En ſa
    Vie.
    ce de la Croix.  Sainct Elzear Comte
    d'Arien
    , fut vn iour interrogé par
    ſaincte Dalphine ſa femme: Comment
    il ſe pouuoit faire , qu'eſtant ſi ſou-
    uent offenſé par diuerſes perſonnes, il
    n'en montraſt aucun ſigne d'indigna-
    C vj
    
    60
    La Direction & la Conſolation
    tion , il répondit.  Ie ſens au vif les
    mouuemens de la colere, à toutes les
    attaques qui me ſuruiennent.  Mais
    i'ay recours incontinent aux playes de
    mon Ieſus.  Auſſi toſt que ie ſuis entré
    dans cét azile , toutes les injures me
    ſont tres-douces , & toutes les dou-
    leurs ſe changent en ioye, conſiderant
    que i'ay alors quelque petite reſſem-
    blance à mon Redempteur.
    VI.  Vn Lion rauageant tout vn
    païs , ſainct Chryſoſtome ordonna
    qu'on plantaſt vne Croix ſur le chemin
    où il paſſoit.  Dés le lendemain on
    trouua ce furieux eſtendu mort , au
    pied de cét arbre de vie. Ne craignez
    rien, ſi vous poſez dans voſtre cœur la
    Croix du Fils de Dieu , & ſi vous y ver-
    ſez vos larmes & vos douleurs.
    VII.  Les Serpens , leſquels de-
    meurent auprés des arbriſſeaux, qui
    diſtillent le baume y perdent leur ve-
    nin.  Et toutes les afflictions iettées
    au pied du bois de ſalut, & arroſées du
    Sang de Ieſus , deuiennent douces &
    bien-faiſantes.
    VIII.  Vn Religieux eſtant abyſ-
    
    61
    des perſonnes Mariées.
    mé dans ſes triſteſſes, & noyé dans ſes
    Ludol-
    ph
    . de
    vita
    Chriſti.
    larmes, ne pouuoit ny lire ny prier, ny
    faire aucune action de pieté.  Ieſus-
    Chriſt
    luy apparut dans cette détreſſe:
    luy dit.  Pourquoy demeures-tu oiſif
    & glacé dans tes penſées melancholi-
    ques , & à quel ſujet te ronges tu ainſi
    le cœur ? leue toy : & medite ſerieuſe-
    ment ma Paſſion , & ta douleur ſe per-
    dra dans l'amertume de mes tour-
    mens.  Il obeït , & fut parfaitement
    guery de ce chagrin aſſommant.
    IX.  Sainct Antonin , Arche-
    ueſque de Florence
    , priant vn iour
    deuant vn Crucifix, & eſtant extaſié
    en la contemplation des douleurs
    de ſon Redempteur , fut eſleué en
    l'air tout rayonnant de clarté.  Il
    porta ſa bouche au coſté de ce Dieu de
    bonté & d'amour , & en tira vne ſi
    douce liqueur , que depuis ce temps-
    là ſes diſcours en reſterent comme em-
    miellez , & plus agreables qu'à l'ordi-
    naire.  Tout eſt doux dans celuy qui a
    gouſté du Sang de Ieſus.
    S.Brig.
    Reuel.24
    X.  Ce Dieu de charité aſſeura
    ſaincte Brigide , Qu'il eſtoit encore
    
    62
    La Direction & la Conſolation
    aujourd'huy tout preſt, d'endurer les
    meſmes ſupplices & la meſme mort
    pour chaque pecheur en particulier,
    qu'il endura pour tous les hommes
    lors qu'il viuoit ſur terre. Pourroit-il
    arriuer que nous fuſſions ſi laſches,
    que de reculer dans les occaſions qu'il
    nous offre pour l'imiter ? Toute ſa vie
    n'a eſté autre choſe qu'vn martyre con-
    tinuel.  Comment donc voudrions-
    nous chercher du repos & de l'alle-
    greſſe , dans ce lieu de combat & de
    ſouffrance ?
    XI.  Les Saincts ſe ſont efforcez de
    ſuiure leur Sauueur ſur le Caluaire , &
    de ne iamais perdre de veuë ſa Croix &
    ſa Patience.   L'Abbé Eſtienne25 diſoit. Moſ-
    chus c.
    64.26

    Iour & nuict ie n'ay autre choſe deuant
    les yeux que mon Redempteur eſtendu
    ſur la Croix
    .  Et cette penſée l'occu-
    poit d'vne telle ſorte , que ſouuent il
    n'oyoit pas ceux qui parloient d'autres
    choſes.
    XII.  Saincte Claire de Montefal-
    Bozius
    l.15.c.
    9.
    co , auoit la Paſſion de Ieſus ſi fort im-
    primée dans ſon ame, qu'apres ſa mort
    on l'apperçeut grauée ſur ſon cœur. Et
    
    63
    des perſonnes Mariées.
    Bozius aſſeure, auoir veu marquez ſur
    ce cœur les foüets , auec quoy Ieſus
    auoit eſté flagellé ; la colomne où il
    auoit eſté lié, & tous les autres inſtru-
    mens de ſa Paſſion.
    XIII.  Imitez ces ames d'élite , &
    ayant Ieſus dans voſtre cœur , vous
    ſerez imperturable à tous les acci-
    dens qui vous ſuruiendront au de-
    hors.
    §.  III.   L'exercice de la preſence de
    Dieu cauſe de la joye , au milieu des
    plus rudes attaques.
    Edoüard , Roy d'Angleterre , prit
    pour ſon ſymbole le globe de la terre,
    enchaiſné & ſuſpendu en l'air, par vne
    main celeſte qui paroiſſoit dans vne
    nuë.  Il y adjouſta ces paroles , Nil
    ſine Deo
    , Rien ne ſe fait en ce monde,
    ſans vne speciale Prouidence de Dieu
    .
    Il n'eſt nulle puiſſance ſur la terre,
    qui ait les forces de vous oſter vn che-
    ueu de la teſte ſi Dieu ne les luy dõne.
    Il vous enuironne de toutes parts , &
    perſonne ne peut vous attaquer ſans
    ſa volonté.
    Que craignez-vous donc ? & dequoy
    
    64
    La Direction & la Conſolation
    vous attriſtez-vous ? C'eſt voſtre Crea-
    teur , voſtre conſeruateur , voſtre Pere
    nourriſſier , voſtre Paſteur , voſtre Me-
    decin , voſtre vie , voſtre joye , voſtre
    tout.  Si vous l'auez vous auez tout,
    s'il vous conſerue vous eſtes aſſeuré, &
    s'il vous afflige c'eſt pour vous cou-
    ronner.  Quelle choſe pourroit eſtre
    capable de vous troubler , ſi vous
    vous mettiez ſouuent en la preſence
    d'vn Dieu ſi bon , ſi ſage , & ſi puiſ-
    ſant? Sur.
    26. Iu-
    nij. Ba-
    ron.
    ann.
    5,o.27
    Gallican, General de l'armée Ro-
    maine , apres la perte d'vne ſanglante
    bataille , eſtoit preſque reduit au de-
    ſeſpoir, ne pouuant humainement eſ-
    chapper de la main des Scythes victo-
    rieux. Dans cette extremité il implo-
    ra le ſecours du Ciel , & à l'improuiſte
    il apperceut à l'entour de ſoy vne ar-
    mée d'Anges habillez en ſoldats qui
    luy donnoient courage : & l'exhor-
    toient à ſe ruer ſur les ennemis. Ani-
    mé par leur preſence , il enfonce les
    bataillons des Scythes, prend leur Roy
    priſonnier, & met tout à l'eſpée ou en
    fuite.
    
    65
    des perſonnes Mariées.
    Si le meſme vous arriuoit , vous
    releueriez ſans doute vos eſperances,
    dans vos pertes & dans vos abaiſſe-
    mens.  N'eſt-il pas veritable ?  Quoy
    dõc? Dieu n'eſt-il pas plus puiſſant, que
    tous les Anges du Paradis : qui n'ont
    nulle force que celle qu'il leur com-
    munique ? Vn ſeul paſſereau ne tombe
    point en terre ſans ſes ordres.  Vne
    ſeule feüille d'arbre ne ſe détache point
    de ſes branches s'il ne le veut. Et vous
    vous perſuaderiez que iamais il vous
    puſt ou vouluſt abandonner ? Ne vous
    laiſſez nullement entrer dans l'eſprit
    cette erreur, laquelle ſeroit capable de
    vous troubler & de vous perdre.
    Le Soleil ne ſouhaite point tant de
    communiquer ſa lumiere à la terre
    que Dieu deſire de ſe donner aux
    hommes , & de leur eſlargir ſes
    Ad
    Pau-
    lin.
    bien-faits. Ce qu'eſt la lumiere aux
    yeux & aux choſes viſibles
    , dit Thalaſ-
    ſius
    , Dieu l'eſt à l'entendement & aux
    choſes qu'il connoiſt
    .
    Le Soleil obſcurcit les eſtoilles par
    ſa clarté : & Dieu fait diſparoiſtre par
    ſes ſplendeurs tout le luſtre de la terre.
    
    66
    La Direction & la Conſolation
    L'ame qui le contemple, voit que tou-
    tes les grandeurs du monde ne ſont
    que baiſſeſſe , ſon eſclat que tenebres,
    ſon abondance que pauureté.
    Si le Soleil , dit ſainct Ambroiſe, Ambr.
    espand ſes rayons ſur tout l'Vniuers, &
    penetre dans les lieux les plus fermez
    par le moyen de ſes influences, ſans que
    les portes ny les verroüils de fer l'en
    empeſchent. Comment la splendeur de
    Dieu ne penetrera-t'elle pas les penſées
    & les cœurs des hommes, & quelle puiſ-
    ſance pourra ſe ſouſtraire à ſa veuë ſi
    perçante
    ?  Que ſi Dieu voit toutes les
    penſées, toutes les paroles, & toutes
    les moindres actions de voſtre mary,
    de voſtre femme, de vos enfans, & de
    tous ceux qui vous affligent ; il peut
    les empeſcher de vous inquieter. Que
    s'il ne iuge pas que ce ſoit voſtre bien:
    voudriez-vous reſiſter & combattre
    contre ſa diuine Prouidence. Rendez-
    vous executeur de ſa Loy , & non pas
    juge & controlleur de ſes volontez.
    Rien ne vous pourra nuire , ſi vous
    vous affermiſſez en Dieu,qui ne ſe retire
    iamais de vous : mais qui vous eſt ſans
    
    67
    des perſonnes Mariées.
    ceſſe infiniment vny.  Dieu, enſeigne
    Greg.
    in E-
    zech.
    hom.1728
    ſaint Gregoire, eſt dans toutes ſes crea-
    tures , au dehors , au deſſus, & au deſ-
    ſous d'elles toutes. Il eſt au deſſus par
    ſon pouuoir , exerçant ſur elles vn ſou-
    uerain domaine. Il eſt au deſſous par
    ſa bonté en les ſouſtenant. Il eſt au de-
    hors par ſon immenſité en les enuiron-
    nant.  Il eſt au dedans par ſa ſubtilité,
    les rempliſſant de ſes graces. Il les gou-
    uerne eſtant au deſſus d'elles. Il les tient
    dans ſes mains eſtant au deſſous. Il les
    enuironne à l'exterieur , les defendant
    de leurs contraires , & les penetre iuſ-
    qu'à la moüelle des os , & aux parties
    les plus cachées en les perfectionnant
    .
    Si vous vous laiſſez penetrer &
    remplir de Dieu, vous ſerez tel qu'vne
    eſponge au milieu de la mer, qui a de
    l'eau au dedans, au deſſus, au deſſous,
    & de tous les coſtez.  Et vous demeu-
    rerez touſiours égal à vous-meſme,
    ſoit en la proſperité , ſoit en l'ad-
    uerſité.
    Premierement, lors que vous ſe-
    rez en proſperité, conſiderez que Dieu
    vous voit, qu'il vous aime, qu'il vous
    
    68
    La Direction & la Conſolation
    éclaire , qu'il vous offre ſes graces,
    qu'il occupera ſainctement toutes vos
    penſées & toutes vos affections ſi
    vous le voulez.  Cette conſideration
    vous remplira de ioye , & vous fera
    mener vne vie heureuſe ſelon Dieu, &
    ſelon ceux auec qui vous viurez.
    Na-
    zianz.
    Sainct Gregoire de Nazianze explique
    cela par vne excellente comparaiſon.
    Comme, dit-il, celuy qui oit vn excel-
    lent joüeur de Luth, prend vn tel plai-
    ſir à cette melodie , que ſon eſprit s'y
    attache entierement , & ne penſe à
    autre choſe , encore qu'il ne le voye
    point des yeux corporels. De meſme
    ſorte , celuy qui a fait le Ciel & la
    terre, & tout ce qu'ils contiennent, ſe
    manifeſte à nous, nous conſerue, nous
    fait agir , & retient tout noſtre eſprit,
    bien que la foibleſſe de noſtre entende-
    ment ne le puiſſe comprendre
    .
    Secondement , lors que les affli-
    ctions vous attaqueront , & voudront
    vous abattre & accabler de triſteſſe : ſi
    vous penſez que Dieu vous eſt preſent
    & vous offre ſon ſecours , voſtre cœur
    ſentira vne celeſte joye qui diſſipera
    
    69
    des perſonnes Mariées.
    tous ces nuages. Dans mes aduerſi- Pſal.
    76.4.

    tez , dit Dauid, ie me ſuis ſouuenu de
    mon Createur , & i'ay ſenty vne alle-
    greſſe qui m'a entierement réjoüy
    .
    Acta
    Mart.
    Les bourreaux ayant preſenté à
    ſainct Gordias29des rouës,des cheualets,
    des grils de fer, & tous les inſtrumens
    avec leſquels on tourmentoit les Chre-
    ſtiens , il jetta les yeux au Ciel pour y
    contempler ſon Dieu qui le ſecouroit.
    Et apres auoir témoigné d'vne voix
    maſle & joyeuſe que Dieu l'aideroit ,
    il ſe precipita luy-meſme dans le feu,
    auec vne promptitude qui étonna tous
    les Payens, & réjoüit tous les ſerui-
    teurs de Dieu.
    Vne voix celeſte anima dans la pri-
    ſon ſaincte Archelaa30, & les ſaincts
    Genite
    & Genulphe : dans le lieu du
    ſupplice ſainct Polycarpe, & au milieu
    des tourmens ſainct Thyrſe , ſaincte
    Priſque
    , & ſainct Theodore : Et tous
    fortifiez du ſecours diuin , ſe porte-
    rent genereuſement dans le combat.
    Rien n'eſt difficile à vn courageux ſol-
    dat , à la veuë de ſon Capitaine & de
    ſon Roy.
    
    70
    La Direction & la Conſolation
    Lors donc que vous vous trouue-
    rez dans voſtre meſnage, accablé de
    douleurs & d'anxietez: jettez les yeux
    ſur Dieu , qui eſt voſtre amy & voſtre
    Pere : Il vous eſt vny intimement , &
    vous enferme dans ſoy-meſme.  Ce
    bouclier eſt impenetrable à tous les
    malheurs de ce monde. Adjouſtez-y
    la priere, elle augmentera voſtre con-
    fiance : & vous obtiendra des graces
    plus fortes & plus victorieuſes. Con-
    ſiderons cette verité.
    §.  IV.  L'Oraiſon obtient les forces
    neceſſaires , & vne louable Perſe-
    uerance, dans les afflictions domeſ-
    tiques.
    On admiroit anciennement vne
    Pau-
    ſan. in
    Attic.31
    pierre en la ville de Megare, où l'on
    diſoit qu'Apollon auoit autrefois poſé
    ſon luth.  Si on la touchoit auec
    vne autre pierre, elle rendoit vn ſon
    agreable, tel que celuy d'vn luth.
    Vous la pouuez prendre pour le
    ſymbole d'vn homme vertueux, qui
    loüe Dieu dans ſes afflictions.  Si
    la fortune , ſi les maladies , ſi les
    parens , ſi le mary , ſi la femme, ſi
    
    71
    des perſonnes Mariées.
    les amis, ſi les ennemis, ſi diuers acci-
    dens le frappent , il reſonne ſi melo-
    dieuſement , que Dieu , les Anges &
    les hommes en reçoiuent vn ſingulier
    contentement.
    Iob fut fortement frappé de Dieu
    par les mains du Demon : & il s'écria,
    Dominus dedit, Dominus abſtulit : Sit
    nomen Domini benedictum. Mon Sei-
    gneur m'auoit donné mes biens: Mon
    Seigneur me les a oſtez: que ſon ſainct
    Nom ſoit beny
    .
    Le vieux Tobie deuint aueugle :
    [S]ara, qui fut la femme du jeune To-
    [b]ie
    fut calomniée : Anne , la mere de
    [S]amuël,fut bafoüée par Phenenna. Ils
    ouurirent tous leur cœur au Ciel , & ſe
    [t]ournerent vers Dieu, dont ils receu-
    ent du ſecours.
    Kira-
    nidés.
    Les Indiens auoient vn Oiſeau ;
    lequel dés ſa naiſſance ſe tournoit vers
    [l]e Soleil Orient, qu'il ſuiuoit en ſon
    [M]idy & en ſon Couchant , courant
    [ſ]ans ceſſe vers ce Pere des lumieres.
    [P]our cette raiſon ils l'appelloient He-
    liodrome, comme nous appellons He-
    liotrope, l'herbe qui regarde touſiours
    
    72
    La Direction & la Conſolation
    ce Roy des Aſtres, dont il reçoit conti-
    nuellement les rayons & les in-
    fluences.
    Vne ame ſaincte a perpetuelle-
    ment Dieu deuant les yeux , dans la
    premiere naiſſance de ſes eſperances,
    dans le midy de ſes proſperitez , &
    dans le couchant de ſes diſgraces &
    infortunes.
    Noſtre Seigneur nous a donné
    l'exemple. Dés la premiere Aurore de
    ſa Conception, il leua ſes yeux vers le
    Pere Eternel, pour ne les en détour-
    ner iamais. Il le regarda dans la gloi-
    re de ſa Predication & de ſes miracles.
    Et dans ſa Paſſion , il verſa en ſon ſein
    toutes les douleurs qui luy ſuruinrent,
    & par l'oraiſon, luy mit ſon ame entre
    les mains.
    Ayant traicté fort amplement de
    l'Oraiſon Vocale, & de l'Oraiſon Men-
    tale, dans vn Liure que i'ay intitulé
    le Sainct trauail des mains32 (qui con-
    tient toute la perfection Chreſtienne
    & Religieuſe ) il ne me reſte icy que
    de dire vn mot de ſon pouuoir, dans
    les trauerſes de la vie.
    L'Oraiſon
    
    73
    des perſonnes Mariées.
    L'Oraiſon y a vne telle efficacité :
    que non ſeulement elle empeſche les
    triſteſſes dans l'affliction : mais qu'elle
    oſte toute l'affliction , & ne luy donne
    aucune priſe ſur la perſonne qui en eſt
    armée. Cela s'eſt veu ſouuent dans les
    combats des ſaincts Martyrs , qui par
    leurs oraiſons ont arreſté l'effect des
    fleſches , des lances , des eſpées, des
    cailloux , des ſcies , des beſtes farou-
    ches, des dragons, des feux, & de tous
    les inſtrumens de la cruauté.  Appor-
    tons-en quelques exemples.
    I.  Sainct Philemon & ſainct Sabi-
    In A-
    ctis eo-
    rum.
    nien ne pûrent eſtre bleſſez par les fleſ-
    ches que les bourreaux tiroient contre
    eux.  II.  Les lances n'offenſerent
    point ſainct Thierry.  III.  Sainct
    Thyrſe
    ne fut nullement bleſſé par des
    eſpées tres-affilées.  IV.  Ceux qui
    voulurent lapider les Saincts Euchaire,
    Valere & Materne , furent rendus im-
    mobiles par leurs prieres : & ne pûrent
    iamais recouurer le mouuemẽt de leurs
    corps que par les prieres des meſmes
    Saincts Martyrs.  V.  Sainct Thyrſe &
    ſainct Sarbelie ne pûrent eſtre diuiſez
    D
    
    74
    La Direction & la Conſolation
    par vne ſcie.  VI.  Les beſtes farou-
    ches ne nuiſirent point, ny aux ſaincts
    Neophyte & Emilien , ny aux Sainctes
    Agnés & Typhene33. Sainct Aſterie les
    appriuoiſa meſmes par vn ſigne de
    Croix.  VII.  Sainct Honorat chaſſa
    par ſes prieres vn dragon de l'Iſle où il
    habita : & pluſieurs Saincts Martyrs
    n'en n'ont nullement eſté endomma-
    gez.  VIII.  Sainct Polycarpe retient
    par ſon oraiſon , l'actiuité du feu où
    l'on vouloit le bruſler : & en eſt enui-
    ronné auec l'admiration de tout le
    peuple. Sainct Valerien, ſainct Aqui-
    la
    , & ſainct Candide, demeurent dans
    vne fournaiſe ardente ſans en eſtre in-
    commodez : & ſainct Sabinien ſur vn
    banc de fer embrazé. Sainct Tiburce
    & ſainct Conſtance Eueſque de Pe-
    rouſe
    , marchent ſans crainte & ſans
    lezion ſur des charbons ardens.
    L'Oraiſon opere toutes ces mer-
    ueilles, & pluſieurs autres que vous
    ſçauez.  Dieu eſt le Pere des miſeri-
    cords & des bontez. Il accourt à l'ai-
    de de ſes enfans auſſi-toſt qu'ils luy
    ouurent leurs cœurs & leurs bou-
    
    75
    des perſonnes Mariées.
    ches , & luy manifeſtent leurs ne-
    ceſſitez.
    Confiez-vous donc en ſa bonté,
    & reclamez ſon aide dans vos plus cui-
    ſantes douleurs , & ſoyez certain qu'il
    vous ſecourera , & adoucira vos pei-
    Matth
    11. 28.
    nes. Venez, dit-il, vous tous qui tra-
    uaillez & qui eſtes chargez, & ie vous
    ſoulageray
    .
    La Tortuë marine, eſchauſſée &
    Plin.l.
    9.c.10
    deſſeichée par le Soleil ne peut point
    eſtre ſubmergée , & ſurnage touſiours
    au deſſus de l'eau.  Quiconque dans
    ſes oraiſons reçoit les rayons & les
    ardeurs de Ieſus-Chriſt Soleil de juſti-
    ce, ne doit pas craindre aucun nau-
    frage.






    D iij
    
    76
    La Direction & la Conſolation
    bandeau fleuri

    LA
    DIRECTION
    ET LA
    CONSOLATION
    DES PERSONNES
    MARIEES.
    LIVRE DEVXIESME.
    filet maigre

    CHAPITRE PREMIER.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    femme , qui n'eſt point aimée de
    ſon mary.


    LE plus grand malheur qui
    puiſſe arriuer à vne famille,
    c'eſt que le mary & la fem-
    me perdent l'amour qui les a vnis par
    
    77
    des perſonnes Mariées.
    vn lien indiſſoluble , & qui les doit
    tenir enſemble toute leur vie , ſans
    eſpoir d'aucune ſeparation. Car ſi S.
    Iean Chryſoſtome
    dit auec raiſon, Qu'il
    ſeroit plus expedient de perdre la lu-
    miere du Soleil, que d'eſtre priué de la
    familiarité de ſes amis : d'autant que
    pluſieurs qui voyent le Soleil meurent
    de triſteſſe, dans les tenebres des dou-
    leurs & des afflictions, manquant de
    cette conſolation : & que ceux qui
    ont de bons amis ne ſentent nulle tri-
    ſteſſe,dans le fort de leurs plus faſcheu-
    ſes calamitez. Que diroit-il de l'a-
    mitié, laquelle doit ſe retrouuer entre
    le mary & la femme, qui ne ſont qu'v-
    ne meſme chair , & qui ne peuuent
    eſtre diuiſez, ſans des angoiſſes tres-
    ſenſibles ?
    Si le Soleil eſtoit ſouſtrait de cét
    Vniuers , tous les Aſtres ſeroient ſans
    lumiere, comme la pluſpart des Aſtro-
    nomes croyent. La Lune ſeroit certai-
    nement dans vne triſte Eclipſe & ob-
    ſcurité , & la terre ne produiroit rien
    faute de chaleur. Si le maiſtre du logis
    ſe laiſſe glacer & obſcurcir par la haine,
    D iij
    
    78
    La Direction & la Conſolation
    la femme eſt abſolument ſans clarté,
    & les enfants, les ſeruiteurs, & les ſer-
    uantes , ſans aucune action vtile &
    agreable.
    Vn luth a diuerſes chordes & di-
    In
    cap.18
    Act.34
    uerſes voix : mais il ne rend qu'vne
    harmonie, & vn ſeul Muſicien le pin-
    ſe. Le Luth eſt la Charité , dit ſainct
    Chryſoſtome
    , les voix ſont les paroles
    qui la fomentent. Elles font toutes vne
    ſeule melodie , qui réjoüit Dieu & ſes
    Anges, & eſt vn joyeux ſpectacle à tous
    les Citoyens du Ciel. Elle reprime la
    fureur des demons & l'impetuoſité des
    paſſions , & leur impoſe vn eternel ſi-
    lence , comme lors qu'vn Muſicien ex-
    cellent touche vn inſtrument de Muſi-
    que, il n'eſt perſonne ſi inſolent qui ne
    ſe taiſe
    .
    L'Amour eſt l'Ame du Mariage: la-
    quelle doit animer le mari & la fem-
    me, afin qu'ils n'ayent qu'vne ame en
    deux corps, & qu'ils viuent d'vne meſ-
    me vie. De là s'enſuit ce que diſoit
    Licurgue, Qu'vne femme qui eſt pri-
    uée de l'amour de ſon mary, n'a point
    vne veritable vie. Elle eſt telle qu'vn
    
    79
    des perſonnes Mariées.
    corps mort , ſans couleur , ſans joye,
    ſans ſentiment. Tout ce qu'elle void,
    tout ce qu'elle entend , tout ce
    qu'elle s'imagine, tout ce qu'elle paſſe
    par ſon eſprit, eſt vne continuelle ter-
    reur & anxieté , qui luy cauſe des
    douleurs , pires que la mort meſme.
    Sainct Auguſtin eſtoit dans la meſ-
    me penſée lors qu'il diſoit. Que l'A-
    mour eſt vne certaine vie : laquelle
    conioint , ou veut conjoindre deux
    perſonnes.
    Taſchons de faire de deux mira-
    cles l'vn , ou de reſſuſciter les morts,
    faiſant rentrer dans leurs cœurs l'A-
    mour, qui eſt l'Ame de l'ame : ou fai-
    ſant que ceux qui ſont morts dans la
    vie ciuile , en viuent d'autant plus vi-
    goureux , en la vie ſurnaturelle & di-
    uine.
    §.  I.  Remedes du coſté de la femme,
    qui croid n'eſtre point aimée par
    ſon mary.
    I.  Conſiderez que ſouuent vos
    frayeurs ne font qu'vne imagination
    mal fondée, ſur quelque rapport im-
    pertinent, ou ſur quelque ſigne leger,
    D iiij
    
    80
    La Direction & la Conſolation
    & ſiniſtrement interpreté. La meſme
    terre eſt ſtable & immobile, à vn œil
    qui eſt ſain : & tremble à vne teſte
    mal faite , & qui eſt malade.  Inter-
    pretez tout en bien.  Il y a des natu-
    rels qui ſont peu complaiſans en paro-
    les : mais qui aiment d'autant plus
    ardemment dans le cœur, que moins
    ils éuaporent de leurs flammes par la
    bouche.
    Le veritable Amour ne conſiſte
    point en de vaines cajolleries , ny
    en des témoignages exterieurs d'affe-
    ction : mais en de bonnes actions,
    qui pouruoyent à vos beſoins, à ceux
    de vos enfans & de voſtre famille. Vne
    humeur guerriere, vn naturel peu ci-
    uiliſé, vn homme embaraſſé dans de
    grandes affaires, ou publiques, ou do-
    meſtiques , ne peut faire le petit mu-
    guet , & des actions enfantines, pour
    faire voir l'amour veritable & ſincere
    qu'il a au fonds du cœur.  Et cepen-
    dant vne femme doüillette & eſleuée
    dans la molleſſe, exigeroit volontiers
    ces baſſeſſes en ſon mary. Montrez
    que vous auez vne ame noble, & qui
    
    81
    des perſonnes Mariées.
    ne s'amuſe nullement à ces fatrats, &
    à ces impertinences.
    II.  Voulez-vous eſtre aimée , ai-
    mez la premiere.  L'Amour eſt l'ai-
    mãt des cœurs. Iamais vous n'aimerez
    parfaitemẽt & conſtãmẽt vne persõne,
    pour barbare qu'elle ſoit, en luy bien-
    faiſant, en épiant tout ce qui luy agrée
    au boire, au manger, au veſtement, au
    coucher, & en tout le reſte de la vie
    humaine : qu'enfin vous n'emportiez
    par vne douce violence , ſon cœur &
    ſon amour.  On a veu des Lions dans
    les Amphitheatres , careſſer ceux qui
    leur auoient oſté vne eſpine du pied.
    On a admiré des Dragõs qui au milieu
    des bois ont ſauué la vie à ceux qui les
    auoient nourris en leur jeuneſſe.  Il
    n'eſt nulle barbarie & brutalité , qui
    ne ſe laiſſe vaincre à l'Amour.
    Vous gagnerez plus par la ten-
    dreſſe & par l'ardeur de vos affections,
    que par des crieries importunes , ny
    par des injures outrageuſes.  Le Vent
    de Biſe & le Soleil gagerent vn iour , &
    mirent vn prix à celuy d'eux deux, qui
    feroit plus promptement jetter bas le
    D v
    
