Le mariage sous L'Ancien Régime
LA FOREST
NVPTIALE,
Où eſt repreſentee vne varieté bigarree, non
moins eſmerueillable que plaiſante, de diuers
mariages, ſelon qu’ils ſont obſerueZ & pra-
tiqueZ par pluſieurs peuples & nations eſtran-
ges : Auec la maniere de policer, regir, gou-
uerner & adminiſtrer leur famille.
MONSTRANT REGIBVS ASTRA VIAM. PB
Vignette :
Image d'une étoile brillante sous une couronne.
Cadre de forme ovale avec inscription.
Feuilles entourant le cadre pour former
un rectangle. PB en bas.1
BIBLIOTHEQUE DE L'ARSENAL
Sceau de la bibliotheque de l'Arsenal
A PARIS,Chez Pierre Bertavlt au Mont
S. Hilaire à l’Eſtoille Couronnee. Filet simple.
1600.
AVEC PRIVILEGE DV ROY.
2
Bandeau décoratif.
Auant-diſcours de
l’Autheur.3
Lettrine "I", décorée de feuilles.
I'Ay honte qu’il fail-
le maintenant que
ceux qui font mar-
cher en public quel-
ques œuures, ſoyent ſujets de
dreſſer la premiere aiſle de
leur baſtillon alencontre des
baſtardes meſdiſances des ini-
ques & mal-aduiſés contrero-
leurs. Mais, puis que l’enuie
( comme diſoit l’autre ) n’eſt
poinct morte, il eſt trop plus
que neceſſaire qu’õ s’arme &
muniſſe pour la rembarrer &
rabatre les coups d’vn tas de
regratteurs4 de deſſeins d’au-
re ie n’ay que faire de ſortir
hors de noſtre part-terre bi-
garé d’vne diuerſité de maria-
ge. Il me ſemble entẽdre mar-
monner, & deſia ie vois des
yeux de l’eſprit nos preſte-
charités5, fureteurs des labeurs
entrepris par autres & ſaty-
riques valemedire6 qui, des
pieds iusques à la teſte, eſplu-
cherõt toutes les parties, voi-
re les moindres parcelles des
bigareures entrelaſſées au par-
terre de noſtre Foreſt nuptiale
pour y trouuer qu’à redire: Ce-
la eſt cauſe, que ie les ay voulu
barriquer de cet auant propos
deſtiné pour faire entẽdre aux
eſprits biẽ nés, le but de mõ in-
tẽtiõ, l’occaſiõ de mõ entrepri-
ſe, l’vtilité & profit qui en reuiẽ-
dra au public ( Dieu aydant ) &
finalemẽnt les prier de prẽdre
les raisõs, que ie deduirai pour
ma deſcharge & iuſtification
en payement & s’il y defailloit
quelque choſe, me gratifier,
tant de leurs humanitez & be-
nignes7 faueurs, que la verité,
q̃ ie propoſe, ne ſoit rebrouee.
Il n’y a celuy auquel nature
n’apprẽne que le mariage eſt
vn eſtat le plus anciẽ qui ſoit
en tout le monde par lequel
nos deux tiges de l’humain li-
gnage, Adam & Eue, ont eſté
vnis, conioincts & incorpo-
rez par enſemble, ſi bien que
c’eſt à tort8 ſi & Iuſtinien en
en ſa Nouelle9 des nopces, & le
Docteur Balde, tiennent que
le mariage eſt le commence-
ment, baſe & fondement du
gẽre humain. Quand tout eſt
dict, quelle plus ſaincte, cha-
ſte, aſſeuree & agreable
ſocieté pourroit aduenir, que
celle du mary & de la femme ;
quand l’vn eſt ce que l’autre?
deux corps en vn eſprit, d’vne
meſme volonté, & vn eſprit,
& mutuel conſentement en
deux corps. Les ſeuls mariez
homme & fẽme ne ſe portẽt
point d’enuie, ſeuls ils s’aimẽt
infiniment, chaſcun d’eux de-
pend tout l’vn de l’autre, & ſe
repoſe en luy, ce n’eſt qu’vne
meſmes chair, vne meſme cõ-
corde, vne meſme ioye, vne
meſme triſteſſe, vne meſme
richeſſe, vne meſme pauure-
té, vn meſme gain, vne meſ-
me perte, vne meſme digni-
té. Ils ſont touſiours compai-
gnõs d’vn meſme lit, & d’vne
meſme table, tellemẽt accou-
plés par enſẽble, que l’amour,
du mary à la femme, & de la
femme au mary ſurpaſſe cel-
le du pere & de la mere aux en-
fans, des enfãs au pere, & cel-
le que les freres & ſœurs doy-
uent auoir enſemble. Voyla
pourquoy l’amour coniugale
doit ſurpaſſer toutes les au-
tres, & doit demeurer perpe-
tuelle, attendu que le pere, la
mere, les enfans, les freres, les
ſœurs, les couſins, les amys sõt
acceſſoires, au lieu que l’hõme
a eu ſa femme & la femme sõ
mary premier qu’on n’a ouy
parler de pere, mere, & enfãs.
Voire mais10 qu’ay-ie de beſoin
de m’eſtendre d’auantage ſur
la louange des mariages, le ſu-
iet en eſt ſi beau pour diſcou-
rir, qu’apres auoir enflé beau-
coup de Tomes de ce qui la
cõcerne encores n’auroit-on
pas attainct le tiers de la car-
riere. Il y a plus, qu’au choc
des maſles & femelles11 i’ay em-
ployé ce que le Poete Sceuo-
le de Saincte Marthe a en par-
tie tourné & imité du cinqui-
eſme liure de Marcel Palinge-
nie en ſon zodiaque de la vie:
Encores ie remploie ce que
là i’ay deduict & conſecutiue-
ment, puis que le mariage eſt
tant à priſer i’infereray, qu’il
m’eſt loiſible, voire12 honneſte
d’entamer propos, qui quoy
que diametralement ne paſſe
par la ligne du milieu, par re-
flexion neant-moins ſe r’ap-
porte au centre nuptial. En-
cores dõques que le mariage
ſoit party du cabinet celeſte,
eſtably par l’Eternel, honoré
de la preſence du fils de Dieu,
ſi eſt-ce que13, comme diſoit vn
bon Docteur ancien, Ieſus-
larrons atteints14 de pluſieurs
& enormes meffaicts. Vous
voiés, que le mariage eſt fon-
dé ſur vne ſi ſacree inſtitutiõ,
le voyla coſtoyé & de ceux
qui le foulent aux pieds, & de
ceux, qui l’aians receu, ont in-
troduict vne pluralité de fem-
mes, ont adioint au mary des
Lieutenans de couche : Bref,
qui ont retenu le maſque de
mariage & l’ont affeublé du
mãteau de paillardiſe. A ceux
là ie liure la guerre, & verrés, ſi
en vn ſeul poinct ie fauoriſe
à leur Poligamie & impudi-
que lubricité. Et par-ce que ce
ſiecle ne nous a enfanté que
trop de maquignõs, ſuppoſts
& partiſans Antigamiens15, i’ay
bien voulu dreſſer dans ceſte
Foreſt Nuptiale vne bigareu-
re des mariages, pour eſtaler,
en veue d’vn chaſcun ce qui
peut eſtre louable ou à meſ-
priſer de telles & ſi illicites cõ-
ionctions. Poſſible que ceux
qui faiſoyent leur compte de
buſquer d’auantage fortune,
voyans leur mine deſcouuer-
te & eſuentee, pouſſés de hõ-
te, ſe retirerõt du mauuais ſen-
tier, qui les menoit à la vallee
de miſere. Les autres, qui ont
bons yeux dans la teſte, con-
tre-balançans les legitimes
mariages auec les illegitimes,
pourront tenir mon party &
croir feermement en premier
lieu, que ceux qui ſont ſortis
hors du rond orbiculaire de
mariage ( cecy toutesfois doit
eſtre ſainement pris & ainſi
que ie l’entends ) ne ſçauroiẽt
mieux ſe manifeſter eſtre de-
naturés, deſ-raiſonnables, &
ennemis de toute honneſte-
té, comme qui pour ſe veau-
trer en paillardiſes, & autres
accouplemens, leſquels, pour
horreur, ie n’oſe nõmer, ont
meſpriſé le mariage. En apres
que ceux, qui à leur ſotte diſ-
cretion ont voulu à tors & à
trauers donner dans le cercle
Nuptial, & ne s’aſſubiettir à la
ligne diametrale ſi bien mar-
quee & deſignee par l’inſtitu-
teur du mariage, ont faict des
ſurſaillies16 merueilleuſement
eſtranges : les vns Poligamiẽt,
les autres proſtituent ou leur
pucellage, ou leur pudicité à
des Bramins, Brachmãs, paſ-
ſans & autres ; les autres fina-
lement ( par le conſentement
de leurs maris ) gaignent leur
vie impudiquement, & à la
ſueur de leur corps. Quoy pl917?
vous voirez qu’ẽtre ceux meſ-
mes qui ſe rangent du party
du mariage, le mariage eſt tel-
lement defiguré, en pluſieurs
endroicts, que l’on peut dire,
qu’il ne ſert que de lodier18 de
cornardiſe. Le cœur me ſaigne
quãd ie lis ce que les autheurs
no9 en rapporte, & ay eſté en
voie par pluſieurs fois de deſ-
chirer ce que i’en auoie bro-
ché, n’eut eſté que quelques
miens amis m’en ont diſſua-
dé, me remonſtrans, qu’enco-
res qu’il y eut plus à redire à
ces mariages, qu’il n’y a, ſi fail-
loit-il les faire ſortir en pu-
blic, pour faire prẽdre en hor-
reur à ceux qui auroyent en-
uie de s’y fourrer l’infamie,
qui accompaignoit ceux, leſ-
quels s’emancipoyent au de-
ſus de leur deu19. Tout ne pl9
ne moins, qu’encores que la
paillardiſe, l’adultere, le pecu-
culat, le larcin, le parricide, la
trahiſon & autres plus grands
crimes, formellement s’ad-
dreſſans à la maieſté diuine &
humaine, facent mal au cœur
à tous gens de bien, pour-ce,
la iuſtice ne laiſſe poinct à iu-
ſticier & publier les meffaicts
de ceux qui sõt attaints d’au-
cuns de ces crimes: de meſmes
voyõs nous qu’aucũs peuples,
pour deſtourner leurs enfans
d’yurongnerie, des qu’en rue
ils deſcouuroyent vn perſon-
nage ſurpris de vin, ils en re-
paiſſoiẽt les yeux de leurs en-
fãs, non point pour le ſemõ-
dre20 à s’enyurer, ains pour leur
faire prendre en execratiõ la
vilanie des yuroignes. Ces
cõſideratiõs & remonſtrãces
m’ont fait reprẽdre cœur, de
telle ſorte q̃ i’oſe biẽ dire, que
mes amis m’õt oſté des mains
ce labeur, à peine auant que ie
l’euſſe reueu à mon plaiſir. Or
puis qu’il eſt queſtion de me
hazarder au iugemẽt d’autruy,
ie ſuis contrainct, pour ne me
monſtrer trop failli de coura-
ge, d’icy rẽdre raiſon au moins
mal qu’il me ſera poſſible des
poincts qui me ſemblent les
plus chatouilleux. Premiere-
mẽt on me battra pource q̃ ie
parle des mœurs des peuples
qu’õques ie ne vis. Argumẽt
couſtumier à ceux, qui pour
auoir voyagé quelque peu ſe
font accroire, qu’ils tiennent
dans vne boite tout l’vniuers.
Ie priſe grademẽt ceux, qui
de leurs yeux, ont peu deſcou-
urir beaucoup de choſes &
nous les rapportẽt fidellemẽt,
mais que de cela on doiue in-
ferer qu’il ſoit interdit à ceux
qui n’ont peregriné de pui-
ſer de leurs diſcours ce qu’ils
en r’apportẽt, c’eſt rẽdre leur
labeur infructueux. Ma raiſon
eſt que de deux choſes l’vne il
faut ou qu’ils dient vray, ou
qu’ils mentent : s’ils rapportẽt
la verité, il m’eſt auſſi loiſible
de la dire qu’à eux, moyennãt
que ie ne ſoie point ingrat de
recognoiſtre la tenir d’eux.
S’ils bourdent, he! la dois ie fai-
re bonne pour eux? ceux qui
auront intereſt en ceſt affaire
qu’ils ſe prennent à eux, &
puis, à eux le debat. Cependãt
s’il leur plaiſoit de iamais ne
s’accorder par enſemble, ſe-
roit il à dire qu’il nous fut de-
ffendu de n’entendre parler
l’vn ou l’autre. Et afin que ie
deſ-charge tout d’vn coup
mon cœur, comment eſt-il
poſſible qu’vn perſonnage,
puiſſe entaſſer en ſon cerueau
tant de particularités de tant
& de ſi diuers pays, qu’a peine
vn homme peut-il deſcouurir
en vn fort long temps les ſin-
gularités de la prouince, ouou il
aura eſté eſclos: A plus forte
raiſon vn eſtranger pourra
fureter tous les ſecrets de di-
uers pays lointains, pour pou-
uoir donner en payement
quelque raiſon diſtincte, par-
ticuliere & qui ſoit vraye.
D’ailleurs l’ignorãce ou la ma-
lignité des eſtrãgers eſt telle,
qu’ils ſe plaiſent à abbreuuer
ceux qui ne ſont du pays de
bayes21, pour auoir occaſiõ de
les deſmẽtir quãd il leur plai-
ra: D’où aduiẽt que les deſcri-
ptions des pays eſtranges, ſe
contrarient de telle ſorte: Et
voyla pourquoy, cy apres ie
dreſſe vn denombremẽt des
Autheurs deſquels i’ay re-
cueilly les plançons22 qui m’õt
ſeruy a attiffer23 ceſte Foreſt, &
la diuerſifier de ces bigarreu-
res. Pour cela ne lairray-ie
point encores à eſtre recerché
de ce que particulierement ie
n’ay dõné icy nouueaux cha-
pitres à noſtre France, Angle-
terre, Eſcoçe & autres con-
trees de noſtre Hemiſphere.
Ie ne veu point nier que ie
n’en aye bien bõne enuie, voi-
re que i’en ai dreſſé vn deſſein
lequel ſi ie cognois qu’il puiſ-
ſe eſtre le biẽ venu enuers les
gens de bien, ie ne ferai point
difficulté d’acheminer à per-
fection. Toutefois i’ay mieux
aimé ſurſeoir que d’appreſter
matiere aux meſdiſans de di-
re que ie vouloie embloquer
auec la Polygamie24 des malad-
uiſez les mariages, que ie ſçay
en pluſieurs endroits eſtre ſin-
ceremẽt gardeés & obſeruez.
Ordre
& ſuite
de ce trai-
té. Ne me reſte plus pour mener
à chef25 ceſt auãt diſcours ſinon
qu’à dõner l’adreſſe qu’il faut
tenir pour ne s’eſgarer parmy
noſtre Foreſt Nuptiale. Ie ne
la vous feray autre que celle à
laquelle ie me ſuis moy-meſ-
mes reiglé. A l’entrée vous
trouuerez le 3. chapitre26 deſti-
né aux Romains, Babyloniẽs
& Perſans, leſquels ont eſté
mis en frõt de la Foreſt, pour
autãt que ces peuples ont au-
tresfois eſté les premiers, plus
puiſſans & floriſſans d’entre
les autres. Apres fil à fil ſuiurõt
les nations eſtranges, que no9
viſiterons iuſques aux Pata-
goneens & Yucateens. A la
fin & auant que ſortir de no-
ſtre Foreſt faudra broſſer, non
vne cõtree particuliere, mais
refaire preſque la vireuolle27 de
toute la courſe qu’auroie28 deſ-
ia fait, pour eſclarcir quelques
ombrages qui euſſent peu rẽ-
dre noſtre Foreſt moins paſ-
ſagere. Ie n’y ay pas fait ce qui
eut eſté bien requis & que
moi meſmes i’euſſe biẽ deſiré:
d’vn point ſuis aſſeuré y auoir
mis la peine & deuoir que i’ay
peu. S’il y a quelcun plus en-
tendu, mieux aduiſé que ie ne
ſuis pour es-brancher & ap-
proprier mieux l’entour, le
milieu & allees de ceſte Fo-
reſt, il ne ſera que ſingulier
plaiſir de ſeconder mes deſ-
ſeins. Qu’il ayt bon courage,
il trouuera aſſez de beſoigne
taillee29.
le maintenant que
ceux qui font mar-
cher en public quel-
ques œuures, ſoyent ſujets de
dreſſer la premiere aiſle de
leur baſtillon alencontre des
baſtardes meſdiſances des ini-
ques & mal-aduiſés contrero-
leurs. Mais, puis que l’enuie
( comme diſoit l’autre ) n’eſt
poinct morte, il eſt trop plus
que neceſſaire qu’õ s’arme &
muniſſe pour la rembarrer &
rabatre les coups d’vn tas de
regratteurs4 de deſſeins d’au-
ã ij
Avant-Propos
truy. Pour iuſtifier de mon di-re ie n’ay que faire de ſortir
hors de noſtre part-terre bi-
garé d’vne diuerſité de maria-
ge. Il me ſemble entẽdre mar-
monner, & deſia ie vois des
yeux de l’eſprit nos preſte-
charités5, fureteurs des labeurs
entrepris par autres & ſaty-
riques valemedire6 qui, des
pieds iusques à la teſte, eſplu-
cherõt toutes les parties, voi-
re les moindres parcelles des
bigareures entrelaſſées au par-
terre de noſtre Foreſt nuptiale
pour y trouuer qu’à redire: Ce-
la eſt cauſe, que ie les ay voulu
barriquer de cet auant propos
deſtiné pour faire entẽdre aux
eſprits biẽ nés, le but de mõ in-
tẽtiõ, l’occaſiõ de mõ entrepri-
ſe, l’vtilité & profit qui en reuiẽ-
dra au public ( Dieu aydant ) &
finalemẽnt les prier de prẽdre
Avant-Propos
les raisõs, que ie deduirai pour
ma deſcharge & iuſtification
en payement & s’il y defailloit
quelque choſe, me gratifier,
tant de leurs humanitez & be-
nignes7 faueurs, que la verité,
q̃ ie propoſe, ne ſoit rebrouee.
Il n’y a celuy auquel nature
n’apprẽne que le mariage eſt
vn eſtat le plus anciẽ qui ſoit
en tout le monde par lequel
nos deux tiges de l’humain li-
gnage, Adam & Eue, ont eſté
vnis, conioincts & incorpo-
rez par enſemble, ſi bien que
c’eſt à tort8 ſi & Iuſtinien en
en ſa Nouelle9 des nopces, & le
Docteur Balde, tiennent que
le mariage eſt le commence-
ment, baſe & fondement du
gẽre humain. Quand tout eſt
dict, quelle plus ſaincte, cha-
ſte, aſſeuree & agreable
ã iij
Avant-Propos
ſocieté pourroit aduenir, que
celle du mary & de la femme ;
quand l’vn eſt ce que l’autre?
deux corps en vn eſprit, d’vne
meſme volonté, & vn eſprit,
& mutuel conſentement en
deux corps. Les ſeuls mariez
homme & fẽme ne ſe portẽt
point d’enuie, ſeuls ils s’aimẽt
infiniment, chaſcun d’eux de-
pend tout l’vn de l’autre, & ſe
repoſe en luy, ce n’eſt qu’vne
meſmes chair, vne meſme cõ-
corde, vne meſme ioye, vne
meſme triſteſſe, vne meſme
richeſſe, vne meſme pauure-
té, vn meſme gain, vne meſ-
me perte, vne meſme digni-
té. Ils ſont touſiours compai-
gnõs d’vn meſme lit, & d’vne
meſme table, tellemẽt accou-
plés par enſẽble, que l’amour,
du mary à la femme, & de la
Avant-Propos
femme au mary ſurpaſſe cel-
le du pere & de la mere aux en-
fans, des enfãs au pere, & cel-
le que les freres & ſœurs doy-
uent auoir enſemble. Voyla
pourquoy l’amour coniugale
doit ſurpaſſer toutes les au-
tres, & doit demeurer perpe-
tuelle, attendu que le pere, la
mere, les enfans, les freres, les
ſœurs, les couſins, les amys sõt
acceſſoires, au lieu que l’hõme
a eu ſa femme & la femme sõ
mary premier qu’on n’a ouy
parler de pere, mere, & enfãs.
Voire mais10 qu’ay-ie de beſoin
de m’eſtendre d’auantage ſur
la louange des mariages, le ſu-
iet en eſt ſi beau pour diſcou-
rir, qu’apres auoir enflé beau-
coup de Tomes de ce qui la
cõcerne encores n’auroit-on
pas attainct le tiers de la car-
ã iiij
Avant-Propos
riere. Il y a plus, qu’au choc
des maſles & femelles11 i’ay em-
ployé ce que le Poete Sceuo-
le de Saincte Marthe a en par-
tie tourné & imité du cinqui-
eſme liure de Marcel Palinge-
nie en ſon zodiaque de la vie:
Encores ie remploie ce que
là i’ay deduict & conſecutiue-
ment, puis que le mariage eſt
tant à priſer i’infereray, qu’il
m’eſt loiſible, voire12 honneſte
d’entamer propos, qui quoy
que diametralement ne paſſe
par la ligne du milieu, par re-
flexion neant-moins ſe r’ap-
porte au centre nuptial. En-
cores dõques que le mariage
ſoit party du cabinet celeſte,
eſtably par l’Eternel, honoré
de la preſence du fils de Dieu,
ſi eſt-ce que13, comme diſoit vn
bon Docteur ancien, Ieſus-
Avant-Propos
Chriſt fut pendu entre deuxlarrons atteints14 de pluſieurs
& enormes meffaicts. Vous
voiés, que le mariage eſt fon-
dé ſur vne ſi ſacree inſtitutiõ,
le voyla coſtoyé & de ceux
qui le foulent aux pieds, & de
ceux, qui l’aians receu, ont in-
troduict vne pluralité de fem-
mes, ont adioint au mary des
Lieutenans de couche : Bref,
qui ont retenu le maſque de
mariage & l’ont affeublé du
mãteau de paillardiſe. A ceux
là ie liure la guerre, & verrés, ſi
en vn ſeul poinct ie fauoriſe
à leur Poligamie & impudi-
que lubricité. Et par-ce que ce
ſiecle ne nous a enfanté que
trop de maquignõs, ſuppoſts
& partiſans Antigamiens15, i’ay
bien voulu dreſſer dans ceſte
Foreſt Nuptiale vne bigareu-
ã v
Avant-Propos
re des mariages, pour eſtaler,
en veue d’vn chaſcun ce qui
peut eſtre louable ou à meſ-
priſer de telles & ſi illicites cõ-
ionctions. Poſſible que ceux
qui faiſoyent leur compte de
buſquer d’auantage fortune,
voyans leur mine deſcouuer-
te & eſuentee, pouſſés de hõ-
te, ſe retirerõt du mauuais ſen-
tier, qui les menoit à la vallee
de miſere. Les autres, qui ont
bons yeux dans la teſte, con-
tre-balançans les legitimes
mariages auec les illegitimes,
pourront tenir mon party &
croir feermement en premier
lieu, que ceux qui ſont ſortis
hors du rond orbiculaire de
mariage ( cecy toutesfois doit
eſtre ſainement pris & ainſi
que ie l’entends ) ne ſçauroiẽt
mieux ſe manifeſter eſtre de-
Avant-Propos
naturés, deſ-raiſonnables, &
ennemis de toute honneſte-
té, comme qui pour ſe veau-
trer en paillardiſes, & autres
accouplemens, leſquels, pour
horreur, ie n’oſe nõmer, ont
meſpriſé le mariage. En apres
que ceux, qui à leur ſotte diſ-
cretion ont voulu à tors & à
trauers donner dans le cercle
Nuptial, & ne s’aſſubiettir à la
ligne diametrale ſi bien mar-
quee & deſignee par l’inſtitu-
teur du mariage, ont faict des
ſurſaillies16 merueilleuſement
eſtranges : les vns Poligamiẽt,
les autres proſtituent ou leur
pucellage, ou leur pudicité à
des Bramins, Brachmãs, paſ-
ſans & autres ; les autres fina-
lement ( par le conſentement
de leurs maris ) gaignent leur
vie impudiquement, & à la
ã vj
Avant-Propos
ſueur de leur corps. Quoy pl917?
vous voirez qu’ẽtre ceux meſ-
mes qui ſe rangent du party
du mariage, le mariage eſt tel-
lement defiguré, en pluſieurs
endroicts, que l’on peut dire,
qu’il ne ſert que de lodier18 de
cornardiſe. Le cœur me ſaigne
quãd ie lis ce que les autheurs
no9 en rapporte, & ay eſté en
voie par pluſieurs fois de deſ-
chirer ce que i’en auoie bro-
ché, n’eut eſté que quelques
miens amis m’en ont diſſua-
dé, me remonſtrans, qu’enco-
res qu’il y eut plus à redire à
ces mariages, qu’il n’y a, ſi fail-
loit-il les faire ſortir en pu-
blic, pour faire prẽdre en hor-
reur à ceux qui auroyent en-
uie de s’y fourrer l’infamie,
qui accompaignoit ceux, leſ-
quels s’emancipoyent au de-
Avant-Propos
ſus de leur deu19. Tout ne pl9
ne moins, qu’encores que la
paillardiſe, l’adultere, le pecu-
culat, le larcin, le parricide, la
trahiſon & autres plus grands
crimes, formellement s’ad-
dreſſans à la maieſté diuine &
humaine, facent mal au cœur
à tous gens de bien, pour-ce,
la iuſtice ne laiſſe poinct à iu-
ſticier & publier les meffaicts
de ceux qui sõt attaints d’au-
cuns de ces crimes: de meſmes
voyõs nous qu’aucũs peuples,
pour deſtourner leurs enfans
d’yurongnerie, des qu’en rue
ils deſcouuroyent vn perſon-
nage ſurpris de vin, ils en re-
paiſſoiẽt les yeux de leurs en-
fãs, non point pour le ſemõ-
dre20 à s’enyurer, ains pour leur
faire prendre en execratiõ la
vilanie des yuroignes. Ces
Avant-Propos
cõſideratiõs & remonſtrãces
m’ont fait reprẽdre cœur, de
telle ſorte q̃ i’oſe biẽ dire, que
mes amis m’õt oſté des mains
ce labeur, à peine auant que ie
l’euſſe reueu à mon plaiſir. Or
puis qu’il eſt queſtion de me
hazarder au iugemẽt d’autruy,
ie ſuis contrainct, pour ne me
monſtrer trop failli de coura-
ge, d’icy rẽdre raiſon au moins
mal qu’il me ſera poſſible des
poincts qui me ſemblent les
plus chatouilleux. Premiere-
mẽt on me battra pource q̃ ie
parle des mœurs des peuples
qu’õques ie ne vis. Argumẽt
couſtumier à ceux, qui pour
auoir voyagé quelque peu ſe
font accroire, qu’ils tiennent
dans vne boite tout l’vniuers.
Ie priſe grademẽt ceux, qui
de leurs yeux, ont peu deſcou-
Avant-Propos
urir beaucoup de choſes &
nous les rapportẽt fidellemẽt,
mais que de cela on doiue in-
ferer qu’il ſoit interdit à ceux
qui n’ont peregriné de pui-
ſer de leurs diſcours ce qu’ils
en r’apportẽt, c’eſt rẽdre leur
labeur infructueux. Ma raiſon
eſt que de deux choſes l’vne il
faut ou qu’ils dient vray, ou
qu’ils mentent : s’ils rapportẽt
la verité, il m’eſt auſſi loiſible
de la dire qu’à eux, moyennãt
que ie ne ſoie point ingrat de
recognoiſtre la tenir d’eux.
S’ils bourdent, he! la dois ie fai-
re bonne pour eux? ceux qui
auront intereſt en ceſt affaire
qu’ils ſe prennent à eux, &
puis, à eux le debat. Cependãt
s’il leur plaiſoit de iamais ne
s’accorder par enſemble, ſe-
roit il à dire qu’il nous fut de-
Avant-Propos
ffendu de n’entendre parler
l’vn ou l’autre. Et afin que ie
deſ-charge tout d’vn coup
mon cœur, comment eſt-il
poſſible qu’vn perſonnage,
puiſſe entaſſer en ſon cerueau
tant de particularités de tant
& de ſi diuers pays, qu’a peine
vn homme peut-il deſcouurir
en vn fort long temps les ſin-
gularités de la prouince, ouou il
aura eſté eſclos: A plus forte
raiſon vn eſtranger pourra
fureter tous les ſecrets de di-
uers pays lointains, pour pou-
uoir donner en payement
quelque raiſon diſtincte, par-
ticuliere & qui ſoit vraye.
D’ailleurs l’ignorãce ou la ma-
lignité des eſtrãgers eſt telle,
qu’ils ſe plaiſent à abbreuuer
ceux qui ne ſont du pays de
bayes21, pour auoir occaſiõ de
Avant-Propos
les deſmẽtir quãd il leur plai-
ra: D’où aduiẽt que les deſcri-
ptions des pays eſtranges, ſe
contrarient de telle ſorte: Et
voyla pourquoy, cy apres ie
dreſſe vn denombremẽt des
Autheurs deſquels i’ay re-
cueilly les plançons22 qui m’õt
ſeruy a attiffer23 ceſte Foreſt, &
la diuerſifier de ces bigarreu-
res. Pour cela ne lairray-ie
point encores à eſtre recerché
de ce que particulierement ie
n’ay dõné icy nouueaux cha-
pitres à noſtre France, Angle-
terre, Eſcoçe & autres con-
trees de noſtre Hemiſphere.
Ie ne veu point nier que ie
n’en aye bien bõne enuie, voi-
re que i’en ai dreſſé vn deſſein
lequel ſi ie cognois qu’il puiſ-
ſe eſtre le biẽ venu enuers les
gens de bien, ie ne ferai point
Avant-Propos
difficulté d’acheminer à per-
fection. Toutefois i’ay mieux
aimé ſurſeoir que d’appreſter
matiere aux meſdiſans de di-
re que ie vouloie embloquer
auec la Polygamie24 des malad-
uiſez les mariages, que ie ſçay
en pluſieurs endroits eſtre ſin-
ceremẽt gardeés & obſeruez.
Ordre
& ſuite
de ce trai-
té. Ne me reſte plus pour mener
à chef25 ceſt auãt diſcours ſinon
qu’à dõner l’adreſſe qu’il faut
tenir pour ne s’eſgarer parmy
noſtre Foreſt Nuptiale. Ie ne
la vous feray autre que celle à
laquelle ie me ſuis moy-meſ-
mes reiglé. A l’entrée vous
trouuerez le 3. chapitre26 deſti-
né aux Romains, Babyloniẽs
& Perſans, leſquels ont eſté
mis en frõt de la Foreſt, pour
autãt que ces peuples ont au-
tresfois eſté les premiers, plus
Avant-Propos
puiſſans & floriſſans d’entre
les autres. Apres fil à fil ſuiurõt
les nations eſtranges, que no9
viſiterons iuſques aux Pata-
goneens & Yucateens. A la
fin & auant que ſortir de no-
ſtre Foreſt faudra broſſer, non
vne cõtree particuliere, mais
refaire preſque la vireuolle27 de
toute la courſe qu’auroie28 deſ-
ia fait, pour eſclarcir quelques
ombrages qui euſſent peu rẽ-
dre noſtre Foreſt moins paſ-
ſagere. Ie n’y ay pas fait ce qui
eut eſté bien requis & que
moi meſmes i’euſſe biẽ deſiré:
d’vn point ſuis aſſeuré y auoir
mis la peine & deuoir que i’ay
peu. S’il y a quelcun plus en-
tendu, mieux aduiſé que ie ne
ſuis pour es-brancher & ap-
proprier mieux l’entour, le
milieu & allees de ceſte Fo-
Avant-Propos
reſt, il ne ſera que ſingulier
plaiſir de ſeconder mes deſ-
ſeins. Qu’il ayt bon courage,
il trouuera aſſez de beſoigne
taillee29.
A. DIANE ou ANGE30.
Vignette à feuilles et fruits.
Bandeau décoratif.
AV LISEVR.
Sonnet De L'Avtevr.
TE faſches tu, Liſeur, pour veoir des mariages
Icy tout bigareZ ? quoy ? la diuerſité
Te deuroit reſiouïr ?31 voir de mainte Cité
Et de peuples diuers, les nuptiaux vſages.
Tu veois le bien, le mal, quicte les badinages,
Des Polygamies : ſuis la pudicité,
Où te guide le train, que ceux ont limité, (ges.32
Qui, a droit, sõt tenus pour prudẽs & pour ſa-
Ioignant le blanc au noir, tu peux apperceuoir
La naïfue blancheur : hé ! pour te faire voir,
Le lustre nuptial, ie t’ay des bigareures
Dreſſé, comme i’ay peu, ſi quelque traict deffaut,
Sãs trop t’effaroucher, Liſeur, il ne le faut, (res.33
Qu’abaiſſer sãs rigueur, les trop hautes coutu-
A. Diane ou Ange.
Filet simple.
CATALOGVE DES AVTHEVRS
deſquels on a tiré ce diſcours.
- Agathie.
- Albert le Grand.
- André Theuet.
- Antoine du Verdier.
- Antoine Geuffroy.
- Antoine Pighaſete.
- Aule Gelle.
- Beda.
- Claude Galien.
- Denis d’Halicarnaſſe.
- Diodore le Sicilien.
- Dominique Marie.
- Edouard Barboſſe.
- Egnace.
- Esteuan de Garibay.
- Euſebe Ceſareen.
- Fenestelle.
- Flaue Ioſephe.
- François Aluarez.
- François de Belle-foreſt.
- François Sanſouin.
- François Vaſques
- George Pachimere.
- Giorgenitz.
- Goncal d’Ouiede.
- Guillaume Poſtel.
- Herodote.
- Hieroſme Benzoni.
- Hieroſme Cardan.
- Hippocrates.
- Iaques Cartier.
- Iean de Barros.
- Iean de Lery.
- Iean Leon.
- Iean Verazzan.
- Iustin.
- Laurens Surius.
- Louys Bartheme.
- Louys Cadamoste.
- Marc Paul
- Venitien.
- Nicephore.
- Nicolas Boyer.
- Olaus le grand.
- Paul Diacre.
- Paul Oroſe.
- Pauſanias.
- Philostrate.
- Pierre Abbé Cluny.
- Pierre Belon.
- Pomponie Mele.
- Pline.
- Plutarque.
- Sebastien Munster.
- Sex Pompée.
- Solin.
- Strabon.
- Tite Liue.
Bandeau géométrique. TABLES DES CHAPITRES.
- Romains.34
- Babyloniens.
- Perſans.
- Tartares.
- Chiots.
- Turcs.
- Thraciens.
- Moſcouites.
- Gots & Sueſſes.35
- Laponiens.
- Arabes.
- Senegheens 36.
- Æthiopiens.
- Calecutiens.
- Malabariens.
- Narſingueens.
- Campioniens.
- Camuliens.
- Tarnaſſariens.
- Thebethiens 37.
- Fezeens.
- Cubeens & Haitiẽs.
- Sauuages,
- Patagoneens & Yu-
cateens. - Preſtres.
- Bramins.
- Brachmans.
Bandeau géométrique. Approbation des Docteurs.
Nous ſoubſignez , Docteurs,
Regẽts, en la faculté de Theo-
logie, à Paris. Certifions auoir veu,
& viſité le liure intitulé, La Foreſt nup-
tiale : compoſé par le Sieur de Co-
lieres, auquel n’auons trouué ny
aperceu choſe qui puiſſe empeſ-
cher qu’il ne ſoit imprimé & mis en
lumiere. En teſmoing de ce, auons
appoſé nos ſignes manuels, ce hui-
ctieſme de may 1595.
Regẽts, en la faculté de Theo-
logie, à Paris. Certifions auoir veu,
& viſité le liure intitulé, La Foreſt nup-
tiale : compoſé par le Sieur de Co-
lieres, auquel n’auons trouué ny
aperceu choſe qui puiſſe empeſ-
cher qu’il ne ſoit imprimé & mis en
lumiere. En teſmoing de ce, auons
appoſé nos ſignes manuels, ce hui-
ctieſme de may 1595.
L. Ardier.
1
Bandeau à feuilles et à fruits.
LA FOREST
NVPTIALE,
Où eſt repreſentee vne varieté bigarree,
non moins eſmerueillable que plaiſan-
te, de diuers mariages, ſelon qu’ils ſont
obſerueZ & pratiqueZ par pluſieurs
peuples & nations eſtranges. Auec
la maniere de policer, regir, gouuer-
ner & adminiſtrer leur famille.
Les Romains. Chapitre I.
Lettrine E.
ENcores que ie ne
veuïlle me formali-
ſer contre le droict
Romain, neãtmoins
puis que les forma-
litez qui eſtoient an-
ciennement gardees aux nopces
Romaines ſont maintenant miſes
hors d’vſage & pratique, ie ne fe-
des anciens autheurs ce qui appar-
tient à ces mariages. Les anciens
Romains auoient accouſtumé d’e-
quipper la femme, quant elle pre-
Equipa-
ge de la
nouuelle
mariee
Romai-
ne & la
ſignifica
tion de
chacune
de ces
particu-
laritez.
noit mary en ceſte maniere. Pre-
mierement ils luy bailloiẽt vne clef
en main entrãt en la maiſon de l’eſ-
poux, pour teſmoigner ( dit Sextus
Pompee ) la facilité de l’enfante-
ment, ou qui mieux vaut, pour luy
donner à entendre que la garde &
ſoin de toutes les choſes domeſti-
ques qui ſe ſerrent & fermẽt à clef,
voire38 toute la maiſon & ce qui ap-
partient au ſoin du meſnage, luy e-
ſtoit baillé en garde. Sur la teſte ils
luy mettoiẽt vne lance, qui eut ou-
tre-percé le corps d’vn gladiateur,
pour aduertir la femme de la grief-
ue punition dont elle eſtoit mena-
cee ſi elle venoit a faire vn faux bõ a
ſon mariage. On la ceignoit d’vne
ceinture, tiſſue de la laine d’vne
brebis, laquelle le mary luy oſtoit
apres ſur le lict, pour luy apprendre
que deſlors elle eſtoit rangee ſous
elle portoit au deſſous du voile
( qu’ils appelloient flammee ) vne
guirlande de Veruaine & d’autres
herbes entre-meſlees, & la faiſoit‑
on aſſoir ſur vne peau d’oüaille39. Sur
ce dernier chef n’eſt pas mal-aisé à
deuiner pourquoy on luy faiſoit
prendre tel ſiege, d’autant que cela
n’eſtoit que pour la ſemondre40 &
faire reſſouuenir d’eſtre bõne meſ-
nagere, & d’auoir touſiours de la
laine deuant elle, pour filer : mais la
guirlande de Veruaine a appreſté
matiere à pluſieurs de gaſouïller à
credit, comme s’il eſtoit croyable
que ces anciẽs euſſent voulu ſyco-
phantiſer vne ſi ſacree conionctiõ
des abus & impietez qu’on phan-
taſie ſous la Veruaine41. Feſte Pom-
pee eſcrit que quãd la nouuelle ma-
Par qui
l'eſpou-
ſee Ro-
maine e-
ſtoit ac-
compa-
gnee.
riee alloit eſpouſer, trois enfans qui
auoient pere & mere l’accompa-
gnoient, dõt l’vn portoit deuãt vne
torche allumee, faite de l’herbe ap-
pellee Alba Spina42, vulgairement
charbon noſtre Dame ( car on ſe
ſes Problemes, & les autres deux
marchoient auec elle vn de chaſ-
que coſté, le flambeau alloit deuant
en l’honneur de Ceres: car comme
ceſte Deeſſe ( qu’on tiẽt mere de la
terre & qu’elle a creé tous les fruits )
nourrit les humains, ainſi la nouuel-
le mariee, deuenue en apres mere
de famille, nourriroit ſes enfans. Ce
qu’on tient encores à preſent eſtre
obſerué ailleurs, principalement en
Angleterre, que deux ieunes enfans
conduiſent l’eſpouſee au temple,
de là deux hommes la rameinent
à la maiſon : & le troiſieſme enfant
au lieu du flambeau porte vn vaſe
d’or ou d’argẽt. Outre-plus les Ro-
Thalaſ-
ſe pour-
quoy e-
ſtoit crié
aux no-
ces.
mains crioient ſouuẽt en leurs nop-
ces ce nom Thalaſſe, comme de-
fenſeur de la virginité. Aucuns di-
ſent que c’eſt le carme43 & chant nu-
ptial, ou biẽ le Dieu Hymenee, qui
preſide aux nopces. Tite Liue au
premier de ſes Decades, & Plutar-
que en la vie de Romule diſent, que
entre ceux qui rauiſſoient les filles
vns de petite qualité, leſquels en a-
menoiẽt vne, qui ſurpaſſoit en mer-
ueilleuſe beauté les autres. Ceux-cy
rencontrerent d’auenture en leur
chemin aucuns des principaux de
la ville qui la leur vouloyent oſter
par force, ce qu’ils euſſent fait, n’eut
eſté qu’ils ſe mirent à crier, qu’ils la
menoient à Thalaſſie ou Thalaſſe,
qui eſtoit vn ieune homme qu’vn
chaſcun priſoit & aymoit, & quand
les autres eurent ſceu que c’eſtoit
pour luy, ils en furent fort ioyeux,
& les priſerent d’vn tel exploict, tel-
lement qu’il y en eut quelques vns
qui les accompaignerent rebrouſ-
ſans chemin pour l’amour de Tha-
laſſe, en criant & repetant ſouuent
ſon nom, dont eſt venue la couſtu-
me que les Romains chantent à
leurs nopces Thalaſſe, tout ainſi que
les Grecs chantent Hymenee, pour-
autãt qu’il fut heureux ( comme on
dit ) d’auoir rencontré ceſte femme.
Toutesfois il y en a d’autres, deſ-
quels eſt Varron, qui tiennent que
ces à autre effect, ſinon pour aduer-
tir les nouuelles mariees de penſer
à trauailler & faire leur beſongne,
qui eſt de filer : car ils appelloient
le panier d’oſier a tenir les laines
Talaſſe, que les Latins d’vn autre nõ
appellẽt Calathus & Quaſillus: mais
à ſçauoir s’il y a vray ſemblance que
les Latins ayent voulu caymander
ce mot de Talaſſe des Grecs, puis
qu’ils pouuoient exprimer le meſ-
mes en leur langage. Toutesfois
Plutarque en ſes Problemes faict
deſcendre ce vocable des Grecs
qui appelloiẽt la laine Tαλάσιον. D’a-
uãtage l’eſpouſee portoit trois pie-
ces de mõnoye, qu’ils nõmoiẽt Aſ-
ſes dõt elle tenoit l’vne à la main, &
comme ſi elle achapta le mary la
donnoit à l’homme, d’où vient que
Euripide en ſa Medée en forme tel-
le plainte.
veuïlle me formali-
ſer contre le droict
Romain, neãtmoins
puis que les forma-
litez qui eſtoient an-
ciennement gardees aux nopces
Romaines ſont maintenant miſes
hors d’vſage & pratique, ie ne fe-
A
La Forest
ray point de difficulté d’emprunterdes anciens autheurs ce qui appar-
tient à ces mariages. Les anciens
Romains auoient accouſtumé d’e-
quipper la femme, quant elle pre-
Equipa-
ge de la
nouuelle
mariee
Romai-
ne & la
ſignifica
tion de
chacune
de ces
particu-
laritez.
noit mary en ceſte maniere. Pre-
mierement ils luy bailloiẽt vne clef
en main entrãt en la maiſon de l’eſ-
poux, pour teſmoigner ( dit Sextus
Pompee ) la facilité de l’enfante-
ment, ou qui mieux vaut, pour luy
donner à entendre que la garde &
ſoin de toutes les choſes domeſti-
ques qui ſe ſerrent & fermẽt à clef,
voire38 toute la maiſon & ce qui ap-
partient au ſoin du meſnage, luy e-
ſtoit baillé en garde. Sur la teſte ils
luy mettoiẽt vne lance, qui eut ou-
tre-percé le corps d’vn gladiateur,
pour aduertir la femme de la grief-
ue punition dont elle eſtoit mena-
cee ſi elle venoit a faire vn faux bõ a
ſon mariage. On la ceignoit d’vne
ceinture, tiſſue de la laine d’vne
brebis, laquelle le mary luy oſtoit
apres ſur le lict, pour luy apprendre
que deſlors elle eſtoit rangee ſous
2
Nvptiale.
le commandemẽt marital. En teſteelle portoit au deſſous du voile
( qu’ils appelloient flammee ) vne
guirlande de Veruaine & d’autres
herbes entre-meſlees, & la faiſoit‑
on aſſoir ſur vne peau d’oüaille39. Sur
ce dernier chef n’eſt pas mal-aisé à
deuiner pourquoy on luy faiſoit
prendre tel ſiege, d’autant que cela
n’eſtoit que pour la ſemondre40 &
faire reſſouuenir d’eſtre bõne meſ-
nagere, & d’auoir touſiours de la
laine deuant elle, pour filer : mais la
guirlande de Veruaine a appreſté
matiere à pluſieurs de gaſouïller à
credit, comme s’il eſtoit croyable
que ces anciẽs euſſent voulu ſyco-
phantiſer vne ſi ſacree conionctiõ
des abus & impietez qu’on phan-
taſie ſous la Veruaine41. Feſte Pom-
pee eſcrit que quãd la nouuelle ma-
Par qui
l'eſpou-
ſee Ro-
maine e-
ſtoit ac-
compa-
gnee.
riee alloit eſpouſer, trois enfans qui
auoient pere & mere l’accompa-
gnoient, dõt l’vn portoit deuãt vne
torche allumee, faite de l’herbe ap-
pellee Alba Spina42, vulgairement
charbon noſtre Dame ( car on ſe
A ij
La Forest
marioit de nuict, dit Plutarque en ſes Problemes, & les autres deux
marchoient auec elle vn de chaſ-
que coſté, le flambeau alloit deuant
en l’honneur de Ceres: car comme
ceſte Deeſſe ( qu’on tiẽt mere de la
terre & qu’elle a creé tous les fruits )
nourrit les humains, ainſi la nouuel-
le mariee, deuenue en apres mere
de famille, nourriroit ſes enfans. Ce
qu’on tient encores à preſent eſtre
obſerué ailleurs, principalement en
Angleterre, que deux ieunes enfans
conduiſent l’eſpouſee au temple,
de là deux hommes la rameinent
à la maiſon : & le troiſieſme enfant
au lieu du flambeau porte vn vaſe
d’or ou d’argẽt. Outre-plus les Ro-
Thalaſ-
ſe pour-
quoy e-
ſtoit crié
aux no-
ces.
mains crioient ſouuẽt en leurs nop-
ces ce nom Thalaſſe, comme de-
fenſeur de la virginité. Aucuns di-
ſent que c’eſt le carme43 & chant nu-
ptial, ou biẽ le Dieu Hymenee, qui
preſide aux nopces. Tite Liue au
premier de ſes Decades, & Plutar-
que en la vie de Romule diſent, que
entre ceux qui rauiſſoient les filles
3
Nvptiale.
des Sabins ſe trouuerent quelquesvns de petite qualité, leſquels en a-
menoiẽt vne, qui ſurpaſſoit en mer-
ueilleuſe beauté les autres. Ceux-cy
rencontrerent d’auenture en leur
chemin aucuns des principaux de
la ville qui la leur vouloyent oſter
par force, ce qu’ils euſſent fait, n’eut
eſté qu’ils ſe mirent à crier, qu’ils la
menoient à Thalaſſie ou Thalaſſe,
qui eſtoit vn ieune homme qu’vn
chaſcun priſoit & aymoit, & quand
les autres eurent ſceu que c’eſtoit
pour luy, ils en furent fort ioyeux,
& les priſerent d’vn tel exploict, tel-
lement qu’il y en eut quelques vns
qui les accompaignerent rebrouſ-
ſans chemin pour l’amour de Tha-
laſſe, en criant & repetant ſouuent
ſon nom, dont eſt venue la couſtu-
me que les Romains chantent à
leurs nopces Thalaſſe, tout ainſi que
les Grecs chantent Hymenee, pour-
autãt qu’il fut heureux ( comme on
dit ) d’auoir rencontré ceſte femme.
Toutesfois il y en a d’autres, deſ-
quels eſt Varron, qui tiennent que
A iij
La Forest
ce nõ n’a eſté introduict aux nop-ces à autre effect, ſinon pour aduer-
tir les nouuelles mariees de penſer
à trauailler & faire leur beſongne,
qui eſt de filer : car ils appelloient
le panier d’oſier a tenir les laines
Talaſſe, que les Latins d’vn autre nõ
appellẽt Calathus & Quaſillus: mais
à ſçauoir s’il y a vray ſemblance que
les Latins ayent voulu caymander
ce mot de Talaſſe des Grecs, puis
qu’ils pouuoient exprimer le meſ-
mes en leur langage. Toutesfois
Plutarque en ſes Problemes faict
deſcendre ce vocable des Grecs
qui appelloiẽt la laine Tαλάσιον. D’a-
uãtage l’eſpouſee portoit trois pie-
ces de mõnoye, qu’ils nõmoiẽt Aſ-
ſes dõt elle tenoit l’vne à la main, &
comme ſi elle achapta le mary la
donnoit à l’homme, d’où vient que
Euripide en ſa Medée en forme tel-
le plainte.
De tout ce que la terre produit, & qui a
ame
Vegetatiue & ſenſible, il n’eſt rien que
la femme
4
Nvptiale.
Ne ſurpaſſe en mal-heur: il luy faut grãds
biens mettre
En l’achapt d’vn mary qui ſoit de ſon
corps maiſtre.
chapt de
maris &
femmes.
Par les anciennes loix des Can-
diots44 au contraire les hommes do-
toiẽt les femmes & ſe les achetoyẽt
comme encores il s’obſerue és ma-
riages de Turquie: voire que45 les In-
diens acheptent les femmes moy-
ennant vne paire de bœufs qu’ils
offrent aux parens de l’eſpouſée, de
meſmes qu’Homere au deuxieſme
de ſon Iliade feind46 qu’Iphydames,
fils d’Antenor, donna cent bœufs à
ſon beau-pere pour le doüaire de
celle qu’il deuoit eſpouſer, moyen-
nant leſquels il luy donna en maria-
ge ſa fille. Les anciens Alemans dict
P. crinit. li. 12. chap. 8. apportoyent
doüaire aux femmes, & non les fẽ-
mes à eux. Il y a des femmes entre
nous & trop plus qu’il ne ſeroit à
ſouhaiter, qui encores qu’elles por-
tent doüaire à leurs marys, ſe font
bien achepter: car ſans tirer hors li-
gne de cõpte le temps qu’elles font
courtiſées deuant que leurs fiãcées
puiſſent iouïr de l’ayſe le plus ſou-
uent frauduleux que l’on ſe promet
deuoir eſtre apporté la premiere
nuict des nopces, faut deſpendre
en ioyaux, affiquets47, habits & feſtins
plus que ne mõte la dote, & en cas
que reſtitution ait lieu par la mort
du mary, il faut augmenter quel-
quesfois la ſomme de la moytié du
doüaire (qu’õ appelle tiercer) pour
le droict de ſeure vie de la femme.
Ie vous demande ſi la femme n’eſt
pas bien acheptée. Or pour reuenir
Oigne-
ment
que fai-
ſoit la
nouuelle
mariee
à l’huis
de ſon eſ-
poux a-
uant qu’
entrer
en la
maiſon.48
à noſtre eſpouſée Romaine elle
portoit l’autre de ces pieces de mõ-
noye en ſes chauſſes. Feſte Pompée
dit en ſon pied, la mettãt au fouyer
des Lares ou Dieux familiers, & la
troiſieſme dans vne grande bourſe
pendante, la deliant & ouurant
quelquesfois par les carrefours pro-
chains. Et en ceſte ſorte le mary &
la femme s’entr’acheptoient: de fait
l’homme demandoit à la femme, ſi
elle luy vouloit eſtre mere de famil-
ouy: la femme pareillement diſoit à
l’homme, me voulez vous eſtre pe-
re de famille? il reſpõdoit, ie le veux.
Anneau
dõné par
le mary à
la femme.
Cela fait, mettãs leurs mains droites
enſemble ſe baiſoyẽt, puis le mary
dõnoit à ſa nouuelle femme vn an-
neau d’or en lieu d’arres & en ſigne
de mutuelle dilection49, ou bien, afin
que par ce gage leurs cœurs fuſſent
conioincts, lequel anneau Tertul-
lien au liure de l’ornement des fem-
mes appelle Pronube, & luy eſtoit
par le mary mis dans le quatrieſme
doigt, voiſin au petit de la main gau-
che pour autant ( dit Iſidore au deu-
xieſme liure chapitre quinzieſme
des diuins offices ) qu’en iceluy y a
vne veine de ſang ou nerf fort ten-
dre, qui va & s’eſtend droit au cœur.
Meſme raiſon baillent Aule Gelle &
Macrobe ſuyuans l’opinion d’Ap-
pion, & Atteie Capiton pourquoy
les anciens Grecs & les Romains
portoient l’aneau en ce doigt de la
main gauche, appellé medicinal.
Pline auſſi raconte que de ſon tẽps
l’eſpouſée vn anneau de fer où n’e-
ſtoit aucune pierre enchaſſée. Auãt
qu’entrer en la maiſon du mary elle
oignoit la porte d’icelle auec vne
eſpee ointe de lard. Pline neãtmoins
au vingt-huictieſme liure de ſon hi-
ſtoire naturelle chap. neufieſme ne
fait point mẽtion d’eſpée, ains r’ap-
porte que l’eſpouſée graiſſoit ſeu-
lement les poſteaux de l’huis de la
maiſon de sõ mary auec de la graiſ-
Oigne-
ment
que fai-
ſoit la
nouuelle
mariee
à l’huis
de ſon eſ-
poux a-
uant qu’
entrer
en la
maiſon.
ſe de porceau ou de loup, & ſeruie
d’huyle, pour ſignifier, qu’ainſi tous
les maux ſeroyent chaſſés de là &
qu’elle apportoit l’abondance à la
maiſon. De faict le ſein de porceau
eſt mollitif, chaud, reſolutif & mõdi-
ficatif50, & a de grandes vertus. Quãd
à la graiſſe de loup Pline meſmes
au lieu ſus allegué deſcouure à quel-
le fin les nouuelles eſpouſées en
frottoyent le iour des nopces les
poſteaux de l’huis de leurs maris, à
ſçauoir pour rompre tous charmes
& toutes les ſorceleries qui y pour-
royẽt auoir eſté faites. Ce n’eſt dõc
de ces temps51 que commencent à
tres tels preſtigieux & diaboliques
enſorcellemẽs dont quelques gar-
nemẽs font eſtat, meſtier & marchã-
diſe de corrõpre les œuures naturel-
les qui bouclẽt53 & cõsõment les ma-
riages. Si trouué-ie bien eſtrãge ce q̃
dit Pline touchant ce ſein de Porc,
d’autãt q̃ s’il auoit telle vertu & puiſ-
ſance, c’eſt ſans doute que mainte-
nant on s’en ſeruiroit pour preue-
nir ou rõpre ces charmes nuptiaux.
La richeſſe, fecondité & abondãce
eſt manifeſtement teſmoignée par
l’huyle. Ioinct que, cõmr l’huile ne
peut eſtre meſlé qu’à fine force a-
uec matiere humide, auſſi la femme
doit demeurer ferme & arreſtée, &
nager touſiours au deſſus, ſans ſe
laiſſer atterrer par les efforts & alle-
chemens qu’on pourroit luy dõner.
A cauſe de ces oignemẽs quelques
Grammairiens, & entre autres Do-
nat, ont dit, que le nom Vxor eſt ve-
nu ab vngendis poſtibus, & Polydore
Virgile vnde ab vngendo dicta quaſi
vxor. En apres on preſentoit à l’eſ-
qu’on luy faiſoit toucher, dequoy
fait mention le Iuriſconſulte Sceuo-
uole l. penult. ff. don. int. virum & vx.
L'eau &
le feu pre-
ſenté à l'e-
pouſée à
la porte.
Sexte Pompée en baille la raiſon: la
nouuelle mariée (dit-il) eſtoit arrou-
ſée d’eau, pour dire quelle vint cha-
ſte & pure vers le mary, ou qu’elle
participa auec lui de l’eau & du feu,
elemens principaux, ſans leſquels la
creation de l’homme ne peut cõſi-
ſter. D’où il plaiſt à aucuns d’infe-
rer que la fẽme porte le feu & l’e-
au. A la Panurgique54 il y a icy beau
moyen de pantagruëliſer55, toutes-
fois ils modifient leur dire que la
femme ait le feu pour eſmouuoir
l’appetit charnel au mary, & l’eau
pour l’eſtaindre. Voila pourquoy
Varrõ dit, qu’il y a deux cauſes de la
naiſſance de l’hõme, l’eau & le feu,
q̃ partãt elles eſtoient oppoſées aux
nopces ſur le ſeuil, qui accouple.
De faict l’homme eſt le feu, par-ce
que Venus prend de luy la ſemen-
ce & la femme eſt l’eau, par-ce que
Venus prẽd de ſon humeur, & leur
eſt dict lors que l’humeur & la cha-
leur ſont enſemble temperez, tou-
tes choſes prennent commence-
ment d’iceluy : Car quoy que le feu
ſoit repugnant à l’eau, ſi eſt-ce que
la vapeur humide cree toutes cho-
ſes, & eſt leur accord meſ-accordãt
propre à toute generatiõ: l’vn d’eux
eſt comme elemẽt maſculin, l’autre
comme feminin, l’vn eſt actif, l’au-
tre paſſif. C’eſt pourquoy ancien-
nemẽt fut ordõné que les alliances
nuptiales fuſſent bouclées, ratifiées
& aſſeurées par ſermens, faits ſolen-
nellement ſur le feu & l’eau, pource
que tous animaux reçoyuent corps
& ame par chaleur & humeur en
leur generation, & que par eux ils
viuent: car comme tout animal eſt
compoſé de corps & d’ame, la ma-
tiere du corps conſiſte en humeur,
& celle de l’ame en chaleur. Ce qui
appert par les œufs des oyſeaux, leſ-
quels pour cauſe des groſſes hu-
meurs dont ils ſont pleins ne peuuẽt
eſtre reduicts en corps, & les corps
leur ne fait ſon operation. De ma
part i’eſtimerois qu’il n’y auroit pas
grand inconuenient de faire rap-
port de l’interdit de l’eau & du feu
auec la ſolemnité matrimoniale,
d’autant que le mariage eſt celuy
qui rend immortelle l’eſpece hu-
maine, & l’interdict met hors du
rang des hommes celuy ſur lequel
il eſt deſchargé. Outre plus l’eſpou-
ſée n’entroit point de ſes pieds à la
maiſon du mary, mais y eſtoit portee
comme ſi elle eut voulu teſmoigner
qu’elle n’alloit de ſon gré, mais par
force, au lieu où elle deuoit perdre
ſa virginité. L’eſpouſée entrant à la
maiſon ſur le ſeuil du premier huis
appelloit Caie Cecilie ou Tanaquil,
femme de Tarquin Priſcus, Roy des
Romains, pour mõſtrer qu’elle ſça-
uoit qu’elle entroit en vn train ou
il falloit qu’elle ſuiuit la piſte de ce-
ſte ſage & vertueuſe Princeſſe. Puis
on la vous deſpoüilloit de ſes au-
tres paremẽs, & luy mettoit-on à co-
ſté ſa quenouïlle & ſon fuſeau. Sur
Les Ro-
mains ne
ſe mari-
oient au
mois de May.
puleux de ne ſe marier au moys de
May, le reputans infortuné pour les
nopces, d’où eſt venu ce prouerbe
Ancien, eſpluché par le docte Eraſ-
me en la premiere Chiliade de ſa
centurie quatrieſme.57 Menſe maio nu-
bunt malæ. Au mois de May les mau-
uaiſes ſe marient. Il y en a encores
pour le iourd’huy, qui ſuperſtitieu-
ſement & à la Payenne font ſcrupu-
le de ſe marier à tel moys & ce (diẽt-
ils) pour eſtre exempts de ialouſie,
& n’entrer en mauuais & mal-heu-
ré meſnage. Or des que le conſente-
ment des parties y eſt, le mariage eſt
arreſté, quoy que de faict il ne ſoit
Puiſſan-
ce mari-
tale en-
tre les
Romains.
conſommé. Depuis la conſomma-
tion du mariage la femme eſt ſoubs
la puiſſance du mary, s’il n’eſt eſcla-
ue ou enfant de famille58 : car en ce
cas, la femme qui a eſpouſé vn en-
fant de famille eſt ſous la puiſſance
du beau-pere, auſſi bien que l’hom-
me libre ſe mariant eſt en la puiſſan-
ce d’autruy s’il va demeurer en la
maiſon du beaupere, bien qu’ẽ tou-
droicts & libertés. Et encores que la
loy de nature veuïlle que chaſcun
ſoit maiſtre en ſa maiſon, comme dit
Homere, afin qu’il puiſſe dõner loy
à ſa famille, toutes-fois les loix Ro-
maines veulent que la fille mariée
& menée en la maiſon du mary, ſi
elle n’eſt emancipée du Pere, ne ſoit
point ſubiette au mary, ains au Pere.
La puiſſance du mary ſur la femme
par la loy de Romule eſtoit telle
que non ſeulement le mary auoit
tout commandement ſur la femme,
ains auſſi pouuoir de la faire mourir
ſans forme ny figure de proces, en
quatre cas, c’eſt à ſçauoir pour adul-
teres, pour auoir ſuppoſé vn enfant,
pour auoir des fauſſes clefs & pour
auoir beu du vin, qui n’eſtoit point
ſeulemẽt la couſtume des Romains,
ains auſſi Theophraſte eſcrit que les
anciens habitans de Marſeille en
Prouence & les Mileſiens vſoyent
de meſmes loy contre les femmes
qui auoyẽt beu du vin, iugeãs que
les appetits deſreiglés de la fem-
toſt yurongne & puis adultere. Auſ-
ſi trouuons nous que la puiſſance
donnée au mary par la loy de Ro-
mule de faire mourir ſa fẽme pour
cauſe d’adultere ſans authorité du
magiſtrat, eſtoit toute commune à
la Grece, auſſi bien comme aux Ro-
mains, car la loy Iulia, qui permet
ſeulement au pere de tuer ſa fille a-
uec l’adultere trouués ſur le faict,
& non autrement, a eſté faicte par
Auguſte ſept cens ans apres la loy
de Romule. Depuis l’Emperiere
Theodora, aiant toute puiſſance ſur
l’Empereur Iuſtinien, fit toutes les
loix qu’elle peut à l’auantage des
femmes, & entre autres mua la pei-
ne de mort en vne peine d’infa-
mie, comme auſſi anciennement
les Atheniens, excommunians les
adulteres auec note d’infamie. Et
autres crimes, qui touchent plus le
mary que le public, & qui ne me-
ritent point la mort, tous ſont d’ac-
cord que le mary a puiſſance de
chaſtier moderement ſa femme. Et
puiſſance que la loy leur donnoit
ſur les femmes, elles auoyent con-
tre le mary action en cas de mau-
uais traictement ou de mauuaiſes
mœurs: Ie pouſſerois plus outre ce
diſcours, enſemble ſur les diuorces
& infractions de mariages, comme
auſſi ſoit l’authorité & puiſſance pa-
ternelle, s’il n’y auoit vn aſſez bon
nombre de plumes delicattes qui
ont paſſé ſur ce ſujet, & peuuent me
releuer d’vne prolixité ou ie pour-
rois à mon biẽ grand regret entrer.
Suffira ſi ſur la fin de ce chapit. i’ad-
uertis le liſeur que n’a pas tenu à ce
ſale Bouc de paillardiſes Helioga-
Touchãt
la com-
munion
des fem-
mes.
bale que la cõmunion des femmes
n’ait eſté introduicte entre les Ro-
mains. De faict nous voyons en la
harangue qu’on luy faict tenir à ſes
putains la promeſſe qu’il ſe faict de
faire vne loy par laquelle il rendroit
les femmes communes, ſe donnãt à
entẽdre par ces deſraisõnées raisõs
q̃ il feroit vn grãd biẽ, profit & plai-
ſir tant à la Republique laquelle par
culiers qui en receuroient vn ſingu-
lier contentement : car ( diſoit-il ) ne
ſera ce pas vn grand gain pour vn
eſtalon qui ſera laiſſé ou tenu en re-
lais qu’on en reçoiue cent mil. Quel
plus grãd plaiſir pourroit auoir que
n’eſtre ſubjet à la rigueur à la loy &
pouuoir viure à diſcretion & au gré
de nos affections? On n’entendra
plus les plaintes des riottes, noiſes,
faſcheries, groins & mauuais meſna-
ge dont à tout propos les familles
Romaines eſtoyent troublees par
faute qu’encores que les humeurs
du mary & de la femme ſimboliſaſ-
ſent d’vne harmonieuſe ſympathie,
ſi failloit il que les mariages demeu-
raſſent fermes. La communiõ & meſ-
lange des femmes coupera broche
à tout cela d’autant que le lien de
conionction ne tiendra qu’entant
que tous deux s’agreeront par en-
ſemble. N’eſtoit-ce pas bien diſcou-
ru? comme ſi la multiplication ne
deuoit eſtre reiglee au niueau des
loix. Ie laiſſe l’impudique ſalacité de
ſon aulne. Mais ce qu’il allegue ſur
les incommoditez du mariage pour
les diſcordes des maris & femmes
a d’abordee quelque apparence : (Et
pleuſt à Dieu, que l’eſpreuue n’ẽ fut
en ces temps par trop couſtumiere)
toutesfois au fonds eſt fort freſle &
mince, attendu que pour le mal qui
eſt perpetré au preiudice du bien,
n’eſt la raiſon que l’on retranche le
bien. En apres la meſlange des fem-
mes ne diſſiperoit pas le brouïllis de
ces quereles. Icy n’eſt à oublier, que
au rebours de noſtre practique les
Romains permettoient les nopces
des vefues aux iours chommables,
& vouloient que celles des filles ſe
fiſſent ſeulemẽt aux iours ouuriers,
pour monſtrer que c’eſtoit vne ta-
che de laquelle on ne ſe pouuoit ac-
quitter aux feſtes, l’effort du depu-
celement eſtoit par trop grand.