    82
    La Direction & la Conſolation
    manteau à vn homme qui paſſoit ſon
    chemin. Le Vent comme aſſeuré de la
    victoire , & ſe fiant ſur ſon impetuoſi-
    té, commence le premier à ſouffler de
    toutes ſes forces contre ce voyageur,
    pour luy enleuer de deſſus les eſpaules
    ce manteau.  Le voyageur le reſſerre
    incontinent , & le tient ferme & ar-
    reſté. Et plus ce Vent furieux menoit
    de bruit & renforçoit ſon attaque, plus
    le voyageur s'enueloppoit dans ſon
    manteau , & le preſſoit ſur ſon corps.
    Le tour du Soleil eſtant venu pour
    agir, il ne fit que darder à plomb ſes
    rayons ſur le dos de cét homme tout
    glacé & morfondu de froid , inconti-
    nent il s'arreſta, prenant plaiſir à eſtre
    réchauffé : en ſuite la chaleur s'aug-
    mentant il déueloppe ſon manteau ,
    commence à ſuer & à gemir ſous le
    poids : enfin dans peu de temps il le
    jetta par terre, ne pouuant plus reſiſter
    à ce Roy des lumieres & des ardeurs
    celeſtes.
    Lib. de
    morib.
    Eccl.
    lib. de
    doctr.35
    La Charité eſt la Reine des cœurs
    les plus dénaturez,  Il n'eſt rien de ſi
    dur , ny de ſi obſtiné
    , dit ſainct Au-
    
    83
    des perſonnes Mariées.
    Chriſt.
    & ad
    Mar-
    tian
    .
    guſtin , qui ne ſe ſurmonte & ſe li-
    quefie dans le feu de l'Amour
    .
    Et ailleurs , la ſeule Charité ſur-
    monte toutes choſes, & ſans la Charité
    tout ne vaut rien. En tout lieu qu'elle
    ſe rencontre , elle tire tout à ſoy.  La
    Charité eſt la ſource de la paix, la ro-
    ſée de la grace, la ſemence de la con-
    corde, & le fruict de l'amour
    .
    On nous conte , que deux luths
    parfaitement accordez reſonnent au
    temps de l'hyuer, encore qu'on n'en
    touche qu'vn.  Parlez touſiours bien
    de voſtre Mary, & faites-luy touſiours
    du bien :  il vous répondra par des
    loüanges de voſtre prudence & de
    votre charité, & vous aidera de tout
    ſon pouuoir , & aimera de tout ſon
    cœur.
    Trauaillez pour luy, & montrez-
    vous reconnoiſſance des biens qu'il
    vous fait, quoy qu'ils n'égalent point
    vos deſirs ?36 & aſſeurez-vous que l'a-
    mour qui prouiendra de voſtre vertu,
    le pouſſera à vous donner vn entier
    contentement.
    Vn certain dépeignit dans ſon
    D vj
    
    84
    La Direction & la Conſolation
    Symbole les trois Graces: dõt l'vne te-
    noit vn Rameau de Meurte37, l'autre vne
    Roſe, & la troiſieſme des Dez : voulant
    dire, que les bien faits doiuent eſtre
    doux & agreables , & que meſmes ils
    deuoient eſtre reciproques, comme les
    Dez paſſent de main en main.
    III.  Conſiderez l'occaſion de la
    haine, & du refroidiſſemẽt ſuruenu en-
    tre vous & voſtre mary. Si vous trou-
    uez qu'elle ſoit en vous , oſtez la
    promptement.  Retirez la matiere
    vous eſteindrez le feu. Eſloignez l'oc-
    caſion de la colere, vous guerirez l'a-
    lienation de l'eſprit.
    Il arriue ſouuent aux inimitiez &
    aux auerſions domeſtiques,cõme à ces
    Iſles qui ſe forment au milieu des ri-
    uieres.  Elles commencent par vn peu
    de ſable ou de quelque autre choſe,
    qui arreſte peu à peu ce qui y aborde
    & s'y joint.  Enfin , il ſe fait vn mon-
    ceau conſiderable , qui empeſche le
    cours de la riuiere & la commodité des
    baſteaux.
    IV.  Sur tout , taſchez de découurir
    ſi quelqu'vn ne ſeme point de la ziza-
    
    85
    des perſonnes Mariées.
    nie par de faux rapports. Eſloignez de
    vous tous ces ſeditieux, & ne leur con-
    fiez iamais vos ſecrets.  Ce ſont des
    ſuppoſts du diable , qui ſouuent ſouf-
    flent chaud & froid, & aliennent l'vne
    & l'autre partie , par leurs menſonges
    & par leurs calomnies.
    In Pa-
    ſtor.38
    Sainct Gregoire ſe met en colere
    contre ces malheureux eſprits, qui ſer-
    uent de meſſagers à l'ennemy du genre
    humain.   Il n'eſt, dit-il, rien de plus
    parfait que la Charité, ny de plus agrea-
    ble au demon que la perte de cette ſaincte
    vertu.  Quiconque donc tuë la Charité
    en ſon Prochain, eſt vn des plus fami-
    liers ſeruiteurs du demon
    .
    V.  Soyez vertueuſe : & voſtre ver-
    tu ſi elle eſt conſtante, ſe fera paroiſtre
    dans vn tel éclat , qu'enfin les tene-
    bres ſe diſſiperont , & vous laiſſeront
    vn iour d'autant plus beau , plus re-
    creatif, & plus étincelant de lumiere,
    que les nuages auront eſté obſcurs &
    faſcheux. Le Soleil ne peut iamais eſtre
    ſi caché qu'il ne iette quelque rayon :
    qui faſſe cõnoiſtre, admirer & aimer ſon
    
    86
    La Direction & la Conſolation
    excellente beauté, & ſes merueilleux
    effects. Lib.
    22.c.
    8.39
      Pline , eſcrit , que ceux qui
    portoient l'herbe Hecatoncephalon
    eſtoient aimez d'vn chacun. La Vertu
    eſt vne fleur celeſte : qui ne peut eſtre
    apperceuë , ſans tirer à ſoy les cœurs
    de ceux qui la contemplent.
    VI.  Ayez particulierement vn ar-
    dent Amour de Dieu , & il vous ga-
    gnera l'amour des hommes.  Vn Ai-
    mant attire ſi puiſſamment vn anneau
    de fer , & luy communique ſi charita-
    blement ſa vertu , que cét anneau en
    attire pluſieurs autres , & fait vne
    chaiſne comme de nouueaux Aimans,
    qui ne ſe peuuent ſeparer les vns des
    autres ſans violence.
    Ieſus-Chriſt eſt l'Eſpoux de l'Egli-
    ſe, & des ſainctes ames. Il le faut ai-
    mer, & il vous rendra aimable. Il eſt
    le fondement de l'Egliſe , & il faut
    mettre ſur ce fondement, de l'or, de
    l'argent , & des pierres precieuſes.
    L'or, dit ſainct Thomas, eſt la Chari-
    té: l'argent eſt l'Oraiſon & la Contem-
     87 des perſonnes Mariées. plation , les pierres precieuſes ſont les
    autres vertus
    . Baſtiſſez bien cette mai-
    ſon , & Ieſus fera proſperer la voſtre &
    celle de vos enfans.
    VII.  Efforcez-vous par vos vertus
    d'eſtre aimée de Dieu; & vous ne vous
    affligerez pas beaucoup, de vous voir
    peu affectionné des creatures.  L'Eſ-
    pouſe ſacrée dit à Ieſus-Chriſt dans les
    Canti
    I.v.i.
    Cantiques.   Mon Bien-aimé, donnez-
    moy vn baiſer de voſtre bouche : Car
    vos mammelles ſont meilleures que le
    vin
    .  La Mammelle du Pere Eternel,
    dit Clement Alexandrin , c'eſt Ieſus-
    Chriſt
    . Les Mammeles de Ieſus-Chriſt
    ſont les enſeignemens de la doctrine
    Euangelique , ſelon l'aduis de ſainct
    Thomas
    ; ou pluſtoſt les delices de la
    vie ſpirituelle , comme l'explique S.
    Bernard
    .
    Ces delices, dit le Prophete Royal40,
    ſont plus douces que le lait & le miel,
    Partant , ſi vous les obtenez de Dieu,
    vous ne vous mettrez en peine de rien,
    & quelquefois voſtre cœur ſera ſi rem-
    ply de ce vin celeſte, que vous vous ré-
    joüirez d'eſtre rebuté de voſtre mary,
    
    88
    La Direction & la Conſolation
    afin que vous vous attachiez plus forte-
    ment & plus inſeparablement à la ſour-
    ce de toutes les bontez & de toutes les
    douceurs.
    VIII.  Taſchez que voſtre mary
    aime Dieu , & infailliblement il vous
    aimera , encore que vous ſoyez rem-
    plie d'imperfections : Car l'Amour de
    Dieu & l'Amour du Prochain proce-
    dent d'vne meſme racine de Charité,
    & ont vn meſme motif formel.  On
    aime DIeu pour l'amour de luy-meſ-
    me , & le Prochain pour l'amour de
    Dieu.
    De plus, lors que deux choſes ſont
    vnies à vne troiſieſme, elles ſont vnies
    entre'elles-meſmes. Nous le voyons
    aux lignes d'vn cercle, qui aboutiſſent
    toutes à vn meſme centre : & y ſont
    toutes vnies enſemble. Si voſtre mary
    aime Dieu , & que vous aimiez auſſi
    Dieu , vous vous trouuerez vne meſ-
    me choſe & vn meſme cœur en Dieu,
    & entre vous deux, & ce lien ſera plus
    ferme & plus indiſſoluble que tout au-
    tre.  Dieu eſt touſiours le meſme , &
    ne varie point.  Il verſera auſſi dans
    
    89
    des perſonnes Mariées.
    vos ames le meſme ſuc de Charité,
    comme vn tronc donne la meſme ſe-
    ve à deux branches, qui luy ſont an-
    tées & incorporées.
    Lors que le ſainct Eſprit deſcen-
    dit ſur vn chacun des Apoſtres, & le
    remplit de ſon feu celeſte : il les vnit
    tous en Charité & à ſoy-meſme , &
    entr'eux. Si vous & voſtre mary auez
    vn meſme Eſprit, & bruſlez du meſme
    feu diuin, vous ne perdrez iamais les
    ardeurs neceſſaires pour vn parfait
    amour humain.
    Le Roy des Ethiopiens Vopha-
    Oſor.
    lib.4.
    lenſes, enuoyoit tous les ans vn de ſes
    Gentilshommes par tout ſon Empire,
    pour porter du feu nouueau aux Prin-
    ces & aux Rois qui eſtoiẽt ſous ſon do-
    maine , & à tous ſes ſubjets. Lors que
    l'Ambaſſadeur eſtoit arriué au Palais
    d'vn de ces Princes , l'on y eſteignoit
    tout le feu, & l'Ambaſſadeur en faiſoit
    de nouueau. Alors tous les ſubjets du
    Prince venoient à ſon logis & rempor-
    toient du feu en toutes leurs maiſons.
    Si quelqu'vn refuſoit d'en prendre , il
    eſtoit cenſé vn traiſtre , & eſtoit puny
    
    90
    La Direction & la Conſolation
    du dernier ſupplice, comme criminel
    de leze Majeſté.  Si meſmes il eſtoit
    beſoin , on menoit vne armée contre
    luy.
    Cette inuention vous peut ſeruir.
    Il faut de temps en temps faire du feu
    nouueau dans voſtre logis, par des ex-
    traordinaires actions de charité enuers
    voſtre mary & enuers vos enfans : ſi
    vous voulez que l'Amour y viue & y
    agiſſe dans ſa vigueur & dans ſa perfe-
    ction.  Cét Amour eſt le fruict de tou-
    tes les vertus. La vie de l'homme , dit
    ſainct Bernard , eſt l'Amour de Dieu.
    La Foy le conçoit, l'Eſperance l'enfante,
    la Charite le forme & le viuifie
    .  Car
    l'Amour de Dieu , ou l'Amour Dieu
    ( qui eſt le ſainct Eſprit ) ſe meſlant
    auec l'amour de l'homme,ſe l'affection-
    ne , & le rend vne meſme choſe auec
    luy & auec ſon amour.  Cét Amour de
    Dieu engendré par la Grace , eſt allaité
    par la lecture des Liures Saincts, nour-
    ry par la meditation , renforcé & éclai-
    ré par l'Oraiſon.
    Si vous auez ce Diuin Amour du
    ſainct Eſprit , cét Eſprit qui n'eſt
    
    91
    des perſonnes Mariées.
    qu'Amour , entrera dans le cœur de
    voſtre mary, & vous le rendra tel que
    vous deſirez. Et s'il y trouue trop de
    reſiſtance il vous redoublera ſes gra-
    ces , & vous fera vn cœur de dia-
    mant, qui ſera precieux aux yeux de
    Dieu , lumineux aux yeux des An-
    ges , & imperturable aux attaques
    des hommes.
    IX.  Enfin ne vous perſuadez nul-
    lement , que le mauuais viſage que
    vous fait voſtre mary , & les paroles
    aigres qu'il laiſſe échapper de ſa bou-
    che , ſoient vne haine formée dans
    ſon cœur : C'eſt ſouuent vne antipa-
    thie d'humeurs, qu'il doit ſouffrir &
    vous auſſi, & qui peut-eſtre le faſche
    plus que vous.
    Nous voyons , comme i'ay déja
    marqué , des diſcordes & des antipa-
    thies entre diuers animaux, ſans qu'il
    en paroiſſe aucune cauſe. Cela ſe voit
    tous les iours , entre l'aragnée & le
    ſerpent, entre les ſouris & les fourmis,
    entre le Trochile & l'Aigle , & entre
    pluſieurs autres.
    Ce qui eſt plus admirable, c'eſt
    
    92
    La Direction & la Conſolation
    qu'entre certaines plantes , & entre
    certains arbres on trouue des auerſions
    ſenſibles , en ſorte que les vns meu-
    rent , ou ne profitent point aupres des
    autres.  La Vigne embraſſe toutes les
    plantes & tous les arbres, & refuit41 les
    choux.  Le Cheſne ne vient pas bien
    auprés de l'Oliuier, & beaucoup moins
    auprés du Noyer. Eſtant mis dans la
    foſſe de l'vn de ces deux arbres il
    meurt.  Nous voyons auec eſtonne-
    ment les alienations d'eſprit dans des
    peuples voiſins , & qui habitent le
    meſme climat.
    Ne rejettez dõc point ſur vne haine
    formelle, mais ſur l'humeur de voſtre
    mary, ce qui vous déplaiſt en ſes pa-
    roles & en ſes actions: Eſperez que le
    temps, voſtre patience, & principale-
    ment le ſecours diuin, apporteront du
    remede à voſtre malheur.
    En attendant , nourriſſez - vous
    de la roſée du Ciel : viuifiez - vous
    par le feu du ſainct Eſprit , con-
    ſolez-vous dans les exercices de pieté,
    & rendez-vous par vos vertus aimable
    aux Saincts, aux Anges , à la Vierge
    
    93
    des perſonnes Mariées.
    Marie , à Ieſus-Chriſt , & à toute la
    Saincte Trinité42. Vous ne perdrez rien
    au change, & vous paſſerez doucement
    voſtre vie, auec vne compagnie ſi ſou-
    haitable & ſi agreable.
    §.  II.   Conſiderations pour le mary
    qui n'aime point ſa femme.
    I.  Vous deſirez d'eſtre aimé, & vous
    paſſeriez dans voſtre propre eſprit pour
    vn homme dénaturé , ſi vous vous
    plaiſiez à eſtre hay des autres, & ſi vous
    mépriſiez leur amour.  Or il eſt im-
    poſſible d'auoir parfaitement l'amour
    d'autruy ſi on ne luy donne le ſien.
    Les yeux ſont les premiers meſſa-
    gers des Mariages, & ils ont vn nota-
    ble rapport à l'amour du mary & de la
    femme , en ce qui eſt de la mutuelle
    correſpondance de l'vn à l'autre.  Si
    vn œil ſe leue vers le Ciel, l'autre œil
    s'y leue incontinent.  Si l'vn s'incline
    vers la terre, l'autre s'abaiſſe dans la
    meſme proportion. Et l'vn ne ſe tour-
    ne iamais d'vn coſté, que ſon compa-
    gnon ne le ſuiue à pas égal. Le meſme
    ſe rencontre aux amours, qui poſſe-
    
    94
    La Direction & la Conſolation
    dent les cœurs d'vn homme & d'vne
    femme.
    Si donc vous aimez voſtre femme
    elle vous aimera : Ne l'aimez pas : ſon
    cœur ſera glacé pour vous.  Tel que
    vous ſerez enuers elle , telle vous la
    trouuerez enuers vous.
    II.  Voudriez-vous paſſer dans l'e-
    ſtime de vos parens & de vos conci-
    toyens pour vn inconſtant , pour vn
    volage , & pour vn perfide ? Or dites-
    moy en verité, qu'auez-vous promis
    à voſtre femme? Metttez-vous deuant
    les yeux le temps de voſtre recherche.
    Que ne luy auez-vous point dit? Com-
    bien de témoignages d'amitié luy
    auez-vous montrez? Combien de pro-
    meſſes luy auez-vous reïtereées ? Ne
    l'auez-vous pas cent & cent fois aſſeu-
    rée, que voſtre bonne affection enuers
    elle ſeroit inuiolable , & ne ſe dimi-
    nueroit iamais iuſqu'à la mort ?
    Reſſouuenez-vous auſſi du iour
    de vos nopces. N'auez-vous pas mis
    ou fait mettre ſur la teſte de voſtre Eſ-
    pouſe vne Couronne ?  C'eſt , dit Paſ-
    
    95
    des perſonnes Mariées.
    Lib. 2.
    de ca-
    ron. c.
    16. &
    17.
    chal , vn ſigne d'amour , de joye , de
    congratulation , & de victoire , rem-
    portée iuſques à ce temps-là ſur la con-
    cupiſcence , & ſur les Paſſions.  Ne
    luy auez-vous pas donné le baiſer de
    paix & d'amour à la face de l'Egliſe, &
    en preſence de toute voſtre parenté &
    de la ſienne. Ne luy auez-vous pas mis
    vn anneau au doigt , en ſigne de la du-
    rée de cét amour , que vous diſiez ne
    deuoir non plus trouuer de fin , que
    cét anneau n'en auoit point.
    N'auez-vous pas declaré cét
    amour par diuers ſignes d'allegreſſe,
    conduiſant voſtre Eſpouſe en voſtre
    maiſon ? Toutes les Nations ont cer-
    taines ceremonies à cét effect. Ie me
    contenteray icy de celle qui ſe practi-
    Ioſeph
    Beſſon

    in Sy-
    ria
    ſancta.43
    quent en Syrie. Le ſoir des nopces, le
    Fiancé va ſur le ſoir au logis de ſon Eſ-
    pouſe, auec les flambeaux de toute la
    Ville. Il marche ſeul entre deux hom-
    mes , qui portent chacun vne eſpée
    nuë : L'vn le precede , l'autre le ſuit.
    Les haut-bois, les tambours , & d'au-
    tres inſtrumens de Muſique n'y man-
    quent pas, & d'autres marques d'vne
    
    96
    La Direction & la Conſolation
    ſignalée réjouïſſance. Pluſieurs hom-
    mes & pluſieurs femmes leur tiennent
    compagnie.  Le Fiancé fait tous ces
    frais , & n'y manque iamais , encore
    qu'il ſoit pauure : Et il conſumera
    pluſtoſt tout ſon bien , que d'ob-
    mettre cette ceremonie , en quoy il
    témoigne ſon affection enuers ſon Eſ-
    pouſe.
    Vous auez fait dans ce iour de joye
    tous les frais , que la couſtume & vô-
    tre fortune vous ont permis.  Cela
    vous a reuſſi auec ſuccez , & auec l'a-
    gréement de tous les alliez. Voudriez-
    vous maintenant eſteindre vn ſi beau
    feu , qui vous a donné tant de luſtre ?
    Caton diſoit , qu'vn homme eſt plus
    digne de loüange d'eſtre bon mary,que
    d'eſtre illuſtre parmy les Senateurs.
    Vous auez bien commencé, ne finiſſez
    point mal : Mais s'il y a eu quelque in-
    terruption , remettez-vous dans vos
    premieres ardeurs.
    III.  La ſocieté de pluſieurs actions
    demande cét amour reciproque. Quand
    il n'y auroit que l'aſſiduité de boire &
    de manger enſemble , vous ſeriez
    obligé
    
    97
    des perſonnes Mariées.
    obligé à vne cordiale affection.  Les
    Grecs preſentoient à leurs hoſtes , de-
    uant tous les autres mets vn peu de ſel,
    pour leur témoigner qu'ils conſerue-
    roient leur amitié incorruptible, com-
    me le ſel preſerue de corruption toutes
    les viandes.
    On renuoyeroit aux Aſnes ceux,
    qui au lieu de laituës, offriroient des
    chardons pour ſalade:comme faiſoient
    les anciens Romains , au rapport de
    Capitolin.  Vous ferez bien pis : ſi au
    lieu de viandes, vous offrez du venin
    & des eſpines à voſtre Eſpouſe.
    IV.  L'Amour vous eſt abſolument
    neceſſaire, ſi vous voulez tirer de bons
    ſeruices de voſtre femme, & la main-
    tenir en ſanté.  Si elle conçoit vne
    haine contre vous elle luy glacera
    le cœur , & par conſequent , luy re-
    froidira les eſprits vitaux , luy trou-
    blera l'imagination , & rompra les
    bras qui ſeront languiſſans & inutiles
    dans le trauail.
    Au contraire , ſi l'Amour luy eſ-
    chauffe le cœur , il le luy dilatera, il
    en viuifiera & purifiera les eſprits, il
    E
    
    98
    La Direction & la Conſolation
    les épandra par tous les membres, &
    la rendra vne bonne ouuriere dans
    toute voſtre famille , & elle ſera vô-
    tre plus ſeur & plus agreable refuge.
    Calius
    l. 9. c.
    22.
    Les Thebains44 auoient vn Regi-
    ment de ſoldats,en qui eſtoit leur prin-
    cipale eſperance. Elle eſtoit compoſée
    de perſonnes qui s'eſtoient voüez vne
    particuliere & inuiolable amitié.
    Charles Frideric, Duc de Iuliers,
    de Cleues, & de Monts
    , prit pour ſon
    Symbole quantité de cœurs , mis ſur
    vn bouclier auec cette inſcription. Hic
    murus aheneus eſto
    . Voicy vne muraille
    d'airain
    . Il euſt dit plus veritablement.
    Voicy vne muraille d'or , & tout à fait
    impenetrable.
    Le cœur eſt la ſource de la vie.  Il
    vit le premier & meurt le dernier : S'il
    meurt tout meurt : S'il eſt malade tout
    eſt languiſſant : S'il eſt vif & actif, tout
    demeure , & tout paroiſt dans ſa
    vigueur.
    V.  Vne femme qui aime, a mille
    inuentions pour conſeruer la ſanté &
    la vie à ſon mary par de bons offices,
    
    99
    des perſonnes Mariées.
    par ſes ſoings,& meſme par des actions
    heroïques & non attenduës.  La fille
    de Clearque, ayant eu permiſſion de
    viſiter ſon mary dans la priſon, chan-
    gea d'habits auec luy, & le déliura au
    peril de ſa propre vie. L'Amour eſt in-
    uentif & preſt de tout ſouffrir pour
    celuy à qui il s'eſt donné. I'ay raconté
    Impri-
    mé chez
    Gran-
    g er à
    Dijon.
    de tres-rares exemples de l'Amour ef-
    fectif des femmes enuers leurs maris,
    dans vn Traicté intitulé, Le bon Vi-
    gneron , le bon Laboureur , & le bon
    Artiſan
    .
    VI.  Ie vous diray vn mot qui vous
    doit penetrer le cœur.  Voulez vous
    viure en ſeureté, aimez voſtre femme,
    & témoignez-luy voſtre amour par de
    bons effects.  Alphonſe, Roy d'Arra-
    gon
    diſoit ſagement : Que l'Amour eſt
    ſans armes , & neantmoins dort toû-
    jours armé.  Au contraire, il eſt peril-
    leux de tenir touſiours dans ſon ſein
    vne vipere pleine de venin. Vous rem-
    pliſſez d'vne haine mortelle le cœur de
    voſtre femme : Cette haine eſt vn poi-
    son , tiré du plus creux de l'abyſme, &
    E ij
    
    100
    La Direction & la Conſolation
    vous viuez auec elle comme ſi vous la
    careſſiez,auec toutes les tendreſſes que
    vous luy deuez , & que vous luy auez
    promiſes.
    Si j'oſois charger ce papier de di-
    uerſes tragedies arriuées en tous les
    ſiecles , ie vous ferois dreſſer les che-
    ueux en teſte , & glacer le ſang dans
    les veines. Mais ie n'ay garde de re-
    mettre dans la memoire des hommes,
    ce qui doit eſtre enterré dans vn eter-
    nel oubly.
    Concluez , & ſoyez ſage & mo-
    deré. Viuez joyeux, au milieu des ca-
    reſſes & des diuertiſſemens d'vne hon-
    neſte & chaſte Amour.  Ne viuez
    point vne vie de Hibou , qui n'ai-
    me que les tenebres & la ſolitude, &
    qui ſe fait la haine & l'opprobre de
    tous les oyſeaux.
    
    101
    des perſonnes Mariées.
    bandeau décoratif

    CHAPITRE II.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , qui eſt battuë par ſon
    Mary
    .