Nopces
de pucel-
les & de
vefues.
Ioint qu’il eſtoit bien permis de rẽ-
plir les foſſes anciennes és iours de
feſtes, mais non pas en faire de nou-
uelles60.
diots44 au contraire les hommes do-
toiẽt les femmes & ſe les achetoyẽt
comme encores il s’obſerue és ma-
riages de Turquie: voire que45 les In-
diens acheptent les femmes moy-
ennant vne paire de bœufs qu’ils
offrent aux parens de l’eſpouſée, de
meſmes qu’Homere au deuxieſme
de ſon Iliade feind46 qu’Iphydames,
fils d’Antenor, donna cent bœufs à
ſon beau-pere pour le doüaire de
celle qu’il deuoit eſpouſer, moyen-
nant leſquels il luy donna en maria-
ge ſa fille. Les anciens Alemans dict
P. crinit. li. 12. chap. 8. apportoyent
doüaire aux femmes, & non les fẽ-
mes à eux. Il y a des femmes entre
nous & trop plus qu’il ne ſeroit à
ſouhaiter, qui encores qu’elles por-
tent doüaire à leurs marys, ſe font
bien achepter: car ſans tirer hors li-
gne de cõpte le temps qu’elles font
A iiij
La Forest
perdre à leurs mignons pour eſtrecourtiſées deuant que leurs fiãcées
puiſſent iouïr de l’ayſe le plus ſou-
uent frauduleux que l’on ſe promet
deuoir eſtre apporté la premiere
nuict des nopces, faut deſpendre
en ioyaux, affiquets47, habits & feſtins
plus que ne mõte la dote, & en cas
que reſtitution ait lieu par la mort
du mary, il faut augmenter quel-
quesfois la ſomme de la moytié du
doüaire (qu’õ appelle tiercer) pour
le droict de ſeure vie de la femme.
Ie vous demande ſi la femme n’eſt
pas bien acheptée. Or pour reuenir
Oigne-
ment
que fai-
ſoit la
nouuelle
mariee
à l’huis
de ſon eſ-
poux a-
uant qu’
entrer
en la
maiſon.48
à noſtre eſpouſée Romaine elle
portoit l’autre de ces pieces de mõ-
noye en ſes chauſſes. Feſte Pompée
dit en ſon pied, la mettãt au fouyer
des Lares ou Dieux familiers, & la
troiſieſme dans vne grande bourſe
pendante, la deliant & ouurant
quelquesfois par les carrefours pro-
chains. Et en ceſte ſorte le mary &
la femme s’entr’acheptoient: de fait
l’homme demandoit à la femme, ſi
elle luy vouloit eſtre mere de famil-
5
Nvptiale.
le: à quoy elle faiſoit reſponce, que ouy: la femme pareillement diſoit à
l’homme, me voulez vous eſtre pe-
re de famille? il reſpõdoit, ie le veux.
Anneau
dõné par
le mary à
la femme.
Cela fait, mettãs leurs mains droites
enſemble ſe baiſoyẽt, puis le mary
dõnoit à ſa nouuelle femme vn an-
neau d’or en lieu d’arres & en ſigne
de mutuelle dilection49, ou bien, afin
que par ce gage leurs cœurs fuſſent
conioincts, lequel anneau Tertul-
lien au liure de l’ornement des fem-
mes appelle Pronube, & luy eſtoit
par le mary mis dans le quatrieſme
doigt, voiſin au petit de la main gau-
che pour autant ( dit Iſidore au deu-
xieſme liure chapitre quinzieſme
des diuins offices ) qu’en iceluy y a
vne veine de ſang ou nerf fort ten-
dre, qui va & s’eſtend droit au cœur.
Meſme raiſon baillent Aule Gelle &
Macrobe ſuyuans l’opinion d’Ap-
pion, & Atteie Capiton pourquoy
les anciens Grecs & les Romains
portoient l’aneau en ce doigt de la
main gauche, appellé medicinal.
Pline auſſi raconte que de ſon tẽps
A v
La Forest
on auoit accouſtumé d’enuoyer àl’eſpouſée vn anneau de fer où n’e-
ſtoit aucune pierre enchaſſée. Auãt
qu’entrer en la maiſon du mary elle
oignoit la porte d’icelle auec vne
eſpee ointe de lard. Pline neãtmoins
au vingt-huictieſme liure de ſon hi-
ſtoire naturelle chap. neufieſme ne
fait point mẽtion d’eſpée, ains r’ap-
porte que l’eſpouſée graiſſoit ſeu-
lement les poſteaux de l’huis de la
maiſon de sõ mary auec de la graiſ-
Oigne-
ment
que fai-
ſoit la
nouuelle
mariee
à l’huis
de ſon eſ-
poux a-
uant qu’
entrer
en la
maiſon.
ſe de porceau ou de loup, & ſeruie
d’huyle, pour ſignifier, qu’ainſi tous
les maux ſeroyent chaſſés de là &
qu’elle apportoit l’abondance à la
maiſon. De faict le ſein de porceau
eſt mollitif, chaud, reſolutif & mõdi-
ficatif50, & a de grandes vertus. Quãd
à la graiſſe de loup Pline meſmes
au lieu ſus allegué deſcouure à quel-
le fin les nouuelles eſpouſées en
frottoyent le iour des nopces les
poſteaux de l’huis de leurs maris, à
ſçauoir pour rompre tous charmes
& toutes les ſorceleries qui y pour-
royẽt auoir eſté faites. Ce n’eſt dõc
de ces temps51 que commencent à
6
Nvptiale.
courir les nœuds d’aiguillette52
& au-tres tels preſtigieux & diaboliques
enſorcellemẽs dont quelques gar-
nemẽs font eſtat, meſtier & marchã-
diſe de corrõpre les œuures naturel-
les qui bouclẽt53 & cõsõment les ma-
riages. Si trouué-ie bien eſtrãge ce q̃
dit Pline touchant ce ſein de Porc,
d’autãt q̃ s’il auoit telle vertu & puiſ-
ſance, c’eſt ſans doute que mainte-
nant on s’en ſeruiroit pour preue-
nir ou rõpre ces charmes nuptiaux.
La richeſſe, fecondité & abondãce
eſt manifeſtement teſmoignée par
l’huyle. Ioinct que, cõmr l’huile ne
peut eſtre meſlé qu’à fine force a-
uec matiere humide, auſſi la femme
doit demeurer ferme & arreſtée, &
nager touſiours au deſſus, ſans ſe
laiſſer atterrer par les efforts & alle-
chemens qu’on pourroit luy dõner.
A cauſe de ces oignemẽs quelques
Grammairiens, & entre autres Do-
nat, ont dit, que le nom Vxor eſt ve-
nu ab vngendis poſtibus, & Polydore
Virgile vnde ab vngendo dicta quaſi
vxor. En apres on preſentoit à l’eſ-
A vj
La Forest
pouſée à la porte, de l’eau & du feu,qu’on luy faiſoit toucher, dequoy
fait mention le Iuriſconſulte Sceuo-
uole l. penult. ff. don. int. virum & vx.
L'eau &
le feu pre-
ſenté à l'e-
pouſée à
la porte.
Sexte Pompée en baille la raiſon: la
nouuelle mariée (dit-il) eſtoit arrou-
ſée d’eau, pour dire quelle vint cha-
ſte & pure vers le mary, ou qu’elle
participa auec lui de l’eau & du feu,
elemens principaux, ſans leſquels la
creation de l’homme ne peut cõſi-
ſter. D’où il plaiſt à aucuns d’infe-
rer que la fẽme porte le feu & l’e-
au. A la Panurgique54 il y a icy beau
moyen de pantagruëliſer55, toutes-
fois ils modifient leur dire que la
femme ait le feu pour eſmouuoir
l’appetit charnel au mary, & l’eau
pour l’eſtaindre. Voila pourquoy
Varrõ dit, qu’il y a deux cauſes de la
naiſſance de l’hõme, l’eau & le feu,
q̃ partãt elles eſtoient oppoſées aux
nopces ſur le ſeuil, qui accouple.
De faict l’homme eſt le feu, par-ce
que Venus prend de luy la ſemen-
ce & la femme eſt l’eau, par-ce que
Venus prẽd de ſon humeur, & leur
656
Nvptiale.
conionction l’enfant. Quant touteſt dict lors que l’humeur & la cha-
leur ſont enſemble temperez, tou-
tes choſes prennent commence-
ment d’iceluy : Car quoy que le feu
ſoit repugnant à l’eau, ſi eſt-ce que
la vapeur humide cree toutes cho-
ſes, & eſt leur accord meſ-accordãt
propre à toute generatiõ: l’vn d’eux
eſt comme elemẽt maſculin, l’autre
comme feminin, l’vn eſt actif, l’au-
tre paſſif. C’eſt pourquoy ancien-
nemẽt fut ordõné que les alliances
nuptiales fuſſent bouclées, ratifiées
& aſſeurées par ſermens, faits ſolen-
nellement ſur le feu & l’eau, pource
que tous animaux reçoyuent corps
& ame par chaleur & humeur en
leur generation, & que par eux ils
viuent: car comme tout animal eſt
compoſé de corps & d’ame, la ma-
tiere du corps conſiſte en humeur,
& celle de l’ame en chaleur. Ce qui
appert par les œufs des oyſeaux, leſ-
quels pour cauſe des groſſes hu-
meurs dont ils ſont pleins ne peuuẽt
eſtre reduicts en corps, & les corps
La Forest
ne peuuent auoir ame, ſi la cha-leur ne fait ſon operation. De ma
part i’eſtimerois qu’il n’y auroit pas
grand inconuenient de faire rap-
port de l’interdit de l’eau & du feu
auec la ſolemnité matrimoniale,
d’autant que le mariage eſt celuy
qui rend immortelle l’eſpece hu-
maine, & l’interdict met hors du
rang des hommes celuy ſur lequel
il eſt deſchargé. Outre plus l’eſpou-
ſée n’entroit point de ſes pieds à la
maiſon du mary, mais y eſtoit portee
comme ſi elle eut voulu teſmoigner
qu’elle n’alloit de ſon gré, mais par
force, au lieu où elle deuoit perdre
ſa virginité. L’eſpouſée entrant à la
maiſon ſur le ſeuil du premier huis
appelloit Caie Cecilie ou Tanaquil,
femme de Tarquin Priſcus, Roy des
Romains, pour mõſtrer qu’elle ſça-
uoit qu’elle entroit en vn train ou
il falloit qu’elle ſuiuit la piſte de ce-
ſte ſage & vertueuſe Princeſſe. Puis
on la vous deſpoüilloit de ſes au-
tres paremẽs, & luy mettoit-on à co-
ſté ſa quenouïlle & ſon fuſeau. Sur
8
Nvptiale.
tout les Romains eſtoyent fort ſcru-Les Ro-
mains ne
ſe mari-
oient au
mois de May.
puleux de ne ſe marier au moys de
May, le reputans infortuné pour les
nopces, d’où eſt venu ce prouerbe
Ancien, eſpluché par le docte Eraſ-
me en la premiere Chiliade de ſa
centurie quatrieſme.57 Menſe maio nu-
bunt malæ. Au mois de May les mau-
uaiſes ſe marient. Il y en a encores
pour le iourd’huy, qui ſuperſtitieu-
ſement & à la Payenne font ſcrupu-
le de ſe marier à tel moys & ce (diẽt-
ils) pour eſtre exempts de ialouſie,
& n’entrer en mauuais & mal-heu-
ré meſnage. Or des que le conſente-
ment des parties y eſt, le mariage eſt
arreſté, quoy que de faict il ne ſoit
Puiſſan-
ce mari-
tale en-
tre les
Romains.
conſommé. Depuis la conſomma-
tion du mariage la femme eſt ſoubs
la puiſſance du mary, s’il n’eſt eſcla-
ue ou enfant de famille58 : car en ce
cas, la femme qui a eſpouſé vn en-
fant de famille eſt ſous la puiſſance
du beau-pere, auſſi bien que l’hom-
me libre ſe mariant eſt en la puiſſan-
ce d’autruy s’il va demeurer en la
maiſon du beaupere, bien qu’ẽ tou-
La Forest
tes autres choſes il iouyſſe de ſesdroicts & libertés. Et encores que la
loy de nature veuïlle que chaſcun
ſoit maiſtre en ſa maiſon, comme dit
Homere, afin qu’il puiſſe dõner loy
à ſa famille, toutes-fois les loix Ro-
maines veulent que la fille mariée
& menée en la maiſon du mary, ſi
elle n’eſt emancipée du Pere, ne ſoit
point ſubiette au mary, ains au Pere.
La puiſſance du mary ſur la femme
par la loy de Romule eſtoit telle
que non ſeulement le mary auoit
tout commandement ſur la femme,
ains auſſi pouuoir de la faire mourir
ſans forme ny figure de proces, en
quatre cas, c’eſt à ſçauoir pour adul-
teres, pour auoir ſuppoſé vn enfant,
pour auoir des fauſſes clefs & pour
auoir beu du vin, qui n’eſtoit point
ſeulemẽt la couſtume des Romains,
ains auſſi Theophraſte eſcrit que les
anciens habitans de Marſeille en
Prouence & les Mileſiens vſoyent
de meſmes loy contre les femmes
qui auoyẽt beu du vin, iugeãs que
les appetits deſreiglés de la fem-
859
Nvptiale.
me ſubjette au vin la feroyent auſſitoſt yurongne & puis adultere. Auſ-
ſi trouuons nous que la puiſſance
donnée au mary par la loy de Ro-
mule de faire mourir ſa fẽme pour
cauſe d’adultere ſans authorité du
magiſtrat, eſtoit toute commune à
la Grece, auſſi bien comme aux Ro-
mains, car la loy Iulia, qui permet
ſeulement au pere de tuer ſa fille a-
uec l’adultere trouués ſur le faict,
& non autrement, a eſté faicte par
Auguſte ſept cens ans apres la loy
de Romule. Depuis l’Emperiere
Theodora, aiant toute puiſſance ſur
l’Empereur Iuſtinien, fit toutes les
loix qu’elle peut à l’auantage des
femmes, & entre autres mua la pei-
ne de mort en vne peine d’infa-
mie, comme auſſi anciennement
les Atheniens, excommunians les
adulteres auec note d’infamie. Et
autres crimes, qui touchent plus le
mary que le public, & qui ne me-
ritent point la mort, tous ſont d’ac-
cord que le mary a puiſſance de
chaſtier moderement ſa femme. Et
La Forest
afin que les maris n’abuſaſſent de lapuiſſance que la loy leur donnoit
ſur les femmes, elles auoyent con-
tre le mary action en cas de mau-
uais traictement ou de mauuaiſes
mœurs: Ie pouſſerois plus outre ce
diſcours, enſemble ſur les diuorces
& infractions de mariages, comme
auſſi ſoit l’authorité & puiſſance pa-
ternelle, s’il n’y auoit vn aſſez bon
nombre de plumes delicattes qui
ont paſſé ſur ce ſujet, & peuuent me
releuer d’vne prolixité ou ie pour-
rois à mon biẽ grand regret entrer.
Suffira ſi ſur la fin de ce chapit. i’ad-
uertis le liſeur que n’a pas tenu à ce
ſale Bouc de paillardiſes Helioga-
Touchãt
la com-
munion
des fem-
mes.
bale que la cõmunion des femmes
n’ait eſté introduicte entre les Ro-
mains. De faict nous voyons en la
harangue qu’on luy faict tenir à ſes
putains la promeſſe qu’il ſe faict de
faire vne loy par laquelle il rendroit
les femmes communes, ſe donnãt à
entẽdre par ces deſraisõnées raisõs
q̃ il feroit vn grãd biẽ, profit & plai-
ſir tant à la Republique laquelle par
10
Nvptiale.
ce moyẽ s’accroiſtroit qu’aux parti-culiers qui en receuroient vn ſingu-
lier contentement : car ( diſoit-il ) ne
ſera ce pas vn grand gain pour vn
eſtalon qui ſera laiſſé ou tenu en re-
lais qu’on en reçoiue cent mil. Quel
plus grãd plaiſir pourroit auoir que
n’eſtre ſubjet à la rigueur à la loy &
pouuoir viure à diſcretion & au gré
de nos affections? On n’entendra
plus les plaintes des riottes, noiſes,
faſcheries, groins & mauuais meſna-
ge dont à tout propos les familles
Romaines eſtoyent troublees par
faute qu’encores que les humeurs
du mary & de la femme ſimboliſaſ-
ſent d’vne harmonieuſe ſympathie,
ſi failloit il que les mariages demeu-
raſſent fermes. La communiõ & meſ-
lange des femmes coupera broche
à tout cela d’autant que le lien de
conionction ne tiendra qu’entant
que tous deux s’agreeront par en-
ſemble. N’eſtoit-ce pas bien diſcou-
ru? comme ſi la multiplication ne
deuoit eſtre reiglee au niueau des
loix. Ie laiſſe l’impudique ſalacité de
La Forest
ce vilain qui meſuroit vn chaſcun àſon aulne. Mais ce qu’il allegue ſur
les incommoditez du mariage pour
les diſcordes des maris & femmes
a d’abordee quelque apparence : (Et
pleuſt à Dieu, que l’eſpreuue n’ẽ fut
en ces temps par trop couſtumiere)
toutesfois au fonds eſt fort freſle &
mince, attendu que pour le mal qui
eſt perpetré au preiudice du bien,
n’eſt la raiſon que l’on retranche le
bien. En apres la meſlange des fem-
mes ne diſſiperoit pas le brouïllis de
ces quereles. Icy n’eſt à oublier, que
au rebours de noſtre practique les
Romains permettoient les nopces
des vefues aux iours chommables,
& vouloient que celles des filles ſe
fiſſent ſeulemẽt aux iours ouuriers,
pour monſtrer que c’eſtoit vne ta-
che de laquelle on ne ſe pouuoit ac-
quitter aux feſtes, l’effort du depu-
celement eſtoit par trop grand.
Nopces
de pucel-
les & de
vefues.
Ioint qu’il eſtoit bien permis de rẽ-
plir les foſſes anciennes és iours de
feſtes, mais non pas en faire de nou-
uelles60.
1061
Nvptiale.
Les Babyloniens.
Chap. II.
SI oncques y eut peuple qui ſe
baigna en delices, çà eſté le Ba-
bylonien, dont l’Eſcriture Saincte
dreſſe plainte fort ſouuent. Ie laiſſe
les exces des Roys qui y ont com-
mandé, aymant mieux renuoyer le
liſeur à ce qu’en a eſcrit le prophete
Daniel, que de rafraiſchir de nou-
ueau la plaie de l’outrecuidé Baltha-
ſar. La delicateſſe & effemination
de ce peuple eſtoit ſi grande, que ia-
mais vn Babylonien ne ſortoit en
ruë qu’il ne fut paré, attiffé62 & parfu-
mé comme vne courtiſanne, & qu’õ
ne ſentit le muſc tout le long de la
ruë par laquelle il paſſoit, & afin de
ſe monſtrer plus gentil, chaſcun de
Mignar-
diſe &
ſomptuo-
ſité des
Babilo-
niens. eux portoit vn anneau au doigt, au-
quel eſtoit ou ſon nom ou ſes ar-
moiries, d’autant qu’il leur ſeruoit
de cachet, ainſi que le temps paſſé
en vſoient toutes nations : chaſcun
maſſe Royale, elabouree gentiment
& auec induſtrie63, à la creſte de la-
quelle faloit que fiſſent mettre ou
quelque põme ou vne fleur de lys,
ou vne roſe ou vne Aigle, ou quel-
que autre deuiſe64. Bref c’eſtoit la na-
Filles
Babilo-
niennes
expoſées,
à l’encãt.
tion la plus mignarde & popine
qu’on eut ſceu penſer. Pour leurs
loix on les a quelques-fois priſé, &
ſur tout pour vne, qui viſoit aux ma-
riages, laquelle on tient eſtre ores65
practiquee ou bien peu s’en faut
(ainſi qu’on me fait entẽdre) à Veni-
ſe, portans que les filles pucelles e-
ſtãs en aage & preſtes à eſtre mariées
ou parti ſeroit offert, eſtoient aſſem-
blées & conduites en plein marché,
où entourées d’vne grande troupe
d’hommes, le crieur public les met-
toit à l’encant & dernier encheriſ-
ſeur. Or les premieres eſtoyent les
plus belles, leſquelles eſtoyent a-
chetées par les plus riches, mais le
ſimple peuple, n’aiant dequoy four-
nir à ceſt appointemẽt, eſpouſoit les
plus laides, qui eſtoient neceſſitées
l’argent tiré de l'achapt des belles
ſeruit pour trouuer party à celles
qui eſtoient laides, & les achepteurs
eſtoyent obligez d’auoir des plei-
ges66 auant qu’on leur deliura la mar-
chandiſe. Et d’autant qu’il y auoit eu
de la part des femmes plainte dreſ-
ſée de mauuais traictement, & de ce
qu’on les emmenoit hors de Ba-
bylone, fut faite loy, qu’il ne ſeroit
plus loiſible à homme de mal-me-
ner ou tourmenter ſa femme, ny de
la tirer hors de la cité, à cauſe que
pluſieurs, eſtãs appauuris, ne faiſoiẽt
conſcience de vẽdre leurs filles aux
eſtrangers, & les leur donner, pour
en abuſer à leur fantaiſie67. De tant que
ceſte loi eſtoit hõneſte, charitable &
à reputer, il y en auoit vne autre qui
Proſtitu-
tion exe-
crable de
femmes
Babylo-
niennes.
eſtoit horriblemẽt abominable, par
laquelle toutes les Dames de Baby-
lone furent iadis obligées comme
nous apprennent Strabon au liure
ſeiſieſme de ſa Geographie & Celie
Rhodigin au liure huict chap. vnze
de s’aller offrir au temple de Venus
proſtituer à toute ſorte d’eſtrangers
qui viẽdroyent les prier d’amouret-
tes, leſquels les retiroyent à l’eſcart
du temple, puis leurs deſcouurans
leur cuiſſes mettoiẽt ſur leur genoux
l’argent qu’ils auoyent deliberé leur
donner pour le gain de leur corps,
apres entroyent en beſongne, ou
bien apres auoir abuſé d’elles, leur
mettoyent dãs le ſein ce qu’ils vou-
loyent pour le ſalaire de leur turpi-
tude, & ny auoit pas vne d’entre el-
les qui oſaſt auoir refuſé celuy qui la
requerroit & moins le preſent qu'il
luy dõnoit, à cauſe que le profit en
reuenoit non à elle, ains au temple
de la Deeſſe: & ne pouuoit s’en re-
tourner en ſa maiſon ſans coup ferir
& ſans receuoir quelque cas de ce-
luy à qui elle auoit affaire. De meſ-
Proſtitu-
tion des
Dames
Cypriot-
tes & au-
tres.
mes aueuglement eſtoyent frapées
les Dames Cypriotes, qui s’eſtoyent
laiſſé manier fort à l’aiſe à leur com-
patriote Venus68, laquelle pour cou-
urir ſes lubricitez, ouurit la premiere
l’eſcole de paillardiſe, & permit aux
trer ſans punition à tout plaiſir de
paillardiſe. Ce fut des ordonnances
de ceſte courtisãne que ſortit la loy
abominable, par laquelle il failloit
que les filles à marier ſe proſtituaſſẽt
aux eſtrangers, & que du prix de leur
chaſteté elles acheptaſſent celuy qui
les viendroit à prendre pour eſpou-
ſes. Telle lubricité a eſté ( cõme i’ay
touché au chapitre deſtiné au Ca-
nadeens ) auſſi practiquée en Canada
& Saguen, & à zele en Capadoce,
où en l’hõneur de la Deeſſe Anaili-
lide69 on dedioit les filles vierges, &
les plus belles & excellentes qu’ils
pouuoyent choiſir, pour les proſti-
tuer au temple voüé à ceſte infame
Deeſſe, & apres que lõguemẽt elles
y auoyent couru l'eſguillette70, on les
marioit, ſi bien que ceux qui les eſ-
pouſoyent les prenoyent ioyeuſe-
ment & s’eſtimoyent bien-heureux
d’auoir des femmes ſacrees à vne ſi
puiſſante Deeſſe. En France, Italie,
Eſpaigne & ailleurs, par la grace de
Dieu les noms de ces Deeſſes impu-
dolatrie en eſt retranchée ; mais, he-
las! & combien de milliers de filles
& femmes pourroit-on y compter,
qui tiennent maiſon ouuerte à tous
allans & tous venans, moyennant
que la bourſe treſelle71. Pour retour-
ner en Aſſirie vers nos Dames Baby-
loniennes, l’idolatrie les auoit telle-
ment ſurfantés que nous trouuons
qu’en la huictieſme & derniere tour
du temple on voyoit vne chappelle
où eſtoit appreſté vn beau lict fort
magnifiquemẽt paré, & deuant ice-
luy vne table d’or, ſans que la dedãs
y eut ny ſtatuë ny ſimulachre quel-
cõque & que pas vn homme y cou-
cha: ſeulement y demeuroit vne fẽ-
me telle qu’il plaiſoit à ce Dieu de
choiſir d’entre les citoyennes de la
ville, car ainſi le faiſoyent accroire
les Chaldéens, qui auoient charge
de ce temple, à cauſe que le Dieu
venoit de nuict, & s’alloit repoſer
en ceſte belle couche72. Ie vous laiſſe
à penſer quel Dieu, c’eſtoit & ſi la
femme ne le ſentoit pas autre que
de condition ſpirituelle.73
baigna en delices, çà eſté le Ba-
bylonien, dont l’Eſcriture Saincte
dreſſe plainte fort ſouuent. Ie laiſſe
les exces des Roys qui y ont com-
mandé, aymant mieux renuoyer le
liſeur à ce qu’en a eſcrit le prophete
Daniel, que de rafraiſchir de nou-
ueau la plaie de l’outrecuidé Baltha-
ſar. La delicateſſe & effemination
de ce peuple eſtoit ſi grande, que ia-
mais vn Babylonien ne ſortoit en
ruë qu’il ne fut paré, attiffé62 & parfu-
mé comme vne courtiſanne, & qu’õ
ne ſentit le muſc tout le long de la
ruë par laquelle il paſſoit, & afin de
ſe monſtrer plus gentil, chaſcun de
Mignar-
diſe &
ſomptuo-
ſité des
Babilo-
niens. eux portoit vn anneau au doigt, au-
quel eſtoit ou ſon nom ou ſes ar-
moiries, d’autant qu’il leur ſeruoit
de cachet, ainſi que le temps paſſé
en vſoient toutes nations : chaſcun
La Forest
encor auoit en main vn ſceptre oumaſſe Royale, elabouree gentiment
& auec induſtrie63, à la creſte de la-
quelle faloit que fiſſent mettre ou
quelque põme ou vne fleur de lys,
ou vne roſe ou vne Aigle, ou quel-
que autre deuiſe64. Bref c’eſtoit la na-
Filles
Babilo-
niennes
expoſées,
à l’encãt.
tion la plus mignarde & popine
qu’on eut ſceu penſer. Pour leurs
loix on les a quelques-fois priſé, &
ſur tout pour vne, qui viſoit aux ma-
riages, laquelle on tient eſtre ores65
practiquee ou bien peu s’en faut
(ainſi qu’on me fait entẽdre) à Veni-
ſe, portans que les filles pucelles e-
ſtãs en aage & preſtes à eſtre mariées
ou parti ſeroit offert, eſtoient aſſem-
blées & conduites en plein marché,
où entourées d’vne grande troupe
d’hommes, le crieur public les met-
toit à l’encant & dernier encheriſ-
ſeur. Or les premieres eſtoyent les
plus belles, leſquelles eſtoyent a-
chetées par les plus riches, mais le
ſimple peuple, n’aiant dequoy four-
nir à ceſt appointemẽt, eſpouſoit les
plus laides, qui eſtoient neceſſitées
12
Nvptiale.
d’acheter leurs maris, & falloit quel’argent tiré de l'achapt des belles
ſeruit pour trouuer party à celles
qui eſtoient laides, & les achepteurs
eſtoyent obligez d’auoir des plei-
ges66 auant qu’on leur deliura la mar-
chandiſe. Et d’autant qu’il y auoit eu
de la part des femmes plainte dreſ-
ſée de mauuais traictement, & de ce
qu’on les emmenoit hors de Ba-
bylone, fut faite loy, qu’il ne ſeroit
plus loiſible à homme de mal-me-
ner ou tourmenter ſa femme, ny de
la tirer hors de la cité, à cauſe que
pluſieurs, eſtãs appauuris, ne faiſoiẽt
conſcience de vẽdre leurs filles aux
eſtrangers, & les leur donner, pour
en abuſer à leur fantaiſie67. De tant que
ceſte loi eſtoit hõneſte, charitable &
à reputer, il y en auoit vne autre qui
Proſtitu-
tion exe-
crable de
femmes
Babylo-
niennes.
eſtoit horriblemẽt abominable, par
laquelle toutes les Dames de Baby-
lone furent iadis obligées comme
nous apprennent Strabon au liure
ſeiſieſme de ſa Geographie & Celie
Rhodigin au liure huict chap. vnze
de s’aller offrir au temple de Venus
La Forest
vne fois en leur vie & là s’expoſer &proſtituer à toute ſorte d’eſtrangers
qui viẽdroyent les prier d’amouret-
tes, leſquels les retiroyent à l’eſcart
du temple, puis leurs deſcouurans
leur cuiſſes mettoiẽt ſur leur genoux
l’argent qu’ils auoyent deliberé leur
donner pour le gain de leur corps,
apres entroyent en beſongne, ou
bien apres auoir abuſé d’elles, leur
mettoyent dãs le ſein ce qu’ils vou-
loyent pour le ſalaire de leur turpi-
tude, & ny auoit pas vne d’entre el-
les qui oſaſt auoir refuſé celuy qui la
requerroit & moins le preſent qu'il
luy dõnoit, à cauſe que le profit en
reuenoit non à elle, ains au temple
de la Deeſſe: & ne pouuoit s’en re-
tourner en ſa maiſon ſans coup ferir
& ſans receuoir quelque cas de ce-
luy à qui elle auoit affaire. De meſ-
Proſtitu-
tion des
Dames
Cypriot-
tes & au-
tres.
mes aueuglement eſtoyent frapées
les Dames Cypriotes, qui s’eſtoyent
laiſſé manier fort à l’aiſe à leur com-
patriote Venus68, laquelle pour cou-
urir ſes lubricitez, ouurit la premiere
l’eſcole de paillardiſe, & permit aux
femmes
13
Nvptiale.
femmes & à ſes ſubiects de ſe veau-trer ſans punition à tout plaiſir de
paillardiſe. Ce fut des ordonnances
de ceſte courtisãne que ſortit la loy
abominable, par laquelle il failloit
que les filles à marier ſe proſtituaſſẽt
aux eſtrangers, & que du prix de leur
chaſteté elles acheptaſſent celuy qui
les viendroit à prendre pour eſpou-
ſes. Telle lubricité a eſté ( cõme i’ay
touché au chapitre deſtiné au Ca-
nadeens ) auſſi practiquée en Canada
& Saguen, & à zele en Capadoce,
où en l’hõneur de la Deeſſe Anaili-
lide69 on dedioit les filles vierges, &
les plus belles & excellentes qu’ils
pouuoyent choiſir, pour les proſti-
tuer au temple voüé à ceſte infame
Deeſſe, & apres que lõguemẽt elles
y auoyent couru l'eſguillette70, on les
marioit, ſi bien que ceux qui les eſ-
pouſoyent les prenoyent ioyeuſe-
ment & s’eſtimoyent bien-heureux
d’auoir des femmes ſacrees à vne ſi
puiſſante Deeſſe. En France, Italie,
Eſpaigne & ailleurs, par la grace de
Dieu les noms de ces Deeſſes impu-
B
La Forest
diques ſont effacés ; au moins l’I-dolatrie en eſt retranchée ; mais, he-
las! & combien de milliers de filles
& femmes pourroit-on y compter,
qui tiennent maiſon ouuerte à tous
allans & tous venans, moyennant
que la bourſe treſelle71. Pour retour-
ner en Aſſirie vers nos Dames Baby-
loniennes, l’idolatrie les auoit telle-
ment ſurfantés que nous trouuons
qu’en la huictieſme & derniere tour
du temple on voyoit vne chappelle
où eſtoit appreſté vn beau lict fort
magnifiquemẽt paré, & deuant ice-
luy vne table d’or, ſans que la dedãs
y eut ny ſtatuë ny ſimulachre quel-
cõque & que pas vn homme y cou-
cha: ſeulement y demeuroit vne fẽ-
me telle qu’il plaiſoit à ce Dieu de
choiſir d’entre les citoyennes de la
ville, car ainſi le faiſoyent accroire
les Chaldéens, qui auoient charge
de ce temple, à cauſe que le Dieu
venoit de nuict, & s’alloit repoſer
en ceſte belle couche72. Ie vous laiſſe
à penſer quel Dieu, c’eſtoit & ſi la
femme ne le ſentoit pas autre que
de condition ſpirituelle.73
14
Nvptiale.
Les Perſans. Chapitre. III.
ON priſe les Perſans, pour vne
generoſité, vaillance, gaillar-
diſe, bonté & courtoiſie, dont ils e-
ſtoyẽt accompagnés, meſmes pour
pluſieurs belles loix, qui eſtoyent e-
ſtablies entre eux, ſi74 ont ils eſté eſ-
clopés75 en beaucoup de leurs ma-
nieres de viure: ce que ie puis veri-
fier ſur le champ, ſans ietter ma veuë
autre part que ſur leurs mariages. De
Pluralité
de fem-
mes, & le
réglemẽt
entre el-
les. faict ils eſpouſoyent pluſieurs fem-
mes, & outre icelles auoyent enco-
res vn grand haraz76 de concubine, à
cauſe que les plus honorées d’entre
eux eſtoiẽt ceux, qui auoyẽt le plus
d’ẽfans & tãt pl977 vn hõme en eſtoit
chargé, & pouuoit fournir des ſiẽs à
la guerre de tãt eſtoit il reconeu par
le Roy, qui tous les ans luy enuoioit
des presens, en ſigne de faueur, &
pour la recompẽſe du ſeruice faict à
la Republique: Les fẽmes, pour n’a-
uoir ialouſie auoyẽt leur rang, pour
aller coucher auec leur mary, de ſor-
oſter ce priuilege, quand bien il eut
aimé l’vne plus que l’autre de ſorte
que les Perſans entre-my ces fem-
mes eſtoyent comme vn coq auec
ſes poulles. En quoy nous deuons
recognoiſtre l’aſtuce de Sathan, qui
ſous le mãteau de profiter au public
faict gliſſer la polygamie & plurali-
té de femmes, comme auſſi le cõcu-
binage. Pourtant ne ſont excuſables
les Perſans, qui pouuoyent produi-
re vne belle engeance, ſans entrer
en telles alteres78. Les Romains ont
Romains
quoy que
ſoigneux
de multi-
plier li-
gnee, n’õt
entẽdu à
la plura-
lité des
femmes.
eſté beaucoup plus aduiſés, qui n’õt
point voulu faire voye à ce flot de
pluralité de femmes & neantmoins
on ſçait, qu’ils ont eſté autant amou-
reux de repeupler leur Empire de
citoyens, que ſçauroyent auoir eſté
les Perſans. De faict les loix Iulies,
qu’on nomme caducaires, eſtoyent
expreſſément bandées alencontre
de ceux leſquels ou meſpriſoyent
le mariage ou ne produiſoyent li-
gnée à la Republique: en aprés quels
beaux priuileges, quelles immuni-
fecõds en lignées? Voyre que79 main-
tes fois on a fait breſche à la rigueur
du droict pour ſoulager ceux qui
accroiſſoyent le peuple Romain.
Et y a biẽ plus, que tout ce qui pou-
uoit nuire ou preiudicier à la propa-
gation des enfans, ils l’ont retran-
ché, iuſques à là, qu’encores que les
maiſtres & Seigneurs euſſent puiſ-
ſance de vie & de mort ſur leurs eſ-
claues, ſi leur a eſté faite expreſſe in-
hibition & defence de les chaſtrer
ou faire chaſtrer quoy que verita-
blemẽt on ſceut qu’vn eſclaue hõ-
gre & deſchargé des boulets peri-
ſomatiques eſtoit d’auantage priſé
que celuy qui eſtoit entier. On a biẽ
paſſé plus outre, d’autant qu’ẽcore
que le veufuage fut fort à recõman-
der, pour n’encourir aux peines im-
poſées à celles qui ſe remariroyent,
ſi eſt-ce que les Empereurs ont bri-
ſé les liens, par leſquels le deffunct
mary pourroit auoir obligé ſa vefue
n’aſpirer à ſecondes nopçes. Ie ſçay
biẽ que l’Empereur en allegue vne
ſexe feminin, qui eſt bien telle, que
il eſt fort mal-ayſé à la femme qui
aura faict vne telle promeſſe de ne
franchir le ſault de ce ſermẽt. Quãt
Touchãt
le concu-
binage. au concubinage on ne peut dire,
qu’il n’ait auſſi biẽ lieu entre les Ro-
mains, voire80 qu’il a eſté ſéparé d’a-
uec la paillardiſe: mais ſur la fin il a
eſté reietté, ou pluſtoſt permis par
contraincte, mais non point à gens
mariés, & par le droict Canon de-
fendu aux Preſtres. Or encores que
ceſte pluralité de femmes & con-
cubinage ſoit à condamner, eſt bien
plus deteſtable l’impieté de laquel-
le Agathie liure ſecond les attache:
Inceſte
des Per-
ſans.
car non ſeulement ils ne font aucu-
ne conſcience de s’accoupler char-
nellement auec leurs couſines ger-
maines & propres ſœurs, ains, ô for-
fait execrable! les peres ſe meſloyẽt
impudiquement auec leurs filles, &
ce qui eſt le plus abominable, ô na-
ture violée, & vous ô loix aneanties,
les enfans ne ſe ſoucioyent de cou-
cher laſciuement auec leurs meres.
que les Anciens Perſans n’auoyent
point ceſte maudite couſtume, ains81
qu’Artaxerxe fils de Darie, ſen-
tant que ſa mere Pariſatide (imitant
Semiramis qui ſolicita ſon fils Ni-
ne de l’accoler), l’aiguillonnoit à ſe
ioindre auec elle ſeulement la re-
pouſſa auec vn grand deſdaing, &
extreme colere à cauſe (dict il) que
c’eſtoit contre la loy & couſtumes
du pays, & que ceſte façon de faire
n’eſtoit receuë entre les hommes.
Encores ſont biẽ plus brutaux & dé-
naturés les gentils-hommes Circaſ- Inceſtes
deteſta-
bles des
Circaſſes.
ſes peuple Aſiatique en la Sarmatie,
qui quand quelcun a meſſaict n’ont
d’autres bourreaux que les payens
meſmes, & le plus ſouuent le frere
iuſticie ſon propre frere, apres ceſt
inhumain maſſacre il s’en va la nuit,
apres coucher auec la fẽme du de-
funct, ſa belle ſœur. Quant tout eſt
dit, il ſemble que ces Circaſſiẽs ſoiẽt
pluſtoſt beſtes qu’hommes & de ma
part ie les iugerois tels, ſi ie ne trou-
uois qu’ils ſont fort religieux à gar-
ſiens trop
courtois
enuers
leurs
hoſtes. der l’hoſpitalité, & tellement cour-
tois enuers leurs hoſtes, que de leur
laiſſer leurs filles auec eux, & ſouf-
frir, qu’ils les manient de la teſte iuſ-
ques aux pieds, ſauf toutes-fois iuſ-
qu’à preiudice de la pudicité, telle-
ment que lors que l’hoſte eſt cou-
ché ces filles le nettoyent, à cauſe
que ce païs eſt fort ſubiet aux puces
& à telle vermine. Au reſte ils ſont ſi
Eſtrange
depucel-
lemẽt des
filles Cir-
caſienes. barbares qu’aux obſeques de grãds
Seigneurs ils prennent vne fille de
douze à quatorze ans, qu’ils font aſ-
ſeoir ſur la peau d’vn bœuf nouuel-
lemẽt occis, & l’eſtendẽt ſur le poil
de ceſte peau par terre, en preſence
de tous les hommes & les femmes:
lors le plus hardy & gaillard des ieu-
nes gentils-hommes, là preſens, ſe
couurant de ſon manteau de feutre
ſe met en effort de depuceler ceſte
fille, & aduient ſouuent qu’auant
qu’elle ſoit depucellée, faiſant reſi-
ſtence, elle aura rendu recrus trois,
quatre ou d’auantage des plus gail-
lards de la trouppe s’eſſayans à telle
lutte ſi deshonneſte, & à la fin on la
de la prẽdre pour eſpouſe. Ayãt ga-
gné le pris, celuy qui l'a violée ſe le-
ue & fait parade de sõ outil tout ſai-
gneux des deſpouilles de la fille &
les femmes tournent la face ailleurs
quoy que non ſans rire, prenãt plai-
ſir au deduit infame d’vne pire que
payenne ſepulture.
generoſité, vaillance, gaillar-
diſe, bonté & courtoiſie, dont ils e-
ſtoyẽt accompagnés, meſmes pour
pluſieurs belles loix, qui eſtoyent e-
ſtablies entre eux, ſi74 ont ils eſté eſ-
clopés75 en beaucoup de leurs ma-
nieres de viure: ce que ie puis veri-
fier ſur le champ, ſans ietter ma veuë
autre part que ſur leurs mariages. De
Pluralité
de fem-
mes, & le
réglemẽt
entre el-
les. faict ils eſpouſoyent pluſieurs fem-
mes, & outre icelles auoyent enco-
res vn grand haraz76 de concubine, à
cauſe que les plus honorées d’entre
eux eſtoiẽt ceux, qui auoyẽt le plus
d’ẽfans & tãt pl977 vn hõme en eſtoit
chargé, & pouuoit fournir des ſiẽs à
la guerre de tãt eſtoit il reconeu par
le Roy, qui tous les ans luy enuoioit
des presens, en ſigne de faueur, &
pour la recompẽſe du ſeruice faict à
la Republique: Les fẽmes, pour n’a-
uoir ialouſie auoyẽt leur rang, pour
aller coucher auec leur mary, de ſor-
B ij
La Forest
te que preſque ils ne pouuoiẽt leuroſter ce priuilege, quand bien il eut
aimé l’vne plus que l’autre de ſorte
que les Perſans entre-my ces fem-
mes eſtoyent comme vn coq auec
ſes poulles. En quoy nous deuons
recognoiſtre l’aſtuce de Sathan, qui
ſous le mãteau de profiter au public
faict gliſſer la polygamie & plurali-
té de femmes, comme auſſi le cõcu-
binage. Pourtant ne ſont excuſables
les Perſans, qui pouuoyent produi-
re vne belle engeance, ſans entrer
en telles alteres78. Les Romains ont
Romains
quoy que
ſoigneux
de multi-
plier li-
gnee, n’õt
entẽdu à
la plura-
lité des
femmes.
eſté beaucoup plus aduiſés, qui n’õt
point voulu faire voye à ce flot de
pluralité de femmes & neantmoins
on ſçait, qu’ils ont eſté autant amou-
reux de repeupler leur Empire de
citoyens, que ſçauroyent auoir eſté
les Perſans. De faict les loix Iulies,
qu’on nomme caducaires, eſtoyent
expreſſément bandées alencontre
de ceux leſquels ou meſpriſoyent
le mariage ou ne produiſoyent li-
gnée à la Republique: en aprés quels
beaux priuileges, quelles immuni-
15
Nvptiale.
tés & prerogatiues ont eu les peresfecõds en lignées? Voyre que79 main-
tes fois on a fait breſche à la rigueur
du droict pour ſoulager ceux qui
accroiſſoyent le peuple Romain.
Et y a biẽ plus, que tout ce qui pou-
uoit nuire ou preiudicier à la propa-
gation des enfans, ils l’ont retran-
ché, iuſques à là, qu’encores que les
maiſtres & Seigneurs euſſent puiſ-
ſance de vie & de mort ſur leurs eſ-
claues, ſi leur a eſté faite expreſſe in-
hibition & defence de les chaſtrer
ou faire chaſtrer quoy que verita-
blemẽt on ſceut qu’vn eſclaue hõ-
gre & deſchargé des boulets peri-
ſomatiques eſtoit d’auantage priſé
que celuy qui eſtoit entier. On a biẽ
paſſé plus outre, d’autant qu’ẽcore
que le veufuage fut fort à recõman-
der, pour n’encourir aux peines im-
poſées à celles qui ſe remariroyent,
ſi eſt-ce que les Empereurs ont bri-
ſé les liens, par leſquels le deffunct
mary pourroit auoir obligé ſa vefue
n’aſpirer à ſecondes nopçes. Ie ſçay
biẽ que l’Empereur en allegue vne
B iij
La Forest
autre raiſon, à ſçauoir la fragilité duſexe feminin, qui eſt bien telle, que
il eſt fort mal-ayſé à la femme qui
aura faict vne telle promeſſe de ne
franchir le ſault de ce ſermẽt. Quãt
Touchãt
le concu-
binage. au concubinage on ne peut dire,
qu’il n’ait auſſi biẽ lieu entre les Ro-
mains, voire80 qu’il a eſté ſéparé d’a-
uec la paillardiſe: mais ſur la fin il a
eſté reietté, ou pluſtoſt permis par
contraincte, mais non point à gens
mariés, & par le droict Canon de-
fendu aux Preſtres. Or encores que
ceſte pluralité de femmes & con-
cubinage ſoit à condamner, eſt bien
plus deteſtable l’impieté de laquel-
le Agathie liure ſecond les attache:
Inceſte
des Per-
ſans.
car non ſeulement ils ne font aucu-
ne conſcience de s’accoupler char-
nellement auec leurs couſines ger-
maines & propres ſœurs, ains, ô for-
fait execrable! les peres ſe meſloyẽt
impudiquement auec leurs filles, &
ce qui eſt le plus abominable, ô na-
ture violée, & vous ô loix aneanties,
les enfans ne ſe ſoucioyent de cou-
cher laſciuement auec leurs meres.
16
Nvptiale.
Toutes-fois le meſme autheur dict que les Anciens Perſans n’auoyent
point ceſte maudite couſtume, ains81
qu’Artaxerxe fils de Darie, ſen-
tant que ſa mere Pariſatide (imitant
Semiramis qui ſolicita ſon fils Ni-
ne de l’accoler), l’aiguillonnoit à ſe
ioindre auec elle ſeulement la re-
pouſſa auec vn grand deſdaing, &
extreme colere à cauſe (dict il) que
c’eſtoit contre la loy & couſtumes
du pays, & que ceſte façon de faire
n’eſtoit receuë entre les hommes.
Encores ſont biẽ plus brutaux & dé-
naturés les gentils-hommes Circaſ- Inceſtes
deteſta-
bles des
Circaſſes.
ſes peuple Aſiatique en la Sarmatie,
qui quand quelcun a meſſaict n’ont
d’autres bourreaux que les payens
meſmes, & le plus ſouuent le frere
iuſticie ſon propre frere, apres ceſt
inhumain maſſacre il s’en va la nuit,
apres coucher auec la fẽme du de-
funct, ſa belle ſœur. Quant tout eſt
dit, il ſemble que ces Circaſſiẽs ſoiẽt
pluſtoſt beſtes qu’hommes & de ma
part ie les iugerois tels, ſi ie ne trou-
uois qu’ils ſont fort religieux à gar-
B iiij
La Forest
Circaſ-ſiens trop
courtois
enuers
leurs
hoſtes. der l’hoſpitalité, & tellement cour-
tois enuers leurs hoſtes, que de leur
laiſſer leurs filles auec eux, & ſouf-
frir, qu’ils les manient de la teſte iuſ-
ques aux pieds, ſauf toutes-fois iuſ-
qu’à preiudice de la pudicité, telle-
ment que lors que l’hoſte eſt cou-
ché ces filles le nettoyent, à cauſe
que ce païs eſt fort ſubiet aux puces
& à telle vermine. Au reſte ils ſont ſi
Eſtrange
depucel-
lemẽt des
filles Cir-
caſienes. barbares qu’aux obſeques de grãds
Seigneurs ils prennent vne fille de
douze à quatorze ans, qu’ils font aſ-
ſeoir ſur la peau d’vn bœuf nouuel-
lemẽt occis, & l’eſtendẽt ſur le poil
de ceſte peau par terre, en preſence
de tous les hommes & les femmes:
lors le plus hardy & gaillard des ieu-
nes gentils-hommes, là preſens, ſe
couurant de ſon manteau de feutre
ſe met en effort de depuceler ceſte
fille, & aduient ſouuent qu’auant
qu’elle ſoit depucellée, faiſant reſi-
ſtence, elle aura rendu recrus trois,
quatre ou d’auantage des plus gail-
lards de la trouppe s’eſſayans à telle
lutte ſi deshonneſte, & à la fin on la
17
Nvptiale.
gaigne & ſurmonte, auec promeſſede la prẽdre pour eſpouſe. Ayãt ga-
gné le pris, celuy qui l'a violée ſe le-
ue & fait parade de sõ outil tout ſai-
gneux des deſpouilles de la fille &
les femmes tournent la face ailleurs
quoy que non ſans rire, prenãt plai-
ſir au deduit infame d’vne pire que
payenne ſepulture.
Les Tartares.
Chap. IIII.
COmme le naturel des Tarta-
res eſt bruſque, eſtrãge & ſau-
uage, leurs façons de faire barbares,
& hors d’humanité, ils ſont auſſi
mal ordonnez & deſreiglez pour le
faict de leurs mariages. Sur tout ſe
baignent-ils à la cruauté, & ſe don-
nent licence de ſauuer celles des
Tartares
vilains à
leur pail-
lardiſe. femmes, qui leur ſemblerõt les plus
belles & les plus ieunes, deſquelles
ils abuſent à leur fantaiſie, & les cõ-
traignent de ſeruir à leur vilaine &
deteſtable paillardiſe, auec le plus
imaginer : auſſi ce peuple eſt le plus
infect & ſale, en matiere de paillar-
der, qu’autre que la terre porte, d’au-
tant que, jaçoit qu’il luy ſoit loiſible
d’eſpouſer tout autant de femmes
que bon luy ſemble, & cõme il peut
nourrir, & ſans aucun reſpect des
degrez de conſanguinité, ſauf que
de la mere, de la fille, & de la ſœur: ſi
eſt-ce, qu’ẽcore il s’accouple & aux
maſles, & aux beſtes meſmes. Au re-
ſte eſpousãs vne femme, elle ne ſera
tenuë pour leur eſpouſe, iuſqu’à tãt
qu’elle leur ait porté des enfans, à
ceſte cauſe, ils repudient celles, qui
ſont brehaignes & ſteriles, & en prẽ-
nẽt d’autres, ſans qu’õ voye aucune
partialité ny querelle entre tant de
femmes, encor’ que le mary careſſe
& fauoriſe pluſtoſt vne que les au-
tres : mais cela aduient pour-ce que
chaſcune a ſon meſnage à part, & vit
en fort grande & merueilleuſe cha-
ſteté, & eſtãs auſſi hõneſtes que leur
marys, ſont debordez en toutes ſor-
tes de vilainies : Et cecy nõ que na-
d’auſſi bõ cœur que les hõmes, ains
pource que par la loy, il y va de la
mort, s’il eſt prouué, que ſoit hõme
ou femme, ſoit attainct d’adultere,
neãtmoins les hõmes y ont pl9 grãd
priuilege, ſe mariãs à tãt de femmes
qu’il leur plaiſt, là où il n’eſt ainſi des
femmes, qui faut que demeurẽt là à
la diſcretiõ du mary, fauoriſee ou re-
jettee. Entre autres deuoirs de leur
charge, eſt ceſtuy-cy, qu’elles s’en-
tremettẽt à la purgatiõ des familles,
par le feu, à ſçauoir, quãd par neceſſi-
té quelqu'vn a eſté cõtraint d’y paſ-
ſer, car de guet à pend, il n’y a que la
mort pour recõpenſe. Or voicy cõ-
Femmes
Tartares
emploiees
à la pur-
gatiõ des
familles.
me les Tartares purifient leur loges.
Ils font du feu en deux lieux eſloi-
gnez trois pas l’vn de l'autre, entre
leſquels dreſsent deux lances, prés
chaque feu vne, & attachẽt vne cor-
delette, qui va de l’vne à l’autre &
eſt attacheé aux deux : ce qui doit
eſtre purgé, faut qu’il paſſe ſous ce-
ſte corde: & cepẽdãt il a deux fem-
mes, à chacun coſté de ce feu arrou-
& marmonans ne ſçay quels ſuffra-
ges ſortis de leurs Necromãtiẽs, &
Bachſi82, leſquels elles pẽsẽt pouuoir
ſeruir à ceſt effet. Les dames, qui sõt
Accou-
ſtremens
des Da-
mes Tar-
tares. mariees, ont vne certaine coiffure,
faite tout ainſi qu’vn panier tout rõd
ayãt pied & demy de haut, & appla-
ny comme le cul d’vn muyd ſus le
bout : ceſte coiffure eſt de ſoie de di-
uerſes couleurs, & embellie de plu-
ſieurs plumages, & encor’ enrichie
de pierrerie & ioyaux d’or, ſelon la
richeſſe de la Dame: auſſi les grãdes
& les riches ſe veſtent d’eſcarlat-
te, & de ſoye, & de meſme parure
que font leurs marys: leurs robes sõt
faictes d’vne eſtrãge façon : car elles
ſont fendues au coſté gauche, & par
là, & les hõmes & femmes les veſtẽt &
deſpouillẽt, & les attachẽt auec cinq
ou ſix boutons. En eſté ils ſe veſtent
ordinairement de noir, en hiuer &
lors qu’il pleut, de blãc: leurs habits
ne leur deſcẽdẽt point plus bas que
les genous, auſſi ne ſçauroit-on diſ-
cerner les hommes d’auec les fem-
des femmes mariees, car leur veſte-
ment eſt ſemblable , & tous portẽt
des hauts de chauſſes, & gregeſque83
bien bordees & paſſementees cha-
cun ſelõ ſa portee. Ie lairay leurs ce-
remonies , qu’ils obſeruent au ſacre
de leur Roy, & à deduire comment
ils donnẽt à leur Roy, celle des fem-
mes qu’il aime le mieux , & to9 deux
enſemble ſont hauſſez dedans vn
feutte, & proclamez Roy & Royne
des Tartares : il vaut mieux que ie
vous propoſe leur ſotte couſtume,
dõt nous aduertit Marc Paul Veni-
tiẽ, laquelle touche à nos mariages.
res eſt bruſque, eſtrãge & ſau-
uage, leurs façons de faire barbares,
& hors d’humanité, ils ſont auſſi
mal ordonnez & deſreiglez pour le
faict de leurs mariages. Sur tout ſe
baignent-ils à la cruauté, & ſe don-
nent licence de ſauuer celles des
Tartares
vilains à
leur pail-
lardiſe. femmes, qui leur ſemblerõt les plus
belles & les plus ieunes, deſquelles
ils abuſent à leur fantaiſie, & les cõ-
traignent de ſeruir à leur vilaine &
deteſtable paillardiſe, auec le plus
B v
La Forest
grande miſere qu’homme ſçauroitimaginer : auſſi ce peuple eſt le plus
infect & ſale, en matiere de paillar-
der, qu’autre que la terre porte, d’au-
tant que, jaçoit qu’il luy ſoit loiſible
d’eſpouſer tout autant de femmes
que bon luy ſemble, & cõme il peut
nourrir, & ſans aucun reſpect des
degrez de conſanguinité, ſauf que
de la mere, de la fille, & de la ſœur: ſi
eſt-ce, qu’ẽcore il s’accouple & aux
maſles, & aux beſtes meſmes. Au re-
ſte eſpousãs vne femme, elle ne ſera
tenuë pour leur eſpouſe, iuſqu’à tãt
qu’elle leur ait porté des enfans, à
ceſte cauſe, ils repudient celles, qui
ſont brehaignes & ſteriles, & en prẽ-
nẽt d’autres, ſans qu’õ voye aucune
partialité ny querelle entre tant de
femmes, encor’ que le mary careſſe
& fauoriſe pluſtoſt vne que les au-
tres : mais cela aduient pour-ce que
chaſcune a ſon meſnage à part, & vit
en fort grande & merueilleuſe cha-
ſteté, & eſtãs auſſi hõneſtes que leur
marys, ſont debordez en toutes ſor-
tes de vilainies : Et cecy nõ que na-
18
Nvptiale.
turellement elles ne paillardaſſentd’auſſi bõ cœur que les hõmes, ains
pource que par la loy, il y va de la
mort, s’il eſt prouué, que ſoit hõme
ou femme, ſoit attainct d’adultere,
neãtmoins les hõmes y ont pl9 grãd
priuilege, ſe mariãs à tãt de femmes
qu’il leur plaiſt, là où il n’eſt ainſi des
femmes, qui faut que demeurẽt là à
la diſcretiõ du mary, fauoriſee ou re-
jettee. Entre autres deuoirs de leur
charge, eſt ceſtuy-cy, qu’elles s’en-
tremettẽt à la purgatiõ des familles,
par le feu, à ſçauoir, quãd par neceſſi-
té quelqu'vn a eſté cõtraint d’y paſ-
ſer, car de guet à pend, il n’y a que la
mort pour recõpenſe. Or voicy cõ-
Femmes
Tartares
emploiees
à la pur-
gatiõ des
familles.
me les Tartares purifient leur loges.
Ils font du feu en deux lieux eſloi-
gnez trois pas l’vn de l'autre, entre
leſquels dreſsent deux lances, prés
chaque feu vne, & attachẽt vne cor-
delette, qui va de l’vne à l’autre &
eſt attacheé aux deux : ce qui doit
eſtre purgé, faut qu’il paſſe ſous ce-
ſte corde: & cepẽdãt il a deux fem-
mes, à chacun coſté de ce feu arrou-
B vj
La Forest
ſans d’eau ce qui paſſe ſous la corde& marmonans ne ſçay quels ſuffra-
ges ſortis de leurs Necromãtiẽs, &
Bachſi82, leſquels elles pẽsẽt pouuoir
ſeruir à ceſt effet. Les dames, qui sõt
Accou-
ſtremens
des Da-
mes Tar-
tares. mariees, ont vne certaine coiffure,
faite tout ainſi qu’vn panier tout rõd
ayãt pied & demy de haut, & appla-
ny comme le cul d’vn muyd ſus le
bout : ceſte coiffure eſt de ſoie de di-
uerſes couleurs, & embellie de plu-
ſieurs plumages, & encor’ enrichie
de pierrerie & ioyaux d’or, ſelon la
richeſſe de la Dame: auſſi les grãdes
& les riches ſe veſtent d’eſcarlat-
te, & de ſoye, & de meſme parure
que font leurs marys: leurs robes sõt
faictes d’vne eſtrãge façon : car elles
ſont fendues au coſté gauche, & par
là, & les hõmes & femmes les veſtẽt &
deſpouillẽt, & les attachẽt auec cinq
ou ſix boutons. En eſté ils ſe veſtent
ordinairement de noir, en hiuer &
lors qu’il pleut, de blãc: leurs habits
ne leur deſcẽdẽt point plus bas que
les genous, auſſi ne ſçauroit-on diſ-
cerner les hommes d’auec les fem-
19
Nvptiale.
mes, que de la coiffure , ny les fillesdes femmes mariees, car leur veſte-
ment eſt ſemblable , & tous portẽt
des hauts de chauſſes, & gregeſque83
bien bordees & paſſementees cha-
cun ſelõ ſa portee. Ie lairay leurs ce-
remonies , qu’ils obſeruent au ſacre
de leur Roy, & à deduire comment
ils donnẽt à leur Roy, celle des fem-
mes qu’il aime le mieux , & to9 deux
enſemble ſont hauſſez dedans vn
feutte, & proclamez Roy & Royne
des Tartares : il vaut mieux que ie
vous propoſe leur ſotte couſtume,
dõt nous aduertit Marc Paul Veni-
tiẽ, laquelle touche à nos mariages.
Sots ma-
riages des
morts,
que font
les Tar-
tares.
riages des
morts,
que font
les Tar-
tares.
Quãt il y a deux hommes, l’vn deſ-
quels a vn fils , l’autre vne fille , &
qu’ils les ont fiancez enſemble, &
qu’il aduient que fils & fille viẽnent
à mourir, ne laiſſant point d’en faire
les nopçes, car ils donnent la fille
morte, au garſon decedé, & cecy en
telle maniere. Ils font peindre des
eſclaues, des cheuaux & des beſtes:
de toutes ſortes d’habits, de deniers,
ioyaux, bagues & toutes eſpeces de
de mariage, lequel approuué par le
parens de tous les deux coſtez , on
faict bruſler tout ce que deſſus , di-
sãs que la fumee, qu’ils font, eſt por-
tee à leurs enfans , en l’autre mõde,
leſquels s’eſpouſent là par effet, ain-
ſi que ça bas ils en ont faict la cere-
monie: & les parẽs des morts ſe tien-
nent plus vrayement aliez, & s’en-
tre-aiment & frequentent tout ainſ
que ſi leurs enfans fuſſent en vie, &
le mariage euſt eſté accõply: Icy n
Courti-
ſannes
Tartares faut oublier que le Cham de Tarta-
rie84 retire grands deniers des courti-
ſanes, qui ſont à la ſuitte de ſa cour,
mais il y a vne loy telle , que le Roy
eſtant en quelque Ville que ce ſoit
il n’eſt permis à femme, telle qui fa-
ce l’amour ( ſi ce n’eſt ſecrettemẽt)
de ſe tenir dedãs les Villes, ains on
leurs logis aux faux-bourgs , & là
les va viſiter qui veut. Aux faux-
bourgs de Cambalu ( qui eſt l’vne
des principalles Villes du pays Ca-
thaien ) il y en a vn beau eſcadron,
tel qu’aucuns en font compte de
plus offrant , & vendẽt leur paillar-
de chair, à ceux qui mieux les payẽt.
Or ces femmes ont vn Capitaine
general , puis des chefs ſur chacun
millier, & ſur chacune cẽtaine leſ-
quels tous faut que dependent de
ce General. La cauſe pour laquelle
il eſt dit,qu’il faut que ces femmes
ayent ainſi vn chef, eſt , d’autãt que
toutes les fois que quelques Am-
baſſadeurs ſont enuoyez au grand
Cham85, pour les affaires d’iceluy Sei-
gneur, & qu’ils ſont là à ſes deſpens
on les traicte fort ſomptueuſemẽt,
& faut que le Capitaine leur face
chete entiere, & leur donne , & ta-
ble & lict garny , en donnant tou-
tes les nuicts , vne de ces Dames , à
ceſt Ambaſſadeur, & autãt à chacun
de ſa ſuitte , ſans que ceux-cy ſoyẽt
tenus de rien leur donner : car c’eſt
tribut que ces femmes doiuent à
leur Priuce. Aucuns aſſez hardimẽt
ſe ſont eſſayez tirer la ſource & l’e-
ſtabliſſemẽt de tels bourdeaux d’v-
ne couſtume qui eſt ramentuë par
quels a vn fils , l’autre vne fille , &
qu’ils les ont fiancez enſemble, &
qu’il aduient que fils & fille viẽnent
à mourir, ne laiſſant point d’en faire
les nopçes, car ils donnent la fille
morte, au garſon decedé, & cecy en
telle maniere. Ils font peindre des
eſclaues, des cheuaux & des beſtes:
de toutes ſortes d’habits, de deniers,
ioyaux, bagues & toutes eſpeces de
La Forest
meubles puis font paſſer le cõtracde mariage, lequel approuué par le
parens de tous les deux coſtez , on
faict bruſler tout ce que deſſus , di-
sãs que la fumee, qu’ils font, eſt por-
tee à leurs enfans , en l’autre mõde,
leſquels s’eſpouſent là par effet, ain-
ſi que ça bas ils en ont faict la cere-
monie: & les parẽs des morts ſe tien-
nent plus vrayement aliez, & s’en-
tre-aiment & frequentent tout ainſ
que ſi leurs enfans fuſſent en vie, &
le mariage euſt eſté accõply: Icy n
Courti-
ſannes
Tartares faut oublier que le Cham de Tarta-
rie84 retire grands deniers des courti-
ſanes, qui ſont à la ſuitte de ſa cour,
mais il y a vne loy telle , que le Roy
eſtant en quelque Ville que ce ſoit
il n’eſt permis à femme, telle qui fa-
ce l’amour ( ſi ce n’eſt ſecrettemẽt)
de ſe tenir dedãs les Villes, ains on
leurs logis aux faux-bourgs , & là
les va viſiter qui veut. Aux faux-
bourgs de Cambalu ( qui eſt l’vne
des principalles Villes du pays Ca-
thaien ) il y en a vn beau eſcadron,
tel qu’aucuns en font compte de
20
Nvptiale.
vingt-cinq mil, qui s’expoſent auplus offrant , & vendẽt leur paillar-
de chair, à ceux qui mieux les payẽt.
Or ces femmes ont vn Capitaine
general , puis des chefs ſur chacun
millier, & ſur chacune cẽtaine leſ-
quels tous faut que dependent de
ce General. La cauſe pour laquelle
il eſt dit,qu’il faut que ces femmes
ayent ainſi vn chef, eſt , d’autãt que
toutes les fois que quelques Am-
baſſadeurs ſont enuoyez au grand
Cham85, pour les affaires d’iceluy Sei-
gneur, & qu’ils ſont là à ſes deſpens
on les traicte fort ſomptueuſemẽt,
& faut que le Capitaine leur face
chete entiere, & leur donne , & ta-
ble & lict garny , en donnant tou-
tes les nuicts , vne de ces Dames , à
ceſt Ambaſſadeur, & autãt à chacun
de ſa ſuitte , ſans que ceux-cy ſoyẽt
tenus de rien leur donner : car c’eſt
tribut que ces femmes doiuent à
leur Priuce. Aucuns aſſez hardimẽt
ſe ſont eſſayez tirer la ſource & l’e-
ſtabliſſemẽt de tels bourdeaux d’v-
ne couſtume qui eſt ramentuë par
La Forest
Punition
d’adulte-
re entre
les Rom.
& autres
peuples.
d’adulte-
re entre
les Rom.
& autres
peuples.
Socrates , en ſon hiſtoire Eccleſia-
ſtique , liure cinquiſme,Chapitre
dix-huictieſme,où il nous apprend
que les Romains , ſi vne femme e-
ſtoit ſurpriſe en adultere , ne corri-
geoyent point le forfaict , mais par
vn adiouſtement & accroiſt de pe-
ché puniſſoyẽt celle qui auoit mef-
faict. De faict ils la contraignoyent
de paillarder effrontément , en vn
eſtroict bourdeau, & cepẽdant que
s’exploitoit ceſte ſale & deshonne-
ſte execution , on faiſoit ſonner les
cloches à double carillon, à fin que
ceux qui eſtoyent là, fuſſent aduer-
tis des coups , qui ſe donnoyent, &
que par le retentiſſemẽt de ces clo-
ches,ce vergongneux chaſtimẽt fut
deſcouuert & manifeſté à vn cha-
cun. On appelloit ces lieux deſti-
nez à telles operations, Siſtra, leſ-
quels, ainſi que la remarque le meſ-
me Hiſtorien, furẽt deſtruits & ab-
batus par l’Empereur Theodoſe.
Quoy que ſoit, il y a bien à dire des
vns aux autres , ainſi que le liſans
pourrez bien aiſémẽt apperceuoir.
ſur le propos touchãt les peines de
l’adultere, ie ſuis bien contant de
m’y eſtendre vn peu au long. Au-
cuns peuples l’ont puny de mort.
Par la loy de Moyſe on lapidoit l’a-
dultere, & auparauãt icelle il eſtoit
bruſlé,comme il eſt aiſé à recueillir
du 38. chap. de Geneſe. Heraclides
en ſon liure des polices , faict men-
tiõ d’vn Roy nõmé Tennes,lequel
ordõna aux tenediẽs86, q̃ les adultere
ſeroient departis en deux auec vne
hache & fit eſpreuue d’vne telle &
ſi ſeuere ordonnãce ſur ſon propre
fils. Pource en ſa monnoye il fiſt en-
grauer vne hache d’vn coſté, & de
l’autre deux viſages penchans d’vn
meſme chef. Les Ægyptiens bail-
loient mil coups ſur celuy, qui eſtoit
ſurpris en adultere, on couppoit le
nez à la femme. Diodore le Sicilien
adiouſte bien d’auãtage au premier
liure de ſa Bibliotheque que le plus
ſouuent on chaſtioit l’homme adul-
tere. Les Siciliens ont practiqué la
meſme rigueur alendroit des fem-
tiens, & quant aux hommes Valere
le grand nous apprend au premier
chapitre du ſixieſme liure que les
Romains ont eſté auſſi ſeueres que
les Ægyptiens , de faict, que Bibie-
nus trancha les genitoires à Carbo,
Actienus & Puble Ceruius à Põtius.87
Zaleucus88 tint forte bride contre les
adulteres de Locres, auſquels, pour
punition , il ordonna, qu’on creuat
les deux yeux: ſupplice duquel luy-
meſme ne ſceut ſe garantir, car cõ-
me ſon fils eut eſté ſurpris en adul-
tere, & qu’il vit, que pour le reſpect
de luy,toute la cité n’en fit autremẽt
inſtance, luy meſmes inſiſta, à ce que
ce meſſait ne demeuraſt impuny. En
fin gaigné par les prieres du peuple,
luy meſmes ſe fit creuer vn œil & vn
autre à ſon fils ainſi que Valere re-
marque en ſon diſcours touchant
la iuſtice & Ælian au trezieſme
liure var. hiſtor. Les Lepreens me-
noient liés & garottez a l’entour de
la cité ceux leſquels ils auoient ſur-
pris en adultere, puis le reſte de leur
contemptibles. Et quant aux fem-
mes adulteres on les contraignoit
de demourer vnze iour entiers tou-
tes découuertes en public, ſeulemẽt
eſtoyent affublees d’vn ſimple &
fort delié veſtement. Entre les Athe-
niens il eſtoit interdit aux femmes
adulteres d’entrer aux temples, que
ſi aucune s’eſtoit hazardée d’y auan-
cer le pas, il eſtoit loiſible à vn chaſ-
cun de luy faire tel affront qu’il eut
voulu, ſur tout luy eſtoit defẽdu de
la tuer de peur que (comme teſmoi-
gne Demoſthene en l’oraiſon con-
tre Neera ) la peine de ſon ignomi-
nie ne print ſi toſt fin. L’hõme adul-
tere ſurpris ſur le faict pouuoir eſtre
occis par le mari sãs recerche. Voire
que89 par la loi de Solõ (au rapport de
Plut. en la vie d’iceluy90) il y auoit pei-
ne de dix ou vingt drachmes ſur ce-
luy qui honiſſoit la pudicité d’vne
femme. A ce propos eſt fort remar-
quable le chaſtimẽt que, ſelon Sui-
das, fit Hippomenes, Prince d’Athe
nes, de Limone ſa fille, laquelle il a-
adultere l’enferma auec vn cheual,
lequel n’ayant aucune paſture prit
ſa repeuë, & ſe rua ſur elle. L’adulte-
re fut trainé par des cheuaux par le
pays Attique iuſques à ce que ſon
corps fut deſmembré & eſcartelé.
Les Laciades ou Placiades (qui ſont
peuples de l’Attique) prenoient des
raifforts du pays , gros au poſſibles,
où , à faute d’iceux , des gros coins
de bois, & les mettoient deuant les
parties honteuſes des adulteres. Ce
que Lucian en la vie du philoſophe
Peregrin veut auoir auſſi eſté obſer-
ué en Armenie. L’hiſtorien Tacite
recite, que les Alemans raſoient les
cheueux de leurs femmes adulteres
deuant leurs voiſins , puis les chaſ-
ſoient toutes nuës & les menoient
par la ruë à grands coups de verges.
Les Cumeãs faiſoiẽt monter ſur vne
haute pierre la fẽme adultere, d’où,
apres qu’elle y auoit demeuré quel-
que tẽps, non ſans grande riſée d’vn
chaſcun , on la deſcendoit , puis on
lui faiſoit cheuaucher l’aſne par tou-
rapport de Stobee ſerm. 42. les Piſi-
des promenoiẽt par quelques iours
les deux adulteres ſur vn aſne. Sale-
the Seigneur des Crotoniates fit vne
ordonnance contre les adulteres
qu’õ les bruſleroit tous vifs. Et par-
tant, ayant pollué la couche de ſon
frere, comme il vit que les citoyens
vouloyent rabatre & addoucire ce-
ſte peine & les cõdamner ſeulemẽt
au banniſſement, luy meſmes s’eſlã-
ça dãs vn feu, comme eſcrit Lucian
en vne apologie. Ie ne pourſuiuray
point plus outre les autres peines
de l’adultere, crainte que i’ay, qu’on
ne die, que ie me play à dreſſer icy
vne contremire des punitions auec
l’impunité receuë en noſtre France,
où ceſt enorme forfait, tant s’en faut
qu’il ſoit reprimé ou puny qu’au cõ-
traire (& de ce le Docteur Io. Faber.
§. Item lex Iulia.Iuſtit, de pub. iud. nous
en fait reproche) il eſt mis au nom-
bre des actes ingenieux.
ſtique , liure cinquiſme,Chapitre
dix-huictieſme,où il nous apprend
que les Romains , ſi vne femme e-
ſtoit ſurpriſe en adultere , ne corri-
geoyent point le forfaict , mais par
vn adiouſtement & accroiſt de pe-
ché puniſſoyẽt celle qui auoit mef-
faict. De faict ils la contraignoyent
de paillarder effrontément , en vn
eſtroict bourdeau, & cepẽdant que
s’exploitoit ceſte ſale & deshonne-
ſte execution , on faiſoit ſonner les
cloches à double carillon, à fin que
ceux qui eſtoyent là, fuſſent aduer-
tis des coups , qui ſe donnoyent, &
que par le retentiſſemẽt de ces clo-
ches,ce vergongneux chaſtimẽt fut
deſcouuert & manifeſté à vn cha-
cun. On appelloit ces lieux deſti-
nez à telles operations, Siſtra, leſ-
quels, ainſi que la remarque le meſ-
me Hiſtorien, furẽt deſtruits & ab-
batus par l’Empereur Theodoſe.
Quoy que ſoit, il y a bien à dire des
vns aux autres , ainſi que le liſans
pourrez bien aiſémẽt apperceuoir.
21
Nvptiale.
Or puis qu’icy nous ſommes entrésſur le propos touchãt les peines de
l’adultere, ie ſuis bien contant de
m’y eſtendre vn peu au long. Au-
cuns peuples l’ont puny de mort.
Par la loy de Moyſe on lapidoit l’a-
dultere, & auparauãt icelle il eſtoit
bruſlé,comme il eſt aiſé à recueillir
du 38. chap. de Geneſe. Heraclides
en ſon liure des polices , faict men-
tiõ d’vn Roy nõmé Tennes,lequel
ordõna aux tenediẽs86, q̃ les adultere
ſeroient departis en deux auec vne
hache & fit eſpreuue d’vne telle &
ſi ſeuere ordonnãce ſur ſon propre
fils. Pource en ſa monnoye il fiſt en-
grauer vne hache d’vn coſté, & de
l’autre deux viſages penchans d’vn
meſme chef. Les Ægyptiens bail-
loient mil coups ſur celuy, qui eſtoit
ſurpris en adultere, on couppoit le
nez à la femme. Diodore le Sicilien
adiouſte bien d’auãtage au premier
liure de ſa Bibliotheque que le plus
ſouuent on chaſtioit l’homme adul-
tere. Les Siciliens ont practiqué la
meſme rigueur alendroit des fem-
La Forest
mes adulteres, qu’ont fait les Ægyp-tiens, & quant aux hommes Valere
le grand nous apprend au premier
chapitre du ſixieſme liure que les
Romains ont eſté auſſi ſeueres que
les Ægyptiens , de faict, que Bibie-
nus trancha les genitoires à Carbo,
Actienus & Puble Ceruius à Põtius.87
Zaleucus88 tint forte bride contre les
adulteres de Locres, auſquels, pour
punition , il ordonna, qu’on creuat
les deux yeux: ſupplice duquel luy-
meſme ne ſceut ſe garantir, car cõ-
me ſon fils eut eſté ſurpris en adul-
tere, & qu’il vit, que pour le reſpect
de luy,toute la cité n’en fit autremẽt
inſtance, luy meſmes inſiſta, à ce que
ce meſſait ne demeuraſt impuny. En
fin gaigné par les prieres du peuple,
luy meſmes ſe fit creuer vn œil & vn
autre à ſon fils ainſi que Valere re-
marque en ſon diſcours touchant
la iuſtice & Ælian au trezieſme
liure var. hiſtor. Les Lepreens me-
noient liés & garottez a l’entour de
la cité ceux leſquels ils auoient ſur-
pris en adultere, puis le reſte de leur
22
Nvptiale.
vie les tenoient pour infames &contemptibles. Et quant aux fem-
mes adulteres on les contraignoit
de demourer vnze iour entiers tou-
tes découuertes en public, ſeulemẽt
eſtoyent affublees d’vn ſimple &
fort delié veſtement. Entre les Athe-
niens il eſtoit interdit aux femmes
adulteres d’entrer aux temples, que
ſi aucune s’eſtoit hazardée d’y auan-
cer le pas, il eſtoit loiſible à vn chaſ-
cun de luy faire tel affront qu’il eut
voulu, ſur tout luy eſtoit defẽdu de
la tuer de peur que (comme teſmoi-
gne Demoſthene en l’oraiſon con-
tre Neera ) la peine de ſon ignomi-
nie ne print ſi toſt fin. L’hõme adul-
tere ſurpris ſur le faict pouuoir eſtre
occis par le mari sãs recerche. Voire
que89 par la loi de Solõ (au rapport de
Plut. en la vie d’iceluy90) il y auoit pei-
ne de dix ou vingt drachmes ſur ce-
luy qui honiſſoit la pudicité d’vne
femme. A ce propos eſt fort remar-
quable le chaſtimẽt que, ſelon Sui-
das, fit Hippomenes, Prince d’Athe
nes, de Limone ſa fille, laquelle il a-
La Forest
uoit eu d’Athalẽte. L’ayãt trouué en adultere l’enferma auec vn cheual,
lequel n’ayant aucune paſture prit
ſa repeuë, & ſe rua ſur elle. L’adulte-
re fut trainé par des cheuaux par le
pays Attique iuſques à ce que ſon
corps fut deſmembré & eſcartelé.
Les Laciades ou Placiades (qui ſont
peuples de l’Attique) prenoient des
raifforts du pays , gros au poſſibles,
où , à faute d’iceux , des gros coins
de bois, & les mettoient deuant les
parties honteuſes des adulteres. Ce
que Lucian en la vie du philoſophe
Peregrin veut auoir auſſi eſté obſer-
ué en Armenie. L’hiſtorien Tacite
recite, que les Alemans raſoient les
cheueux de leurs femmes adulteres
deuant leurs voiſins , puis les chaſ-
ſoient toutes nuës & les menoient
par la ruë à grands coups de verges.
Les Cumeãs faiſoiẽt monter ſur vne
haute pierre la fẽme adultere, d’où,
apres qu’elle y auoit demeuré quel-
que tẽps, non ſans grande riſée d’vn
chaſcun , on la deſcendoit , puis on
lui faiſoit cheuaucher l’aſne par tou-
23
Nvptiale.
te la bourgade: de meſmes qu’aurapport de Stobee ſerm. 42. les Piſi-
des promenoiẽt par quelques iours
les deux adulteres ſur vn aſne. Sale-
the Seigneur des Crotoniates fit vne
ordonnance contre les adulteres
qu’õ les bruſleroit tous vifs. Et par-
tant, ayant pollué la couche de ſon
frere, comme il vit que les citoyens
vouloyent rabatre & addoucire ce-
ſte peine & les cõdamner ſeulemẽt
au banniſſement, luy meſmes s’eſlã-
ça dãs vn feu, comme eſcrit Lucian
en vne apologie. Ie ne pourſuiuray
point plus outre les autres peines
de l’adultere, crainte que i’ay, qu’on
ne die, que ie me play à dreſſer icy
vne contremire des punitions auec
l’impunité receuë en noſtre France,
où ceſt enorme forfait, tant s’en faut
qu’il ſoit reprimé ou puny qu’au cõ-
traire (& de ce le Docteur Io. Faber.
§. Item lex Iulia.Iuſtit, de pub. iud. nous
en fait reproche) il eſt mis au nom-
bre des actes ingenieux.
La Forest
Les Chiots.
Chap. V.
LA maluoiſie qui fertiliſe le los
de l’Iſle de Chiots, voire91 qu’ẽ
ce elle ne luy permet rien quitter
à celle de Candie, eſchauffe pareil-
lement les humeurs des habitans,
ſur tout pour l’exploit qui ſe rap-
porte à noſtre diſcours. Il y en a qui
paſſent bien plus outre & maintiẽ-
nent qu’encores que la maluoi-
ſie Chioiſe ne ſoit point ſi furibon-
de que la Cãdiotte92, ce neantmoins
elle eſceruelle les pauures Chiots,
de ſorte qu’ils n’ont point le cœur
viril & courageux , voire93 qu’il ſe
baiſſe au deſſous de celuy des fem-
mes, qui, ſi nous croyons à certains
eſcriuains, tiennẽt le rang des coqs.
de l’Iſle de Chiots, voire91 qu’ẽ
ce elle ne luy permet rien quitter
à celle de Candie, eſchauffe pareil-
lement les humeurs des habitans,
ſur tout pour l’exploit qui ſe rap-
porte à noſtre diſcours. Il y en a qui
paſſent bien plus outre & maintiẽ-
nent qu’encores que la maluoi-
ſie Chioiſe ne ſoit point ſi furibon-
de que la Cãdiotte92, ce neantmoins
elle eſceruelle les pauures Chiots,
de ſorte qu’ils n’ont point le cœur
viril & courageux , voire93 qu’il ſe
baiſſe au deſſous de celuy des fem-
mes, qui, ſi nous croyons à certains
eſcriuains, tiennẽt le rang des coqs.
Femmes
de Chios
courageu
ſes.
de Chios
courageu
ſes.
Outre l’experience ordinaire ils
employent ce qui eſt couché par
Plutarque que traicté qu’il a fait des
vertueux faicts des Dames en ceſte
ſorte. Ceux de Chio fonderent ia-
le occaſion. Vn ieune gentil hõme
des meilleures maiſons de Chio s’e-
ſtoit marié & comme on luy me-
noit ſa femme en ſa maiſon ſur vn
chariot, le Roy Hipoclus, qui eſtoit
amy & famillier du marié & auoit
aſſiſté aux eſpouſailles comme les
autres, où l’on auoit bien beu, bien
ry & fait encores meilleure chere,
ſauta ſur le chariot, où eſtoit la ma-
riée non pour y faire aucune vio-
lence ny villainie, mais ſeulement
pour ſe ioüer, comme la couſtume
eſtoit en telle Feſte : Toutes-fois les
amis du marié, ne le prenans pas de
ceſte façon le tuërent ſur la place :
A raiſon duquel homicide s’eſtans
monſtrés à ceux de Chio pluſieurs
ſignes manifeſtes de l’ire & cour-
roux des Dieux & ayant l’oracle
d’apollon reſpondu,que pour l’ap-
paiſer il failloit qu’ils tuaſſent ceux
qui auoiẽt occis Hippoclus : Ils reſ-
pondirent que c’eſtoient tous ceux
de la ville qui l’auoiẽt tué. Dieu leur
commanda qu’ils euſſent donques
tous eſtoient participãs de ce meur-
tre : ainſi meirẽt ils hors de leur vil-
le ceux , qui eſtoient Autheurs ou
aucunement participans de ce cri-
me, qui n’eſtoient pas en petit nõ-
bre ny gens de petite qualité, & les
enuoierẽt habiter en la ville de leu-
conie qu’ils auoient auparauant o-
ſtee & conquiſe ſur les Coroniens
à l’aide des Erythreiẽs:mais depuis
guerre s’eſtant eſmeuë entre eux &
les Erythreiẽs, qui eſtoiẽt pour lors
le pl9 puiſãt peuple de tout le pays
d’Ionie, & les Erythreiens les eſtans
venus aſſaillir auec armee,ils firent
compoſition par laquelle il leur e-
ſtoit permis de ſortir auec vne ro-
be & vn ſaye tant ſeulement & nõ
autre choſe. Les femmes n’eurent
pas pluſtoſt entendu ce beau ap-
pointement qu’à belles iniures ſe
mirent à leur faire reproche s’ils
auoient le cœur ſi laſche que qui-
cter leurs armes & de s’en aller tous
nuds au trauers de leurs ennemis.
Et comme les maris leurs alleguaſ-
leuerent & diſpenſerent ayſément
de ce ſerment: ſi leur conſeillerent,
comment que ce fut n’abandõner
point leurs armes, & leur dire , que
la jaueline eſtoit la robe & le bou-
clier le ſaye à tout homme de bon
cœur. Les Chiots les creurẽt & par-
lerent audacieuſement aux Ery-
threiens en leur monſtrant leurs ar-
mes, ſi bien que par leur audace ils
les effrayerent & ny eut perſonne
d’eux qui s’en oſa approcher pour
cuider les empeſcher , ains furent
tous contans qu’ils ſe retiraſſent en
tout tel equipage qu’ils voudroiẽt,
moyennant qu’ils luy quittaſſent la
place. Voyla doncques ces femmes
qui ont remis la virilité au cœur de
leurs maris & par meſmes moyen
leur on ſauué leur honneur qui s’ẽ
alloit eclypſé par tout fetardiſe. Ne
penſez pas que ce ſoit eſté pour vne
bouffée , car le meſme Hiſtorien
nous apprẽd que long temps apres
les femmes de Chio firent vn autre
acte qui n’a cedé de rien, en vertu
Demetrïus tenant leur ville aſſie-
gée fit proclamer vn mandemẽt par
ſes heraus & vn cry merueilleuſe-
ment hautain & barbare. Que les
eſclaues de la ville ſe rebellaſſent
contre leurs maiſtres & ſe vinſſent
rendre à luy & qu’il leur donneroit
liberté & ſi leur feroit eſpouſer à
chaſcun leurs maiſtreſſes femmes
de leurs maiſtres. Que firent la deſ-
ſus les femmes! Elles montent ſur les
murailles de la ville , & y porterent
des pierres & des traits en priãt leurs
hommes qui combattoient, d’auoir
bon courage, & les admoneſtans de
ne ſe laſſer point de faire bien leur
deuoir: Si bien qu’en faiſant de faict
& de parole ce qu’elles pouuoyent
pour repouſſer l’ennemy, à la fin el-
les contraignirent Philippus de ſe
leuer de deuant la ville ſans rien fai-
re. Telles conſiderations auec d’au-
tres me font croire que les femmes
à Chios tiennent le haut bout &
que les bons Chios tout doucemẽt
trainẽt le Balay. Pour cela ne laiſsẽt
ils maintesfois a auoir la puce à l’au-
ialoux.
reille & à tous coups les trouués
frappez du mal de ialouſie, tellemẽt
craignent ils que la mer Ionique ſoit
transformee en Ægee, & que mal-
gré eux on les fit charger cornes. Ce
la fait que le plus ſouuent elles ſont
mal menees d’autant que comme
elles ont le cœur haut , elles dedai-
gnent le commandément de leurs
barons,ſur tout quand il tend à bri-
der ce qu’elles veulent eſtre remis à
la diſcretion de leur bail, garde &
gouuernement. Les pauures filles
meſmes, ſont tenuës fort ſubietes &
n’oſeroyent clinotter la veuë ſur vn
perſonnage quoy qu’elles luy fuſ-
ſent fort affectiõnees. Toutesfois le
braiſier qu’elles portẽt au dedãs d’el
les fait de telles & ſi eſtrãges opera-
tions , qu’à tout coup on n’entend
que d’embraſemens ou embraſſe-
mens faits par ſurpriſe volontaire
pour raiſon des deux acouplez,mais
inopinees & contre gré à ceux qui
ont ſi grand peur que la breſche ſoit
enfoncee. Ie me ſouuiens auoir leu
en vn diſcours Italien dreſſé tou-
du mont Pethodes (lequel les Latins
nomment du nõ d’anciẽne aſſiette)
vo9 auez vne riuiere qui fait moudre
pluſieurs moulins : Au long duquel
on voit vne tour anciẽne garnie de
treſ-eſpeſſes murailles , laquelle on
nõme Tiſichoris opirgos, qui eſt à dire la
tour de la fille. D’icelle ceux du pays
racõtẽt choſes nõ pareilles:entre au-
tres qu’autres fois il y eut vn Roy a
Chio, lequel faiſoit eſtat de faire vn
voiage loingtain, auquel il ne pou-
uoit mener ſa fille vnique dont il e-
ſtoit en merueilleux eſmoy , car ſi
toſt qu’il l’auoit perdu de veuë il ſe
faiſoit entendre qu’il y auoit quel-
cun aupres d’elle à crocheter ſa ſer-
rure. De fait ſa beauté eſtoit biẽ tel-
le qu’elle ne pouuoit moins qu’elle
ne dõnaſt vifue impreſſiõ à ceux qui
euſſent eſté les plus refroidis, de l’ai-
mer. Ce pauure pere, pour ſceller
& cadenacer ce qu’il tenoit ſi tres-
tant cher & pretieux en ſa fille , fit
baſtir ceſte forte tour dans laquelle
il la confina iuſques à ſon retour.
ta bien ce pere aſſotté, que de faire
languir ſi fort long temps ceſte pau-
ure fille. Mais quoy : c’eſt vn mal-
heur du pays, que , cõme les femel-
les ſont dangereuſes au poſſible de
la deſſerre, auſſi ceux qui ont inte-
reſt ou part à la medieté chargẽt in-
continant martel inteſte. L’habit &
Habit
& veſte-
ment de
Chios. veſtement des Dames de Chios eſt
tel. Celles qui ſont mariees portent
en la teſte vne coiffure faite en for-
me de Pyramide. Et entortillee au
bout de la pointe,auec diuerſes en-
trelaſſeures de rubans de taffetas ou
autre telle ou plus pretieuſe eſtoffe,
attiffez de telle ſorte qu’ils font vne
couronne. Elles couurent leur vi-
ſage d’vn voile, faict de la plus fine
& ſubtile toile, qu’elles peuuent
trouuer. Le port de leur teſte eſt gra-
ue autant que faire ſe peut. Leurs
robbes ne ſont gueres longues tout
expres, à celle fin qu’elles puiſſent
faire monſtre de leurs iambes bien
chauſſees & qu’elles ſont tirees &
guindees proprement , des eſcar-
de tout ce qui ſe peut deſirer. Les
robbes ſont de couleurs, & n’y a
que les vefues qui chargent le noir.
Elles ſont bandées de velours fort
large, leur deuantier d’vne toile
fort deliée empeſée & enrichie du
plus exquis ouurage qui ſe peut a-
uoir. Sur leurs coiffures elles portẽt
des perles groſſes , leur col eſt enri-
chyde pluſieurs belles chaines d’or.
Les filles & femmes non mariees
au lieu de ce portent des ſcofions
tiſſus & elabourés d’or & de ſoye,
auec infinis fleurs par la teſte: les
vefues comme i’ay defia touché cy
deſſus, portent le noir & couurent
leur teſte d’vn gros voile de toile
cruë. La celles qui portent le dueil
de leur pere, mere, & parens, ſont
parées de blancs , mais leurs rob-
bes ſont comme les manteaux des
nonnains Grecques. Ie ne veux
pas icy particulariſer toutes les
ſingularitez qui s'obſeruent aux
nopçages de Chios, d’autant que
ce ne ſeroit que redire ce que
ceremonies Latines, Grecques, &
Turques attendu que dans Chios
il y a exercice de diuerſitez de reli-
gions. Suffira de remarquer que
les filles le iour de leurs nopces, au
lieu qu’en France les eſpouſees
ont accouſtumé marcher en poil,
pendent certains filets fort deliés
d’or ou d’argent, comme lõgs che-
ueux , iuſques a leur ceinture. Et
en tel equipage ſont conduites au
mouſtier par la meilleure compa-
gnie de Dames que faire ſe peut. Au
retour du ſeruice on rameine l’eſ-
pouſee au logis , là où toutes ſortes
de bonne chere ſont practiquées ,
pour teſmoignage de reſiouyſſan-
ce. La bonne maluoiſie eſt alors
reſueillee d’vne fort gentile façon,
ſi bien qu’ils ſe monſtrent vrays &
legitimes heritiers de ceux qui par
leur bien boire ont donné lieu au
mot de greciſer. Icy ie ne veux
oublier que ie treuue qu’en ceſte
Iſle autresfois y a eu vne loy contre
les vefues laquelle on appelloit Ar-
ne loy de
Chios
contre
les vef-
ues. gomuniatico par laquelle eſtoit por
té que tons ceux qui ſe plairoiẽt trop
au vefuage & ne penſeroiẽt à ſe re-
marier paieroient pendant le temps
qu’ils demeureroiẽt en tel eſtat vne
certaine ſomme de deniers, laquelle
ils ceſſoyent de foncer lors qu’ils
venoient à ſe remarier. Cela me fait
ſouuenir des peines, qu’autres-fois
ont eſté impoſées ſous la charge de
viduité, qui ſont de ſi peu de valeur,
qu’encores que la viduité ſoit gran-
dement à priſer , par-ce qu’elle ne
s’eſloigne aucunement de la pudi-
cité,toutesfois elle eſt peu vtile à la
Republique & par tãt telle rigueur a
eſté fauſſee. Peut eſtre que de la les
Romains ont puiſé l’honneur lequel
ils faiſoient à leur pudicité matro-
nale à laquelle dans Rome y auoiẽt
deux chappelles conſacrées l’vne
pour les Dames patriciennes & l’au-
tre depuis dediée par Virginie Pa-
tricienne, mais mariee à L. Volum-
ne Conſul. plebeien pour les plebe-
iennes eſquelles n’eſtoit permis a
aucunes femmes de ſacrifier, ſinon
ſteté & n’euſſent eſté mariees qu’à
vn ſeul mary.
employent ce qui eſt couché par
Plutarque que traicté qu’il a fait des
vertueux faicts des Dames en ceſte
ſorte. Ceux de Chio fonderent ia-
24
Nvptiale.
dis la ville de Leuconie par vne tel-le occaſion. Vn ieune gentil hõme
des meilleures maiſons de Chio s’e-
ſtoit marié & comme on luy me-
noit ſa femme en ſa maiſon ſur vn
chariot, le Roy Hipoclus, qui eſtoit
amy & famillier du marié & auoit
aſſiſté aux eſpouſailles comme les
autres, où l’on auoit bien beu, bien
ry & fait encores meilleure chere,
ſauta ſur le chariot, où eſtoit la ma-
riée non pour y faire aucune vio-
lence ny villainie, mais ſeulement
pour ſe ioüer, comme la couſtume
eſtoit en telle Feſte : Toutes-fois les
amis du marié, ne le prenans pas de
ceſte façon le tuërent ſur la place :
A raiſon duquel homicide s’eſtans
monſtrés à ceux de Chio pluſieurs
ſignes manifeſtes de l’ire & cour-
roux des Dieux & ayant l’oracle
d’apollon reſpondu,que pour l’ap-
paiſer il failloit qu’ils tuaſſent ceux
qui auoiẽt occis Hippoclus : Ils reſ-
pondirent que c’eſtoient tous ceux
de la ville qui l’auoiẽt tué. Dieu leur
commanda qu’ils euſſent donques
La Forest
tous a ſortir de la ville de Chio , ſitous eſtoient participãs de ce meur-
tre : ainſi meirẽt ils hors de leur vil-
le ceux , qui eſtoient Autheurs ou
aucunement participans de ce cri-
me, qui n’eſtoient pas en petit nõ-
bre ny gens de petite qualité, & les
enuoierẽt habiter en la ville de leu-
conie qu’ils auoient auparauant o-
ſtee & conquiſe ſur les Coroniens
à l’aide des Erythreiẽs:mais depuis
guerre s’eſtant eſmeuë entre eux &
les Erythreiẽs, qui eſtoiẽt pour lors
le pl9 puiſãt peuple de tout le pays
d’Ionie, & les Erythreiens les eſtans
venus aſſaillir auec armee,ils firent
compoſition par laquelle il leur e-
ſtoit permis de ſortir auec vne ro-
be & vn ſaye tant ſeulement & nõ
autre choſe. Les femmes n’eurent
pas pluſtoſt entendu ce beau ap-
pointement qu’à belles iniures ſe
mirent à leur faire reproche s’ils
auoient le cœur ſi laſche que qui-
cter leurs armes & de s’en aller tous
nuds au trauers de leurs ennemis.
Et comme les maris leurs alleguaſ-
ſent
25
Nvptiale.
ſent qu’ils auoyent iuré, elles les re-leuerent & diſpenſerent ayſément
de ce ſerment: ſi leur conſeillerent,
comment que ce fut n’abandõner
point leurs armes, & leur dire , que
la jaueline eſtoit la robe & le bou-
clier le ſaye à tout homme de bon
cœur. Les Chiots les creurẽt & par-
lerent audacieuſement aux Ery-
threiens en leur monſtrant leurs ar-
mes, ſi bien que par leur audace ils
les effrayerent & ny eut perſonne
d’eux qui s’en oſa approcher pour
cuider les empeſcher , ains furent
tous contans qu’ils ſe retiraſſent en
tout tel equipage qu’ils voudroiẽt,
moyennant qu’ils luy quittaſſent la
place. Voyla doncques ces femmes
qui ont remis la virilité au cœur de
leurs maris & par meſmes moyen
leur on ſauué leur honneur qui s’ẽ
alloit eclypſé par tout fetardiſe. Ne
penſez pas que ce ſoit eſté pour vne
bouffée , car le meſme Hiſtorien
nous apprẽd que long temps apres
les femmes de Chio firent vn autre
acte qui n’a cedé de rien, en vertu
C
La Forest
à celuy là lors que Philippus fils deDemetrïus tenant leur ville aſſie-
gée fit proclamer vn mandemẽt par
ſes heraus & vn cry merueilleuſe-
ment hautain & barbare. Que les
eſclaues de la ville ſe rebellaſſent
contre leurs maiſtres & ſe vinſſent
rendre à luy & qu’il leur donneroit
liberté & ſi leur feroit eſpouſer à
chaſcun leurs maiſtreſſes femmes
de leurs maiſtres. Que firent la deſ-
ſus les femmes! Elles montent ſur les
murailles de la ville , & y porterent
des pierres & des traits en priãt leurs
hommes qui combattoient, d’auoir
bon courage, & les admoneſtans de
ne ſe laſſer point de faire bien leur
deuoir: Si bien qu’en faiſant de faict
& de parole ce qu’elles pouuoyent
pour repouſſer l’ennemy, à la fin el-
les contraignirent Philippus de ſe
leuer de deuant la ville ſans rien fai-
re. Telles conſiderations auec d’au-
tres me font croire que les femmes
à Chios tiennent le haut bout &
que les bons Chios tout doucemẽt
trainẽt le Balay. Pour cela ne laiſsẽt
ils maintesfois a auoir la puce à l’au-
26
Nvptiale.
Chiotsialoux.
reille & à tous coups les trouués
frappez du mal de ialouſie, tellemẽt
craignent ils que la mer Ionique ſoit
transformee en Ægee, & que mal-
gré eux on les fit charger cornes. Ce
la fait que le plus ſouuent elles ſont
mal menees d’autant que comme
elles ont le cœur haut , elles dedai-
gnent le commandément de leurs
barons,ſur tout quand il tend à bri-
der ce qu’elles veulent eſtre remis à
la diſcretion de leur bail, garde &
gouuernement. Les pauures filles
meſmes, ſont tenuës fort ſubietes &
n’oſeroyent clinotter la veuë ſur vn
perſonnage quoy qu’elles luy fuſ-
ſent fort affectiõnees. Toutesfois le
braiſier qu’elles portẽt au dedãs d’el
les fait de telles & ſi eſtrãges opera-
tions , qu’à tout coup on n’entend
que d’embraſemens ou embraſſe-
mens faits par ſurpriſe volontaire
pour raiſon des deux acouplez,mais
inopinees & contre gré à ceux qui
ont ſi grand peur que la breſche ſoit
enfoncee. Ie me ſouuiens auoir leu
en vn diſcours Italien dreſſé tou-
C ij
La Forest
chant l’Iſle de Chio qu’a la racinedu mont Pethodes (lequel les Latins
nomment du nõ d’anciẽne aſſiette)
vo9 auez vne riuiere qui fait moudre
pluſieurs moulins : Au long duquel
on voit vne tour anciẽne garnie de
treſ-eſpeſſes murailles , laquelle on
nõme Tiſichoris opirgos, qui eſt à dire la
tour de la fille. D’icelle ceux du pays
racõtẽt choſes nõ pareilles:entre au-
tres qu’autres fois il y eut vn Roy a
Chio, lequel faiſoit eſtat de faire vn
voiage loingtain, auquel il ne pou-
uoit mener ſa fille vnique dont il e-
ſtoit en merueilleux eſmoy , car ſi
toſt qu’il l’auoit perdu de veuë il ſe
faiſoit entendre qu’il y auoit quel-
cun aupres d’elle à crocheter ſa ſer-
rure. De fait ſa beauté eſtoit biẽ tel-
le qu’elle ne pouuoit moins qu’elle
ne dõnaſt vifue impreſſiõ à ceux qui
euſſent eſté les plus refroidis, de l’ai-
mer. Ce pauure pere, pour ſceller
& cadenacer ce qu’il tenoit ſi tres-
tant cher & pretieux en ſa fille , fit
baſtir ceſte forte tour dans laquelle
il la confina iuſques à ſon retour.
27
Nvptiale.
Faloit bien que la ialouſie transpor-ta bien ce pere aſſotté, que de faire
languir ſi fort long temps ceſte pau-
ure fille. Mais quoy : c’eſt vn mal-
heur du pays, que , cõme les femel-
les ſont dangereuſes au poſſible de
la deſſerre, auſſi ceux qui ont inte-
reſt ou part à la medieté chargẽt in-
continant martel inteſte. L’habit &
Habit
& veſte-
ment de
Chios. veſtement des Dames de Chios eſt
tel. Celles qui ſont mariees portent
en la teſte vne coiffure faite en for-
me de Pyramide. Et entortillee au
bout de la pointe,auec diuerſes en-
trelaſſeures de rubans de taffetas ou
autre telle ou plus pretieuſe eſtoffe,
attiffez de telle ſorte qu’ils font vne
couronne. Elles couurent leur vi-
ſage d’vn voile, faict de la plus fine
& ſubtile toile, qu’elles peuuent
trouuer. Le port de leur teſte eſt gra-
ue autant que faire ſe peut. Leurs
robbes ne ſont gueres longues tout
expres, à celle fin qu’elles puiſſent
faire monſtre de leurs iambes bien
chauſſees & qu’elles ſont tirees &
guindees proprement , des eſcar-
C iij
La Forest
pins blancs, dechiquetez & popinsde tout ce qui ſe peut deſirer. Les
robbes ſont de couleurs, & n’y a
que les vefues qui chargent le noir.
Elles ſont bandées de velours fort
large, leur deuantier d’vne toile
fort deliée empeſée & enrichie du
plus exquis ouurage qui ſe peut a-
uoir. Sur leurs coiffures elles portẽt
des perles groſſes , leur col eſt enri-
chyde pluſieurs belles chaines d’or.
Les filles & femmes non mariees
au lieu de ce portent des ſcofions
tiſſus & elabourés d’or & de ſoye,
auec infinis fleurs par la teſte: les
vefues comme i’ay defia touché cy
deſſus, portent le noir & couurent
leur teſte d’vn gros voile de toile
cruë. La celles qui portent le dueil
de leur pere, mere, & parens, ſont
parées de blancs , mais leurs rob-
bes ſont comme les manteaux des
nonnains Grecques. Ie ne veux
pas icy particulariſer toutes les
ſingularitez qui s'obſeruent aux
nopçages de Chios, d’autant que
ce ne ſeroit que redire ce que
28
Nvptiale.
deſia i’ay icy propoſé touchant lesceremonies Latines, Grecques, &
Turques attendu que dans Chios
il y a exercice de diuerſitez de reli-
gions. Suffira de remarquer que
les filles le iour de leurs nopces, au
lieu qu’en France les eſpouſees
ont accouſtumé marcher en poil,
pendent certains filets fort deliés
d’or ou d’argent, comme lõgs che-
ueux , iuſques a leur ceinture. Et
en tel equipage ſont conduites au
mouſtier par la meilleure compa-
gnie de Dames que faire ſe peut. Au
retour du ſeruice on rameine l’eſ-
pouſee au logis , là où toutes ſortes
de bonne chere ſont practiquées ,
pour teſmoignage de reſiouyſſan-
ce. La bonne maluoiſie eſt alors
reſueillee d’vne fort gentile façon,
ſi bien qu’ils ſe monſtrent vrays &
legitimes heritiers de ceux qui par
leur bien boire ont donné lieu au
mot de greciſer. Icy ie ne veux
oublier que ie treuue qu’en ceſte
Iſle autresfois y a eu vne loy contre
les vefues laquelle on appelloit Ar-
C iiij
La Forest
Ancien-ne loy de
Chios
contre
les vef-
ues. gomuniatico par laquelle eſtoit por
té que tons ceux qui ſe plairoiẽt trop
au vefuage & ne penſeroiẽt à ſe re-
marier paieroient pendant le temps
qu’ils demeureroiẽt en tel eſtat vne
certaine ſomme de deniers, laquelle
ils ceſſoyent de foncer lors qu’ils
venoient à ſe remarier. Cela me fait
ſouuenir des peines, qu’autres-fois
ont eſté impoſées ſous la charge de
viduité, qui ſont de ſi peu de valeur,
qu’encores que la viduité ſoit gran-
dement à priſer , par-ce qu’elle ne
s’eſloigne aucunement de la pudi-
cité,toutesfois elle eſt peu vtile à la
Republique & par tãt telle rigueur a
eſté fauſſee. Peut eſtre que de la les
Romains ont puiſé l’honneur lequel
ils faiſoient à leur pudicité matro-
nale à laquelle dans Rome y auoiẽt
deux chappelles conſacrées l’vne
pour les Dames patriciennes & l’au-
tre depuis dediée par Virginie Pa-
tricienne, mais mariee à L. Volum-
ne Conſul. plebeien pour les plebe-
iennes eſquelles n’eſtoit permis a
aucunes femmes de ſacrifier, ſinon
29
Nvptiale.
qu’elles fuſſent d’vne extreme cha-ſteté & n’euſſent eſté mariees qu’à
vn ſeul mary.
Les Turcs.
Chap. VI.
A Cauſe de l’impieté de Maho-
met , i’auois deliberé de cou-
ler les mariages des turcs, mais puis
que tãt d’habiles hommes ont paſ-
ſé leur burin ſur ce ſubject , m’a
ſemblé que ie ne pouuois , sãs oſter
le luſtre de mes bigareures, paſſer
par oubly ou meſpris ce qui appar-
tient au mariage des Turcs. Or
pour autant que le ſubject eſt fort
ample & ſpacieux, ie ſeray cõtraint
premieremẽt propoſer ce que Ma-
homet par ces Azoar, a eſtably tou-
chant les mariages : en apres dedui-
re quel ordre ſes ſuppoſts tiennent
Ordon-
nãces de
Maho-
met pour
les maria-
ges. à leurs nopçes , auec quelles cere-
monies ils y entrent, & finalement
deſcouurir les aduenuës & iſſuës
des mariages des Turcs. Au hui-
ctieſme Azoar de ſon Alcoran il li-
mite le nombre de eſpouſees , que
ſes ſectareurs peuuent auoir à ſça-
yen qu’ils auront de les entretenir:
Pluralité
de fem-
mes. mais quant à luy, ayãt faict vne loy
pour ſoy-meſmes , il ſe donna per-
miſſion de ſe marier auec autant de
femmes qu’il luy plairoit en auoir,
meſmes on trouue qu’il ſe maria à
quinze femmes tout à la fois: fal-
loit que ce fuſt vn terrible bouc &
qui ne deuſt rien à Hercules, lequel
en vne nuict ſeule depucela les fil-
les de Theſpius , qui eſtoyent en
nombre de cinquãte, dont il en eut
autant d’ẽfans. Deuinez s’il n’y a-
uoit pas bien de l’ancre au cornet,
& s’il n’eſt pas à preſumer qu’il eut
de l’herbe ou racine , dont Theo-
phraſte fait mention , laquelle ſe
trouuoit en Scythie , ſuffiſante
pour faire paſſer ſoixante dix car-
rieres, ainſi qu’auoit fait vn Indien,
que ramentoit Theophraſte : Flauie
Vopiſque raconte bien que Procule
Empereur Romain, ſe vantoit d’a-
uoir engroſſé, en quinze iours, cent
vierges de Sarmatie, qui auoiẽt eſté
faites priſonnieres à la guerre:mais
me train, ainſi que Mahemet , &
ceux qui ſe plaiſent à ceſte pluralité
de femmes. Si ie trouuois qu’eux
tous tinſſent la reigle de noz ſauua-
ges, qui ne touchent iamais à leurs
femmes pendant leur groſſeſſe , ie
dirois, que les Turcs, pour ſe couper
voye à paillardiſe, adultere, inceſte,
& au peché contre nature ( duquel
ils ſont horriblement entaché) ſe li-
centieroyent à vn ſi démeſuré nom-
bre de femmes. Toutesfois encores
qu’ils ne ſe reſtraignent à vne telle
abſtinẽce, ſi ne laiſſent-ils a ſe veau-
trer parmy leurs eſſains de femmes.
met , i’auois deliberé de cou-
ler les mariages des turcs, mais puis
que tãt d’habiles hommes ont paſ-
ſé leur burin ſur ce ſubject , m’a
ſemblé que ie ne pouuois , sãs oſter
le luſtre de mes bigareures, paſſer
par oubly ou meſpris ce qui appar-
tient au mariage des Turcs. Or
pour autant que le ſubject eſt fort
ample & ſpacieux, ie ſeray cõtraint
premieremẽt propoſer ce que Ma-
homet par ces Azoar, a eſtably tou-
chant les mariages : en apres dedui-
re quel ordre ſes ſuppoſts tiennent
Ordon-
nãces de
Maho-
met pour
les maria-
ges. à leurs nopçes , auec quelles cere-
monies ils y entrent, & finalement
deſcouurir les aduenuës & iſſuës
des mariages des Turcs. Au hui-
ctieſme Azoar de ſon Alcoran il li-
mite le nombre de eſpouſees , que
ſes ſectareurs peuuent auoir à ſça-
C v
La Forest
uoir trois ou quatre , ſelon le mo-yen qu’ils auront de les entretenir:
Pluralité
de fem-
mes. mais quant à luy, ayãt faict vne loy
pour ſoy-meſmes , il ſe donna per-
miſſion de ſe marier auec autant de
femmes qu’il luy plairoit en auoir,
meſmes on trouue qu’il ſe maria à
quinze femmes tout à la fois: fal-
loit que ce fuſt vn terrible bouc &
qui ne deuſt rien à Hercules, lequel
en vne nuict ſeule depucela les fil-
les de Theſpius , qui eſtoyent en
nombre de cinquãte, dont il en eut
autant d’ẽfans. Deuinez s’il n’y a-
uoit pas bien de l’ancre au cornet,
& s’il n’eſt pas à preſumer qu’il eut
de l’herbe ou racine , dont Theo-
phraſte fait mention , laquelle ſe
trouuoit en Scythie , ſuffiſante
pour faire paſſer ſoixante dix car-
rieres, ainſi qu’auoit fait vn Indien,
que ramentoit Theophraſte : Flauie
Vopiſque raconte bien que Procule
Empereur Romain, ſe vantoit d’a-
uoir engroſſé, en quinze iours, cent
vierges de Sarmatie, qui auoiẽt eſté
faites priſonnieres à la guerre:mais
30
Nvptiale.
cela n’eſtoit pour continuer le meſ-me train, ainſi que Mahemet , &
ceux qui ſe plaiſent à ceſte pluralité
de femmes. Si ie trouuois qu’eux
tous tinſſent la reigle de noz ſauua-
ges, qui ne touchent iamais à leurs
femmes pendant leur groſſeſſe , ie
dirois, que les Turcs, pour ſe couper
voye à paillardiſe, adultere, inceſte,
& au peché contre nature ( duquel
ils ſont horriblement entaché) ſe li-
centieroyent à vn ſi démeſuré nom-
bre de femmes. Toutesfois encores
qu’ils ne ſe reſtraignent à vne telle
abſtinẽce, ſi ne laiſſent-ils a ſe veau-
trer parmy leurs eſſains de femmes.
Aſçauoir
s’il de-
uroit
eſtre plu-
ſtoſt per-
mis aux
femmes
auoir plu-
ſieurs ma
rys, qu’-
aux hom-
mes plu-
ſieurs
femmes.
s’il de-
uroit
eſtre plu-
ſtoſt per-
mis aux
femmes
auoir plu-
ſieurs ma
rys, qu’-
aux hom-
mes plu-
ſieurs
femmes.
Autres-fois ie me ſuis eſbahy pour-
quoy le plus ſouuẽt on faiſoit voye
à la Poligamie pour les maſles que
pour les femmes : car encores que la
choſe de ſoy-meſmes ſoit du tout
des-honneſte & déraiſonnable , ſi
faut-il qu’elle ſoit maſquée de quel-
que telle quelle apparence de rai-
ſon, qui (à mon aduis) ſembloit mã-
quer en ceſt endroict , attendu que
nature nous apprend, & l’experien-
meſcreãs, qu’vne femme laſſera plu-
ſieurs maſles, dont (à fin que ie n’of-
fenſe pluſieurs, en France, Italie, Eſ-
paigne, Angleterre, & ailleurs , qui
ne ſe meſlans que trop du meſtier,
ne veulent eſtre nommez, ne dõne
que trop de preuue. Meſſaline, la
prodigieuſe luxure de laquelle eſt
decrire par Iuuenal. En apres Salo-
mon dit aux prouerbes chapitre 30,
qu’il y a trois choſes, qui ne ſe ſaou-
lent point , meſmes les quatres ne
dient point c’eſt aſſez , à ſçauoir le
gouffre, la matrice de la femme ſte-
rile, la terre, qui n’eſt point raſſaſiée
d’eau, & le feu qui ne dit point c’eſt
aſſez. Cela eſt bien veritable : mais
les ſuppoſts Poligamiques, pour
leurs deffences alleguẽt que le ma-
ry, à l’endroict des femmes, eſt cõ-
me le coq,pour l’eſgard des poules:
en outre, employent le cas que Ni-
colas Boyer, en ſa deciſion , 17. du
Parlement de Bordeaux, recite , qui
eſt autant prodigieux, comme il eſt
peu croyable, d’vn homme de Cata-
venerien, qu’il l’accompliſſoit auec
ſa femme, dix fois par chacun iour:
dequoy elle s’alla plaindre à la Roy
ne d’Arragon94, laquelle, ayant faict
appeller le mary, qui confeſſa le cas
eſtre vray, luy commanda de ne co-
gnoiſtre ſa femme, à l’aduenir, plus
que de ſix fois le iour, à peine de la
vie, à fin qu’elle n’encourut danger
de mort, par la continuation de tant
d’embraſſemẽs , en peu de temps ſi
ſouuẽt reiterez. Quelqu’vn eſtime-
ra que ie me ſuis extrauagué ſans rai-
ſon & hors de propos, attendu qu’il
ſe treuue qu’il y en a qui paſſent biẽ
les quinze femmes:pource faut ſça-
uoir qu’outre ces quatre femmes,
les Turcs peuuent auoir des trou-
peaux d’eſclaues, auec leſquelles ils
ſe meſlent indifferément, ſans auoir
eſgard, ſi elles ſont Iuifues, ou Chre-
ſtiennes, ou idolatres , & les enfans
qui en ſortent, ſont auſſi bien legiti-
mes que ceux de celle qui eſt mere
de famille : voire95 qu’aucuns tiennẽt
qu’elle eſt faicte libre. Ce qui leur
hemet : lequel ayant pluſieurs fem-
mes, qui s’eſtoiẽt laiſſees emplaſtrer
de ſa loy, receut preſens du Roy des
Iacobites , entre autres , d’vne fort
belle eſclaue, pucelle Iuifue , de la-
quelle Mahemet s’enamoura extre-
mement , & ne peut dompter ſes
paſſions autrement qu’il ne la co-
gneut. Ses femmes s’en eſtans ap-
perceuës , n’arreſterent à charger
martel in teſte ,ſi luy feirent enten-
dre (tant eſtoient-elles ſcrupuleuſes
où pluſtoſt ialouſes ) que s’il conti-
nuoit à faire tels coups , qu’elles e-
ſtoyent deliberées de le quitter , &
trouuer moyen de ſe ſeparer de luy.
Si fut faict, il fut dict , car cõme Ma-
hemet pour toutes ces remonſtran-
ces ne daigna faire trefue ,deux de
ſes femmes ſe ſentirent tellement
outrées,que de deſpit elles placque
rent là Mahemet : de meſmes qu’au-
iourd’huy celles de Quicama qui a-
uoiſinent la prouince de Ceuoli , à
preſent dicte Grenade : là les hõmes
n’ont veritablemẽt qu’vne femme,
leur ſemble : & les femmes auſſi laiſ-
ſent leurs marys , ſi toſt qu’elles dé-
couurent, qu’ils s’accoſtẽt d’autres.
Ceſte ſeparation donna bien de la
peine à Mahemet, car ces deux fem
mes commencerent à publier la vie
de ce pauure Mahemet, le vous de-
lauent de telle ſorte, qu’il ſembloit,
qu’il eut perdu le credit. A dire la
verité, il eſtoit bien en brãſle de fai-
re le ſoubre-ſaut, & eut paſſé le pas,
s’il ne ſe fut aduiſé d’adiouſter vn
chapitre à ſon Alcoran , faiſant loy
nouuelle, pour ſes ſuppoſts, ſçauoir,
qu’il fut permis à tous ceux, qui tiẽ-
droyent ſon party , ſe meſler tout
ainſi auec leurs eſclaues femelles,
cõme auec leurs propres femmes:
laquelle loy il meit au commence-
ment du quatrieſme liure de ſon Al-
coran, lequel encores pour le iour-
Inceſte
prohibé
entré les
Turcs.
d’huy, a nom le chapitre de la def-
fenſe. Mahemet, au meſme chapi-
tre , deffend d’eſpouſer celles de
ſon ſang , telles que ſont les meres,
filles, ſœurs, tãtes, & niepces , ſoit du
de leurs filles , ayans touché leurs
femmes, leurs nourrices, & la mere,
les meres des femmes qu’ils eſpou-
ſoyent , & leurs ſœurs de laict , les
belles ſœurs , & encores ne leur
eſtoit loiſible d'eſpouſer les deux
ſœurs, quoy que Mahemet n’en ait
pas tant fait le renchery. Le neufieſ-
me Azoar eſt , ſur le poinct de l’a-
chapt des femmes : car les Maheme-
tans, faut qu’ils dotent leurs eſpou-
ſes , & non pas qu’elles leur appor-
tent rien que leurs corps en maria-
ge : defend qu’ils n’en eſpouſent
point qui ſoyent paillardes, ains bel-
les, bonnes, chaſtes, & genereuſes:
& les pauures, qui n’auront moyen
d’en choiſir de telles , qu’ils ſe con-
tantent de prendre des eſclaues, cõ-
uerties à l’Alcoraniſme : & ſi ces eſ-
claues s’oublient, iuſques à faire tort
à leurs marys, il veut qu’elles ſoyent
punies à moitié prés,auſſi rigoureu-
ſement que les Dames, qui ſont de
bon lieu, luy ſemblant aduis que les
eſclaues ne meritoyent tant de pu-
les hommes ayent commandement
ſur les femmes, & que celles ſoyent
punies , leſquelles s’emancipent de
l’obeyſſance, qu’elles doiuẽt à leurs
eſpoux. Du reſte de l’Alcoran ie ne
veux plus adiouſter que les paroles,
qui ſont addreſſées à Mahemet , en
ſon Alcorã, par ce qu’elles font foy
de la continence de ce bouc , & de
ſa modeſtie, & ſont telles. A toy ſeul
(ô Prophete ) eſt permis de te ioin-
dre & accoupler auec toutes fem-
mes, auſquelles tu auras dõné quel-
que choſe, ou qui te ſeront ſujettes,
pour les auoir achetees : & encores
à tes couſines , filles des ſœurs de
ton pere, où de ta mere, & à toutes
les honneſtes femmes, qui de gré à
gré voudront conſentir à te faire
plaiſir, car ie penſe, que tu ſois aſſez
informé comme eſt-ce que toy , &
les bons, ſe doiuẽt gouuerner à l’en-
droit de vos femmes , & de celles
qui ſont ſous voſtre puiſſance. Chaſ-
ſe celles que tu voudras , & appelle
celles qui plus t’agreeront, car elles
leur comãderas. Quant aux vefues
& punition des crimes bandez alẽ-
contre du mariage, nous verrons ce
qui en eſt, apres qu’aurons veu cõ-
Commẽt
le Turc
courtiſe
ſa mignõ
ne. ment c’eſt que les Turcs courtiſent,
& ſe comportent en leurs mariages.
Le Turc quant il veut faire entẽdre
à quelque Dame le deſir qu’il a d’e-
ſtre ſon ſeruiteur, il fait tant qu’il ſe
trouue en lieu, où de loing il la peut
veoir. Les femmes de Turquie ſe
tiennent communémẽt ſur les mai-
ſons, qui ſont couuertes en terraſſes.
De parler à elles , eſt fort mal-aiſé,
par ce qu’allans par la ville elles ont
le viſage couuert , ainſi qu’il leur eſt
expreſſemẽt enioinct, par le trente-
quatrieſme Azoar, ſi ce n’eſt qu’elles
parlent à leurs marys , ou parens, &
autres , leſquels on ne peut point
ſouſpeçonner. Toutesfois, de loing
on peut en auoir la veuë. Parquoy
le Turc , ayant apperçeu celle, la-
quelle il affectiõne, il hauſſe ſa teſte,
& met la main à la gorge, ſe pinçant
la peau du goſier, en l’eſtendant vn
le ſimagrée, qu’il eſt ſon eſclaue en-
chaiſné, & luy eſt ſeruiteur, d’extre-
me ſeruitude. Si la Dame ſe tient à
recoy, ou qu’elle baiſe la main, il en
prend bonne eſperance. Les maria-
ges de ceſte nation , ſont fort eſtrã-
ges, deſquels Hyorgenits parle ainſi.
quoy le plus ſouuẽt on faiſoit voye
à la Poligamie pour les maſles que
pour les femmes : car encores que la
choſe de ſoy-meſmes ſoit du tout
des-honneſte & déraiſonnable , ſi
faut-il qu’elle ſoit maſquée de quel-
que telle quelle apparence de rai-
ſon, qui (à mon aduis) ſembloit mã-
quer en ceſt endroict , attendu que
nature nous apprend, & l’experien-
C vj
La Forest
ce meſmes le faict veoir aux plusmeſcreãs, qu’vne femme laſſera plu-
ſieurs maſles, dont (à fin que ie n’of-
fenſe pluſieurs, en France, Italie, Eſ-
paigne, Angleterre, & ailleurs , qui
ne ſe meſlans que trop du meſtier,
ne veulent eſtre nommez, ne dõne
que trop de preuue. Meſſaline, la
prodigieuſe luxure de laquelle eſt
decrire par Iuuenal. En apres Salo-
mon dit aux prouerbes chapitre 30,
qu’il y a trois choſes, qui ne ſe ſaou-
lent point , meſmes les quatres ne
dient point c’eſt aſſez , à ſçauoir le
gouffre, la matrice de la femme ſte-
rile, la terre, qui n’eſt point raſſaſiée
d’eau, & le feu qui ne dit point c’eſt
aſſez. Cela eſt bien veritable : mais
les ſuppoſts Poligamiques, pour
leurs deffences alleguẽt que le ma-
ry, à l’endroict des femmes, eſt cõ-
me le coq,pour l’eſgard des poules:
en outre, employent le cas que Ni-
colas Boyer, en ſa deciſion , 17. du
Parlement de Bordeaux, recite , qui
eſt autant prodigieux, comme il eſt
peu croyable, d’vn homme de Cata-
31
Nvptiale.
loigne, qui eſtoit ſi puiſſant en l’actevenerien, qu’il l’accompliſſoit auec
ſa femme, dix fois par chacun iour:
dequoy elle s’alla plaindre à la Roy
ne d’Arragon94, laquelle, ayant faict
appeller le mary, qui confeſſa le cas
eſtre vray, luy commanda de ne co-
gnoiſtre ſa femme, à l’aduenir, plus
que de ſix fois le iour, à peine de la
vie, à fin qu’elle n’encourut danger
de mort, par la continuation de tant
d’embraſſemẽs , en peu de temps ſi
ſouuẽt reiterez. Quelqu’vn eſtime-
ra que ie me ſuis extrauagué ſans rai-
ſon & hors de propos, attendu qu’il
ſe treuue qu’il y en a qui paſſent biẽ
les quinze femmes:pource faut ſça-
uoir qu’outre ces quatre femmes,
les Turcs peuuent auoir des trou-
peaux d’eſclaues, auec leſquelles ils
ſe meſlent indifferément, ſans auoir
eſgard, ſi elles ſont Iuifues, ou Chre-
ſtiennes, ou idolatres , & les enfans
qui en ſortent, ſont auſſi bien legiti-
mes que ceux de celle qui eſt mere
de famille : voire95 qu’aucuns tiennẽt
qu’elle eſt faicte libre. Ce qui leur
La Forest
fut permis du viuãt meſmes de Ma-hemet : lequel ayant pluſieurs fem-
mes, qui s’eſtoiẽt laiſſees emplaſtrer
de ſa loy, receut preſens du Roy des
Iacobites , entre autres , d’vne fort
belle eſclaue, pucelle Iuifue , de la-
quelle Mahemet s’enamoura extre-
mement , & ne peut dompter ſes
paſſions autrement qu’il ne la co-
gneut. Ses femmes s’en eſtans ap-
perceuës , n’arreſterent à charger
martel in teſte ,ſi luy feirent enten-
dre (tant eſtoient-elles ſcrupuleuſes
où pluſtoſt ialouſes ) que s’il conti-
nuoit à faire tels coups , qu’elles e-
ſtoyent deliberées de le quitter , &
trouuer moyen de ſe ſeparer de luy.
Si fut faict, il fut dict , car cõme Ma-
hemet pour toutes ces remonſtran-
ces ne daigna faire trefue ,deux de
ſes femmes ſe ſentirent tellement
outrées,que de deſpit elles placque
rent là Mahemet : de meſmes qu’au-
iourd’huy celles de Quicama qui a-
uoiſinent la prouince de Ceuoli , à
preſent dicte Grenade : là les hõmes
n’ont veritablemẽt qu’vne femme,
32
Nvptiale.
laquelle ils repudient quand bonleur ſemble : & les femmes auſſi laiſ-
ſent leurs marys , ſi toſt qu’elles dé-
couurent, qu’ils s’accoſtẽt d’autres.
Ceſte ſeparation donna bien de la
peine à Mahemet, car ces deux fem
mes commencerent à publier la vie
de ce pauure Mahemet, le vous de-
lauent de telle ſorte, qu’il ſembloit,
qu’il eut perdu le credit. A dire la
verité, il eſtoit bien en brãſle de fai-
re le ſoubre-ſaut, & eut paſſé le pas,
s’il ne ſe fut aduiſé d’adiouſter vn
chapitre à ſon Alcoran , faiſant loy
nouuelle, pour ſes ſuppoſts, ſçauoir,
qu’il fut permis à tous ceux, qui tiẽ-
droyent ſon party , ſe meſler tout
ainſi auec leurs eſclaues femelles,
cõme auec leurs propres femmes:
laquelle loy il meit au commence-
ment du quatrieſme liure de ſon Al-
coran, lequel encores pour le iour-
Inceſte
prohibé
entré les
Turcs.
d’huy, a nom le chapitre de la def-
fenſe. Mahemet, au meſme chapi-
tre , deffend d’eſpouſer celles de
ſon ſang , telles que ſont les meres,
filles, ſœurs, tãtes, & niepces , ſoit du
La Forest
coſté du pere, où venant de la partde leurs filles , ayans touché leurs
femmes, leurs nourrices, & la mere,
les meres des femmes qu’ils eſpou-
ſoyent , & leurs ſœurs de laict , les
belles ſœurs , & encores ne leur
eſtoit loiſible d'eſpouſer les deux
ſœurs, quoy que Mahemet n’en ait
pas tant fait le renchery. Le neufieſ-
me Azoar eſt , ſur le poinct de l’a-
chapt des femmes : car les Maheme-
tans, faut qu’ils dotent leurs eſpou-
ſes , & non pas qu’elles leur appor-
tent rien que leurs corps en maria-
ge : defend qu’ils n’en eſpouſent
point qui ſoyent paillardes, ains bel-
les, bonnes, chaſtes, & genereuſes:
& les pauures, qui n’auront moyen
d’en choiſir de telles , qu’ils ſe con-
tantent de prendre des eſclaues, cõ-
uerties à l’Alcoraniſme : & ſi ces eſ-
claues s’oublient, iuſques à faire tort
à leurs marys, il veut qu’elles ſoyent
punies à moitié prés,auſſi rigoureu-
ſement que les Dames, qui ſont de
bon lieu, luy ſemblant aduis que les
eſclaues ne meritoyent tant de pu-
33
Nvptiale.
nition que les autres. Ordonne queles hommes ayent commandement
ſur les femmes, & que celles ſoyent
punies , leſquelles s’emancipent de
l’obeyſſance, qu’elles doiuẽt à leurs
eſpoux. Du reſte de l’Alcoran ie ne
veux plus adiouſter que les paroles,
qui ſont addreſſées à Mahemet , en
ſon Alcorã, par ce qu’elles font foy
de la continence de ce bouc , & de
ſa modeſtie, & ſont telles. A toy ſeul
(ô Prophete ) eſt permis de te ioin-
dre & accoupler auec toutes fem-
mes, auſquelles tu auras dõné quel-
que choſe, ou qui te ſeront ſujettes,
pour les auoir achetees : & encores
à tes couſines , filles des ſœurs de
ton pere, où de ta mere, & à toutes
les honneſtes femmes, qui de gré à
gré voudront conſentir à te faire
plaiſir, car ie penſe, que tu ſois aſſez
informé comme eſt-ce que toy , &
les bons, ſe doiuẽt gouuerner à l’en-
droit de vos femmes , & de celles
qui ſont ſous voſtre puiſſance. Chaſ-
ſe celles que tu voudras , & appelle
celles qui plus t’agreeront, car elles
La Forest
doiuent ſe gouuerner ſelon que leur comãderas. Quant aux vefues
& punition des crimes bandez alẽ-
contre du mariage, nous verrons ce
qui en eſt, apres qu’aurons veu cõ-
Commẽt
le Turc
courtiſe
ſa mignõ
ne. ment c’eſt que les Turcs courtiſent,
& ſe comportent en leurs mariages.
Le Turc quant il veut faire entẽdre
à quelque Dame le deſir qu’il a d’e-
ſtre ſon ſeruiteur, il fait tant qu’il ſe
trouue en lieu, où de loing il la peut
veoir. Les femmes de Turquie ſe
tiennent communémẽt ſur les mai-
ſons, qui ſont couuertes en terraſſes.
De parler à elles , eſt fort mal-aiſé,
par ce qu’allans par la ville elles ont
le viſage couuert , ainſi qu’il leur eſt
expreſſemẽt enioinct, par le trente-
quatrieſme Azoar, ſi ce n’eſt qu’elles
parlent à leurs marys , ou parens, &
autres , leſquels on ne peut point
ſouſpeçonner. Toutesfois, de loing
on peut en auoir la veuë. Parquoy
le Turc , ayant apperçeu celle, la-
quelle il affectiõne, il hauſſe ſa teſte,
& met la main à la gorge, ſe pinçant
la peau du goſier, en l’eſtendant vn
34
Nvptiale.
peu, luy donnant à entendre par tel-le ſimagrée, qu’il eſt ſon eſclaue en-
chaiſné, & luy eſt ſeruiteur, d’extre-
me ſeruitude. Si la Dame ſe tient à
recoy, ou qu’elle baiſe la main, il en
prend bonne eſperance. Les maria-
ges de ceſte nation , ſont fort eſtrã-
ges, deſquels Hyorgenits parle ainſi.