    LEs paroles volent en l'air, & ne
    bleſſent perſonne.  Vne haine
    couuerte ſe cache dans les replis du
    cœur , & ne fait mal qu'à ceux qui
    ſont trop curieux. Mais les ſoufflets,
    les coups de poings, les coups de pieds
    & de baſtons meinent vn tel bruit, &
    portent vn ſi notable dommage au
    corps, & vne ſi faſcheuſe infamie à la
    perſonne, qu'ils ſont inſupportables à
    vne femme bien née , & qui ſe ſent
    innocente.
    Il eſt vray que cét eſtat eſt tres-
    lamentable, lors que la paſſion poſſe-
    de tellement vn mary, qu'il n'eſcoute
    point la raiſon , & qu'il ſe laiſſe em-
    porter à vne furieuſe impetuoſité, qui
    le met hors de ſoy-meſme.  Au lieu
    d'vn homme raiſonnable , à qui l'on
    E iij
    
    102
    La Direction & la Conſolation
    s'eſt confié & donné , pour en tirer du
    ſoulagement & de la joye : on trouue
    vn Lion & vn Tigre enragé , qui rugit
    continuellement dans ſa cauerne , &
    en ſuite, déchire & deuore ceux qui y
    ſont.
    Mais il n'eſt point de mal ſi grand
    qui ne ſe puiſſe tourner à profit, ſi nous
    y prenons garde , & qui ne ſe puiſſe
    tout à fait empeſcher ou diminuër , ſi
    nous y apportons vne bonne volonté,
    & vne ſage conduite.
    §.  I.  Aduis à la femme , qui eſt
    battuë par ſon mary.
    I.  Prenez garde quel eſt le naturel
    de voſtre mary , & qu'eſt-ce qui le
    choque en vous : Accommodez-vous
    à ſes humeurs, & vous l'appriuoiſerez,
    encore qu'il fut plus farouche qu'vn
    Loup & qu'vn Lion.  Sainct Emerius
    appriuoiſa vn Lion par vne douce pa-
    role : & ſainct Seuerin , Eueſque de
    Septempeda
    , par vn ſeul ſigne de
    Croix , rendit vn Loup doux & do-
    meſtique.
    Voyez attentiuement s'il n'y a
    rien en vous qui luy donne vne iuſte
    
    103
    des perſonnes Mariées.
    occaſion, ou vn ſpecieux pretexte de
    vous frapper & moleſter. Si vous ren-
    contrez quelque imperfection cho-
    quante , corrigez-là , & Dieu benira
    voſtre vertu , & le deſir que vous au-
    rez,de viure en ſorte qu'il ne ſoit point
    offenſé dans voſtre maiſon.
    II.  Ne croyez point que les coups
    que voſtre mary vous donne , proce-
    dent d'vne haine interieure : Car cette
    penſée aigriroit voſtre mal. Souuent
    vne ſimple legereté, ou vne ſurpriſe de
    vin , ou l'âge plein de feu luy empor-
    tent la main.
    Il pourroit arriuer que ce ſeroit vn
    excez d'affection , laquelle ne peut
    rien ſouffrir en vous qui offenſe ſes
    yeux.  Vous voyez par voſtre propre
    experience, que vous puniſſez vos en-
    fans pour certaines fautes , dont vous
    ne daignez pas ſeulement reprendre vn
    de vos valets : Car voſtre amour veut
    voſtre fils parfait , & l'indifference
    que vous auez pour le bien de voſtre
    valet , vous fait negliger & tolerer ſes
    ruſticitez & imperfections.
    E iiij
    
    104
    La Direction & la Conſolation
    Les femmes des Moſcouites45 ſont
    Auity. admirables en ce poinct. Si elles font
    vne faute vn peu remarquable , elles
    n'eſtiment point eſtre aimées de leurs
    maris, s'ils ne les battent ſelon que la
    faute le merite. Qui a payé eſt quitte :
    Autrement on peut craindre , qu'vne
    indignation couuée ne demeure plus
    long temps ſur le cœur , & n'en cor-
    rompe entierement l'affection.
    III.  Si voſtre mary vous frappe,
    meſmes mal à propos, taiſez-vous, &
    ne luy donnez point d'imprecations.
    Ne criez point de telle ſorte , que les
    voiſins en ſoient allarmez , ſi ce n'eſt
    qu'il y ait du peril pour voſtre vie, ou
    pour voſtre ſanté : & qu'il faille les
    appeller au ſecours.
    Bon
    Vigner
    lib. 3.
    c. I. 46
    I'ay prouué ailleurs, que le ſilence
    empeſche que les maris ne frappent
    leurs femmes. Ie dis maintenant, qu'il
    fait au moins qu'ils ne les frappent
    point ſi rudement ny ſi ſouuent.  Car
    qui ſeroit le deſnaturé, qui voulut tou-
    cher ſur vne pauure brebis laquelle ne
    luy dit rien , & qui luy donne ſa laine
    & ſa ſubſtance ? Si la precipitation , la
    
    105
    des perſonnes Mariées.
    colere ou l'yureſſe, pouſſe vn ieune eſ-
    uenté à quelque eſcapade, & qu'on ne
    luy reſiſte point dans ſa fureur , lors
    que ſon feu eſt paſſé il reſte honteux &
    humilié.  Il rentre en ſoy-meſme , il
    admire la vertu & la generoſité de cel-
    le qui a tant d'amour pour luy , & tant
    de reſpect pour Dieu.  Il propoſe alors
    de ne plus tomber dans vne faute ſi cri-
    minelle & ſi eſloignée de la raiſon.
    Chacun a le remords de ſa conſcience,
    lequel eſt vn Pedagogue inuiſible, qui
    ne manque iamais à ſon deuoir. Dieu
    le fait agir puiſſamment , lors que la
    perſonne offenſée s'en rend digne , &
    implore ſon aide.
    Imitez le Lierre coupé , il ne laiſſe
    pas de s'attacher plus fortement à l'ar-
    bre qui l'appuyoit , & d'en tirer tout
    le ſuc qu'il peut.  Par ce moyen il re-
    pouſſe ſes rejettons , & montre enfin
    auſſi haut qu'il eſtoit.
    IV.  Conſderez que cette ſouf-
    france eſt vne ſatisfaction pour vos pe-
    chez , vn grand merite deuant Dieu,
    & vn moyen de rendre toutes vos ver-
    tus plus heroïques & plus ſolides. On
    E v
    
    106
    La Direction & la Conſolation
    dit qu'vn Cheual mordu d'vn Loup, en
    deuient plus genereux.
    V.  Dieu changera vos amertumes
    en douceurs, & vos playes en des ſour-
    ces de benedictions.  Il ſortit des
    playes de ſaincte Martine martyre,
    vne ſoüeue odeur , qui embaumoit
    tout l'air voiſin , & rejoüiſſoit les aſ-
    ſiſtans.
    Colloq.
    [?]1.47
    Le Baume ne couleroit point ſi
    abondamment, ſi l'on ne donnoit de
    petites taillades au tronc de l'arbriſ-
    ſeau. Majole rapporte qu'au nouueau
    Monde on trouue vn arbre, qui eſtant
    inciſé , diſtille vne goutte ſemblable
    au Baume en odeur, laquelle guerit de
    toutes playes, & referme entierement
    les cicatrices : de ſorte qu'il n'y paroiſt
    plus aucune marque de la bleſſure.
    V.48  Meditez les tourmens & les
    douleurs des ſaincts Martyrs , & les
    voſtres vous ſembleront vn jeu d'en-
    fant.  Saincte Marcionille fut tour-
    mentée , & enfin maſſacrée par ſon
    propre mary , auec ſainct Celſe ſon
    fils.
    Pluſieurs Martyrs ont eſté ſouffle-
    
    107
    des perſonnes Mariées.
    tez , baſtonnez , bruſlez , eſcorchez,
    roſtiſ ſur des grils ardens, & ont ſouf-
    fert tous ces ſupplices, & pluſieurs au-
    tres auec des joyes incomparables.
    Lors, dit ſainct Chryſoſtome, que les
    S. Chri-
    de ſan-
    ctis
    Mar-
    tyrib.49
    Saincts Martyrs eſtoient enuironnez de
    flammes qui entroient dans leurs playes,
    & qui les conſumoient iuſques aux os,
    ils ſouffroient ces douleurs comme s'ils
    euſſent eſté de diamant , & comme s'ils
    euſſent enduré dans des corps emprun-
    tez
    .
    Et ailleurs parlant de l'Apoſtre
    ſainct Paul , il dit. Sainct Paul eſtant
    orné de la Charité de Dieu, ne crai-
    gnoit point dauantage Neron , & les
    autres Tyrans & bourreaux, qu'vn pe-
    tit mouſcheron qui vole en l'air.  Par
    cette Charité, il eſtimoit toutes les tor-
    tures & la mort meſme vn ieu d'en-
    fant. Il eſtoit plus joyeux & plus glo-
    rieux dans ſes liens, que s'il euſt eſté
    couronné d'vn diademe. Eſtant dans
    la priſon il demeuroit au Ciel.  Il re-
    ceuoit plus volontiers les playes que les
    autres ne reçoiuent les recompenſes.
    Cette Charité luy rendoit les trauaux
    E vj  108 La Direction & la Conſolation plus doux, que le repos ne ſembloit aux
    autres , & les douleurs plus agreables,
    que les couronnes, que les triomphes &
    les trophées
    .
    Acta
    Mart.
    Sainct Hermile ſe réjouïſſoit , lors
    qu'on luy frappoit le viſage auec des
    inſtrumens d'airain.  Saincte Seconde
    ſe faſchoit contre le Tyran, de ce qu'il
    honoroit ſa ſœur Rufine en la ſouffle-
    tant , & qu'il ne la faiſoit point ſouf-
    frir pour imiter ſon Sauueur.
    Sainct Sebaſtien loüoit Dieu, ſous
    la greſle des baſtonnades, dont il fut
    aſſommé.
    Sainct Marc & Sainct Marcellien,
    eſtant attachez à vn poſteau par des
    cloux qui luer perçoient les pieds aſ-
    ſeuroient : Que iamais ils n'auoient
    eſté à vn meilleur feſtin.
    Sainct Arcadius loüoit Dieu , &
    chantoit d'allegreſſe , lors qu'on luy
    coupoit tous les membres de ſon corps
    les vns apres les autres.
    Voſtre mal eſt tres-grand, & tres-
    difficile à ſupporter , ie ne croy pas
    neantmoins qu'il ſoit égal à celuy de
    ces genereux ſoldats de Ieſus-Chriſt.
    
    109
    des perſonnes Mariées.
    Conſiderez leurs ſouffrances , admi-
    rez la force de la grace de Dieu en eux:
    loüez leur valeur , implorez leur aſſi-
    ſtance , & aſſeurez-vous que vous en
    receurez vn grand ſoulagement , &
    que voſtre patience en deuiendra plus
    genereuſe.
    VI.  La Patience rend le mal plus
    leger , & l'Oraiſon l'oſte quelquefois
    entierement, & fait que Dieu renforce
    tellement le cœur de ſon ſecours, qu'il
    ne ſent aucune douleur.
    Hiſt.
    ipſor.
    Sainct Clement d'Ancyre , &
    ſainct Agathange, eſtans mis ſur des
    grils de fer tout embraſez , n'en fu-
    rent nullement endommagez, quoy
    que le Tyran fiſt jetter ſur eux de
    l'huile , de la poix , & du ſouffre
    boüillant.
    Le meſme ſainct Clement receut
    cent cinquante coups ſur la teſte , &
    vn Ange le guerit incontinent.
    Sainct Theodore chante au mi-
    lieu de ſes tourmens , & vn Ange
    eſſuye auec vne merueilleuſe allegreſ-
    ſe , la ſueur qui couloit de ſon viſage.
    Vn autre Ange guerit ſainct Conſtan-
    
    110
    La Direction & la Conſolation
    ce de toutes ſes playes.
    Ayez donc confiance en Dieu :
    Iettez dans ſon ſein voſtre cœur & vos
    douleurs : Inuoquez-le auec ardeur,
    & il vous aſſiſtera & conſolera. Peut-
    eſtre conuertira-t'il voſtre mary par
    vos prieres & par voſtre patience ,
    comme il conuertit les bourreaux de
    ſaincte Martine , elle ayant prié pour
    eux. Et quoy qu'il en arriue, vos dou-
    leurs ſe tourneront en joye , & vos
    tourmens en allegreſſe. Les pieces des
    pots caſſez dont on tourmentoit ſainct
    Vincent , ſe changerent en des fleurs
    tres-belles & tres-odoriferantes. Dieu
    ne permet iamais que ſes ſeruiteurs
    ſoient accablez du fardeau qu'il met
    ſur leurs eſpaules, s'ils ont recours à
    ſa bonté.
    VIII.50  Continuez touſiours les bons
    ſeruices que vous rendez à voſtre mary,
    & à toute voſtre famille.  Rendez le
    bien pour le mal, & voſtre merite ſera
    tres-grand deuant Dieu.  Les Saincts
    ont exercé cette Charité enuers leurs
    plus cruels perſecuteurs. Sainct Mein-
    rad fit bonne chere aux voleurs , qu'il
    
    111
    des perſonnes Mariées.
    ſçauoit eſtre venus pour l'aſſaſſiner.
    Les Saincts Martyrs Phocas & Melas,
    traicterent le plus ciuilement qu'ils
    pûrent, & nourrirent auec joye & cha-
    rité les bourreaux qui les cherchoient
    pour les maſſacrer, & qui en effect les
    tuerent.
    Dieu a tourné leurs ſupplices en
    plaiſirs , & leur mort d'vn moment en
    vne eternelle vie.  Lors qu'on picque
    certaines Huitres il en ſort vne liqueur
    qui ſe change en pierres precieuſes.
    Toutes vos larmes, toutes vos ſueurs,
    & toutes vos douleurs ſeront trans-
    formées en des fleurs, en des perles,
    & en des couronnes.
    §.  II.   Aduis pour le mari qui
    bat ſa femme.
    I.  L'homme qui frappe ſa femme
    mal à propos , fait vne profeſſion pu-
    blique qu'il n'a point d'eſprit, ne pou-
    uant gagner par dexterité & par bien-
    faits, l'affection d'vne perſonne qui a
    eu tant d'inclination pour luy, que de
    s'y donner entierement, & de s'y aſſu-
    jettir iuſques à la mort, auec laquelle
    il eſt en communauté de corps & de
    
    112
    La Direction & la Conſolation
    biens, & conuerſe continuellement en
    la maiſon, à la table, au lict, à la ville,
    aux champs , & dans toutes les ren-
    contres de la vie.
    Ceux qui ne ſont pas bons Caua-
    liers, tourmentent vn cheual à coups
    d'eſperons & à coups d'eſcourgées, en-
    core n'en peuuent-ils tirer le ſeruice
    qu'ils deſirent.  Mais vn Caualier in-
    duſtrieux en fait ce qu'il veut, auec le
    moindre coup de houſſine, & ſouuent
    par vne ſeule parole, ou vn ſeul mou-
    uement de la bride.
    II.  Perſonne ne reuoque en doute,
    que celuy qui ſe bat ſoy-meſme , qui
    s'arrache les cheueux, qui ſe meurtrit
    le viſage à coups de poings, & les bras
    ou les jambes à coups de baſtõs ne ſoit
    vn inſenſé , qui n'a plus de jugement.
    Or perſonne ne doute , que l'homme
    & la femme ne ſoient vne meſme cho-
    Matth.
    19.5.
    ſe. Erunt duo in carne vna.  Ils ſont
    deux en vne meſme chair
    , dit noſtre
    Seigneur.  Iugez donc vous-meſme
    quel nom vous meritez, ſi vous frap-
    pez voſtre femme qui eſt vne meſme
    choſe auec vous.
    
    113
    des perſonnes Mariées.
    III.  Le contrecoup en retombe ſur
    vous, & plus dangereuſement que ſur
    elle.  Comme les coups qu'on donne
    ſur le coſté gauche incommodent auſſi
    le coſté droict , & pour l'ordinaire,
    le contre-coup eſt pire que le coup
    meſme.
    IV.  Celuy qui frappe ſa femme eſt
    vn barbare ou vn yurogne.  S'il eſt
    d'vne condition riche & noble, il eſt
    barbare, s'il eſt de baſſe naiſſance, il
    Solin. eſt brutal ou yurogne. Les Neuriens,
    peuple de Scythie, ſe transformoient
    en Loups durant l'eſté , & exerçoient
    pluſieurs cruautez ſous cette figure
    puis retournoient à leur premiere fi-
    gure. Les yurognes ſont preſque tou-
    te l'année transformez en de cruelles
    beſtes.  Ces Neuriens adoroient Mars
    pour leur Dieu; ils adoroient auſſi leurs
    eſpées , & leur immoloient des hom-
    mes.  Ils faiſoient meſme leur feu do-
    meſtique auec des os d'hommes & de
    femmes.  Ce Hieroglyphe peut nous
    figurer ceux qui eſtans remplis de vin,
    ne penſent qu'à toucher , qu'à crier,
    & qu'à mettre toute leur maiſon en
    
    114
    La Direction & la Conſolation
    feu & en flammes.
    V.  Ceux qui battent leurs fem-
    mes ſont des ames laſches, qui s'at-
    taquent à de plus foibles qu'eux , &
    tremblent deuant leurs égaux.  Les
    anciens Hetruriens ont eſté blaſmez,
    de ce qu'ils faiſoient fuſtiger leurs eſ-
    claues au ſon de la fluſte , pour auoir
    du plaiſir & du diuertiſſement, meſme
    dans les larmes & les gemiſſemens de
    ces pauures miſerables victimes, qui
    ne leur pouuoient reſiſter.
    Les ames genereuſes aiment la
    paix & la doucuer , & mépriſent tou-
    tes les violences precipitées. L'Empe-
    reur Maximilien
    le montroit dans vn
    tel Embleme.  Il peignit vne Aigle,
    qui fouloit aux pieds la foudre: & te-
    noit vn rameau d'Oliuier.
    VI.  Celuy qui bat ſa femme , ſe
    met en danger d'eſtre ridicule & infa-
    me dans tout ſon voiſinage. Le droict
    naturel de ſa conſeruation , le tran-
    ſport de la colere , les tentations du
    demon, peuuent tellement échauffer
    & animer la plus foible des creatures,
    qu'elle ſe mettra en defenſe , qu'elle
    
    115
    des perſonnes Mariées.
    luy ſautera aux yeux , qu'elle luy
    marquera les joües auec ſes ongles,
    le défigurera , & le bleſſera notable-
    ment.
    Les moindres ſouris montrent les
    dents ſi on les attaque.  Et les plus
    chetifs animaux domptent quelque-
    fois les plus orgueilleux & les plus in-
    uincibles.  Richeome rapporte, qu'v-
    ne vieille Caualle tua vn Lion par vn
    coup de pied , le Lion s'approchant
    d'elle pour la deuorer. Il n'eſt point
    de foible ennemy , lors qu'il s'agiſt
    de la ſanté , de l'honneur , & de la
    vie.
    Ie veux que vous ſortiez victo-
    rieux du combat.  Ce vous ſera vne
    grande gloire, de vous eſtre battu en
    duel auec vne femme.
    VII.  Celuy qui bat ſa femme la
    rend farouche & indocile, ſi elle a vn
    cœur genereux, il la fait puſillanime,
    ſi elle eſt craintiue , la douceur l'ap-
    priuoiſera mieux , ſi ſon humeur eſt
    reueſche ; & l'on en tirerera plus de
    ſeruice.Cela ſe voit meſmes en la pluſ-
    part des beſtes.
    
    116
    La Direction & la Conſolation
    L'Elephant de l'Inde , au rapport
    De ani-
    mal 12
    c. 44.51
    d'Elien , eſtant pris lors qu'il eſt déja
    robuſte, eſt fort difficile à appriuoiſer,
    & par vn deſir de liberté eſt tres-fa-
    rouche , taſchant de tuer ceux qui le
    tiennent. Si on le lie, il entre dans de
    plus grandes fougues, rejette les vian-
    des les plus delicates, & ſe laiſſe mou-
    rir. Les Indiens pour le rendre docile
    luy chantent vne chanſon , & joüent
    d'vn inſtrument de Muſique.  L'Ele-
    phant commence à l'écouter, leue les
    oreilles , pour oüir plus commode-
    ment cette melodie , montre qu'il y
    prend plaiſir, & ſe rend doux & trai-
    table par cét agreable concert, en ſui-
    te il mange peu à peu, & quoy que dé-
    lié, ne retourne plus à ſa ferocité na-
    turelle.
    Vous auez mené voſtre Eſpouſe
    en voſtre maiſon auec les violons, &
    auec d'autres inſtrumens de Muſique.
    Retenez y toute voſtre vie vne bonne
    conſonance , & elle y demeurera vo-
    lontiers , & vous y rendra de bons
    ſeruices.
    VIII.  La ſocieté de la vie de
    
    117
    des perſonnes Mariées.
    l'homme & de la femme, les oblige à
    vn amour parfait , & à vne douceur &
    des careſſes reciproques. Elle doit ap-
    paiſer les plus furieux , & eſteindre
    leurs flammes.  L'Empereur Antonin
    auoit mis dans ſon Symbole vn Fou-
    dre pacifique ſur vn lict.  Vn lict de
    plume reſiſte aux boulets de Canon,
    en ne leur reſiſtant pas.
    Combien de ſeruices rend vne
    femme à ſon mary ? Ils meritent ſon
    amitié , & doiuent empeſcher ſa
    cruauté. Le Crocodile, quoy que tres-
    cruel, ne nuit iamais à vn petit oiſeau
    qui ſe nomme Trochile : à cauſe que
    cét oiſeau luy nettoye les dents , y
    cherchant ſa nourriture. Il entre auec
    aſſeurance dans la bouche de ce mon-
    ſtre , & en ſort auec liberté.  Qui eſt-
    ce qui vous prepare vos viandes, & qui
    a ſoin de tous vos domeſtiques , ſinon
    voſtre femme? Ne payez point par vne
    laſche & ingrate cruauté , les ſeruices
    charitables de ſa bonté.
    IX.  Celuy qui bat ſa femme , nuit
    beaucoup à ces enfans & à toute ſa fa-
    mille.  Car il eſt preſque neceſſaire
    
    118
    La Direction & la Conſolation
    qu'ils mépriſent, où le mary comme
    vn brutal , ou la femme comme vne
    teſte dure & mal faite : & quelquefois
    les accidens qui ſuruiennent dans ce
    chamaillis, rend l'vn & l'autre abſolu-
    ment ridicule. Ainſi le gouuernement
    eſt enerué, & l'eſprit des enfans & des
    ſeruiteurs ſe rebute , & vit dans vne
    noire melancholie , de ce qu'ils n'en-
    tendent, que des crieries, des plaintes,
    des blaſphemes , des maledictions &
    des imprecations.
    X.  Celuy qui bat ſa Femme , ren-
    uerſe toute l'education de ſes enfans :
    & leur donne vn exemple, qui les ren-
    dra de petits Tigres, en leur temps, &
    des Diables toute leur vie.  Leur ima-
    gination ſe remplit de colere , & de
    blaſphemes: qui font puis apres de fu-
    rieux effets dans les occaſions.
    XI.  Celuy qui bat ſa Femme, ſans
    vne abſoluë neceſſité , ſurpaſſe ſon
    pouuoir. Le domaine du Mary ſur la
    Femme, n'eſt pas ſemblable à celuy
    qu'il a ſur ſon or, ſur ſon argent , &
    ſur ce qu'il poſſede: mais il eſt ciuil, &
    fort limité.  Eue fut tirée de la coſte
    
    119
    des perſonnes Mariées.
    d'Adam , & non pas de la teſte ny des
    pieds : pour monſtrer, comme elle ne
    doit point dominer ſur ſon mari; auſſi
    n'en doit elle point eſtre mépriſée &
    bafoüée: mais eſtre ſa compagne bien-
    aimée : ayant eſté priſe d'auprés du
    cœur.
    XII.  Dieu defend aux hommes, par
    la bouche de l'Apoſtre, de tourmenter
    Coloſſ.
    3. 19.52
    leurs femmes, Maris , dit-il , aimez
    vos femmes, & ne leur témoignez point
    d'amertumes
    .
    Si l'on n'obeït point à ce com-
    mandement , la douleur retombera
    pour l'ordinaire ſur celuy qui frappe.
    C'eſt ce que meritent ces bourreaux
    domeſtiques, comme anciennement
    le meritoient & le ſouffroient les
    In A-
    ctus.
    bourreaux des Saincts Martyrs. Ceux
    qui martyriſoient ſaincte Martine ,
    furent tourmentez viſiblement par les
    Anges.  Ceux qui foüettoient ſainct
    Thyrſe
    auec des cordes, en furent eux-
    meſmes foüettez , & en ſuite auec des
    foüets embraſez : & ce qui eſt plus à
    noſtre propos , ils ſe fuſtigerent eux-
    meſmes.  Vn mary ne peut frapper le
    
    120
    La Direction & la Conſolation
    corps de ſa femme, qu'il ne ſe perce le
    cœur , par vn ſenſible remors de con-
    ſcience , & par vne juſte crainte ,
    d'eſtre dans le meſpris de toute ſa
    parenté.
    Le cloud qu'on vouloit ficher
    dans la teſte de ſainct Potite, rejaillit
    ſur le Tyran, & ſe ficha profondement
    dans la ſienne.
    Concluez de tout cecy , qu'il
    faut qu'vn homme ſoit entierement
    hors de ſoy-meſme ; lors que ſans
    vne extreme neceſſité , il vient à
    cette barbarie de frapper ſa femme; ſi
    particulierement cela arriue pluſieurs
    fois.  Il ſe nuit à ſoy-meſme , à ſa re-
    putation , à ſes enfans à toute ſa fa-
    mille, & fait vne action qui eſt brutale
    & barbare.






    Chap.
    
    121
    des perſonnes Mariées.
    bandeau décoratif

    CHAPITRE III.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    femme dont le mary eſt jaloux.

    LA Ialouſie, dit Chryſippe, eſt vne
    maladie de l'eſprit, laquelle pro-
    cede d'vne crainte, que quelqu'autre
    n'ait la joüiſſance d'vne choſe aimé
    qu'on veut poſſeder tout ſeul.
    Vn Auaricieux eſt jaloux de ſon
    or & de ſon argent. Vn Gentilhomme
    eſt jaloux de ſon honneur: vn Roy de
    ſa domination; & vn mary de ſa fem-
    me.  Tout ce qui donne le moindre
    ombrage de les leur rauir les choque,
    & les fait entrer dans de grandes in-
    quietudes.
    Ce mal eſt l'vn des plus grands
    qui puiſſent arriuer au Mariage.  Car
    il ne donne nul repos, ny iour ny nuict,
    à vn eſprit ſoupçonneux , & qui ſe for-
    me vne infinité de chimeres , croyant
    qu'il eſt trahy & priué de ce qu'il a de
    plus cher au monde, pour ſes delices
    F
    
    122
    La Direction & la Conſolation
    & pour ſa reputation.
    Vne femme qui connoiſt ce mal-
    heur , ſi elle ſe trouue innocente , ſe-
    che ſur ſes pieds , & deſire mille fois
    le tombeau , afin de couurir ſa honte
    & eſtouffer ſes regrets. Donnons quel-
    que ſoulagement à ſa douleur , &
    queques aduis pour la diſſiper entie-
    rement.
    §.  I.   Aduis à la femme , dont le
    mary eſt poſſedé de jalouſie.
    I.  Compatiſſez à voſtre mary com-
    me à vn malade : & réjoüiſſez-vous
    que ſon mal ne procede que d'vn ex-
    cez de l'Amour qu'il vous porte, & de
    l'eſtime qu'il fait de voſtre beauté, de
    voſtre bonne grace , de vos paroles
    charmantes, & de pluſieurs perfections
    naturelles qu'il apperçoit en vous.  Il
    vous affectionne , & veut vous poſſe-
    der tout ſeul , à deſſein de conſeruer
    voſtre honneur, de ſauuer voſtre ame,
    de maintenir le luſtre de voſtre famille,
    & vos enfans dans leur heritage ; ſans
    le diuiſer à d'autres qui ne ſeroient
    point à luy.
    Ie vois bien , qu'eſtant certaine
    
    123
    des perſonnes Mariées.
    de voſtre vertu, vous trouuez que ſes
    ſoupçons vous ſont injurieux.  Mais
    conſolez-vous , puis que ſa jalouſie
    vient pluſtoſt de foibleſſe que de ma-
    lice , & que de grands Saincts en ont
    eſté ſurpris, eſtant trompez par de faux
    rapports.
    Sainct Henry , Empereur d'Occi-
    dent , prit vn faſcheux ombrage de
    ſaincte Chunegonde ſa femme. Mais
    Surius. la Saincte , pleine d'vne genereuſe
    confiance en Dieu , ne s'en eſtonna
    point. Elle s'offrit à marcher à pieds
    nuds ſur des coutres de charruë tout
    eſtincelans de feu.  L'Empereur luy
    permit, & elle y paſſa auec allegreſſe
    & promptitude, ſans en eſtre aucune-
    ment bleſſée.
    Sainct Ioſeph meſme euſt quelque
    ſoupçon de la Vierge Marie Mere de
    Dieu , & auoit déja reſolu de la quit-
    ter.  Mais Dieu luy enuoya vn Ange
    pour l'inſtruire, afin de le mettre hors
    de peine, & la Vierge hors de blâme.
    Num.
    6. 5.
    II.  Confiez-vous que Dieu diſſi-
    pera ce broüillard , moyennant que
    vous ayez vn peu de patience. Dieu
    F ij
    
    124
    La Direction & la Conſolation
    auoit ordonné aux Iuifs vne Eau-be-
    nite , qu'on nommoit l'Eau de Ialou-
    ſie. Le mary qui auoit quelque ſoup-
    ſon de ſa femme le menoit au Preſtre,
    lequel auec de certaines prieres, pre-
    ſentoit cette eau à l'accuſée.  Si elle
    eſtoit ſans crime , l'eau ne luy faiſoit
    aucune incommodité : mais la ren-
    doit feconde. Que ſi elle eſtoit cou-
    pable ſes entrailles pourriſſoient , &
    elle en mouroit.
    Saincte Elizabeth53, Reine d'Hon-
    grie, fut ſuſpecte au Roy ſon mary54: à
    cauſe des particuliers témoignages
    d'affection , que cette vertueuſe Prin-
    ceſſe montroit à vn de ſes Pages , le-
    Vita
    & An.
    Luſit.
    quel excelloit en pieté par deſſus tous
    les autres. Le Roy piqué d'vne furieu-
    ſe jalouſie , ſe reſolut de faire mourir
    ce Page ; & à cét effect l'enuoye à vn
    ouurier qui cuiſoit de la chaux, à qui
    il auoit commandé de jetter dans ſon
    fourneau ardent le premier qu'il luy
    addreſſeroit. Comme ce Page y alloit
    par l'ordre du Roy, il paſſa proche d'v-
    ne Egliſe , & entẽdant qu'on ſonnoit à
    l'éleuation du ſainct Sacremẽt à la Meſ-
    
    125
    des perſonnes Mariées.
    ſe, il entra dedans, oüit le reſte de la
    Meſſe , & l'autre entiere qui ſui-
    uoit.  Le Roy ſouhaitant auec impa-
    tience de ſçauoir le ſuccez de ſon meſ-
    ſager, enuoye vn autre Page (qui eſtoit
    l'accuſateur de la Reine & de ſon
    compagnon ) à ce faiſeur de chaux,
    pour luy demander s'il auoit executé
    ſes ordres.  Il n'y fut pas pluſtoſt
    arriué que le Chaufournier l'empoi-
    gne, & nonobſtant toutes reſiſtances
    le jette dans ſon fourneau , ſur la
    creance que c'eſtoit celuy dont le Roy
    luy auoit parlé. Peu de temps apres le
    Page vertueux qui eſtoit deſigné à ce
    ſupplice vint à cét ouurier , & luy de-
    mande s'il auoit obey au Roy.  Il reſ-
    pond , qu'il auoit fait auec fidelité ce
    qui luy auoit eſté commandé , & que
    le Page eſtoit reduit en cendres.  Le
    Roy ayant ouy ce rapport par celuy-
    meſme qu'il vouloit perdre , admira
    les iugemens de Dieu, & le ſoin qu'il
    prend de la vie & de la reputation de
    ſes ſeruiteurs & de ſes ſeruantes.  Il
    honora la Reine plus que iamais , &
    careſſa ce Page, qui auoit eſté déliuré
    F iij
    
    126
    La Direction & la Conſolation
    de cét extreme peril par ſa pieté. Eſpe-
    rez les meſmes aſſiſtances du Ciel , ſi
    vous auez la meſme vertu en terre.
    III.  Conſiderez attentiuement
    d'où voſtre mary prend occaſion de
    vous tenir pour vne libertine, & vne
    débauchée.  Iettez vne œillade ſur
    toutes les cauſes qui luy peuuent don-
    ner quelque pretexte.
    1.  Si ce ſont de trop frequens en-
    tretiens auec quelqu'vn de vos do-
    meſtiques , de vos parens & de vos
    voiſns, il faut neceſſairement les re-
    trancher, pour innocens & pour vti-
    les à la famille qu'ils puiſſent eſtre.
    Rien ne vous doit eſtre plus cher que
    voſtre repos & celuy de voſtre mary.
    Cette maladie de Ialouſie ne peut ſe
    guerir, tandis que les ſujets de l'om-
    Plu-
    tarch.

    in Ar-
    tax.55
    brage demeurent.
    Les Perſans eſtoient ſi ſoupçon-
    neux , qu'ils faiſoient mourir , non
    ſeulement ceux qui touchoient & qui
    careſſoient vne des Concubines du
    Roy, mais auſſi ceux qui s'en appro-
    choient lors qu'elle paſſoit par la ruë.
    Vous voyez combien grande eſt la ma-
    
    127
    des perſonnes Mariées.
    ladie de la Ialouſie , & le ſoin qu'il
    faut apporter pour l'euiter, & pour la
    guerir.
    2.  Ne permettez iamais aucune fa-
    miliarité à perſonne, en ſe joüant au-
    prés de vous, en raillant, en vous ma-
    naint les mains, ou vſant d'autres pri-
    uautez bien qu'innocentes.
    Ruel-
    lius
    l.
    13.cap.
    143.
    L'herbe qu'on appelle Touſiours
    viuante
    , eſt tres belle à voir, eſtant
    touſiours verdoyante.  Si quelqu'vn
    la veut toucher, elle reſſerre incon-
    tinent ſes feüilles , & les cache
    ſous ſes petites branches : Que ſi on
    la touche, elle ſe fleſtrit auſſi-toſt, &
    paroiſt comme morte : Si l'on en
    retire la main, elle reprend ſa nouuelle
    vigueur.
    Toutes les careſſes ſont perilleu-
    ſes, & peuuent donner de iuſtes crain-
    tes, que d'vne petite eſtincelle ne ſorte
    vn grand incendie.
    3.  Si voſtre mary ne trouue pas
    bon , que vous ſortiez ſouuent du lo-
    gis pour aller en compagnie, pour aſ-
    ſiſter au bal, pour prendre d'autres re-
    creations : réjoüiſſez-vous de cette
    F iiij
    
    128
    La Direction & la Conſolation
    contrainte, qui vous retranche beau-
    coup de ſujets de diſtractions & de diſ-
    ſipations de voſtre deuotion.
    Combien de Sainctes Martyres
    ont eſté renfermées dans les priſons,
    & y ont receu de ſignalées faueurs de
    Dieu. Saincte Archelas & ſaincte Priſ-
    que
    y furent viſitées par les Anges, &
    y ſentirent de tres-grandes tendreſſes
    de pieté. Saincte Barbe y fut reſſerrée
    long-temps par ſon propre Pere , &
    renforcée par les faueurs du Ciel. Dieu
    ne vous manquera iamais , ſi vous
    vous jettez entre ſes bras.
    4.  Moderez la ſomptuoſité de vos
    habits,paroiſſant moins vaine vous pa-
    roiſtrez plus chaſte.  Les habits ſom-
    ptueux & mols , diſoit l'Empereur Au-
    guſte
    , ſont l'eſtendart de l'orgueil , &
    le nid de la luxure.
    Les Hebreux ſe ſeruent du meſme
    mot , Ada , pour ſignifier ornement ;
    & pour ſignifier recherche des delices.
    Il eſt difficile de tenir la mediocrité
    dans les ornemens, & de ne ſe point
    laiſſer emporter à l'excez & au vice. S.
    Chryſoſtome
    aſſeure, que de l'ornemẽt
    
    129
    des perſonnes Mariées.
    Homil.
    4. in
    Geneſ.
    des habits ſuit vne infinité de maux.
    C'eſt, dit-il, vne ſource d'arrogance, du
    mespris du Prochain, de la corruption
    des ames, & l'allumette de la volupté
    .
    Sainct Cyprien eſt encore plus ri-
    S. Cyp.
    lib. de
    habit.
    Virg.56
    goureux , & parle contre le luxe des
    habits en ces termes. L'eſclat des ha-
    bits & de leurs ornemens, joint au fard
    du viſage, ne conuient qu'à des femmes
    proſtituées & impudiques , & nous
    voyons que pas vne ne ſe pare auec
    plus de ſoin que celles qui ont perdu la
    honte. Celles qui s'habillent de ſoye &
    de pourpre, au deſſus de leur condition,
    ne peuuent ſe reueſtir de Ieſus-Chriſt.
    Celles qui s'ornent d'or, de pierres pre-
    cieuſes, & de carquans57, ont perdu l'or-
    nement du cœur & du corps
    .  Iuſques
    icy ſainct Cyprien.
    Vous voyez qu'il eſt neceſſaire d'ô-
    ter à voſtre mary , qui a déja l'eſprit
    bleſſé, cette occaſion de maintenir ſes
    penſées contre vous.
    5.  Ne vous efforcez point de pa-
    roiſtre belle dans les aſſemblées , en
    vous fardant, de peur que voſtre mary
    n'en fortifie ſes ombrages, & ne s'ima-
    F v
    
    130
    La Direction & la Conſolation
    gine que vous voulez vous captiuer le
    cœur de quelqu'vn par cette beauté re-
    cherchée. Socrate diſoit, que la beauté
    eſt vne tyrannie.  Platon eſcrit, qu'elle
    domine ſur la nature. Theophraſte l'ap-
    pelle vne tromperie cachée.  Theocrite,
    vn dommage d'yuoire.  Carneide, vn
    Royaume ſans ſatellites.
    Pour cette raiſon , vn Ancien ne
    conſeilloit pas à vn ieune homme de
    ſe marier. Si, luy diſoit-il, ta femme
    eſt laide , tu ſeras touſiours dans vn
    dégouſt. Si elle eſt belle, elle ſera com-
    mune à d'autres.
    Cela n'eſt point veritable vniuer-
    ſellement. Mais voſtre mary ayant dé-
    ja des penſées flottantes, ſera plus agi-
    té , s'il voit que vous faſſiez la jolie &
    la complaiſante.
    6.  Sur tout, qu'il n'y ait rien de
    trop découuert en voſtre ſein, & en
    voſtre coïffure.  C. Supitius repudia
    ſa femme dans Rome , parce qu'elle
    eſtoit ſortie de ſa maiſon ayant la teſte
    découuerte. La loy, dit-il,t'oblige de ne
    t'orner que pour plaire à mes yeux.
    Tu te deuois attifer ſeulement pour
     131 des perſonnes Mariées. eux, & non pas pour les yeux d'au-
    truy.
    En Arabie & en Syrie , les fem-
    Beſſon. mes marchent encore aujourd'huy par
    la ruë ſi bien voilées, qu'elle ne ſe re-
    ſeruent qu'vne ouuerture pour l'vn de
    leurs yeux.
    Iſaie.
    3. 16.
    Dieu ſe faſche, de ce que les filles
    & les femmes de Ieruſalem mar-
    choient ayant le ſein découuert.  Et
    pour cette raiſon, il les menace de les
    faire tomber entre les mains des bar-
    bares, qui les dépoüilleroient, les des-
    honoreroient , & leur feroient ſouffrir
    de tres-grandes indignitez & incom-
    moditez.
    Il les compare aux Lamies , leſ-
    quelles eſtoient des beſtes farouſches
    dans l'Afrique , qui auoient des viſa-
    ges de femmes, & des mammelles d'v-
    ne ſi rauiſſante beauté, qu'en les mon-
    trant elles en charmoient les moins
    aduiſez des hommes , & les deuo-
    roient. Le reſte de leurs corps eſtoit
    chargé d'eſcailles fort dures. Elles ne
    parloient point, mais jettoient vn ſif-
    flement tel que les dragons.
    F vj
    
    132
    La Direction & la Conſolation
    7.  Moderez vos œillades : & ne
    ſouſriez iamais à des jeunes gens, qui
    peuuent donner du ſoupçon.  Les
    yeux ſont les guides de l'amour, & la
    porte par où elle entre au cœur. Iere-
    mie
    , parlant en la perſonne des habi-
    tans de Ieruſalem, que Dieu auoit pu-
    nis pour leurs pechez, & ſpecialement
    Threr.
    3. 51.58
    pour leur luxure , dit.  Mon œil a
    dérobé & pillé mon ame
    .  Il mon-
    tre qu'vne ſeule œillade peut faire ce
    larcin.
    Sainct Gregoire aſſeure , qu'il
    In Job.
    31.
    n'eſt nulle vertu ſi heroïque, à qui ne
    nuiſe la liberté des œillades , & qui
    n'en ſente des reuoltes en ſon Appetit
    inferieur. C'eſt pourquoy Iob aſſeure,
    qu'il auoit fait vn accord auec ſes
    yeux, de ne point regarder les filles, de
    peur que ces regards ne luy engendraſ-
    ſent des penſées peu chaſtes.
    Les yeux charment facilement le
    cœur.  Vn ieune homme fut telle-
    ment pris par la beauté & l'eſclat des
    yeux d'vne ſaincte Vierge , qu'il ne
    ceſſoit de l'importuner & de la ſolliciter.
    Mais cette ame noble & genereuſe ,
    
    133
    des perſonnes Mariées.
    ayant appris la cauſe de ſon amour,
    s'arracha les deux yeux & les luy en-
    uoya dans vn plat , & par ſon ſang,
    eſteignit le braſier qui conſumoit ce
    ieune eſuenté, & le guerit de ſa folle
    paſſion.
    8.  Ne vous ſeruez iamais de pou-
    dre de ſenteur , ſi voſtre mary ne le
    trouue pas bon. Cela peut donner pri-
    ſe à vn eſprit qui eſt déja alteré.  Vne
    femme qui ſe parfume ſans raiſon, eſt
    ſouuent vn pigeon muſqué , qui va à
    la chaſſe, & attire les autres pour les
    captiuer.
    La Panthere eſt vn beau Symbole
    Æliã
    lib. 5.
    c. 40.59
    de ces affetées, qui ſe parent d'habits
    recherchez , & qui s'embaume de
    parfums. Cét animal attrape les au-
    tres de cette ſorte.  Il cache ſa teſte
    dans quelque buiſſon de peur de les
    eſpouuanter. Les beſtes ſauuages ſen-
    tant la bonne odeur qui ſort de ſon
    corps, s'en approchent & s'arreſtent,
    afin de regarder à loiſir ſa belle peau.
    La Panthere ſe leue alors de ſon em-
    buſcade, en attrape quelques-vnes, &
    les deuore.
    
    134
    La Direction & la Conſolation
    Contentez-vous de l'odeur de vos
    vertus, & elle vous rendra agreable au
    Ciel, à vos domeſtiques, à vos parens,
    & ſur tout à voſtre mary , dont vous
    2. Cor.
    2. 15.
    deuez preferer l'amour & le contente-
    ment à tous les autres auantages, & à
    toutes vos autres ſatisfactions.  Nous
    ſommes la bonne odeur de Ieſus-Chriſt
    ,
    dit ſainct Paul.
    Dieu a ſouuent fait, que les corps mé-
    mes de ſes Saincts rendiſſent vne bõne
    odeur , pour montrer combien leurs
    ames luy plaiſoient.  Les corps des
    Sainctes Vierges Vlphie & Marguerite
    d'Hongrie
    rendent vne tres - ſoüeue
    odeur. Et ce qui eſt plus merueilleux,
    celuy de ſaincte Aldegonde ſentoit
    fort bon , huict cens ans apres ſa
    mort.
    Concluez de tout ce diſcours , que
    vous deuez vſer de quelque contrainte
    dans voſtre conduite , iuſqu'à ce que
    tous les nuages ſoient diſſipez , &
    qu'vn beau iour eſclaire l'eſprit de vô-
    tre mary.  Si par vne molleſſe peu to-
    lerable , vous ne voulez rien ceder de
    vos droicts pretendus , ny de vos di-
    
    135
    des perſonnes Mariées.
    uertiſſemens qui choquent , vous
    vous jettez dans vn euident peril d'é-
    galer voſtre miſere à voſtre vie.
    §.  II.  Aduis au mary , qui eſt
    poſſedé de Ialouſie.
    I.  Meſpriſez pour l'ordinaire les
    Rapporteurs , s'il n'y a vn ſujet tres-
    notable de ſoupçonner , & ſi leur rap-
    port n'a des probabilitez fort ſenſibles.
    Souuent le demon ſuſcite ces pertur-
    bateurs du repos des familles, pour les
    renuerſer entierement , ou au moins
    pour les remplir de fiel & d'amertu-
    me.  Souuent vne ſecrette vengean-
    ce, vn intereſt couuert, vne maligni-
    té diſſimulée , vne legereté trop cre-
    dule , vne precipitation temeraire &
    peu Chreſtienne, ouurent la bouche à
    ces boutefeux.
    II.  S'il y a quelque ſujet raiſon-
    nable , & que les aduis vous ſoient
    donnez par diuerſes perſonnes deſin-
    tereſſées, dignes de foy , & qui n'ont
    eu nulle priſe auec voſtre femme : eſ-
    clairciſſez - vous prudemment de la
    verité.  Ne precipitez rien dans vne
    matiere de la derniere importance.
    
    136
    La Direction & la Conſolation
    Ne declarez pas vos craintes à per-
    ſonne , qu'apres vne meure delibera-
    tion.  Alors ſi le mal vous oppreſſe
    trop le cœur, & que vous ayez vn amy
    ou vn parent ſage, âgé & ſecret , vous
    pourrez décharger dans ſon ſein voſtre
    affliction.  Cette ouuerture , & cette
    décharge de penſées, ne ſeruiront pas
    peu à voſtre gueriſon.
    III.  Conſiderez vous comme vn
    malade, & ne croyez point facilement
    aux phantoſmes qui vous paſſent par
    l'imagination.  Tout paroiſt jaune à
    des yeux qui ont la jauniſſe : & rouge
    à ceux qui regardent par vn verre qui
    eſt peint en rouge.  Vne perſonne
    craintiue qui marche la nuict, croid
    ſouuent voir des eſprits & des ſoldats
    ennemis , quoy qu'il n'y ait rien de
    reel ſinon ſa frayeur.
    IV.  Peſez ſerieuſement les grands
    malheurs qui trauerſeront toute voſtre
    famille : ſi vous vous laiſſez poſſeder &
    gourmander par cette noire Paſſion,
    qui augmente touſiours auec le temps;
    qui fait tous les iours vne nuée plus
    eſpaiſſe, & qui enfin éclate ſouuent
    
    137
    des perſonnes Mariées.
    en tonnerres & en foudres , qui
    conſument & perdent tout. L'hiſtoi-
    re de ſainct Iulien l'Hoſpitalier vous
    doit tenir dans la reſerue, meſme aux
    crimes, qui ſemblent tous euidens.
    En ſon abſence, ſon pere & ſa me-
    S. An-
    ton.
    Bollãd.
    in I an.60
    re vinrent en ſon logis pour le viſiter
    par honneur.  Sa femme leur témoi-
    gna toute la charité poſſible, & par ci-
    uilité les fit coucher dans ſon propre
    lict.  Le lendemain elle s'en va à l'E-
    gliſe, laiſſant ces bonnes gens haraſſez
    encore au lict.  Iulien arriue ſur ces
    entrefaites , & à l'entrée de ſa maiſon
    court à ſon lict , pour donner le bon
    iour à ſa femme. Il fut fort ſurpris d'y
    voir vn homme & vne femme , & in-
    continent,la chambre eſtant dans l'ob-
    ſcurité , il ſe perſuade que c'eſtoit ſa
    femme auec vn adultere. Piqué d'vne
    furieuſe jalouſie , & tranſporté de co-
    lere, il les tuë tous deux ſur le champ,
    & ſort de ſon logs tout hors de ſoy. A
    la ſortie il rencontre dans la ruë ſa
    femme qui retournoit de ſes deuo-
    tions. Iamais homme ne fut plus eſton-
    né.  Il s'informe de tout , & apprend
    
    138
    La Direction & la Conſolation
    qu'il auoit malheureuſement maſſacré
    ſon pere & ſa mere. Ce malheur luy
    cauſa des douleurs inconceuables :
    mais elles ne rendirent point la vie aux
    morts. Il ſe reſolut à vne tres-auſtere
    penitence. A cét effect il fit baſtir vn
    Hoſpital , & y ſeruit les pauures iuſ-
    ques à la mort. Sa femme ne ſe vou-
    lut point ſeparer de luy , & luy tint
    touſiours compagnie dans ſes bonnes
    œuures.  Les auſteritez de Iulien fu-
    rent ſi heroïques , & ſa Charité ſi em-
    braſée , qu'vn Ange luy apparuſt , &
    l'aſſeura que ſon peché luy eſtoit par-
    donné.
    Vous voyez dans quelles miſeres
    precipite la trop grande credulité & la
    precipitation. Neantmoins, qui n'au-
    roit eſté ſurpris dans cét accident ſi
    palpable, ou le crime ſembloit ſe tou-
    cher au doigt.  Sans doute tous y ſe-
    roient trompez : ſinon ceux qui ſup-
    poſent que pluſieurs choſes ſe trou-
    uent fauſſes auec le temps, qui paroiſ-
    ſoient à nos yeux malades, auſſi claires
    que le Soleil dans ſon midy.
    I'adjouſteray vn aduis d'impor-
    
    139
    des perſonnes Mariées.
    tance , pour ceux qui ne ſont point
    encore engagez dans le Mariage. S'ils
    ſont déja auancez en âge , ils ne doi-
    uent iamais prendre pour femme vne
    jeune fille.  La jeuneſſe ne peut s'em-
    peſcher de certaines gaillardiſes , en-
    tremeſlées de legereté, & cherche pour
    l'ordinaire ſes ſemblables , pour vn
    peu rire plus librement.  Vn vieillard
    qui eſt déja chagrin , & qui ſçait plu-
    ſieurs cheutes des vnes & des autres
    interprete tout en mal. Il croit facile-
    ment qu'il eſt mépriſé , n'ayant pas
    tous les attraits & toutes les mignardi-
    ſes qu'vne ieune femme deſireroit.
    Que s'il vient à faire éclater ſes ſoup-
    çons, toute la maiſon ſe renuerſe, &
    ſe change en vne continuelle priſon,
    remplie de pleurs, de querelles, & de
    maledictions.
    Il n'y a toutefois aucune Regle ſi
    generale qui n'ait ſes exceptions. On
    trouue de vertueuſes filles qui ont la
    maturité de la vieilleſſe : & des vieil-
    lards, qui par l'excellence de leur na-
    turel, de leur accortiſe, & de leur ver-
    tu, trouuent plus de joye & de diuer-
    
    140
    La Direction & la Conſolation
    tiſſement à vne jeune femme, que ne
    feroit vn ieune mary. C'eſt donc à la
    prudence de ne rien precipiter, & de
    bien conſierer le choix d'vn bien ou
    d'vn mal, qui doit durer toute la vie.
    bandeau décoratif

    CHAPITRE IV.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , qui a vn Mary débauché
    & peu chaſte
    .

    LA plus ſenſible douleur que puiſ-
    ſe auoir vne femme genereuſe &
    vertueuſe, c'eſt de voir ſon mary dans
    le deſordre de l'impudicité, qui perd
    ſon corps & ſon ame, qui le rend inu-
    tile aux affaires ; qui le fait prodigue
    & diſſipateur du bien de ſes enfans, le
    joüet d'vne ville, & le valet d'vne per-
    duë ; pour en ſuite, rapporter dans ſa
    maiſon des maladies honteuſes & con-
    tagieuſes , & les communiquer aux
    perſonnes innocentes.
    I'aduoüe qu'il eſt tres difficile de
    conſoler & de diriger vne femme qui
    
    141
    des perſonnes Mariées.
    eſt tombée dans ce malheur. Faiſons
    neantmoins ce que nous pourrons.
    §.  I.  Aduis pour la Femme, à qui
    ſon Mary manque de fidelité, en
    ce qui touche le Mariage.
    I.  Conſiderez auec attention quel-
    le eſt la veritable cauſe de la licence ef-
    frenée que ſe donne voſtre mary.  S'il
    eſt celuy qui ſollicite , ou s'il eſt pouſ-
    ſé par quelques effrontées. Si la com-
    pagnie de quelque éuenté l'emporte,
    ou s'il eſt le premier à exciter les au-
    tres.  Si l'ardeur de l'âge le precipite :
    ou ſi vne habitude inueterée le gour-
    mande. Si particulierement vous n'e-
    ſtes point l'occaſion de cette liberté,
    en luy refuſant ce que vous luy deuez;
    en le rebutãt par vos diſcours: en vous
    plaignant trop de ſa conduite; ne vous
    accommodant point à ſes humeurs ;
    vous mettant ſouuent en colere contre
    luy, & faiſant d'autres choſes deſagrea-
    bles ; qui, comme parle Dieu-meſme
    en l'Eſcriture , le chaſſent de voſtre lo-
    gis , ainſi que feroit la fumée.  Oſtez
    la cauſe vous oſterez l'effect. Trauail-
    lez-y par vous-meſme, par vos parens,
    
    142
    La Direction & la Conſolation
    par vos voiſins, par vos amis, par mon-
    ſieur voſtre Curé , ou par quelques
    bons Religieux.
    II.  Interpoſez-y le ſecours du Ciel.
    Car perſonne ne peut eſtre chaſte ſans
    vne particuliere grace de Dieu.  Sans
    la pluye, la terre ne peut produire au-
    cun bon fruict, ny l'homme ſans la
    grace.
    Caſſien en la Conference de Moï-
    ſe Abbé61, dit. Qu'il eſt neceſſaire que
    l'ame ſoit attaquée par l'eſprit de for-
    nication : iuſques à ce qu'elle recon-
    noiſſe, que ces batailles-là ſont au-deſ-
    ſus de ſes forces : & qu'elle ne peut
    obtenir la victoire par aucun ſoin , ny
    par aucun trauail humain : ſi Dieu ne
    l'aſſiſte d'vn ſecours tres-ſingulier &
    tres-efficace.
    III.  Compatiſſez à la violence
    d'vne paſſion, qui dompte les plus va-
    leureux ſoldats de Ieſus-Chriſt , s'ils
    ne ſont continuellement ſur leurs gar-
    des & ſous les armes, comme on a veu
    auec horreur en ſainct Victorin , en
    ſainct Iacques l'Hermite , & en plu-
    ſieurs autres.
    
    143
    des perſonnes Mariées.
    Sainct Hieroſme eſcrit, Que la lu-
    xure ploye meſmes les eſprits , qui
    ſont plus forts que le fer , & qui
    ſemblent plus impenetrables à ſes
    attaques.
    Sainct Auguſtin ſe lamente à la
    De ſin-
    gularet
    Cler.
    veuë de cheutes deplorables.  Com-
    bien d'Eueſques,
    s'eſcrie-t'il , & com-
    bien de Preſtres d'vne ſaincte & tres-
    eminente, apres des victoires tres-ſigna-
    lees pour la confeſſion de la Foy, apres
    auoir fait des miracles admirables, ont
    fait naufrage dans ce gouffre; lors qu'ils
    ſe ſont expoſez aux perils des flots dans
    vn nauire ſi freſle qu'eſt le corps hu-
    main ! Combien de Lions , & combien
    inuincibles a ſurmonté vne delicate foi-
    bleſſe.  Ie veux dire l'impudicité , qui
    eſtant vile & miſerable , fait ſa proye
    des plus grandes Sainctes, & des hom-
    mes les plus renommez
    .
    Samſon , Dauid & Salomon en
    Eccli.
    19.2.
    ſont de funeſtes exemples.  Le vin &
    les femmes
    , dit Dieu, font tomber les
    ſages dans l' Apoſtaſie
    .  Salomon, qui
    3. Reg.
    11.3.62
    auoit plus de ſageſſe que tous les Prin-
    ces de la terre, a eſté ſi fort abruti par
    
    144
    La Direction & la Conſolation
    cette violente Paſſion, qu'il a eu ſept
    cens femmes , & trois cens Concubi-
    nes , qui le gourmanderent ſi impe-
    rieuſement, quelles le firent ſacrifier à
    leur idoles , & leur baſtir des autels &
    des temples.
    Il ſort du feu des os du Lion ſi on
    les entrechoque.  Et Portius Licinius
    dit , Que l'homme & l'amour ne ſont
    point enflammez : mais qu'ils ſont le
    feu & la flamme meſme.  Adonis , le
    Dieu des voluptueux , eſtoit appellé
    par les anciens Hebreux, Thammuz,
    qui ſignifie , incendie , embraſe-
    ment.
    Vn certain Duc de Veniſe prit
    pour ſon Symbole vne Aigle , qui
    eſtoit morduë à la poitrine par vn ſer-
    pent. Il y adjouſta ce mot, Semper ar-
    dentius
    , pour declarer que l'Amour,
    dont vne femmelette l'auoit bleſſé,
    gliſſoit touſiours de plus en plus le
    venin dans ſes veines , & les em-
    brazoit.
    Et de fait , ſainct Gregoire dit,
    In Mo-
    ral.
    qu'auſſi-toſt que le ſerpent infernal
    de la luxure a ietté ſa teſte dans vne
    ame,
    
    145
    des perſonnes Mariées.
    ame, à peine luy permet-il d'auoir vne
    bonne penſée.  Ce vice a des deſirs
    viſqueux & attachans : Car de la ſug-
    geſtion ſuit la penſée, de la penſée ſuit
    l'affection, de l'affection, la delectation,
    de la delectation le conſentement , du
    conſentement l'action , de l'action la
    couſtume, de la couſtume, le deſeſpoir,
    du deſeſpoir la defenſe du peché , de
    cette defenſe la vanterie de ſon crime,
    de la vanterie la damnation
    .
    IV.  Ne deſeſperez iamais de l'a-
    mendement de voſtre mary.  Conti-
    nuez vos prieres, faites dire des Meſſes,
    augmentez vos aumoſnes , ſpeciale-
    ment aux priſonniers , afin que Dieu
    rompe les chaiſnes qui l'attachent. Il
    n'eſt nulle chaiſne de fer ſi forte ,
    que le temps & l'induſtrie ne rom-
    pent.
    Sainct Auguſtin a eſté engagé
    dans ce malheur , peut-eſtre plus
    long-temps que celuy dont vous dé-
    plorez la captiuité ; & aujourd'huy il
    eſt l'vn des plus purs & des plus eſtin-
    Lib.
    Confeſ-
    8.c.5.
    celans Aſtres du Firmament. Ie ſouſpi-
    rois
    , dit-il, lié non par le fer d'autruy,
    G  146 La Direction & la Conſolation mais par ma propre volonté, qui eſtoit
    plus dure que le fer.   Mon ennemy
    tenoit ma volonté , & m'auoit fait vne
    chaiſne dont il m'auoit lié.  Car de la
    volonté peruerſe ſe forme vn deſir dére-
    glé , & de ce deſir déreglé ſe forme vne
    couſtume , & ne reſiſtant point à la
    couſtume , on tombe quaſi dans la ne-
    ceſſité de mal faire
    .
    Ce Sainct perſonnage s'eſt neant-
    moins retiré heureuſement de cét em-
    baras.  Vous pouuez donc raiſonna-
    blement eſperer que par vos prieres,
    par les aduis de vos amis & de vos pa-
    rens , & ſur tout par vn puiſſant ſe-
    cours du Ciel , voſtre mary ſe recon-
    noiſtra , & la fougue de l'âge eſtant
    paſſée, vous contentera d'autant plus,
    que plus il vous deſoblige.
    V.  Ne le tourmentez point auec
    importunité pour ce ſujet, quoy que
    tres-juſte. Prenez voſtre temps lors
    qu'il eſt en bonne humeur.  Voſtre
    prudence & voſtre patience ſurmon-
    teront enfin ſon obſtination. Saincte
    Elizabeth
    , Reine de Portugal , con-
    uertit le Roy ſon mary par ſa charité
    
    147
    des perſonnes Mariées.
    & par ſa longanimité.  Elle careſſoit
    meſme les baſtards qu'il auoit eu par
    ſes amourettes. A la fin cette bonté ſi
    aimable & ſi aimante , toucha le cœur
    du Prince , qui ſe laiſſa vaincre par la
    vertu de ſa femme.
    Zonar. Liuia, femme de l'Empereur Au-
    guſte
    , eſtant interrogée par quelle in-
    duſtrie elle auoit gagné le cœur de ce
    puiſſant Monarque : Elle répondit. En
    m'eſtudiant de connoiſtre tout ce qui
    luy pouuoit donner de la complaiſan-
    ce, le faiſant auec promptitude & auec
    allegreſſe , & diſſimulant ſes amours
    eſtrangeres, comme ſi j'euſſe eſté aueu-
    gle , ſans auoir aucune curioſité ſur
    ſes actions, pour en apprendre les par-
    ticularitez.
    Ce conſeil eſt tres-difficile: mais de
    deux maux il faut touſiours choiſir le
    moindre , ſpecialement s'il ſe peut
    tourner en bien.
    VI.  Meditez qu'anciennement ,
    lors que la pluralité des femmes eſtoit
    permiſe , & qu'vn homme en auoit
    trois ou quatre , & quelquefois dix &
    vingt , & beaucoup davantage : La
    G ij
    