Maniere
des maria
ges entre
les turcs.
des maria
ges entre
les turcs.
Le mariage en leur langue, s’appelle
Eulenmech, & ſe fait en ceſte manie-
re. Ils ſe fiancent ſans nul ſerment,
& le mary les prend (cõme i’ay deſia
dit) ſans dot quelconque , ains , qui
pis eſt, il faut, que preſqu’il achepte
celle, qu’il veut eſpouſer , de ſorte
que la mariée n’a rien, que le marié
ne ſoit contrainct d’achepter , de
ſon beau-pere, & pource le diuorce
Diuorce
entre les
Turcs. leur eſt fort aiſément permis , où
pour l’eſgard des mœurs , ou pour
eſtre la femme ſterile: c’eſt au Cady96
à cognoiſtre de cecy, deuant lequel
le mary fait venir les parens de ſa
femme, pour luy donner reprimen-
de. Ils ſouffrent que leurs eſclaues
ſe mariẽt,mais les enfans qui en ſor-
tẽt, ſont du reuenu, & proye de leur
ſonin97) que le grand Turc ne ſe ſou-
cie d’eſpouſer la fille de quelque
grand Roy ou Prince, comme auſſi
il ne fait difficulté de donner ſes fil-
les à quelqu’vn, qui ſoit de race illu-
ſtre , & ſang remarqué , de quelque
nobleſſe : veu que Ruſtan Baſſa eſ-
pouſa la fille vnique de Sultan So-
liman encor qu’il fut de bas lieu,
ayãt ſes parens elimann la Boſſine, qui la-
bouroyent ordinairement la terre
& a Lutfi, eſtant ſorty de ſang vil
donna ſa propre ſœur. Il eſt vray
qu’il les ennobliſt, & leur donne til-
tres de Baſſa, comme à ce Lutfi, qu’il
fit Vuiſir Baſſa, c’eſt à dire, premier
& grand Baſſa, & celuy qui a les
ſceaux, & tient le plus haut rang à la
Porte. Le Seigneur a pluſieurs ſe-
rails en diuers lieux , où il met cel-
les des eſclaues , qu’on luy donne
de preſent, qui luy ſont le plus à gré
& s’il luy vient en fantaiſie, il les fait
Sultanes, & puis s’en-amourãt d’v-
ne autre, il quitte la premiere , ſans
vſer d’aucune ceremonie, en ce ſien
& les Seigneurs, donnent vn breuet
entre les mains du Cady98, dedans le-
quel eſt contenu le doüaire , qu’ils
donnent à leurs femmes. Là où en-
tre les petits, dés incontinent qu’ils
ſont d’accord, de ce que le mary dõ-
ne a la femme, à ſçauoir du doüaire,
qu’ils appellent Chebin, il l’a conduit
à ſa maiſon, ſans autre ceremonie: Si
le logis ne plaiſt à la femme , il luy
eſt loiſible de chercher vn autre ma-
En Tur-
quie, vn
Turc
peut eſ-
pouſer v-
ne Chre-
ſtienne :
mais le
Chre-
ſtien ne
peut eſ-
pouſer v-
ne Tur-
que. ry , ſans qu’elle puiſſe emporter ſon
doüaire, ſi ce n’eſt qu’elle peut prou
uer, que le mary euſt voulu abuſer
d’elle cõtre nature , ou qu’il ait por-
té du vin en la maiſon , duquel la
femme en ait peu boire. Il eſt per-
mis au Turc d’eſpouſer vne Chre-
ſtienne, & la laiſſer viure (l’ayãs ain-
ſi arreſté en leur accord) en liberté
de conſcience, & ſelon la loy Chre
ſtienne , là où l’homme Chreſtien
ne peut eſpouſer vne Turque , ſans
ſe circoncir , autrement on luy fe-
roit perdre la vie: comme auſſi n’eſt
permis aux Chreſtiens de tenir vne
les cõtrainct-on les eſpouſer, auec
doüaire, & fut ce leur propre eſcla-
ue. Lors que les Turcs prenẽt fem-
me ils ne font point autre feſte de
nopçes, fors qu’ils ballent en leurs
maiſons, les hõmes chãtãs d’vn cõ-
ſté & les femmes d’vn autre, come
auſſi ils mangent ſeparez les hõmes
d'auec les femmes. L'eſpouſé faict
quelque petit preſent à ſon eſpouſe,
& elle sẽblablemẽt, & y ſonne-on
d’vne fleute, auec vn petit tabourin,
sãs autre muſique. Icy ie ne me veux
amuſer à deuider la difficulté qui ſe
preſente ſur ce que nous auõs dict
que les Turcs peuuẽt eſpouſer trois
ou quatre femmes attẽdu que Guil-
laume Poſtel, en ſa Republique des
Turcs ſouſtiẽt, qu’outre les eſclaues
ils n’ont qu’vne femme en chacun
lieu, & ainſi marchãs par beaucoup
de pays, ils en auront pluſieurs , s’ils
ne vouloyent faire comme les Ara-
bes, qui tranſ-marchẽt auec eux par
tout où ils vont, voire99 en la guerre,
leurs fẽmes. Il vaut mieux que nous
Maria-
ges des
repudiees. rejettees. Quant aux repudiees, l’A-
zoar troiſieſme y eſt formel, où Ma-
hemet ne veut que les repudiees ſe
remariẽt que quatre moys apres le
epude & diuorce, ſi ce n’eſt que les
marys le leur permettẽt : & que les
autres delaiſſées, ne ſe mariẽt, qu’el-
les n’ayent eſté gueries trois fois de
leurs mẽſtrues. Ne veut qu’on leur
oſte rien de ce qu'on leur aura dõné
aux nopçes: & ſi les femmes taſchẽt
de s'enfuir, que les marys les r'acha-
ptẽt, mais nõ pour les mal traicter,
à fin qu’ils n’écourẽt l’ire diuin : def-
fend d’vſer de violẽce, & d’eſpou-
ſer vne femme contre ſon gré. Fait
expreſſes inhibitiõs aux vefues, de ſe
marier que quatre moys dix iours a-
pres le treſpas de leur eſpoux, durãt
lequel temps elles ayent moyen de
ſe pouuoir parer & attiffer100, ſans
que ceux , qui les amourachent
leur parlent n'y facent aucun ſi-
gne de les vouloir , iuſques à tant
que leur temps & terme prefix
de quatre moys dix iours ſoit
qu’on ne les contraigne point de ſe
tenir enfermées tout le lõg de l’an-
née (car il faut, que ſelon la couſtu-
me, elles ſoient autant recluſes veu
qu’autrement Dieu prendroit leur
querele) & que le mary repudiant
ſa femme luy rende la moitié de ſon
Touchãt
les ſuc-
ceſsions
entre les
enfans
Turcs. doüaire afin de n’oublier l’alliance,
qui auoit eſté entr’eux deux iuree. la
loy de leur hoiries eſt au huitieſme
Azoar, ou il veut, que les fils & filles
partiſſent les biens de leurs peres,
par l’aduis & conſeil de leurs parẽs,
& que ce ne ſoit sãs diſtribuer quel-
que choſe aux pauures. Les deux fil-
les au partage egalent vn fils, & s’il
y en a trois le fils aura les deux parts
& les filles la troiſieſme, mais n’y ay-
ant point de fils lors les pl9 proches
parens partiſſans enſemble laiſſerõt
vne ſixieſme partie à la mere du de-
Punition
des fem-
mes adul
teres. ffunct. Et pour monſtrer ſa gratieu-
ſeté alendroit des femmes il veut,
que celle, qui ſera accuſée d’adulte-
re ſoit conuaincuë pour telle par
quatre femmes & attainte du cri-
ſon, iuſqu’à ce que Dieu luy mon-
ſtre ſa voye , ou qu’elle paſſe de ce
monde, & que ceux qui l’accoſerõt
ſoyent punis ſeurement. Bien eſt
vray, qu’il adiouſte , que s’ils y vont
ignorammẽt , & non penſans auoir
ce rencontre , & que ſoudain apres
auoir faict, ils ſe retirent, il dict, qu’il
leur faut pardonner, veu que Dieu
ſouffre les offenſes legeres. Voyez
l’occaſion , que ce paillard offre de
paillarder, à chacũ, ſous couleur d’i-
gnorance, & l’excuſe qu’il donne à
ceux, qui ſont diligens à la beſoigne,
& ſe depeſchent toſt , & s’en vont
ayant fait leur coup. Deffend de ra-
uir, violer, & deceuoir les femmes.
En charge que les meres alaitent &
nourriſſent leurs enfans, l’eſpace de
deux ans, auſquelles faut que les pe-
res, ou autres, ayans le bien d’iceluy
donnent & fourniſſent toutes cho-
ſes neceſſaires , & pour la vie, &
pour le veſtement , bien leur per-
met-il d’auoir des nourrices, ſi elles
ne peuuent nourrir leur lignée. Ie
fans ſont nourris en Turquie , puis
que Pierre Belon, au chapit. vnzieſ-
me du troiſieſme liure de ſes ſingu-
laritez , a aſſez au long eſclairci ce
poinct : cõme auſſi ie ne chargeray
point ce diſcours de ceremonies
qu’ils obſeruent en leurs obſeques,
au lieu de ce , ie n’ay qu’à adiouſter
ce mot pour aduertir le liſeur, qu’il
n’y a pas ſi grand lignage de paren-
té en Turquie, qu’en Europe, & qu’il
ne ſoit vray , les Turcs n’ont point
de ſurnom , qu’on puiſſe aduoüer
venir d’ancienneté , & par conſe-
quent, n’ont aucun tiltre de maiſon
& famille ancienne. Les femmes
Turques ſont belles par ſingulari-
té, & nettes comme perles. Elles ne
portent poil en aucune partie du
corps , fors leur cheuelure : ſous les
Depila-
toire des
Turques aiſſelles, & celuy qu’vn certain per-
ſonnage nõme amatoire, ou amou-
reux, ils le font tõber, par le moyen
d’vn depilatoire , qu’ils appellent
Ruſina , ainſi que le meſmes Belon
deſcrit, au trente-troiſieſme Chapi-
duquel faut qu’on employe grande
Punition
de l’hom
me adul-
tere. quantité , puis que Belõ couche par
eſtat dix-huict mil ducats, de dace
que le Turc en retire. Icy ne faut
oublier que les adulteres ſont punis
aſſez rigoureuſement en Turquie,
de faict, en l’Azoar trente-quatrieſ-
me, la peine de l’adultere eſt propo-
ſee de cent coups de verges ou de
baſton, deuant tout le monde , à fin
que la honte & reproche le facent
retirer de ſa vilainie:auec inhibitiõs
& defenſes , faictes à vn chacun de
n’auoir pitié & compaſſiõ de celuy,
qui ſera iuſticié en ceſte ſorte. Et
pour la punition des calomniateurs
conuaincus d’auoir à tort accuſé
quelque femme d’hõneur, d’adul-
tere, il ordõne quatre-vingt coups,
s’ils ne ſe veulent deſdire , & repen-
tir:& ne veut que le mary meſmes,
accuſant ſa femme, ſoit creu, à ſa ſim-
ple parole, ains faut que quatre fois
liure , & que la cinquieſme il ſe
maudiſſe , s’il dit menſonge & les
femmes, pour s’exempter & garen-
fois à ſerment, dementans ceux qui
les ont accuſé, & la cinquieſme fois
elles doiuent prier Dieu qu’il les cõ-
fonde , ſi ce qu’on leur impoſe eſt
veritable. Les adulteres de Cefala
ne paſſent point à ſi bõ marché : car
là il ſuffit, pour faire condamner vn
homme, pour le faict d’adultere, de
le veoir aſſis ſur le lict, ou nacte où
s’aſſeera la femme d’vn autre, & faut
que l’homme & la femme meurent
enſemble, ſans eſpoir quel cõque de
grace ou de remiſſion. Ancienne-
ment les Atheniens excõmunioyẽt
l’adultere, auec note d’infamie, ainſi
que nous liſons aux plaidoyers de
Demoſthene : qui ſemble choſe ri-
dicule , attendu que l’infamie ne
peut oſter l’honneur à celle, qui l
perdu, & qui eſt du tout deshontée
tellemẽt qu’elle demeure quaſi ſans
peine, d’vn crime que la loy de dieu
punit de la plus rigoureuſe mo
qui fut lors , c’eſt à ſçauoir, de lapi-
dation , & que du moins les Ægyp-
tiens ( comme nous apprend Dio-
pant le nés à les femme, & les parties
honteuſes à l’homme. En Alemai-
gne, s’il y auoit quelque femme cõ-
uaincuë d’adultere, les cheueux luy
eſtoyent coupés, ſon mary apres l’a-
uoir chaſſée, hors de ſa maiſon , l’a
menoit toute nuë deuant ſes pro-
chains parẽs, & la fouëttoit par tout
le village, & ſi on auoit vne fois pro-
ſtitué ſa pudicité , il n’en falloit at-
tendre aucune miſericorde ne ny par-
dõ, car il ny auoit ny aage, ny beau-
té,ny richeſſes, qui ſceuſſent appai-
ſer le mary, ny faire r’entrer la fem-
me corrompuë en mariage. C’eſt
choſe gaillarde,de ce qu’on racom-
pte de l’adultere , entre les Turcs,
pour la punition, qui eſt diuerſe, ſe-
lon la diuerſité des religions. C’eſt
vne couſtume entre eux , que tous
Chreſtiens, ſoyent Grecs, Latins, ou
autres, peuuent nourrir , pour leur
ſeruice , outre leurs femmes & en-
fans, des ſeruans & ſeruantes, quoy
que d’eſtrange religion, mais s’il y a
accouplement , la perte de la vie y
vne terrible phlebotomie , ou le
Chreſtiẽ eſt cõtrainct ſe faire Turc.
I’ay leu d’vn Seigneur Venitien, qui
pour s’eſtre accroché à vne ieune
femme Turcque , outre les preſens
qu’il fallut ietter en la gueule des
Cadis101, & officiers du Turc, fut con-
damné à faire l’vne des tours mo-
dernes, de Tripoly , qui luy couſta
plus de quarante mil ducats. Au cõ-
traire, ſi quelque Turc eſt ſurpris en
adultere auec vne Chreſtienne,
pour punition, on le conduit ſur vn
aſne, monté à rebours , le contrai-
gnant quelquesfois tenir de ſa main
la queuë de ceſte gẽtile beſte pour
luy faire plus grande infamie , en
luy faire plus grande infamie, en
luy mettant ſur ſon chef quelques
tripailles de bœuf ou de mouton.
Que ſi vn Chreſtiẽ accuſe vn Turc,
de s’eſtre accointé d’vne Chreſtien-
ne, s’il ne peut le prouuer, il eſt con-
damné à cent baſtonnades , au lieu
que celuy qui accuſe le Chreſtien
n’eſt iamais puny.
Eulenmech, & ſe fait en ceſte manie-
re. Ils ſe fiancent ſans nul ſerment,
& le mary les prend (cõme i’ay deſia
dit) ſans dot quelconque , ains , qui
pis eſt, il faut, que preſqu’il achepte
celle, qu’il veut eſpouſer , de ſorte
que la mariée n’a rien, que le marié
ne ſoit contrainct d’achepter , de
ſon beau-pere, & pource le diuorce
Diuorce
entre les
Turcs. leur eſt fort aiſément permis , où
pour l’eſgard des mœurs , ou pour
eſtre la femme ſterile: c’eſt au Cady96
à cognoiſtre de cecy, deuant lequel
le mary fait venir les parens de ſa
femme, pour luy donner reprimen-
de. Ils ſouffrent que leurs eſclaues
ſe mariẽt,mais les enfans qui en ſor-
tẽt, ſont du reuenu, & proye de leur
La Forest
maiſtre. C’eſt vn grand cas (dit San-ſonin97) que le grand Turc ne ſe ſou-
cie d’eſpouſer la fille de quelque
grand Roy ou Prince, comme auſſi
il ne fait difficulté de donner ſes fil-
les à quelqu’vn, qui ſoit de race illu-
ſtre , & ſang remarqué , de quelque
nobleſſe : veu que Ruſtan Baſſa eſ-
pouſa la fille vnique de Sultan So-
liman encor qu’il fut de bas lieu,
ayãt ſes parens elimann la Boſſine, qui la-
bouroyent ordinairement la terre
& a Lutfi, eſtant ſorty de ſang vil
donna ſa propre ſœur. Il eſt vray
qu’il les ennobliſt, & leur donne til-
tres de Baſſa, comme à ce Lutfi, qu’il
fit Vuiſir Baſſa, c’eſt à dire, premier
& grand Baſſa, & celuy qui a les
ſceaux, & tient le plus haut rang à la
Porte. Le Seigneur a pluſieurs ſe-
rails en diuers lieux , où il met cel-
les des eſclaues , qu’on luy donne
de preſent, qui luy ſont le plus à gré
& s’il luy vient en fantaiſie, il les fait
Sultanes, & puis s’en-amourãt d’v-
ne autre, il quitte la premiere , ſans
vſer d’aucune ceremonie, en ce ſien
35
Mvptiale.
opçage. Bien eſt vray, que le Roy& les Seigneurs, donnent vn breuet
entre les mains du Cady98, dedans le-
quel eſt contenu le doüaire , qu’ils
donnent à leurs femmes. Là où en-
tre les petits, dés incontinent qu’ils
ſont d’accord, de ce que le mary dõ-
ne a la femme, à ſçauoir du doüaire,
qu’ils appellent Chebin, il l’a conduit
à ſa maiſon, ſans autre ceremonie: Si
le logis ne plaiſt à la femme , il luy
eſt loiſible de chercher vn autre ma-
En Tur-
quie, vn
Turc
peut eſ-
pouſer v-
ne Chre-
ſtienne :
mais le
Chre-
ſtien ne
peut eſ-
pouſer v-
ne Tur-
que. ry , ſans qu’elle puiſſe emporter ſon
doüaire, ſi ce n’eſt qu’elle peut prou
uer, que le mary euſt voulu abuſer
d’elle cõtre nature , ou qu’il ait por-
té du vin en la maiſon , duquel la
femme en ait peu boire. Il eſt per-
mis au Turc d’eſpouſer vne Chre-
ſtienne, & la laiſſer viure (l’ayãs ain-
ſi arreſté en leur accord) en liberté
de conſcience, & ſelon la loy Chre
ſtienne , là où l’homme Chreſtien
ne peut eſpouſer vne Turque , ſans
ſe circoncir , autrement on luy fe-
roit perdre la vie: comme auſſi n’eſt
permis aux Chreſtiens de tenir vne
La Forest
cõcubine Chreſtiẽne, ny autre, ainsles cõtrainct-on les eſpouſer, auec
doüaire, & fut ce leur propre eſcla-
ue. Lors que les Turcs prenẽt fem-
me ils ne font point autre feſte de
nopçes, fors qu’ils ballent en leurs
maiſons, les hõmes chãtãs d’vn cõ-
ſté & les femmes d’vn autre, come
auſſi ils mangent ſeparez les hõmes
d'auec les femmes. L'eſpouſé faict
quelque petit preſent à ſon eſpouſe,
& elle sẽblablemẽt, & y ſonne-on
d’vne fleute, auec vn petit tabourin,
sãs autre muſique. Icy ie ne me veux
amuſer à deuider la difficulté qui ſe
preſente ſur ce que nous auõs dict
que les Turcs peuuẽt eſpouſer trois
ou quatre femmes attẽdu que Guil-
laume Poſtel, en ſa Republique des
Turcs ſouſtiẽt, qu’outre les eſclaues
ils n’ont qu’vne femme en chacun
lieu, & ainſi marchãs par beaucoup
de pays, ils en auront pluſieurs , s’ils
ne vouloyent faire comme les Ara-
bes, qui tranſ-marchẽt auec eux par
tout où ils vont, voire99 en la guerre,
leurs fẽmes. Il vaut mieux que nous
36
Nvptiale.
remariõs les vefues, & celles qui sõtMaria-
ges des
repudiees. rejettees. Quant aux repudiees, l’A-
zoar troiſieſme y eſt formel, où Ma-
hemet ne veut que les repudiees ſe
remariẽt que quatre moys apres le
epude & diuorce, ſi ce n’eſt que les
marys le leur permettẽt : & que les
autres delaiſſées, ne ſe mariẽt, qu’el-
les n’ayent eſté gueries trois fois de
leurs mẽſtrues. Ne veut qu’on leur
oſte rien de ce qu'on leur aura dõné
aux nopçes: & ſi les femmes taſchẽt
de s'enfuir, que les marys les r'acha-
ptẽt, mais nõ pour les mal traicter,
à fin qu’ils n’écourẽt l’ire diuin : def-
fend d’vſer de violẽce, & d’eſpou-
ſer vne femme contre ſon gré. Fait
expreſſes inhibitiõs aux vefues, de ſe
marier que quatre moys dix iours a-
pres le treſpas de leur eſpoux, durãt
lequel temps elles ayent moyen de
ſe pouuoir parer & attiffer100, ſans
que ceux , qui les amourachent
leur parlent n'y facent aucun ſi-
gne de les vouloir , iuſques à tant
que leur temps & terme prefix
de quatre moys dix iours ſoit
La Forest
eſcoulé: les ayant eſpouſé il deffendqu’on ne les contraigne point de ſe
tenir enfermées tout le lõg de l’an-
née (car il faut, que ſelon la couſtu-
me, elles ſoient autant recluſes veu
qu’autrement Dieu prendroit leur
querele) & que le mary repudiant
ſa femme luy rende la moitié de ſon
Touchãt
les ſuc-
ceſsions
entre les
enfans
Turcs. doüaire afin de n’oublier l’alliance,
qui auoit eſté entr’eux deux iuree. la
loy de leur hoiries eſt au huitieſme
Azoar, ou il veut, que les fils & filles
partiſſent les biens de leurs peres,
par l’aduis & conſeil de leurs parẽs,
& que ce ne ſoit sãs diſtribuer quel-
que choſe aux pauures. Les deux fil-
les au partage egalent vn fils, & s’il
y en a trois le fils aura les deux parts
& les filles la troiſieſme, mais n’y ay-
ant point de fils lors les pl9 proches
parens partiſſans enſemble laiſſerõt
vne ſixieſme partie à la mere du de-
Punition
des fem-
mes adul
teres. ffunct. Et pour monſtrer ſa gratieu-
ſeté alendroit des femmes il veut,
que celle, qui ſera accuſée d’adulte-
re ſoit conuaincuë pour telle par
quatre femmes & attainte du cri-
me
37
Nvptiale.
crime, qu’elle ſoit encloſe en ſa mai-ſon, iuſqu’à ce que Dieu luy mon-
ſtre ſa voye , ou qu’elle paſſe de ce
monde, & que ceux qui l’accoſerõt
ſoyent punis ſeurement. Bien eſt
vray, qu’il adiouſte , que s’ils y vont
ignorammẽt , & non penſans auoir
ce rencontre , & que ſoudain apres
auoir faict, ils ſe retirent, il dict, qu’il
leur faut pardonner, veu que Dieu
ſouffre les offenſes legeres. Voyez
l’occaſion , que ce paillard offre de
paillarder, à chacũ, ſous couleur d’i-
gnorance, & l’excuſe qu’il donne à
ceux, qui ſont diligens à la beſoigne,
& ſe depeſchent toſt , & s’en vont
ayant fait leur coup. Deffend de ra-
uir, violer, & deceuoir les femmes.
En charge que les meres alaitent &
nourriſſent leurs enfans, l’eſpace de
deux ans, auſquelles faut que les pe-
res, ou autres, ayans le bien d’iceluy
donnent & fourniſſent toutes cho-
ſes neceſſaires , & pour la vie, &
pour le veſtement , bien leur per-
met-il d’auoir des nourrices, ſi elles
ne peuuent nourrir leur lignée. Ie
D
La Forest
ne deduiray point icy cõme les en-fans ſont nourris en Turquie , puis
que Pierre Belon, au chapit. vnzieſ-
me du troiſieſme liure de ſes ſingu-
laritez , a aſſez au long eſclairci ce
poinct : cõme auſſi ie ne chargeray
point ce diſcours de ceremonies
qu’ils obſeruent en leurs obſeques,
au lieu de ce , ie n’ay qu’à adiouſter
ce mot pour aduertir le liſeur, qu’il
n’y a pas ſi grand lignage de paren-
té en Turquie, qu’en Europe, & qu’il
ne ſoit vray , les Turcs n’ont point
de ſurnom , qu’on puiſſe aduoüer
venir d’ancienneté , & par conſe-
quent, n’ont aucun tiltre de maiſon
& famille ancienne. Les femmes
Turques ſont belles par ſingulari-
té, & nettes comme perles. Elles ne
portent poil en aucune partie du
corps , fors leur cheuelure : ſous les
Depila-
toire des
Turques aiſſelles, & celuy qu’vn certain per-
ſonnage nõme amatoire, ou amou-
reux, ils le font tõber, par le moyen
d’vn depilatoire , qu’ils appellent
Ruſina , ainſi que le meſmes Belon
deſcrit, au trente-troiſieſme Chapi-
38
Nvptiale.
tre d’iceluy liure , qui eſt vn metailduquel faut qu’on employe grande
Punition
de l’hom
me adul-
tere. quantité , puis que Belõ couche par
eſtat dix-huict mil ducats, de dace
que le Turc en retire. Icy ne faut
oublier que les adulteres ſont punis
aſſez rigoureuſement en Turquie,
de faict, en l’Azoar trente-quatrieſ-
me, la peine de l’adultere eſt propo-
ſee de cent coups de verges ou de
baſton, deuant tout le monde , à fin
que la honte & reproche le facent
retirer de ſa vilainie:auec inhibitiõs
& defenſes , faictes à vn chacun de
n’auoir pitié & compaſſiõ de celuy,
qui ſera iuſticié en ceſte ſorte. Et
pour la punition des calomniateurs
conuaincus d’auoir à tort accuſé
quelque femme d’hõneur, d’adul-
tere, il ordõne quatre-vingt coups,
s’ils ne ſe veulent deſdire , & repen-
tir:& ne veut que le mary meſmes,
accuſant ſa femme, ſoit creu, à ſa ſim-
ple parole, ains faut que quatre fois
liure , & que la cinquieſme il ſe
maudiſſe , s’il dit menſonge & les
femmes, pour s’exempter & garen-
D ij
La Forest
tir du ſupplice , ſont receuës quatrefois à ſerment, dementans ceux qui
les ont accuſé, & la cinquieſme fois
elles doiuent prier Dieu qu’il les cõ-
fonde , ſi ce qu’on leur impoſe eſt
veritable. Les adulteres de Cefala
ne paſſent point à ſi bõ marché : car
là il ſuffit, pour faire condamner vn
homme, pour le faict d’adultere, de
le veoir aſſis ſur le lict, ou nacte où
s’aſſeera la femme d’vn autre, & faut
que l’homme & la femme meurent
enſemble, ſans eſpoir quel cõque de
grace ou de remiſſion. Ancienne-
ment les Atheniens excõmunioyẽt
l’adultere, auec note d’infamie, ainſi
que nous liſons aux plaidoyers de
Demoſthene : qui ſemble choſe ri-
dicule , attendu que l’infamie ne
peut oſter l’honneur à celle, qui l
perdu, & qui eſt du tout deshontée
tellemẽt qu’elle demeure quaſi ſans
peine, d’vn crime que la loy de dieu
punit de la plus rigoureuſe mo
qui fut lors , c’eſt à ſçauoir, de lapi-
dation , & que du moins les Ægyp-
tiens ( comme nous apprend Dio-
39
Nvptiale.
dore le Siciliẽ) puniſſoyent en cou-pant le nés à les femme, & les parties
honteuſes à l’homme. En Alemai-
gne, s’il y auoit quelque femme cõ-
uaincuë d’adultere, les cheueux luy
eſtoyent coupés, ſon mary apres l’a-
uoir chaſſée, hors de ſa maiſon , l’a
menoit toute nuë deuant ſes pro-
chains parẽs, & la fouëttoit par tout
le village, & ſi on auoit vne fois pro-
ſtitué ſa pudicité , il n’en falloit at-
tendre aucune miſericorde ne ny par-
dõ, car il ny auoit ny aage, ny beau-
té,ny richeſſes, qui ſceuſſent appai-
ſer le mary, ny faire r’entrer la fem-
me corrompuë en mariage. C’eſt
choſe gaillarde,de ce qu’on racom-
pte de l’adultere , entre les Turcs,
pour la punition, qui eſt diuerſe, ſe-
lon la diuerſité des religions. C’eſt
vne couſtume entre eux , que tous
Chreſtiens, ſoyent Grecs, Latins, ou
autres, peuuent nourrir , pour leur
ſeruice , outre leurs femmes & en-
fans, des ſeruans & ſeruantes, quoy
que d’eſtrange religion, mais s’il y a
accouplement , la perte de la vie y
D iij
La Forest
pend, où faut que la bourſe ſouffrevne terrible phlebotomie , ou le
Chreſtiẽ eſt cõtrainct ſe faire Turc.
I’ay leu d’vn Seigneur Venitien, qui
pour s’eſtre accroché à vne ieune
femme Turcque , outre les preſens
qu’il fallut ietter en la gueule des
Cadis101, & officiers du Turc, fut con-
damné à faire l’vne des tours mo-
dernes, de Tripoly , qui luy couſta
plus de quarante mil ducats. Au cõ-
traire, ſi quelque Turc eſt ſurpris en
adultere auec vne Chreſtienne,
pour punition, on le conduit ſur vn
aſne, monté à rebours , le contrai-
gnant quelquesfois tenir de ſa main
la queuë de ceſte gẽtile beſte pour
luy faire plus grande infamie , en
luy faire plus grande infamie, en
luy mettant ſur ſon chef quelques
tripailles de bœuf ou de mouton.
Que ſi vn Chreſtiẽ accuſe vn Turc,
de s’eſtre accointé d’vne Chreſtien-
ne, s’il ne peut le prouuer, il eſt con-
damné à cent baſtonnades , au lieu
que celuy qui accuſe le Chreſtien
n’eſt iamais puny.
40
Nvptiale.
Les Thraciens.
Chap. VII.
S’Il y a eu ſoubs la chappe du ciel
nation barbare, cruelle & farou-
che, celle des Thraciens merite d’ẽ-
porter le prix , ainſi qu’il me ſeroit
bien ayſé verifier, ſi ie vouloye e-
ſtaler icy leurs mœurs , façons &
manieres de viure. Pour preuue ie
ne daignerois ſortir hors du chãp,
où le deſſein que i’ay prins en ceſte
œuure me retient. Strabon au li-
ure ſeptieſme de ſa Geographie r’ap-
porte qu’aucuns tiennent qu’en
nation barbare, cruelle & farou-
che, celle des Thraciens merite d’ẽ-
porter le prix , ainſi qu’il me ſeroit
bien ayſé verifier, ſi ie vouloye e-
ſtaler icy leurs mœurs , façons &
manieres de viure. Pour preuue ie
ne daignerois ſortir hors du chãp,
où le deſſein que i’ay prins en ceſte
œuure me retient. Strabon au li-
ure ſeptieſme de ſa Geographie r’ap-
porte qu’aucuns tiennent qu’en
Ctiſtes
& Auies
ſe paſ-
ſoient de
femmes
& Auies
ſe paſ-
ſoient de
femmes
Thrace il y a vne ſorte de gens, qui
viuent ſans compaignie quelcon-
que de femmes , & leſquels on ap-
pelle Ctiſtes , c’eſt à dire baſtiſſeurs,
& leſquels, pour les honorer, on e-
ſtime eſtre ſacrés & ne paient aucũ
tribut. Poſsidonius les appelloit A-
uies, pour ce qu’ils ſe paſſoient de
l’accointance des femmes comme
s’il eut voulu teſmoigner qu’ils ne
Sceau de la Bibliothèque de l'Arsenal
la rigueur & ſequeſtre du cœlibat
de meſmes qu’on tenoit, que la mai-
ſon de Proteſilas n’eſtoit qu’à demy
parfaite, pour-autant qu’elle n’eſtoit
accompagnee d’vne fẽme & meſ-
nagere. Neantmoins Strabon ne
peut accorder, qu’entre les Thraces
ſe ſoient peu trouuer tels perſonna-
ges & ſi modeſtes & continens at-
tendu qu’ils eſtoient fort addonnés
aux femmes , comme ceux, qui, nõ
contens d’vne en eſpouſoient dix,
onze & douze, & celuy qui n’en a-
uoit que quatre ou cinq eſtoit repu-
té pour enerué , failly & du tout
miſerable, voire102 que celuy qui s’ab-
ſtenoit du tout des nopces , eſtoit,
comme deſ-naturé, digne de mort:
qui croira à Ceſar & à d’autres Hiſto-
riens, qui ont haut loüé la pudicité
& chaſteté des Scythes & autres
peuples Septentrionaux , la conti-
nence de ces Auies deura bien e-
ſtre receuë. Ie ſçay bien qu’il y en a
qui ont trãché iuſques là que de di-
re que les Scythes & Alemans ſe
femme, voire103 qu’encores la pluſpart
d’eux vit en perpetuelle virginité.
Pour preuue de leur dire ils font
targue de ce qu’Henry ſecond Em-
pereur, & Caſimir, premier Roy de
Poloigne & Lancelo , Roy de Bo-
heſme ne voulurent onques ſe ma-
rier: ce n’eſtoit pas par chaſteté mais
pluſtoſt par impuiſſance naturelle:
car meſmes Iean II. grand Duc de
Moſcouie auoit les femmes en ſi
grand’horreur qu’il s’eſuanouïſſoit
au ſeul regard des femmes, ainſi que
eſcrit le Baron d’Herbeſtein parlant
des Moſcouites , qui ne voyent ia-
mais (dit il) leurs femmes que le iour
des nopçes: mais à ſçauoir ſi vne a-
rondelle ſeule faict le printemps,
on pourroit dire & meſmes il y en
a, qui pour accrocher le cœlibat à
ces Auies dient, qu’ils ſe chaſtroient
en couppant les veines parotides
ſous les aureilles, cõme dit Hippo-
crate, lequel, cherchant la cauſe de
ceſte impuiſſance, conclud, que ceſt
pour la froideur du ventre & pour
ſte recepte eſtoit ſi ſinguliere ie
ſçay pluſieurs a qui elle feroit bon
meſtier, & n’eut eſté mis en arriere
par les Thraciẽs pour faire phlebo-
tomier leurs Roys, à celle fin qu’ils
ne produiſiſſent aucune engeance,
d’autãt qu’entre eux vn perſonnage
auoit beau eſtre adroit , courtois &
courageux , que s’ils le ſçauoient
hoir pour luy ſucceder ils n’auoiẽt
garde de luy donner la charge du
Royaume , & s’il en engendroit a-
pres eſtre couronné ils ne failloient
de le depoſer & en mettre vn autre
en ſon lieu tant apprehendoient ils
que leur Royauté ne tomba en ſuc-
ceſſion. Ceux qui voudroiẽt refroi-
dir de telle ſorte les Thraces ie les
renuoye à Strabon, qui dict, que les
Dames Thraciennes eſtoient gran-
des enchantereſſes , & que par leur
art elles attiroient les hommes à les
aymer, & à diuerſes ſuperſtitions, &
par ainſi ne ſe pouuoient qu’ils s’ab-
ſtinſſent de celles qui auoyent telle
puiſſance ſur eux, & leſquelles es
monies. Or ces Auies ne furẽt bap-
tiſés de ce nom pour ce qu’ils vi-
uoient ſans femmes & en cœlibat,
ains à cauſe qu’ils n’auoyent point
de maiſons, & que comme les Scy-
thes , ils paſſoyent leur vie ſur des
chariots , qui leur ſeruoyent de do-
micile, comme s’ils euſſent eſté pri-
ués de la compagnie & du reſte des
hommes. Au reſte Solin au chapitre
quinzieſme approuuant ceſte opi-
nion de Strabon dit , que les Thra-
ciens ſe glorifient d’eſpouſer plu-
ſieurs femmes, & penſent , que ce
leur ſoit vn grand honneur s’ils en
prennent grand nombre en maria-
ge d’auantage ils eſtoient peu ſoi-
gneux de la chaſteté de leurs filles,
leſquelles ils proſtituoient ou ſouf-
froient qu’elles s’accointaſſent de
qui bon leur ſembloit, mais eſtans
mariées on prenoit vn grãd eſgard
ſur elles, & fort enuy pouuoyent
ils endurer qu’on leur enroola auec
les confreres de la Lune104. Ils n’auoiẽt
rien de leurs femmes, ains faloit que
de deniers qu’ils faiſoient d’ærain:
& les ayant vne fois acheptees les
marquoyent d’vn fer chaud au frõt,
ce qui eſtoit pour vne marque de
nobleſſe, & celles qui ne l’eſtoient
point, eſtoient reputées pour viles,
abiectes, de peu d’effect, de ſang vil,
roturieres, & vilaines, leur ſemblant
bien aduis , qu’vn mariage , qui ſe
faiſoit pour de l’argẽt & des richeſ-
ſes, eſtoit ſeruil, & pource en l’Aſi-
naire de Plaute on lit des vers de ce-
ſte ſubſtance.
viuent ſans compaignie quelcon-
que de femmes , & leſquels on ap-
pelle Ctiſtes , c’eſt à dire baſtiſſeurs,
& leſquels, pour les honorer, on e-
ſtime eſtre ſacrés & ne paient aucũ
tribut. Poſsidonius les appelloit A-
uies, pour ce qu’ils ſe paſſoient de
l’accointance des femmes comme
s’il eut voulu teſmoigner qu’ils ne
D iiij
Sceau de la Bibliothèque de l'Arsenal
La Forest
viuoient qu’à demy rampans ſoubsla rigueur & ſequeſtre du cœlibat
de meſmes qu’on tenoit, que la mai-
ſon de Proteſilas n’eſtoit qu’à demy
parfaite, pour-autant qu’elle n’eſtoit
accompagnee d’vne fẽme & meſ-
nagere. Neantmoins Strabon ne
peut accorder, qu’entre les Thraces
ſe ſoient peu trouuer tels perſonna-
ges & ſi modeſtes & continens at-
tendu qu’ils eſtoient fort addonnés
aux femmes , comme ceux, qui, nõ
contens d’vne en eſpouſoient dix,
onze & douze, & celuy qui n’en a-
uoit que quatre ou cinq eſtoit repu-
té pour enerué , failly & du tout
miſerable, voire102 que celuy qui s’ab-
ſtenoit du tout des nopces , eſtoit,
comme deſ-naturé, digne de mort:
qui croira à Ceſar & à d’autres Hiſto-
riens, qui ont haut loüé la pudicité
& chaſteté des Scythes & autres
peuples Septentrionaux , la conti-
nence de ces Auies deura bien e-
ſtre receuë. Ie ſçay bien qu’il y en a
qui ont trãché iuſques là que de di-
re que les Scythes & Alemans ſe
41
Nvptiale.
trouuoient fort empeſchez d’vnefemme, voire103 qu’encores la pluſpart
d’eux vit en perpetuelle virginité.
Pour preuue de leur dire ils font
targue de ce qu’Henry ſecond Em-
pereur, & Caſimir, premier Roy de
Poloigne & Lancelo , Roy de Bo-
heſme ne voulurent onques ſe ma-
rier: ce n’eſtoit pas par chaſteté mais
pluſtoſt par impuiſſance naturelle:
car meſmes Iean II. grand Duc de
Moſcouie auoit les femmes en ſi
grand’horreur qu’il s’eſuanouïſſoit
au ſeul regard des femmes, ainſi que
eſcrit le Baron d’Herbeſtein parlant
des Moſcouites , qui ne voyent ia-
mais (dit il) leurs femmes que le iour
des nopçes: mais à ſçauoir ſi vne a-
rondelle ſeule faict le printemps,
on pourroit dire & meſmes il y en
a, qui pour accrocher le cœlibat à
ces Auies dient, qu’ils ſe chaſtroient
en couppant les veines parotides
ſous les aureilles, cõme dit Hippo-
crate, lequel, cherchant la cauſe de
ceſte impuiſſance, conclud, que ceſt
pour la froideur du ventre & pour
D v
La Forest
eſtre ordinairement à cheual. Si ce-ſte recepte eſtoit ſi ſinguliere ie
ſçay pluſieurs a qui elle feroit bon
meſtier, & n’eut eſté mis en arriere
par les Thraciẽs pour faire phlebo-
tomier leurs Roys, à celle fin qu’ils
ne produiſiſſent aucune engeance,
d’autãt qu’entre eux vn perſonnage
auoit beau eſtre adroit , courtois &
courageux , que s’ils le ſçauoient
hoir pour luy ſucceder ils n’auoiẽt
garde de luy donner la charge du
Royaume , & s’il en engendroit a-
pres eſtre couronné ils ne failloient
de le depoſer & en mettre vn autre
en ſon lieu tant apprehendoient ils
que leur Royauté ne tomba en ſuc-
ceſſion. Ceux qui voudroiẽt refroi-
dir de telle ſorte les Thraces ie les
renuoye à Strabon, qui dict, que les
Dames Thraciennes eſtoient gran-
des enchantereſſes , & que par leur
art elles attiroient les hommes à les
aymer, & à diuerſes ſuperſtitions, &
par ainſi ne ſe pouuoient qu’ils s’ab-
ſtinſſent de celles qui auoyent telle
puiſſance ſur eux, & leſquelles es
42
Nvptiale.
contraignoient à ſuiure telles cere-monies. Or ces Auies ne furẽt bap-
tiſés de ce nom pour ce qu’ils vi-
uoient ſans femmes & en cœlibat,
ains à cauſe qu’ils n’auoyent point
de maiſons, & que comme les Scy-
thes , ils paſſoyent leur vie ſur des
chariots , qui leur ſeruoyent de do-
micile, comme s’ils euſſent eſté pri-
ués de la compagnie & du reſte des
hommes. Au reſte Solin au chapitre
quinzieſme approuuant ceſte opi-
nion de Strabon dit , que les Thra-
ciens ſe glorifient d’eſpouſer plu-
ſieurs femmes, & penſent , que ce
leur ſoit vn grand honneur s’ils en
prennent grand nombre en maria-
ge d’auantage ils eſtoient peu ſoi-
gneux de la chaſteté de leurs filles,
leſquelles ils proſtituoient ou ſouf-
froient qu’elles s’accointaſſent de
qui bon leur ſembloit, mais eſtans
mariées on prenoit vn grãd eſgard
ſur elles, & fort enuy pouuoyent
ils endurer qu’on leur enroola auec
les confreres de la Lune104. Ils n’auoiẽt
rien de leurs femmes, ains faloit que
D vj
La Forest
les acheptaſſent a grande ſommede deniers qu’ils faiſoient d’ærain:
& les ayant vne fois acheptees les
marquoyent d’vn fer chaud au frõt,
ce qui eſtoit pour vne marque de
nobleſſe, & celles qui ne l’eſtoient
point, eſtoient reputées pour viles,
abiectes, de peu d’effect, de ſang vil,
roturieres, & vilaines, leur ſemblant
bien aduis , qu’vn mariage , qui ſe
faiſoit pour de l’argẽt & des richeſ-
ſes, eſtoit ſeruil, & pource en l’Aſi-
naire de Plaute on lit des vers de ce-
ſte ſubſtance.
I’ay pour le dot beaucoup d’argent receu,
Et mon pouuoir ce faiſant i’ay vendu.
C’eſt achapt ne ſe rapportoit au-
cunement à la coemption Romai-
ne, ains ſe faiſoit publiquement , &
non au gré des parens mais pluſtoſt
des filles, auſquelles la choſe tou-
choit de plus prés qu’aux peres ny
meres. Par ainſi les plus belles s’en
alloient au marché, où elles ſe parãs
& attiffans , ſe faiſoyent vendre au
plus offrant & dernier encheriſ-
ſeur , ayans plus d’eſgard au pris
qu’à la vertu & preud-hommie de
celuy qu’elles deuoient eſpouſer.
Faute (helas! y pleut à Dieu que ie
n’euſſe matiere de me plaindre des
folies d’autruy, à laquelle trop ſou-
uent choppent pluſieurs de noſtre
ſiecle ſous noſtre hemiſphere fleur-
deliſé, qui ſe laiſsẽt pocher les yeux
& eberlüer par les eſcus & richeſſe,
quant à la vertu ce ſont parties ex-
traordinaires, & qui ne ſont paſſées
& alloüees que d’auenture; voire105 &
en ce ie ſuis contrainct de deteſter
l’execrable auarice de ces harpies
en ſage mondain: encores deuroit
on aſſortir les parties de pareil à
pareil , autrement le bois verd,
pourroit affadir & alentir la for-
ce chenuë & vermouliſée de quel-
ques vieux radouteurs , qui par le
cliquetis de leurs eſcus penſent e-
ſtourdir la vertu & vigueur d’vne
fleur de ieuneſſe. Ie laiſſe les meſ-
contentements , les regrets & au-
tres inconueniens que de iour à au-
tre on voit ſurgir ſur le bord eſcu-
plus part ſeruent à faire des capes à
Moyſe. Voyla donc la beauté des
belles qui eſtoyent venduë à l’in-
quant: les laides , falloit que payaſ-
ſent vne bonne ſomme de mõnoie
pour trouuer mary , & eſtoient cõ-
trainctes d’achepter celuy, qu’elles
auoient deſir auoir pour mary. Les
Taxilles ( comme teſmoigne Stra-
bon au quinzieſme liure de ſa Geo-
graphie) s’y portoient de toute au-
tre façon, d’autant que ſi la pauure-
té empeſchoit les filles de pouuoir
trouuer mary, on les menoit en la
fleur de leur aage en plein marché,
comme les cheuaux à la foire: là a-
uec trompettes & clerons le peuple
aſſemblé la pucelle deſcouuroit les
parties de derriere iuſques aux eſ-
paules & en apres celles de deuant
& celle qui ſe voyoit entiere, adroi-
te & qui agreoit ne tardoit à trou-
uer mary. Ainſi faloit qu’elles iouaſ-
ſent à l’hazard & vinſſent detaler &
mettre en veuë à tout le monde la
beauté de leur corſage, en danger,
( comme l’on dict) du marché ſans
beſte vendre d’autãt que quoy que
la beauté ſeruit de merueilleux ai-
guillons pour faire buſquer fortune
à pluſieurs, ſi eſt-ce que faute de
moyens les empeſchoit de ſe ſous-
mettre à telle charge. Mais les pau-
ure laides recreuës de moyens de-
meuroient la plantées pour reuer-
dir, d’autant que la bourſe eſtoit mal
garnie , & les traicts de viſage de-
gouſtoient les plus enuiſez , enco-
res qu’elles ſe fuſſent deuergoignés
d’vne façon ſi tres-farouche. Hera-
clide en ſes polytiques racompte
qu’en Thrace les maris ſe ſeruoient
tout ainſi de leurs femmes que de
leurs chambrieres. Voyre que s’il y
Maria-
ges en
Thraces
de peu
d’arreſt. auoit quelcun d’entre eux qui fut
agoué106 de ſa femme & n’en vou-
lut plus ou ſe courrouça contre el-
le, les parens d’icelle eſtoyent ne-
ceſſités de la reprendre auec eux,
en rendant au mary l’argent , qu’il
auroit nanty & deliuré , pour l’a-
uoir en mariage. Pour monſtrer leur
vendus
par les
peres,en
Thrace. grande & deſreiglée beſtiſe, & le
peu de compte qu’ils faiſoyent de
leur reputation , ne faut employer
que ce qu’ils vendoyent leurs en-
fans en public , tout ainſi que nous
vendons nos beſtes au marché.
Couſtume qui eſt à preſumer eſtre
venuë de l’ordonnance de leur Le-
giſlateur Zamolxis, lequel, ayant e-
ſté eſclaue, en l’Iſle de Samos vou-
lut que les citoyens, experimentãs
vne pareille fortune, taſchaſſent
auſſi de paruenir aux richeſſes , qui
l’auoyent faict le premier & de ſa
robe & de ſon pays. Ie m’esba-
his d’aucuns , qui ſe formaliſent de
ce que les peres n’auoient aucun
creue cœur de debiter à prix d’argẽt
la chair de leurs filles. Encores e-
ſtoit ce (à mon aduis) plus honeſte-
ment qu’aux Romains , qui pou-
uoient vendre & eſclauer leurs en-
fans pour le prix qui leur tomboit
és mains. Les Thraces auoyent les
rideaux de mariage, qui cachoient
toute l’indignité de telle vente.
En apres dequoy ſe fuſſent ils gui-
qu’apres la mort des marys celles
qui reſtoient en vie leur demeu-
roient auec l’argent, qu’ils auoyent
receu de la vente, comme leur pro-
pre heritage : & ainſi les filles n’a-
uoient que miſere ayans à ſeruir
leur mary & à retomber en la puiſ-
ſance de leurs peres , ſans que ny
de leur corps ny l’argẽt dõné pour
elles redonda à leur profit. Et en
ce l’vs Thracien eſtoit par trop ri-
goureux, pour raiſon des filles les
rendant vefues & de leurs marys &
de tout gain matrimonial. Et cepẽ-
dãt s’eſtoient ces vefues, qui eſtoiẽt
les mieux parties car d’entre toutes
les eſpouſes du deffunct la plus che
re & fidele, falloit, qu’elle l’accom-
paigna au cercueil & fut auec luy
enterrée toute vifue, comme en-
core à preſent ce pratique en plu-
ſieurs endroits des Prouinces de
Leuant: où les peuples ſont idola-
tres. Cecy tournant à grãd honneur
à celle, qui emportoit ceſt aduãtage
auſſi y auoit il vn grand debat entre
chere d’iceluy, & telle, qui meritaſt
de l’accompaigner & faloit que les
parens du deffunct vuidaſſent ce
different auec leur ſentence diffini-
tiue. Celle qui gaignoit ſa cauſe ſe
paroit & attiffoit tout ainſi que ſi on
l’eut conduite à des nopces, & auec
tout telle grace, qu’entre les Breſi-
liẽs on dit que võt ceux, qui sõt de-
ſtinés au maſsacre, le iour ordonné
pour telle boucherie : & eſt con-
duicte par ſes parens hommes &
femmes iuſqu’au tombeau où elle
conſacre ſa vie aux Ombres de ſon
mary, auec lequel elle eſt ſoudaine-
ment miſe en terre. Cependant les
Pleurs
des Thra
ciens
à la naiſ
ſance des
enfans,
ris à leur
morts. autres , qui ont perdu leur cauſe
ſçachans à quel & combien grand
des-honneur , blaſme & reproche
cela leur peut redonder, pleurent &
deteſtent leur vie, pour auoir eſté
priuees d’vn ſi grand aduantage &
d’vne gloire & memoire (qu’ils pẽ-
ſent) immortelle. A la naiſſance de
leurs enfans ils ſe mettoient à lamẽ-
ter, comme au cõtraire ils s’eſiouïſ-
en terre, à cauſe que l’vn naiſſant ve-
noit gouſter les miſeres & trauaux,
auſquels naturellement les hom-
mes ſont aſſubiettis, là où s’en allant
mourir il eſtoit allegé de toutes
telles angoiſſes, ſans qu’ils euſſent
eſgard à ce qui ſuit la mort , ou
bien qu’ils ſe ſouciaſſent du bien
& profit, que portoyent au public
ceux qu’ils laiſoiẽt en vie: ſur quoy
le Poëte Archie a faict quelques
vers, allegués par Camers, deſquels
voicy la ſubſstance.
cunement à la coemption Romai-
ne, ains ſe faiſoit publiquement , &
non au gré des parens mais pluſtoſt
des filles, auſquelles la choſe tou-
choit de plus prés qu’aux peres ny
meres. Par ainſi les plus belles s’en
alloient au marché, où elles ſe parãs
& attiffans , ſe faiſoyent vendre au
plus offrant & dernier encheriſ-
ſeur , ayans plus d’eſgard au pris
43
Nvptiale.
qu’elles receuoient de tel marché, qu’à la vertu & preud-hommie de
celuy qu’elles deuoient eſpouſer.
Faute (helas! y pleut à Dieu que ie
n’euſſe matiere de me plaindre des
folies d’autruy, à laquelle trop ſou-
uent choppent pluſieurs de noſtre
ſiecle ſous noſtre hemiſphere fleur-
deliſé, qui ſe laiſsẽt pocher les yeux
& eberlüer par les eſcus & richeſſe,
quant à la vertu ce ſont parties ex-
traordinaires, & qui ne ſont paſſées
& alloüees que d’auenture; voire105 &
en ce ie ſuis contrainct de deteſter
l’execrable auarice de ces harpies
en ſage mondain: encores deuroit
on aſſortir les parties de pareil à
pareil , autrement le bois verd,
pourroit affadir & alentir la for-
ce chenuë & vermouliſée de quel-
ques vieux radouteurs , qui par le
cliquetis de leurs eſcus penſent e-
ſtourdir la vertu & vigueur d’vne
fleur de ieuneſſe. Ie laiſſe les meſ-
contentements , les regrets & au-
tres inconueniens que de iour à au-
tre on voit ſurgir ſur le bord eſcu-
La Forest
meux de tels haures , qui pour laplus part ſeruent à faire des capes à
Moyſe. Voyla donc la beauté des
belles qui eſtoyent venduë à l’in-
quant: les laides , falloit que payaſ-
ſent vne bonne ſomme de mõnoie
pour trouuer mary , & eſtoient cõ-
trainctes d’achepter celuy, qu’elles
auoient deſir auoir pour mary. Les
Taxilles ( comme teſmoigne Stra-
bon au quinzieſme liure de ſa Geo-
graphie) s’y portoient de toute au-
tre façon, d’autant que ſi la pauure-
té empeſchoit les filles de pouuoir
trouuer mary, on les menoit en la
fleur de leur aage en plein marché,
comme les cheuaux à la foire: là a-
uec trompettes & clerons le peuple
aſſemblé la pucelle deſcouuroit les
parties de derriere iuſques aux eſ-
paules & en apres celles de deuant
& celle qui ſe voyoit entiere, adroi-
te & qui agreoit ne tardoit à trou-
uer mary. Ainſi faloit qu’elles iouaſ-
ſent à l’hazard & vinſſent detaler &
mettre en veuë à tout le monde la
beauté de leur corſage, en danger,
44
Nvptiale.
d’eſtre eſconduites & s’en retourner( comme l’on dict) du marché ſans
beſte vendre d’autãt que quoy que
la beauté ſeruit de merueilleux ai-
guillons pour faire buſquer fortune
à pluſieurs, ſi eſt-ce que faute de
moyens les empeſchoit de ſe ſous-
mettre à telle charge. Mais les pau-
ure laides recreuës de moyens de-
meuroient la plantées pour reuer-
dir, d’autant que la bourſe eſtoit mal
garnie , & les traicts de viſage de-
gouſtoient les plus enuiſez , enco-
res qu’elles ſe fuſſent deuergoignés
d’vne façon ſi tres-farouche. Hera-
clide en ſes polytiques racompte
qu’en Thrace les maris ſe ſeruoient
tout ainſi de leurs femmes que de
leurs chambrieres. Voyre que s’il y
Maria-
ges en
Thraces
de peu
d’arreſt. auoit quelcun d’entre eux qui fut
agoué106 de ſa femme & n’en vou-
lut plus ou ſe courrouça contre el-
le, les parens d’icelle eſtoyent ne-
ceſſités de la reprendre auec eux,
en rendant au mary l’argent , qu’il
auroit nanty & deliuré , pour l’a-
uoir en mariage. Pour monſtrer leur
La Forest
Enfansvendus
par les
peres,en
Thrace. grande & deſreiglée beſtiſe, & le
peu de compte qu’ils faiſoyent de
leur reputation , ne faut employer
que ce qu’ils vendoyent leurs en-
fans en public , tout ainſi que nous
vendons nos beſtes au marché.
Couſtume qui eſt à preſumer eſtre
venuë de l’ordonnance de leur Le-
giſlateur Zamolxis, lequel, ayant e-
ſté eſclaue, en l’Iſle de Samos vou-
lut que les citoyens, experimentãs
vne pareille fortune, taſchaſſent
auſſi de paruenir aux richeſſes , qui
l’auoyent faict le premier & de ſa
robe & de ſon pays. Ie m’esba-
his d’aucuns , qui ſe formaliſent de
ce que les peres n’auoient aucun
creue cœur de debiter à prix d’argẽt
la chair de leurs filles. Encores e-
ſtoit ce (à mon aduis) plus honeſte-
ment qu’aux Romains , qui pou-
uoient vendre & eſclauer leurs en-
fans pour le prix qui leur tomboit
és mains. Les Thraces auoyent les
rideaux de mariage, qui cachoient
toute l’indignité de telle vente.
En apres dequoy ſe fuſſent ils gui-
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Nvptiale.
ſés. Leur condition eſtoit ſi bonnequ’apres la mort des marys celles
qui reſtoient en vie leur demeu-
roient auec l’argent, qu’ils auoyent
receu de la vente, comme leur pro-
pre heritage : & ainſi les filles n’a-
uoient que miſere ayans à ſeruir
leur mary & à retomber en la puiſ-
ſance de leurs peres , ſans que ny
de leur corps ny l’argẽt dõné pour
elles redonda à leur profit. Et en
ce l’vs Thracien eſtoit par trop ri-
goureux, pour raiſon des filles les
rendant vefues & de leurs marys &
de tout gain matrimonial. Et cepẽ-
dãt s’eſtoient ces vefues, qui eſtoiẽt
les mieux parties car d’entre toutes
les eſpouſes du deffunct la plus che
re & fidele, falloit, qu’elle l’accom-
paigna au cercueil & fut auec luy
enterrée toute vifue, comme en-
core à preſent ce pratique en plu-
ſieurs endroits des Prouinces de
Leuant: où les peuples ſont idola-
tres. Cecy tournant à grãd honneur
à celle, qui emportoit ceſt aduãtage
auſſi y auoit il vn grand debat entre
La Forest
les eſpouſes, à qui ſeroit iugee la pl9chere d’iceluy, & telle, qui meritaſt
de l’accompaigner & faloit que les
parens du deffunct vuidaſſent ce
different auec leur ſentence diffini-
tiue. Celle qui gaignoit ſa cauſe ſe
paroit & attiffoit tout ainſi que ſi on
l’eut conduite à des nopces, & auec
tout telle grace, qu’entre les Breſi-
liẽs on dit que võt ceux, qui sõt de-
ſtinés au maſsacre, le iour ordonné
pour telle boucherie : & eſt con-
duicte par ſes parens hommes &
femmes iuſqu’au tombeau où elle
conſacre ſa vie aux Ombres de ſon
mary, auec lequel elle eſt ſoudaine-
ment miſe en terre. Cependant les
Pleurs
des Thra
ciens
à la naiſ
ſance des
enfans,
ris à leur
morts. autres , qui ont perdu leur cauſe
ſçachans à quel & combien grand
des-honneur , blaſme & reproche
cela leur peut redonder, pleurent &
deteſtent leur vie, pour auoir eſté
priuees d’vn ſi grand aduantage &
d’vne gloire & memoire (qu’ils pẽ-
ſent) immortelle. A la naiſſance de
leurs enfans ils ſe mettoient à lamẽ-
ter, comme au cõtraire ils s’eſiouïſ-
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Nvptiale.
ſoient quand on portoit quelcunen terre, à cauſe que l’vn naiſſant ve-
noit gouſter les miſeres & trauaux,
auſquels naturellement les hom-
mes ſont aſſubiettis, là où s’en allant
mourir il eſtoit allegé de toutes
telles angoiſſes, ſans qu’ils euſſent
eſgard à ce qui ſuit la mort , ou
bien qu’ils ſe ſouciaſſent du bien
& profit, que portoyent au public
ceux qu’ils laiſoiẽt en vie: ſur quoy
le Poëte Archie a faict quelques
vers, allegués par Camers, deſquels
voicy la ſubſstance.
Les Thraciens ie loue & accepte leurs mœurs,Leſquéls ſont tout-cõfits en larmes et en pleursLors que de leurs enfans ils voient la naiſsãce:Au cõtraire on les voit tout pleins d’eſiouiſsãceLors que quelcũ d’ẽtr’eux au treſpas eſt cõduitD’autant que des viuans l’action & eſpritNe tẽd qu’à malheurté, & ceux qui sõt sãs vieDe mal faire n’ont plus ny deſir ny enuie.
Si ces pleurs qu’ils iettent pou-
uoient amollir leurs cœurs, pour les
appriuoiſer à l’humanité, & les deſ-
mouuoir de la cruauté, qui predo-
mine en eux , encores ſeroient ils
à ſupporter , ou bien s’ils degour-
pour gaigner leur vie, ſans les laiſſer
croupir en fetardiſe & oiſiueté , au-
cunement les excuſeroyent les fan-
taſquees idées de leurs patrons He-
raclides & Democrite , mais quoy
ils ne font loüange que d’auoir les
bras croiſés, & eſtoit ce peuple ſi a-
Oiſiueté
trop pri-
ſée entre
les Tra-
ces. neanty qu’il eſtimoit que ce fut vn
ſigne de generoſité & nobleſſe que
de viure en oiſiuetez & que ceux
qui labouroient la terre fuſſent vi-
lains & comme eſclaues du reſte des
hommes. Et pleut à mon Dieu que
la race en fut releguee ſeulement
en Thrace, & qu’en noſtre Fran-
ce nous ne viſſions tant de trai-
neurs d’eſpee ſe bour-ſouſlans la
pluſpart du vent de nobleſſe & aui-
liſſans voire107 taſchans de fouler
& mettre les pieds ſur le ventre
de ceux qui s’entre-mettent à tra-
uailler & faire quelque choſe, ie
ne taxe poinct icy les gens de bien
by ceux qui meritent d’eſtre pri-
ſés & honorés ſi oſeray ie bien di-
re que de cinq cents que ie cognois
ſtoit ſeize les Prouinces Françoi-
ſes ne ſeroient encores que trop ſur
chargées. Voire mais,108 retournons
vers nos Thraciens , qui ſe reco-
gnoiſſans eſtre naturelement frap-
pés au faux coin de Barbareſque
cruauté , pour addoucir le natu-
rel farouche de leurs ieunes en-
fans, leur faiſoyent apprendre la
muſique & à iouër des inſtrumens
des leur tendre aage , iuſques à
ce qu’ils fuſſent paruenus à l’an
trentieſme. De faict la muſique a
Grands
profits
de la
Muſi-
que.
telle vertu que par les inſtrumens
de muſique on guerit le mal qui
s’appelle en Allemaigne de Sainct
Vitus, de ceux qui ne font que
danſer , rire & ſauter en leur folie,
ſoit par ce que la cadence har-
monieuſe & meſurée range & re-
met la raiſon eſgaree à ſon principe
ſoit que la muſique guerit les ma-
ladies du corps par le moiẽ de l’ame
ainſi que la medecine guerit les ma-
ladies de l’ame par le moyen du
corps, ſoit que les malins eſprits qui
les vns que les autres , ont en hor-
reur l’harmonie diuine prenant
plaiſir aux diſcords, comme il ſe lit
que le malin eſprit, oyant le ſon de
la Harpe , s’enfuyoit , & laiſſoit le
Roy Saül en repos , qui ſemble
auoir eſté la cauſe, qu’Eliſee, quand
il voulut Prophetiſer , fit entonner
vn inſtrument de muſique , en la
preſence des Roys de Iudée , & de
Sarmathie , & ſi toſt que Saül eut
rencontré la troupe ſacrée, des Pro-
phetes ioüans des inſtruments de
muſique, auſſi-toſt l’eſprit de Dieu
le ſaiſit109. En apres nous auons vn
exemple memorable, de la Repu-
blique des Cynetheens en Arcadie,
laquelle ayant laiſſé le plaiſir de la
muſique, bien-toſt apres tomba en
ſeditions, & guerres ciuiles , auſ-
quelles on n’oublia aucune ſorte
de cruauté. Et comme vn chacun
ioüoit à l’eſtonné, pouquoy ce peu
ple-là deuint ſi reueſche & ſi bar-
bare, veu que tous les autres peu-
ples d’Arcadie eſtoyent doux,trai-
lybe apperçeut le premier, que c’e-
ſtoit, pour auoir laiſſé la muſique,
laquelle de toute ancienneté auoit
eſté honorée & priſée , en Arcadie
plus qu’en lieu du monde : de ſorte
que par les ordonnances & cou-
ſtumes du pays , chacun deuoit s’e-
xercer en icelle, iuſques à l’aage de
trente ans, ſur grandes peines. Qui
fut le moyen, dict Polybe, au liure
quatrieſme , que les premiers Le-
giſlateurs de ce peuple-là la trou-
uerent pour l’addoucir & appriuoi-
ſer, eſtant de ſon naturel , barba-
re comme tous habitans de monta-
gnes & pays froids. Nous pou-
uons , peut eſtre , faire ſemblable
iugement des Gaulois, que l’Empe-
reur Iulien appelloit Barbares , de
ſon temps , & qu’on a veu depuis
les plus courtois & traittables qui
ſoyent en l’Europe , dequoy les
eſtrangers meſmes s’eſmerueillent:
car chacun ſçait , qu’il n’y a peuple,
qui plus s’exerce à la muſique &
qui chante plus doucement : & qui
France, qui ne ſoit Ionique ou Ly-
dien , c’eſt à dire du cinq & ſep-
tieſme ton, que Platon en ſes loix
& Ariſtote en ſes Politiques , de-
fendent à la ieuneſſe , par ce qu’ils
ont grande force d’amollir & laſ-
cher les cœurs des hõmes : & vou-
loyent exercer les enfans au Do-
rien, qui eſt le premier ton , à fin
de les maintenir en vne certaine
douçeur, accompagnée de grauité,
qui eſt propre au Dorien. La def-
fenſe ſeroit meilleure en l’Aſie, mi-
neur , qui n’auoit autres branſles
que du cinq & ſeptieſme ton, meſ-
mes au pays de Lydie & Ionie
mais les peuples Septentrionnaux,
froids , ou montaignars , qui ſont
ordinairement plus ſauuages , ou
moins courtois que les Meridion-
naux , & habitans és plaines , ne
peuuent ſe mieux appriuoiſer &
addoucir , qu’en vſant de l’harmo-
nie Lydienne & Ionique , qui eſtoit
auſſi deffenduë en la primitiue
Egliſe. Et tout ainſi que les hõmes
en venir à bout : auſſi l’harmonie
Lydienne & Ionique, deſarme les
plus farouches & barbares nations
du naturel ſauuage & cruel , & les
rend doux & ployables , comme
il eſt aduenu aux François , qui,
paraduenture n’euſſent pas eſté ſi
domptables & obeiſſans aux loix
& ordonnances de ceſte Monar-
chie , ſi ce naturel , que l’Empe-
reur Iulien dict auoir eſté ſi haut,
& ſi peu ſouffrant la ſeruitude,
n’eut eſté amolly par la muſique:
laquelle toutes fois , n’a peu du
tout déſauuaginer les Thraciens,
quoy qu’ils s’y addonnaſſent ex-
preſſement , à celle fin que les eſ-
prits endurcis en leurs rudeſſes,
pour l’eſgard de l’aſpreté & rudeſſes,
pour l’eſgard de l’aſpreté & rigueur
de l’air , & qui eſtoyent appeſan-
tis & groſſiers à cauſe des grandes
froidures auſquelles leur pays eſt
ſuject , fuſſent moderez, addoucis
& ciuiliſez.
uoient amollir leurs cœurs, pour les
appriuoiſer à l’humanité, & les deſ-
mouuoir de la cruauté, qui predo-
mine en eux , encores ſeroient ils
à ſupporter , ou bien s’ils degour-
La Forest
diſſoient leurs bras & membres, pour gaigner leur vie, ſans les laiſſer
croupir en fetardiſe & oiſiueté , au-
cunement les excuſeroyent les fan-
taſquees idées de leurs patrons He-
raclides & Democrite , mais quoy
ils ne font loüange que d’auoir les
bras croiſés, & eſtoit ce peuple ſi a-
Oiſiueté
trop pri-
ſée entre
les Tra-
ces. neanty qu’il eſtimoit que ce fut vn
ſigne de generoſité & nobleſſe que
de viure en oiſiuetez & que ceux
qui labouroient la terre fuſſent vi-
lains & comme eſclaues du reſte des
hommes. Et pleut à mon Dieu que
la race en fut releguee ſeulement
en Thrace, & qu’en noſtre Fran-
ce nous ne viſſions tant de trai-
neurs d’eſpee ſe bour-ſouſlans la
pluſpart du vent de nobleſſe & aui-
liſſans voire107 taſchans de fouler
& mettre les pieds ſur le ventre
de ceux qui s’entre-mettent à tra-
uailler & faire quelque choſe, ie
ne taxe poinct icy les gens de bien
by ceux qui meritent d’eſtre pri-
ſés & honorés ſi oſeray ie bien di-
re que de cinq cents que ie cognois
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Nvptiale.
en France, friſans l’eſpee, s’il en re-ſtoit ſeize les Prouinces Françoi-
ſes ne ſeroient encores que trop ſur
chargées. Voire mais,108 retournons
vers nos Thraciens , qui ſe reco-
gnoiſſans eſtre naturelement frap-
pés au faux coin de Barbareſque
cruauté , pour addoucir le natu-
rel farouche de leurs ieunes en-
fans, leur faiſoyent apprendre la
muſique & à iouër des inſtrumens
des leur tendre aage , iuſques à
ce qu’ils fuſſent paruenus à l’an
trentieſme. De faict la muſique a
Grands
profits
de la
Muſi-
que.
telle vertu que par les inſtrumens
de muſique on guerit le mal qui
s’appelle en Allemaigne de Sainct
Vitus, de ceux qui ne font que
danſer , rire & ſauter en leur folie,
ſoit par ce que la cadence har-
monieuſe & meſurée range & re-
met la raiſon eſgaree à ſon principe
ſoit que la muſique guerit les ma-
ladies du corps par le moiẽ de l’ame
ainſi que la medecine guerit les ma-
ladies de l’ame par le moyen du
corps, ſoit que les malins eſprits qui
La Forest
s’aboulent quelques-fois auſſi bienles vns que les autres , ont en hor-
reur l’harmonie diuine prenant
plaiſir aux diſcords, comme il ſe lit
que le malin eſprit, oyant le ſon de
la Harpe , s’enfuyoit , & laiſſoit le
Roy Saül en repos , qui ſemble
auoir eſté la cauſe, qu’Eliſee, quand
il voulut Prophetiſer , fit entonner
vn inſtrument de muſique , en la
preſence des Roys de Iudée , & de
Sarmathie , & ſi toſt que Saül eut
rencontré la troupe ſacrée, des Pro-
phetes ioüans des inſtruments de
muſique, auſſi-toſt l’eſprit de Dieu
le ſaiſit109. En apres nous auons vn
exemple memorable, de la Repu-
blique des Cynetheens en Arcadie,
laquelle ayant laiſſé le plaiſir de la
muſique, bien-toſt apres tomba en
ſeditions, & guerres ciuiles , auſ-
quelles on n’oublia aucune ſorte
de cruauté. Et comme vn chacun
ioüoit à l’eſtonné, pouquoy ce peu
ple-là deuint ſi reueſche & ſi bar-
bare, veu que tous les autres peu-
ples d’Arcadie eſtoyent doux,trai-
48
Nvptiale.
tables & courtois à merueilles : Po-lybe apperçeut le premier, que c’e-
ſtoit, pour auoir laiſſé la muſique,
laquelle de toute ancienneté auoit
eſté honorée & priſée , en Arcadie
plus qu’en lieu du monde : de ſorte
que par les ordonnances & cou-
ſtumes du pays , chacun deuoit s’e-
xercer en icelle, iuſques à l’aage de
trente ans, ſur grandes peines. Qui
fut le moyen, dict Polybe, au liure
quatrieſme , que les premiers Le-
giſlateurs de ce peuple-là la trou-
uerent pour l’addoucir & appriuoi-
ſer, eſtant de ſon naturel , barba-
re comme tous habitans de monta-
gnes & pays froids. Nous pou-
uons , peut eſtre , faire ſemblable
iugement des Gaulois, que l’Empe-
reur Iulien appelloit Barbares , de
ſon temps , & qu’on a veu depuis
les plus courtois & traittables qui
ſoyent en l’Europe , dequoy les
eſtrangers meſmes s’eſmerueillent:
car chacun ſçait , qu’il n’y a peuple,
qui plus s’exerce à la muſique &
qui chante plus doucement : & qui
La Forest
plus eſt , il n’y a preſque branſle, en France, qui ne ſoit Ionique ou Ly-
dien , c’eſt à dire du cinq & ſep-
tieſme ton, que Platon en ſes loix
& Ariſtote en ſes Politiques , de-
fendent à la ieuneſſe , par ce qu’ils
ont grande force d’amollir & laſ-
cher les cœurs des hõmes : & vou-
loyent exercer les enfans au Do-
rien, qui eſt le premier ton , à fin
de les maintenir en vne certaine
douçeur, accompagnée de grauité,
qui eſt propre au Dorien. La def-
fenſe ſeroit meilleure en l’Aſie, mi-
neur , qui n’auoit autres branſles
que du cinq & ſeptieſme ton, meſ-
mes au pays de Lydie & Ionie
mais les peuples Septentrionnaux,
froids , ou montaignars , qui ſont
ordinairement plus ſauuages , ou
moins courtois que les Meridion-
naux , & habitans és plaines , ne
peuuent ſe mieux appriuoiſer &
addoucir , qu’en vſant de l’harmo-
nie Lydienne & Ionique , qui eſtoit
auſſi deffenduë en la primitiue
Egliſe. Et tout ainſi que les hõmes
d’eſar-
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Nvptiale.
deſarment les beſtes ſauuages, pour en venir à bout : auſſi l’harmonie
Lydienne & Ionique, deſarme les
plus farouches & barbares nations
du naturel ſauuage & cruel , & les
rend doux & ployables , comme
il eſt aduenu aux François , qui,
paraduenture n’euſſent pas eſté ſi
domptables & obeiſſans aux loix
& ordonnances de ceſte Monar-
chie , ſi ce naturel , que l’Empe-
reur Iulien dict auoir eſté ſi haut,
& ſi peu ſouffrant la ſeruitude,
n’eut eſté amolly par la muſique:
laquelle toutes fois , n’a peu du
tout déſauuaginer les Thraciens,
quoy qu’ils s’y addonnaſſent ex-
preſſement , à celle fin que les eſ-
prits endurcis en leurs rudeſſes,
pour l’eſgard de l’aſpreté & rudeſſes,
pour l’eſgard de l’aſpreté & rigueur
de l’air , & qui eſtoyent appeſan-
tis & groſſiers à cauſe des grandes
froidures auſquelles leur pays eſt
ſuject , fuſſent moderez, addoucis
& ciuiliſez.
E
La Forest
Les Moſcouites.
Chap. VIII.
ENcores que les Moſcouites ſe
ſoyent rangez à l’Egliſe Grec-
que, ſi ne differẽt-ils pas beaucoup
pour les mariages, d’auec les Latins,
fors que ( comme ie touche en paſ-
ſant au chapitre des mariages des
Preſtres ) il eſt permis aux Preſtres
de ſe marier , leſquels ſont choiſis
d’entre ceux qui ont ſeruy longue-
ment de Diacres, en l’Egliſe, & nul
Preſtres
mariés en
Moſcho-
uie.
n’eſt receu Diacre s’il n’eſt marié,
tellement que ſouuent ils eſpouſent
femme le meſme iour qu’ils vien-
nent receuoir ceſt ordre: & ſi celle
qu’vn Diacre doit eſpouſer, a mau-
uais bruit,il eſt rejetté de ſon office.
Le Preſtre , ſa femme eſtant morte,
eſt ſuſpẽdu de ſa dignité, & ne chã-
te plus Meſſe, ny n’eſt receu à ſeruir
à l’autel: Il eſt vray, que, s’il ſe contiẽt
& vit chaſtement , on luy permet
d’entrer au Chœur, & aſſiſter au ſer-
celebrer , encores que jadis il leur
fut bien loiſible: mais s’il ſe remarie,
ce qu’on ne luy deffend point, lors
il n’oſeroit, non plus qu’vn lay , aſſi-
ſter, ny à l’Autel, ny au Chœur, pour
y pſalmodier. Quant aux Moines,
tout auſſi-bien qu’aux Latins, le ma-
riage leur eſt totalement interdit.
Pour le reſte de ceux qui ſont lays,
ſoyent rangez à l’Egliſe Grec-
que, ſi ne differẽt-ils pas beaucoup
pour les mariages, d’auec les Latins,
fors que ( comme ie touche en paſ-
ſant au chapitre des mariages des
Preſtres ) il eſt permis aux Preſtres
de ſe marier , leſquels ſont choiſis
d’entre ceux qui ont ſeruy longue-
ment de Diacres, en l’Egliſe, & nul
Preſtres
mariés en
Moſcho-
uie.
n’eſt receu Diacre s’il n’eſt marié,
tellement que ſouuent ils eſpouſent
femme le meſme iour qu’ils vien-
nent receuoir ceſt ordre: & ſi celle
qu’vn Diacre doit eſpouſer, a mau-
uais bruit,il eſt rejetté de ſon office.
Le Preſtre , ſa femme eſtant morte,
eſt ſuſpẽdu de ſa dignité, & ne chã-
te plus Meſſe, ny n’eſt receu à ſeruir
à l’autel: Il eſt vray, que, s’il ſe contiẽt
& vit chaſtement , on luy permet
d’entrer au Chœur, & aſſiſter au ſer-
50
Nvptiale.
uice, car il n’eſt permis aux veufs decelebrer , encores que jadis il leur
fut bien loiſible: mais s’il ſe remarie,
ce qu’on ne luy deffend point, lors
il n’oſeroit, non plus qu’vn lay , aſſi-
ſter, ny à l’Autel, ny au Chœur, pour
y pſalmodier. Quant aux Moines,
tout auſſi-bien qu’aux Latins, le ma-
riage leur eſt totalement interdit.
Pour le reſte de ceux qui ſont lays,
Menées
des maria
ges entres
les Moſ-
chouites.
des maria
ges entres
les Moſ-
chouites.
& ſeculiers, leurs façons de maria-
ges ſont telles. Vn ieune homme
n’oſeroit faire l’amour à vne fille,
pour l’auoir en mariage , ains c’eſt
au pere, d’elle de prier l’amoureux,
de l’eſpouſer: & apres y conſentans
les parens, on parle des conuentiõs:
& tout ſoudain iour aſſigné pour
les eſpouſailles, durãt lequel temps,
le fiancé ne parle pas ſeulement à ſa
fiancée, voire110 ne luy eſt-il pas per-
mis de la veoir: le iour des nopçes,
on fait des dons , que l’eſpouſé eſt
tenu de rembourſer dans l’an à ceux
qui luy en ont faict preſent, ou leur
renuoyer ceux , qui luy ſemblẽt ne
luy eſtre point neceſſaires. Or n’eſ-
le maria-
ge defen-
du aux
Moſcho-
uites.
pouſent-ils femme, qui leur attou-
che de ſang , iuſqu’au quatrieſme
degré, & aucun n’oſeroit eſpouſer
la ſœur de ſon allié, voire111 ne ſouffri-
royent-ils mariage entre ceux , qui
ont tenu vn enfant enſemble au Ba-
pteſme. Il eſt permis de conuoler
aux ſecõdes nopçes, mais non ſans
ſouſpeçon d’incontenẽce : aux troi-
ſieſmes ne l’octroyent, ſans grande
occaſion , mais de ſe marier pour la
quatrieſme fois, tant s’en faut qu’ils
le permettent , qu’encores ils dient,
que c’eſt contre la religion Chre-
ſtienne. La couſtume du pays veut,
que les femmes portent des perles,
& bagues à leurs oreilles, & eſt bien
ſeant aux maſles , mais c’eſt durant
qu’ils ſont en enfance, les filles laiſ-
ſent pendre par derriere leur cheue-
lure, mais les mariées faut que la tiẽ-
nent cachée. La condition des fem-
mes y eſt fort miſerable , d’autant
Moſcho-
uites ia-
loux.
qu’ils les ſouſpeçonnent toutes peu
pudiques, ſi elles ne ſont tenuës clo-
ſes , & reſerrées dans leur maiſon,
ſans iamais gueres ſortir , que quel-
ler ſeules , femmes auec femmes ſe
ioüer dans les prés , le reſte de l’an-
née eſtans enfermées pour filer &
coudre, & ſe meſler du meſnage. Ce
ne ſont point dõcques ſeulemẽt les
Italiens, ou Portugais qui ont mar-
tel in teſte , de leurs femmes , ains
auſſi les Moſcouites, leſquels (cõme
le Barõ d’Herbeſtin eſcrit) ne voyẽt
leurs femmes que le iour des nop-
çes. Si Iean Clopinel , dit de Meum,
Iean Clo-
pinel dict
de Meum.
fut eſté bien aduiſé , il deuoit adreſ-
ſer aux Dames Moſcouites ces deux
pauures couplets, qui peu s’en fal-
lut, que ne luy couſtaſſent vne vifue
eſtrillade, dont on penſa luy cingler
les eſpaules: Mais (poſſible) vouloit
il maintenir , qu’en France il y en a
auſſi-bien qu’en Moſcouie, qui ont
les talõs fort courts. Aſſeurez-vous,
que, s’il n’eut donné vne tortuë aux
Dames, & ne leur eut creué le cœur
d’honeſteté , il eſtoit bien pour en
eſtre quitte en homme de ſon pays,
& ne fut pas ſorty d’entre-my elles,
ſans beſte vendre, car il n’y en auoit
voüa vne couple de douzaines de
feſſade , ſur ſon pauure diable de
dos. Elles (cela ſoit dit ſans preiudi-
ce du droict d'autruy , & ſans faire
comparaiſon, qui eſt pour la pluſ-
part du temps eſcloppée ) eſtoyent
bien mal gratieuſes, au pris des Da-
mes Moſcouites, qui toutes mal me-
nées qu’elles ſont, ne laiſſent à por-
ter grande amitié à leurs marys , qui
tant mieux les frottent, ſont de tant
plus aimez d’elles. De fait ay-ie leu,
Moſcho-
uites , de
tãt mieux
honorez
de leurs
femmes
qu'ils
leurs ſont
rudes.
qu’il y eut vn Aleman, lequel s’alla
marier en ces quartiers, ignorãt, que
pour eſtre bien venu de ſa femme,
failloit bien l’eſpouſſeter, & pource
luy faiſoit tout le meilleur traicte-
ment dont il ſe pouuoit aduiſer,
pour captiuer ſes bonnes graces,
pour s’eſtre donné à entendre, que
les femmes de ce pays-là , vouloyẽt
eſtre maniées , comme les Aleman-
des, mais tant plus il la careſſoit, d’a-
uantage luy faiſoit-elle le groin , &
ſe monſtroit ſi reueſche, que vaincu
de ſa mine rechinée, luy commence
mouë, veu qu’il prenoit ſi grãd pei-
ne à la mignarder. Ce ne ſont ( dit-
elle) que mines , & puis coupe tout
court. Peu de tẽps, apres quelques
voiſins luy firent entendre, que les
Moſcouites, pour appriuoiſer leurs
femmes, auoient accouſtumé de les
dorder dos & vẽtre, & ſe fondoyẽt
ſur ce que , tout ainſi qu’vn cheual
eſt dit eſtre mal traicté & penſé, voi-
re qu’il ne fera bon ſeruice, s’il n’eſt
bien eſtrillé & eſpouſſeté , auſſi que
les Moſcouites , pour rendre leurs
femmes promptes à l’eſperon , les
grattoyent le plus roidement qu’ils
pouuoyent. Hà! (dit l’Alemand) ne
tient-il qu’à cela? ie luy monſtreray,
que ie l’aime, & de ce pas fait courir
martin baſtõ112 par la maiſon, & apres,
& vous en aurez. Si bien la vous eſ-
pouſſeta, que les puces ne la pin-
çoyent pas: Auſſi-toſt elle s’en va
luy ſauter au collet , & auec dix mil
baiſers le remercie, de la grãde ami-
tié, qu’il luy portoit. Dés qu’il y fut
achaty, & qu’il ne voyoit ſa femme
deſchargeoit ſur elle , voulez-vous
ſçauoir, comme ſur plaſtre , ſi ſou-
uent redoubla-il ceſte nouuelle fe-
ſte, qu’à la parfin113 la mit ſur les car-
reaux, luy rompit bras & jambes &
la tua. Ie ne vous dis point ſon nom,
ne l’ayant trouué dans Laurens Su-
rius , autheur d’vn tel compte , le-
quel i’appelle à garẽd, ſi aucun vou-
loit m’opreſſer de le maintenir. Ie
reuiendray vers nos Moſcouites,
qui ſeroyent les plus heureux du
monde, s’ils ſçauoient iouïr du bien
qui leur eſt mis entre les poings,
ſans ſe donner parmy la ceruelle ces
faulſes & eſtranges opinions de ja-
louſie, qui rõge iuſques aux os ceux,
qui s’en laiſſent embaboiner. Quils
n’ayent occaſion de ſe meffier de
leurs femmes , ie ne le voudrois pas
nier, d’autant qu’elles ſont fort ten-
dres de la croupiere, & aiſées à eſtre
culebutées à la renuerſe. Les ruptu-
res de mariage ſont pour ceſte oc-
caſion fort frequẽtes, & communes
entr’eux , ils ſe donnent le libelle
cachete, à cauſe qu’ils ſçauent bien
que c’eſt cõtre la religion, & ſtatuts
de l’Egliſe, de tout temps. Si eſt-il
quelques fois deſcouuert, & quand
on voit que le mary a tort , le Ma-
giſtrat interpoſant ſon authorité, les
contrainct de ſe remettre enſem-
ble: d’où quelquesfois aduiennent
de terribles malheurs , comme de
faict il ne peut aduenir autrement,
lors qu’on contrainct les parties de
ſe tenir à vn contract, qui eſt ſi cha-
touilleux, que le mariage , la reue-
rence duquel empeſche maintes-
fois, qu’on ne manifeſte pluſieurs
deffaux , qu’on eſt bien contrainct
de tenir ſous le pied , & ſi ne laiſ-
ſent pourtant à bleſſer bien outra-
geuſement. Ainſi qu’on peut veoir
alors qu’Æmil ( au rapport qu’en
fait Plutarque, en ſa vie ) repudia ſa
femme , laquelle il confeſſoit eſtre
fort ſage & honeſte , & de maiſon
fort noble, & de laquelle il auoit
pluſieurs beaux enfans : & lors que
les parens de la femme s’en plaigni-
qui le demouuoit de l’amitié coniu-
gale, qu’il deuoit porter à ſa femme,
il leur monſtra ſon ſoulier, qui eſtoit
beau & bien fait, mais qu’il n’y auoit
que luy, qui ſentit l’endroit, où il le
bleſſoit. Si n’appellẽt-ils point adul-
tere, ſinon celuy, qui entretiẽt chez
ſoy, la femme d’autruy. Article que
beaucoup deſireroyent eſtre gardé
en noſtre France, pour s’expẽter du
crime, où ils s’engagẽt chez autruy.
ges ſont telles. Vn ieune homme
n’oſeroit faire l’amour à vne fille,
pour l’auoir en mariage , ains c’eſt
au pere, d’elle de prier l’amoureux,
de l’eſpouſer: & apres y conſentans
les parens, on parle des conuentiõs:
& tout ſoudain iour aſſigné pour
les eſpouſailles, durãt lequel temps,
le fiancé ne parle pas ſeulement à ſa
fiancée, voire110 ne luy eſt-il pas per-
mis de la veoir: le iour des nopçes,
on fait des dons , que l’eſpouſé eſt
tenu de rembourſer dans l’an à ceux
qui luy en ont faict preſent, ou leur
renuoyer ceux , qui luy ſemblẽt ne
luy eſtre point neceſſaires. Or n’eſ-
E ij
La Forest
Entre quile maria-
ge defen-
du aux
Moſcho-
uites.
pouſent-ils femme, qui leur attou-
che de ſang , iuſqu’au quatrieſme
degré, & aucun n’oſeroit eſpouſer
la ſœur de ſon allié, voire111 ne ſouffri-
royent-ils mariage entre ceux , qui
ont tenu vn enfant enſemble au Ba-
pteſme. Il eſt permis de conuoler
aux ſecõdes nopçes, mais non ſans
ſouſpeçon d’incontenẽce : aux troi-
ſieſmes ne l’octroyent, ſans grande
occaſion , mais de ſe marier pour la
quatrieſme fois, tant s’en faut qu’ils
le permettent , qu’encores ils dient,
que c’eſt contre la religion Chre-
ſtienne. La couſtume du pays veut,
que les femmes portent des perles,
& bagues à leurs oreilles, & eſt bien
ſeant aux maſles , mais c’eſt durant
qu’ils ſont en enfance, les filles laiſ-
ſent pendre par derriere leur cheue-
lure, mais les mariées faut que la tiẽ-
nent cachée. La condition des fem-
mes y eſt fort miſerable , d’autant
Moſcho-
uites ia-
loux.
qu’ils les ſouſpeçonnent toutes peu
pudiques, ſi elles ne ſont tenuës clo-
ſes , & reſerrées dans leur maiſon,
ſans iamais gueres ſortir , que quel-
51
Nvptiale.
ques feſtes , qu’on leur permet d’al-ler ſeules , femmes auec femmes ſe
ioüer dans les prés , le reſte de l’an-
née eſtans enfermées pour filer &
coudre, & ſe meſler du meſnage. Ce
ne ſont point dõcques ſeulemẽt les
Italiens, ou Portugais qui ont mar-
tel in teſte , de leurs femmes , ains
auſſi les Moſcouites, leſquels (cõme
le Barõ d’Herbeſtin eſcrit) ne voyẽt
leurs femmes que le iour des nop-
çes. Si Iean Clopinel , dit de Meum,
Iean Clo-
pinel dict
de Meum.
fut eſté bien aduiſé , il deuoit adreſ-
ſer aux Dames Moſcouites ces deux
pauures couplets, qui peu s’en fal-
lut, que ne luy couſtaſſent vne vifue
eſtrillade, dont on penſa luy cingler
les eſpaules: Mais (poſſible) vouloit
il maintenir , qu’en France il y en a
auſſi-bien qu’en Moſcouie, qui ont
les talõs fort courts. Aſſeurez-vous,
que, s’il n’eut donné vne tortuë aux
Dames, & ne leur eut creué le cœur
d’honeſteté , il eſtoit bien pour en
eſtre quitte en homme de ſon pays,
& ne fut pas ſorty d’entre-my elles,
ſans beſte vendre, car il n’y en auoit
E iij
La Forest
pas vne de la compagnie, qui ne luyvoüa vne couple de douzaines de
feſſade , ſur ſon pauure diable de
dos. Elles (cela ſoit dit ſans preiudi-
ce du droict d'autruy , & ſans faire
comparaiſon, qui eſt pour la pluſ-
part du temps eſcloppée ) eſtoyent
bien mal gratieuſes, au pris des Da-
mes Moſcouites, qui toutes mal me-
nées qu’elles ſont, ne laiſſent à por-
ter grande amitié à leurs marys , qui
tant mieux les frottent, ſont de tant
plus aimez d’elles. De fait ay-ie leu,
Moſcho-
uites , de
tãt mieux
honorez
de leurs
femmes
qu'ils
leurs ſont
rudes.
qu’il y eut vn Aleman, lequel s’alla
marier en ces quartiers, ignorãt, que
pour eſtre bien venu de ſa femme,
failloit bien l’eſpouſſeter, & pource
luy faiſoit tout le meilleur traicte-
ment dont il ſe pouuoit aduiſer,
pour captiuer ſes bonnes graces,
pour s’eſtre donné à entendre, que
les femmes de ce pays-là , vouloyẽt
eſtre maniées , comme les Aleman-
des, mais tant plus il la careſſoit, d’a-
uantage luy faiſoit-elle le groin , &
ſe monſtroit ſi reueſche, que vaincu
de ſa mine rechinée, luy commence
52
Nvptiale.
à demander dequoy elle faiſoit lamouë, veu qu’il prenoit ſi grãd pei-
ne à la mignarder. Ce ne ſont ( dit-
elle) que mines , & puis coupe tout
court. Peu de tẽps, apres quelques
voiſins luy firent entendre, que les
Moſcouites, pour appriuoiſer leurs
femmes, auoient accouſtumé de les
dorder dos & vẽtre, & ſe fondoyẽt
ſur ce que , tout ainſi qu’vn cheual
eſt dit eſtre mal traicté & penſé, voi-
re qu’il ne fera bon ſeruice, s’il n’eſt
bien eſtrillé & eſpouſſeté , auſſi que
les Moſcouites , pour rendre leurs
femmes promptes à l’eſperon , les
grattoyent le plus roidement qu’ils
pouuoyent. Hà! (dit l’Alemand) ne
tient-il qu’à cela? ie luy monſtreray,
que ie l’aime, & de ce pas fait courir
martin baſtõ112 par la maiſon, & apres,
& vous en aurez. Si bien la vous eſ-
pouſſeta, que les puces ne la pin-
çoyent pas: Auſſi-toſt elle s’en va
luy ſauter au collet , & auec dix mil
baiſers le remercie, de la grãde ami-
tié, qu’il luy portoit. Dés qu’il y fut
achaty, & qu’il ne voyoit ſa femme
E iiij
La Forest
luy preſter vne chere riante, il vousdeſchargeoit ſur elle , voulez-vous
ſçauoir, comme ſur plaſtre , ſi ſou-
uent redoubla-il ceſte nouuelle fe-
ſte, qu’à la parfin113 la mit ſur les car-
reaux, luy rompit bras & jambes &
la tua. Ie ne vous dis point ſon nom,
ne l’ayant trouué dans Laurens Su-
rius , autheur d’vn tel compte , le-
quel i’appelle à garẽd, ſi aucun vou-
loit m’opreſſer de le maintenir. Ie
reuiendray vers nos Moſcouites,
qui ſeroyent les plus heureux du
monde, s’ils ſçauoient iouïr du bien
qui leur eſt mis entre les poings,
ſans ſe donner parmy la ceruelle ces
faulſes & eſtranges opinions de ja-
louſie, qui rõge iuſques aux os ceux,
qui s’en laiſſent embaboiner. Quils
n’ayent occaſion de ſe meffier de
leurs femmes , ie ne le voudrois pas
nier, d’autant qu’elles ſont fort ten-
dres de la croupiere, & aiſées à eſtre
culebutées à la renuerſe. Les ruptu-
res de mariage ſont pour ceſte oc-
caſion fort frequẽtes, & communes
entr’eux , ils ſe donnent le libelle
53
Nvptiale.
du repude , mais c’eſt en ſecret , & cachete, à cauſe qu’ils ſçauent bien
que c’eſt cõtre la religion, & ſtatuts
de l’Egliſe, de tout temps. Si eſt-il
quelques fois deſcouuert, & quand
on voit que le mary a tort , le Ma-
giſtrat interpoſant ſon authorité, les
contrainct de ſe remettre enſem-
ble: d’où quelquesfois aduiennent
de terribles malheurs , comme de
faict il ne peut aduenir autrement,
lors qu’on contrainct les parties de
ſe tenir à vn contract, qui eſt ſi cha-
touilleux, que le mariage , la reue-
rence duquel empeſche maintes-
fois, qu’on ne manifeſte pluſieurs
deffaux , qu’on eſt bien contrainct
de tenir ſous le pied , & ſi ne laiſ-
ſent pourtant à bleſſer bien outra-
geuſement. Ainſi qu’on peut veoir
alors qu’Æmil ( au rapport qu’en
fait Plutarque, en ſa vie ) repudia ſa
femme , laquelle il confeſſoit eſtre
fort ſage & honeſte , & de maiſon
fort noble, & de laquelle il auoit
pluſieurs beaux enfans : & lors que
les parens de la femme s’en plaigni-
E v
La Forest
rent à luy, voulans ſçauoir la cauſequi le demouuoit de l’amitié coniu-
gale, qu’il deuoit porter à ſa femme,
il leur monſtra ſon ſoulier, qui eſtoit
beau & bien fait, mais qu’il n’y auoit
que luy, qui ſentit l’endroit, où il le
bleſſoit. Si n’appellẽt-ils point adul-
tere, ſinon celuy, qui entretiẽt chez
ſoy, la femme d’autruy. Article que
beaucoup deſireroyent eſtre gardé
en noſtre France, pour s’expẽter du
crime, où ils s’engagẽt chez autruy.
Les Goths & les Sueſſes.
Chap. IX.
DE prime abordée ie ſçay, que
pluſieurs m’attacheront de
ce qu’il ſemble , que ie veuille meſ-
ler & cõfondre ces deux nations par
enſemble. Ie ne ſuis pas à apprẽdre,
que jadis ce n’eſtoit qu’vn peuple,
& n’auoyẽt qu’vn Seigneur, enclos
dãs vn meſme royaume: & que cõ-
me ſouuẽt il aduiẽt quelques inimi-
tiez ſe ſont engẽdrées entre'eux, &
ce que chacun de ces deux peuples
vouloit auoir ſon Prince à part. Et ſi
pour cela ie ne laiſſe a demeurer
d’accord que les Sueſſiẽs ont acquis
plus de bruit en leur pays & és lieux
voiſins, au lieu q̃ la gloire des Goths
s’eſt eſtẽduë plus loing & a obtenu
plus grand renõ, és guerres lointai-
nes. Mais ſi faudra il qu’õ me paſſe
ceſt article, que depuis ils ſe ſont r’e-
joints en vn, ſi bien qu’ils ſont ſous
l’obeïſsãce d’vn ſeul Seigñr, & quãt
eſt du preſent ſujet, on ne peut nier,
que ces deux peuples ne ſe rappor-
tent tout à vn meſme poinct. Et à fin
que ie n’ẽ parle point en clerc d’ar-
mes, ou qu’õ me rebroüe, parce que
ie n’aurois moy-meſmes veu ce que
ie pretés alleguer, ie ne veux emplo-
yer que ce qu’Olae le grãd nous en
apprend, au 5. chap. du 14. liure de
ſon hiſtoire. Voicy la ſubſtãce de ce
qu’il en a eſcrit. C’eſt la couſtume
du cõmũ populaire, entre les Goths,
& Sueſſes, quant il eſt queſtion de
nopçage , d’vſer de pluſieurs cere-
moyẽs, ordres & teſmoignages, ſur
tout à ce qu'elles demeurẽt fermes
& indiſſolubles, ſans qu'õ face au-
cune voye au diuorce , quoy que
Maria-
ges cõme
ſont me-
nez entre
les Goths
et Sueſſes.
permis par la loy. Car les parẽs de la
fille quõ pourchaſſe à femme, s'en-
quierẽt diligẽmẽt de quelle race eſt
celuy qui aſpire au mariage, que eſt
ſon eſtat, quelle ſa qualité, & renom-
mée , & comme il a accouſtumé ſe
gouuerner, & principalemẽt s'il eſt
extraict de lict honeſte , & de iuſte
& legitime accouplement, d'autant
que cõme nous dirõs par apres, les
baſtards ſont là fort mal venus. A-
pres, s'il le treuuent accõpaigné de
toutes les parties qu'ils recognoiſsẽt
aſſortables, pour celle, pour laquelle
les fers ſont mis au feu, en preſence
de deux teſmoins, attouchãs à la fil-
le, tant du coſté paternel que du ma-
ternel , le pere preſente ſa fille au
pourſuiuant, qui eſt là preſent, ſous
ces paroles. Ie te dõne ma fille pour
hõneur, & a femme pour la moytié
du lit, pour les portes, pour les clefs
cheuãce, tãt en biẽs meubles qu'en
immeubles, & le totage de ce que la
haute Sueſſe tient de S. Ery, & que
S. Ery a donné. Au nom du Pere, du
Fils, & du S. Eſprit Amen. Tels ac-
cords tiennent, & ne chome on pas
lõg temps, qu'on ne viẽne à l'accõ-
pliſſement du mariage, auec telles
ſolẽnitez, que les parẽs d'vn coſté &
d'autre, s'aſſemblent à iour nommé,
pour faire hõneur aux mariés, ſelon
l'vs & couſtume du pays , le plus
magnifiquement que faire ſe peut.
On les vous meine à l'Egliſe, où , les
cierges empraints ; on vous meine
l'eſpouſe couronnée d'vne benedi-
ctiõ Sacerdotale, puis deuãt le grãd
Autel on la met coſté à coſté de ſon
eſpoux, là où derechef on les sõme
de dire, ſi de bõ cœur & frãche vo-
lõté, ils s'allient par enſemble, & s'ils
ont enuie de viure & mourir en vn
tel eſtat , & quãd ils aſſeurent, on ra-
tiſie le tout par l'agneau qu'on met
au doigt de l'eſpouſée & le reſte des
ceremonies de la benediction Nu-
l'esaſſiſtans tournans le dos ſe frap-
pent à coups de poings , à fin de ſe
reſſouuenir d'vn tel & ſe ſolennel
acte, tout ainſi qu'en la creatiõ d'vn
Cheualier. Ceux qui ſe treuuẽt aux
nopçes n'y vont point les bras dé-
garnis, ains y fõt tous les plus beaux
Preſens
faits aux
nopçes des
Goths &
Sueſſes.
preſens qu'ils peuuẽt, comme che-
uaux, bœufs, brebis, licts, draps, &
fruicts, à fin que ces liberalitez ſer-
uent pour dõner entrée à leur meſ-
nage nouueau. Particulierement,
toutesfois vſe-on de ceſte ceremo-
nie, de donner vn cheual, vn bœuf,
& vne coignée , à celle fin que les
nouueaux mariez ſçachent qu'ils
ſont appellez à vn eſtat qui les ſe-
mond à trauailler , & pource leur
ſont donnez les outils & inſtru-
mens , ne reſte qu'à les faire ſeruir.
Olae le grand , ameine bien vne
autre raiſon, & dict, que c'eſt pour
les aduertir, qu'ils s'aſſocient à tous
trauaux & dangers, de ſorte qu'en-
tre eux , doiue demeurer vn meſ-
me vouloir , & non vouloir , iuſ-
y faict voye, ou la mort , vienne à
couper le fil d'vne telle vnion. Tout
cela eſt bien veritable , mais ſans
tirer les cheueux à la choſe meſme,
eſt impoſſible qu'on puiſſe faire
ſymboliſer à propos , en ce ſens le
ſigne & la choſe ſignifiée. Mais
auant qu'vn ieune homme ( com-
me i'ay dict ) peut cheuir d'vn ma-
riage, il auoit beaucoup a demeſler,
d'autãt qu'outre l'enqueſte ſus mẽ-
tionnée, le beau-pere taſchoit par
tous moyens, à luy dõner ſous main
des trauerſes, pour eſprouuer ſa pa-
tiẽce, ayãs ceſte maxime, que qui ne
ſçait biẽ obeïr, & endurer , ne ſçau-
roit biẽ cõmander. De faict le meſ-
me Autheur au 5. chap. du 15. liure
de la meſme hiſtoire, nous apprend
Gendres
eſprouues
par les
beaux-
peres.
que la couſtume eſt entre ces peu-
ples, que les beau-peres prouoquẽt
au ieu d'eſchets leurs futures gen-
dres, comme ils ſont tres bien ad-
uertis que ceſt vn ieu où la porte eſt
eſbaillée à ceux , qui trop indiſcrets
laſcheront la bride à leurs folles
tion des
baſtards
fort miſe-
rable en-
tre les
Goths &
Sueſſes.
paſsions mais la ſcrupuloſité qu'ils
font des baſtards ſemble vn peu
faſcheuſe d'autant qu'encores que
les loix ne les mettent au rang des
legitimes , ſi ne ſont elles poinct ſi,
rigoureuſes que de les forclore
& forbannir de la compagnie des
autres, voire114 le mariage du legitime
auec le baſtard n'eſt point expreſſé-
ment inhibé & deffẽdu. La raisõ eſt
que le mariage quant à la conſom-
mation tient plus du naturel que du
ciuil. Or que le baſtard doiue quel-
que choſe au legitime pour le natu-
rel on ne me le fera point confeſſer
ſi on ne vouloit luy faire perdre ſa
qualité de naturel qui lui a eſté bail-
lée, maintenuë & gardee par nos
loix. Si bien qu'il n'y a que ceſte diſ-
cretion que le droit ciuil a tres iu-
ſtement introduict des mariages a-
uec les accouplemens defendus re-
prouués & non loiſibles, qui faict
que ceux qui ſont procreés hors
mariage ne participent aux droicts,
priuileges & prerogatiues , dont
les legitimes ont eſté gratifiés.
tierement deſpitée cõtre les baſtards
qu'elle ne les ait fauoriſé de plu-
ſieurs graces ne pourront dire ſinõ
ceux la qui ou de gayeté de cœur ſe
voudront bander contre la verité
ou qui, pour rabotter leur ignorãce
& beſtiſſe ſeront renuoyés aux Hi-
ſtoires qui leur apprendront qu'il y
a eu pluſieurs baſtards qui maintes-
fois ont fait de choſes bonnes, di-
gnes & louables, voire115 q̃ par fois ont
fait honte aux legitimes. Ie ne vous
mettray point en ieu hercules, d'au-
tãt que le liſeur pourra s'il luy plaiſt
auoir recours au cent trentehuitieſ-
me embleme du Docte Alicat , ny
moins Themiſtocles, Aenée, Theſee
Romulus, Alexandre le grand &
pluſieurs autres celebres par les an-
ciens, en paſſant ie ne vous veux
parler que de quelques vns preſque
de noſtre aage. Vous auez eu ce
Conſtantin le grand fils de l'Empe-
reur Conſtantius & de S. Heleine.
Ne fut il pas, qui trãſporta l'Empire
en Cõſtantinople & remit au deſſus
Chriſtianiſme? Que dirons nous de
ceſt indomté Guillaume Baſtard de
Normandie, lequel ( comme entre
autres a tresbien remarqué le Coſ-
mographe Theuet, en ſon hiſtoire
des hommes illuſtres ) conquit ſur
Erald & autres qui le voulurẽt trou-
bler, l'eſtat de ſon pays d'Angleter-
re, où il exploicta telles proüeſſes
que ſi ceux qui luy ſont les moins
affectionnés, ne ſe mettoient à le
louanger, ie feroie aucunement cõ-
ſciẽce de croire ce qu'õ cõte de luy.
Il faut bien que l'Angleterre reuere
grandemẽt ſa memoire qu'encores
auiourd'huy elle garde, reuere &
honore les loix qu'il y eſtablit. D'où
eſt ce qu'on extrait ce valeureux ca-
pitaine Caſtruccio Caſtracagne? ie
ne me veux formaliſer ſur la tige des
Antimellenes, d'où on luy veut dõ-
ner racine, ſi ſçais ie bien auoir leu
qu'il fut eſleué premierement &
nourri par vn chanoine de l'Egliſe
S. Michel à Luques nommé meſſer
Anthoine Caſtracaigne. L'Italie a el-
libre ait fait des choſes plus eſmer-
ueillables qu'a faict Caſtruccio ? Les
Luquois ne peurent empeſcher
qu'il ne les ſeigneuria. Les Piſans pa-
reillemẽt le choiſirẽt pour leur Prin
ce. Bref targué de l'õbre de l'Em-
pereur Frederic deuxieſme, qu'au-
cuns, pour la meureté de l'aage qui
battoit ſur Conſtance , ſa mere, ne
font pas plus legitime que Caſtruc-
cio, il nagea ſi bien en eau trouble,
que parmy les garbuges116 des Guel-
phes & Gibelins il trouua moien de
ſe percher aux degrés les plus e-
minens de toute l'Italie. Mettray
ie icy en rang Pierre Lombard &
ſes deux freres Pierre Comeſter
& Gratien, tous trois illegitimes
qui ont reſuſcité pour la plus grand
part la Theologie. Où eſt ce Bapti-
ſte Mantuan, qui tout Carme qu'il
eſtoit a ſceu ſi haut entonner ſa mu-
ſette que ſes mal-veillans, ſont con-
traints de priſer la dexterité & ex-
cellence d'eſprit cachee ſous les re-
plis d'vne robbe autrement mal-
mais117, qu'eſt-il de beſoin de m'eſten-
dre d'auantage ſur ce diſcours, puis
que, pour accoſter les Goths ſi de-
licats ie puis leur mettre en teſte vn
des leurs , qui , illegitime à neant-
moins faict eſclater par les principa-
les parties de l'vniuers le bruict &
excellence du nom Gottique ? C'eſt
ce Theodoris , lequel eſt tant cele-
bre pour ſes glorieux faits d'armes
principalement pour auoir fait teſte
à ce fleau de l'vniuers Attile.
pluſieurs m’attacheront de
ce qu’il ſemble , que ie veuille meſ-
ler & cõfondre ces deux nations par
enſemble. Ie ne ſuis pas à apprẽdre,
que jadis ce n’eſtoit qu’vn peuple,
& n’auoyẽt qu’vn Seigneur, enclos
dãs vn meſme royaume: & que cõ-
me ſouuẽt il aduiẽt quelques inimi-
tiez ſe ſont engẽdrées entre'eux, &
54
Nvptiale.
y a des partialitez quelquesfois, parce que chacun de ces deux peuples
vouloit auoir ſon Prince à part. Et ſi
pour cela ie ne laiſſe a demeurer
d’accord que les Sueſſiẽs ont acquis
plus de bruit en leur pays & és lieux
voiſins, au lieu q̃ la gloire des Goths
s’eſt eſtẽduë plus loing & a obtenu
plus grand renõ, és guerres lointai-
nes. Mais ſi faudra il qu’õ me paſſe
ceſt article, que depuis ils ſe ſont r’e-
joints en vn, ſi bien qu’ils ſont ſous
l’obeïſsãce d’vn ſeul Seigñr, & quãt
eſt du preſent ſujet, on ne peut nier,
que ces deux peuples ne ſe rappor-
tent tout à vn meſme poinct. Et à fin
que ie n’ẽ parle point en clerc d’ar-
mes, ou qu’õ me rebroüe, parce que
ie n’aurois moy-meſmes veu ce que
ie pretés alleguer, ie ne veux emplo-
yer que ce qu’Olae le grãd nous en
apprend, au 5. chap. du 14. liure de
ſon hiſtoire. Voicy la ſubſtãce de ce
qu’il en a eſcrit. C’eſt la couſtume
du cõmũ populaire, entre les Goths,
& Sueſſes, quant il eſt queſtion de
nopçage , d’vſer de pluſieurs cere-
E vj
La Forest
monies , rafraiſchies en diuers tẽps,moyẽs, ordres & teſmoignages, ſur
tout à ce qu'elles demeurẽt fermes
& indiſſolubles, ſans qu'õ face au-
cune voye au diuorce , quoy que
Maria-
ges cõme
ſont me-
nez entre
les Goths
et Sueſſes.
permis par la loy. Car les parẽs de la
fille quõ pourchaſſe à femme, s'en-
quierẽt diligẽmẽt de quelle race eſt
celuy qui aſpire au mariage, que eſt
ſon eſtat, quelle ſa qualité, & renom-
mée , & comme il a accouſtumé ſe
gouuerner, & principalemẽt s'il eſt
extraict de lict honeſte , & de iuſte
& legitime accouplement, d'autant
que cõme nous dirõs par apres, les
baſtards ſont là fort mal venus. A-
pres, s'il le treuuent accõpaigné de
toutes les parties qu'ils recognoiſsẽt
aſſortables, pour celle, pour laquelle
les fers ſont mis au feu, en preſence
de deux teſmoins, attouchãs à la fil-
le, tant du coſté paternel que du ma-
ternel , le pere preſente ſa fille au
pourſuiuant, qui eſt là preſent, ſous
ces paroles. Ie te dõne ma fille pour
hõneur, & a femme pour la moytié
du lit, pour les portes, pour les clefs
55
Nvptiale.
& pour poſſeder les tiers de voſtrecheuãce, tãt en biẽs meubles qu'en
immeubles, & le totage de ce que la
haute Sueſſe tient de S. Ery, & que
S. Ery a donné. Au nom du Pere, du
Fils, & du S. Eſprit Amen. Tels ac-
cords tiennent, & ne chome on pas
lõg temps, qu'on ne viẽne à l'accõ-
pliſſement du mariage, auec telles
ſolẽnitez, que les parẽs d'vn coſté &
d'autre, s'aſſemblent à iour nommé,
pour faire hõneur aux mariés, ſelon
l'vs & couſtume du pays , le plus
magnifiquement que faire ſe peut.
On les vous meine à l'Egliſe, où , les
cierges empraints ; on vous meine
l'eſpouſe couronnée d'vne benedi-
ctiõ Sacerdotale, puis deuãt le grãd
Autel on la met coſté à coſté de ſon
eſpoux, là où derechef on les sõme
de dire, ſi de bõ cœur & frãche vo-
lõté, ils s'allient par enſemble, & s'ils
ont enuie de viure & mourir en vn
tel eſtat , & quãd ils aſſeurent, on ra-
tiſie le tout par l'agneau qu'on met
au doigt de l'eſpouſée & le reſte des
ceremonies de la benediction Nu-
La Forest
ptiale. Et alors qu'õ met ceſt aneaul'esaſſiſtans tournans le dos ſe frap-
pent à coups de poings , à fin de ſe
reſſouuenir d'vn tel & ſe ſolennel
acte, tout ainſi qu'en la creatiõ d'vn
Cheualier. Ceux qui ſe treuuẽt aux
nopçes n'y vont point les bras dé-
garnis, ains y fõt tous les plus beaux
Preſens
faits aux
nopçes des
Goths &
Sueſſes.
preſens qu'ils peuuẽt, comme che-
uaux, bœufs, brebis, licts, draps, &
fruicts, à fin que ces liberalitez ſer-
uent pour dõner entrée à leur meſ-
nage nouueau. Particulierement,
toutesfois vſe-on de ceſte ceremo-
nie, de donner vn cheual, vn bœuf,
& vne coignée , à celle fin que les
nouueaux mariez ſçachent qu'ils
ſont appellez à vn eſtat qui les ſe-
mond à trauailler , & pource leur
ſont donnez les outils & inſtru-
mens , ne reſte qu'à les faire ſeruir.
Olae le grand , ameine bien vne
autre raiſon, & dict, que c'eſt pour
les aduertir, qu'ils s'aſſocient à tous
trauaux & dangers, de ſorte qu'en-
tre eux , doiue demeurer vn meſ-
me vouloir , & non vouloir , iuſ-
56
Nvptiale.
ques à ce que le diuorce, ſi la Loyy faict voye, ou la mort , vienne à
couper le fil d'vne telle vnion. Tout
cela eſt bien veritable , mais ſans
tirer les cheueux à la choſe meſme,
eſt impoſſible qu'on puiſſe faire
ſymboliſer à propos , en ce ſens le
ſigne & la choſe ſignifiée. Mais
auant qu'vn ieune homme ( com-
me i'ay dict ) peut cheuir d'vn ma-
riage, il auoit beaucoup a demeſler,
d'autãt qu'outre l'enqueſte ſus mẽ-
tionnée, le beau-pere taſchoit par
tous moyens, à luy dõner ſous main
des trauerſes, pour eſprouuer ſa pa-
tiẽce, ayãs ceſte maxime, que qui ne
ſçait biẽ obeïr, & endurer , ne ſçau-
roit biẽ cõmander. De faict le meſ-
me Autheur au 5. chap. du 15. liure
de la meſme hiſtoire, nous apprend
Gendres
eſprouues
par les
beaux-
peres.
que la couſtume eſt entre ces peu-
ples, que les beau-peres prouoquẽt
au ieu d'eſchets leurs futures gen-
dres, comme ils ſont tres bien ad-
uertis que ceſt vn ieu où la porte eſt
eſbaillée à ceux , qui trop indiſcrets
laſcheront la bride à leurs folles
La Forest
La condition des
baſtards
fort miſe-
rable en-
tre les
Goths &
Sueſſes.
paſsions mais la ſcrupuloſité qu'ils
font des baſtards ſemble vn peu
faſcheuſe d'autant qu'encores que
les loix ne les mettent au rang des
legitimes , ſi ne ſont elles poinct ſi,
rigoureuſes que de les forclore
& forbannir de la compagnie des
autres, voire114 le mariage du legitime
auec le baſtard n'eſt point expreſſé-
ment inhibé & deffẽdu. La raisõ eſt
que le mariage quant à la conſom-
mation tient plus du naturel que du
ciuil. Or que le baſtard doiue quel-
que choſe au legitime pour le natu-
rel on ne me le fera point confeſſer
ſi on ne vouloit luy faire perdre ſa
qualité de naturel qui lui a eſté bail-
lée, maintenuë & gardee par nos
loix. Si bien qu'il n'y a que ceſte diſ-
cretion que le droit ciuil a tres iu-
ſtement introduict des mariages a-
uec les accouplemens defendus re-
prouués & non loiſibles, qui faict
que ceux qui ſont procreés hors
mariage ne participent aux droicts,
priuileges & prerogatiues , dont
les legitimes ont eſté gratifiés.
57
Nvptiale.
Mais au reſte que nature ſe ſoit en-tierement deſpitée cõtre les baſtards
qu'elle ne les ait fauoriſé de plu-
ſieurs graces ne pourront dire ſinõ
ceux la qui ou de gayeté de cœur ſe
voudront bander contre la verité
ou qui, pour rabotter leur ignorãce
& beſtiſſe ſeront renuoyés aux Hi-
ſtoires qui leur apprendront qu'il y
a eu pluſieurs baſtards qui maintes-
fois ont fait de choſes bonnes, di-
gnes & louables, voire115 q̃ par fois ont
fait honte aux legitimes. Ie ne vous
mettray point en ieu hercules, d'au-
tãt que le liſeur pourra s'il luy plaiſt
auoir recours au cent trentehuitieſ-
me embleme du Docte Alicat , ny
moins Themiſtocles, Aenée, Theſee
Romulus, Alexandre le grand &
pluſieurs autres celebres par les an-
ciens, en paſſant ie ne vous veux
parler que de quelques vns preſque
de noſtre aage. Vous auez eu ce
Conſtantin le grand fils de l'Empe-
reur Conſtantius & de S. Heleine.
Ne fut il pas, qui trãſporta l'Empire
en Cõſtantinople & remit au deſſus
La Forest
pluſieurs belles ordonnãces pour leChriſtianiſme? Que dirons nous de
ceſt indomté Guillaume Baſtard de
Normandie, lequel ( comme entre
autres a tresbien remarqué le Coſ-
mographe Theuet, en ſon hiſtoire
des hommes illuſtres ) conquit ſur
Erald & autres qui le voulurẽt trou-
bler, l'eſtat de ſon pays d'Angleter-
re, où il exploicta telles proüeſſes
que ſi ceux qui luy ſont les moins
affectionnés, ne ſe mettoient à le
louanger, ie feroie aucunement cõ-
ſciẽce de croire ce qu'õ cõte de luy.
Il faut bien que l'Angleterre reuere
grandemẽt ſa memoire qu'encores
auiourd'huy elle garde, reuere &
honore les loix qu'il y eſtablit. D'où
eſt ce qu'on extrait ce valeureux ca-
pitaine Caſtruccio Caſtracagne? ie
ne me veux formaliſer ſur la tige des
Antimellenes, d'où on luy veut dõ-
ner racine, ſi ſçais ie bien auoir leu
qu'il fut eſleué premierement &
nourri par vn chanoine de l'Egliſe
S. Michel à Luques nommé meſſer
Anthoine Caſtracaigne. L'Italie a el-
58
Nvptiale.
le enfanté Capitaine qui de ſon qualibre ait fait des choſes plus eſmer-
ueillables qu'a faict Caſtruccio ? Les
Luquois ne peurent empeſcher
qu'il ne les ſeigneuria. Les Piſans pa-
reillemẽt le choiſirẽt pour leur Prin
ce. Bref targué de l'õbre de l'Em-
pereur Frederic deuxieſme, qu'au-
cuns, pour la meureté de l'aage qui
battoit ſur Conſtance , ſa mere, ne
font pas plus legitime que Caſtruc-
cio, il nagea ſi bien en eau trouble,
que parmy les garbuges116 des Guel-
phes & Gibelins il trouua moien de
ſe percher aux degrés les plus e-
minens de toute l'Italie. Mettray
ie icy en rang Pierre Lombard &
ſes deux freres Pierre Comeſter
& Gratien, tous trois illegitimes
qui ont reſuſcité pour la plus grand
part la Theologie. Où eſt ce Bapti-
ſte Mantuan, qui tout Carme qu'il
eſtoit a ſceu ſi haut entonner ſa mu-
ſette que ſes mal-veillans, ſont con-
traints de priſer la dexterité & ex-
cellence d'eſprit cachee ſous les re-
plis d'vne robbe autrement mal-
La Forest
veuë pour la legitimation. Voyremais117, qu'eſt-il de beſoin de m'eſten-
dre d'auantage ſur ce diſcours, puis
que, pour accoſter les Goths ſi de-
licats ie puis leur mettre en teſte vn
des leurs , qui , illegitime à neant-
moins faict eſclater par les principa-
les parties de l'vniuers le bruict &
excellence du nom Gottique ? C'eſt
ce Theodoris , lequel eſt tant cele-
bre pour ſes glorieux faits d'armes
principalement pour auoir fait teſte
à ce fleau de l'vniuers Attile.
Les Laponienes.
Chap. X.
COmme ce peuple eſt fort ab-
beſti d'idolatrie,auſſi leurs ma
riages ſont embroüillez d'vne be-
ſtiſe vraymẽt Laponique, à laquel-
le i'entẽds faire alluſion, puis que ie
treuue, que les Germains appellent
Lappons ceux qui ne ſont ou ne di-
ſent rien à propos comme nous di-
ſons gens ſots & niais & qui ſont
ment Olaus le grand nous apprend
Ceremo-
nies des
mariages
des Lapo-
niens.
qu'ils ſe gouuernent en leurs maria-
ges. Ils font prendre alliance (dit-il)
par mariage à leurs enfans en la pre-
ſence de leurs parens alliés & amis,
& ce par le battement du fer con-
tre vn caillou: car les mariages ſont
plus heureuſement & a propos par
le feu & le caillou que par aucun
autre ſigne. Voire118 que les Chre-
ſtiens Septentrionaux & qui ſont
tenus pour les mieux ciuiliſés ne
parlent iamais de nopçes ſans feu.
Pour-ce chaſque des eſpouſés &
eſpouſes, ſelon ſon eſtat & qualité
allans eſpouſer à l'Egliſe faict por-
ter deuant ſoy des beaux cièrges
attintés , mirolés & parés de
grands bandeaux de ſoye, leſquels
ils offrent au preſtres auec de fort
riches dons & preſens, mais les por-
teurs de cierges s'entre pillẽt, à qui
pourra emporter ces bandeaux de
ſoye. En apres les femmes apres leur
releuee, vont remercier Dieu, ayant
de meſmes des cierges allumés. Or
defaire il faut encores adiouſter que
outre le feu ainſi porté, comme dict
eſt ſuiuant la couſtume du pays, l'eſ-
pouſee, ſelon la grandeur de ſa mai-
ſon & nobleſſe de ſes parens, eſt re-
ueſtuë de belles martes ſubbellines119,
& miſe ſur vn Rangifere apriuoiſé,
Reſiouiſ
ſance es
noçes des
Commin
gesoiſe.
entouree de parẽs & amys, leſquels
en chantant & danſant, la condui-
ſent iuſqu'aux tentes de ſon mary
ou iuſqu'au lict. De meſmes que le
S. de Belleforeſt au quarante troi-
ſieſme chapitre du troiſieſme liure
de l'Hiſtoire vniuerſelle eſcrit auoir
obſerué en Comminge ce qui ſe fait
preſque par toute la Gaſcoigne que
vne fille eſtant mariée , le iour des
nopces on aſſemble vne troupe de
filles les mieux chantants qu'ils ap-
pellent Douzelles, leſquelles, com-
me on conduit l'eſpouſee à l'Egliſe,
vont loin deuant elle en cheueux &
auec des guirlandes ſur la teſte deux
à deux, ou trois à trois chantant vn
long Epithalame à la loüange du
Sainct mariage & ſur l'inſtitution
la langue du pays.
Qui veut dire q̃ qui benit l'eſpouſée
donne loüange à Ieſus Chriſt, & en
ceſt equipage la meinent & ramei-
nent au ſacre. Eſtans de retour auant
que l'eſpouſee entre en la maisõ ces
Douzelles chantent ces deux vers.
Qui ſignifie, iettes feues & four-
ment, car l'eſpouſée eſt dedans: ce
qui eſt fait par ceux, qui ſont demeu
rés exprés pour ceſte ceremonie:
l'inſtitutiõ de laquelle a eſté des lõg
temps portant ſignification d'abon-
dance & richeſſe par l'eſpanchemẽt
du bled & de fertilité en lignee par
les feues, auſquelles les ſages Grecs
auroient attribué ceſte ſignifiance,
entant que Pythagore pour ce reſ-
pect, deffendoit l'vſage d'icelles à
beſti d'idolatrie,auſſi leurs ma
riages ſont embroüillez d'vne be-
ſtiſe vraymẽt Laponique, à laquel-
le i'entẽds faire alluſion, puis que ie
treuue, que les Germains appellent
Lappons ceux qui ne ſont ou ne di-
ſent rien à propos comme nous di-
ſons gens ſots & niais & qui ſont
59
Nvptiale.
groſsiers d'entendement. Voici cõ-ment Olaus le grand nous apprend
Ceremo-
nies des
mariages
des Lapo-
niens.
qu'ils ſe gouuernent en leurs maria-
ges. Ils font prendre alliance (dit-il)
par mariage à leurs enfans en la pre-
ſence de leurs parens alliés & amis,
& ce par le battement du fer con-
tre vn caillou: car les mariages ſont
plus heureuſement & a propos par
le feu & le caillou que par aucun
autre ſigne. Voire118 que les Chre-
ſtiens Septentrionaux & qui ſont
tenus pour les mieux ciuiliſés ne
parlent iamais de nopçes ſans feu.
Pour-ce chaſque des eſpouſés &
eſpouſes, ſelon ſon eſtat & qualité
allans eſpouſer à l'Egliſe faict por-
ter deuant ſoy des beaux cièrges
attintés , mirolés & parés de
grands bandeaux de ſoye, leſquels
ils offrent au preſtres auec de fort
riches dons & preſens, mais les por-
teurs de cierges s'entre pillẽt, à qui
pourra emporter ces bandeaux de
ſoye. En apres les femmes apres leur
releuee, vont remercier Dieu, ayant
de meſmes des cierges allumés. Or
La Forest
quant au Lappons & leur manieredefaire il faut encores adiouſter que
outre le feu ainſi porté, comme dict
eſt ſuiuant la couſtume du pays, l'eſ-
pouſee, ſelon la grandeur de ſa mai-
ſon & nobleſſe de ſes parens, eſt re-
ueſtuë de belles martes ſubbellines119,
& miſe ſur vn Rangifere apriuoiſé,
Reſiouiſ
ſance es
noçes des
Commin
gesoiſe.
entouree de parẽs & amys, leſquels
en chantant & danſant, la condui-
ſent iuſqu'aux tentes de ſon mary
ou iuſqu'au lict. De meſmes que le
S. de Belleforeſt au quarante troi-
ſieſme chapitre du troiſieſme liure
de l'Hiſtoire vniuerſelle eſcrit auoir
obſerué en Comminge ce qui ſe fait
preſque par toute la Gaſcoigne que
vne fille eſtant mariée , le iour des
nopces on aſſemble vne troupe de
filles les mieux chantants qu'ils ap-
pellent Douzelles, leſquelles, com-
me on conduit l'eſpouſee à l'Egliſe,
vont loin deuant elle en cheueux &
auec des guirlandes ſur la teſte deux
à deux, ou trois à trois chantant vn
long Epithalame à la loüange du
Sainct mariage & ſur l'inſtitution
6120
Nvptiale.
d'iceluy, le refrein duquel eſt tel enla langue du pays.
Qui la Nobie benaſsis,
Benaſis à Ieſus Chriſt.
donne loüange à Ieſus Chriſt, & en
ceſt equipage la meinent & ramei-
nent au ſacre. Eſtans de retour auant
que l'eſpouſee entre en la maisõ ces
Douzelles chantent ces deux vers.
Geſtas hauez & fourment,
Que la nobie eſt de ſens.
ment, car l'eſpouſée eſt dedans: ce
qui eſt fait par ceux, qui ſont demeu
rés exprés pour ceſte ceremonie:
l'inſtitutiõ de laquelle a eſté des lõg
temps portant ſignification d'abon-
dance & richeſſe par l'eſpanchemẽt
du bled & de fertilité en lignee par
les feues, auſquelles les ſages Grecs
auroient attribué ceſte ſignifiance,
entant que Pythagore pour ce reſ-
pect, deffendoit l'vſage d'icelles à
Habille
mens des
Laponiẽs
mens des
Laponiẽs
ſes diſciples. Mais de ceci no9 ne lair-
rõs diſcourir pour reuenir vers nos
Lapponiens pour les habiller auſſi
mary veſtu de peaux de Loup cer-
uier, va & marche auec vne grauité
& grace, pareille à celle d'vn Sena-
teur ou magnifique de Venize, & re-
ſentant celle modeſtie, qui eſt deuë
en vn myſtere ſi ſaint que celuy, au-
quel eſt permiſe la couche ſans ma-
cule pour l'accroiſſement de l'hu-
Maria-
ges des
Laponiẽs
auec le
feu & le
caillou.
main lignage. Sur telles ceremonies
pluſieurs ont prins plaiſir de ſubtili-
ſer & principalement ſur ce qu'ils
ne repuroient les mariages heu-
reux ſans le feu & le caillou , mais
penſent que ce ſoit vn myſtere pro-
pre à cela. Car tout ainſi que le cail-
lou a le feu caché dedãs ſoy , lequel
eſtincelle quand on le frappe: auſſi
en tous les deux ſexes il y a vne vie
cachée laquelle finalement eſt pro-
duite en auant par mutuelle coniõ-
cition en lignee viuante. Les autres
ont mythologiſé ſur ce que le feu e-
ſtoit tenu pour l'vn des principes de
toutes choſes, mais ils ne regardent
pas premierement que le feu ſans
l'eau n'eſt point tenu pour principe
ſophes tiennẽt, que le feu et le plus
contraire à la generation, pour-ce
qu'il eſt fort actif & deuore l'hu-
meur. Ce n'eſt pas, que ie n'aye leu,
qu'il produit certains animaux. Car
Mou-
ches vi-
uans par
my le feu
en Chipre és forges & fourneaux de
Bronze, qui y ſont cõmuns on voit
au milieu du feu vne eſpece de groſ
ſes mouches, leſquelles ( ainſi que
Pline a mis pareſcrit au trẽteſixieme
chapitre de l'vnzieſme liure de ſon
Hiſtoire naturel) ont quatre pieds &
volẽt parmy le feu:leſquelles à cau-
ſe de ce ſont appellees Pyrales , Py-
rauſtes ou Pyrotles. Car Pyrauſte en
Ariſtote eſt prins pour vn ver; qui
gaſte les rayons de miel autant que
feroit vne araigne. Qui plus eſt pẽ-
dant que le feu eſt au fourneau &
qu'elles ſont dans le feu elles ſe por-
tent bien, mais ſi d'aduenture elles
ſortent de la fournaiſe, & qu'elles
prennẽt l'air vn peu loin, elles meu-
rent ſoudain. Voions ſi ceux là s'eſ-
loingnẽt point trop de ce qui eſt vray
ſemblable, leſquels rapportent ce-
qui a cicatriſé le cœur des Laponiẽs,
adorans le feu. Qu'il n'y ait de l'ap-
parence on ne ſçauroit le nier , attẽ-
du que, comme ils reueroiẽt le ma-
riage, auſſi ont ils voulu luy aſſigner
ce qui eſtoit entre eux tenu pour le
plus digne & excellent & qu'ils a-
doroient, ainſi que le Chaldeens,
les Perſes , les Senſuz qui ſont les
moynes en Tartarie , dont ils ſont
fort mal voulus par les Bachſi121, en-
cores que veritablemẽt les Tartares
reſpectent trop ſuperſtitieuſement
le feu,ainſi que nous monſtrons, au
chapitre deſtiné à la Tartarie. Ie ne
ſçay où c'eſt que l'Autheur du badi-
nage Laponique a voulu au lieu de
caillous faire croire, que ces Lapo-
niens ſe ſeruent d'vn certain bois:
il eſt biẽ le premier qui a voulu im-
poſer cellà a ces ruſtaux, mais c'eſt
qu'il taſche de leur approprier ce
qu'on trouuera que le Seigneur de
Lery au dixhuitieſme chapitre de sõ
hiſtoire de l'Amerique attribue aux
ſauuages. Et qu'ainſi ne ſoit voicy
traitant de la police des ſauuages ie
rõs diſcourir pour reuenir vers nos
Lapponiens pour les habiller auſſi
La Forest
bien que les femmes. Doncques lemary veſtu de peaux de Loup cer-
uier, va & marche auec vne grauité
& grace, pareille à celle d'vn Sena-
teur ou magnifique de Venize, & re-
ſentant celle modeſtie, qui eſt deuë
en vn myſtere ſi ſaint que celuy, au-
quel eſt permiſe la couche ſans ma-
cule pour l'accroiſſement de l'hu-
Maria-
ges des
Laponiẽs
auec le
feu & le
caillou.
main lignage. Sur telles ceremonies
pluſieurs ont prins plaiſir de ſubtili-
ſer & principalement ſur ce qu'ils
ne repuroient les mariages heu-
reux ſans le feu & le caillou , mais
penſent que ce ſoit vn myſtere pro-
pre à cela. Car tout ainſi que le cail-
lou a le feu caché dedãs ſoy , lequel
eſtincelle quand on le frappe: auſſi
en tous les deux ſexes il y a vne vie
cachée laquelle finalement eſt pro-
duite en auant par mutuelle coniõ-
cition en lignee viuante. Les autres
ont mythologiſé ſur ce que le feu e-
ſtoit tenu pour l'vn des principes de
toutes choſes, mais ils ne regardent
pas premierement que le feu ſans
l'eau n'eſt point tenu pour principe
ayant
61
Nvptiale.
ayant efficace. En apres les Philo-ſophes tiennẽt, que le feu et le plus
contraire à la generation, pour-ce
qu'il eſt fort actif & deuore l'hu-
meur. Ce n'eſt pas, que ie n'aye leu,
qu'il produit certains animaux. Car
Mou-
ches vi-
uans par
my le feu
en Chipre és forges & fourneaux de
Bronze, qui y ſont cõmuns on voit
au milieu du feu vne eſpece de groſ
ſes mouches, leſquelles ( ainſi que
Pline a mis pareſcrit au trẽteſixieme
chapitre de l'vnzieſme liure de ſon
Hiſtoire naturel) ont quatre pieds &
volẽt parmy le feu:leſquelles à cau-
ſe de ce ſont appellees Pyrales , Py-
rauſtes ou Pyrotles. Car Pyrauſte en
Ariſtote eſt prins pour vn ver; qui
gaſte les rayons de miel autant que
feroit vne araigne. Qui plus eſt pẽ-
dant que le feu eſt au fourneau &
qu'elles ſont dans le feu elles ſe por-
tent bien, mais ſi d'aduenture elles
ſortent de la fournaiſe, & qu'elles
prennẽt l'air vn peu loin, elles meu-
rent ſoudain. Voions ſi ceux là s'eſ-
loingnẽt point trop de ce qui eſt vray
ſemblable, leſquels rapportent ce-
F
La Forest
ſte ceremonie du feu à l'Idolatrie,qui a cicatriſé le cœur des Laponiẽs,
adorans le feu. Qu'il n'y ait de l'ap-
parence on ne ſçauroit le nier , attẽ-
du que, comme ils reueroiẽt le ma-
riage, auſſi ont ils voulu luy aſſigner
ce qui eſtoit entre eux tenu pour le
plus digne & excellent & qu'ils a-
doroient, ainſi que le Chaldeens,
les Perſes , les Senſuz qui ſont les
moynes en Tartarie , dont ils ſont
fort mal voulus par les Bachſi121, en-
cores que veritablemẽt les Tartares
reſpectent trop ſuperſtitieuſement
le feu,ainſi que nous monſtrons, au
chapitre deſtiné à la Tartarie. Ie ne
ſçay où c'eſt que l'Autheur du badi-
nage Laponique a voulu au lieu de
caillous faire croire, que ces Lapo-
niens ſe ſeruent d'vn certain bois:
il eſt biẽ le premier qui a voulu im-
poſer cellà a ces ruſtaux, mais c'eſt
qu'il taſche de leur approprier ce
qu'on trouuera que le Seigneur de
Lery au dixhuitieſme chapitre de sõ
hiſtoire de l'Amerique attribue aux
ſauuages. Et qu'ainſi ne ſoit voicy
62
Nvptiale.
ces propres mots. Mais puis qu'entraitant de la police des ſauuages ie
Eſtrange
façon de
faire du
feu.
façon de
faire du
feu.