    148
    La Direction & la Conſolation
    condition des femmes, meſme dans
    les ménages bien reglez, eſtoit pire
    que la voſtre.
    Il eſt veritable que l'offenſe de
    Dieu vous doit eſtre plus ſenſible.
    Mais ſondez voſtre cœur, & voyez ſi
    la gloire de Dieu eſt ſon motif, ou vos
    propres intereſts.  Dieu attend auec
    patience la conuerſion de voſtre mary,
    & ſouffre les injures qu'il luy fait, at-
    tendant ſon temps pour le tirer abſo-
    lument à luy.  Ne vous rendez point
    plus difficile , que le Createur & le
    ſouuerain Seigneur du Ciel & de la
    Terre.
    §.  II.   Aduis au mary desbauché,
    & peu chaſte.
    I.  N'allumez point vn braſieur que
    vous ne pourrez eſteindre.  La luxure
    eſt vn feu allumé par les furies , qui
    ne peut eſtre eſteint par toutes les eaux
    de la terre, ny par toutes les forces hu-
    maines.
    Sainct Hieroſme le déplore en ces
    termes.  O luxure, dit-il, feu des en-
    fers, dont la matiere eſt la gourman-
    diſe : les flammes, la colere, les eſtin-
     149 des perſonnes Mariées. celles, les diſcours déprauez, la fumée,
    l'infamie, les cendres, l'impureté, & la
    fin la torture
    .
    De là vient que le demon a de la
    puiſſance ſur ceux qui bruſlent de ſon
    Tob.6
    17.
    feu.  L'Archange Raphaël dit , Que
    cét eſprit tenebreux a vn grand pou-
    uoir ſur ceux qui ne cherchent que
    leur plaiſir, comme les Mulets & les
    Cheuaux qui n'ont point d'entende-
    ment
    .  Et de fait, il eſtouffa les ſept
    maris de Sara femme vertueuſe , &
    fille de Raguel homme craignant
    Dieu.
    Vn autre diable fit mourir vn ieu-
    ne homme , qui vouloit abuſer de
    ſaincte Agnés , mais la Saincte le
    reſſuſcita : & le conuertit à Ieſus-
    Chriſt
    .
    II.  Craignez que la femme que
    vous voyez, & qui vous prouoque au
    peché, paroiſſant dans vne beauté qui
    vous enchante , ne ſoit vn demon qui
    vous trompe ſous cette illuſion.  Ils
    ſe ſont preſentez ſouuent ſous cette
    forme charmante, meſme à des Saincts
    tres-purs & tres eſleuez en vertu :
    G iij
    
    150
    La Direction & la Conſolation
    Vita. comme à ſainct Antoine & à ſainct
    Vvolſtan
    , & quelquefois en ont fait
    tomber dans des abominations preſ-
    que incroyables : Comme ſainct Vi-
    ctorin
    , lequel s'abandonna à vn dia-
    ble qu'il croyoit eſtre vne femme, dont
    il auoit pris la figure.  Il tomba paſ-
    mé & comme mort ; lors que cét en-
    nemy de toute ſaincteté s'éclatant
    de rire, ſe fit paroiſtre pour ce qu'il
    eſtoit.
    III.  Souuenez-vous que l'œil de
    Dieu veille ſur vous en tout lieu & en
    tout temps, & qu'il tien en main ſes
    foudres pour vous punir.
    Orphée appelle le Soleil, l'Oeil de
    la Iuſtice
    . Car il découure les actions
    des hommes durant le iour. Dieu les
    voit, depuis l'Aurore iuſques au ſoir,
    & dans les plus eſpaiſſes tenebres de
    la nuict.  Auſſi ſes yeux , dit l'Eccle-
    Lacleſ.
    23.28.
    ſiaſtique, ſont beaucoup plus brillans
    que ceux du Soleil
    .
    Ce Dieu de lumiere & de pureté
    eſtant vn pur eſprit , & incapable de
    toute ſoüilleure, il a vne extreme hor-
    reur de la luxure. Ce vice, eſcrit ſainct
    
    151
    des perſonnes Mariées.
    Auguſtin, eſt ennemy de Dieu, & en-
    De
    Doctr.
    Chriſt.
    nemy de toutes les vertus.  Il perd
    toute la ſubſtance de l'homme, & cha-
    toüillant preſentement par vn execra-
    ble plaiſir, ne permet point qu'on iette
    les yeux ſur la pauureté future
    .
    Dieu témoigne l'horreur qu'il a
    de cette brutalité par des punitions
    exemplaires , qui ſont capables de
    faire glacer le ſang dans les veines à vn
    eſprit bien-fait ; & à refroidir les
    boüillons des Paſſions les plus allu-
    mées.
    Apres quarante ans d'vn penible
    exil dans le deſert, les Iſraëlites, peu-
    ple choiſi de Dieu entre tous ceux de
    l'Vniuers , eſtoient arriuez fort pro-
    ches de la terre promiſe, qui eſtoit la
    Figure du Paradis.  Balac , Roy des
    Moabites63, incité par le faux Prophete
    Balaan , fit richement orner les plus
    belles filles de ſon Royaume , auec
    celles du Royaume de Madian, & les
    expoſa à leur volonté. Ce peuple char-
    nel ſe laiſſa ſurprendre en ces filets, &
    offenſa ſon Createur.
    Quelle punition en attendez-
    G iiij
    
    152
    La Direction & la Conſolation
    vous.  Dieu fit pendre vne quantité
    des plus remarquables de ſon peuple,
    & en tua vingt-quatre mille , & en
    ſuite ordonna que l'on mit au fil de
    l'eſpée tous les hommes & tous les en-
    fans maſles des Madianites , & toutes
    les femmes qui auoient eu commerce
    auec les hommes , ſans rien du tout
    reſeruer que les filles vierges.  Que
    dites-vous à ce regard ? l'effroy ne
    vous ſurprend-il point dans la penſée
    de vos crimes ? Soyez certain, ou que
    vous vous amanderez bien toſt ou que
    vous ſerez grieuement chaſſé par la
    toute-puiſſante main de Dieu.
    IV.   Souuenez-vous de la Foy que
    vous auez iurée au pied des Autels, &
    à la face de toute l'Egliſe.  Vous ſça-
    uez que les parjures ſont l'execration
    de toutes les nations de la terre , &
    que le Ciel les a foudroyez ſouuente-
    Impri-
    mé au
    Pont à
    Mouſ-
    ſon ,
    chez
    Guille-
    ré.
    fois , les puniſſant dans vne extreme
    ſeuerité. Vous en auez pluſieurs exemp-
    ples , dans vn Traicté que i'ay compo-
    ſé contre les blaſphemateurs & contre
    les jureurs. Ie l'ay inſcript : Dieu ven-
    geur & ennemy des Blaſphemes , des
     153 des perſonnes Mariées. Iuremens , des Maledictions , & des
    Imprecations
    .
    V.  Meditez , que l'Adultere eſt vn
    peché beaucoup plus notable qu'vne
    ſimple fornication , que tous les Roy-
    aumes & toutes les Republiques en
    ont eu vne tres-grande auerſion , &
    que pluſieurs ont condamné à mort
    ceux qui ſe ſont ſalis de ce crime abo-
    minable qui trouble les familles , les
    Soldat
    gene-
    reux ,
    impri-
    mé au
    Pont.
    Villes & les Royaumes.  Liſez ce que
    i'en rapporte au Liure que i'ay fait
    pour les Soldats.
    VI.  Penſez qu'apres vn peu de miel
    acheté bien cherement , vous trouu-
    erez beaucoup de fiel dans vos delices
    Eccleſ.
    7.27.
    pretenduës. I'ay trouué , dit Salomon,
    la femme plus amere que la mort. Elle
    eſt vn lacet des chaſſeurs , & ſon cœur
    eſt vne naſſe de peſcheurs
    .  Ce Prince
    en pouuoit parler comme ſçauant , en
    ayant eſprouué toutes les mignardiſes
    & toutes les delices.
    In
    epiſt.64
    O ! s'eſcrie ſainct Hieroſme , que
    le fruict de la luxure eſt amer , & dé-
    gouſtant.  Il a plus d'amertume que
    le fiel, & eſt plus cruel que le glaiue.
    G v
    
    154
    La Direction & la Conſolation
    La luxure, dit ſainct Ambroiſe, eſt
    De
    Abel et
    Cain.
    vn cruel aiguillon des vices , qui ne
    donne aucun repos à l'eſprit. Il boult
    la nuict , & eſt touſiours aux recher-
    ches douloureuſes durant le iour.
    Boëce eſcrit, que l'aiguillon de la
    De
    Schol.
    diſcipl.
    luxure d'vne femme débauchée eſt l'ai-
    guillon d'vn Scorpion.  Il pique à
    l'improuiſte , & cauſe la mort , lors
    qu'on y penſe le moins.
    VII.  Iettez les yeux ſur voſtre
    femme , ſur vos enfans , ſur vos ſer-
    uiteurs, ſur vos ſeruantes, ſur vos pa-
    rens, & ſur toute voſtre famille , que
    vous affligez & que vous ruinez.
    Les Docteurs des Hebreux diſent:
    Que lors que le Roy Salomon s'aban-
    donna à l'impudicité, il fut depoſſedé
    de ſon Throſne par Aſmodée. Et que
    ce demon qui preſide à l'impureté ſe
    portoit pour Roy , & paſſoit pour tel
    dans l'eſprit du peuple , trompé par
    l'illuſion de ſes ornemens. Il donnoit
    tous les ordres, & ſe faiſoit obeïr exa-
    ctement & ponctuellement.
    Si ces Rabins ne parlent que par
    Symbole , il faut renuoyer leur hiſtoi-
    
    155
    des perſonnes Mariées.
    re au nombre des fables. Mais il eſt
    veritable , qu'où ſe rencontre la lu-
    bricité , le diable domine & fait d'é-
    tranges rauages.
    Philopator Roy d'Egypte, paſſoit
    Iuſtin.
    l. 29.
    & 30
    les nuicts entieres dans ſes ordures
    auec vne vilaine , nommée Agatho-
    clée
    , & les iours en des feſtins dére-
    glez. Auſſi tua t'il ſon pere, ſa mere,
    ſa ſœur, & ſa femme.
    VIII.  Ne craignez - vous point
    que voſtre femme vous imite , & que
    vos enfans ſuiuent vos pas? leur con-
    ſeilleriez-vous , & leur permettriez-
    vous ce que vous faites ?
    Mais auec quelle raiſon pourriez-
    vous les punir, en ce que vous leur en-
    ſeignez , & à quoy vous les pouſſez,
    par vos deſordres & déreglemens.
    Comme vn Roy qui ſe plaiſt aux
    ſciences, ou à la Muſique, ou à quel-
    que art particulier, fait pluſieurs hom-
    mes doctes , excellens Muſiciens , &
    bons Artiſans : & vn qui eſt addonné
    au jeu & à l'auarice , les fait joüeurs
    & concuſſionnaires.  De meſme vn
    mary voluptueux , rend vne femme
    G vj
    
    156
    La Direction & la Conſolation
    & des enfans amateurs de la vo-
    lupté. Et vn qui eſt ſobre & chaſte,
    leur perſuade la ſobrieté & la cha-
    ſteté.
    IX.  Ouurez les yeux , & con-
    templez la ſplendeur des ames pures
    & chaſtes.  La Chaſteté, dit ſainct
    Cyprien
    , eſt l'honneur des corps, l'or-
    De bo-
    no vi-
    duit. 65
    nement des mœurs , la ſaincteté des
    ſexes, le lieu de la pudeur , la paix
    de la maiſon , & la ſource de la
    concorde
    .
    X.  Si vous ne vous amendez, la lu-
    xure vous aueuglera & rendra inutile
    à tout bien : & meſme aux affaires de
    voſtre meſnage.  Le Roy Sedecias fut
    Hier.
    in E-
    zech.
    aueuglé en Reblata , ou Deblata , ce
    que ſainct Hieroſme accommode à
    noſtre propos.66 Deblata ſignifie vn ca-
    bat67 de figues. Apres vne feinte dou-
    ceur
    , eſcrit ce Sainct, les luxurieux
    ſentent l'amertume hors de la terre de
    promeſſe. Le Miel coule des levres de
    la femme débordée : Il contente & rem-
    plit pour vn temps la bouche de ceux
    qui en gouſtent.  Mais en ſuite , il ſe
    trouue plus amer que le fiel, & que les
     157 des perſonnes Mariées. figues ameres que le Prophete Ezechiel
    apperceut
    .
    XI.  Ne voyez-vous pas que par
    vos débauches, vous vous rendez ridi-
    cule à vne ville entiere , qui vous void
    traiſner par vne coquine , & faire à ſon
    gré des actions baſſes & indignes de la
    nobleſſe de voſtre eſprit & de voſtre
    Prou.
    7. 12.
    naiſſance.  Le jeune Fripon, dit le plus
    ſage des hommes68, ſuit vne femme per-
    duë, comme vn bœuf qui eſt mené à la
    boucherie , & comme vn agneau , qui
    ſaute follement, dans l'ignorance qu'on
    le meine aux liens & à la mort
    .
    Pour fort , pour genereux , pour
    victorieux , pour ſçauant que vous
    ſoyez , vous ne laiſſerez pas d'eſtre
    d'autant plus expoſé à la riſée , que
    vous abaiſſerez plus voſtre grandeur, &
    que vous vous laiſſerez maiſtriſer par
    vne perſonne de neant, & ennemie de
    Dieu.
    Sainct Chryſoſtome compare ces
    aueugles à vn Lion deſarmé. Si quel-
    qu'vn
    , dit-il, oſtoit les dents & les on-
    gles à vn Lion grand & genereux , il
    le rendroit difforme, mépriſable, & vn
     158 La Direction & la Conſolation digne objet de la riſée des enfans qui
    le pourroient dompter , encore qu'au
    parauant il eſtonnaſt vn chacun par
    ſon rugiſſement. De meſme les femmes
    libertines ſoumettent au pouuoir des de-
    mons tous ceux qu'elles ont captiuez,
    & les rendent mols , temeraires , impu-
    dens, inſenſez, audacieux , importuns,
    faineants , effrenez , leur donnent vne
    ame baſſe & ſeruile ;  les font inciuils
    & obſtinez : eux qui auparauant ex-
    celloient en force d'eſprit, en douceur &
    en toutes les autres vertus
    .
    XI.69  Quittez cette infame captiui-
    té : Iettez bas vos liens, & ſortez de la
    priſon qui vous tient dans les fers,
    dãs les tenebres, & dans l'ombre de la
    mort. La grace de Dieu ne vous man-
    quera iamais ; il n'y faut adjouſter que
    voſtre volonté & voſtre conſentement.
    Vous auez fait vos chaiſnes, vous les
    pouuez rompre.
    Iean Baptiſte à Porta , prit pour
    ſon Symbole vn Ver à ſoye, qui ſor-
    toit de ſa coquille auec cette inſcri-
    ption.  Et feci , & fregi.  Ie me ſuis
    rendu captif par des liens de ſoye que
    
    159
    des perſonnes Mariées.
    i'ay faits , & ie les rompts, & auec des
    aiſles prends ma liberté.  Il vouloit di-
    re , qu'il quittoit les amourettes où il
    s'eſtoit embaraſſé.
    XII.  Il n'eſt point queſtion de
    ſe tourmenter dans le combat , la vi-
    ctoire ſe donne aux fuyards.  Pour
    I. Cor.
    6. 18.
    cette raiſon, l'Apoſtre70 dit aux Corin-
    thiens71, Fugite fornicationem. Fuyez
    la fornication
    .
    Salomon aduertit dans les Prouer-
    bes
    . Prou.
    5.
    Ne vous amuſez point aux paro-
    les trompeuſes d'vne femme abandon-
    née.  Le Miel decoule de ſes leures,
    & ſa bouche paroiſt nette comme de
    l'huile : mais ſa fin eſt amere comme
    l'abſynthe, & ſa langue eſt aiguë com-
    me vn glaiue à deux trenchans , ses
    pieds courent à la mort , & elle va
    droict aux enfers. Elle ne marche point
    par les ſentiers de la vie: ſa marche eſt
    vague & inconnuë.  Retirez - vous
    d'elle, & ne vous apporchez iamais de
    ſa maiſon
    .  Iuſques icy le ſage Sa-
    lomon
    .
    37.
    De ſin-
    gular.
    Cleric.
    Sainct Auguſtin en parle d'vne
    maniere eſtonnante. Le feu, dit-il,
    
    160
    La Direction & la Conſolation
    ſort de ſon corps, le fer contracte la roüille,
    les Aſpics cauſent la mort.  Et la fem-
    me iette dans l'ame des hommes la peſte
    de la concupiſcence.  Elle s'epanche en
    riſée , elle amollit le cœur par ſes mi-
    gnardiſes ; & ce qui eſt le plus perni-
    cieux & le plus peſtilentiel, elle ſe plaiſt
    aux chants deſordonnez. Il ſeroit moins
    dangereux d'oüir le ſifflement des Baſi-
    lics , que d'ouurir les oreilles au chant
    de ces Sirenes , qui ne delectent que
    pour deuorer
    .
    Les Saincts ont montré par leurs
    actions , la crainte & l'horreur qu'ils
    ont eu de la conuerſation des femmes,
    non ſeulement débordées , mais auſſi
    vertueuſes. Sainct Antoine eſtant prié
    d'aller voir vne femme , quoy que de
    bonne vie, afin de luy rendre la ſanté, il
    le refuſa, & la guerit ſans ſe tranſpor-
    ter en ſon logis.
    Sainct Arſene tança ſi ſeuerement
    vne Dame Romaine , qui eſtoit venuë
    dans le deſert pour le voir, qu'elle en
    tomba malade, comme i'ay dit.
    Nice-
    phor
    . l.
    I.c.37.
    Pior, Religieux de grande vertu,
    eſtant commandé d'aller viſiter ſa
    
    161
    des perſonnes Mariées.
    ſœur, laquelle le demandoit auec vne
    extreme affection , y alla.  Mais il
    ferma ſes yeux tandis qu'il fut auec
    elle, & ne la vid point.
    Ie ne vous pouſſe point à ces ex-
    cez, & voſtre condition ne le permet
    pas. Mais ſi ces Saincts ont eu tant de
    reſerue , vous deuez iuger que voſtre
    foibleſſe ſe doit tenir ſur ſes gardes, &
    fuïr prudemment & genereuſement
    les occaſions du mal.
    Dans la guerre, meſme corporelle,
    il eſt ſouuent plus honorable de faire
    vne honneſte retraite , que de liurer
    vne bataille temeraire : Beaucoup plus
    cela eſt-il veritable , en cette guerre
    ſpirituelle, où les ennemis ſont tres-
    forts , tres experimentez & preſque
    touſiours victorieux en quelque cho-
    ſe, ſi l'on ne ſe defend par vne prompte
    & prudente fuite.





    
    162
    La Direction & la Conſolation
    bandeau décoratif

    CHAPITRE V.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    femme , qui eſt mal obeïe par ſes en-
    fans & par ſes ſeruiteurs , ſans
    que ſon mary les maintienne
    dans leur deuoir.

    C'Eſt vn grand malheur, que le
      mary haïſſe ou traite mal ſa
    femme. Mais il eſt notablement plus
    grand & plus inſupportable, lors que
    les enfans, les ſeruiteurs & les ſeruan-
    tes ſe joignent à luy , & ne font nul
    eſtat de ce qu'elle leur commande.
    Voyons ſi nous pourrons tirer du miel
    de la pierre , & du bon heur de cét
    eſtat douloureux.
    §.  I.   Aduis pour la femme bafoüée
    par ſes enfans, & par ſes ſeruiteurs.
    I.  Plus vous vous trouuez re-
    butée de ces creatures, plus vous de-
    uez eſleuer voſtre ame en Dieu. Lors
    qu'on jette auec violence vn balon
    
    163
    des perſonnes Mariées.
    contre vn marbre qui ne le veut point
    receuoir , il ſe leue d'autant plus vers
    le Ciel , qu'il en eſt repouſſé auec vn
    plus grand rebut.
    Entrez dans le Ciel, & conuerſez-
    y comme ſainct Paul , ou faites deſ-
    cendre le Ciel dans voſtre cœur com-
    me ſaincte Catherine de Sienne.  Elle
    y faiſoit vn Autel à noſtre Seigneur, à
    la Vierge, aux Anges & aux Saincts, à
    qui elle auoit plus de deuotion.  Et ſe
    voyant rebutée de ſon Pere, de ſa Me-
    re, des ſeruiteurs & des ſeruantes du
    logis, elle viuoit plus joyeuſe qu'à l'or-
    dinaire.
    Vn Ancien diſoit qu'il n'eſtoit
    iamais moins ſeul, que lors qu'il eſtoit
    ſeul.  Lors que vous conuerſez auec
    les Cherubins , auec les Seraphins , &
    auec Dieu meſme : que vous importe
    d'auoir les Creatures pour compagnes
    ou pour amies ? Tout ce qui eſt en ce
    monde n'eſt qu'vn atome & vn pur
    neant , en comparaiſon du Createur.
    Qui a Dieu pour ſoy , ne doit rien re-
    chercher dauantage.
    II.  Rien ne vous nuira , ſi vous
    
    164
    La Direction & la Conſolation
    jettez voſtre confiance en Dieu.  Le
    Prophete Daniel eſtoit au milieu des
    Lions auec vn extreme plaiſir, n'en re-
    ceuant que des careſſes.
    In
    epiſt.
    Sainct Ignace le Martyr ne deſi-
    roit rien plus ardemment, que d'eſtre
    expoſé aux Lions dans l'Amphitheatre
    Romain , non pas pour en eſtre ca-
    reſſé, mais pour en eſtre déchiré & de-
    uoré.  Par ce moyen , diſoit-il, ie ſe-
    ray vn pain digne d'eſtre preſenté à la
    table de mon Dieu.  Il proteſtoit hau-
    tement, que ſi ces animaux cruels ne
    ſe ruoient ſur luy, il les agaceroit, afin
    d'exciter leur rage.
    Ne donnez point de ſujet à vos
    enfans, ny à vos ſeruiteurs & ſeruan-
    tes de vous offenſer, car vous ſeriez
    cauſe qu'ils pecheroient auſſi contre
    Dieu.  Mais s'ils pouuoient vous de-
    ſobliger ſans aucun peché, leurs fautes
    vous ſeroient tres-ſouhaitables , &
    vous mettroient dans vn eſtat, ou vô-
    tre vertu ſeroit plus maſle & plus ac-
    complie , par la force de cœur , que
    Dieu ne manquera point de vous don-
    ner, ſi vous la luy demandez.
    
    165
    des perſonnes Mariées.
    La Palme ſe leue en haut , lors
    qu'on la charge de quelque poids. Et
    vne ame courageuſe ſe guinde vers ſon
    principe qui eſt Dieu , lors qu'on la
    veut plus accabler.
    Si toute voſtre maiſon eſt dans le
    deſordre, efforcez-vous de recompen-
    ſer ce defaut par vos vertus , & de re-
    ceuoir en voſtre ame ſeule toutes les
    graces que les autres perdent par leur
    faute. Strabon eſcrit , qu'vne certaine
    Lib.13.72 Region n'auoit aucun arbre : & que
    toute la campagne n'eſtoit que cen-
    dres, que montagne, & que pierre de
    couleur noire : comme ſi elle auoit eſté
    bruſlée du foudre.  Il n'y auoit qu'vne
    vigne, qui eſtendoit ces branches tres-
    vertes : & portoit de beaux & d'excel-
    lens raiſins.
    Lors qu'vn œil ne reçoit les eſprits
    vitaux, l'autre en reçoit dauantage: &
    voit plus clair qu'auparauant, s'il s'eſt
    conſerué ſain & entier.
    III. De plus, ſoyez tres certaine; que
    ſi vous auez du courage & de la pati-
    ence, voſtre vertu rendra vne ſi bonne
    
    166
    La Direction & la Conſolation
    odeur; que tous, enfin vous aimeront
    & vous honoreront.
    Si l'on plante la Roſe, au milieu des
    Petra
    Sãcta.
    aulx & des oignõs,elle a vne plus douce
    odeur & vne plus viue & plus agreable
    couleur.  Pour cette raiſon, le Comte
    Hieroſme Fallette la dépeignit de la
    ſorte dans ſon Symbole : afin de mon-
    ſtrer que ſa renommée ſeroit d'autant
    plus odoriferante ; que ſes enuieux le
    calomnieroient , auec plus de mali-
    gnité.
    IV.   Conſiderez, s'il n'y a point de
    voſtre faute à cauſe, de voſtre mau-
    uaiſe humeur ; de vos paroles ai-
    gres & faſcheuſes : de voſtre auarice,
    qui nourrit mal vos domeſtiques: des
    rapports trop frequens , dont voſtre
    Mary ſe laſſe: de voſtre delicateſſe, qui
    ſe choque à la moindre choſe : de vo-
    ſtre mauuaiſe conduite , qui ne ſçait
    gagner le cœur à perſonne. Si vous re-
    tranchez ce qui eſt de vicieux en vous;
    vous aurez bien-toſt des autres ce que
    vous deſirez en eux.
    C'eſt vn grand deſordre dit Saint
    
    167
    des perſonnes Mariées.
    Auguſtin, que les Maiſtres & les Mai-
    ſtreſſes veüillent auoir toutes choſes
    bonnes, dans leurs logis, excepté eux.
    Si vous demandez de bons enfans &
    de bons ſeruiteurs, ils vous demandent
    vne bonne Mere & vne bonne Mai-
    ſtreſſe.  Les voulez-vous obeïſſans ?
    obeïſſez bien à Dieu, & à voſtre Mary.
    Voulez vous qu'ils ſoient patiens ?
    ſouffrez quelque choſe de leur âge, &
    de leur inciuilité.  Deſirez vous qu'ils
    ne iurent point? moderez vous de telle
    ſorte, que iamais ils n'entendent ſor-
    tir de voſtre bouche aucune impreca-
    tion ny aucune malediction.
    V. Aymez vos enfans, vos ſeruiteurs
    & vos ſeruãtes : & tout ce qu'ils feront
    vous ſera doux & agreable : ou au
    moins , ſupportable & peu faſcheux.
    Hector Boëce en ſon Hiſtoire d'E-
    coſſe, fait mention d'vne certaine pier-
    re ſpongieuſe : dans laquelle ſi l'on
    verſoit de l'eau ſalée , elle paſſoit au
    trauers: & perdant ſon amertume, de-
    uenoit douce.
    Vn cœur qui aime trouue tout beau
    & tout bon , & excuſe facilement les
    
    168
    La Direction & la Conſolation
    defauts.  Les enfans ſont des enfans :
    & n'ont pas la prudence d'vn âge meur
    & aduancé. Demandez-vous des fruits
    à vn petit arbre, qui à peine a bien pris
    racine ? Vos ſeruiteurs ſont des garçons
    de village , ou de baſſe naiſſance.  Ils
    ont eu vne mauuaiſe education : & ne
    peuuent ſi toſt s'aſſuiettir aux loix de
    la raiſon, & de la vertu. Voudriez-vous
    tirer d'vn arbre ſauuage des fruits auſſi
    doux : que s'il auoit eu vne ſoigneuſe
    culture dans le parterre d'vn Roy.
    VI.  Voſtre Mary conſidere, que la
    douceur attire plus puiſſamment les
    cœurs que la ſeuerité : & fait rendre
    des ſeruices, qui ſont d'vne plus lon-
    gue durée.
    François Marcion, excellent Iuriſ-
    Iuſti-
    nian
    Ge-
    nuenſ.
    lib. 6.
    conſulte & Ambaſſadeur de la Re-
    publique de Genes aupres d'vn Duc de
    Milan, ſe voiant rebuté de ce Prince
    (qui ne vouloit pas garder les articles
    accordez à ſa patrie) luy preſenta vne
    plante d'ocyman qui eſt la dragée aux
    cheuaux. Le Duc admirant ce preſent
    & à quel deſſein il ſe faiſoit , luy en
    demanda l'explication. L'Ambaſſadeur
    luy
    
    169
    des perſonnes Mariées.
    luy reſpondit , cette herbe eſtant ma-
    niée doucement a vne bonne odeur:
    mais ſi on la traitte rudement, elle
    ſent tres-mauuais , & produit des
    ſcorpions. Il adiouſta, que ſes com-
    patriotes eſtoient de meſme nature.
    Le Duc prit tant de plaiſir à cette in-
    uention, qu'il luy accorda ſes deman-
    des : & le renuoia auec honneur.
    Voſtre Mary voudroit bien auoir ſes
    enfans, & ſes ſeruiteurs tres-parfaits.
    C'eſt ſon bien , autant & plus que le
    voſtre. Mais il a peur d'arracher le bon
    grain, s'il arrache trop precipitamment
    l'yvroie.73 La difficulté de trouuer des
    ſeruiteurs laborieux & fidelles le rend
    plus craintif. Car il arriue ſouuent
    qu'en perdant vn ſeruiteur qui n'a
    qu'vn vice: on ouure ſa maiſon, à ceux
    qui en ont pluſieurs.
    Math.
    ii 29.
    Iesvus-Christ eſt l'Agneau , qui
    porte les pechez du monde. Il ſe plaiſt
    à la douceur, & a dit. Apprenez de moy
    que ie ſuis debonnaire & humble de cœur.
    & vous trouuerez le repos de vos ames
    .
    Q. Fabius Maximus remit les
    affaires des Romains en bon eſtat, &
    H
    
    170
    La Direction & la Conſolation
    ſurmonta Annibal par ſa patience.  Il
    fuſt appellé Ouicula : c'eſt à dire, petite
    brebis : à cauſe de ſa douceur & man-
    ſuetude.
    VI.  Si vous gagnez le cœur de
    vos ſeruiteurs, & de vos enfans: vous
    ferez vne famille heureuſe. Ils ſeront
    tous vnis à vous, à voſtre Mary , &
    entr'eux-meſme, par vn commun lien
    de charité : & ne s'en diuiſeront
    iamais.
    S. Auguſtin aſſeure, auoir veu vn
    Lib. 2.
    de ciui.
    Aimant, qui tiroit vn anneau de fer, &
    le tenoit ſuſpendu en l'air : & que cet
    anneau de fer, ayant receu l'influence
    de l'Aimant, en tiroit vn ſecond. Ce
    ſecond en tiroit vn troiſieſme ; le troi-
    ſieſme, vn quatrieſme : & qu'enfin
    il ſe fit vne chaiſne d'anneaux , qui
    n'eſtoient ſouſtenus d'aucun appuy :
    ſinon de la vertu interieure, qu'ils ſe
    communiquoient l'vn à l'autre.
    Vous ferez le meſme dans voſtre
    famille , ſi voſtre charité eſt parfaite.
    Elle ſe gliſſera, ſans bruit, dans le cœur
    de vos domeſtiques: & les enchaiſnera
    ſi puiſſamment, que leurs eſprits non
    