ſuis tombé à parler du feu,lequel ils
appellent Tata & la fumee Tatalin,
ie veux auſſi declarer l'inuẽtion gẽ-
tile & incogneuë par deça qu'ils ont
d'en faire. D'autãt donques que ay-
mans fort le feu ils ne demeurent
gueres en vn lieu, sãs en auoir, prin-
cipalement la nuict qu'ils craignent
merueilleuſement d'eſtre ſurpris
d'Aygnam, c'eſt à dire du malin eſ-
prit, lequel (comme i'ay dit ailleurs)
les bat & les tourmente ſouuẽt, ſoit
qu'ils ſoyent par les bois à la chaſſe,
ou ſur le bord des eaux à la peſche
ou ailleurs par les champs: au lieu
que nous nous ſeruons à cela de la
pierre & dy fuſil dont ils ignorent
l'vſage , ayans en recõpenſe en leur
pays de deux certaines ſortes de
bois, dont l'vn eſt preſque auſſi ten-
dre que s'il eſtoit pourry , & l'autre
au contraire auſſi dure que celuy,
dont nos cuiſiniers font des lardoi-
res, quand ils veulẽt allumer du feu,
ils les accommodent de ceſte ſorte.
primé & rendu auſſi pointu qu'vn
fuſeau par l'vn des bouts vn baſton
de ce dernier, de la longueur d'en-
uiron vn pied, plãtent ceſte pointe
au milieu d'vne piece de l'autre, que
i'ay dit eſtre fort tendre laquelle ils
couchent tout à plat contre terre,
ou la tiennent ſur vn tronc ou groſ-
ſe buſche en façon de potenſe ren-
uerſée : tournant puis apres ce ba-
ſton ſoudainement entre les deux
paumes de leurs mains , comme
s'ils vouloyent forcer & percer la
piece de deſſoubs de part en part,
il aduient que de ceſte roide agita-
tion de ces deux bois , qui ſont
ainſi comme entrefichez l'vn dans
l'autre , il ſort non ſeulement de
la fumee, mais auſſi vne telle cha-
leur, que ayans du cotton ou des
feuilles d'arbres bien ſeches, toutes
preſtes ( ainſi qu'il faut auoir parde-
ça, le drappeau bruſlé ou amorce
aupres du fuſil ) le feu s'y em-
prend ſi bien , que ceux , qui m'en
voudront croire, en auoir fait moy
les Laponiens vſent de ceſte fa-
çon de faire du feu c'eſt prendre
plaiſir de iouër au deuiner. Au re-
ſte ces Laponiens ſont frappés de
la maladie Zelotypique, à laquel-
le ils ne peuuent bonnement re-
medier , eſtans contraincts, s'ils
veulent morfier122, aller à la chaſſe &
faire leurs beſongnes & cependant
ie me recommande , s'il y a mot
Laponiẽs
ialoux et
non à
tort.
donné, ſi les femmes ne treuuent
pas des furons qui viennent furer
leurs connils en leurs garennes. Et
y a bien d'auantage, que quãd meſ-
mes elles vont aux champs, elles ne
laiſſent point de iouër au branſle à
la renuerſe, d'autant que leurs ma-
ris n'oſeroyent les mener auec eux,
& ſont ſi tres-ſuperſtitieux ſots &
abrutis, qu'ils reputent vn grand
peché entre eux, ſi vne femme ſort
hors du tabernacle ou pauillon par
la porte par laquelle ſon mary ſera
ſorty ce iour là pour aller à la chaſſe.
appellent Tata & la fumee Tatalin,
ie veux auſſi declarer l'inuẽtion gẽ-
tile & incogneuë par deça qu'ils ont
d'en faire. D'autãt donques que ay-
mans fort le feu ils ne demeurent
gueres en vn lieu, sãs en auoir, prin-
cipalement la nuict qu'ils craignent
merueilleuſement d'eſtre ſurpris
d'Aygnam, c'eſt à dire du malin eſ-
prit, lequel (comme i'ay dit ailleurs)
les bat & les tourmente ſouuẽt, ſoit
qu'ils ſoyent par les bois à la chaſſe,
ou ſur le bord des eaux à la peſche
ou ailleurs par les champs: au lieu
que nous nous ſeruons à cela de la
pierre & dy fuſil dont ils ignorent
l'vſage , ayans en recõpenſe en leur
pays de deux certaines ſortes de
bois, dont l'vn eſt preſque auſſi ten-
dre que s'il eſtoit pourry , & l'autre
au contraire auſſi dure que celuy,
dont nos cuiſiniers font des lardoi-
res, quand ils veulẽt allumer du feu,
ils les accommodent de ceſte ſorte.
F ij
La Forest
Premierement apres qu'ils ont ap-primé & rendu auſſi pointu qu'vn
fuſeau par l'vn des bouts vn baſton
de ce dernier, de la longueur d'en-
uiron vn pied, plãtent ceſte pointe
au milieu d'vne piece de l'autre, que
i'ay dit eſtre fort tendre laquelle ils
couchent tout à plat contre terre,
ou la tiennent ſur vn tronc ou groſ-
ſe buſche en façon de potenſe ren-
uerſée : tournant puis apres ce ba-
ſton ſoudainement entre les deux
paumes de leurs mains , comme
s'ils vouloyent forcer & percer la
piece de deſſoubs de part en part,
il aduient que de ceſte roide agita-
tion de ces deux bois , qui ſont
ainſi comme entrefichez l'vn dans
l'autre , il ſort non ſeulement de
la fumee, mais auſſi vne telle cha-
leur, que ayans du cotton ou des
feuilles d'arbres bien ſeches, toutes
preſtes ( ainſi qu'il faut auoir parde-
ça, le drappeau bruſlé ou amorce
aupres du fuſil ) le feu s'y em-
prend ſi bien , que ceux , qui m'en
voudront croire, en auoir fait moy
63
Nvptiale.
meſmes de ceſte façõ. De dire queles Laponiens vſent de ceſte fa-
çon de faire du feu c'eſt prendre
plaiſir de iouër au deuiner. Au re-
ſte ces Laponiens ſont frappés de
la maladie Zelotypique, à laquel-
le ils ne peuuent bonnement re-
medier , eſtans contraincts, s'ils
veulent morfier122, aller à la chaſſe &
faire leurs beſongnes & cependant
ie me recommande , s'il y a mot
Laponiẽs
ialoux et
non à
tort.
donné, ſi les femmes ne treuuent
pas des furons qui viennent furer
leurs connils en leurs garennes. Et
y a bien d'auantage, que quãd meſ-
mes elles vont aux champs, elles ne
laiſſent point de iouër au branſle à
la renuerſe, d'autant que leurs ma-
ris n'oſeroyent les mener auec eux,
& ſont ſi tres-ſuperſtitieux ſots &
abrutis, qu'ils reputent vn grand
peché entre eux, ſi vne femme ſort
hors du tabernacle ou pauillon par
la porte par laquelle ſon mary ſera
ſorty ce iour là pour aller à la chaſſe.
F iij
La Forest
Les Arabes,
Chap. XI.
CEs peuples, quoy qu'au reſte
ſoyent fort adroicts pour les
Arabes
grands
larrons.
armes, ſont ſi accouſtumez qu lar-
cin, qu'eux-meſmes ne peuuent ſe
garder de piller & voler ceux qu'ils
hebergent, mais c'eſt auec vne gail-
lardiſe telle que naturellement on
les iuges nés à la pinſe. Ils viuoyent
autresfois par familles , & en com-
munauté de biens , entre ceux de la
famille , mais auiourd'huy ils ſont
Plurali-
té de
leurs fẽ-
mes et de
la puni-
tion de
l'adulte-
re.
deparcelez. Ils eſpouſent pluſieurs
femmes , auſſi-bien que les Turcs,
& neantmoins puniſſent pluſtoſt vn
qui commettra adultere contre leur
ſang, que celuy, qui ſera ſi abomina-
ble, que s'accoupler auec les maſles
ou auec les beſtes: veu que ce ſont
leurs vices plus communs, qu'ils ap-
pellent Melea, comme s'ils vouloient
dire choſe plaiſante & delectable.
Aucuns eſcriuent, que les inceſtes
biẽ que ce peuple Arabe s'accouple
auec leurs meres, & ſœurs. Ce qui
ſemblera eſtrãge à ceux qui ont ap-
prins de Strabon,au ſeizieſme liure,
que les Arabes nabathées ſont con-
tinens,ſobres, & ſans aucune lubri-
cité. Si faut-il, ou que Strabon ait
eſté mal aduerty, ou que les Arabes
ayent changé de mœurs, d'autãt que
ceux, qui nous les ont nouuellemẽt
hiſtoriez, les nous repreſentẽt pour
Habits
des Da-
mes Ara-
beſques.
eſtre beaucoup diſſolus. Leurs fem-
mes vont aſſez bien veſtuës,ſuiuant
la façon & mode du pays,ayãs pour
habit les chemiſes noires,à grandes
& larges manches, ſur leſquelles el-
les ont & portent comme vn drap
& linceul, de meſme couleur, ou de
blued Turquin, & de cecy s'enuelo-
pent elles ſi gentiment, que pliſſé &
repliſſé, elles le viennẽt ioindre ſur
les eſpaules , & l'attachent auec des
agraffes d'argent , faictes fort genti-
ment : aux oreilles ont des bagues
d'argẽt, & aux doigts auſſi, & ſe cei-
gnent les jambes de petits cercles
cores des torets de nez, ou pluſtoſt
des maſques de toile , où n'y a ou-
uerture que pour les yeux, voire123
que Tertullian au liure de Virg. Vel.
aſſeure qu'elles ne regardent que
d'vn œil , de peur de ne mettre les
hommes en tentation, tant la pudi-
cite leur eſt agreable : Des que ces
Arabeſques voyent vn homme, qui
ne ſoit de leur parenté, elles ſe cou-
urent le viſage, & ne luy parleroient
pour choſe du mõde:mais ſi ce ſont
leurs parens ou marys , elles tiẽnent
la face deſcouuerte. Les Arabes al-
Arabes
comme
marchent
par païs.
lans de lieu a autre (ſuiuãt qu'ils ſont
vagabonds ) conduiſent honeſte-
ment leurs femmes , aſſiſes ſur des
Chameaux , & en certaines ſelles
couuertes de quelques tapis à fin
que le chaud ne les offenſe , & ſont
ces ſelles faictes de telle ſorte, qu'il
n'y peut rien tenir qu'vne femme:
lors meſme qu'ils vont à la guerre,
où le propre iour de la bataille, ils
ont auec eux leurs femmes, pour les
encourager durant le combat, & les
der, pour leur deffenſe, ou pluſtoſt,
parce que leur ſeule preſence les ſe-
mond à faire quelque acte valeu-
reux, pour leur donner impreſſion
de ceſte generoſité , qu'ils veulent
bien que ces femmes croyent eſtre
en leurs marys, de meſmes que vous
voyez, que , pour faire eſuertuer
vn coq, à la iouſte, on a de couſtu-
me de luy mettre aupres ſes pou-
les. Ces femmes , auant que d'aller
vers leurs marys, ou le iour des no-
Arabes
peintes.
pçes , ou en vn autre ſaiſon, pour
coucher auec eux, ſe peignent la fa-
ce, le ſein, les bras & les mains, auec
certaine couleur azuree, leur eſtant
bien aduis que c'eſt choſe bien gẽ-
tile d'eſtre ainſi peintes & enlumi-
nées: & tiennẽt ceſte couſtume des
premiers Arabes, qui jadis entrerent
en Afrique, qui l'apprindrẽt des A-
fricains, bien qu'à preſent les cyto-
yens des villes de Barbarie, qui ſont
naturels du pays , n'imitẽt point ce-
ſte façon de faire , ains leurs Dames
ayment de ſe maintenir en la blan-
vray qu'elles ont certaine ancre ou
peinture , faicte de fumée de noix
de Galle , & de ſafran , auec laquelle
elles ſe peignent les joües , en ron-
deur , & les ſourcils en forme d'vn
triangle, & ſe mettent ſur le menton
quelque choſe, qui reſſemble vne
feuille d'Oliuier , laquelle eſtant
loüée par les vers des Poëtes Ara-
bes (dont il y a grãde foiſon) en leurs
chanſons amoureuſes, il n'y a grand
perſonnage Africain qui n'en veuil-
le porter, par gallantiſe. Et eſt à no-
ter, que ces femmes n'oſeroyẽt por-
ter, que deux ou trois iours ce fard,
ny paroiſtre deuant leurs parens, en
ceſt équipage , à cauſe que cela ſent
ſa courtiſane, ſeulement en donnẽt
la veuë & le plaiſir à leurs marys,
pour les mettre en ruts, & les reſueil-
ler au meſtier : car ce ſont les fem-
mes du monde, qui deſirent plus le
maſle, & leur eſt bien aduis,que par
ce moyen elles donnent luſtre &
accroiſſement à leur beauté. La mi-
ſere des Arabes eſt ſi grande que
de donner leur enfans, pour gaiges,
aux Siciliens,à fin d'auoir viures : &
ſi au temps prefix du payement ils
ne ſatisfont aux marchans, faut que
leurs fils demeurent eſclaues toute
leur vie , ſi ce n'eſt que le pere , les
racheptant , paye triple vſure , de la
ſomme premiere.
ſoyent fort adroicts pour les
Arabes
grands
larrons.
armes, ſont ſi accouſtumez qu lar-
cin, qu'eux-meſmes ne peuuent ſe
garder de piller & voler ceux qu'ils
hebergent, mais c'eſt auec vne gail-
lardiſe telle que naturellement on
les iuges nés à la pinſe. Ils viuoyent
autresfois par familles , & en com-
munauté de biens , entre ceux de la
famille , mais auiourd'huy ils ſont
Plurali-
té de
leurs fẽ-
mes et de
la puni-
tion de
l'adulte-
re.
deparcelez. Ils eſpouſent pluſieurs
femmes , auſſi-bien que les Turcs,
& neantmoins puniſſent pluſtoſt vn
qui commettra adultere contre leur
ſang, que celuy, qui ſera ſi abomina-
ble, que s'accoupler auec les maſles
ou auec les beſtes: veu que ce ſont
leurs vices plus communs, qu'ils ap-
pellent Melea, comme s'ils vouloient
dire choſe plaiſante & delectable.
Aucuns eſcriuent, que les inceſtes
64
Nvptiale.
parmy eux, ſont hors de ſcrupule,ſibiẽ que ce peuple Arabe s'accouple
auec leurs meres, & ſœurs. Ce qui
ſemblera eſtrãge à ceux qui ont ap-
prins de Strabon,au ſeizieſme liure,
que les Arabes nabathées ſont con-
tinens,ſobres, & ſans aucune lubri-
cité. Si faut-il, ou que Strabon ait
eſté mal aduerty, ou que les Arabes
ayent changé de mœurs, d'autãt que
ceux, qui nous les ont nouuellemẽt
hiſtoriez, les nous repreſentẽt pour
Habits
des Da-
mes Ara-
beſques.
eſtre beaucoup diſſolus. Leurs fem-
mes vont aſſez bien veſtuës,ſuiuant
la façon & mode du pays,ayãs pour
habit les chemiſes noires,à grandes
& larges manches, ſur leſquelles el-
les ont & portent comme vn drap
& linceul, de meſme couleur, ou de
blued Turquin, & de cecy s'enuelo-
pent elles ſi gentiment, que pliſſé &
repliſſé, elles le viennẽt ioindre ſur
les eſpaules , & l'attachent auec des
agraffes d'argent , faictes fort genti-
ment : aux oreilles ont des bagues
d'argẽt, & aux doigts auſſi, & ſe cei-
gnent les jambes de petits cercles
F iiij
La Forest
de meſme eſtoffe. Elles portent en-cores des torets de nez, ou pluſtoſt
des maſques de toile , où n'y a ou-
uerture que pour les yeux, voire123
que Tertullian au liure de Virg. Vel.
aſſeure qu'elles ne regardent que
d'vn œil , de peur de ne mettre les
hommes en tentation, tant la pudi-
cite leur eſt agreable : Des que ces
Arabeſques voyent vn homme, qui
ne ſoit de leur parenté, elles ſe cou-
urent le viſage, & ne luy parleroient
pour choſe du mõde:mais ſi ce ſont
leurs parens ou marys , elles tiẽnent
la face deſcouuerte. Les Arabes al-
Arabes
comme
marchent
par païs.
lans de lieu a autre (ſuiuãt qu'ils ſont
vagabonds ) conduiſent honeſte-
ment leurs femmes , aſſiſes ſur des
Chameaux , & en certaines ſelles
couuertes de quelques tapis à fin
que le chaud ne les offenſe , & ſont
ces ſelles faictes de telle ſorte, qu'il
n'y peut rien tenir qu'vne femme:
lors meſme qu'ils vont à la guerre,
où le propre iour de la bataille, ils
ont auec eux leurs femmes, pour les
encourager durant le combat, & les
65
Nvptiale.
aiguillõner, à ne craindre ſe hazar-der, pour leur deffenſe, ou pluſtoſt,
parce que leur ſeule preſence les ſe-
mond à faire quelque acte valeu-
reux, pour leur donner impreſſion
de ceſte generoſité , qu'ils veulent
bien que ces femmes croyent eſtre
en leurs marys, de meſmes que vous
voyez, que , pour faire eſuertuer
vn coq, à la iouſte, on a de couſtu-
me de luy mettre aupres ſes pou-
les. Ces femmes , auant que d'aller
vers leurs marys, ou le iour des no-
Arabes
peintes.
pçes , ou en vn autre ſaiſon, pour
coucher auec eux, ſe peignent la fa-
ce, le ſein, les bras & les mains, auec
certaine couleur azuree, leur eſtant
bien aduis que c'eſt choſe bien gẽ-
tile d'eſtre ainſi peintes & enlumi-
nées: & tiennẽt ceſte couſtume des
premiers Arabes, qui jadis entrerent
en Afrique, qui l'apprindrẽt des A-
fricains, bien qu'à preſent les cyto-
yens des villes de Barbarie, qui ſont
naturels du pays , n'imitẽt point ce-
ſte façon de faire , ains leurs Dames
ayment de ſe maintenir en la blan-
F v
La Forest
cheur, qui leur eſt naturelle. Il eſtvray qu'elles ont certaine ancre ou
peinture , faicte de fumée de noix
de Galle , & de ſafran , auec laquelle
elles ſe peignent les joües , en ron-
deur , & les ſourcils en forme d'vn
triangle, & ſe mettent ſur le menton
quelque choſe, qui reſſemble vne
feuille d'Oliuier , laquelle eſtant
loüée par les vers des Poëtes Ara-
bes (dont il y a grãde foiſon) en leurs
chanſons amoureuſes, il n'y a grand
perſonnage Africain qui n'en veuil-
le porter, par gallantiſe. Et eſt à no-
ter, que ces femmes n'oſeroyẽt por-
ter, que deux ou trois iours ce fard,
ny paroiſtre deuant leurs parens, en
ceſt équipage , à cauſe que cela ſent
ſa courtiſane, ſeulement en donnẽt
la veuë & le plaiſir à leurs marys,
pour les mettre en ruts, & les reſueil-
ler au meſtier : car ce ſont les fem-
mes du monde, qui deſirent plus le
maſle, & leur eſt bien aduis,que par
ce moyen elles donnent luſtre &
accroiſſement à leur beauté. La mi-
ſere des Arabes eſt ſi grande que
66
Nvptiale.
pour leur nourriture ſont cõtraintsde donner leur enfans, pour gaiges,
aux Siciliens,à fin d'auoir viures : &
ſi au temps prefix du payement ils
ne ſatisfont aux marchans, faut que
leurs fils demeurent eſclaues toute
leur vie , ſi ce n'eſt que le pere , les
racheptant , paye triple vſure , de la
ſomme premiere.
Les Senegheens124.
Chap. XII.
I'Euſſe bien pris la generalité des
Nigrites,pour tout d'vn coup &
en vn bloc, emmonceler mais ce cõ-
cerne leurs mariages, mais ce faiſant
ie me mettrois à l'hazard d'eſtre ai-
ſément battu d'vn d'eux , attendu
Terre
des Ne-
gres de
grande
eſtendue.
que la terre des Negres contient
ſous ſoy pluſieurs & diuerſes re-
giõs, telles que ſont Gualata, la Gui-
née, Nelli, Tombuts, Gago, Guber,
Ægadez, Cano, Caſena , Zegzeg,
Zanfara, Guangara, Borno, Gaoga,
Nubie125. De vouloir faire reueuë de
s'embaraſſer en vne trop grande
prolixité. D'ailleurs de vouloir ran-
ger tous ces peuples à meſmes loix
& ceremonies,matrimoniales, ſeroit
declarer ; qu'on n'a appris , qu'ils
eſtoyent plus brutaux les vns que
les autres,ſelon qu'ils eſtoyent plus
voiſins des Lybiens. Ioint que nous
trouuõs, qu'aucuns d'ẽtr'eux eſtoiẽt
ſi beſtiaux, qu'ils ne ſçauoyent preſ-
que ſemer du grain, pour leur viure,
viuans ſimplemẽt de chairs & poiſ-
ſons, & vſans des femmes , ſans rei-
gle,ny loy de mariage, chacun s'ac-
couplant auec la premiere, qui luy
venoit en main : car paiſſans leurs
beſtes , ils habitoyent hommes &
femmes, en meſmes logettes , & e-
ſtoit leur giſte par terre , & ſur des
peaux de leurs beſtes. Les Azanag-
Sottiſe
des Aza
naghaz.
hez ( qui ſe tiennent entre le Pro-
montoire de Cap Blanc & le fleu-
ue de Senega) ſont ſi nyais, que mã-
geans ils ſe couurent & cachent le
viſage, eſtimans , que ce ſoit vne ſa-
leté, auſſi grande, de mettre la vian-
bas. Leurs femmes ſont eſtimées les
plus belles , comme plus grandes
ſont leurs mãmelles, de ſorte qu'el-
les ont autant de peine à ſe les agrã-
dir, que nos mignonnes par de ça à
ſe les endurcir , & faire ſeparées l'v-
ne de l'autre, pour complaire plus,
que pour neceſſité naturelle. Don-
ques nos Senegheens, comme ils
font les principaux du pays , & de
tant plus renommez, que la violen-
ce & roideur du fleuue Senega a
vogue, ont eſté icy choiſis pour pa-
Seneg-
heens cõ-
me ve-
ſtus.
rangon du reſte des Negrites. Pour
la pluſpart, ils vont tout nuds , ſauf
qu'ils portẽt vne piece de cuir, faite
comme des brayes , pour couurir
leurs parties honteuſes:mais les ſei-
gneurs , & ceux , qui ont quelque
moyen, portẽt des chemiſes de cot-
ton, lequel croiſt abondamment en
leur terre. Quant aux femmes & fil-
les, elles vont toutes nuës, depuis la
ceinture en ſus , mais au bas elles
ont des pieces de ce cotton , com-
me des linceux, quelles s'entortillẽt
iuſques à demy-jambe, allans & hõ-
mes & femmes , tous pieds-nuds,
ne portans choſe quelconque en
leur teſte, ains treſsẽt leurs cheueux
fort gentiment, & les lient auec des
rubans, & hõmes & femmes. Quãt
aux hommes, ils font pluſieurs cho-,
ſes , qui ſont de l'office des fem-
mes entre nous , comme filer, & la-
uer les drapeaux, & elles cepẽdant,
viuẽt oiſeuſes, ſi ce n'eſt pour le fait
de leur meſnage, & viure ordinaire.
Mais ce n'eſt point (à mon aduis) le
principal lieu , où le bas les bleſſe:
car i'eſtime la ſeruitude de leur ma-
riage plus eſclaue & miſerable. De
fait, fait à noter que le Roy de Sene-
ga eſt ſi bas percé , que n'ayãt tribut
gabelle, ny taille, qu'il leue ſur ſon
peuple, eſt neceſſité de viure de
voles, & pilleries ſur les voiſins, les
prenant eſclaues , & leur faiſant la-
bourer les terres de ſon domaine,
le reſte il vend aux Azanaghez, &
aux Portugais , depuis qu'ils ont
commencé de traffiquer en ceſte
donnent des cheuaux en eſchange.
Nigrites,pour tout d'vn coup &
en vn bloc, emmonceler mais ce cõ-
cerne leurs mariages, mais ce faiſant
ie me mettrois à l'hazard d'eſtre ai-
ſément battu d'vn d'eux , attendu
Terre
des Ne-
gres de
grande
eſtendue.
que la terre des Negres contient
ſous ſoy pluſieurs & diuerſes re-
giõs, telles que ſont Gualata, la Gui-
née, Nelli, Tombuts, Gago, Guber,
Ægadez, Cano, Caſena , Zegzeg,
Zanfara, Guangara, Borno, Gaoga,
Nubie125. De vouloir faire reueuë de
F vj
La Forest
chacune de ces contrées , ce ſeroits'embaraſſer en vne trop grande
prolixité. D'ailleurs de vouloir ran-
ger tous ces peuples à meſmes loix
& ceremonies,matrimoniales, ſeroit
declarer ; qu'on n'a appris , qu'ils
eſtoyent plus brutaux les vns que
les autres,ſelon qu'ils eſtoyent plus
voiſins des Lybiens. Ioint que nous
trouuõs, qu'aucuns d'ẽtr'eux eſtoiẽt
ſi beſtiaux, qu'ils ne ſçauoyent preſ-
que ſemer du grain, pour leur viure,
viuans ſimplemẽt de chairs & poiſ-
ſons, & vſans des femmes , ſans rei-
gle,ny loy de mariage, chacun s'ac-
couplant auec la premiere, qui luy
venoit en main : car paiſſans leurs
beſtes , ils habitoyent hommes &
femmes, en meſmes logettes , & e-
ſtoit leur giſte par terre , & ſur des
peaux de leurs beſtes. Les Azanag-
Sottiſe
des Aza
naghaz.
hez ( qui ſe tiennent entre le Pro-
montoire de Cap Blanc & le fleu-
ue de Senega) ſont ſi nyais, que mã-
geans ils ſe couurent & cachent le
viſage, eſtimans , que ce ſoit vne ſa-
leté, auſſi grande, de mettre la vian-
67
Nvptiale.
de par deſſus , que la vuider par en-bas. Leurs femmes ſont eſtimées les
plus belles , comme plus grandes
ſont leurs mãmelles, de ſorte qu'el-
les ont autant de peine à ſe les agrã-
dir, que nos mignonnes par de ça à
ſe les endurcir , & faire ſeparées l'v-
ne de l'autre, pour complaire plus,
que pour neceſſité naturelle. Don-
ques nos Senegheens, comme ils
font les principaux du pays , & de
tant plus renommez, que la violen-
ce & roideur du fleuue Senega a
vogue, ont eſté icy choiſis pour pa-
Seneg-
heens cõ-
me ve-
ſtus.
rangon du reſte des Negrites. Pour
la pluſpart, ils vont tout nuds , ſauf
qu'ils portẽt vne piece de cuir, faite
comme des brayes , pour couurir
leurs parties honteuſes:mais les ſei-
gneurs , & ceux , qui ont quelque
moyen, portẽt des chemiſes de cot-
ton, lequel croiſt abondamment en
leur terre. Quant aux femmes & fil-
les, elles vont toutes nuës, depuis la
ceinture en ſus , mais au bas elles
ont des pieces de ce cotton , com-
me des linceux, quelles s'entortillẽt
La Forest
autour du corps, & qui leur pendẽtiuſques à demy-jambe, allans & hõ-
mes & femmes , tous pieds-nuds,
ne portans choſe quelconque en
leur teſte, ains treſsẽt leurs cheueux
fort gentiment, & les lient auec des
rubans, & hõmes & femmes. Quãt
aux hommes, ils font pluſieurs cho-,
ſes , qui ſont de l'office des fem-
mes entre nous , comme filer, & la-
uer les drapeaux, & elles cepẽdant,
viuẽt oiſeuſes, ſi ce n'eſt pour le fait
de leur meſnage, & viure ordinaire.
Mais ce n'eſt point (à mon aduis) le
principal lieu , où le bas les bleſſe:
car i'eſtime la ſeruitude de leur ma-
riage plus eſclaue & miſerable. De
fait, fait à noter que le Roy de Sene-
ga eſt ſi bas percé , que n'ayãt tribut
gabelle, ny taille, qu'il leue ſur ſon
peuple, eſt neceſſité de viure de
voles, & pilleries ſur les voiſins, les
prenant eſclaues , & leur faiſant la-
bourer les terres de ſon domaine,
le reſte il vend aux Azanaghez, &
aux Portugais , depuis qu'ils ont
commencé de traffiquer en ceſte
68
Nvptiale.
contrée , & aux Arabes , qui leurdonnent des cheuaux en eſchange.
Plura-
lité de
femmes
entre les
Seneg-
heens.
lité de
femmes
entre les
Seneg-
heens.
Ce Roy neantmoins , tout pauure,
pietre, trupelu126 & recreu de moyens
qu'il eſt , ne laiſſe à ſe vouloir don-
ner du bon temps , ſi tient tant de
femmes que bon luy ſemble , com-
me auſſi & les Seigneurs , & tous
les Senegheens, en peuuent auoir
autant que leur puiſſance s'eſtend
pour les nourrir : Le Roy les depart
en diuers Caſats ou villages , qui
ſont deputez pour l'entretenement
de leur train, en chacun y en ayant
huict ou dix , mais ſe tenans cha-
cune en ſon logis ſeparé, & ayans
certains nõbres d'eſclaues & fem-
mes captiues, pour les ſeruir, & la-
bourer les terres , aſſignées par le
Prince , pour la nourriture de ces
femmes , leſquelles , quand le Roy
les va veoir , ſont tenuës de le de-
frayer auec ſa ſuitte, chaſcune de
ces Dames luy enuoyant le matin
au leuer du Soleil , la viande toute
preſte , chair & poiſſon , dequoy
il ſe repaiſt. De ſorte que vous vo-
femmes, chaſcune à ſon tour , or
qu'il faut, que, pour recognoiſſance
de la peine , qu'il prend a planter
les cornes à leurs bons maris , elles
le deffrayent. Mais la miſere paſſe
bien plus outre, car des qu'vne eſt
enceinte, le Roy ne la touche plus,
& ainſi les pauures Senegheens
ſont chargez des enfans , qui ne
ſeront extraicts de leurs reins.
Cela eſt cauſe , que pour la mul-
titude de ces enfans , ils ſont con-
traincts de deſrober , & ſe rendre
eſclaues de leur propre volonté.
pietre, trupelu126 & recreu de moyens
qu'il eſt , ne laiſſe à ſe vouloir don-
ner du bon temps , ſi tient tant de
femmes que bon luy ſemble , com-
me auſſi & les Seigneurs , & tous
les Senegheens, en peuuent auoir
autant que leur puiſſance s'eſtend
pour les nourrir : Le Roy les depart
en diuers Caſats ou villages , qui
ſont deputez pour l'entretenement
de leur train, en chacun y en ayant
huict ou dix , mais ſe tenans cha-
cune en ſon logis ſeparé, & ayans
certains nõbres d'eſclaues & fem-
mes captiues, pour les ſeruir, & la-
bourer les terres , aſſignées par le
Prince , pour la nourriture de ces
femmes , leſquelles , quand le Roy
les va veoir , ſont tenuës de le de-
frayer auec ſa ſuitte, chaſcune de
ces Dames luy enuoyant le matin
au leuer du Soleil , la viande toute
preſte , chair & poiſſon , dequoy
il ſe repaiſt. De ſorte que vous vo-
La Forest
yez , que ce Roy ſert d'eſtalon à ſesfemmes, chaſcune à ſon tour , or
qu'il faut, que, pour recognoiſſance
de la peine , qu'il prend a planter
les cornes à leurs bons maris , elles
le deffrayent. Mais la miſere paſſe
bien plus outre, car des qu'vne eſt
enceinte, le Roy ne la touche plus,
& ainſi les pauures Senegheens
ſont chargez des enfans , qui ne
ſeront extraicts de leurs reins.
Cela eſt cauſe , que pour la mul-
titude de ces enfans , ils ſont con-
traincts de deſrober , & ſe rendre
eſclaues de leur propre volonté.
Seneg-
heennes
ſe dõnent
du bon
temps.
heennes
ſe dõnent
du bon
temps.
Comme i'ay dict , les Senegheen-
nes ont aſſez bon temps, auſſi ſont-
elle ioyeuſes , alegres & gaillar-
des , chantans & danſans fort vo-
lontiers, & ſur toutes celles qui ſont
ieunes , qui engendrent le moins
de melancolie qu'elles peuuent:
Elles ne danſent que la nuict à la
clarté de la Lune , n'ayans autre
ſorte d'inſtrumens que certains ta-
bourins , & des violons , n'ayans
que deux cordes , qu'ils ſonnent
les Senegheens ſoyent ſeuls , qui
participent d'vn des quartiers de
la Lune, ſoubs meſme tragedie
paſſent les Budomeliens leurs voi-
ſins , qui ſont par vſage couſtu-
miers de couler cela plus doux
que laict , encores que ce ſoyent
les plus vilains jaloux de la terre,
voire127 tellement outrez de ceſte
maladie , qu'ils ne permettront
que perſonne entre au lieu , où
ſe tiennent leurs femmes , le pe-
re meſmes , a deffiance de ſon fils
propre.
nes ont aſſez bon temps, auſſi ſont-
elle ioyeuſes , alegres & gaillar-
des , chantans & danſans fort vo-
lontiers, & ſur toutes celles qui ſont
ieunes , qui engendrent le moins
de melancolie qu'elles peuuent:
Elles ne danſent que la nuict à la
clarté de la Lune , n'ayans autre
ſorte d'inſtrumens que certains ta-
bourins , & des violons , n'ayans
que deux cordes , qu'ils ſonnent
69
Nvptiale.
des doigts. Ne penſez-pas queles Senegheens ſoyent ſeuls , qui
participent d'vn des quartiers de
la Lune, ſoubs meſme tragedie
paſſent les Budomeliens leurs voi-
ſins , qui ſont par vſage couſtu-
miers de couler cela plus doux
que laict , encores que ce ſoyent
les plus vilains jaloux de la terre,
voire127 tellement outrez de ceſte
maladie , qu'ils ne permettront
que perſonne entre au lieu , où
ſe tiennent leurs femmes , le pe-
re meſmes , a deffiance de ſon fils
propre.
Les Æthiopiens.
Chap. XIII.
IAdis les Æthiopiẽs eſtoiẽt ſi bru-
taux, que de ſe meſler indifferé-
mẽt cõme beſtes,auec leurs propres
meres, ſœurs, tantes, niepces, & cou-
ſines, ſans aucun reſpect de la reue-
Icy dõc rence deue à la conſanguinité: tou-
tes-fois , ſelon le r'apport de ceux
Æthiopiennes) tels inceſtueux & a-
bominables meſlanges ont eſté re-
tranchez d'entr'eux. Icy dõc ie n'ẽ
ay aduerty le liſeur, que celuy qui a
propoſé la deſcription d'Æthiopie,
raporte, qu'il trouua le lieu de Ba-
rua habité la plus grande partie de
femmes , qui ſont la plus-part fre-
quentez de courtiſannes du Prete-
Ian & de ceux qui ſont à la ſuitte du
Baruhas. En ces quartiers la poliga-
mie y eſt indifferemment ſuportée,ſi
bien que ceux, qui ſe ſentẽt dequoy
taux, que de ſe meſler indifferé-
mẽt cõme beſtes,auec leurs propres
meres, ſœurs, tantes, niepces, & cou-
ſines, ſans aucun reſpect de la reue-
Icy dõc rence deue à la conſanguinité: tou-
tes-fois , ſelon le r'apport de ceux
La Forest
qu'on tient auoir voyagé ces partiesÆthiopiennes) tels inceſtueux & a-
bominables meſlanges ont eſté re-
tranchez d'entr'eux. Icy dõc ie n'ẽ
ay aduerty le liſeur, que celuy qui a
propoſé la deſcription d'Æthiopie,
raporte, qu'il trouua le lieu de Ba-
rua habité la plus grande partie de
femmes , qui ſont la plus-part fre-
quentez de courtiſannes du Prete-
Ian & de ceux qui ſont à la ſuitte du
Baruhas. En ces quartiers la poliga-
mie y eſt indifferemment ſuportée,ſi
bien que ceux, qui ſe ſentẽt dequoy
Ceremo-
nies gar-
dez par
les Æ-
thiopiens
en leurs
maria-
ges.
nies gar-
dez par
les Æ-
thiopiens
en leurs
maria-
ges.
& ſont à leur gogue128, peuuent en
prendre & entretenir deux ou trois,
ſans qu'il leur ſoit deffendu par le
roy ny la iuſtice, ais trop bien par
la Cour d'Egliſe, tellement que tous
ceux qu'on ſçait en auoir plus d'vne
ne peuuent entrer dans l'Egliſe, qui
les tient pour excommuniés. En
ces pays il y a fort peu de tenuë aux
mariages , car ils ſe ſeparent pour
des occaſions fort legeres. Or les
ceremonies & ſolemnitez de la ce-
lebration du mariage qui ſe fait hors
ſont telles. On dreſſe vne couche
en vne court deuant la maiſon , &
ſus icelle faict on aſſeoir l'eſpous &
l'eſpouſe: trois Preſtres ſe viennent
ranger aupres d'eux, qui commẽcẽt
à entonner Alleluya, fort bruſque-
ment, & ainſi tournoyent trois fois
autour d'eux, puis coupẽt à l'eſpoux
vn toupon de cheueux ſur le ſom-
met de la teſte, & autant à l'eſpouſe
ſur vn meſme endroit, puis le trem-
pent dans du vin, de miel , mettans
ceux de l'eſpoux ſur le chef de l'eſ-
pouſe & ſur la teſte du mary ceux de
la nouuele mariée au meſme endroit
qui a eſté denué de cheueux. Cela
faict ils vous les arrouſent d'eau be-
nite à leur mode, & lors chaſcũ de-
mene feſte iuſques à la nuict, qu'on
accõpaigne les parties en leur mai-
ſon, où n'eſt permis à perſonne d'ẽ-
trer par l'eſpace d'vn mois , ſinon à
vn homme ſeul , qui eſt leur com-
pere, & s'en part incontinent que le
terme eſt expiré. Que ſi l'eſpouſe eſt
quelque femme de ſorte ou autho-
ſans ſortir de la maiſon, tenant or-
dinairement vn voile noir ſur le vi-
ſage, lequel elle ne peut laiſſer auãt
le terme de ſix mois, ſinon que plu-
ſtoſt elle ſe trouuaſt enceinte. Quãt
à la façon & ceremonie des eſpou-
ſailles, faites legitimement & en l'E-
gliſe n'y a pas grand difference &
ne s'accordent les ſolemnitez Lati-
nes & Romaines. On fait ſeoir l'eſ-
poux & l'eſpouſe ſus vne couche
poſee au deuant la porte principa-
le de l'Egliſe , au tour de ceſte cou-
che va l'Abuna129, qu'ils nomment Pa-
triarche, auec la Croix , & l'encens,
puis s'accoſtant d'eux leur met la
main ſur leur teſte, leur diſant , pre-
nez garde d'obſeruer diligemment
ce que Dieu commande par ſon E-
uangile, & croyés que vous n'eſtes
plus diuiſés,mais vnis conioincts, &
incorporés tous deux en vne chair.
A ceſte raiſon vous deuez eſtre do-
reſnauãt d'vn meſme cœur & vou-
loir. Ce que leur ayant remonſtré,ils
demeurent iuſques à la fin de la
prendre & entretenir deux ou trois,
ſans qu'il leur ſoit deffendu par le
roy ny la iuſtice, ais trop bien par
la Cour d'Egliſe, tellement que tous
ceux qu'on ſçait en auoir plus d'vne
ne peuuent entrer dans l'Egliſe, qui
les tient pour excommuniés. En
ces pays il y a fort peu de tenuë aux
mariages , car ils ſe ſeparent pour
des occaſions fort legeres. Or les
ceremonies & ſolemnitez de la ce-
lebration du mariage qui ſe fait hors
70
Nvptiale.
l'Egliſe & de ceux qui poligamient,ſont telles. On dreſſe vne couche
en vne court deuant la maiſon , &
ſus icelle faict on aſſeoir l'eſpous &
l'eſpouſe: trois Preſtres ſe viennent
ranger aupres d'eux, qui commẽcẽt
à entonner Alleluya, fort bruſque-
ment, & ainſi tournoyent trois fois
autour d'eux, puis coupẽt à l'eſpoux
vn toupon de cheueux ſur le ſom-
met de la teſte, & autant à l'eſpouſe
ſur vn meſme endroit, puis le trem-
pent dans du vin, de miel , mettans
ceux de l'eſpoux ſur le chef de l'eſ-
pouſe & ſur la teſte du mary ceux de
la nouuele mariée au meſme endroit
qui a eſté denué de cheueux. Cela
faict ils vous les arrouſent d'eau be-
nite à leur mode, & lors chaſcũ de-
mene feſte iuſques à la nuict, qu'on
accõpaigne les parties en leur mai-
ſon, où n'eſt permis à perſonne d'ẽ-
trer par l'eſpace d'vn mois , ſinon à
vn homme ſeul , qui eſt leur com-
pere, & s'en part incontinent que le
terme eſt expiré. Que ſi l'eſpouſe eſt
quelque femme de ſorte ou autho-
La Forest
rité elle demeure cinq ou ſix moysſans ſortir de la maiſon, tenant or-
dinairement vn voile noir ſur le vi-
ſage, lequel elle ne peut laiſſer auãt
le terme de ſix mois, ſinon que plu-
ſtoſt elle ſe trouuaſt enceinte. Quãt
à la façon & ceremonie des eſpou-
ſailles, faites legitimement & en l'E-
gliſe n'y a pas grand difference &
ne s'accordent les ſolemnitez Lati-
nes & Romaines. On fait ſeoir l'eſ-
poux & l'eſpouſe ſus vne couche
poſee au deuant la porte principa-
le de l'Egliſe , au tour de ceſte cou-
che va l'Abuna129, qu'ils nomment Pa-
triarche, auec la Croix , & l'encens,
puis s'accoſtant d'eux leur met la
main ſur leur teſte, leur diſant , pre-
nez garde d'obſeruer diligemment
ce que Dieu commande par ſon E-
uangile, & croyés que vous n'eſtes
plus diuiſés,mais vnis conioincts, &
incorporés tous deux en vne chair.
A ceſte raiſon vous deuez eſtre do-
reſnauãt d'vn meſme cœur & vou-
loir. Ce que leur ayant remonſtré,ils
demeurent iuſques à la fin de la
71
Nvptiale.
Diſſolu-
tion du
mariage
entre les
Æthio-
piens.
tion du
mariage
entre les
Æthio-
piens.
Meſſe. Or quand cecy ſe fait, les ma
riages ſont ſellees, clos, bouclés &
arreſtez par contracts, qui ſont tels,
que la femme abandonnant le ma-
ry & le mary la femme, ſont obligés
à certaine peine, ordonnee & dont
eſt conuenu entre les parties, qui l'é-
ſloignent ſelon qu'ils cognoiſſent la
qualité & portee des perſonnes, cõ-
me en telle ſomme d'or d'argent, tãt
de mulets vaches, cheures, draps ou
quelque meſure de forment. Et ſi
quelqu'vn ſe veut ſeparer il cerche
tous les moyens de le pouuoir faire
s'exemptant du pache & cõditiõ, en
payant telle amende. A cauſe de ce
ils ſe ſeparẽt pour cauſes fort friuo-
les , meſmes racompte on , que le
Prete-ian, ayant promis d'eſpouſer
la fille du Roy d'Adee , qui eſtoit
Maure, la refuſa, à cauſe qu'il trouua
quelle auoit trop grandes dents,
toutesfois pour cela il ne voulut la
renuoyer à ſon pere, parce qu'il l'a-
uoit deſia faict Chreſtienne , ains la
maria à vn grand Seigneur, de ſa
Cour, qui ne fut point degouſté de
des dẽts n'auoit pas peur qu'elle le
mordit. S'il y a d'entre eux aucuns
qui ſe maintiennent enſemble pai-
ſiblement & gardent inuiolablemẽt
l'ordre de mariage , ce ſont les
Preſtres, à cauſe que tout le moyen
d'en pouuoir ainſi vſer , leur eſt
oſté par l'expreſſe inhibition &
deffence de la loy. Les mariages
ſemblablement ſont fort aſſeurés,
fermes & ſtables entre les payſans,
qui ſont plus affectionnés à leurs
femmes , pour-autant que ſans el-
les ils demeureroyent acculees,
pour le plaiſir & contentement de
leur vie ruſticque. De faict el-
les leur aydent à nourrir leurs
enfans, garder le beſtail, recueillir
& nettoyer les grains, tellement que
ils ne les abandonnent iamais tan-
dis qu'ils viuent : & meſmes pour-
autant que, retournans à la maiſon,
ils trouuent tout leur meſnage
bien en ordre & ce qui eſt neceſſai-
re bien appreſté. Et pour-ce que
i'ay dict que par leurs contracts
pour eſclaircir ce poinct ie vous
en veux amener vn exemple du
Barnagas Dori, lequel ſe ſepara d'a-
uec ſa femme, a raiſon dequoy
il fut contrainct de payer cent on-
ces d'or, qui pourroient reuenir à
trois mil deux cents cinquante li-
ures, puis ſe ioignit auec vne autre,
& la repudiee eſpouſa vn gentil-
homme , appellé Aaron, frere de
ce Barnagas , dont tous deux eu-
rent des enfans. Et ne faut trou-
uer cecy eſtrange , car ils n'en
font que le ſert & meſtier, voire130
que telle eſt la couſtume du pays,
auquel on ne trouue pas mal faict
ſi le frere a la compaignie de la
femme de l'autre & l'eſpouſe,
pour autant ( dient-il ) que l'vn
ſuſcite la lignee de l'autre. Or en-
cores que i'aye deſtiné vn chapi-
tre particulier au mariage des
Preſtres , ſi ne ſera il pas meſ-
ſeant pour le deſcharger d'au-
tant de toucher icy vn mot
touchant le mariage des Preſtres,
uec vne ſeule femme obſeruans
trop mieux les loix de mariages que
ne font les gens lais: En quoy faisãt
Maria-
ge des
Preſtres
Æthio-
piens.
ils viuent iuſques au dernier ſouſpir
de leur vie en leur maiſon auec
leurs fẽmes & enfans. Leurs fẽmes,
mortes, ne leur eſt permis en blanc
ny en noir de conuoler à ſecondes
nopces , comme ſemblablement il
n'eſt loiſible aux femmes ſur-vi-
uantes d'eſpouſer autres marys,
mais bien de ſe rendre nonnains, ſi
bon leur ſemble. Que s'il aduenoit
que le Preſtre marié eut affaire &
compaignie auec vne autre femme,
l'entree de l'Egliſe luy ſeroit defen-
due , auec ce qu'il ne participeroit
au reuenu d'icelle , mais ſeroit tenu
au nombre des gens lais ſeulement.
Qu'ainſi ne ſoit appert parce qu'en
rapporte Dom Franciſque Aluaron
qu'il en a veu conuenir vn, & appel-
ler deuant le Patriarche, pour auoir
eſté trouué couché auec vne fem-
me: ce qu'il ne peut nier, & cõfeſſa
le delict en la preſence d'vn chaſ-
condamné à ne porter plus de croix
en main , de n'entrer en l'Egliſe &
reprendre l'eſtat ſeculiere. En outre
aduenant qu'vn preſtre vienne à ſe
coupler auec vne femme par maria-
ge il demeure entre les gens laids
comme il en print à Abuquer fils de
Cabeata, l'vn des grands Seigneurs
qu'on eut ſceu choiſir d'entre tous
les courtiſans, lequel aage de qua-
rante ans , apres de decés de ſa pre-
miere femme , rentra en ſeconde
nopces eſpouſant Romaine , or
que ſœur du Prete-ian , qui pour
quelque mouche , qui luy vint pic-
quer à la teſte , ſe ſepare d'auec vn
ieune. Siegneur qu'elle auoit pris
pour mary. Ceſt Abuquer eſtoit
Preſtre & d'auantage , grand Chap-
pellain du Prete-ian, en grande au-
thorité & reputation ayant laiſſé
eſcouler pluſieurs annees qu'il paſ-
ſa en ſon ſolitaire vefuage print
phantaiſie de ſe remarier. Pour-
ce l'Albuna Mars , le degrada, &
le relegua entre les laids. La plus
rangent de l'ordre paternel, à cauſe
Enfans
des Pre-
ſtres Æ-
thiopiẽs.
que ce n'eſt la couſtume en ces païs
là de tenir eſcoles, pour enſeigner à
lire ou eſcrire , pour-ce qu'il ne ſe
treuue perſonne, faiſant profeſſion
de telle vacation, ſi que les Preſtres
monſtrent ce peu qu'ils ſçauent à
leurs enfans qui par ce moyen ſe rẽ-
dent capables d'eſtre faicts Preſtres
par l'Abuna131, qui eſt ſeul en toute
l'Ethiopie, ſans aucun Eueſque ny
autre perſonne qui donne les or-
Punitiõ
de l'adul
tere en-
tre lés Æ
thiopiẽs.
dres aux Preſtres. Icy ie ne veux ou-
blier ce qui concerne la punition
de l'adultere, d'autant qu'il eſt fort
nouueau & eſtrange: de faict s'il y a
vne femme accuſee d'adultere , &
que le faict en ſoit aueré, cela ne va
deuant les iuges,ains en appartient
la vuidange au mary & aux parens,
qui ſe ſentent intereſſés par telle
faute en leur reputation & hon-
neur. N'eſt loiſible aux Æthiopiens
de s'accointer aux femmes eſtran-
geres, voire132 qu'il y en a, qui ont laiſſé
par eſcrit , que le Roy meſmes faut
le qu'il luy plaiſt choiſir,lequel n'en
a qu'vne non plus que les Preſtres
ſeculiers. C'eſt aux marys à donner
& eſtablir douaire à leurs femmes,
ſans qu'elles apportent autre cas
que leur corps, & vn bõ deſir de ſer-
Douaire
conſtitué
par les
mar is
aux E-
thiopien
nes.
uir & obeyr à ſon eſpoux : ce-qu'ils
leurs donnent ſont perles, aneaux,
chaiſnes , draps de ſoye & autres
meubles. Et en ce ils practiquent
la loy des Lacedemoniens, laquelle
reiettoit le dot, non ſans treſiuſte
occaſion: Car pour la plus-part ce
dot ſert d'amorce , pour faire ar-
pentir au mariage & par-ce moyen
faudra ou qu'il ſe rende ſerf & eſ-
claue de celle, à laquelle il doit cõ-
mander & comme dit Plaute, qu'il
vende ſa liberté pour vn dot & biẽs
periſſables , ou s'il eſt ſi leger, deſ-
loyal & meſcognoiſſant, que s'eſtãs
emparé des biens de ceſte femme il
la deſdaigne & meſpriſe, Dieu, ſçait
par quelles reproches il eſt pour-
mené.
riages ſont ſellees, clos, bouclés &
arreſtez par contracts, qui ſont tels,
que la femme abandonnant le ma-
ry & le mary la femme, ſont obligés
à certaine peine, ordonnee & dont
eſt conuenu entre les parties, qui l'é-
ſloignent ſelon qu'ils cognoiſſent la
qualité & portee des perſonnes, cõ-
me en telle ſomme d'or d'argent, tãt
de mulets vaches, cheures, draps ou
quelque meſure de forment. Et ſi
quelqu'vn ſe veut ſeparer il cerche
tous les moyens de le pouuoir faire
s'exemptant du pache & cõditiõ, en
payant telle amende. A cauſe de ce
ils ſe ſeparẽt pour cauſes fort friuo-
les , meſmes racompte on , que le
Prete-ian, ayant promis d'eſpouſer
la fille du Roy d'Adee , qui eſtoit
Maure, la refuſa, à cauſe qu'il trouua
quelle auoit trop grandes dents,
toutesfois pour cela il ne voulut la
renuoyer à ſon pere, parce qu'il l'a-
uoit deſia faict Chreſtienne , ains la
maria à vn grand Seigneur, de ſa
Cour, qui ne fut point degouſté de
La Forest
la prẽdre, & quoy qu'elle eut gran-des dẽts n'auoit pas peur qu'elle le
mordit. S'il y a d'entre eux aucuns
qui ſe maintiennent enſemble pai-
ſiblement & gardent inuiolablemẽt
l'ordre de mariage , ce ſont les
Preſtres, à cauſe que tout le moyen
d'en pouuoir ainſi vſer , leur eſt
oſté par l'expreſſe inhibition &
deffence de la loy. Les mariages
ſemblablement ſont fort aſſeurés,
fermes & ſtables entre les payſans,
qui ſont plus affectionnés à leurs
femmes , pour-autant que ſans el-
les ils demeureroyent acculees,
pour le plaiſir & contentement de
leur vie ruſticque. De faict el-
les leur aydent à nourrir leurs
enfans, garder le beſtail, recueillir
& nettoyer les grains, tellement que
ils ne les abandonnent iamais tan-
dis qu'ils viuent : & meſmes pour-
autant que, retournans à la maiſon,
ils trouuent tout leur meſnage
bien en ordre & ce qui eſt neceſſai-
re bien appreſté. Et pour-ce que
i'ay dict que par leurs contracts
72
Nvptiale.
ils eſtabliſſent quelques peines,pour eſclaircir ce poinct ie vous
en veux amener vn exemple du
Barnagas Dori, lequel ſe ſepara d'a-
uec ſa femme, a raiſon dequoy
il fut contrainct de payer cent on-
ces d'or, qui pourroient reuenir à
trois mil deux cents cinquante li-
ures, puis ſe ioignit auec vne autre,
& la repudiee eſpouſa vn gentil-
homme , appellé Aaron, frere de
ce Barnagas , dont tous deux eu-
rent des enfans. Et ne faut trou-
uer cecy eſtrange , car ils n'en
font que le ſert & meſtier, voire130
que telle eſt la couſtume du pays,
auquel on ne trouue pas mal faict
ſi le frere a la compaignie de la
femme de l'autre & l'eſpouſe,
pour autant ( dient-il ) que l'vn
ſuſcite la lignee de l'autre. Or en-
cores que i'aye deſtiné vn chapi-
tre particulier au mariage des
Preſtres , ſi ne ſera il pas meſ-
ſeant pour le deſcharger d'au-
tant de toucher icy vn mot
touchant le mariage des Preſtres,
La Forest
Æthiopiens: leſquels ſe marient a-uec vne ſeule femme obſeruans
trop mieux les loix de mariages que
ne font les gens lais: En quoy faisãt
Maria-
ge des
Preſtres
Æthio-
piens.
ils viuent iuſques au dernier ſouſpir
de leur vie en leur maiſon auec
leurs fẽmes & enfans. Leurs fẽmes,
mortes, ne leur eſt permis en blanc
ny en noir de conuoler à ſecondes
nopces , comme ſemblablement il
n'eſt loiſible aux femmes ſur-vi-
uantes d'eſpouſer autres marys,
mais bien de ſe rendre nonnains, ſi
bon leur ſemble. Que s'il aduenoit
que le Preſtre marié eut affaire &
compaignie auec vne autre femme,
l'entree de l'Egliſe luy ſeroit defen-
due , auec ce qu'il ne participeroit
au reuenu d'icelle , mais ſeroit tenu
au nombre des gens lais ſeulement.
Qu'ainſi ne ſoit appert parce qu'en
rapporte Dom Franciſque Aluaron
qu'il en a veu conuenir vn, & appel-
ler deuant le Patriarche, pour auoir
eſté trouué couché auec vne fem-
me: ce qu'il ne peut nier, & cõfeſſa
le delict en la preſence d'vn chaſ-
cun:
73
Nvptiale.
cun : en punition dequoy il futcondamné à ne porter plus de croix
en main , de n'entrer en l'Egliſe &
reprendre l'eſtat ſeculiere. En outre
aduenant qu'vn preſtre vienne à ſe
coupler auec vne femme par maria-
ge il demeure entre les gens laids
comme il en print à Abuquer fils de
Cabeata, l'vn des grands Seigneurs
qu'on eut ſceu choiſir d'entre tous
les courtiſans, lequel aage de qua-
rante ans , apres de decés de ſa pre-
miere femme , rentra en ſeconde
nopces eſpouſant Romaine , or
que ſœur du Prete-ian , qui pour
quelque mouche , qui luy vint pic-
quer à la teſte , ſe ſepare d'auec vn
ieune. Siegneur qu'elle auoit pris
pour mary. Ceſt Abuquer eſtoit
Preſtre & d'auantage , grand Chap-
pellain du Prete-ian, en grande au-
thorité & reputation ayant laiſſé
eſcouler pluſieurs annees qu'il paſ-
ſa en ſon ſolitaire vefuage print
phantaiſie de ſe remarier. Pour-
ce l'Albuna Mars , le degrada, &
le relegua entre les laids. La plus
G
La Forest
grand'partie des fils des Preſtres, ſerangent de l'ordre paternel, à cauſe
Enfans
des Pre-
ſtres Æ-
thiopiẽs.
que ce n'eſt la couſtume en ces païs
là de tenir eſcoles, pour enſeigner à
lire ou eſcrire , pour-ce qu'il ne ſe
treuue perſonne, faiſant profeſſion
de telle vacation, ſi que les Preſtres
monſtrent ce peu qu'ils ſçauent à
leurs enfans qui par ce moyen ſe rẽ-
dent capables d'eſtre faicts Preſtres
par l'Abuna131, qui eſt ſeul en toute
l'Ethiopie, ſans aucun Eueſque ny
autre perſonne qui donne les or-
Punitiõ
de l'adul
tere en-
tre lés Æ
thiopiẽs.
dres aux Preſtres. Icy ie ne veux ou-
blier ce qui concerne la punition
de l'adultere, d'autant qu'il eſt fort
nouueau & eſtrange: de faict s'il y a
vne femme accuſee d'adultere , &
que le faict en ſoit aueré, cela ne va
deuant les iuges,ains en appartient
la vuidange au mary & aux parens,
qui ſe ſentent intereſſés par telle
faute en leur reputation & hon-
neur. N'eſt loiſible aux Æthiopiens
de s'accointer aux femmes eſtran-
geres, voire132 qu'il y en a, qui ont laiſſé
par eſcrit , que le Roy meſmes faut
74
Nvptiale.
qu'il prenne ſa femme du pays tel-le qu'il luy plaiſt choiſir,lequel n'en
a qu'vne non plus que les Preſtres
ſeculiers. C'eſt aux marys à donner
& eſtablir douaire à leurs femmes,
ſans qu'elles apportent autre cas
que leur corps, & vn bõ deſir de ſer-
Douaire
conſtitué
par les
mar is
aux E-
thiopien
nes.
uir & obeyr à ſon eſpoux : ce-qu'ils
leurs donnent ſont perles, aneaux,
chaiſnes , draps de ſoye & autres
meubles. Et en ce ils practiquent
la loy des Lacedemoniens, laquelle
reiettoit le dot, non ſans treſiuſte
occaſion: Car pour la plus-part ce
dot ſert d'amorce , pour faire ar-
pentir au mariage & par-ce moyen
faudra ou qu'il ſe rende ſerf & eſ-
claue de celle, à laquelle il doit cõ-
mander & comme dit Plaute, qu'il
vende ſa liberté pour vn dot & biẽs
periſſables , ou s'il eſt ſi leger, deſ-
loyal & meſcognoiſſant, que s'eſtãs
emparé des biens de ceſte femme il
la deſdaigne & meſpriſe, Dieu, ſçait
par quelles reproches il eſt pour-
mené.
G ij
La Forest
Les Calecuthiens.
Chap. XIII.
AV chapitre deſtiné aux Bra-
mins , nous auons deſia tou-
ché du paſſe-droict, que ces vene-
rables ſe ſont acquis ſur les Roys de
Calecuts, tels qu'ils sõt les premiers
imitez, receus & deſtinez pour dõ-
Roynes
de Cale-
cut, depu
cellées
par les
Bramins
pter & cure-ſaillir les Roynes fraiſ-
chement mariées , & ſe maintien-
nent ſi bien en la poſſeſſion de telle
prerogatiue, que toutes & quantes
fois qu'il plaiſt à ces meſſieurs de
courtiſer les Roynes , elles n'oſe-
royent refuſer de leur preſter ce
que les Roys à fine force de preſens
les contraignent de prendre. En ce
veritablement ſont-ils bien abrutis
d'autãt qu'outre l'outrage du cou-
ardiſme, dont ils ſont impudique-
ment feſtoyez ſçachans, voulans,
& conſentãs à leurs propres couſts,
ſe font eux-meſmes planter les cor-
nes. Si y a il touſiours quelque na-
ſteté d'vn tel coupaudiſme133, d'autãt
que les enfans nés & procreés des
Rois , ou de leurs parens , en ligne
maſculine ne ſuccedent au Royau-
me,le Roy eſtant mort , ains les fils
des ſœurs du Roy, ſi elles en ont, &
ſinon ceux qui luy ſont plus pro-
ches du coſté des filles : de maniere
En Cale-
cut la ſuc
ceſsion à
la Royau
té deuo-
luë à la
quenouil
le.
que la Lieutenance qui eſt donnée
aux Bramins, pour les couches Ro-
yales, recule de la Royauté, l'agna-
tion , pour y faire entrer la cogna-
tion. Autresfois ie m'eſmerueillois
de ceſte ſi eſtrãge couſtume, & fai-
ſoy conſcience de la croire , tou-
tesfois deux poincts m'y ont fait in-
cliner. Le premier eſt que les Cale-
cutiens ne ſont point ſi ialoux de
l'honeſteté de leur couche maritale
qu'ils ſe formaliſent autrement ſi
par enſemble ils ſe la viennent à en-
tre-brouiller. De faict ie treuue que
cela eſt pratiqué entre les nobles, &
les marchands de Calecuts , que de
gayeté de cœur ils changẽt de fem-
mes, & ſe les entrepreſtent tout ain-
ou autre choſe. L'autre poinct eſt
Les Ca-
lecutien-
nes mai-
ſtreſſes.
que les Dames Calecutiennes ont
mis le pied ſur la gorge de leurs ma-
ris, qui ne leur ſeruẽt que de valets,
car elles ne daignent ſe meſler de la
cuiſine, ains faut que le mary face le
meſnage, & tandis ces gouffres de
paillardiſe s'amuſent à ſe parfumet,
& parer , n'ayans autre ſoin que de
plaire aux hommes , que plus ſou-
uent elles prient que ne ſont priées,
& vont chargées de ioyaux & pier-
reries, aux mains, oreilles, bras, &
pieds, de ſorte que cela les rend bel-
les, auec ce qu'elles ſont bien for-
mées & non trop noires, ayans cou-
leur telle que les Mores blancs, qui
ſont comme de couleur d'Oliue.