    171
    des perſonnes Mariées.
    ſeulement ne ſe partageront point à
    voſtre ruine: mais feront des merueil-
    les, pour voſtre conſolation & aduan-
    cement.
    P. Catienus Philotimus eſtoit ſi
    Plin.l.
    c. 36.
    fort aimé de ſon Maiſtre : qu'il en fuſt
    fait heritier. Il euſt vn ſi exceſſif amour
    enuers ſon meſme Maiſtre : qu'il ne
    voulut point luy ſuruiure. A ce deſſein,
    il ſe ietta dans le buſcher, où ſon corps
    bruſloit : & s'y conſomma auec luy.
    Valer.
    l.6.c.8.
    Le ſeruiteur de Panopion fit mieux.
    Sur l'aduis qu'il euſt; que l'on venoit
    pour tuer ſon Maiſtre ; il le fit ſortir
    ſecrettement par la porte de la baſſe-
    cour : & s'habillant de ſes habits, ſe
    laiſſa maſſacrer pour luy. Si les voſtres
    vous aiment, ils vous rendront de ſi-
    gnalez ſeruices.
    VI.74 Le plus grand ſecret, pour vous
    faire aimer & ſeruir par vos enfans, par
    vos ſeruiteurs, & vos ſeruantes : c'eſt
    d'auoir ſoin de leur vertu. Preſſez-les
    doucement à frequenter les Sermons,
    à ſe Confeſſer & Communier ſouuent,
    à aſſiſter aux Meſſes de voſtre Paroiſſe,
    & aux Veſpres : à faire quelque lecture
    H ij
    
    172
    La Direction & la Conſolation
    de liures qui leur ſont propres. Ce leur
    ſeront des Predicateurs iournaliers :
    qui leur diront, pluſieurs fois, ce que
    vous auriez peine de leur dire, vne
    ſeule & qu'ils ne receuroient point
    auec agrément.
    Impr.
    au Põt
    chez
    Guill.
    Impr.
    à Dijon
    chez
    Cha-
    uanée,
    &
    Gran-
    gier.
    I'ay compoſé vn liure exprez, pour
    inſtruire les ſeruiteurs & les ſeruantes:
    & l'ay inſcript, Le bon Seruiteur & la
    bonne Seruante
    . I'en ay fait vn autre,
    pour vos Filles : que i'appelle, Le Mi-
    roir des Vierges
    . Enfin, i'en ay adiouſté
    vn troiſieſme pour vos Garçons : &
    l'ay nomé, Le bon Eſcolier. Vous trou-
    uerez encore beaucoup de choſes, ſur
    ce ſujet, au Traitté que i'ay fait pour le
    menu peuple. Son nom eſt, Le bon Vi-
    gneron , Le bon Laboureur , & le bon
    Artiſan
    .
    Faites lire ces liurets à vos enfans, à
    vos ſeruiteurs, & à vos ſeruantes. Liſez-
    les vous meſme , afin de les pouuoir
    plus facilement & vtilement inſtruire.
    Vous regaignerez bien-toſt auec vſure,
    voſtre argent : ces liures n'eſtant point
    de grand prix.  Si vous ne voulez pas
    debourſer cinq ſols, pour ſauuer voſtre
    
    173
    des perſonnes Mariées.
    famille : n'auez vous pas grand tort de
    vous plaindre de la peine que vous y
    ſouffrez.
    §.  II.  Aduis pour le Mary ; dont la
    Femme eſt meſpriſée par ſes enfans,
    & par ſes ſeruiteurs.
    Quatre motifs vous obligent , de ne
    ſouffrir nulle inſolence de vos dome-
    ſtiques contre voſtre Femme.
    I. La conſideration de voſtre Femme
    eſt tres-puiſſante à cet effet : ſoit pour
    maintenir vos enfans dans leur deuoir:
    ſoit pour luy ſoûmettre vos ſeruiteurs
    & vos ſeruantes.
    Premierement elle vous a donné vos
    enfans : elle les a allaitez : elle les a
    nourris : elle les a inſtruits des leur
    tendre ieuneſſe : elle en a ſupporté la
    fatigue pluſieurs années.  Seroit il
    iuſte de l'affliger, par le don meſme
    qu'elle vous a fait ?
    Si vn arbre vous porte de beaux
    fruits , & vous les met entre les
    mains : eſtimerez - vous iuſte ,
    H iij
    
    174
    La Direction & la Conſolation
    d'en ietter contre ſes branches, pour les
    froiſſer & pour les rompre ?
    Secondement, Dieu veut, que vous
    ſoûmettiez vos ſeruiteurs, & particu-
    lierement vos ſeruantes , à voſtre
    Gen.
    24.
    Femme.  Agar, qui eſtoit la ſeruante
    de Sara Femme d'Abraham , voyant
    qu'elle auoit vn fils, s'enorgueillit : &
    meſpriſa ſa Maiſtreſſe. Sara s'en plai-
    gnit à Abraham : & Abraham conſulta
    Dieu, pour ſçauoir ce qu'il deuoit faire
    dans cette conioncture.  Dieu luy dit,
    Chaſſe la ſeruante , & ſon fils. Vn An-
    Gen.
    16
    ge auoit des-ja auerti Agar de s'humi-
    lier ſoûs ſa Maiſtreſſe.
    II.  La conſideration de vos enfans
    vous oblige de les ſoûmettre à voſtre
    Femme : ſoit qu'elle ſoit leur Mere, ou
    qu'elle ne le ſoit pas. Si vous les main-
    tenez dans leur deſobeïſſance , vous
    leur nuiſez : & vous contreuenez aux
    ordres de Dieu. Il vous commande de
    les chaſtier: afin de les faire ſages. La
    Prou.
    22.
    folie eſt liée au col de l'enfant ( ou
    comme tourne l'Interprete Syriaque75,
    fait enuoler le cœur de l'enfant ) & la
    verge la diſſipe
    .
    
    175
    des perſonnes Mariées.
    cap.23 Et ailleurs. N'eſpargnez point la cor-
    rection à vos enfans. La verge ne les fera
    point mourir. Chaſtiez-les : & vous ſau-
    uerez leurs ames, de l'enfer
    .
    cap.30
    Ieſus Fils de Sirac dit, en l'Eccleſia-
    ſtique
    .  Celuy qui ayme ſon fils, le cha-
    ſtie ſouuent : afin que puis apres il viue
    en paix : & qu'il ne mandie pas ſon
    pain de porte en porte
    .
    Chez les Lacedemoniens76, ſi vn en-
    fant chaſtié par quelque autre, en fai-
    ſoit plainte à ſon Pere ; ce Pere eſtoit
    obligé par les loix de le chaſtier encore
    vn coup : s'il ne vouloit paſſer dans
    l'eſtime de ſes concitoiens , pour vn
    homme laſche.
    L'or a beſoin d'eſtre frappé , pour
    porter la figure de ſon Roy, dit Ben-
    Syra
    en ſes Prouerbes : & le ieune
    homme pour eſtre fait vne belle Ima-
    ge de Dieu.
    Si vous careſſez trop vos enfans,
    vous les eſtoufferez : comme le Singe
    qui tuë ſes petits en les ſerrant trop
    eſtroittement dans ſon ſein, par vn ex-
    cez d'amour & de tendreſſe. Au moins,
    vous les rẽdrez reueſches contre vous-
    H iiij
    
    176
    La Direction & la Conſolation
    meſme : lors que l'âge leur aura au-
    gmenté les forces & le pouuoir : com-
    me il arriue aux poulains indomptez
    qui renuerſent & bleſſent ceux qui
    leur ont eſpargné l'eſcorgée77 & l'éperon.
    III.  La conſideration de vos ſer-
    uiteurs & de vos ſeruantes vous oblige
    de les ſoûmettre à voſtre Femme : au-
    trement, ils font pluſieurs pechez, la
    meſpriſant, en detractant dans le logis
    & dehors , negligeant leurs offices,
    perdant la pluſpart du temps, s'amu-
    ſant à des ieux illicites, à des conuer-
    ſations dangereuſes, à des paroles in-
    ſolentes, & à diuers autres deſordres.
    Vous deuez pouruoir à leur ſalut,
    ou par douceur , en les carreſſant &
    leur faiſant du bien : ou par ſeuerité,
    en vous faſchant contre eux, & en les
    puniſſant. Si nous ſommes obligez, dit
    S. Gregoire , d'aimer nos prochains,
    comme nous meſmes : il s'enſuit, que
    ib
    l .5.
    moral.
    nous deuons nous faſcher contre leurs
    vices : ainſi que contre les noſtres
    .
    Ne croyez point, que la colere ſoit
    vicieuſe : moyennant, qu'elle ſoit bien
    reglée : Au contraire, vne trop grande
    
    177
    des perſonnes Mariées.
    douceur degenereroit en molleſſe &
    en laſcheté : & ſeroit vne offenſe de
    Pſal 4. Dieu. Faſchez vous, dit Dauid, de peur
    que vous ne pechiez
    . Si vous oſtez en-
    Chryſ.
    inMar
    5.
    tierement la colere , eſcrit S. Chryſo-
    ſtome
    , les enſeignemens ne profitent
    de rien: la Iuſtice n'a point de vigueur:
    & les vices ne ſont point reprimez.
    Celuy donc qui ne ſe faſche point,
    lors qu'il eſt neceſſaire, offenſe Dieu.
    Car vne douceur & vne patience deſ-
    raiſonnable ſeme les vices : & les
    nourrit par ſa negligence. De ſorte que
    non ſeulement les meſchans : mais
    auſſi les bons & vertueux ſont incitez
    à mal faire.
    IV.  La conſideration donc de vo-
    ſtre ſalut vous doit mettre la verge en
    main, pour la correction de vos enfans
    & vous faire roidir les bras , pour les
    rendre ſouples & obeïſſans à voſtre
    Femme. Le meſme ſe doit dire, à pro-
    portion , pour la conduite de vos ſer-
    uiteurs & de vos ſeruantes.
    Si vous n'empeſchez efficacement
    leurs imperfections, le pouuant faire,
    vous les approuuez : & vous y parti-
    
    178
    La Direction & la Conſolation
    cipez. Les fautes auſquelles nous ne re-
    ſiſtons pas ,
    dit le Pape Innocent , ont
    noſtre approbation. Car ne point punir
    les meſchans, en ayant le pouuoir, n'eſt
    autre choſe qu'en fomenter la ma-
    lice.  Et celuy la doit auoir vn grand
    ſcrupule, d'eſtre participant des crimes
    qui ne les empeſche point de toute ſa
    puiſſance
    .
    Dieu chaſtie ſeuerement cette mol-
    leſſe : meſme aux plus Illuſtres & aux
    plus vertueux perſonnages. Heli, Sou-
    I. Reg.
    4.
    uerain Iuge & Souuerain Pontife des
    Iuifs, eſtoit fort adonné à la pieté, mais
    ſes enfans eſtoient impies. Il les repre-
    noit trop mollement de leurs crimes,
    & n'en interrompit pas le cours par
    vne authorité abſoluë, & par des cha-
    ſtimens exemplaires. Dieu permit, que
    les Philiſthins ietterent vne armée
    dans ſon païs. Heli enuoia des troupes
    fort nombreuſes, pour les arreſter, &
    pour les combattre. Ophni & Phinees
    ſes deux enfans en furent les Gene-
    raux.  Ils liurent la bataille, & la per-
    dent : ayant laiſſé ſur le champ du
    combat, environ quatre mille ſoldats.
    
    179
    des perſonnes Mariées.
    Ils ne perdent point cœur pour cela.
    Ils enuoient querir l'Arche du Teſta-
    ment : où Dieu reſidoit d'vne maniere
    ſpeciale : & donnoit de merueilleux
    ſecours à ſon peuple. L'abord de l'Ar-
    che releua le courage aux Iſraëlites; &
    eſtonna les Philiſthins.  La deuxieſme
    bataille ſe donne : le combat y eſt ſan-
    glant de part & d'autre. Mais comme
    la vengeance de Dieu pourſuiuoit
    Ophni & Phinées, ils furent tuez tous
    deux : Les Iſraëlites prirent la fuite :
    l'Arche fuſt enleuée par les Barbares &
    infidelles : & trente mille hommes du
    peuple de Dieu reſterent ſur la place.
    Ce n'eſt point aſſez : Heli, qui par
    ſa trop grande indulgence, auoit laiſſé
    viure licentieuſemẽt ſes enfans, oyant
    la deſroute de l'armée, la mort de ſes
    deux fils, la priſe de l'Arche, fuſt ſaiſi
    d'vne telle douleur :  qu'il tomba de
    deſſus ſa chaiſe , & mourut ſoudaine-
    ment s'eſtant rompu le col en cette
    cheute. La Femme de Phinées, au recit
    de toutes ſes funeſtes nouuelles ,
    accoucha d'vn fils auant le temps, &
    mourut de douleur.
    H vj
    
    180
    La Direction & la Conſolation
    Vous voyez , quelle tragedie fuſt
    cauſée : à raiſon qu'Heli auoit toleré
    le vice en ſes enfans.
    Exod.
    22. 29.
    Dieu commandoit, que ſi vn bœuf
    bleſſoit quelqu'vn, auec ſes cornes: &
    que le Maiſtre en eſtant aduerti , ne
    l'empeſchaſt point: il fuſt reſponſable
    du tort qu'il faiſoit.  S'il tuoit quel-
    qu'vn , on faiſoit mourir non ſeule-
    ment le bœuf , mais ſon Maiſtre-
    meſme.
    Vous eſtes coupables de tous les
    maux de vos enfans, ſi vous pouuez les
    empeſcher.  Et ne vous flattez point
    ſur la douceur que la nature exige de
    vous.  Vous deuez exterminer le vice
    en vos enfans, par vne ſeuerité neceſ-
    ſaire.  Que reſpondrez-vous à Dieu,
    qui ordonnoit aux Iuifs, Que ſi vn en-
    fant eſtoit ſi débauché, qu'ils ne peuſ-
    ſent le corriger; les parens le menaſſent
    eux-meſmes aux Iuges pour le faire
    ſupplicier, & vouloi[en]t abſolument que
    les Iuges le condamnaſſent à la mort,
    Deut.
    25.
    pource qu'il n'auoit point obey aux
    commandemens de ſon Pere & de ſa
    Mere.
    
    181
    des perſonnes Mariées.
    Tout le peuple l'aſſommoit à coups
    de pierres: afin que ſa mort ſeruit d'e-
    xemple aux autres. André de Gonza-
    gue , Marquis de Guaſtalle
    , peignit
    vn Scorpion en ſon Symbole, & y mit
    cette Epigraphe , Qui viuens ladit,
    morte meditur
    . Celuy qui bleſſe en
    ſa vie guerit par ſa mort
    .  Le Scor-
    pion tué ſur la playe qu'il a faite, la
    guerit.
    Les punitions remedient aux
    maux, que la meſchanceté des enfans
    & des ſeruiteurs a cauſez dans la fa-
    mille.  Si Dieu s'eſt montré ſi ſeuere
    enuuers les enfans refractaires : ne
    ſoyez pas trop mol en l'education des
    voſtres.  Il vous en ſçauront mauuais
    gré à la fin , & poſſible vous en mau-
    diront , & en tireront vengeance.
    Boëce rapporte78, qu'vn certain San-
    De
    Schol.
    diſcipl.
    guin79, qui n'auoit point eſté corrigé
    par ſon Pere, eſtant condamné a eſtre
    pendu pour ſes crimes , demanda de
    luy parler.  Comme ſon Pere s'ap-
    procha de luy , le fils ſe rua de furie
    ſur ſon viſage , & luy coupa le nez
    auec ſes dents, diſant.  Si vous m'a-
     182 La Direction & la Conſolation uiez bien corrigé, ie ne ſerois pas où ie
    ſuis
    .
    V.  Ne vous laiſſez point toute-
    fois aller temerairement à l'eſprit vo-
    lage d'vne femme paſſionnée. Exami-
    nez ſerieuſement tous ſes rapports, &
    ne faites iamais par des paroles aigres,
    & par des actions ſeueres ce que vous
    pouuez faire par douceur. Comme ce-
    luy qui eſt trop mol, & qui plaſtre tout,
    p.
    l
    t
    dit S. Chryſoſtome, fait vn homme ne-
    gligent. Auſſi celuy qui ſe ſert touſiours
    de reprehenſion, irrite les eſprits
    . Il faut
    vſer de moderation : autrement, on ſe
    met en danger de tout perdre.  Ro-
    boam
    , par ſa colere inconſiderée, me-
    naça d'vne rigoureuſe ſeuerité les dix
    Tributs d'Iſraël : ce qui fut cauſe,
    qu'elles ſe reuolterent contre luy : ſe
    choiſirent vn autre Roy : & ne ſe re-
    ünirent iamais au Royaume de Iuda.
    La prudence prend ſon temps; & a
    des effects admirables ſans aucun
    peril. Alphonſe I. Duc de Ferare, s'eſtant
    ſeruy le premier de la Grenade militaire,
    la prit pour ſon Symbole, y ajouſtant ces
    mots, Au lieu & au temps. Car ſi vous allu-
    
    183
    des perſonnes Mariées.
    mez trop toſt la Grenade elle bleſſe ce-
    luy qui la veut ietter aux autres, ſi vous
    l'allumez trop tard, elle ne nuit point
    eux ẽnemis. Mais ſi vous y mettez le feu
    à temps, elle fait de merueilleux effets.
    VI.  Enfin, ſi vous voulez ranger vos
    enfans & vos ſeruiteurs & faire qu'ils
    vous obeiſſent & à voſtre femme; vſez
    dans les diuerſes rencontres, de recom-
    penſes & de punitions.  Les punitions
    les tiendront dans la crainte: les recom-
    penſes gagnerõt leur amour. Ainſi vous
    euiterez les deux extremitez vicieuſes,
    d'vne trop grande rigueur , & d'vne
    exceſſiue douceur. C'eſt ce que declaroit
    Pie III. Souuerain Pontife Il fit peindre
    en ſon Symbole des branches d'Oli-
    uier auec des verges : & y eſcrire ces
    paroles. Pœna & præmium. La peine
    & la recompenſe
    .  La peine, pour les
    vices : la recompenſe, pour les vertus.
    Si vous puniſſez bien vos enfans &
    vos ſeruiteurs, pour leurs fautes : re-
    compenſez les encore mieux , pour
    leurs loüables actions : & ſur tout,
    pour l'obeiſſance & la ſoumiſſion ,
    qu'ils rendent à voſtre femme.
    
    184
    La Direction & la Conſolation
    §.  III.   Auis aux Enfans , qui
    meſpriſent leur Mere.
    I.  Dieu vous ordonne l'amour &
    reſpect enuers vos parens : & vous
    promet en recompenſe vne longue vie.
    Il a preſcrit la recompenſe à ce ſeul
    commandement : afin que comme il
    n'eſt nul deſir plus ardent que de con-
    ſeruer ſa vie : auſſi il n'y ayt rien mieux
    obſerué que l'honneur & l'amour en-
    uers ceux de qui on l'a receuë.
    Demetrius Phalereus enſeignoit ſa-
    gement.  Que les ieunes gens doiuent
    ſe reſpecter eux-meſmes, dans la ſoli-
    tude , les autres , à la rencontre : &
    leurs parens, au logis.
    II.  Tout voſtre bien vous vient
    originairement de voſtre Pere & de
    voſtre Mere : & ſans eux vous ne ſe-
    riez point au nombre des Eſtres. Si
    vous viuez : ſi vous voyez : ſi vous
    marchez : ſi vous raiſonnez : ſi vous
    eſperez le Paradis : tout cela tire ſon
    origine , de ce que vous ont baillé
    vos parens : ſans qui Dieu n'euſt
    iamais crée voſtre ame, ny formé
    voſtre corps.
    
    185
    des perſonnes Mariées.
    Herode le Sophiſte les met au nom-
    bre des Dieux, à noſtre eſgard.  Nos
    parens
    , diſoit il, ſont les viues images
    des Dieux : ou pluſtoſt, ils ſont des
    Dieux domeſtiques, qui nous ont fait
    beaucoup de biens. Ils ſont nos crean-
    ciers, nos maiſtres, & nos amis
    .
    Que ſi voſtre eſtre, voſtre conſer-
    uation , voſtre augmentation , tous
    vos ornemens d'eſprit & de corps, ſont
    des faueurs de vos parens , quel
    honneur , quel reſpect , & quelle
    ſoumiſſion ne leur deuez vous pas ?
    S. Thomas a vne penſée, qui m'agrée
    fort. Les enfans , dit-il , reçoiuent de
    leurs parens la vie, comme vn fief : à
    condition, que s'ils ſont fidelles, ils la
    retiennent : & s'ils ſont infidelles & de-
    ſloyaux ils la perdent
    .
    III.  Dieu ne promet pas ſeulement
    Eccl.
    5. 5.
    vne longue vie, aux enfans, qui hono-
    reront leurs parens. Mais il les aſſeure,
    dans l'Eccleſiaſtique : que par ce mo-
    yen , ils amaſſent vn threſor : qu'ils
    auront des enfans , dont ils rece-
    uront de la ioye: qu'ils ſeront exaucez
    en leurs prieres : qu'ils ſeront com-
    
    186
    La Direction & la Conſolation
    blez de benedictions iuſques à leur
    mort : que Dieu les aydera, au temps
    de la tribulation : & que leurs pechez
    leur ſeront pardonnez.
    IV.  Au contraire Dieu nous de-
    Eccle.
    3. 18.
    clare : qu'il maudira celuy qui prouo-
    que ſa Mere à vne iuſte colere, & qui
    l'irrite.
    In vit.80
    S. Fro-
    dobert
    .
    Les Liures ſont pleins d'Hiſtoires
    Tragiques , & de punitions tres ri-
    goureuſes des enfans , qui ont mal
    traité leurs Meres. Vn certain Robert
    diſputa auec la ſienne , pour diuiſer
    quelques gerbes : & l'ayant priſe par
    les cheueux, la ietta par terre. La nuit
    ſuiuante, il deuint borgne : & fut ſur-
    pris d'vn tremblement ſi vehement,
    & ſi douloureux au bras , qu'il le re-
    muoit ſans ceſſe , le iettant derriere
    ſon dos : & le reflechiſſant ſur ſon
    eſtomac. Il perdit auſſi l'eſprit: ce qui
    affligea tellement ſa Mere: qu'elle en
    mourut, dans trois iours.
    Euitez les petites deſobeiſſances, &
    les petites querelles : & iamais vous
    ne viendrez à ces excez.
    
    187
    des perſonnes Mariées.
    §.  IV.  Auiz aux Seruiteurs , qui
    meſpriſent la Maiſtreſſe du logis.
    I.  Encore que voſtre Maiſtre
    ſouffre vos inſolences contre ſa Fem-
    me : par la crainte qu'il a de ſe priuer
    de voſtre ſeruice : ne doutez pas, qu'il
    vous haït , & deteſte en ſon cœur : &
    que s'il trouue d'autres ſeruiteurs, qui
    luy ſoient vtiles , il vous chaſſera de
    ſon logis, comme des perſonnes mal
    auiſées & arrogantes.
    II.  Si voſtre Maiſtre, irrité con-
    tre ſa Femme, ſe plaiſt pour vn temps
    aux vacarmes que vous faites : cela ne
    durera gueres. Les coleres des Amants
    font des amitiez plus fortes , & plus
    ardentes.
    L'amour s'eſteint quelquefois : mais
    il ſe rallume. On trouue des fontaines,
    qui eſteignent les flambeaux allumez :
    & qui rallument les flambeaux eſteints.
    Vn peu de paille embrazée, qu'on paſſe
    au deſſus de l'eau, eſchaufe les vapeurs
    & les exhalaiſons : & fait de la flamme.
    L'humeur bigearre81 d'vne femme a
    glacé le cœur de ſon mary : vne ca-
    reſſe, faite auec dexterité & prudence
    
    188
    La Direction & la Conſolation
    l'enflammera plus que iamais. Que de-
    uiendrez vous alors ? Qu'el fruit tire-
    rez-vous de vos brauades ? Ne ſerez-
    vous pas immolé la la iuſte colere de
    l'vn & de l'autre.
    III.  Voulez-vous eſtre vn excel-
    Hebr.
    I. 14.
    lent ſeruiteur ? Imitez les Anges.  Ils
    ſont tous
    , dit S. Paul, des Eſprits qui ſer-
    uent à Dieu : & qu'il enuoie pour ſeruir
    à ceux qui ſont les heritiers du ſalut
    eternel
    . Ils ont toutes les qualitez d'vn
    excellent ſeruiteur.  I.  Ils ſont tres-
    obeiſſans: courant où ils ſont enuoyez,
    au moindre ſigne de la volupté de
    Dieu.  II.  Ils ſont tres-humbles, ne
    refuſant aucun ſeruice , pour vil &
    meſpriſable qu'il ſoit : encore qu'ils
    Ezech.
    I.
    ſoient les Princes du Paradis.  III.  Ils
    ſont tres-prompts à l'execution.  Ils
    egalent les eſclairs & les foudres par
    leur viteſſe : comme l'aperceut le Pro-
    phete Ezechiel.  Pour ces raiſons, on
    les depeint ſouuent n'ayant que la
    teſte & les aiſles: pour declarer, qu'auſ-
    ſi-toſt qu'ils ont veu & oüy ce qu'on
    leur ordonne, ils volent pour le mettre
    en execution.
    
    189
    des perſonnes Mariées.
    Chacun veut eſtre ſeruy prompte-
    ment.  Ælius Verus, Empereur Ro-
    main82, donnoit des aiſles à ſes ſerui-
    teurs, qu'il enuoyoit aux champs : afin
    de les aduertir, d'apporter de la prom-
    ptitude à l'execution de ſes ordres.  Il
    Iul
    Ceſar
    l. I. de
    Imper.
    Rom.83
    les appelloit du nom des vens : Boreas,
    Notus , Eurus , Auſter.  De la vinrent
    les Soldats, qui eſtoient appellez Pen-
    nigeri : portans des aiſles
    . Ils eſtoient
    deſtinez à porter les Lettres des Em-
    pereurs.  C'eſt pourquoy Ariſtide, au
    Panegyrique de la Ville de Rome, dit.
    Les Lettres nous viennent comme ap-
    portées par des oyſeaux. Ils les eſti-
    moient eſtre ſoubs la protection de
    Mercure , & pour cette raiſon , ils
    les depeignoient aiſlez.
    Vous eſtes ſoûs la protection du Dieu
    Createur des hommes & des Anges.
    Seruez luy , en la perſonne de voſtre
    Maiſtre & de voſtre Maiſtreſſe, qu'il a
    mis en place pour vous commander.
    Si vous le regardez en eux : il vous re-
    compenſera de vos moindres ſeruices,
    comme ſi vous les luy rendiez. S. Paul
    dit clairement, aux Epheſiens.84 Serui-  190 La Direction & la Conſolation Epheſ.
    5. 6.
    teurs, obeiſſez à vos Maiſtres charnels,
    auec crainte & reſpect, en la ſimplicité
    de voſtre cœur, comme à Ieſus-Chriſt,
    Ne ſeruant point à veuë d'œil, comme
    pour plaire aux hommes : mais comme
    ſeruiteurs de Ieſus-Chriſt , faiſant la
    volonté de Dieu de bon cœur, ſeruant
    de bonne volonté comme à N. Seigneur,
    & non pas comme aux hommes.  Sça-
    chant certainement, qu'vn chacun rece-
    ura la recompenſe de ſes bonnes œuures:
    ſoit qu'il viue dans le ſeruice , ou qu'il
    ſoit en pleine liberté
    .
    bandeau décoratif

    CHAPITRE VI.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme, laquelle a vn Mari Auari-
    cieux; qui la laiſſe & ſes enfans
    dans la neceſſité
    .