Qui plus eſt, encor les femmes peu
uent auoir auſſi-biẽ pluſieurs & di-
uers maris , cõme les hommes plu-
ſieurs femmes , & en ayant des en-
fans, c'eſt à elles à dire & iuger des
peres, auſquels elles penſent qu'ils
appartiennnent. N'eſt donc merueil-
le, ſi les Roys ſe laiſſent ainſi a cre-
mune du pays, les oblige à vne telle
ſujection, & ſeroyent touſiours à la
guerre & aux couſteaux, ſi ces ſacrés
eſtafiers ne venoyent tabuter à l'en-
trée. Entre la populace il y en a de
deux ſortes. Les vns s'appellent Po-
liari , & les autres Hitauà , leſquels
ſont plus beſtiaux , que ſe ſentans
d'aucune gentilleſſe ou courtoiſie.
Les femmes de ceux-cy alaictent
leurs enfans enuiron trois moys,
puis leur donnent du laict de vache
ou chieure, & les ayant ainſi ſaoulés
par force, ſans leur lauer ny corps,
ny face, les mettent ſous le ſablon,
tous couuerts d'iceluy , du matin
iuſqu'au ſoir , de maniere que ces
enfans eſtans tous noirs , vous ne
ſçauriez diſcerner ſi ce ſont Our-
ſeaux, ou autres beſtes tant ils ſont
laids , à les contempler , & ſemble
que le diable les conſerue en ce ſa-
blon , d'où la mere les tirant ſur le
ſoir elle leur donne à manger : &
ainſi nourris, quant ils ſont grands,
ſont auſſi grands voltigeurs , bons
ſoubre-ſauts , qu'il y en ait en autre
lieu de la terre: Au reſte faut ſça-
Femmes
aduanta
gées.
uoir que de meſmes que les Cale-
cutiẽs , pluſieurs autres peuples ont
de beaucoup aduantagé les fem-
mes. En Champaigne, les femmes
qni eſpousẽt vn mary roturier, l'en-
nobliſſent. Entre les Lyciens ( au
raport d'Herodote ) les enfans por-
tent le nom de la maiſon de leurs
meres, ſans ſe ſoucier du tiltre des
peres, comme ſi la nobleſſe leur ve-
noit du ventre, & non de celuy qui
eſt la cauſe principale de leur gene-
ration. De ſorte que, ſi on s'enquiert
de quelqu'vn, d'où il eſt, ſoudain il
ira faire vn long diſcours des meres
& anceſtres de ſa mere,ſans faire au-
cune mention des hommes, com-
pris en ceſte race. Et ſi vne Dame
noble & libre de condition,eſpou-
ſoit vn ſerf & eſclaue , les enfans en
ſortans eſtoyent declairez nobles,
& affranchis, par le ſeul moyen de
la mere: Au lieu que ſi vn homme,
tant noble ſoit-il, eſpouſe vne eſtrã-
fans qui en ſortiront,ne ſeront point
eſtimez nobles , ny libres aucune-
ment. Ce qui monſtre, ou que les
femmes y eurent l'Empire, du com-
mencement, ou que celuy qui eſta-
blit les loix, eſtoit coiffé de l'amour
de ſa femme, ou bien que ſon pere
eſtant de bas lieu , il voulut par ce-
ſte loy cacher ſa turpitude.
mins , nous auons deſia tou-
ché du paſſe-droict, que ces vene-
rables ſe ſont acquis ſur les Roys de
Calecuts, tels qu'ils sõt les premiers
imitez, receus & deſtinez pour dõ-
Roynes
de Cale-
cut, depu
cellées
par les
Bramins
pter & cure-ſaillir les Roynes fraiſ-
chement mariées , & ſe maintien-
nent ſi bien en la poſſeſſion de telle
prerogatiue, que toutes & quantes
fois qu'il plaiſt à ces meſſieurs de
courtiſer les Roynes , elles n'oſe-
royent refuſer de leur preſter ce
que les Roys à fine force de preſens
les contraignent de prendre. En ce
veritablement ſont-ils bien abrutis
d'autãt qu'outre l'outrage du cou-
ardiſme, dont ils ſont impudique-
ment feſtoyez ſçachans, voulans,
& conſentãs à leurs propres couſts,
ſe font eux-meſmes planter les cor-
nes. Si y a il touſiours quelque na-
75
Nvptiale.
turel, qui deſcouure la des-honne-ſteté d'vn tel coupaudiſme133, d'autãt
que les enfans nés & procreés des
Rois , ou de leurs parens , en ligne
maſculine ne ſuccedent au Royau-
me,le Roy eſtant mort , ains les fils
des ſœurs du Roy, ſi elles en ont, &
ſinon ceux qui luy ſont plus pro-
ches du coſté des filles : de maniere
En Cale-
cut la ſuc
ceſsion à
la Royau
té deuo-
luë à la
quenouil
le.
que la Lieutenance qui eſt donnée
aux Bramins, pour les couches Ro-
yales, recule de la Royauté, l'agna-
tion , pour y faire entrer la cogna-
tion. Autresfois ie m'eſmerueillois
de ceſte ſi eſtrãge couſtume, & fai-
ſoy conſcience de la croire , tou-
tesfois deux poincts m'y ont fait in-
cliner. Le premier eſt que les Cale-
cutiens ne ſont point ſi ialoux de
l'honeſteté de leur couche maritale
qu'ils ſe formaliſent autrement ſi
par enſemble ils ſe la viennent à en-
tre-brouiller. De faict ie treuue que
cela eſt pratiqué entre les nobles, &
les marchands de Calecuts , que de
gayeté de cœur ils changẽt de fem-
mes, & ſe les entrepreſtent tout ain-
G iij
La Forest
ſi qu'on feroit vn accouſtrement,ou autre choſe. L'autre poinct eſt
Les Ca-
lecutien-
nes mai-
ſtreſſes.
que les Dames Calecutiennes ont
mis le pied ſur la gorge de leurs ma-
ris, qui ne leur ſeruẽt que de valets,
car elles ne daignent ſe meſler de la
cuiſine, ains faut que le mary face le
meſnage, & tandis ces gouffres de
paillardiſe s'amuſent à ſe parfumet,
& parer , n'ayans autre ſoin que de
plaire aux hommes , que plus ſou-
uent elles prient que ne ſont priées,
& vont chargées de ioyaux & pier-
reries, aux mains, oreilles, bras, &
pieds, de ſorte que cela les rend bel-
les, auec ce qu'elles ſont bien for-
mées & non trop noires, ayans cou-
leur telle que les Mores blancs, qui
ſont comme de couleur d'Oliue.
Qui plus eſt, encor les femmes peu
uent auoir auſſi-biẽ pluſieurs & di-
uers maris , cõme les hommes plu-
ſieurs femmes , & en ayant des en-
fans, c'eſt à elles à dire & iuger des
peres, auſquels elles penſent qu'ils
appartiennnent. N'eſt donc merueil-
le, ſi les Roys ſe laiſſent ainſi a cre-
76
Nvptiale.
dit incucurbiter134, puis que la loy cõ-mune du pays, les oblige à vne telle
ſujection, & ſeroyent touſiours à la
guerre & aux couſteaux, ſi ces ſacrés
eſtafiers ne venoyent tabuter à l'en-
trée. Entre la populace il y en a de
deux ſortes. Les vns s'appellent Po-
liari , & les autres Hitauà , leſquels
ſont plus beſtiaux , que ſe ſentans
d'aucune gentilleſſe ou courtoiſie.
Les femmes de ceux-cy alaictent
leurs enfans enuiron trois moys,
puis leur donnent du laict de vache
ou chieure, & les ayant ainſi ſaoulés
par force, ſans leur lauer ny corps,
ny face, les mettent ſous le ſablon,
tous couuerts d'iceluy , du matin
iuſqu'au ſoir , de maniere que ces
enfans eſtans tous noirs , vous ne
ſçauriez diſcerner ſi ce ſont Our-
ſeaux, ou autres beſtes tant ils ſont
laids , à les contempler , & ſemble
que le diable les conſerue en ce ſa-
blon , d'où la mere les tirant ſur le
ſoir elle leur donne à manger : &
ainſi nourris, quant ils ſont grands,
ſont auſſi grands voltigeurs , bons
G iiij
La Forest
courreurs , & adextres faiſeurs deſoubre-ſauts , qu'il y en ait en autre
lieu de la terre: Au reſte faut ſça-
Femmes
aduanta
gées.
uoir que de meſmes que les Cale-
cutiẽs , pluſieurs autres peuples ont
de beaucoup aduantagé les fem-
mes. En Champaigne, les femmes
qni eſpousẽt vn mary roturier, l'en-
nobliſſent. Entre les Lyciens ( au
raport d'Herodote ) les enfans por-
tent le nom de la maiſon de leurs
meres, ſans ſe ſoucier du tiltre des
peres, comme ſi la nobleſſe leur ve-
noit du ventre, & non de celuy qui
eſt la cauſe principale de leur gene-
ration. De ſorte que, ſi on s'enquiert
de quelqu'vn, d'où il eſt, ſoudain il
ira faire vn long diſcours des meres
& anceſtres de ſa mere,ſans faire au-
cune mention des hommes, com-
pris en ceſte race. Et ſi vne Dame
noble & libre de condition,eſpou-
ſoit vn ſerf & eſclaue , les enfans en
ſortans eſtoyent declairez nobles,
& affranchis, par le ſeul moyen de
la mere: Au lieu que ſi vn homme,
tant noble ſoit-il, eſpouſe vne eſtrã-
77
Nvptiale.
gere , ou de ſeruile contion, les en-fans qui en ſortiront,ne ſeront point
eſtimez nobles , ny libres aucune-
ment. Ce qui monſtre, ou que les
femmes y eurent l'Empire, du com-
mencement, ou que celuy qui eſta-
blit les loix, eſtoit coiffé de l'amour
de ſa femme, ou bien que ſon pere
eſtant de bas lieu , il voulut par ce-
ſte loy cacher ſa turpitude.
Les Malabariens.
Chap. XV.
MAlabar eſt vn puiſſant Em-
pire, aux Indes, & de grande
eſtenduë , comme ayant en iceluy
pluſieurs Roys, & riches Prouinces,
à ſçauoir, Biſnagar, Cotà , Canonor,
Tanor, Crangonor , Cochin, & au-
Maſles
deboutés
de la ſuc
ceſsion à
la Roau
té de Ma
labar.
tres. Les Roys de Malabar ſont Bra-
mins de race, & des familles les plus
honorables : leurs enfans maſles ne
ſuccedent point au Royaume, non
plus qu'en Calecut , ains les freres
du Roy, ou sõ nepueu, à cauſe qu'ils
mins couchent auec les ſœurs du
Roy, deſquelles ſortent le heritiers,
auſſi que ceux qui viennent des
Roys, ſont fils d'autres Dames que
Bramines , & qu'ils degenerent du
ſang Royal , & par ainſi ils ne ſont
que naires comme les autres , & ne
iouïſſent de choſe quelconque de
l'heritage. Ces Bramins, & autres,
Malaba
riennes
au deſſus
de leurs
maris.
ayans a faire à leurs femmes , ſont
ceux qui portent : car la femme eſt
celle qui monte , & l'homme qui
tient le deſſous , & qui feroit autre-
ment, ils luy acconteroyent à hõte,
tout ainſi que pardeça ceſte façon
de faire ſeroit trouuée vilaine. Les
pire, aux Indes, & de grande
eſtenduë , comme ayant en iceluy
pluſieurs Roys, & riches Prouinces,
à ſçauoir, Biſnagar, Cotà , Canonor,
Tanor, Crangonor , Cochin, & au-
Maſles
deboutés
de la ſuc
ceſsion à
la Roau
té de Ma
labar.
tres. Les Roys de Malabar ſont Bra-
mins de race, & des familles les plus
honorables : leurs enfans maſles ne
ſuccedent point au Royaume, non
plus qu'en Calecut , ains les freres
du Roy, ou sõ nepueu, à cauſe qu'ils
G v
La Forest
ſont Bramins, d'autant que les Bra-mins couchent auec les ſœurs du
Roy, deſquelles ſortent le heritiers,
auſſi que ceux qui viennent des
Roys, ſont fils d'autres Dames que
Bramines , & qu'ils degenerent du
ſang Royal , & par ainſi ils ne ſont
que naires comme les autres , & ne
iouïſſent de choſe quelconque de
l'heritage. Ces Bramins, & autres,
Malaba
riennes
au deſſus
de leurs
maris.
ayans a faire à leurs femmes , ſont
ceux qui portent : car la femme eſt
celle qui monte , & l'homme qui
tient le deſſous , & qui feroit autre-
ment, ils luy acconteroyent à hõte,
tout ainſi que pardeça ceſte façon
de faire ſeroit trouuée vilaine. Les
Maria-
ges des
Rois de
Mala-
bar.
ges des
Rois de
Mala-
bar.
Roys de Malabar , ſe marient auſſi
ſouuent que bon leur ſemble , &
ayãs tenu leurs femmes pour quel-
que temps , les marient à gens de
qualité : auſſi ſe marians ils pren-
nent leurs femmes à cõdition, bien
que d'aucunes leurs facent com-
paignie iuſques à la mort. S'il leur
prend volonté d'en auoir de mai-
ſons plus illuſtres, qui ſont de ceux
donnent fort volontiers , & s'eſti-
ment pour tres honorez , que le
Roy ſe plaiſe à tenir leurs filles pour
ſes concubines , & ont la meſme
couſtume qu'en Calecut , à ſçauoir
que les Bramins ſont payez & ſala-
riez , pour depuceler la femme que
Bramins
ont pars
en toutes
couches.
le Roy eſpouſe. Les Bramins ſont
mariez , & leurs enfans heritent
à leurs biens , à cauſe qu'outre la
couſtume du pays leurs femmes
ſont tres-chaſtes , ne ſe meſlans
onc auec autres qu'auec leurs ma-
rys , non plus que iamais vne Bra-
mine eſt mariée auec autre que ce-
luy qui eſt de ceſte vocation , ne
pouuant eſpouſer vn naire : là où
les femmes naires ont congé de
coucher auec les Bramins, leſquels
ſont chiens à tous coliers , & tels
que toute couche leur eſt permiſe,
à cauſe qu'ils ſont les Meſſagers de
leurs idoles. Quant aux naires , ils
ne ſe marient point, & n'y a pas vn,
qui recognoiſſe ny pere , ny fils : ny
frere, ſe meſlans auec les femmes
des beſtes, & leurs Dames tant plus
ont d'amoureux , tant plus ſont-el-
Depucel
lemẽt de
filles fait
par les
Naires.
les eſtimées : Ayans des filles elles
choiſiſſent autant de ieunes hom-
mes pour leur faire l'honneur de
les depuceler , & durant ce depu-
cellement , l'eſpace de quatre ou
cinq iours, on faict feſte, tout ainſi
que pardeça, aux nopçes, & le de-
puceleur depend ſelon ſes richeſſes
& au bout du terme chacun ſe reti-
re mais l'homme, donne à la fille vn
Queté , qui eſt vn petit colier d'or,
qu'ils mettent au col de leur amye,
en ſigne de ſa defloration, & apres
luy les autres naires viennent & l'e-
ſtreinent, tout ainſi qu'on faict les
dons pardeça aux eſpouſées. Ces
naires ne ſe tiennent gueres auec
ces femmes qu'ils ont deflorées,&
n'y mangent gueres ſouuent : qui
eſt cauſe,que chacune d'elles,ayant
nombre d'hommes qui l'accoſtent,
ceſte race d'hommes , ne ſçachans
auſſi , que c'eſt de conſanguinité,
auſſi auec treſ grande difficulté peu-
pere. Ils ont vne ſotte couſtume
entr'eux , que ſi vn Polean, qui eſt
la plus baſſe condition qui ſoit en-
tre les Malabariens , rencontrant
vne Naire hors ſa maiſon , la tou-
che de la main, ou auec vne pierre,
elle eſt faicte de la race des Poleaz,
deſquels la peuuent & vendre &
tuer, comme bon leur ſemble, ſi ce
n'eſt qu'il y eut vn Naire auec elle:
& ſi celuy qui faict ceſt attouche-
ment eſt pris ſur le faict, c'eſt vn cas
raclé qu'il faut qu'il en meure. Ce-
cy eſt obſerué , à fin que ces fem-
mes ne s'addonnent auec gens de
plus bas lieu qu'elles , & ne meſ-
lent le ſang noble auec celuy de la
populace. Les femmes en ce pays,
ne ſe meſlent que de faire bonne
chere , & ſont ſi poltronnes, qu'el-
les ne ſçauent ny coudre , ny filer,
ou faire choſe, concernant l'hone-
ſte exercice des femmes, ſeulement
s'addonnent à paſſe-temps & ſe pa-
rer pour plaire aux hommes.
ſouuent que bon leur ſemble , &
ayãs tenu leurs femmes pour quel-
que temps , les marient à gens de
qualité : auſſi ſe marians ils pren-
nent leurs femmes à cõdition, bien
que d'aucunes leurs facent com-
paignie iuſques à la mort. S'il leur
prend volonté d'en auoir de mai-
ſons plus illuſtres, qui ſont de ceux
78
Nvptiale.
qu'ils appellent Caimaez, ils le leurdonnent fort volontiers , & s'eſti-
ment pour tres honorez , que le
Roy ſe plaiſe à tenir leurs filles pour
ſes concubines , & ont la meſme
couſtume qu'en Calecut , à ſçauoir
que les Bramins ſont payez & ſala-
riez , pour depuceler la femme que
Bramins
ont pars
en toutes
couches.
le Roy eſpouſe. Les Bramins ſont
mariez , & leurs enfans heritent
à leurs biens , à cauſe qu'outre la
couſtume du pays leurs femmes
ſont tres-chaſtes , ne ſe meſlans
onc auec autres qu'auec leurs ma-
rys , non plus que iamais vne Bra-
mine eſt mariée auec autre que ce-
luy qui eſt de ceſte vocation , ne
pouuant eſpouſer vn naire : là où
les femmes naires ont congé de
coucher auec les Bramins, leſquels
ſont chiens à tous coliers , & tels
que toute couche leur eſt permiſe,
à cauſe qu'ils ſont les Meſſagers de
leurs idoles. Quant aux naires , ils
ne ſe marient point, & n'y a pas vn,
qui recognoiſſe ny pere , ny fils : ny
frere, ſe meſlans auec les femmes
G vj
La Forest
de leur condition , tout ainſi quedes beſtes, & leurs Dames tant plus
ont d'amoureux , tant plus ſont-el-
Depucel
lemẽt de
filles fait
par les
Naires.
les eſtimées : Ayans des filles elles
choiſiſſent autant de ieunes hom-
mes pour leur faire l'honneur de
les depuceler , & durant ce depu-
cellement , l'eſpace de quatre ou
cinq iours, on faict feſte, tout ainſi
que pardeça, aux nopçes, & le de-
puceleur depend ſelon ſes richeſſes
& au bout du terme chacun ſe reti-
re mais l'homme, donne à la fille vn
Queté , qui eſt vn petit colier d'or,
qu'ils mettent au col de leur amye,
en ſigne de ſa defloration, & apres
luy les autres naires viennent & l'e-
ſtreinent, tout ainſi qu'on faict les
dons pardeça aux eſpouſées. Ces
naires ne ſe tiennent gueres auec
ces femmes qu'ils ont deflorées,&
n'y mangent gueres ſouuent : qui
eſt cauſe,que chacune d'elles,ayant
nombre d'hommes qui l'accoſtent,
ceſte race d'hommes , ne ſçachans
auſſi , que c'eſt de conſanguinité,
auſſi auec treſ grande difficulté peu-
79
Nvptiale.
uent-ils diſcerner qui eſt leur vraypere. Ils ont vne ſotte couſtume
entr'eux , que ſi vn Polean, qui eſt
la plus baſſe condition qui ſoit en-
tre les Malabariens , rencontrant
vne Naire hors ſa maiſon , la tou-
che de la main, ou auec vne pierre,
elle eſt faicte de la race des Poleaz,
deſquels la peuuent & vendre &
tuer, comme bon leur ſemble, ſi ce
n'eſt qu'il y eut vn Naire auec elle:
& ſi celuy qui faict ceſt attouche-
ment eſt pris ſur le faict, c'eſt vn cas
raclé qu'il faut qu'il en meure. Ce-
cy eſt obſerué , à fin que ces fem-
mes ne s'addonnent auec gens de
plus bas lieu qu'elles , & ne meſ-
lent le ſang noble auec celuy de la
populace. Les femmes en ce pays,
ne ſe meſlent que de faire bonne
chere , & ſont ſi poltronnes, qu'el-
les ne ſçauent ny coudre , ny filer,
ou faire choſe, concernant l'hone-
ſte exercice des femmes, ſeulement
s'addonnent à paſſe-temps & ſe pa-
rer pour plaire aux hommes.
La Forest
Les Narſingueens.
Chap. XVI.
QVoy que le Royaume de Nar-
ſingua ſoit ſur la coſte du goul
phe de Bengala, & partant enclauãt
dãs ſon pourpris celuy de Malabar,
ſi eſt-ce que, comme auiourd'huy le
Malabarien ne le recognoiſt en riẽ
Narsin-
gueenes
comment
habillees
auſſi les habitans different beau-
coup en mœurs. En ce s'accordent,
que comme à Malabar, les femmes
ſont icy fort popines. Elles ont vne
robbe de drap blanc & ſubtil , qui
leur va de la ceinture iuſques à ter-
re, & faut encores qu'elle traine:
aucunes d'elles portent ceſt habit
de ſoye & de quelque gaye cou-
leur, & ſe ceignent ceſte piece à l'ẽ-
tour du corps , qui leur va pendant
d'vn coſté iuſqu'à terre, l'autre par-
tie elles ſe la iettent ſur vne eſpaule
demourant l'eſtomac , la gorge
vn bras & eſpaule à deſcouuert, cõ-
me auſſi faict leur cheueleure tres-
met de la teſte , & toute ſemee de
fleurs & pierrerie : à l'vn des
trous du nez & en la narine el-
les ſe mettent vne ſubtile vergette
d'or , auec quelque perle ou ruby,
comme choſe gaillarde & donnant
grace, ainſi qu'elles ont aux oreilles
& au col vn fermaillet & collier,
chargé de pierrerie, & pour mon-
ſtrer leur ſuperfluité, outre les cein-
tures & chaiſnes d'or, elles portẽt de
pareils atours aux iambes, ne laiſſans
partie du corps qui ne ſe sẽte de ce-
ſte parure. Ces femmes ſçauent
tres-bien chanter & baſler à leur
mode, & ſonner de diuerſes ſortes
d'inſtrumens , ſçauent faire tout
plein de gallantiſes, ſauter & volti-
ger, ſont belles , de bonne grace
& aduenantes , ſe marient comme
pardeça & ne ſont ainſi deſbordees
qu'en Calecut & aux terres de Ma-
Plurali-
té de fem
mes à
Narſin-
gua.
labar nõ plus que les hommes ſauf,
que les grands Seigneurs peuuent
eſpouſer autant de femmes que bõ
leur ſemble. Auſſi le Roy en tient
leſquelles ſont filles des plus grands
Seigneurs de ſon Royaume, & ſous
celles cy y en a d'autres, qui leur sõt
ſeruantes, pour ceſt effect on choi-
ſit les plus belles de toutes ſes Pro-
uinces, car le Roy n'eſt ſeruy que
par femmes, leſquelles n'ont autre
ſoin que de luy donner plaiſir: De
ſorte que chaſcun iour elles allãs ſe
lauer l'vne apres l'autre le Roy eſt
le iuge de leurs beautez, choiſiſſant
celle , qui luy agree le mieux & de
la premiere, qui deuient groſſe ſi
c'eſt vn m'aſſe c'eſt l'heritier & ſuc-
Succeſ-
ſeur de
la cou-
ronne
Narſin-
gueenne.
ceſſeur de la couronne. Souuent il
aduient que ces pauures femmes
ſont tellement à briguer le moyen
de ſe rendre chaſcune la plus ag-
greable, que ſe voyans auoir per-
du la peine, y en a qui ſe font mou-
rir par venin,de douleur & ennuyé
de n'auoir eſté les premieres a qui
le leuain ait faict enfler la patte. Icy
donc vous voyez que l'ordre eſt in-
terrompu pour le faict des ſucceſ-
ſions au prix de ce que practiquent
d'autant que l'accointance qu'ont
les Bramins auec les Roynes de-
poſſede & rend orpheline la ligne
maſculine attouchant au Roy, pour
l'opinion , qu'on a que les enfans
Royaux tiennent de ces eſtalons
ſacrez. Icy au contraire c'eſt à l'ha-
zard de celle & qui agreera le plus
& qui prendra le mieux. Si ie ne
m'ennuyois de prolixité ie pourrois
icy deduire les ceremonies , que
tiennent les Narſingueennes a cõ-
ſacrer leurs vies ſur le tombeau de
leurs maris , mais puis que ce diſ-
Ceremo-
nies auãt
le nopca-
ge des
Narcin-
gueen-
nes.
cours n'eſt funerailler , ie pourſui-
uray ma route, & pour patron ie
prendray Edouard Barboſſe qui
nous apprend que là il y a des filles,
leſquelles, s'enamourans d'vn hõ-
me & ſouhaittans de l'auoir pour
mary, font vœu à quelqu'vne de
leurs Idoles de luy faire quelque
grand ſeruice : & l'homme ſe con-
tentant de l'eſpouſer elle luy faict
entendre , qu'il attende vn peu de
la retirer chez luy, à cauſe qu'elle
(qu'elle luy nomme ) en luy faiſant
offre & preſent volontaire de ſon
ſang,à laquelle feſte le mary ſe treu-
ue. Au iour donc entre eux ordon-
né ils preparent vn chariot qui eſt
grand & tiré par des bœufs & ſur
iceluy, ils armẽt & dreſsẽt vne gruë
ou cicoigne, auec laquelle on tire
de l'eau du puis,au bout de laquelle
ils mettent vne chaiſne de fer auec
deux grands crocs: apres ce la fille
ſort de la maiſon accompaignee de
tous ſes parens & amis & vne infi-
nité d'hommes & femmes de bail-
ladins & bouffons , qui font mille
folaſteries par le chemin : la fille eſt
ceinte bien eſtroitement ſur ſes ha-
billemens blancs, par deſſus leſquels
elle eſt couuerte d'vn drap de ſoye
qui luy va iuſques aux pieds, là où le
reſte du corps, de la ceinture en
deſſus, eſt deſcouuert. Dés qu'elles
ſort de la maiſon de ſon pere,au de-
uant la porte de laquelle eſt ceſte
charette, on abaiſſe la cicoigne ou
grue, & y met on deſſus ceſte fil-
met ces deux crocs, qui luy entrent
dedans la chair, luy baillans en main
vne targue toute ronde auec vn ſa-
chet plein de limons & oranges:
& ſoudain auec vne voix haute ils
hauſſent la cicoigne et ſe mettent
à chanter , ſonner & danſer, & la
chairette s'en va droict vers le
temple de l'Idole, ou la fille s'e-
ſtoit vouee: Elle eſtant pendue en
l'air à ces deux crocs , lequels
bien que la pinſent plus que gra-
tieuſement & luy facent ruiſſeler le
ſang iuſques ſur les iambes , ſi ne
ceſſe elle pour autant de chanter &
monſtrer vne face gaye & ioyeuſe,
s'eſcrimant auec ſa targue , & iet-
tant les oranges & limons deuant
ſon futur eſpoux & ſes parens.
Mais eſtans deuant la porte du tem-
ple ils la deſcendent de ceſte ci-
goigne, & luy oſtent ces crocs, qui
luy poignoyent les flancs , où el-
le eſt gouuernee fort doucement
& auec grand diligence, apres on
la met es mains de ſon mary, fai-
& des aumoſnes & prodigalitez
aux Bramins , & vn ſomptueux bã-
quet à ceux qui les accompaignẽt.
Si toutes nos fringuantes , qui
ont ſi grande enuie de ſçauoir aux
deſpens de leur pucellage que c'eſt
de s'acoupler auec le maſle, eſtoiẽt
aſſubietties à la rigueur d'vne tel-
le loy, pour achepter ſi cherement
Punition
des Nar-
ſinguen-
nes, qui
refuſent
de mou-
rir aux-
obſeques
de leurs
maris.
vn mary , i'en tiens la plus-part ſi
doüillettes qu'elles aimeroiẽt mieux
eſtre filles toute leur vie, qu'auec
vne ſi mal plaiſante ceremonie cõ-
mencer leurs nopçages & peut e-
ſtre auant le bout de l'an eſtre con-
trainctes de s'aller ſacrifier aux om-
bres de ſon mary : lice de laquel-
le elles n'oſeroyent reculer ſur pei-
ne d'eſtre monſtrees au doigt com-
me vilaines, putains, d'autant qu'à
Narſingue celles qui refuſent d'ho-
norer par leur mort les obſeques
de leurs marys, les parens les pren-
nent & leur raſans la teſte, les chaſ-
ſent honteuſement de leur mai-
ſon & de la compagnie de ceux
les paracheuens le cours de leurs
vie: que s'ils en veulẽt fauorir quel-
qu'vne, ils la mettent aux temples
de leurs idoles, où elles prient leurs
ſingua ſoit ſur la coſte du goul
phe de Bengala, & partant enclauãt
dãs ſon pourpris celuy de Malabar,
ſi eſt-ce que, comme auiourd'huy le
Malabarien ne le recognoiſt en riẽ
Narsin-
gueenes
comment
habillees
auſſi les habitans different beau-
coup en mœurs. En ce s'accordent,
que comme à Malabar, les femmes
ſont icy fort popines. Elles ont vne
robbe de drap blanc & ſubtil , qui
leur va de la ceinture iuſques à ter-
re, & faut encores qu'elle traine:
aucunes d'elles portent ceſt habit
de ſoye & de quelque gaye cou-
leur, & ſe ceignent ceſte piece à l'ẽ-
tour du corps , qui leur va pendant
d'vn coſté iuſqu'à terre, l'autre par-
tie elles ſe la iettent ſur vne eſpaule
demourant l'eſtomac , la gorge
vn bras & eſpaule à deſcouuert, cõ-
me auſſi faict leur cheueleure tres-
80
Nvptiale.
bien peignee & treſſee ſur le ſommet de la teſte , & toute ſemee de
fleurs & pierrerie : à l'vn des
trous du nez & en la narine el-
les ſe mettent vne ſubtile vergette
d'or , auec quelque perle ou ruby,
comme choſe gaillarde & donnant
grace, ainſi qu'elles ont aux oreilles
& au col vn fermaillet & collier,
chargé de pierrerie, & pour mon-
ſtrer leur ſuperfluité, outre les cein-
tures & chaiſnes d'or, elles portẽt de
pareils atours aux iambes, ne laiſſans
partie du corps qui ne ſe sẽte de ce-
ſte parure. Ces femmes ſçauent
tres-bien chanter & baſler à leur
mode, & ſonner de diuerſes ſortes
d'inſtrumens , ſçauent faire tout
plein de gallantiſes, ſauter & volti-
ger, ſont belles , de bonne grace
& aduenantes , ſe marient comme
pardeça & ne ſont ainſi deſbordees
qu'en Calecut & aux terres de Ma-
Plurali-
té de fem
mes à
Narſin-
gua.
labar nõ plus que les hommes ſauf,
que les grands Seigneurs peuuent
eſpouſer autant de femmes que bõ
leur ſemble. Auſſi le Roy en tient
La Forest
vne grande troupe en ſon palais,leſquelles ſont filles des plus grands
Seigneurs de ſon Royaume, & ſous
celles cy y en a d'autres, qui leur sõt
ſeruantes, pour ceſt effect on choi-
ſit les plus belles de toutes ſes Pro-
uinces, car le Roy n'eſt ſeruy que
par femmes, leſquelles n'ont autre
ſoin que de luy donner plaiſir: De
ſorte que chaſcun iour elles allãs ſe
lauer l'vne apres l'autre le Roy eſt
le iuge de leurs beautez, choiſiſſant
celle , qui luy agree le mieux & de
la premiere, qui deuient groſſe ſi
c'eſt vn m'aſſe c'eſt l'heritier & ſuc-
Succeſ-
ſeur de
la cou-
ronne
Narſin-
gueenne.
ceſſeur de la couronne. Souuent il
aduient que ces pauures femmes
ſont tellement à briguer le moyen
de ſe rendre chaſcune la plus ag-
greable, que ſe voyans auoir per-
du la peine, y en a qui ſe font mou-
rir par venin,de douleur & ennuyé
de n'auoir eſté les premieres a qui
le leuain ait faict enfler la patte. Icy
donc vous voyez que l'ordre eſt in-
terrompu pour le faict des ſucceſ-
ſions au prix de ce que practiquent
81
Nvptiale.
les Calecutiens & Malabariens,d'autant que l'accointance qu'ont
les Bramins auec les Roynes de-
poſſede & rend orpheline la ligne
maſculine attouchant au Roy, pour
l'opinion , qu'on a que les enfans
Royaux tiennent de ces eſtalons
ſacrez. Icy au contraire c'eſt à l'ha-
zard de celle & qui agreera le plus
& qui prendra le mieux. Si ie ne
m'ennuyois de prolixité ie pourrois
icy deduire les ceremonies , que
tiennent les Narſingueennes a cõ-
ſacrer leurs vies ſur le tombeau de
leurs maris , mais puis que ce diſ-
Ceremo-
nies auãt
le nopca-
ge des
Narcin-
gueen-
nes.
cours n'eſt funerailler , ie pourſui-
uray ma route, & pour patron ie
prendray Edouard Barboſſe qui
nous apprend que là il y a des filles,
leſquelles, s'enamourans d'vn hõ-
me & ſouhaittans de l'auoir pour
mary, font vœu à quelqu'vne de
leurs Idoles de luy faire quelque
grand ſeruice : & l'homme ſe con-
tentant de l'eſpouſer elle luy faict
entendre , qu'il attende vn peu de
la retirer chez luy, à cauſe qu'elle
La Forest
veut faire feſte à vne telle idole(qu'elle luy nomme ) en luy faiſant
offre & preſent volontaire de ſon
ſang,à laquelle feſte le mary ſe treu-
ue. Au iour donc entre eux ordon-
né ils preparent vn chariot qui eſt
grand & tiré par des bœufs & ſur
iceluy, ils armẽt & dreſsẽt vne gruë
ou cicoigne, auec laquelle on tire
de l'eau du puis,au bout de laquelle
ils mettent vne chaiſne de fer auec
deux grands crocs: apres ce la fille
ſort de la maiſon accompaignee de
tous ſes parens & amis & vne infi-
nité d'hommes & femmes de bail-
ladins & bouffons , qui font mille
folaſteries par le chemin : la fille eſt
ceinte bien eſtroitement ſur ſes ha-
billemens blancs, par deſſus leſquels
elle eſt couuerte d'vn drap de ſoye
qui luy va iuſques aux pieds, là où le
reſte du corps, de la ceinture en
deſſus, eſt deſcouuert. Dés qu'elles
ſort de la maiſon de ſon pere,au de-
uant la porte de laquelle eſt ceſte
charette, on abaiſſe la cicoigne ou
grue, & y met on deſſus ceſte fil-
82
Nvptiale.
le, aux deux coſtez de laquelle onmet ces deux crocs, qui luy entrent
dedans la chair, luy baillans en main
vne targue toute ronde auec vn ſa-
chet plein de limons & oranges:
& ſoudain auec vne voix haute ils
hauſſent la cicoigne et ſe mettent
à chanter , ſonner & danſer, & la
chairette s'en va droict vers le
temple de l'Idole, ou la fille s'e-
ſtoit vouee: Elle eſtant pendue en
l'air à ces deux crocs , lequels
bien que la pinſent plus que gra-
tieuſement & luy facent ruiſſeler le
ſang iuſques ſur les iambes , ſi ne
ceſſe elle pour autant de chanter &
monſtrer vne face gaye & ioyeuſe,
s'eſcrimant auec ſa targue , & iet-
tant les oranges & limons deuant
ſon futur eſpoux & ſes parens.
Mais eſtans deuant la porte du tem-
ple ils la deſcendent de ceſte ci-
goigne, & luy oſtent ces crocs, qui
luy poignoyent les flancs , où el-
le eſt gouuernee fort doucement
& auec grand diligence, apres on
la met es mains de ſon mary, fai-
La Forest
ſans des grands preſens à l'Idole,& des aumoſnes & prodigalitez
aux Bramins , & vn ſomptueux bã-
quet à ceux qui les accompaignẽt.
Si toutes nos fringuantes , qui
ont ſi grande enuie de ſçauoir aux
deſpens de leur pucellage que c'eſt
de s'acoupler auec le maſle, eſtoiẽt
aſſubietties à la rigueur d'vne tel-
le loy, pour achepter ſi cherement
Punition
des Nar-
ſinguen-
nes, qui
refuſent
de mou-
rir aux-
obſeques
de leurs
maris.
vn mary , i'en tiens la plus-part ſi
doüillettes qu'elles aimeroiẽt mieux
eſtre filles toute leur vie, qu'auec
vne ſi mal plaiſante ceremonie cõ-
mencer leurs nopçages & peut e-
ſtre auant le bout de l'an eſtre con-
trainctes de s'aller ſacrifier aux om-
bres de ſon mary : lice de laquel-
le elles n'oſeroyent reculer ſur pei-
ne d'eſtre monſtrees au doigt com-
me vilaines, putains, d'autant qu'à
Narſingue celles qui refuſent d'ho-
norer par leur mort les obſeques
de leurs marys, les parens les pren-
nent & leur raſans la teſte, les chaſ-
ſent honteuſement de leur mai-
ſon & de la compagnie de ceux
83
Nvptiale.
de leur race & ainſi meſpriſees, el-les paracheuens le cours de leurs
vie: que s'ils en veulẽt fauorir quel-
qu'vne, ils la mettent aux temples
de leurs idoles, où elles prient leurs
Impieté
des Nar
ſingueẽs
proſti-
tuans la
virgini-
té de
leurs fil-
les au
Diable.
des Nar
ſingueẽs
proſti-
tuans la
virgini-
té de
leurs fil-
les au
Diable.
Dieux & ſonnent des inſtrumens
deuant eux , & faut que gaignent
leur vie , en ſe proſtituant à qui-
conques les en requiert. Au re-
ſte les Narſingueens ont encor
vne eſtrange & abominable façon
de proſtituer la virginité de leurs
filles au Diable , qui n'eſt pas cho-
ſe nouuelle, veu que le temps paſ-
ſé on en a vſé de meſmes & paſſé les
enfans par le feu, pour les dedier
aux Idoles. Or la façon en eſt tel-
le. Les filletes eſtans de l'aage de
dix à douze ans on les conduict à
ces Monaſteres des Bramins à de
certains Idoles , en la compaignie
de tous leurs parens , auec gran-
de ioye , tout ainſi comme ſi on les
menoit à nopces. A la porte de
ces maiſons d'oraiſon, & hors l'en-
clos du Monaſtere des Bramins, y
a des puids, faicts de pierre noire,
me, & enuironnez d'vn petit eſ-
calier de bois , ſur les degrez du-
quel y a pluſieurs chandelles allu-
mées, à cauſe que cecy ſe faict de
nuict. Sur ce puys y a vne pierre
haute d'vne coudée, ayant vn trou
ou milieu , & ſur ce trou vn pieu ai-
gu, pour l'effect qu'étẽdrez mainte-
nant. L'eſcalier eſt tout enclos &
tapiſſé de quelques draps de ſoye,
ſi hauts , que ceux , qui ſont au de-
hors ne ſçauroyent rien veoir de ce
qui ſe faict au dedans : ainſi la mere
de la fille, & quelques autres dames
entrent dedans ce puis , où , apres
pluſieurs ceremonies faictes, & o-
raiſons dictes , font monter la fil-
lette , ſur le pieu aigu, qu'elles luy
fourrent & font entrer en ſon con-
duict naturel , iuſques à effuſion
de ſang, & penſent ainſi l'auoir fait
depuceler , & conſacrer ſa virginité
à ſon idole.
deuant eux , & faut que gaignent
leur vie , en ſe proſtituant à qui-
conques les en requiert. Au re-
ſte les Narſingueens ont encor
vne eſtrange & abominable façon
de proſtituer la virginité de leurs
filles au Diable , qui n'eſt pas cho-
ſe nouuelle, veu que le temps paſ-
ſé on en a vſé de meſmes & paſſé les
enfans par le feu, pour les dedier
aux Idoles. Or la façon en eſt tel-
le. Les filletes eſtans de l'aage de
dix à douze ans on les conduict à
ces Monaſteres des Bramins à de
certains Idoles , en la compaignie
de tous leurs parens , auec gran-
de ioye , tout ainſi comme ſi on les
menoit à nopces. A la porte de
ces maiſons d'oraiſon, & hors l'en-
clos du Monaſtere des Bramins, y
a des puids, faicts de pierre noire,
La Forest
creux de la hauteur demie d'vn hõ-me, & enuironnez d'vn petit eſ-
calier de bois , ſur les degrez du-
quel y a pluſieurs chandelles allu-
mées, à cauſe que cecy ſe faict de
nuict. Sur ce puys y a vne pierre
haute d'vne coudée, ayant vn trou
ou milieu , & ſur ce trou vn pieu ai-
gu, pour l'effect qu'étẽdrez mainte-
nant. L'eſcalier eſt tout enclos &
tapiſſé de quelques draps de ſoye,
ſi hauts , que ceux , qui ſont au de-
hors ne ſçauroyent rien veoir de ce
qui ſe faict au dedans : ainſi la mere
de la fille, & quelques autres dames
entrent dedans ce puis , où , apres
pluſieurs ceremonies faictes, & o-
raiſons dictes , font monter la fil-
lette , ſur le pieu aigu, qu'elles luy
fourrent & font entrer en ſon con-
duict naturel , iuſques à effuſion
de ſang, & penſent ainſi l'auoir fait
depuceler , & conſacrer ſa virginité
à ſon idole.
84
Nvptiale.
Les Campioniens.
Chap. XVII.
NOn loing de Succuir au pays
Cathajen , eſt la cité de Cam-
pion , laquelle eſt du Royaume de
Tanguts. Icy vous auez pluſieurs
ſortes de persõnes,les vns ſont ido-
latres, les autres Mehemetiſtes, au
reſte peut y auoir quelque poigneé
de Chreſtiens, ſi tres-fort corrom-
pus, qu'ils ne reſſentent que de bien
loing le Chriſtianiſme. Les Bachſi135
& Religieux idolatres ſont vn peu
Aſça-
uoir ſi
l'homme
eſtant re
cerché
par la
femme
ne peche
pas.
plus ſages, ſobres & modeſtes, s'ab-
ſtenants de quelques fautes, eſquel-
les les autres ſe ſoüillent ordinai-
rement , comme en la paillardiſe,
laquelle ils n'acomptent point à
peché , au moins duquel on doiue
faire eſtat , ayans opinion que ſi la
femme recherche l'homme , &
qu'elle le mette en rut d'amour,
que l'accointant il ne commet pe-
ché, mais ſi c'eſt l'homme, qui face
te. Autrefois , comme i'ay eſté cu-
rieux de ſçauoir pluſieurs choſes,
i'ay prins peine de ſçauoir la cauſe
de ceſte diſtinctiõ. Aucuns, & meſ-
mes ceux qui ſembloyent les mieux
habillez d'entendement , diſoyent
que l'occaſion eſtoit toute euidẽte,
car, puis que l'homme deuoit eſtre
chef de la femme , s'il venoit à cho-
per, de tant plus eſtoit-il reprehen-
ſible, qu'ayant, comme l'on dit , les
yeux à la teſte, il faiſoit vne ſi lourde
demarche, que, quant bien elle ſe-
roit moindre , elle meriteroit vne
griefue reprimẽde. De ma part i'ac-
culpe grandement le maſle , qui ne
ſçait vſer de la prudence, que Dieu
luy a donné, pour ſçauoir ſagement
gouuerner ſon meſnage, & par ain-
ſi deteſte l'impudicité de ceux , qui
ou ſeduiſent, ou forcent les Dames,
mais pourtãt on ne me pourra faire
accroire, que les femmes n'offensẽt
auſſi griefuemẽt la Majeſté du tout-
puiſſant , lors qu'elles ſe mettent à
enjoller les maſles indiſcrets , d'au-
n'excuſe point les autres , encores
que ce ſoit à l'homme à maiſtriſer
& tenir bride aux eſſais & deſſeins
de la femme, tout ne plus ne moins
qu'Adã ne demeura hors de coul-
pe encores qu'Eue luy eut cõſeillé
de manger du fruict inhibé & def-
fendu. Donc les Campioniens ſe
meſprenent bien lourdement , en
ce poinct, tout ainſi qu'à ce qui ap-
partient au reſte des ceremonies de
leurs mariages, c'eſt là où ils ſe ſont
monſtrez du tout mal-aduiſez. De
Pluralité
de fem-
mes re-
ceuë en-
tre les
Campio-
niens.
faict ils ſe ſont tellement deſbordez
que chacun peut auoir iuſqu'à tren-
tes femmes, & plus, ſi tãt ils en pou-
uoyent nourrir, & tant s'en faut,
qu'elles leur portent rien, que plu-
ſtoſt ils les dotent, non d'or ou d'ar-
gent, ains de beſtial , & d'eſclaues,
mais la premiere qu'ils eſpousẽt eſt
reputée la plus grande , & ayant la
ſur-intendance de leurs maiſons. Et
s'ils voyent qu'il y en ait quelqu'vne
de rioteuſe & quereleuſe, de ſorte
qu'on ne la puiſſe ſupporter en ſes
de tenuë a entre eux le ſainct nœud
de mariage. Au reſte ils ſont ſi
brutaux, que ſans reſpect de ſang,ils
s'accouplent à leurs parentes, tant
leur ſoyent elles proches , ſauf à
leurs meres , mais d'eſpouſer & ac-
cointer les vefues de leurs peres ils
n'en font aucune conſcience, com-
me auſſi ne font ils d'autres for-
faicts , qui ſont abominables. En-
cores eſtoyent plus ſobres les Ly-
myrmeis , dont parle Stobee Ser-
mon quarante deux és loix, apres
l'Hiſtorien Nicolas touchant les
nations, leſquels auoyent leurs fem-
mes communes, & nourriſſoyent
leurs enfans en commun iuſques à
la cinquieſme annee. Lequel temps
expiré, ils en chargeoient ceux auſ-
quels les enfans , reſſembloyent
le plus.
Sceau de la Bibliothèque de l'arsenal
Cathajen , eſt la cité de Cam-
pion , laquelle eſt du Royaume de
Tanguts. Icy vous auez pluſieurs
ſortes de persõnes,les vns ſont ido-
latres, les autres Mehemetiſtes, au
reſte peut y auoir quelque poigneé
de Chreſtiens, ſi tres-fort corrom-
pus, qu'ils ne reſſentent que de bien
loing le Chriſtianiſme. Les Bachſi135
& Religieux idolatres ſont vn peu
Aſça-
uoir ſi
l'homme
eſtant re
cerché
par la
femme
ne peche
pas.
plus ſages, ſobres & modeſtes, s'ab-
ſtenants de quelques fautes, eſquel-
les les autres ſe ſoüillent ordinai-
rement , comme en la paillardiſe,
laquelle ils n'acomptent point à
peché , au moins duquel on doiue
faire eſtat , ayans opinion que ſi la
femme recherche l'homme , &
qu'elle le mette en rut d'amour,
que l'accointant il ne commet pe-
ché, mais ſi c'eſt l'homme, qui face
La Forest
la pourſuitte , lors eſchoit de la fau-te. Autrefois , comme i'ay eſté cu-
rieux de ſçauoir pluſieurs choſes,
i'ay prins peine de ſçauoir la cauſe
de ceſte diſtinctiõ. Aucuns, & meſ-
mes ceux qui ſembloyent les mieux
habillez d'entendement , diſoyent
que l'occaſion eſtoit toute euidẽte,
car, puis que l'homme deuoit eſtre
chef de la femme , s'il venoit à cho-
per, de tant plus eſtoit-il reprehen-
ſible, qu'ayant, comme l'on dit , les
yeux à la teſte, il faiſoit vne ſi lourde
demarche, que, quant bien elle ſe-
roit moindre , elle meriteroit vne
griefue reprimẽde. De ma part i'ac-
culpe grandement le maſle , qui ne
ſçait vſer de la prudence, que Dieu
luy a donné, pour ſçauoir ſagement
gouuerner ſon meſnage, & par ain-
ſi deteſte l'impudicité de ceux , qui
ou ſeduiſent, ou forcent les Dames,
mais pourtãt on ne me pourra faire
accroire, que les femmes n'offensẽt
auſſi griefuemẽt la Majeſté du tout-
puiſſant , lors qu'elles ſe mettent à
enjoller les maſles indiſcrets , d'au-
tant
85
Nvptiale.
tant que le mauuais aduis des vnsn'excuſe point les autres , encores
que ce ſoit à l'homme à maiſtriſer
& tenir bride aux eſſais & deſſeins
de la femme, tout ne plus ne moins
qu'Adã ne demeura hors de coul-
pe encores qu'Eue luy eut cõſeillé
de manger du fruict inhibé & def-
fendu. Donc les Campioniens ſe
meſprenent bien lourdement , en
ce poinct, tout ainſi qu'à ce qui ap-
partient au reſte des ceremonies de
leurs mariages, c'eſt là où ils ſe ſont
monſtrez du tout mal-aduiſez. De
Pluralité
de fem-
mes re-
ceuë en-
tre les
Campio-
niens.
faict ils ſe ſont tellement deſbordez
que chacun peut auoir iuſqu'à tren-
tes femmes, & plus, ſi tãt ils en pou-
uoyent nourrir, & tant s'en faut,
qu'elles leur portent rien, que plu-
ſtoſt ils les dotent, non d'or ou d'ar-
gent, ains de beſtial , & d'eſclaues,
mais la premiere qu'ils eſpousẽt eſt
reputée la plus grande , & ayant la
ſur-intendance de leurs maiſons. Et
s'ils voyent qu'il y en ait quelqu'vne
de rioteuſe & quereleuſe, de ſorte
qu'on ne la puiſſe ſupporter en ſes
H
La Forest
crieries ils la deſchaſſent, tant peude tenuë a entre eux le ſainct nœud
de mariage. Au reſte ils ſont ſi
brutaux, que ſans reſpect de ſang,ils
s'accouplent à leurs parentes, tant
leur ſoyent elles proches , ſauf à
leurs meres , mais d'eſpouſer & ac-
cointer les vefues de leurs peres ils
n'en font aucune conſcience, com-
me auſſi ne font ils d'autres for-
faicts , qui ſont abominables. En-
cores eſtoyent plus ſobres les Ly-
myrmeis , dont parle Stobee Ser-
mon quarante deux és loix, apres
l'Hiſtorien Nicolas touchant les
nations, leſquels auoyent leurs fem-
mes communes, & nourriſſoyent
leurs enfans en commun iuſques à
la cinquieſme annee. Lequel temps
expiré, ils en chargeoient ceux auſ-
quels les enfans , reſſembloyent
le plus.
86
Nvptiale.
Les Camuliens.
Chap. XVIII.
LA Prouince de Camul eſt dans
le pourpris du pays Cathaien,
ſujette au grand Cham136, non loing
du deſert de Lop, & du mõt Vſſon-
te où Emai, poſée au midy de Tan-
guth. Les habitans d'icelle ſont ido-
latres, mais au reſte non point ſi dé-
courtois que le reſte des Tartares, &
quand tout eſt dict,ſont plus chari-
tables aux eſtrangers, qu'il n'eſt ſeãt
& conuenable, pour maintenir net-
te la chaſteté de leur couche. Ils
ſont plaiſans & addonnez à paſſe-
temps , ne ſe ſoucians que de rire,
chanter, ſonner d'inſtrumens , dan-
ſer , lire & eſcrire à leur mode , en
ſomme à viure en repos, ſans aymer
ny debat , ny guerres quelconques.
Sont au reſte ſi courtois , enuers les
eſtrangers , qu'on ne ſçauroit leur
faire plaiſir plus grand , que le lo-
ger chez eux, & s'eſiouïſſent, voyãt
Camuliẽ
nes trop
prodigue
de leur
pudicité
enuers
les paſ-
ſans.
heberger en leurs maiſons : & tant
que l'eſtrãger y demeure, ils ſe tien-
nent aux champs, pour ne l'empeſ-
cher de faire quelque bon coup,
voire137 qu'auant que ſe departir d'a-
uec leurs femmes, ils leur commã-
dent tres-expres, & fils & filles, d'o-
beïr à leurs hoſtes, & faire tout ce, à
quoy ils les voudront employer, &
des champs auant leur enuoyent
toutes leurs neceſſitez , mais il faut
que l'eſtranger les paye à prix rai-
ſonnable. Il leur eſt permis de ſe
ioüer aux femmes de ceux qui les
reçoiuent, elles s'eſtimãs bien-heu-
reuſes de gratifier leurs hoſtes , de
ce dont ils les requierẽt, comme de
choſe aggreable à leurs Idoles , &
d'obeïr aux cõmandemens de leurs
maris : ioint que par ce moyen elles
penſent que leurs biens ſont aug-
mentez , & leurs enfans maintenus
& conſeruez en ſanté. Eſtans belles
en perfection , ne faut s'eſbahyr ſi
les voyageurs ne ſe dedaignent de
receuoir ces charitez en gré , puis
peuuẽt iouïr tout à leur aiſe, & ſans
difficulté , peſcher au plat. On dict
que Mangù, Cham138, ayant entendu
ceſte vilainie & ſotte façon de faire
des Camuliens , ſe plaiſans ainſi au
Coquage, leur fit deffence , ſur pei-
ne de la vie, de ne plus vſer de ceſte
illegitime liberté & abandon de
leurs femmes, leur permettant bien
de loger les paſſans , mais entendoit
qu'on fit des logis publics, où ils ſe
puiſſent retirer. Ils obeïrent pour
quelque temps, à l'Edict du Prince:
mais, voyãs, que leurs terres eſtoyẽt
deuenuës ſteriles & que le ſuccez
de leurs affaires baſtoit à l'Empire
eurent recours à leur Roy ( ainſi
qu'eſcrit Marc-Paul, Venitien , au
chapitre 37. liure 9. ) le ſupplient ne
leur deffendre ce que de toute an-
cienneté ils tenoyent de leurs pre-
deceſſeurs , remonſtrent les incom-
moditez aduenuës depuis que ſon
Edict auoit eſté en vogue , que les
dieux courroucez de leur diſconti-
nuation d'vſer du droict d'hoſpita-
ſorte , que s'il ne leur permettoit de
viure, cõme au paſſé, leurs maiſons
& biens s'en alloyent en ruine. Mã-
gu, oyant vne requeſte tant inciuile,
& voyant la force de ce peuple ſe
trouua bien entrepris , & dict aux
deputez. Puis que vous ſouhaitez
tãt voſtre vitupere & infamie , qu'il
vous ſoit octroyé , allez & viuez ſe-
lon les couſtumes de vos anceſtres,
& faictes , que vos femmes à leur
plaiſir , ſoyent charitables de leur
corps à tous ceux qui paſſent , car
deſormais ie ne vous y feray aucun
empeſchement. Et ainſi ces bons
Ieans ou bõnes gens ( il faut meſler
les maſles auec les femelles) s'en re-
tournerent gays & ioyeux en leur
pays, diſpenſez , par priuilege, de
maintenir le coquage en leurs ter-
res. Icy le liſeur doit conſiderer, cõ-
bien grande eſt l'aſtuce du diable,
qui a ſceu faire breſche au mariage,
par le moyen de la charité & hoſpi-
talité. Si l'Autheur que i'ay cy deſ-
ſus cotté, n'eut luy-meſmes eſté ſur
ceſt octroy fut donné à ce peuple,
où qu'en ces meſmes œuures ie
n'euſſe propoſé des exemples des
Dames , qui ne ſe ſont proſtituées
que trop volontiers , ie cõſeillerois
à qui voudroit , de meſcroire ce cõ-
pte : Mais (helas) nous ne trouuons
que trop d'exemples, de maints au-
tres peuples , qui ont auſſi aiſément
preſté l'eſpaule au coquage comme
les Camuliens. Entre autres vous
Lacede-
moniẽnes
licẽtiées
de rece-
uoir ſub-
ſtituts de
leurs ma
ris.
auez les Lacedemoniens , leſquels
(ſelon le recit qu'en fait Dominique
Marie, au vnzieſme liure de ſa Geo-
graphie, apres l'Hiſtorien Trogue)
tenans aſſiegée la Cité de Meſſine,
où deſia ils auoyent demeuré dix
ans, ſans y rien profiter, leurs fem-
mes les enuoyerent rappeller, pour
ſe veoir ſeules, & craignãs , qu'elles
ne demeuraſſent ſans lignée. Eux
obſtinez en leur deliberation, de ne
leuer le ſiege , qu'auec la priſe de la
place aſſiegée , choiſirent quelque
troupe de ieunes hommes au camp
pour les enuoyer à Lacedemone , à
leurs femmes, & retranchaſſent ce-
ſte ardeur, qui les prouoquoit à meſ-
contentement, en ſomme qu'ils fuſ-
ſent leurs ſubſtituts en matiere d'ai-
des de couche. Ces ieunes leurons
firent ſi bien & beau leur deuoir,
que les Dames ſe trouuerent gen-
timẽt enceintes , & leurs enfans fu-
rent pour ceſte occaſion nommez
Spartains, où ( ſelon Iuſtin ) Parthe-
nies, qui eſt à dire, virginaux , pour
auec l'honeſteté de ce nom, couurir
le deshonneur de leurs meres. Les
Lithuaniens ont bien donné à leurs
femmes la bride plus laſche , car les
plus honeſtes d'entre elles ont des
concubins, par la permiſſiõ de leurs
Coadiu-
teurs du
mariage
receus en
tre les
Lithua-
niens.
maris,leſquels elles appellent coad-
juteurs du mariage. En France, Dieu
a permis, que la licence n'eſt point
ainſi deſbordée, au moins la Loy ne
permet point que la cornardiſe y
regne en telle liberté , ſi trouue on
bien moyen d'y faire gliſſer le cou-
paudiſme139, par deux voyes, du tout
deteſtables. Vous en auez aucuns,
ter,qui pour s'agrandir en hõneurs,
& biens, & faire bouillir la marmite
ne font conſcience de preſter ce
qu'il deuroyent tenir plus cher en
leurs femmes: mais puis que l'auari-
ce & l'ambition a ſi bien enrumé
ceux-cy , qu'on ne peut leur faire
ſentir la villainie , puanteur & infe-
ction de leur cornardiſe, nous ſom-
mes, malgré nous , contraincts les
laiſſer croupir en leurs ordures. Hé!
que dirons nous de ces maris , qui
pour rompre le charme du neud
d'aiguillette, eux-meſmes ( tant ils
ſont dénaturez) ſont cõtants d'eſtre
maquereaux , pour ſe faire planter
les cornes , à ceux qui y ont autant
de credit , que Magnificat vient à
propos à Matines. Et neantmoins
nous voyons vne ſi grande bande
de coquins de leur honneur , qui ſe
font à cul leué , incucurbiter140, que
moy-meſmes i'ay honte de croire
ce que ie ne puis entẽndre, qu'au
deshonneur de noſtre France.
le pourpris du pays Cathaien,
ſujette au grand Cham136, non loing
du deſert de Lop, & du mõt Vſſon-
te où Emai, poſée au midy de Tan-
guth. Les habitans d'icelle ſont ido-
latres, mais au reſte non point ſi dé-
courtois que le reſte des Tartares, &
quand tout eſt dict,ſont plus chari-
tables aux eſtrangers, qu'il n'eſt ſeãt
& conuenable, pour maintenir net-
te la chaſteté de leur couche. Ils
ſont plaiſans & addonnez à paſſe-
temps , ne ſe ſoucians que de rire,
chanter, ſonner d'inſtrumens , dan-
ſer , lire & eſcrire à leur mode , en
ſomme à viure en repos, ſans aymer
ny debat , ny guerres quelconques.
Sont au reſte ſi courtois , enuers les
eſtrangers , qu'on ne ſçauroit leur
faire plaiſir plus grand , que le lo-
ger chez eux, & s'eſiouïſſent, voyãt
H ij
La Forest
vn qui paſſe, s'addreſſer à eux , pourCamuliẽ
nes trop
prodigue
de leur
pudicité
enuers
les paſ-
ſans.
heberger en leurs maiſons : & tant
que l'eſtrãger y demeure, ils ſe tien-
nent aux champs, pour ne l'empeſ-
cher de faire quelque bon coup,
voire137 qu'auant que ſe departir d'a-
uec leurs femmes, ils leur commã-
dent tres-expres, & fils & filles, d'o-
beïr à leurs hoſtes, & faire tout ce, à
quoy ils les voudront employer, &
des champs auant leur enuoyent
toutes leurs neceſſitez , mais il faut
que l'eſtranger les paye à prix rai-
ſonnable. Il leur eſt permis de ſe
ioüer aux femmes de ceux qui les
reçoiuent, elles s'eſtimãs bien-heu-
reuſes de gratifier leurs hoſtes , de
ce dont ils les requierẽt, comme de
choſe aggreable à leurs Idoles , &
d'obeïr aux cõmandemens de leurs
maris : ioint que par ce moyen elles
penſent que leurs biens ſont aug-
mentez , & leurs enfans maintenus
& conſeruez en ſanté. Eſtans belles
en perfection , ne faut s'eſbahyr ſi
les voyageurs ne ſe dedaignent de
receuoir ces charitez en gré , puis
87
Nvptiale.
que ſans jalouſie des maris , ils enpeuuẽt iouïr tout à leur aiſe, & ſans
difficulté , peſcher au plat. On dict
que Mangù, Cham138, ayant entendu
ceſte vilainie & ſotte façon de faire
des Camuliens , ſe plaiſans ainſi au
Coquage, leur fit deffence , ſur pei-
ne de la vie, de ne plus vſer de ceſte
illegitime liberté & abandon de
leurs femmes, leur permettant bien
de loger les paſſans , mais entendoit
qu'on fit des logis publics, où ils ſe
puiſſent retirer. Ils obeïrent pour
quelque temps, à l'Edict du Prince:
mais, voyãs, que leurs terres eſtoyẽt
deuenuës ſteriles & que le ſuccez
de leurs affaires baſtoit à l'Empire
eurent recours à leur Roy ( ainſi
qu'eſcrit Marc-Paul, Venitien , au
chapitre 37. liure 9. ) le ſupplient ne
leur deffendre ce que de toute an-
cienneté ils tenoyent de leurs pre-
deceſſeurs , remonſtrent les incom-
moditez aduenuës depuis que ſon
Edict auoit eſté en vogue , que les
dieux courroucez de leur diſconti-
nuation d'vſer du droict d'hoſpita-
H iij
La Forest
lité, les auoyent auſſi punis de telleſorte , que s'il ne leur permettoit de
viure, cõme au paſſé, leurs maiſons
& biens s'en alloyent en ruine. Mã-
gu, oyant vne requeſte tant inciuile,
& voyant la force de ce peuple ſe
trouua bien entrepris , & dict aux
deputez. Puis que vous ſouhaitez
tãt voſtre vitupere & infamie , qu'il
vous ſoit octroyé , allez & viuez ſe-
lon les couſtumes de vos anceſtres,
& faictes , que vos femmes à leur
plaiſir , ſoyent charitables de leur
corps à tous ceux qui paſſent , car
deſormais ie ne vous y feray aucun
empeſchement. Et ainſi ces bons
Ieans ou bõnes gens ( il faut meſler
les maſles auec les femelles) s'en re-
tournerent gays & ioyeux en leur
pays, diſpenſez , par priuilege, de
maintenir le coquage en leurs ter-
res. Icy le liſeur doit conſiderer, cõ-
bien grande eſt l'aſtuce du diable,
qui a ſceu faire breſche au mariage,
par le moyen de la charité & hoſpi-
talité. Si l'Autheur que i'ay cy deſ-
ſus cotté, n'eut luy-meſmes eſté ſur
88
Nvptiale.
les lieux , quelque temps apres queceſt octroy fut donné à ce peuple,
où qu'en ces meſmes œuures ie
n'euſſe propoſé des exemples des
Dames , qui ne ſe ſont proſtituées
que trop volontiers , ie cõſeillerois
à qui voudroit , de meſcroire ce cõ-
pte : Mais (helas) nous ne trouuons
que trop d'exemples, de maints au-
tres peuples , qui ont auſſi aiſément
preſté l'eſpaule au coquage comme
les Camuliens. Entre autres vous
Lacede-
moniẽnes
licẽtiées
de rece-
uoir ſub-
ſtituts de
leurs ma
ris.
auez les Lacedemoniens , leſquels
(ſelon le recit qu'en fait Dominique
Marie, au vnzieſme liure de ſa Geo-
graphie, apres l'Hiſtorien Trogue)
tenans aſſiegée la Cité de Meſſine,
où deſia ils auoyent demeuré dix
ans, ſans y rien profiter, leurs fem-
mes les enuoyerent rappeller, pour
ſe veoir ſeules, & craignãs , qu'elles
ne demeuraſſent ſans lignée. Eux
obſtinez en leur deliberation, de ne
leuer le ſiege , qu'auec la priſe de la
place aſſiegée , choiſirent quelque
troupe de ieunes hommes au camp
pour les enuoyer à Lacedemone , à
H iiij
La Forest
fin qu'ils ſatisfiſſent au deſir deleurs femmes, & retranchaſſent ce-
ſte ardeur, qui les prouoquoit à meſ-
contentement, en ſomme qu'ils fuſ-
ſent leurs ſubſtituts en matiere d'ai-
des de couche. Ces ieunes leurons
firent ſi bien & beau leur deuoir,
que les Dames ſe trouuerent gen-
timẽt enceintes , & leurs enfans fu-
rent pour ceſte occaſion nommez
Spartains, où ( ſelon Iuſtin ) Parthe-
nies, qui eſt à dire, virginaux , pour
auec l'honeſteté de ce nom, couurir
le deshonneur de leurs meres. Les
Lithuaniens ont bien donné à leurs
femmes la bride plus laſche , car les
plus honeſtes d'entre elles ont des
concubins, par la permiſſiõ de leurs
Coadiu-
teurs du
mariage
receus en
tre les
Lithua-
niens.
maris,leſquels elles appellent coad-
juteurs du mariage. En France, Dieu
a permis, que la licence n'eſt point
ainſi deſbordée, au moins la Loy ne
permet point que la cornardiſe y
regne en telle liberté , ſi trouue on
bien moyen d'y faire gliſſer le cou-
paudiſme139, par deux voyes, du tout
deteſtables. Vous en auez aucuns,
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Nvptiale
& trop plus qu'il ne ſeroit à ſouhait-ter,qui pour s'agrandir en hõneurs,
& biens, & faire bouillir la marmite
ne font conſcience de preſter ce
qu'il deuroyent tenir plus cher en
leurs femmes: mais puis que l'auari-
ce & l'ambition a ſi bien enrumé
ceux-cy , qu'on ne peut leur faire
ſentir la villainie , puanteur & infe-
ction de leur cornardiſe, nous ſom-
mes, malgré nous , contraincts les
laiſſer croupir en leurs ordures. Hé!
que dirons nous de ces maris , qui
pour rompre le charme du neud
d'aiguillette, eux-meſmes ( tant ils
ſont dénaturez) ſont cõtants d'eſtre
maquereaux , pour ſe faire planter
les cornes , à ceux qui y ont autant
de credit , que Magnificat vient à
propos à Matines. Et neantmoins
nous voyons vne ſi grande bande
de coquins de leur honneur , qui ſe
font à cul leué , incucurbiter140, que
moy-meſmes i'ay honte de croire
ce que ie ne puis entẽndre, qu'au
deshonneur de noſtre France.