    C'Eſt vn cruel ſupplice que de
    mourir de faim. Mais ce ſupplice
    eſt extraordinairement douloureux, ſi
    l'on demeure affamé, dans vn feſtin,
    où l'on voit manger les autres , ſans
    
    191
    des perſonnes Mariées.
    en auoir la permiſſion.
    Les pauures ſont à plaindre à cau-
    ſe de leur indigence.  Mais vne femme
    d'honneſte famille , qui ſe voit gour-
    mandée par vn barbare Auaricieux : &
    reduite à vne vie chetiue , qui l'oblige
    à ſouffrir beaucoup de meſaiſes85 en ſes
    habits , en ſon viure , & en diuers au-
    beſoins de la vie , me ſemble encore
    plus miſerable, & plus digne de com-
    paſſion.  Il faut faire vn effort , pour
    trouuer quelque adouciſſement à ſa
    douleur.
    §.  I.   Auis à la Femme, qui vit dans
    l'indigence, par l'Auarice de ſon Mary.
    I.  C'eſt vne pure bonté de Dieu,
    en voſtre endroit; que vous ſoyez née
    dans l'Europe, & dans vne famille ri-
    che & noble.  Vous pouuiez naiſtre
    dans les deſerts & dans les ſables de
    l'Afrique, dans les foreſts de Canada,
    dans les glaces & les neiges des Mers
    qui ſont ſoubs les deux Poles. Qu'euſ-
    ſiez - vous fait pour lors , eſtant à
    demy nuë , couuerte d'vn meſchant
    bout de peau, nourrie d'herbes & de
    
    192
    La Direction & la Conſolation
    legumes mal appreſtées : ou au plus,
    n'ayant qu'vn peu de chair mal cuite,
    ſans pain & ſans ſaulce?
    Faites ſouuent cette reflexion. Et
    vous trouuerez , que vous n'eſtes
    point des plus infortunées de ce mõde.
    S. Paul , parlant à S. Timothée,
    1. Tim.
    6.7.
    Eueſque d'Epheſe , luy dit Nous n'a-
    uons rien apporté en ce monde.  Il eſt
    certain, que nous n'en emporterons rien.
    Ayant noſtre viure & nos habits, ſoyons
    contens.
    II.  Les Saincts ont eſté plus mal
    In cor.
    vitis.
    nourris , que vous : bien qu'ils meri-
    taſſent vn meilleur traittement , que
    vous ne deſireriez pour voſtre conten-
    tement. S. Marcel Pape, eſtant reſſerré
    par le Tyran dans vne eſtable, pour y
    panſer les cheuaux : ne mangeoit que
    du pain bien ſec , & ne beuuoit que
    de l'eau.
    2.  Les Saincts Antoine, Hono-
    rat
    , & pluſieurs autres ont fait long-
    temps le meſme, de leur plein gré.
    3.  S. Macaire ne mangea, ſept
    ans durant, que des herbes cruës.
    4.  Saincte Euſebie, ſurnommée
    Xene
    
    193
    des perſonnes Mariées.
    Xene ( c'eſt à dire Hoſpitaliere ) ne
    mangeoit que du pain, meſlé auec ſes
    larmes, & auec de la cendre. Elle n'en
    prenoit qu'vne fois , en deux , ou en
    trois, ou meſme en quatre iours.
    5.  Saincte Geneuiêue, depuis l'â-
    ge de quinze ans iuſques à cinquante
    ans, ne prenoit qu'vn peu de pain &
    de feves, le Dimanche & le leudy. Et
    ne faiſoit cuire ſes fêves, qu'enuiron
    de quinze en quinze iours.
    III.  La faim fait trouuer les viandes
    groſſieres plus agreables , que ne ſe-
    roiẽt les mets les plus exquis des Roys,
    ſi l'on manque de cet aſſaiſonnement.
    Ptolomée, Roy d'Egypte, faiſant
    voyage ne trouua que du pain tres-ſale
    & tres-degouſtant.  La faim neant-
    moins, le contraignit d'en manger. Il
    s'eſcria incontinant.  Que iamais il
    Diod.
    l.2.c.1.
    n'auoit gouſté rien de plus ſauoureux.
    Gnefactus, Roy du meſme Royau-
    me, menant vne armée en Arabie, fut
    contraint par la faim, de manger dans
    le deſert, des viandes dont il n'euſt pas
    ſouffert la veuë , en vn autre temps.
    Il y prit tant de gouſt qu'il rejetta ab-
    I
    
    194
    La Direction & la Conſolation
    ſolument les delices de la Cour : fut
    tres-ſobre, tout le reſte de ſa vie : &
    fit deſcrire la cauſe de ſa frugalité,
    dans le Temple de Iupiter, pour ſeruir
    d'exemple aux autres Roys, & à tout
    le peuple.
    IV.  Si vous recourez à Dieu, & luy
    repreſentez vos beſoins, auec reſigna-
    tion, auec conſtance, & auec perſeue-
    rance : il vous fournira tout ce qui
    vous ſera neceſſaire , & pour les ha-
    bits, & pour l'argent, & pour la nour-
    Bollã.
    Surius
    Metap
    Baron
    riture.
    1.  Les Anges ont donné à man-
    ger à la B. Oringe , à Saincte Ide , à
    Sainct Alexandre, à Sainct Iulien, &
    à pluſieurs autres.
    Quatre ans durant , vn Ange ap-
    portoit des viandes à la B. Veronique:
    & quelquefois il les augmentoit au
    double : afin qu'elle en fit part à ſa
    compagne
    Tous les iours, vn Ange apportoit
    vn pain à S. Phoſterius : & luy pour-
    uoyoit abondamment, ſelon le nom-
    bre des hoſtes qu'il receuoit.
    Vn Ange nourrit, douze iours du-
    
    195
    des perſonnes Mariées.
    rant , S. Pontien : qu'on tenoit dans
    vne eſtroite priſon, où l'on vouloit le
    faire mourir de faim.
    2.  Dieu vous pouruoira d'habits,
    qui vous ſeront neceſſaires & à vos en-
    fans. Moïſe conduiſoit dans vn deſert
    ſterile , trois millions de perſonnes.
    Ce voyage dura quarante ans : & Dieu
    conſerua en leur entier tous les
    veſtemens des hommes & des femmes,
    qui eſtoient dans vn âge auancé : &
    fit croiſtre ceux des enfans, à propor-
    tion que leur corps croiſſoit, en gran-
    deur & en groſſeur.
    Les Anges reueſtirent d'vne belle
    Robbe Saincte Agnes : que les bour-
    reaux tiroient toute nuë, dans vn lieu
    infame : d'où elle ſortit victorieuſe &
    innocente.
    3.  Si l'argent vous eſt abſolument
    neceſſaire, il ne vous manquera point:
    ſi vous eſtes fidelle à Dieu ; & ſi vous
    implorez ſon aſſiſtance. Il fit, que l'ar-
    gent ne manqua iamais dans la bourſe
    de Saincte Liduvine.  Auſſitoſt qu'elle
    en auoit tiré des petites pieces de
    monnoye , qui y eſtoient ; elle y en
    I ij
    
    196
    La Direction & la Conſolation
    trouuoit d'autres , de meſme valeur.
    C'eſtoit comme vne ſource ineſpuiſa-
    ble de la liberalité de Dieu.
    Le B. Herman, ou Ioſeph, eſtant en-
    Cachet
    in vit.
    core enfant , la B. Vierge Marie luy
    monſtra vne pierre, ſoubs laquelle il
    trouua de l'argent , pour ſoulager la
    neceſſité de ſes parens & la ſienne. Elle
    l'auertit , de faire le meſme dans ſes
    beſoins : Ainſi rien ne luy manqua,
    qui luy fuſt entierrement neceſſaire.
    Dieu changeroit pluſtoſt les pierres
    en argent, que de vous laiſſer perir :
    ſi vous l'inuocquez du fond du
    cœur. Il peut releuer vos cheutes, &
    enrichir voſtre pauureté. Il conuertit,
    vne fois de l'eſtain en argent dans
    l'Eſpagne : & par ce miracle, enrichit
    vn Marchand, que S. Iean l'Aumoſnier
    auoit aſſiſté, apres de grandes pertes.
    V.  Lors que le murmure ſe faiſit
    de voſtre cœur : & que vous com-
    mencez de vous indigner contre vo-
    ſtre mary, de ce qu'il ne vous fournit
    pas ſuffiſamment d'argent pour vos
    habits, pour voſtre entretien, & pour
    voſtre famille : Conſiderez que poſſi-
    
    197
    des perſonnes Mariées.
    ble vous ne ſçauez pas toutes les
    debtes & tous les embaras de voſtre
    meſnage , pour leſquels voſtre mary
    eſpargne: ſans vous donner de la dou-
    leur, pour ſes mauaiſes affaires.
    VI.  Enfin, eſtimez que l'eſtat de
    voſtre miſere eſt tres-propre, pour vous
    enrichir de pluſieurs vertus : & vous
    faire vne ſaincte.
    La Palme ſe plaiſt dans vn ſol, qui
    ſoit ſalé.  Elle ne veut point eſtre en-
    graiſſée auec du fumier.
    Le Pouliot, dit Ciceron, fleurit en
    lib. I.
    de di-
    uinat.86
    hyuer , dans la plus grande rigueur
    du froid.
    La vertu fleurit, porte des fruits, &
    ſe fortifie dans l'affliction & l'indi-
    gence : & languit dans l'abondance,
    où elle eſt touſiours en danger de
    perir.
    VII.  Vous ne deuez point vous te-
    nir pauure & miſerable : ſi vous eſtes
    riche, aux yeux de Dieu & de ſes An-
    ges : l'or & l'argent, dit Euripide, ne
    ſont nullement les veritables richeſſes:
    mais les vertus.
    Pythagore diſoit, Que les richeſſes
    I iij  198 La Direction & la Conſolation de la terre ſont vne Anchre fort foible :
    que la gloire l'eſt encore plus : & que le
    corps & le reſte ſont ſans force. Quelles
    ſont donc les Anchres fortes & aſſurées?
    La prudence, la force, la magnanimité
    & les autres vertus. Elles ne ſont point
    ébranlées par aucune tempeſte. Dieu a
    mis cette Loy : que la ſeule vertu eſt
    ſolide & puiſſante : & que tout le reſte
    n'eſt qu'vne pure badinerie & ſottiſe
    d'enfant
    : Iuſques icy ce Philoſophe.
    VIII.  Meſpriſez donc tout ce que
    vous deſirez, hors de Dieu : & vous
    croirez auoir touſiours ſuffiſamment
    des biens de la terre : & meſmes du
    peu que vous aurez par voſtre mary,
    vous prendrez plaiſir d'en retrancher
    vne partie: afin de meriter dauantage.
    §.  II.   Auis pour le Mary qui laiſſe
    ſa Femme & Enfans en neceſſité.
    I.  Voſtre eſpargne doit auoir vne
    fin raiſonnable ?  Pour qui amaſſez
    vous, ſi ce n'eſt pour voſtre femme &
    pour vos enfans ?  Que ſi vous cher-
    chez leur bien, & leur contentement:
    ne vaut-il pas mieux les contenter dés
    maintenant : que de les inquieter vn
    
    199
    des perſonnes Mariées.
    Prou
    15.
    long-temps , pour les mettre à leur
    aiſe apres pluſieurs années? l'Auarice
    eſt le trouble des familles : comme
    Dieu meſme nous aſſeure.  Ne vous
    en laiſſez point gourmander.
    II.  Voſtre Auarice vous priue de
    l'vtilité de vos richeſſes.  Celuy qui
    aime les richeſſes
    , dit Dieu en l'Eccle-
    ſiaſtique
    , n'en tirera aucun profit.
    Il eſt ſemblable à ceux qui ſont
    condamnez aux mines d'or & d'ar-
    gent: Ils en manient beaucoup: mais
    ils n'en ſont pas plus riches. Car rien
    n'en reuient à leur profit. Ils demeu-
    rent touſiours , dans leurs cachots &
    dans leurs tenebres : tandis que les
    Autels & les Palais des Roys reluiſent
    par le brillant de ces metaux.
    Non ſeulement l'Auaricieux ne
    maintient point le luſtre de ſa naiſſance
    par la ſplendeur de ſes habits , & par
    le brillant des meubles de ſa maiſon :
    mais il meurt de faim , au milieu de
    l'abondance.  La Femme de Pythius,
    Roy de Bithinie, le declara par vne in-
    genieuſe inuention. Ce Prince, pouſſé
    par vne inſatiable conuoitiſe d'amaſſer
    I iiij
    
    200
    La Direction & la Conſolation
    de l'or & de l'argent, fatiguoit la pluſ-
    part de ſes ſujets dans les mines.  Sa
    femme luy fit de toutes ſortes de vian-
    des, en or & en argent : & les luy pre-
    ſenta , au temps du diſner.  Pythius
    prit d'abord vn grand plaiſir à ce ſer-
    uice.  Le deuxieſme & troiſieſme ſer-
    uice ſe faiſant de la meſme ſorte, quoy
    qu'il demandaſt à manger, il ſe mit en
    colere.  La Reine, qui eſtoit plus pru-
    dente, luy dit alors.  Sire , vous tuez
    continuellement vos ſujets, pour vne
    choſe que vous voyez ne pouuoir ſou-
    ſtenir voſtre vie. Contẽtez vous de tant
    de biens, que vous auez: & traittez vous
    à la Royale. Faites cultiuer les champs
    de voſtre Royaume : & viure voſtre
    peuple en repos & en abondance. Il
    crut ce ſage auis & fut depuis vn
    excellent Prince; aimé de tous ſes ſu-
    jets, & redouté de tous ſes voiſins.
    III.  L'Auaricieux , comme vous
    voyez, eſt dommageable aux autres.
    Thomas Murs87 le compare à vn chien
    farouche : qui eſt attaché à vn ratelier
    où il y a du foin. Il n'en mange point
    & empeſche les autres animaux d'en
    
    201
    des perſonnes Mariées.
    manger.
    IV.  Les biens que vous amaſſerez
    Ælian.
    l. 6. c.
    51.
    ne vous raſſaſieront iamais, tandis que
    vous retiendrez l'Auarice dans vo-
    ſtre cœur. Ceux qui ſont mordus du
    ſerpent Dipſas ſont tellement emflam-
    mez d'vne furieuſe ſoif : que plus ils
    boiuent, plus ils ont ſoif.
    S. Auguſtin conſiderant l'auidité
    inſatiable des Auaricieux, eſcrit qu'ils
    De vir
    Dom.
    ſont pires, que les beſtes brutes. Voi-
    cy ſes paroles. Que veut dire cette inſa-
    tiable auidité de la concupiſcence. Les be-
    ſtes irraiſonnables mettent des bornes à
    deſirs.  Elles ne rauiſſent, que preſſées
    de la faim. Elles eſpargnent leur proye,
    auſſitoſt qu'elles ſe ſont remplis ſuffi-
    ſamment.  La ſeule auarice des riches
    eſt inſatiable. Elle rauit touſiours: & n'eſt
    iamais contente.  Elle ne craint point
    Dieu : & ne reſpecte point les hommes.
    Elle ne pardonne point à ſon Pere. Elle
    ne connoiſt point ſa Mere. Elle n'obëit
    point à ſes Freres : & ne garde point
    la foy à ſes Amis.  Elle opprime les
    Veuues: attaque les Orphelins: iette en
    eſclauage ceux qui ſont libres: & eſt tous-

    
    202
    La Direction & la Conſolation
    iours preſte à faire de faux ſermens.
    Iob.
    27.18.
    V.  Vous vous mettez en peril, de
    renuerſer voſtre famille , en la ba-
    tiſſant par vne Auarice meſquine &
    ſordide. Iob dit, que l'Auaricieux ba-
    ſtit ſa maiſon, comme la tigne88. Les
    Septante tournent, Sa maiſon ſe fera,
    comme celle de la tigne89 & de l'ara-
    gnée
    . L'aragnée fait ſa toile, en s'eſpui-
    ſant : & la tigne90, en rongeant.  Mais
    enfin tout perit bien toſt : Dieu ren-
    uerſant tout ce que l'auare auoit
    amaſſé aux deſpens d'autruy : & en
    fais cruellement ſouffrir ceux à qui il
    deuoit donner du ſecours.
    Theop.
    Baron
    8. tom.
    anne
    602.
    L'Empereur Maurice ne voulut
    point racheter, pour fort peut d'argent,
    pluſieurs ſoldats, que Chaian Roy des
    Auares
    auoit pris dans vne bataille.
    C'eſt pourquoy ce Roy les fit tous
    eſgorger, auant que de retourner en
    ſon pays. Cette auarice de Maurice de-
    plut ſi fort à Dieu & à tous les ſujets
    de l'Empire, particulierement aux ſol-
    dats : qu'vne ſedition s'eſtant eſleuée
    dans l'armée , à raiſon des quartiers
    d'hyuer , Phocas fut proclamé Em-
    
    203
    des perſonnes Mariées.
    pereur. Il accourt à Conſtantinople : y
    eſt receu par le Senat, & Couronné par
    le Patriarche : Ce Tyran fit prendre
    Maurice , ces cinq enfans maſles, ſa
    femme & ſes filles, & les fit tous maſ-
    ſacrer.  Voila le fruit d'vne laſche
    auarice.
    Ce qui arriue aux Empires, arriue
    aux familles particulieres : & ſi l'on
    n'y perd pas la vie, par ce vice infame
    d'auarice : on y diminue ſes biens. S.
    lib. de
    gloria
    Conſ
    c7.c.8.
    Gregoire de Tours raconte.  Qu'vn
    Nautonnier refuſant l'aumoſne à vn
    pauure : & luy diſant que ſon Nauire
    ne portoit que des pierres , fut bien
    eſtonné, que tout le pain, tous les fruits
    & toutes les viandes , qui eſtoient
    dans ce Nauire , ſe conuertirent en
    pierres.  Et ce Sainct aſſure en auoir
    veu des Oliues & des Dattes , plus
    dures que du marbre.
    VI.  Quand l'auarice ſeroit vtile à
    l'agrandiſſement de voſtre famille,
    vous la deuriez fuir: parce qu'elle perd
    voſtre ame : en comparaiſon de la-
    quelle vous deuez meſpriſer tous les
    biens de la terre, comme du limon &
    
    204
    La Direction & la Conſolation
    du fumier. O hommes, s'eſcrie Sainct
    Auguſtin
    , quelle folie vous renuerſe
    l'eſprit : Vous perdez la veritable vie.
    vous tuez voſtre ame: vous acquerez de
    l'or, qui n'eſt que de la boüe , & vous
    perdez le Ciel, qui vous offre des thre-
    ſors Eternels
    .
    S. Chryſologue entre dans la meſme
    In ſer. penſée, & dans le meſme zele. Celuy-
    la
    , dit-il , eſt vn laſche, qui eſtant ap-
    pellé à vn Royaume, s'amuſe à vn petit
    gain dans ſa maiſon.  Il faut auoir vne
    ame de plomb & de fer, pour estimer
    dauantage vn eſcu, que les threſors d'vn
    Roy. C'eſt auoir peu de ſens & de iu-
    gement , de vouloir perdre des choſes
    tres-grandes, pour de tres-viles & tres-
    abjectes : & de ſe laiſſer eſchaper des
    mains, des biens Eternels, pour ceux qui
    ne font que couler auec le temps
    .
    Ne vous laiſſez point emporter à l'é-
    Cirlã
    lib. 3.
    de rer.
    utilci,
    c. 55.
    clat de l'or & de l'argent : mais conſide-
    rez, que la mort de vôtre ame eſt cachée
    ſoubs ce brillant , qui n'eſt qu'vne
    pure illuſion du demon , & vne in-
    uention pour vous perdre ſans reſource.
    Cela ſe peut expliquer , par la mali-
    
    205
    des perſonnes Mariées.
    cieuſe ſubtilité de Fenella. Kennethus
    Roy d'Ecoſſe
    , ayant tué Deſſus parent
    de cette Princeſſe , elle ſe reſolut à la
    vengeance.  Elle fit faire à ce deſſein,
    vne belle ſtatuë, qui tenoit en ſa main
    vne pomme d'or, ornée de riches pier-
    Hector
    Boet-
    tius. l.
    21.hiſt.
    Scot.
    res precieuſes.  L'Artifice eſtoit : que
    lors qu'on la tiroit à ſoy: pluſieurs iaue-
    lots ſortoient de la ſtatuë ; qui ſe lan-
    çoient ſur celuy qui s'en approchoit.
    Fenella fit poſer cette ſtatuë dans vn
    Iardin de plaiſance : & inuita le Roy
    de s'y venir diuertir.  Ce Prince, ne
    ſçachant rien du ſecret , fut raui à la
    premiere veuë de cette ſtatuë : il s'en
    approche auec ioye, & ſe ſaiſit de cette
    pomme.  Incontinent, il fut percé de
    ſes fleches cachées : & tomba roide
    mort, au milieu de ſes Princes, de ſa
    Nobleſſe & de ſes Gardes.  Ce qui ar-
    riua pour lors au corps de ce Roy, ar-
    riue tous les iours en l'ame des auares.
    Ils rauiſſent l'or : & il les tuë.  Quel
    profit leur en reſte-il: veu qu'il faut per-
    dre meſmes cette meurtriere maſſe de
    terre munie?
    
    206
    La Direction & la Conſolation
    VII. C'eſt encore vne conſideration
    qui doit moderer voſtre auidité. Vous
    perdrez, enfin tous ces biens de terre:
    & vous n'en emporterez rien en l'au-
    Iob 20.
    15.
    tre monde. L'impie vomira les richeſſes
    qu'il a deuorées : & Dieu les luy ar-
    rachera du ventre
    .
    Cela ſe peut expliquer, par ce qui
    arriue aux Corbeaux en la Chine, &
    qui eſt arriué aux Chats d'Affrique
    aux Iſles Balcares.
    1ff.  Les Mandarins Chinois nourriſ-
    Matt.
    l.6.
    ſent de grands Corbeaux domeſtiques,
    qui ſont duits91 à la peſche. Ils leur ſer-
    rent le cou auec vn nœud, qui ne leur
    oſte point la reſpiration : mais qui les
    empeſche d'aualer ce qu'ils prennent.
    Ces Corbeauxſe lançent auec vne ad-
    mirable viſteſſe & adreſſe dans l'eau :
    prennent de petits poiſſons dans leur
    bouche, & de gros en leur bec: & les
    reportent au logis, où l'on leur fait ren-
    dre gorge, & laſcher toute leur proye.
    2.  Les Habitans des Iſles Major-
    Stra-
    bo. l. 3.
    que & Minorque eſtoient ſi moleſtez,
    par vne multitude preſque infinie de
    Lapins : qu'ils furent ſur le point de
    
    207
    des perſonnes Mariées.
    quitter leurs Iſles , & d'enuoyer à Ro-
    me des Ambaſſadeurs, pour demander
    vn autre pays. Enfin, ils s'auiſerent de
    faire entrer dans les tanieres de ces
    petits animaux, des Chats d'Affrique.
    Mais ils leur lierent la gorge: afin que
    pouuant chaſſer ou dechirer leur proye,
    ils ne peuſſent la deuorer.
    Vous n'emporterez auec vous en
    l'autre monde, ny or ny argent, ny di-
    gnitez, ny palais, ny prez, ny champs,
    ny vignes, ny bois : pourquoy donc
    allez-vous à la chaſſe de ces biens, auec
    tant d'empreſſement.  Ne faites point
    miſerable voſtre famille, en luy cachant
    des biens que vous ne pouuez long-
    temps conſeruer.
    VIII.  Non ſeulement vous ſerez
    bien-toſt obligé par la mort, & peut
    eſtre auparauant par quelque reuers de
    fortune, de laiſſer toutes vos richeſſes:
    mais vous ſentirez de tres-cruelles
    douleurs en cette perte , ſi vous atta-
    chez trop voſtre affection à ces biens
    periſſables.
    Poggius aſſeure; que de ſon temps,
    De a-
    uarit.
    vn homme addonné à l'avarice, eſtant
    
    208
    La Direction & la Conſolation
    preſt de rendre l'ame ſe fit apporter vn
    baſſin plein d'eſcus d'or.  Et qu'alors
    il leur demanda inſtamment du ſe-
    cours, leur alleguant. Qu'ils les auoit
    gardez, comme ſon ame propre: & que
    c'eſtoit en cette extremité , où ils
    deuoient l'aſſiſter.  Il repeta ſouuent
    ces paroles. Ah! qui ſont ceux à qui ie
    vous laiſſeray.  Enfin, il mourut dans
    ces regrets : & quitta auec larmes &
    auec ſanglots, ce qu'il auoit ſi ardem-
    ment cherché : ſi ſoigneuſement con-
    ſerué : & ſi inutilement & ſottement
    inuoqué.
    Concluez : & reſoluez vous de
    n'eſtre plus ſi auide des richeſſes, qui
    ſont volantes & paſſageres. Pouruoyez
    honneſtement voſtre femme , & vos
    enfans, & toute voſtre famille.  Tout
    ce que vous y emploierez, vous cauſera
    du merite aupres de Dieu , & vous
    comblera de ioye en l'ame.  Tout ce
    que vous reſeruerez mal à propos :
    ne vous ſeruira que de tourment, en ſa
    conſeruation & en ſa perte.



    
    209
    des perſonnes Mariées.

    CHAPITRE VII.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme, dont le mary eſt faſcheux à
    ſon Pere, à ſa Mere, à ſes Enfans
    d'vn autre lict, & aux Seruiteurs &
    Seruantes qu'elle affectionne.

    LA neceſſité des familles & des
    affaires contraint quelquefois à
    ſe remarier. Mais c'eſt vn miracle, ſi la
    charité s'y trouue ſi parfaite : qu'il n'y
    interuienne pluſieurs inconueniens &
    pluſieurs deplaiſirs.  Voyons briéue-
    ment, comment on s'y doit compor-
    ter, pour en tirer du profit.
    §.  I.  Aduis à la Femme , dont les
    parens, & les domeſtiques ſont mal
    traitez.
    I.  Lors que vous vous eſtes reſoluë
    à vn ſecond Mariage : vous vous eſtes
    expoſée à toutes les difficultez & à
    toutes les douleurs, qui ont couſtume
    d'y arriuer.  Publius Syrus dit inge-
    nieuſement, à ce ſujet. Si celuy qui eſt
    eſchapé d'vn naufrage ſe remet dere-
    
    210
    La Direction & la Conſolation
    chef ſur Mer : il n'a point de iuſte rai-
    ſon d'accuſer Neptune , le Dieu des
    flots, de ce qu'il permet aux vens de
    ſouffler contre ſon vaiſſeau.
    Pour cette raiſon, pluſieurs femmes
    prudentes ont rejetté les ſecondes
    Nopces : qu'on leur offroit auec in-
    ſtance.  1. Annia preſſée de ſe remarier
    en la fleur de ſa ieuneſſe & de ſa beau-
    té; le refuſa, diſant. Ie ne le ne le feray
    iamais.  Si i'auois vn bon Mary, i'au-
    rois trop peur de ſa mort.  Si i'en ren-
    controis vn faſcheux : ie ſerois inſenſée
    de le prendre, apres le mien qui eſtoit
    d'vne tres-excellente bonté.  2. Vale-
    ria
    eſtant interrogée, pourquoy apres
    la mort de ſon Mary, elle n'en prenoit
    pas vn autre.  Parce que, dit-elle, en-
    core que le mien ſoit mort aux autres
    il eſt encore viuant, & viura touſiours
    pour moy.  3. Martia, Fille de Caton,
    repartit à la meſme demande. A peine
    trouuerai-je vn Mary : qui me cherche
    pluſtoſt que mes biens.
    II.  Quand vous voyez, que voſtre
    Mary fait eſclater ſa paſſion contre vo-
    ſtre Pere, voſtre Mere & vos Enfans, &
    
    211
    des perſonnes Mariées.
    contre vos Seruiteurs & vos Seruan-
    tes: conſiderez qu'il vaut mieux, qu'il
    la monſtre, que de la couuer dans ſon
    cœur. La flamme bruſle par ſon ardeur:
    mais elle reſioüit, par ſa lumiere. La fu-
    mée eſt intolerable ; & eſtouffe , ſans
    qu'on y penſe.
    III.  Recompenſez par vos bons
    ſeruices, & par voſtre tendreſſe, enuers
    vos parens, & enuers vos domeſtiques,
    les boutades & les excez de voſtre
    Mary : Ne leur donnez neantmoins
    rien à ſon inſceu, ſans l'aduis de voſtre
    Confeſſeur , ou de quelque homme
    ſçauant & experimenté. Voſtre Mary
    eſt le Maiſtre & le Diſpenſateur des
    biens de la famille.
    IV.  Ne precipitez rien: diſſimulez
    pour vn temps , ſi l'indignation eſt
    trop grande. Maintenez, auec plus de
    ſoin, l'affection que vous porte voſtre
    Mary. Si vous ne la perdez point: il ne
    ſera pas bien difficile d'accommoder
    tout en ſon temps.  Lors que vous
    le verrez en bonne humeur, teſmoi-
    gnez luy que ce procedé trop auſtere
    enuers vos parens, ou enuers vos ſer-
    uiteurs, vous afflige, vous ſerre le cœur
    
    212
    La Direction & la Conſolation
    & vous met en peril de voſtre ſanté.
    Si vous auez d'ailleurs , quelque in-
    diſpoſition, ce moyen ſera tres-efficace.
    V.  Si la prudence, ou la neceſſité,
    vous contraint de ne point tant hanter
    voſtre Pere & voſtre Mere : ne man-
    quez pas, de leur faire ſçauoir la bonne
    volonté que vous auez pour eux : & le
    deſir, que vous conſeruez de trauailler
    à vne bonne paix.
    VI.  Pour ce qui concerne vos en-
    fans; ne vous perſuadez pas facilement
    Eccli.
    7.
    que voſtre Mary leur ſoit trop ſeuere.
    Dieu luy commande la grauité, en ces
    termes. Vous auez des Filles : gardez
    leurs corps: & ne leur monſtrez point vn
    viſage riant
    .
    Eccli.
    30. 9.
    Dieu ne veut pas moins de grauité
    & de ſeuerité , enuers les maſles.
    Traitez doucement voſtre fils, dit-il: &
    il vous remplira de frayeurs.  Si vous
    iouez auec luy, il vous attriſtera : ne
    luy ſouſriez point , & ne luy compa-
    tiſſez point : autrement, il vous cauſera
    beaucoup d'amertume. Faites luy baiſſer
    la teſte, tandis qu'il eſt ieune. Chaſtiez-
    le, dez ſa premiere enfance; de crainte
     213 des perſonnes Mariées. qu'il ne s'endurciſſe , & ne vous croye
    pas: & vous tranſpere le cœur de dou-
    leur
    .
    VII.  Ne vous gendarmez donc pas,
    ſi voſtre Mary eſt ſerieux enuers vos
    enfans : & ne leur permet point, en ſa
    preſence, diuerſes libertez, dont vous
    voudriez tirer voſtre diuertiſſement. Il
    Strabo.
    l.15.
    n'eſtoit point permis aux Eſcoliers des
    Brachmanes , ny de parler , ny de cra-
    cher , ny de ſe moucher , deuant eux.
    Si cela leur arriuoit, ils eſtoient exclus
    de la claſſe de ces Philoſophes Indiens,
    Vin-
    cent. l.
    2. c.
    74.
    hiſt.
    nar.
    Baſil.
    in Hex.
    comme n'ayant point vn ſuffiſant do-
    maine ſur eux-meſmes.
    VIII.  Ne vous fachez non plus, s'il
    les chaſtie plus que voſtre tendreſſe
    maternelle ne voudroit.  Il les ne-
    ſtoyera de leurs vices & leur donnera la
    vie & la vigueur des vertus.  Les bour-
    dons meurent dans le miel : & viuent
    dans le vinaigre.  Le ſel d'Agrigentum
    ſe durciſſoit en l'eau, & ſe liquifioit au
    feu. Ce qui eſt vtile & neceſſaire à vos
    enfans , ne vous doit point eſtre faſ-
    cheux & deſagreable.  Et beaucoup
    moins deuez vous en teſmoigner vo-
    
    214
    La Direction & la Conſolation
    ſtre mécontentement à vôtre Mary: qui
    a des-ja aſſez de peine à cette violence
    qu'il ſe fait. Vous pourriez eſtre cauſe,
    qu'il quitteroit tous ſes ſoins : & que
    vos enfans mal eſleuez vous feroient
    bien des maux : ſi particulierement, en
    punition de cette laſcheté Dieu vous
    oſtoit voſtre Mary.
    IX.  Il pourroit neantmoins arriuer,
    que la ſeuerité ſeroit exceſſiue : & que
    vous deuriez interpoſer voſtre credit.
    Mais cela ſe doit faire, apres vne meure
    deliberation ; & apres auoir bien prié
    Dieu, qu'il vous inſpire & voſtre Mary
    ce qui ſera le plus conuenable à ſa
    gloire , au ſalut de vos enfans , & au
    bien de voſtre famille.
    §.  II.  Aduis pour le Mary, en ce
    qui concerne ſes enfans & ceux de
    ſa Femme.
    I.  Loüez en vous meſme la ten-
    dreſſe de voſtre Femme : tant pour ſes
    parens, que pour ſes enfans, ſes ſerui-
    teurs & ſes ſeruantes.  Les femmes ont
    plus de lait que les hommes : & la dou-
    ceur leur eſt plus propre.  La voſtre ſe-
    roit blaſmable , ſi elle n'auoit point
    
    215
    des perſonnes Mariées.
    cette affection : que Dieu a donnée,
    meſme aux animaux.
    L'Aigle aime tant ſes petits, dit le
    R. Sa-
    omon.
    Docteur Salomon ; que les voulant
    garantir des fleches du chaſſeur; non
    ſeulement elle les enleue en l'air auec
    ſes griffes : mais elle les met ſur ſon
    dos : afin qu'ils ſoient plus aſſeurez
    qu'elle meſme : & qu'on ne puiſſe les
    bleſſer, ſans l'offenſer la premiere.
    On blaſme l'Auſtruche, de ce qu'el-
    le ne couue point ſes œufs: & ne prend
    aucun ſoin de ſes petits.
    II.  Ne trouuez point mauuais que,
    de temps en temps, voſtre Femme de-
    mande la grace pour ſes enfans : cela
    l'en fera aimer, & empeſchera qu'ils ne
    luy faſſent tant de peine.
    Ne vous indignez point auſſi , ſi
    quelquefois voyant voſtre colere trop
    allumée & que vous frappez trop ru-
    dement ſes chers nourriſſons, elle va au
    ſecours; & vous arrache les verges des
    mains. Cela eſt excellent , lors qu'il ſe
    fait auec concert , & d'vn mutuel ac-
    cord.  Car l'enfant demeure dans la
    crainte : & ne reçoit pas vn grand mal.
    
    216
    La Direction & la Conſolation
    Ælian
    3.c.23.
    Mais quand il arriueroit , ſans vo-
    ſtre permiſſion : donnez quelque choſe
    à vne Mere attendrie.  Le Pelican non
    ſeulement ſe tire du ſang de la cuiſſe
    pour nourrir ſes pouſſins : mais ſe iette
    auſſi au milieu des flammes, pour les
    en deliurer.
    III.  Vous deuez faire plus de cas
    de l'amour de voſtre femme, à qui vo-
    ſtre colere eſt onereuſe : que de la ſatiſ-
    faction de voſtre paſſion : veu que cette
    douceur , meſlée auec voſtre aigreur,
    Plin.
    7.c.25.
    eſt propre à produire de bons effets. Le
    fiel de l'Aigle eſt excellent pour la veuë
    ſi on le meſle auec le miel de l'Attique.
    IV.  La trop grande ſeuerité abbat
    l'eſprit des enfans : les rend ſtupides &
    puſillanimes : ou les met en furie, & les
    rend fougueux & indociles.  La Lam-
    proye deuient furieuſe, ſi elle boit du
    vinaigre : Pluſieurs naturels ſe roidiſſẽt
    contre la rigueur , & ſe rendent trai-
    tables à vne douceur prudente & mo-
    derée : mais il n'y en a preſque point, à
    qui l'excez de la rigueur ne nuiſe beau-
    coup.  Vne petite pluie penettre & fer-
    tiliſe la terre. Les orages & les torrens
    rauagent
    
    217
    des perſonnes Mariées.
    rauagent & enleuent tout: & ne laiſſent
    que des pierres & des cailloux durs &
    inutiles.
    V.  Ne vous rebutez point, ſi quel-
    qu'vn de vos enfans paroiſt moins poli,
    moins ingenieux , & moins propre à
    vos deſſeins. Ce ſera poſſible celuy qui
    releuera toute voſtre famille : & ceux
    dont vous faites plus d'eſtat , & que
    vous croyez deuoir eſtre la ſplendeur
    de voſtre maiſon : en ſeront l'opprobre.
    Saül , Roy des Iuifs, appella ſon
    quatrieſme fils Eſbaal : qui ſignifie , le
    feu, la ſplendeur & l'amour du Roy.  Il
    fut ſi laſche, & ſi peu propre à gouuer-
    ner le Royaume, qu'il tint ſept ans par
    le ſecours d'Abner ( qui ſignifie ) Pere
    ou Prince lumineux , qu'on l'appella
    Iſboſeth: c'eſt à dire, homme de confu-
    ſion , homme contemptible.
    Le Fils de Ionathas fut nommé
    Meribaal : qui eſt autant, que ſi l'on
    euſt dit, vn Seigneur belliqueux & vail-
    lant
    . Il fut puis apres dit Miphiboſeth :
    qui ſignifie, homme meſpriſable à ſon
    ſeul regard : homme qui a vn viſage &
    vn maintien contemptible.
    K
    
    218
    La Direction & la Conſolation
    Au contraire, ceux qui eſtoient re-
    iettez par leurs parens à des occupa-
    tions baſſes & abjettes: ont eſté eſleuez
    de Dieu-meſme , ſur la teſte de tous
    leurs freres, & de leurs parens. Dauid
    eſtoit retenu, par ſon Pere Iſaï, à la gar-
    de des brebis, pendant qu'il pouſſoit
    ſes freres dans les charges des armées.
    Son Pere penſoit ſi peu à ſon auance-
    ment : qu'il ne le rappella pas ſeule-
    ment des champs, lors que Samuel luy
    declara que Dieu luy auoit ordonné
    d'oindre pour Roy celuy de ſes enfans
    qu'il luy deſigneroit dans ſon logis.
    Iſaï fit aſſembler ſes ſept autres fils; &
    laiſſa Dauid auec ſes brebis. Mais les
    autres n'eſtant point choiſis du Ciel,
    Samuel fit venir ce petit berger , le
    moins âgé de ſes freres, & le plus ne-
    gligé : & par vne ſainte onction , le
    declara ſucceſſeur de la Couronne.
    Les jugemens de Dieu ſont admirables,
    & paſſent entierement noſtre portée &
    noſtre preuoyance.
    VI.  Enſeignez vos enfans par vous-
    meſme , ſi vous le pouuez : au moins,
    faites leur rendre compte, de ce qu'on
    
    219
    des perſonnes Mariées.
    leur enſeigne dans les claſſes. Ce ſoin
    les fera plus ſoigneux : & ſe voyant
    éclairez par vous & par leur Maiſtre,
    comme par deux yeux toûjours veil-
    lans, ils ne s'endormiront point dans
    leur deuoir , & ne ſeront iamais en
    tenebres.
    Quand le Soleil éclaire noſtre He-
    miſphere : la Lune & les Eſtoiles éclai-
    rent l'autre. Si le Maiſtre donne de la
    lumiere à vos enfans dans ſa Claſſe.
    Si vous, ſi voſtre femme, ſi le reſte de
    voſtre famille les illumine par vos con-
    noiſſances & par vos vertus , ils de-
    uiendront bien-toſt des enfans de lu-
    miere , & illuſtreront en leur temps
    voſtre Maiſon.
    VII.  Si vous ne pouuez vaquer à
    leur inſtruction , choiſiſſez les plus
    ſçauans & les plus vertueux Maiſtres
    que vous pourrez.  Il importe beau-
    coup d'auoir vn bon Iardinier , pour
    planter les arbres d'vn verger,ſi on veut
    Plato
    in Al-
    cib.

    Crini-
    tus de
    honor.
    en gouſter des fruits.
    Les Rois de Perſe enuoyoient leurs
    enfans aux Maiſtres qui enſeignoient à
    monter à cheual ; & les faiſoient aller
    K ij
    
    220
    La Direction & la Conſolation
    à la chaſſe dés l'âge de ſept ans. A qua-
    Diſc.
    l.1.6.2.
    torze ans, ils leur donnoient des hom-
    mes les plus renommez en ſageſſe, en
    iuſtice, en temperance, & en force, qui
    fuſſent dans tout le Royaume : & ils
    eſtoient appellez, les Precepteurs Ro-
    yaux.  Le premier leur enſeignoit la
    ſcience des choſes naturelles, & les In-
    ſtituts , & manieres de viure & d'agir
    des Rois. Le deuxiéme leur inculquoit,
    que toute leur vie, ils aimaſſent & pra-
    tiquaſſent la verité ſur toutes choſes.
    Le troiſiéme, qu'ils ne ſe laiſſaſſent ia-
    mais domter par aucunes de leurs paſ-
    ſions : mais qu'ils s'efforçaſſent de ſe
    mettre dans vne parfaite liberté d'eſ-
    prit : de ſe commander premierement à
    eux meſmes , & de n'eſtre eſclaues
    d'aucun vice.  Le quatriéme , enfin,
    les exhortoit & les ſtiloit92 à auoir vn
    cœur genereux & ſans crainte.
    VIII.  Si vous auez ſoin de vos pro-
    pres enfans, ne negligez point ceux
    que voſtre femme a eus d'vn autre Ma-
    ry.  Careſſez-les meſme, auec plus de
    tendreſſe exterieure ; & tenez forte-
    ment la main que les voſtres les ai-
    
    221
    des perſonnes Mariées.
    ment , les reſpectent & les aſſiſtent.
    C'eſt le meilleur moyen de maintenir
    la paix, & la proſperité de voſtre Mai-
    ſon , & durant voſtre vie, & apres vo-
    ſtre mort.
    Les Poëtes nous racontent, que Ca-
    ſtor
    & Pollux freres de diuers Peres
    s'entr'aimerent ſi cordialement , que
    Pollux, fils de Iupiter, deuant eſtre im-
    mortel , il ceda à ſon frere Caſtor la
    moitié de ſon immortalité : C'eſt pour-
    quoy, ils furent tous deux tranſportez
    au Ciel , pour y luire l'vn apres
    l'autre.
    Si la Charité, qui eſt vn feu diuin,
    enflamme & éclaire vos enfans , ils
    pourront tous s'échauffer l'vn l'autre
    en l'amour des biens eternels , & au
    deſir des heroïques actions, & reluire
    enſemble.  Si Caſtor & Pollux paroiſ-
    ſent, dans le Ciel, tous deux à pareille
    heure ; c'eſt vn ſigne de beau temps.
    Iamais vous ne l'aurez , ny beau , ny
    bon , ſans vne mutuelle concorde , &
    ſans la ſplendeur des vertus dans
    voſtre logis.
    K iij
    
    222
    La Direction & la Conſolation
    §.  III.  Auis au Mary, touchant
    ſes ſeruiteurs & ſes ſeruantes; que
    ſa Femme ſupporte.
    I. Conſiderez, que vos ſeruiteurs &
    vos ſeruantes ſont d'vne meſme na-
    ture que vous : & qu'ils ſon éleus à
    l'eſtat de la Grace & de la gloire, auſſi
    bien & auſſi auantageuſement que
    vous. Ils ont eſté creés de la meſme
    matiere, rachetez par le meſme Sang
    du Fils de Dieu, & deſtinez à la meſme
    recompenſe du Paradis.
    Les Gymnoſophiſtes, Philoſophes de
    Diodor
    l.2.c.
    18.
    l'Inde, auoient vne Loy entr'eux , que
    perſonne n'eſt eſclaue ; mais que tous
    ſont nez libres , & doiuent eſtre hono-
    rez en cette qualité. Et le Philoſophe
    Bion enſeignoit , Que les ſeruiteurs
    vertueux ſont libres : & que les Mai-
    ſtres vicieux, ſont eſclaues. I'ay prou-
    ué cette verité au premier liure du
    Sect.1.
    & 2.
    Traité que i'ay fait pour l'inſtruction
    & pour la conſolation des ſeruiteurs &
    des ſeruantes.
    II.  Seneque tres-ſage Philoſophe
    conſeille de viure parmy ſes ſeruiteurs,
    auec familiarité , auec douceur & de-
    
    223
    des perſonnes Mariées.
    bonnaireté. Cette Charité leur épa-
    noüit le cœur, renforce les bras, eſ-
    ueille l'eſprit, pour aimer, pour ho-
    norer, pour ſeruir & aider leurs Mai-
    ſtres, en tout lieu & en toute occur-
    rence.
    Sabell.
    l.6.
    Inne.
    ad. 1.
    Vn ſeruiteur, dans la ville de Tyre,
    ſauua la vie à Straton ſon Maiſtre, & le
    fit Roy de cette Republique , parce
    qu'il l'auoir traité auec douceur &
    debonnaireté.
    III.  Si vous abaiſſez vos ſeruiteurs,
    contre leur gré, à des offices trop vils
    & trop laborieux : vous vous priuerez
    ſouuent de leurs trauaux , dans leurs
    occupations ordinaires, lors que vous
    ſerez abſent : ou ils tomberont mala-
    des de dépit, ou ils s'enfuiront de vo-
    ſtre logis , ou feront quelqu autre
    ſottiſe. Ce qui ſe fait à contre-cœur,
    n'eſt iamais de longue durée.
    Vn ieune Lacedemonien , d'honneſte
    famille, eſtant fait priſonnier de guer-
    Plin
    Lacon
    re par le Roy Antigonus , fut vendu à
    l'encant auec les autres eſclaues. Il ſer-
    uit alegrement & fidellement à celuy
    qui l'auoit acheté : tandis qu'il ne luy
    K iiij
    
    224
    La Direction & la Conſolation
    commanda rien d'indigne de ſa naiſ-
    ſance.  Mais ſon Maiſtre luy ayant
    ordonné d'apporter vn pot de cham-
    bre, il refuſa d'obeïr.  En eſtant fort
    preſſé par cét homme enflammé de co-
    lere , il monta promptement ſur le toit
    de la maiſon : & criant à haute voix,
    Tu verras ce que tu as acheté , ſe pre-
    cipita la teſte deuant ſur le paué : & ſe
    l'écraſa. C'eſt vne imprudence de con-
    traindre violemment vn ſeruiteur à des
    actions à quoy il a vne trop grande re-
    pugnance naturelle.
    IV.  Ne chargez point auſſi vos ſerui-
    teurs au delà de leurs forces.  Leur
    cœur laiſſera refroidir l'affection qu'ils
    vous porteroient: & par conſequent, ils
    agiront moins à voſtre profit qu'ils
    n'euſſent fait. Contentez-vous, lors
    qu'ils font comme les autres ſeruiteurs
    de voſtre ville , aux maiſons qui ſont
    ſemblables à la voſtre: ou qu'ils gardent
    les conditions du contrat , qu'ils ont
    fait auec vous, à l'entrée de voſtre logis.
    Il y auoit à Suze , ville Royalle de
    Perſe , des bœufs , dont chacun tiroit
    tous les jours , cent ſeaux d'eau, pour
    
    225
    des perſonnes Mariées.
    les jardins du Roy.  Ils faiſoient ce-
    la auec promptitude , & ſans aucune
    contrainte: Mais il eſtoit impoſſible de
    leur en faire tirer vn ſeul dauantage :
    nonobſtant toutes les careſſes qu'on
    leur fiſt : & toutes les baſtonnades
    qu'on leur donnaſt.
    Le jugement naturel dicte à vos ſer-
    uiteurs ce qu'ils vous doiuent , ſelon
    les gages que vous leur donnez : &
    ſelon la couſtume de la ville, où vous
    viuez. Conformez-vous y : ſi vous ne
    voulez paſſer dans leur eſprit , pour
    vn barbare , & pour vn homme , qui
    ne merite pas d'eſtre ſeruy.
    V.  Eſtudiez le naturel de vos
    ſeruiteurs & de vos ſeruantes. De
    cette connoiſſance dépend la bon-
    ne conduite , & l'efficacité du gou-
    uernement. Les vns ſe captiuent par
    amour, & par de bonnes paroles, les
    autres ſe gagnent par les loüanges :
    les autres, par bien faits : quelques-
    vns, par crainte & par menaces. L'on
    en trouue meſmes, qui ne marchent
    point, ſi l'on ne les pique. Si l'on man-
    que de cette lumiere , on gaſte tout
    K v
    
    226
    La Direction & la Conſolation
    pour l'ordinaire : rendant orgueilleux
    les vns, & abatant le cœur aux autres.
    Sur cette penſée, diuers Princes &
    diuers Rois ſe ſont déguiſez, pour con-
    noiſtre ce qui ſe paſſoit dans leurs
    Royaumes : afin d'eſtre aidez, par cet-
    Hector
    Boeth.
    l. 17.
    hiſt.
    Scot.
    te veuë, en leur gouuernement.  Iac-
    ques I. Roy d'Eſcoſſe
    , changeoit quel-
    quefois d'habit : & ſe meſloit parmy
    ſes Sujets, particulierement parmy les
    Marchands , pour voir leur maniere
    d'agir , dans les banquets , & dans le
    trafic.
    Frideric le vieux, Duc d'Auſtriche,
    oncle de l'Empereur Frideric III. con-
    Æneas
    Sylu. l
    3. de
    Alph.
    uerſoit ſouuent auec les villageois, s'e-
    ſtant caché ſous vn habit de villageois.
    Il ſe donnoit à loüage93, pour cultiuer
    la terre : & pour faire , à la iournée
    d'autres trauaux. Il jettoit alors des
    diſcours de ſoy & de ſes Courtiſans.
    Comme il fut interrogé , pourquoy
    il en vſoit de la ſorte. Ie ne puis, dit-
    il, ſçauoir autrement la verité.
    Si voſtre condition le permet, tra-
    uaillez quelquefois auec vos ſerui-
    teurs, pour les ſoulager en leurs la-
    
    227
    des perſonnes Mariées.
    beurs. Vous verrez bien-toſt à leurs
    mains & à leurs langues , quels ils
    font. Ils prendront auſſi courage, de
    faire plus joyeuſement, & auec plus
    de perfection, ce qu'ils verront que
    vous deſirez & eſtimez.
    VI.  Ne mépriſez iamais vos ſerui-
    teurs, en telle ſorte qu'ils vous ayent
    en horreur, & qu'ils conçoiuent quel-
    que deſir de vangeance. Ils ſont main-
    tenant ſous vos pieds : demain, peut-
    eſtre, ils ſeront ſur voſtre teſte.  Nous
    voyons chaque iour que la rouë de
    Fortune tourne en tous les Eſtats &
    eſleue de la pouſſiere ceux qui ram-
    poient par terre, au plus bas de la lie
    du peuple.  On a auſſi ſouuent veû
    tomber du plus haut du Ciel les plus
    grandes & les plus brillantes Eſtoiles,
    pour s'eſteindre dans la bouë , ou
    pour ſe noyer dans les abyſmes.
    Herod.
    l. 30
    Darius, Roy de Perſe, auoit eſté ſer-
    uiteur de Cyrus, & auoit porté le Car-
    quois où eſtoient les fléches.
    Seleuous, le premier Roy des Grecs
    en la Syrie & en l'Aſie , apres Alexan-
    dre
    : auoit eſté valet de pied de ce va-
    leureux Conquerant.
    
    228
    La Direction & la Conſolation
    Seruius Tullius, le fils d'vn eſclaue,
    Dionyſ
    Halicar

    l.3.
    fut le ſixiéme Roy de Rome, eut vn
    regne tres-heureux, & triompha trois
    fois de ſes ennemis.
    Les ſeruantes ont auſſi eſté ſouuent
    eſleuées à de tres-illuſtres dignitez,
    par l'affection qu'vn Roy ou vn Em-
    pereur leur a portée.  En la Chine &
    en diuers Royaumes , les Princes &
    les Rois n'ont nul eſgard aux richeſſes
    ny à la Nobleſſe, lors qu'il eſt question
    de leurs femmes.  Ils n'ont l'œil qu'à
    la beauté & à la gentilleſſe de l'eſprit.
    De ſorte que ſouuent ils prennent des
    filles de Charpentiers, de Menuiſiers,
    de Cordonniers, & de ſemblables Of-
    ficiers tres - raualez.
    §  IV.    Auis au Mary, pour ce qui
    concerne le Pere & la Mere
    de ſa Femme.
    I.  Vous deuez louër voſtre Femme,
    de ce qu'elle vous preſſe d'aimer &
    d'aſſiſter ſes parens. Si elle ne le fai-
    ſoit pas, vous la devriez tenir pour
    vne ingrate & pour vne barbare. Elle
    leur doit la vie, & tout ce qu'elle a.
    Et vous leur deuez voſtre Femme ,
    
    229
    des perſonnes Mariées.
    qu'ils vous ont donnée : & qui, ſans
    eux , ne ſeroit pas au nombre des
    viuans.
    II.  Suppoſé la verité, que Dieu nous
    a enſeignée, Que l'homme & la fem-
    me ne ſont qu'vne meſme chair : le
    Pere & la Mere de voſtre femme ſont
    voſtre Pere & voſtre Mere : & par con-
    ſequent vous eſtes obligé de les cherir,
    de les aider , & de les ſeruir en cette
    qualité.  Ils vous ont donné leur fille,
    qui eſt leur ſubſtance.  Ils vous font
    heritier de leurs biens, qu'ils vous ont
    acquis auec beaucoup de ſueurs.  Ils
    vous ont desja mis en main vne bon-
    ne ſomme d'argent pour voſtre ma-
    riage, & ſe ſont priuez des douceurs
    de la vie , pour vous accommoder.
    Ils deſirent voſtre auancement , vos
    richeſſes & vos honneurs, comme les
    leurs propres. Leurs bons auis vous
    peuuent eſtre vtiles, à cauſe de l'ex-
    perience qu'ils ont dans les affaires.
    Leurs amis & leurs parens ſeront vn
    grand renfort à voſtre famille.  Les
    prieres qu'ils feront pour vous & pour
    vos enfans , vous obtiendront les fa-
    
    230
    La Direction & la Conſolation
    ueurs du Ciel.  Leurs maledictions
    vous apporteroient de grands dom-
    mages. Deut.
    27.
    Maudit ſoit, dit Dieu au Deutero-
    nome
    , celuy qui n'honore pas ſon Pere
    & ſa mere
    .  Et en l'Eccleſiaſtique, la
    Eccl.3. benediction du Pere affermit la mai-
    ſon: & la malediction de la mere en ar-
    rache les fondemens
    .
    Aux Prouerbes , vous auez, Celuy
    Prou.
    19 & 30
    qui afflige ſon pere & ſa mere ſera mé-
    priſé d'vn chacun , & reüſsira mal en
    ſes entrepriſes. Ceux-là meritent d'eſtre
    mangez des corbeaux & des aigles,
    eſtant pendus prés des torrens, qui ſe mo-
    quent de leurs peres & de leurs meres,
    à qui ils doiuent la vie
    .
    III.  Pour qui reſeruez vous voſtre
    affection , ſi vous ne la donnez à vos
    parens , & à ceux de voſtre femme ?
    Ils ſont les plus grandes richeſſes que
    vous puiſſiez ſouhaiter , & les plus
    precieux meubles , que vous puiſſiez
    poſſeder.
    Platon au Traité qu'il a fait pour
    Plato
    11. de
    legib.
    la bonne police d'vne Republique,
    en parle de cette ſorte: Ceux dont les
     231 des perſonnes Mariées. peres & les meres, ou les grand-peres
    & les grand-meres ſont au logis comme
    vn Threſor, doiuent croire fermement
    que iamais ils n'auront vne Diuinité
    plus efficace, & qui leur apporte plus
    de commoditez: s'ils les honorent & les
    aſsiſtent, comme la raiſon & leur deuoir
    les y obligent
    .
    Concluez : & iugez , que voſtre
    Femme a vn iuſte ſujet de trouuer
    mauuais , que pour de chetifs inte-
    reſts pretendus , vous mépriſez ſes
    parens : & que par ce moyen vous
    vous priuiez & toute voſtre famille,
    des benedictions que le Ciel y verſe-
    roit , ſi vous vous corrigiez de ce
    defaut.  Concluez auſſi, qu'elle en-
    courreroit les maledictions ſuſdites,
    ſi elle ne vous prioit de les aimer &
    de les aider.




    
    232
    La Direction & la Conſolation
    Filet décoratif.

    CHAPITRE VIII.

    La Conſolation & la Direction d'vne
    Femme , dont le Mary ne gagne
    rien , ou par pareſſe , ou
    par maladie
    .

    LEs Mariages ne ſe font pas ſeu-
    lement , pour la procreation des
    enfans : mais auſſi pour rendre la vie
    plus douce , par vne mutuelle com-
    munication de biens & de trauaux,
    entre l'homme & la femme. Quand
    donc l'vn ou l'autre vient à manquer
    à ce deuoir , celuy qui reſte ſeul eſt
    accablé ſous le faix, eſtant obligé de
    porter tout le poids des fatigues , &
    de gemir , dans vne fâcheuſe amer-
    tume.
    Le vinaigre n'eſt pas plus fâcheux
    Prou.
    10.26.
    aux dents , dit Salomon , ny la fumée
    aux yeux, que l'eſt vn pareſſeux à celuy
    qui l'occupe
    .
    Themiſtocle dit encore plus ; Que
    Plutar. la pareſſe eſt le ſepulchre d'vn hom-
    
    233
    des perſonnes Mariées.
    me viuant. De ſorte qu'vne pauure
    femme vit aupres d'vn mary endormy,
    comme aupres d'vn corps mort, qui
    ne ſe remuë point, & qui rend vne
    intolerable puanteur. Taſchons de
    remedier à cette miſere.
    §.   I.  Auis pour la femme qui a vn
    mary pareſſeux.
    I.  Conſiderez, que ſi voſtre mary
    eſtoit fort laborieux, & gagnoit beau-
    coup, probablement il en deuiendroit
    orgueilleux , & s'adonneroit à la dé-
    bauche, ſous pretexte de ſe diſtraire,
    & de reprendre ſes forces.
    II.  Si voſtre mary eſtoit robuſte &
    de grand trauail, il exigeroit de vous
    des labeurs , qui vous ſeroient inſup-
    portables. Chacun ſe plaiſt à ſes ſem-
    blables : & croit que ce qu'il peut eſt
    poſſible aux autres. Vn bon Ouvrier
    veut ſa femme, dans vne continuelle
    action.  Il la meſure ſouuent à ſes
    propres forces, ſans auoir eſgard aux
    infirmitez qui luy ſuruiennent. Que
    feriez-vous en cette extremité ?
    III.  Voſtre mary ne trauaille pas
    tant que vous voudriez : mais il eſt
    
    234
    La Direction & la Conſolation
    d'vn naturel doux & debonnaire. Il
    vous laiſſe en repos & vos enfans.
    Nul homme n'a toutes les perfections
    enſemble.  Iettez les yeux ſur la fa-
    cilité de ſon naturel, ſur la paix & le
    repos qu'il vous donne : & ſi vous
    eſtes raiſonnable, vous en ſerez moins
    affligée.
    A peine , dit Ciceron , trouuerez-
    vous perſonne , qui ayant ſouffert de
    grands trauaux , & couru pluſieurs
    dangers, n'attende que la gloire pour ſa
    recompenſe.  Mais, ce qui eſt le pis,
    le cœur s'enfle par les bons ſuccés ;
    & fait , que l'œil & la bouche mé-
    priſent & dédaignent les autres. Si
    voſtre mary vous bafoüoit, ce vous
    ſeroit vn grand déplaiſir. Ayez donc
    patience, s'il eſt moins bon Ouvrier;
    puis qu'il vous laiſſe dans vne grande
    tranquilité.
    IV.  Bornez voſtre conuoitiſe , &
    diminuez les frais de voſtre table, de
    vos habits, de voſtre vaiſſelle, de vos
    autres meubles , & de pluſieurs ſu-
    perfluitez. Vous verrez alors voſtre
    maiſon autant à ſon aiſe , que ſi vo-
    
    235
    des perſonnes Mariées.
    ſtre mary gagnoit beaucoup , & que
    vous continuaſſiez la grande dépenſe,
    dont voſtre vanité ou voſtre delica-
    teſſe eſt deſireuſe.  Celuy qui tire
    beaucoup d'eau, & l