H v
La Forest
Les Tarnaſsariens.
Chap. XIX.
LA prouince de Tarnaſſarie eſt
en l'ancienne region des Me-
ſoliens au ſein Gangetique, du coſté
occidental de Gangé. Le Roy de ce
pais eſt fort puiſſant & idolatre, mais
toutesfois n'eſt ſi ſot que celuy de
Calecut à faire depuceler ſes fem-
mes aux Bramins, mais pourtant ne
laiſſe d'vſer de plus grande charité
en l'ancienne region des Me-
ſoliens au ſein Gangetique, du coſté
occidental de Gangé. Le Roy de ce
pais eſt fort puiſſant & idolatre, mais
toutesfois n'eſt ſi ſot que celuy de
Calecut à faire depuceler ſes fem-
mes aux Bramins, mais pourtant ne
laiſſe d'vſer de plus grande charité
Tarnaſ
ſariẽnes
depucelés
par des e
ſtrãgers.
ſariẽnes
depucelés
par des e
ſtrãgers.
& auſſi ſale vilanie que l'autre. De
faict les Tarnaſſariens ne veulent
eſpouſer fille, qui porte ſon pucel-
lage non plus que les Thebetiens,
ains les font eſſayer par des hom-
mes blancs, ſoyent ils mores c'eſt à
dire Alcoraniſtes , ou Chreſtiens,
s'il y en a de ſi malheureux, qui veu-
lent s'accoupler auec les infideles:
car ces Roys ne ſouffrent pas, que
pas vn de leur loy idolatre ait l'ad-
uantage de leur faire le paſſage des
nopçes. Voire141, les gentils, qui ſont
çon de faire, qu'auant que d'eſpou-
ſer, s'ils rencontrent vn blanc , de
quelque langue , eſtat ou nation
qu'il ſoit , ils le meneront en leurs
maiſons exprés , pour faire depuce-
ler leurs accordees. Il eſt bien vray,
Commẽt
les Tar-
naſsariẽs
s'entre-
tiennent
en l'a-
mour de
leurs a-
mies.
que depuis qu'vne femme eſt ma-
riee,il ne faut s'y iouër , à cauſe que
les hommes n'en ſont ſi liberaux
que les Calecutiens. L'amour eſt
en ces quartiers traictee d'vne e-
ſtrange façon , d'autant que ſi vn
ieune homme deuient amoureux
de quelque femme , & il luy veut
faire entendre ſa paſſion, & le deſir
qu'il a d'eſtre à elle, pour luy mon-
ſtrer, que ce ne ſont faintiſes de ſon
affectiõ , mais que c'eſt du profond
du cœur, qu'il parle, & qu'il l'ayme,
& qu'il n'y a peril auquel il ne ſi ha-
zarde pour luy faire ſeruice , tandis
qu'il deuiſera auec ſa Dame , il prẽ-
dra vne piece de drap baignée en
huile, laquelle, bien trampee il allu-
mera au feu , & icelle bruſlant il la
met ſur le bras tout à nud : & tandis
ceſſe de deuiſer auec ſon amoureuſe
ſans faire le moindre ſigne que ce
ſoit de ſe troubler ou de ſentir dou-
leur quelconque. Que ſi le Tarnaſ-
ſarien ayme bien ſa partie aſſeurés
vous que la femme n'en eſt poinct
ingratte comme elle faict paroiſtre
par la ſubiection, humilité & obeiſ-
ſance qu'elle luy porte, meſmes par
Tarnaſſa
riennes
ſuiuẽt de
bien pres
leur mary
au tom-
beau.
le dernier deuoir duquel elle hono-
re ſes obſeques. Le ſacrifice mor-
tuaire ſe fait ſous quelque arbre &
là on bruſle le corps auec bois d'a-
loy, Storax, Sandool & encens, y aſ-
ſiſtans tous les meneſtriers de la vil-
le, & des maſques déguiſés en Dia-
bles, leſquels ſe reſiouyſſent & font
grands ſignes de lieſſe. Cependant
la femme du deffunct fait de gran-
des plaintes , bat les mains, pleure,
ſouſpire & ſe tourmente iuſques à
deux heures de la nuict. Mais quin-
ze iours apres le treſpas du mary el-
le va ſe ſacrifier & bruſler, toutes-
fois auant elle mange tant de Betel-
les & Areca, (qui ſont fort propres
en perdent tout ſentiment & ap-
prehenſion, car autrement il n'y a
perſonne ſi conſtante qui voyant
les maſques repreſentans les Dia-
bles auec du feu, ne s'effrayaſt & ne
perdit la conſtance, de laquelle vſe
ce peuple & ces femmes , qui pen-
ſent s'en aller de tout ce pas au ciel,
s'offrans à la mort ſi volontairemẽt.
Ie ne veux point nier que la femme
ne ſoit neceſſitee à ce faire , d'au-
tant que ſi elle refuſe à ſe ſacrifier
elle eſt miſe à mort, chaſcun la te-
nant pour vne paillarde & adultere,
& ainſi la mort y eſcheant touſiours
les femmes ayment mieux ſe mon-
ſtrer courageuſes en mourant ſans
infamie, que d'encourir blaſme , &
mourir vituperées & infames.
faict les Tarnaſſariens ne veulent
eſpouſer fille, qui porte ſon pucel-
lage non plus que les Thebetiens,
ains les font eſſayer par des hom-
mes blancs, ſoyent ils mores c'eſt à
dire Alcoraniſtes , ou Chreſtiens,
s'il y en a de ſi malheureux, qui veu-
lent s'accoupler auec les infideles:
car ces Roys ne ſouffrent pas, que
pas vn de leur loy idolatre ait l'ad-
uantage de leur faire le paſſage des
nopçes. Voire141, les gentils, qui ſont
90
Nvptiale.
naturels du pays vſent de ceſte fa-çon de faire, qu'auant que d'eſpou-
ſer, s'ils rencontrent vn blanc , de
quelque langue , eſtat ou nation
qu'il ſoit , ils le meneront en leurs
maiſons exprés , pour faire depuce-
ler leurs accordees. Il eſt bien vray,
Commẽt
les Tar-
naſsariẽs
s'entre-
tiennent
en l'a-
mour de
leurs a-
mies.
que depuis qu'vne femme eſt ma-
riee,il ne faut s'y iouër , à cauſe que
les hommes n'en ſont ſi liberaux
que les Calecutiens. L'amour eſt
en ces quartiers traictee d'vne e-
ſtrange façon , d'autant que ſi vn
ieune homme deuient amoureux
de quelque femme , & il luy veut
faire entendre ſa paſſion, & le deſir
qu'il a d'eſtre à elle, pour luy mon-
ſtrer, que ce ne ſont faintiſes de ſon
affectiõ , mais que c'eſt du profond
du cœur, qu'il parle, & qu'il l'ayme,
& qu'il n'y a peril auquel il ne ſi ha-
zarde pour luy faire ſeruice , tandis
qu'il deuiſera auec ſa Dame , il prẽ-
dra vne piece de drap baignée en
huile, laquelle, bien trampee il allu-
mera au feu , & icelle bruſlant il la
met ſur le bras tout à nud : & tandis
H vj
La Forest
qu'elle ſe conſume ſur la chair il neceſſe de deuiſer auec ſon amoureuſe
ſans faire le moindre ſigne que ce
ſoit de ſe troubler ou de ſentir dou-
leur quelconque. Que ſi le Tarnaſ-
ſarien ayme bien ſa partie aſſeurés
vous que la femme n'en eſt poinct
ingratte comme elle faict paroiſtre
par la ſubiection, humilité & obeiſ-
ſance qu'elle luy porte, meſmes par
Tarnaſſa
riennes
ſuiuẽt de
bien pres
leur mary
au tom-
beau.
le dernier deuoir duquel elle hono-
re ſes obſeques. Le ſacrifice mor-
tuaire ſe fait ſous quelque arbre &
là on bruſle le corps auec bois d'a-
loy, Storax, Sandool & encens, y aſ-
ſiſtans tous les meneſtriers de la vil-
le, & des maſques déguiſés en Dia-
bles, leſquels ſe reſiouyſſent & font
grands ſignes de lieſſe. Cependant
la femme du deffunct fait de gran-
des plaintes , bat les mains, pleure,
ſouſpire & ſe tourmente iuſques à
deux heures de la nuict. Mais quin-
ze iours apres le treſpas du mary el-
le va ſe ſacrifier & bruſler, toutes-
fois auant elle mange tant de Betel-
les & Areca, (qui ſont fort propres
91
Nvptiale.
pour rauigourer le cœur ) qu'ellesen perdent tout ſentiment & ap-
prehenſion, car autrement il n'y a
perſonne ſi conſtante qui voyant
les maſques repreſentans les Dia-
bles auec du feu, ne s'effrayaſt & ne
perdit la conſtance, de laquelle vſe
ce peuple & ces femmes , qui pen-
ſent s'en aller de tout ce pas au ciel,
s'offrans à la mort ſi volontairemẽt.
Ie ne veux point nier que la femme
ne ſoit neceſſitee à ce faire , d'au-
tant que ſi elle refuſe à ſe ſacrifier
elle eſt miſe à mort, chaſcun la te-
nant pour vne paillarde & adultere,
& ainſi la mort y eſcheant touſiours
les femmes ayment mieux ſe mon-
ſtrer courageuſes en mourant ſans
infamie, que d'encourir blaſme , &
mourir vituperées & infames.
Les Tebethiens.
Chap. XX.
L'Vne des principales Prouinces
du Cathai, eſt celle de Thebeth,
& qui eſtoit autresfois de telle eſtẽ-
mes & pluſieurs grandes cités. Le
peuple y eſt le plus meſchãt de tout
l'Orient, addonné à la Necromancie
ſortileges, arts & impoſtures diabo-
liques. En leurs mariages ſont ils en-
cores plus difformes, car afin que ie
ne faliſſe point ce diſcours de l'im-
pieté , par laquelle ils defigurent
l'entretien de leur conionction
Thebe-
tiennes
depuce-
lees
par les
paſsa-
gers.
maritale , & pareillement que par
la pluralité de femmes qu'on leur
attribue ie ne ſemble me plaire en
redictes , ie ne veux que propoſer
l'entree de leurs mariages , qui eſt
fort eſtrange. De faict les habitans
de ceſte region ont ceſte fole & ſa-
le couſtume introduicte entre eux
par la villaine introduction des ido-
les de long temps en ça , qu'il n'y a
aucun , qui vueille eſpouſer vne fil-
le, qui ſoit pucelle, ains auant que la
prendre à femme il faut qu'vn autre
iouë le fol & face l'entree. Pour
toute raiſon ils ne ſçauent vous al-
leguer ſinon que tel eſt le plaiſir
de leurs Dieux, qui monſtre bien
de cauſer l'aueuglement ſi grand de
ce peuple , que la ſaleté luy eſt ainſi
agreable. Par ainſi quand la Caroua-
ne142 paſſe par ce pays & qu'on tend
les pauillons, pour y loger , les me-
res, qui ont des filles a marier les
y conduiſent , & prient les mar-
chands de prendre leurs filles, &
s'en ſeruir ( on entend bien chat,
ſans dire minon ) tandis qu'ils s'ar-
reſteront-là, afin qu'elles ayẽt moiẽ
de les pouruoir ainſi que r'appor-
te Marc Paul Venitien au chapi-
tre trente-ſeptieſme du ſecond li-
ure , les marchands choiſiſſent les
plus gayes, gaillardes, diſpoſes, ieu-
nes, belles & qui leur aggreent le
plus , & renuoyent les autres, qui
ſont bien maries de ſe voir de
la façon rebrouees , reiettées
& miſes au rang des oubliees &
delaiſſees. Apres auoir retiré d'el-
les tout ce qu'ils ont en phantaſie
& leur auoir donné le recipé , qui
les rend femmes, & rompu la taye
dent ces petites mignonnes à leurs
meres, mais bien en autre eſtat
qu'ils ne les auoyent receu, car de
pucelles , il n'en faut plus parler,
ains maintes-fois la bedaine leur
deuient enflee & hydropique.
Mais ſçauez-vous auec quels re-
merciemens les meres reçoyuent
leurs filles domtees & façonnees à
l'eſperon , voyre143 que le Caluaca-
dour qui aura apprins à la fille à
courir la carriere ne partira iamais
ſans eſtre honoré d'vn preſent fort
honneſte. Quant à eux comme ils
ne ſont vilains , prenans congé de
leurs mignardes ils leur donnent
quelque anneau ou petite bagatelle
qui leur ſert de marque de leur
depucelement , & celle qui en eſt
la mieux fournie & embaguee eſt
auſſi la mieux eſtimee, comme e-
ſtant bonne robbe , & ayant don-
né contentemẽt a plus grand nom-
bre d'hommes: pour ceſte cauſe les
ieunes hommes du pays la pour-
ſuyuent plus volõtiers pour l'auoir
ſont mariees ny a ſi hardy qui oſaſt
toucher la femme d'vn autre, s'il ny
vouloit laiſſer la vie. Ie ne ſçay où
l'autheur des diſcours touchant
les mœurs eſtrangers a trouué que
les hommes Thebethiens, facent
l'office de femmes: il ſe pourroit biẽ
eſtre meſpris ſur ce que Marc Paul
au quarante vnieſme chapitre du ſe-
cond liure r'apporte de ceux de
Cardandan, & que ie ne puis croire,
quoy que Strabon au troiſieſme li-
ure de ſa Geographie afferme que
iadis les Eſpagnols vſoient de pa-
reille maniere de viure, qui eſt que
Sot alli-
tement
d'hõmes.
des que la femme eſt deliuree de
ſon fruict, & qu'elle a geu elle ſe le-
ue du lict , & lauant ſon enfant &
l'emmaillottant , ſon mary vient,
ſe coucher & fait la giſante au lieu
de la pauure femme affligee du tra-
uail : & luy met on l'enfant aupres
duquel il a le ſoin par l'eſpace de
quarante iours, qu'il ſe tient là com-
me vne poule ſur ſes œufs, ſans que
iamais durant ceſt eſpace il en bou-
amis pour le reſiouïr & conſoler-là
où la femme eſt cependant par la
maiſon , appreſtant à manger & à
boire à ce ſot accouché & ayant la
peine d'eſtre la nourrice & de l'en-
fant & du pere.
du Cathai, eſt celle de Thebeth,
& qui eſtoit autresfois de telle eſtẽ-
La Forst
due, qu'elle cõprenoit huict Royau-mes & pluſieurs grandes cités. Le
peuple y eſt le plus meſchãt de tout
l'Orient, addonné à la Necromancie
ſortileges, arts & impoſtures diabo-
liques. En leurs mariages ſont ils en-
cores plus difformes, car afin que ie
ne faliſſe point ce diſcours de l'im-
pieté , par laquelle ils defigurent
l'entretien de leur conionction
Thebe-
tiennes
depuce-
lees
par les
paſsa-
gers.
maritale , & pareillement que par
la pluralité de femmes qu'on leur
attribue ie ne ſemble me plaire en
redictes , ie ne veux que propoſer
l'entree de leurs mariages , qui eſt
fort eſtrange. De faict les habitans
de ceſte region ont ceſte fole & ſa-
le couſtume introduicte entre eux
par la villaine introduction des ido-
les de long temps en ça , qu'il n'y a
aucun , qui vueille eſpouſer vne fil-
le, qui ſoit pucelle, ains auant que la
prendre à femme il faut qu'vn autre
iouë le fol & face l'entree. Pour
toute raiſon ils ne ſçauent vous al-
leguer ſinon que tel eſt le plaiſir
de leurs Dieux, qui monſtre bien
92
Nvptiale.
quelle eſt la malice de Sathan , quede cauſer l'aueuglement ſi grand de
ce peuple , que la ſaleté luy eſt ainſi
agreable. Par ainſi quand la Caroua-
ne142 paſſe par ce pays & qu'on tend
les pauillons, pour y loger , les me-
res, qui ont des filles a marier les
y conduiſent , & prient les mar-
chands de prendre leurs filles, &
s'en ſeruir ( on entend bien chat,
ſans dire minon ) tandis qu'ils s'ar-
reſteront-là, afin qu'elles ayẽt moiẽ
de les pouruoir ainſi que r'appor-
te Marc Paul Venitien au chapi-
tre trente-ſeptieſme du ſecond li-
ure , les marchands choiſiſſent les
plus gayes, gaillardes, diſpoſes, ieu-
nes, belles & qui leur aggreent le
plus , & renuoyent les autres, qui
ſont bien maries de ſe voir de
la façon rebrouees , reiettées
& miſes au rang des oubliees &
delaiſſees. Apres auoir retiré d'el-
les tout ce qu'ils ont en phantaſie
& leur auoir donné le recipé , qui
les rend femmes, & rompu la taye
La Forest
de leur pucellage, à leur depart ren-dent ces petites mignonnes à leurs
meres, mais bien en autre eſtat
qu'ils ne les auoyent receu, car de
pucelles , il n'en faut plus parler,
ains maintes-fois la bedaine leur
deuient enflee & hydropique.
Mais ſçauez-vous auec quels re-
merciemens les meres reçoyuent
leurs filles domtees & façonnees à
l'eſperon , voyre143 que le Caluaca-
dour qui aura apprins à la fille à
courir la carriere ne partira iamais
ſans eſtre honoré d'vn preſent fort
honneſte. Quant à eux comme ils
ne ſont vilains , prenans congé de
leurs mignardes ils leur donnent
quelque anneau ou petite bagatelle
qui leur ſert de marque de leur
depucelement , & celle qui en eſt
la mieux fournie & embaguee eſt
auſſi la mieux eſtimee, comme e-
ſtant bonne robbe , & ayant don-
né contentemẽt a plus grand nom-
bre d'hommes: pour ceſte cauſe les
ieunes hommes du pays la pour-
ſuyuent plus volõtiers pour l'auoir
93
Nvptiale.
en mariage : mais depuis qu'ellesſont mariees ny a ſi hardy qui oſaſt
toucher la femme d'vn autre, s'il ny
vouloit laiſſer la vie. Ie ne ſçay où
l'autheur des diſcours touchant
les mœurs eſtrangers a trouué que
les hommes Thebethiens, facent
l'office de femmes: il ſe pourroit biẽ
eſtre meſpris ſur ce que Marc Paul
au quarante vnieſme chapitre du ſe-
cond liure r'apporte de ceux de
Cardandan, & que ie ne puis croire,
quoy que Strabon au troiſieſme li-
ure de ſa Geographie afferme que
iadis les Eſpagnols vſoient de pa-
reille maniere de viure, qui eſt que
Sot alli-
tement
d'hõmes.
des que la femme eſt deliuree de
ſon fruict, & qu'elle a geu elle ſe le-
ue du lict , & lauant ſon enfant &
l'emmaillottant , ſon mary vient,
ſe coucher & fait la giſante au lieu
de la pauure femme affligee du tra-
uail : & luy met on l'enfant aupres
duquel il a le ſoin par l'eſpace de
quarante iours, qu'il ſe tient là com-
me vne poule ſur ſes œufs, ſans que
iamais durant ceſt eſpace il en bou-
La Forest
ge & tandis il eſt viſité des parens &amis pour le reſiouïr & conſoler-là
où la femme eſt cependant par la
maiſon , appreſtant à manger & à
boire à ce ſot accouché & ayant la
peine d'eſtre la nourrice & de l'en-
fant & du pere.
Les FeZeens.
Chap. XXI.
PVis que ie ne me ſuis deſtiné à
deſcrire icy tout ce qui eſt des
mœurs & façons de viure des Fe-
zeens, ains, ſeulement ce qui viſe à
leurs mariages, ie paſſeray par deſ-
ſus ce dont ie pourroie eſtre requis
concernant leurs Moſquees, Colle-
ges, hoſpitaux, eſtuues, accouſtre-
mens , iuſtice , charmes & autres
particularitez qui pourront eſtre
appriſes de Iean Leon. Quelques
vns veulent reigler les Fezeens ,
pour le fait des mariages à ce qui eſt
pratiqué entre les Turcs & autres,
à ſçauoir que les femmes ſont a-
Quelles
choſes
ſont don
nées en
mariage
aux Fe-
zeens.
d'autres tiennent, que le pere don-
ne certaine ſomme de deniers ſe-
lon ſa portee , & faict vn banquet,
qui ſouuẽt luy reuiẽt à plus que le
douaire qu'il donne à ſa fille: mais
quant aux habits il n'y eſt pas tenu,
ains faut que le mary face le reſte
des frais , pour-autant qu'il eſt bien
raiſonnable ( diſent-ils) que celuy,
qui veut monter ſur la beſte la fa-
ce ferrer & harnacher. Le pere n'eſt
obligé qu'à fournir l'argent cou-
ché au contract de mariage, lequel
ils vont paſſer en preſence des pa-
rens de tous les deux coſtés dedans
la moſquee: Apres laquelle cere-
monie le fiancé faict le banquet a
toute la compagnie, & donne plu-
ſieurs ioyaux à ſa promiſe. Et
bien que les peres ne donnent à
leurs filles maiſons , borde , ny
heritages ou poſſeſſions en ma-
riage , ſi eſt-ce que la couſtume
plus ordinaire eſt , que , ſi elle
eſt de maiſon , elle aura auſſi de
robes de drap fin, trois de ſoye ſoit
ſattin , velous , ou damas, bon
nombre de chemiſes & linceux ou-
urés, oreillers elabourés richement,
& gentiment : comme encores le
pere luy dõne huit materas, & neuf
couuertures vn tapis velu long d'en-
uiron dix aunes & noter que des
couuertes, du lict, il y en a trois de
laine , & de toile reueſtuë , trois de
ſoye cottonnee, comme ſont nos
contrepoinctes & trois ſimples de
cotton: & vn tapis de fine laine &
comparty en labeur repreſentant
des flambes de feu , bordé de cuir
doré crenelé , à chaſcun deſquels
creneaux y a des houpes de ſoye &
des boutons de meſmes pour eſten-
dre le tapis contre la muraille. C'eſt
Quel
doüaire
eſt cõſti-
tué aux
filles.
en ſomme le doüaire qu'on donne
ordinairement aux filles en Affri-
que, contre l'argẽt qui ne paſſe onc
cent ducats entre les plus riches:
De meſmes que par l'ancienne cou-
ſtume de Marſeille , il n'eſtoit per-
mis de bailler aux filles plus de
teſmoigne Strabon au liure de ſa
Geographie ) & plus de cinq eſcus
en veſtemens. Et par les ordon-
nances de Veniſe il eſt defendu de
donner plus de ſeize cent ducats à
à la fille noble : & ſi le gentil-hõme
Venitien eſpouſe vne roturiere il ne
peut prendre que deux mil ducats.
Vray eſt que l'ordõnance y eſt auſ-
ſi mal gardee que celle du Roy
Charles IX. qui deffend de bailler à
la fille en mariage plus de dix mil
liures qui quelques-fois decuplent
en des ſimples mercanti : & neant-
moins l'ordõnance du Roy Charles
V. Ne donne aux filles de la maiſon
de Frãce que dix mil liures. Toutes-
fois depuis les doüaires ont biẽ en-
flé, tout ainſi qu'à Rome la loy qui
reigloit la deſbordee prodigalité
des peres enuers leurs filles fut ſi biẽ
aneãtie qu'il ſe trouua vne fille d'vn
Procõſul, qui ſe mõſtra vne fois, ayãt
ſur elle en habits & pierreries la va-
leur de trois millions d'eſcus. Mais
laiſſons ces exces, & voyõs, cõmẽt à
que nous ſçauõs quel eſt le doüaire.
deſcrire icy tout ce qui eſt des
mœurs & façons de viure des Fe-
zeens, ains, ſeulement ce qui viſe à
leurs mariages, ie paſſeray par deſ-
ſus ce dont ie pourroie eſtre requis
concernant leurs Moſquees, Colle-
ges, hoſpitaux, eſtuues, accouſtre-
mens , iuſtice , charmes & autres
particularitez qui pourront eſtre
appriſes de Iean Leon. Quelques
vns veulent reigler les Fezeens ,
pour le fait des mariages à ce qui eſt
pratiqué entre les Turcs & autres,
à ſçauoir que les femmes ſont a-
94
Nvptiale.
chaptees par les maris. Toutes-foisQuelles
choſes
ſont don
nées en
mariage
aux Fe-
zeens.
d'autres tiennent, que le pere don-
ne certaine ſomme de deniers ſe-
lon ſa portee , & faict vn banquet,
qui ſouuẽt luy reuiẽt à plus que le
douaire qu'il donne à ſa fille: mais
quant aux habits il n'y eſt pas tenu,
ains faut que le mary face le reſte
des frais , pour-autant qu'il eſt bien
raiſonnable ( diſent-ils) que celuy,
qui veut monter ſur la beſte la fa-
ce ferrer & harnacher. Le pere n'eſt
obligé qu'à fournir l'argent cou-
ché au contract de mariage, lequel
ils vont paſſer en preſence des pa-
rens de tous les deux coſtés dedans
la moſquee: Apres laquelle cere-
monie le fiancé faict le banquet a
toute la compagnie, & donne plu-
ſieurs ioyaux à ſa promiſe. Et
bien que les peres ne donnent à
leurs filles maiſons , borde , ny
heritages ou poſſeſſions en ma-
riage , ſi eſt-ce que la couſtume
plus ordinaire eſt , que , ſi elle
eſt de maiſon , elle aura auſſi de
La Forest
ſon pere ( mais c'eſt de grace)troisrobes de drap fin, trois de ſoye ſoit
ſattin , velous , ou damas, bon
nombre de chemiſes & linceux ou-
urés, oreillers elabourés richement,
& gentiment : comme encores le
pere luy dõne huit materas, & neuf
couuertures vn tapis velu long d'en-
uiron dix aunes & noter que des
couuertes, du lict, il y en a trois de
laine , & de toile reueſtuë , trois de
ſoye cottonnee, comme ſont nos
contrepoinctes & trois ſimples de
cotton: & vn tapis de fine laine &
comparty en labeur repreſentant
des flambes de feu , bordé de cuir
doré crenelé , à chaſcun deſquels
creneaux y a des houpes de ſoye &
des boutons de meſmes pour eſten-
dre le tapis contre la muraille. C'eſt
Quel
doüaire
eſt cõſti-
tué aux
filles.
en ſomme le doüaire qu'on donne
ordinairement aux filles en Affri-
que, contre l'argẽt qui ne paſſe onc
cent ducats entre les plus riches:
De meſmes que par l'ancienne cou-
ſtume de Marſeille , il n'eſtoit per-
mis de bailler aux filles plus de
95
Nvptiale.
cent eſcus en mariage & ainſi queteſmoigne Strabon au liure de ſa
Geographie ) & plus de cinq eſcus
en veſtemens. Et par les ordon-
nances de Veniſe il eſt defendu de
donner plus de ſeize cent ducats à
à la fille noble : & ſi le gentil-hõme
Venitien eſpouſe vne roturiere il ne
peut prendre que deux mil ducats.
Vray eſt que l'ordõnance y eſt auſ-
ſi mal gardee que celle du Roy
Charles IX. qui deffend de bailler à
la fille en mariage plus de dix mil
liures qui quelques-fois decuplent
en des ſimples mercanti : & neant-
moins l'ordõnance du Roy Charles
V. Ne donne aux filles de la maiſon
de Frãce que dix mil liures. Toutes-
fois depuis les doüaires ont biẽ en-
flé, tout ainſi qu'à Rome la loy qui
reigloit la deſbordee prodigalité
des peres enuers leurs filles fut ſi biẽ
aneãtie qu'il ſe trouua vne fille d'vn
Procõſul, qui ſe mõſtra vne fois, ayãt
ſur elle en habits & pierreries la va-
leur de trois millions d'eſcus. Mais
laiſſons ces exces, & voyõs, cõmẽt à
La Forest
Feez ſe celebrent les nopçes , puisque nous ſçauõs quel eſt le doüaire.
Ceremo-
nies des
nopçes à
Feez.
nies des
nopçes à
Feez.
L'eſpoux, le iour qu'il prend ſa fem-
me, la fait entrer en vne loge faite à
huict fares, toute baſtie d'ais, & ta-
piſſée de ſoye & de drap d'or, & eſt
portée par des facquins & croche-
teurs , qui la mettent ſur leur teſte,
accompagnée de ſes parens, & de
grand nombre de fiffres, tabours, &
trompettes, & les parẽs du mary luy
vont au deuãt, auec torches, & ceux
de la fille vont apres , & faut qu'ils
aillent paſſer par deuant la grande
Moſquée , & de s'arreſter en la pla-
ce , qui eſt deuant icelle : là où le
mary ſaluë le pere & les parens de
la fille , & ſoudain s'en va en ſa mai-
ſon , où il attend ſa femme dedans
ſa chambre : là le ſuiuent le pere, le
frere & l'oncle de l'eſpouſée ( ſi el-
le en a ) & eſtans à la porte de la
chambre offrent la fille , & la con-
ſignent entre les mains de la mere
de l'eſpoux : dés auſſi toſt que la
nouuelle marieé eſt en la chambre,
l'eſpoux luy marche ſur le pied , &
bre ſeuls , & tandis qu'ils deuiſent
enſemble, & font leur beſongne,
(qui s'entend ſans nommer) les au-
tres ſe mettent à appreſter le ban-
quet , ſauf qu'il y a vne femme de-
putée , qui ſe tient aux eſcoutes à
l'huis de la chambre , pour ouyr
quand le nouueau marié aura de-
pucelé la fille : car elle ne peut eſtre
percée ſans qu'il y ait de la colliſion
& du bruit d'of, tel que maintes
ſuccrées144 ſçauent bien faire par de-
ça, qui quoy qu'ébaillées , pour rai-
ſon de leur pucellage , ſçauent ſi
biẽ reſtreſſir leur encouleure, qu'a-
uec les ſimagrées , fuites & feintes,
qu'elles font , les plus habiles ſont
bien ſouuent ſur termes d'eſtre en-
jolez , & pris au trebuſchet. Et ne
leur eſt beſoing de s'aller baigner à
la fontaine Canathe , tout le cas eſt
ſi bien patronné qu'elles ſe font en-
tendre eſtre depucelées. Or pour
reuenir à noſtre depuceleur Fe-
zeen, ſi ſa femme eſt pucelle elle
luy donne vne toile enſanglantée
vers les conuiez, criant & leur don-
nant aſſeurance , que la fille eſtoit
entiere , car ſi autre il l'a trouuee,ne
faut auſſi de la rendre aux parens
d'elle, leſquels s'en retournẽt , auec
leur grande confuſion , & les con-
uiez s'en vont auſſi , ſans prendre
leur repas : mais alors qu'elle eſt
pucelle, on faict gode chere , & la
femme, qui a eſté aux eſcoutes, eſt
careſſée , banquetée , & eſtrenée
par les parentes , & du mary & de
la nouuelle eſpouſée. Inſolence &
ſottiſe qui ſemble encores eſtre reſ-
ueillée parmy noſtre France , où les
eſpies du depucelage, le broüet &
autres baguenauderies trottẽt pour
le couronnement du nopçage,deſ-
quelles ie ſuis hõteux d'ouurir pro-
pos , comme des banquets qui ſe
font par trois fois , ores par le pere,
de l'eſpouſée , & d'autres fois par
le nonueau marié : de leurs danſes
& chanſons , des preſens donnez
par les parens à l'eſpouſée. Il vaut
mieux , que , pour le comble du
r'amẽroiue145 qu'elles ſont tenuës fort
ſujettes par leurs maris, qui en ſont
jaloux au poſſible,de maniere qu'ils
ne leur permettent de ſortir gueres,
ſi elles ne vont à la Moſquée. Tou-
tesfois,tous jaloux qu'ils ſont,ſi per-
mettent ils aux Sectaires , nommez
par vn de leurs Poëtes Ibnul Farill,
qu'ils leur plantent vn haut cimier
de cornes, ſur la teſte. Ceſte ſecte eſt
Abomi-
nable li-
cence des
Ibnul
Farill,
apres les
Fezeen-
nes.
du tout deteſtable , tant pour l'im-
pieté de leur hereſie , que pour leur
vie, qui eſt du tout abominable, &
beſtiale, comme ceux , qui courent
tous nuds par les ruës , & qui ren-
contrans vne femme, qui leur plaiſt,
vous l'empoignent en veuë de cha-
cun, comme chiens, & la cognoiſ-
ſent charnellement , ſans que per-
ſonne leur oſe donner empeſche-
ment , à cauſe que le peuple les tiẽt
pour ſaincts , & que ceux meſmes,
les femmes deſquels ont ainſi eſté
honnies , le treuuent le meilleur du
monde , & ſe reputent pour tres
heureux de telle accointance. Au-
que ce ſainct homme ait eu co-
gnoiſſance charnelle auec leur eſ-
pouſe , mais que çà eſté vn ſeul
tranſport d'eſprit , qui la luy a faict
coucher deuant tout le peuple. En
coniectures il n'eſt point deffendu
de iuger, parce que nous trouuons
eſtre pratiqué par ce peuple , prin-
cipalement par les hoſteleries , &
brelans146 de garſes , & filles de ioye,
qui ſont vrayement des bordeaux,
ſans qu'ils ſoyent ſujects à la iuſtice:
car ces hoſtes ont vn iuge pour eux,
& deuant lequel par leur priuilege,
ils vont ſeulement rendre compte
des fautes qu'on leur met à ſus.
Bien eſt vray que ces hoſteliers ſont
tellement infames, qu'il n'y a hom-
mes d'honneur qui vueille leur par-
ler vne ſeule parole , & leur eſt in-
terdict d'entrer és Moſquées pour
eſtre pecheurs publics & d'vne vie
tres-ſale & deshoneſte.
me, la fait entrer en vne loge faite à
huict fares, toute baſtie d'ais, & ta-
piſſée de ſoye & de drap d'or, & eſt
portée par des facquins & croche-
teurs , qui la mettent ſur leur teſte,
accompagnée de ſes parens, & de
grand nombre de fiffres, tabours, &
trompettes, & les parẽs du mary luy
vont au deuãt, auec torches, & ceux
de la fille vont apres , & faut qu'ils
aillent paſſer par deuant la grande
Moſquée , & de s'arreſter en la pla-
ce , qui eſt deuant icelle : là où le
mary ſaluë le pere & les parens de
la fille , & ſoudain s'en va en ſa mai-
ſon , où il attend ſa femme dedans
ſa chambre : là le ſuiuent le pere, le
frere & l'oncle de l'eſpouſée ( ſi el-
le en a ) & eſtans à la porte de la
chambre offrent la fille , & la con-
ſignent entre les mains de la mere
de l'eſpoux : dés auſſi toſt que la
nouuelle marieé eſt en la chambre,
l'eſpoux luy marche ſur le pied , &
96
Nvptiale.
tous deux s'enferment en la cham-bre ſeuls , & tandis qu'ils deuiſent
enſemble, & font leur beſongne,
(qui s'entend ſans nommer) les au-
tres ſe mettent à appreſter le ban-
quet , ſauf qu'il y a vne femme de-
putée , qui ſe tient aux eſcoutes à
l'huis de la chambre , pour ouyr
quand le nouueau marié aura de-
pucelé la fille : car elle ne peut eſtre
percée ſans qu'il y ait de la colliſion
& du bruit d'of, tel que maintes
ſuccrées144 ſçauent bien faire par de-
ça, qui quoy qu'ébaillées , pour rai-
ſon de leur pucellage , ſçauent ſi
biẽ reſtreſſir leur encouleure, qu'a-
uec les ſimagrées , fuites & feintes,
qu'elles font , les plus habiles ſont
bien ſouuent ſur termes d'eſtre en-
jolez , & pris au trebuſchet. Et ne
leur eſt beſoing de s'aller baigner à
la fontaine Canathe , tout le cas eſt
ſi bien patronné qu'elles ſe font en-
tendre eſtre depucelées. Or pour
reuenir à noſtre depuceleur Fe-
zeen, ſi ſa femme eſt pucelle elle
luy donne vne toile enſanglantée
La Forest
en main , & luy s'en va auec ellevers les conuiez, criant & leur don-
nant aſſeurance , que la fille eſtoit
entiere , car ſi autre il l'a trouuee,ne
faut auſſi de la rendre aux parens
d'elle, leſquels s'en retournẽt , auec
leur grande confuſion , & les con-
uiez s'en vont auſſi , ſans prendre
leur repas : mais alors qu'elle eſt
pucelle, on faict gode chere , & la
femme, qui a eſté aux eſcoutes, eſt
careſſée , banquetée , & eſtrenée
par les parentes , & du mary & de
la nouuelle eſpouſée. Inſolence &
ſottiſe qui ſemble encores eſtre reſ-
ueillée parmy noſtre France , où les
eſpies du depucelage, le broüet &
autres baguenauderies trottẽt pour
le couronnement du nopçage,deſ-
quelles ie ſuis hõteux d'ouurir pro-
pos , comme des banquets qui ſe
font par trois fois , ores par le pere,
de l'eſpouſée , & d'autres fois par
le nonueau marié : de leurs danſes
& chanſons , des preſens donnez
par les parens à l'eſpouſée. Il vaut
mieux , que , pour le comble du
malheur
97
Nvptiale.
malheur des Dames Fezeennes , ier'amẽroiue145 qu'elles ſont tenuës fort
ſujettes par leurs maris, qui en ſont
jaloux au poſſible,de maniere qu'ils
ne leur permettent de ſortir gueres,
ſi elles ne vont à la Moſquée. Tou-
tesfois,tous jaloux qu'ils ſont,ſi per-
mettent ils aux Sectaires , nommez
par vn de leurs Poëtes Ibnul Farill,
qu'ils leur plantent vn haut cimier
de cornes, ſur la teſte. Ceſte ſecte eſt
Abomi-
nable li-
cence des
Ibnul
Farill,
apres les
Fezeen-
nes.
du tout deteſtable , tant pour l'im-
pieté de leur hereſie , que pour leur
vie, qui eſt du tout abominable, &
beſtiale, comme ceux , qui courent
tous nuds par les ruës , & qui ren-
contrans vne femme, qui leur plaiſt,
vous l'empoignent en veuë de cha-
cun, comme chiens, & la cognoiſ-
ſent charnellement , ſans que per-
ſonne leur oſe donner empeſche-
ment , à cauſe que le peuple les tiẽt
pour ſaincts , & que ceux meſmes,
les femmes deſquels ont ainſi eſté
honnies , le treuuent le meilleur du
monde , & ſe reputent pour tres
heureux de telle accointance. Au-
I
La Forest
cuns dient qu'ils ne croyent pointque ce ſainct homme ait eu co-
gnoiſſance charnelle auec leur eſ-
pouſe , mais que çà eſté vn ſeul
tranſport d'eſprit , qui la luy a faict
coucher deuant tout le peuple. En
coniectures il n'eſt point deffendu
de iuger, parce que nous trouuons
eſtre pratiqué par ce peuple , prin-
cipalement par les hoſteleries , &
brelans146 de garſes , & filles de ioye,
qui ſont vrayement des bordeaux,
ſans qu'ils ſoyent ſujects à la iuſtice:
car ces hoſtes ont vn iuge pour eux,
& deuant lequel par leur priuilege,
ils vont ſeulement rendre compte
des fautes qu'on leur met à ſus.
Bien eſt vray que ces hoſteliers ſont
tellement infames, qu'il n'y a hom-
mes d'honneur qui vueille leur par-
ler vne ſeule parole , & leur eſt in-
terdict d'entrer és Moſquées pour
eſtre pecheurs publics & d'vne vie
tres-ſale & deshoneſte.
98
Nvptiale.
Les Cubeens, & Haytiens.
Chap. XXII.
IE n'employeray grand diſcours
ſur la diuerſité des noms, qu'on a
baillé à l'Iſle de Cuba , comme de
Fernandine147 pour l'amour de Fer-
dinand Roy d'Aragon, de Sainct
Iaques à cauſe de ſa ville principa-
le, portant meſme nom : de Guiana148,
d'Alpha, & Omega, & d'autres:puis
que ce n'eſt le but de mon deſſein,
non plus que vous deſcrire l'aſſiete
& ſingularité du lieu , me ſuffit de
toucher à ce qui regarde les maria-
ge de nos Cubeens , qui ſont fort
eſtranges : veu qu'au nopçage des
Eſtrange
meſlange
des Cu-
beẽs auec
les nou-
uelles ma
riées.
Caciques & Roitelets , tous les Sei-
gneurs du ſang Caciqual faut que
touchent & abordent l'eſpouſée,
auant que le mary ait moyen de la
cognoiſtre:autant en font les hom-
mes de leur maiſon , ſi vn de leur
rang ſe marie, entre les Plebejens &
populaires tout de meſmes, car tous
qu'eſſayent la portée de la mariée,
& facent l'entrée au mary. Tout le
ſeruice du depucellement finy , &
que la fille a ſouffert le choc de plu-
ſieurs , elle ſort auec grande furie
de ſa chambre, branlant les bras, &
tenant les poings ſerrez & hauſſant
la main , & crie ces mots , Manica-
to, Manicato , qui ſignifie , qu'elle
a eſté efforcée , & qu'on l'a depu-
celée , & dict cecy ſi haut & auec
telle grace & conſtance, qu'on voit
bien , qu'elle ſe louë & ſe vante
d'auoir vaillamment ſouſtenu l'aſ-
ſaut de tant d'hommes. Et non ſans
cauſe , veu qu'en ce pays ils repu-
toyent à grande gentilleſſe, que de
ſe ſouiller en paillardiſe : qui pis eſt
ils eſtoyent addonnez au peché du
tout abominable. Quelques vns
s'eſcarmouchent de ceſt eſtrange
depucelement , lequel ie ne veux
autrement acertainer, n'eſtant aſſez
idoine , par faute de n'auoir hanté
ſur les lieux,de l'aſſeurer. Si ne vois-
ie point qu'il y ait occaſion de
cal Domede & autres , qui ſe ſont
meſlé de no9 propoſer l'Histoire des
Indes Occidentales. Ce qui m'em-
peſche de rejetter du tout leur opi-
nion eſt , que nos bigarreures vous
font veoir les depucelements des
Roines Calecutiennes , faictes par
les Bramins, d'autres par les Ibnul,
d'autre par ceux qui ſont blancs &
finalement, aux Iſles Canaries, à Zi-
pangu ou Iapan, on ſçait , que nul
ne peut marier ſa fille , que premie-
remẽt il ne la preſente au Roy, pour
veoir ( ainſi qu'eſcrit le Coſmogra-
phe Theuet, au vingtieſme chapitre
du douzieſme liure de ſa Coſmo-
graphie vniuerſelle ) ſi elle luy eſt
agreable : laquelle,eſtant belle, ſera
retenuë pour quelque temps en ſa
maiſon : apres on la renuoye en ſa
maiſon vers ſes parens, auec tel pre-
ſent , correſpondant à ſa qualité,
qu'elle a dequoy fournir au dot,
qu'elle voudra porter à celuy, qui la
prendra en mariage , lequel ſe tien-
dra pour bien-heureux, que le Roy
eſt groſſe , l'enfant né eſt porté au
Roy , qui le nourrit auec le reſte de
ſes enfans. Et meſmes on me faict
entendre qu'entre les Chreſtiens il
y a des Seigneurs , qui ont ſur leurs
ſujects ce droict de ſeruitude , qu'il
faut que le Seigneur couche auec la
nouuelle mariée. Ce n'eſt pas ( di-
rez-vous ) pour la depuceler, ie le
confeſſe, puis que quelques vns de
ceux, qui ont voulu paſſer outre, y
ont perdu la vie , mais qu'vn coup
en robe ne ſoit bien toſt fait , on ne
ſçauroit me le nier, principalement
s'il y a de l'intelligence entre le Sei-
Maria-
ges peu
aſſeurez
entre les
Cubeens.
gneur & la fraiſche eſpouſée. Or
pour reuenir à nos Cubeẽs, les ma-
riages n'y ſont gueres aſſeurez, d'au-
tant que les hommes , à la moindre
mouſche ,qui venoit leur tarteueel-
ler149 aux oreilles, abandõnoyẽt leurs
femmes, cõme auſſi le plus c'eſtoiẽt
elles, qui laiſſoyẽt leurs maris, com-
me n'y ayans plus de licence, credit
& authorité en l'vn qu'en l'autre:
Bien ſouuent elles le faiſoyẽt à bon
eſgard à la vie deteſtable , & cõtre-
naturée de ces hommes. Les Caci-
ques en prenoyent tant qu'il leur
plaiſoit , & les autres autant qu'ils
auoyent moyen d'en nourrir. Il eſt
vray, qu'il y en auoit vne entre el-
les, qui eſtoit la principale, & les en-
fans de laquelle ſont les plus ad-
Haitiẽ-
nes pour-
quoy ſe
faiſoyẽt
auorter.
uoüez. Vne choſe trouue-ie horri-
ble & deteſtable en elles , que tout
ainſi que les Haytiẽnes, elles ſe font
auorter, pour s'exempter des tyrã-
nies , forces & concuſſions des Eſ-
paignols. Quant aux Haitiẽs, nous
liſons, que n'eſtans accouſtumez au
trauail, ils n'ont peu auſſi durer de-
puis que leur Iſle a eſté Eſpaigno-
liſée, d'autãt que contraincts d'eſtre
tout le lõg du iour au Soleil, ou par
les monts à cercher l'or, ou le long
des fleuues à cribler des ſablons , il
en eſt mort fort grande quantité af-
faiſſée ſous le trauail, la plus part de
ceux qui reſtoyent ſe ſont fait mou-
rir eux meſmes, aymans mieux ſor-
tir de ce monde , que d'y viure en
ne ſe ſont occis, n'ont voulu ſe ma-
rier, pour n'engendrer & mettre au
mõde , qui ſeruiſſent d'eſclaues aux
Eſpaignols, voire150 les femmes ſe ſen-
tãs groſſes, ont vſé de ne ſçay quel-
le herbe , auec laquelle elles ſe fai-
ſoyent eſcouler & perdre le fruict
qu'elles auoyent au ventre. En l'Iſle
Eſpaignole , quand quelque Dame
& eſpouſe d'vn Cacique ( car en ce-
ſte Iſle y auoit diuers Roys & Sei-
gneurs , ſelon les contrées d'icelle)
eſtoit accouchée d'vn maſle , tous
Noms
des enfãs
de Haiti.
les voiſins du pays la vont viſiter en
ſa geſine, & entrans en ſa chambre,
chacun dõne vn nom à ſa fantaſie, à
l'enfant , l'vn le nommant , mais en
termes du pays , ou bien torche,
reluiſante , ou fallot plein de flam-
mes , d'autres, vainqueur des enne-
mis , ou plus luiſant que fin or , &
ſi c'eſt vne fille, ils la nomment plus
ſouëfue que quelque fleur, plus
odoriferente que quelque herbe
aromatique , ou plus douce que
certain fruict , qu'ils vous nom-
ou des eſtoiles.
ſur la diuerſité des noms, qu'on a
baillé à l'Iſle de Cuba , comme de
Fernandine147 pour l'amour de Fer-
dinand Roy d'Aragon, de Sainct
Iaques à cauſe de ſa ville principa-
le, portant meſme nom : de Guiana148,
d'Alpha, & Omega, & d'autres:puis
que ce n'eſt le but de mon deſſein,
non plus que vous deſcrire l'aſſiete
& ſingularité du lieu , me ſuffit de
toucher à ce qui regarde les maria-
ge de nos Cubeens , qui ſont fort
eſtranges : veu qu'au nopçage des
Eſtrange
meſlange
des Cu-
beẽs auec
les nou-
uelles ma
riées.
Caciques & Roitelets , tous les Sei-
gneurs du ſang Caciqual faut que
touchent & abordent l'eſpouſée,
auant que le mary ait moyen de la
cognoiſtre:autant en font les hom-
mes de leur maiſon , ſi vn de leur
rang ſe marie, entre les Plebejens &
populaires tout de meſmes, car tous
I ij
La Forest
ceux qui ſont appellez à la feſte, fautqu'eſſayent la portée de la mariée,
& facent l'entrée au mary. Tout le
ſeruice du depucellement finy , &
que la fille a ſouffert le choc de plu-
ſieurs , elle ſort auec grande furie
de ſa chambre, branlant les bras, &
tenant les poings ſerrez & hauſſant
la main , & crie ces mots , Manica-
to, Manicato , qui ſignifie , qu'elle
a eſté efforcée , & qu'on l'a depu-
celée , & dict cecy ſi haut & auec
telle grace & conſtance, qu'on voit
bien , qu'elle ſe louë & ſe vante
d'auoir vaillamment ſouſtenu l'aſ-
ſaut de tant d'hommes. Et non ſans
cauſe , veu qu'en ce pays ils repu-
toyent à grande gentilleſſe, que de
ſe ſouiller en paillardiſe : qui pis eſt
ils eſtoyent addonnez au peché du
tout abominable. Quelques vns
s'eſcarmouchent de ceſt eſtrange
depucelement , lequel ie ne veux
autrement acertainer, n'eſtant aſſez
idoine , par faute de n'auoir hanté
ſur les lieux,de l'aſſeurer. Si ne vois-
ie point qu'il y ait occaſion de
99
Nvptiale.
décroire, ce qu'en rapportent Gon-cal Domede & autres , qui ſe ſont
meſlé de no9 propoſer l'Histoire des
Indes Occidentales. Ce qui m'em-
peſche de rejetter du tout leur opi-
nion eſt , que nos bigarreures vous
font veoir les depucelements des
Roines Calecutiennes , faictes par
les Bramins, d'autres par les Ibnul,
d'autre par ceux qui ſont blancs &
finalement, aux Iſles Canaries, à Zi-
pangu ou Iapan, on ſçait , que nul
ne peut marier ſa fille , que premie-
remẽt il ne la preſente au Roy, pour
veoir ( ainſi qu'eſcrit le Coſmogra-
phe Theuet, au vingtieſme chapitre
du douzieſme liure de ſa Coſmo-
graphie vniuerſelle ) ſi elle luy eſt
agreable : laquelle,eſtant belle, ſera
retenuë pour quelque temps en ſa
maiſon : apres on la renuoye en ſa
maiſon vers ſes parens, auec tel pre-
ſent , correſpondant à ſa qualité,
qu'elle a dequoy fournir au dot,
qu'elle voudra porter à celuy, qui la
prendra en mariage , lequel ſe tien-
dra pour bien-heureux, que le Roy
I iij
La Forest
ait accointé ſa femme. Que ſi elleeſt groſſe , l'enfant né eſt porté au
Roy , qui le nourrit auec le reſte de
ſes enfans. Et meſmes on me faict
entendre qu'entre les Chreſtiens il
y a des Seigneurs , qui ont ſur leurs
ſujects ce droict de ſeruitude , qu'il
faut que le Seigneur couche auec la
nouuelle mariée. Ce n'eſt pas ( di-
rez-vous ) pour la depuceler, ie le
confeſſe, puis que quelques vns de
ceux, qui ont voulu paſſer outre, y
ont perdu la vie , mais qu'vn coup
en robe ne ſoit bien toſt fait , on ne
ſçauroit me le nier, principalement
s'il y a de l'intelligence entre le Sei-
Maria-
ges peu
aſſeurez
entre les
Cubeens.
gneur & la fraiſche eſpouſée. Or
pour reuenir à nos Cubeẽs, les ma-
riages n'y ſont gueres aſſeurez, d'au-
tant que les hommes , à la moindre
mouſche ,qui venoit leur tarteueel-
ler149 aux oreilles, abandõnoyẽt leurs
femmes, cõme auſſi le plus c'eſtoiẽt
elles, qui laiſſoyẽt leurs maris, com-
me n'y ayans plus de licence, credit
& authorité en l'vn qu'en l'autre:
Bien ſouuent elles le faiſoyẽt à bon
100
Nvptiale.
droict & a tres-juſte occaſion , eueſgard à la vie deteſtable , & cõtre-
naturée de ces hommes. Les Caci-
ques en prenoyent tant qu'il leur
plaiſoit , & les autres autant qu'ils
auoyent moyen d'en nourrir. Il eſt
vray, qu'il y en auoit vne entre el-
les, qui eſtoit la principale, & les en-
fans de laquelle ſont les plus ad-
Haitiẽ-
nes pour-
quoy ſe
faiſoyẽt
auorter.
uoüez. Vne choſe trouue-ie horri-
ble & deteſtable en elles , que tout
ainſi que les Haytiẽnes, elles ſe font
auorter, pour s'exempter des tyrã-
nies , forces & concuſſions des Eſ-
paignols. Quant aux Haitiẽs, nous
liſons, que n'eſtans accouſtumez au
trauail, ils n'ont peu auſſi durer de-
puis que leur Iſle a eſté Eſpaigno-
liſée, d'autãt que contraincts d'eſtre
tout le lõg du iour au Soleil, ou par
les monts à cercher l'or, ou le long
des fleuues à cribler des ſablons , il
en eſt mort fort grande quantité af-
faiſſée ſous le trauail, la plus part de
ceux qui reſtoyent ſe ſont fait mou-
rir eux meſmes, aymans mieux ſor-
tir de ce monde , que d'y viure en
I iiij
La Forest
vne ſi extreme miſere , & ceux quine ſe ſont occis, n'ont voulu ſe ma-
rier, pour n'engendrer & mettre au
mõde , qui ſeruiſſent d'eſclaues aux
Eſpaignols, voire150 les femmes ſe ſen-
tãs groſſes, ont vſé de ne ſçay quel-
le herbe , auec laquelle elles ſe fai-
ſoyent eſcouler & perdre le fruict
qu'elles auoyent au ventre. En l'Iſle
Eſpaignole , quand quelque Dame
& eſpouſe d'vn Cacique ( car en ce-
ſte Iſle y auoit diuers Roys & Sei-
gneurs , ſelon les contrées d'icelle)
eſtoit accouchée d'vn maſle , tous
Noms
des enfãs
de Haiti.
les voiſins du pays la vont viſiter en
ſa geſine, & entrans en ſa chambre,
chacun dõne vn nom à ſa fantaſie, à
l'enfant , l'vn le nommant , mais en
termes du pays , ou bien torche,
reluiſante , ou fallot plein de flam-
mes , d'autres, vainqueur des enne-
mis , ou plus luiſant que fin or , &
ſi c'eſt vne fille, ils la nomment plus
ſouëfue que quelque fleur, plus
odoriferente que quelque herbe
aromatique , ou plus douce que
certain fruict , qu'ils vous nom-
101
Nvptiale.
ment , ou l'appellent œil du Soleil,ou des eſtoiles.
Les Sauuages.
Chap. XXIII.
CEux qui ont frequẽté ces pays
des Sauuages du Cap de Frie,
remarquent, que bien que le lien de
mariage ſoit indignement commẽ-
cé par ces Sauuages , ſi eſt-ce que
chacun eſt content du ſien , ſans
ſouiller la couche de ſon voiſin. Ils
ſe marient ſans diſcretion trop grã-
de pour la conſanguinité , laquelle
Quels de
grés ſont
obſeruez
entre les
Sauua-
ges pour
la prohi-
bitiõ des
nopçes.
ils limitent ſeulement du fils auec la
mere , & du frere auec la ſœur,
pouſſez ſeulement d'vn inſtinct na-
turel ( ſans aucune police ou Loy,
qui les y contraigne ) & parce qu'ils
tiennent pour choſe aſſeurée , que
quiconque coucheroit auec ſa me-
re ou ſa ſœur , ou ſa fille , faudroit
qu'il finiſt malheureuſement , ſoit
que quelque experience le leur ait
appris ou autrement. Pour les au-
ains y voit-on couſtumierement
l'oncle eſpouſer la fille de ſa ſœur,
qu'ils nomment Chéraindit-mébut,
c'eſt à dire la fille de ma ſœur, &
Chérémirekorem, ma femme futu-
re. Sur ce faut noter, que dés qu'el-
les ſont neés , l'oncle maternel les
leue & retient pour femmes , qui
doit eſtre, & par ce moyen le pe-
re de la fille eſt acquité d'vne partie
de la ſeruitude , en quoy il eſtoit
obligé pour ſa femme mere de l'en-
fant enuers les parens d'icelle : mais
pourtant , iamais les meres ne per-
mettent , que les hommes couchẽt
auec leurs filles,auant aage cõpetãt,
& auquel elles puiſſent conceuoir,
En quel
temps les
filles de
ces Sau-
uages
couchent
auec les
hommes.
c'eſt à ſçauoir , alors qu'elles ſont
paruenuës au temps des purgations
feminines , qui leur aduiennent en
la quinzieſme ou ſeizieſme année,
pluſtoſt ou plus tard , ſelon la di-
uerſe nature & complexion d'icel-
les , & ce le plus ſouuent au deffaut
de la Lune. Les Romains (ainſi que
nos Legiſlateurs l'ont teſmoigné)
ont limité le temps de marier à la
puberté. Vous voyez, que ces pau-
ures Sauuages ont mieux aimé s'ar-
reſter à la compoſitiõ naturele, ſans
meſurer les complexions de diuer-
ſes perſonnes à vne meſme année:
Par ce moyẽ ſemblẽt-ils auoir ioüé
au plus ſeur, d'autant que l'aage de
douze ans, voire151 quãd on les tireroit
à quinze , eſt quelquesfois trop
preſſé pour elles , qui par quelque
empeſchement naturel ſont retar-
dées de pouuoir conceuoir. Et puis
qu'icy ces Sauuages font breſche à
noſtre droict , faut veoir quel mo-
Sottes et
rigoureu
ſes cere-
monies
des Sau-
uagss,
pour ha-
biliter les
filles à la
cõceptiõ.
yen ils ſuiuent , pour habiliter les
ceremonies & ſuperſtitions outra-
geuſes, dõt les meres vſent alors que
leurs filles commencẽt à auoir leur
premier temps, qu'elles nomment
en leur langue , Quioudu-ar ,que
nous pourrions interpreter peur
eſcheuë ou aduenuë , parce que
les filles ſont fort effrayées , quant
elles ſentent approcher le temps
lemens, encor plus quand il eſt ar-
riué : car, outre ce qu'on leur oſte
leur cheueux , auec vne dent de
poiſſon , qui tranche tellement
quellement , le plus prés de la te-
ſte que faire ce peut , & mainte-
nant elles ſe pincettent leur poil
honteux auec des pincettes , qu'el-
les ont recouuré de ceux qui de de-
ça ont frequenté en leur contrée,
on les met debout ſur vne pierre,
platte qui ſert de gray aux gens du
pais, à dreſſer leurs coliers, blancs, &
noirs, & à polir leurs pierres vertes,
que les hommes portent en leurs
leures , en leur decoupant le cuir,
depuis leurs eſpaules , iuſques ſur
leurs feſſes, en leur faiſant vne croix
biaiſe , au long du dos , de telle fa-
çon que le ſang en découle de tou-
tes parts , & ce auec la moytié d'v-
ne dent de beſte , affutée à la ſem-
blance d'vn crochet. Et n'eſtoit la
honte & crainte qu'elles ont , fe-
royent des cris horribles , de faict
elles grinſent les dents, ſerrent leurs
dant qu'on les martiriſe & bourele
de telle façon , & monſtrent bien à
leur minoir, qu'elles ne ſont gueres
contẽtes de paſſer par vne ſi extre-
me douleur. Cela fait, on les frotte
auec de la cendre faicte de courges
ſauuages, qui n'eſt moins coroſiue
que ſalpeſtre ou poudre à Canon:
en ſorte que iamais les marques n'ẽ
effacẽt. Apres on leur lie les bras &
le corps, d'vn fil de cottõ, leur metãt
au col des dẽts d'vne beſte, nõmée
en leur patois Capu-gouare, c'eſt à di-
re herbe mangeant ou viuant d'her-
be, à fin (diſent-elles) que leurs dents
ſoyent plus dures , à maſcher leur
breuuage, qu'ils appellent Chaouim,
maintiennent, ſi elles n'eſtoyẽt ain-
ſi decoupées, que leur ventre ſeroit
gaſté, & leurs enfans ſeroyent con-
trefaits. Apres on les couche en vn
vieil lict pendu par les deux bouts,
ſelon leur couſtume , du quel la fille
ne deſcẽd iuſqu'au bout de 3.iours,
où elle eſt ſerrée & enuelopée,
ſi que persõne ne la voit pẽdãt ceſte
manger, boire ny tire aucunement.
Ces trois iours paſſés elles deſcen-
dent ſur le meſme gray, & ſur tout
prennent garde de ne toucher ter-
re auec leurs pieds. Que ſe elles veu-
lent aller à leurs affaires ſecrettes la
mere ou quelqu'vne de ſes tantes
ou mere grand la portent dehors a-
uec vn charbon de feu ardant & vn
peu de cotton en vn taiz de pot, de
peur ( dient-elles ) que quelque
mauuaiſe choſe ( qu'elles appellent
Mahe) ne les approche ou ne leur
entre au corps par leurs parties ſe-
crettes ou autrement, de là en apres
ſont remiſes en leur lict, & leur don-
ne on ſeulemẽt de la farine & quel-
ques racines cuites , ſans vſer de ſel
ny de quelque ſorte de viande ou
breuuage, fors de l'eau. La pauure
patiente eſt en ceſt eſtat iuſques à ce
que le ſecond ſang ſoit venu, qui eſt
l'eſpace d'vn mois pour le moins
Lequel temps accomply & le ſe-
cond decoulement faict , nommé
en leur language Pororoipok, qu'on
n'eſt pas encore deliuree de tour-
mens , d'autant qu'on luy decoupe
la poitrine , & le ventre tout ainſi
que le dos ſans luy laiſſer les feſſes
entieres, qu'elles ne ſoyent deſchi-
rees, comme le dos & le ventre. Le
mois ſuyuant leur abſtinence n'eſt
du tout ſe eſtroite, ſi ne frequentent
elles point encor auec les autres, &
ne vont aux iardins beſoigner, ain-
ſi qu'elles auoient couſtume aupar-
auant, ſeulement, ſe tiennent coyes
& ſans grouiller dans leur lict,aſſiſes
à eſplucher du cotton & filer tant
ſeulement. Le moys d'apres elles
commencent aller aux iardins, a-
pres auoir eſté noircies d'vne cer-
taine peincture noire que font les
gens de ce pays là d'vn fruict d'ar-
bre, qu'ils appellent en leur langua-
ge Ianipap. Pour en auoir le ſuc ils le
maſchent auant qu'il ſoit meur &
eſt quelque peu amer , mais eſtant
en maturité eſt bon à manger : Sa
groſſeur & couleur eſt comme les
tres-groſſes noix de noyer , quand
n'ont point de noyau , ainſi qu'a la
noix , ains eſt comme vne pomme,
Ie laiſſe aux Medecins, à ſonder
pourquoy ces bonnes Dames font
ces ſingeries, & ſi telles detaillades
& meurdriſſeurs ſeruent à rendre
les femmes plus fertiles qu'elles ne
ſont. De dire qu'elles le facent pour
s'exempter du flux menſtrual , c'eſt
à mon aduis prendre la matiere aux
cheueux , d'autant que ( ſelon que
tiennent ceux qu'on tient pour les
mieux habillés d'entendemẽt entre
les Naturaliſtes) les femmes, qui ne
Maligni
té des de-
fluxions
mẽſtrue-
les.
rougiſſent de tels deſcoulemens
ſont brehaignes & ſteriles , attendu
que ce sãg mẽſtrual ſert de matiere
à la generation , & la ſemence de
l'homme y ſert de preſure, ſe meſ-
lãt auec iceluy. Et ne ſert d'alleguer
Pl.ch.15
li.7.&
chap.7.
lib.28.
les imperfections compaignes de
telles emiſſions , leſquelles ie con-
feſſe, & adiouſte , que les Philoſo-
phes naturels tiennent, & ſur tous
autres Pline , que ſi la femme ayant
ſes moys approche d'vn vin nou-
chent , ſi elle les touche eſtant en
ceſt eſtat, les hantes en meurent, cõ-
me font les herbes des iardins , où
elle paſſe : meſmes le fruict des ar-
bres, ſous qui elle ſe ſera rafraiſchie,
tombera:les miroirs ſe tachent à ſon
regard, auſſi fait l'acier & l'hyuoire,
meſmes que l'air en eſt infecté : les
chiens auſſi ayans gouſté des fleurs
d'vne femme deuiennent enragés
& ſont les morſures incurables: meſ-
mes que le bitume, qui nage certain
temps ſur le lac de Sodome, ou mer
morte, & qui à cauſe de ſa viſcoſité
s'attache à tout ce qu'il rencontre
filant touſiours comme glu, n'a gar-
de de prende au fil qui ſera tient de
ce ſang venimeux. Les Formis auſſi
petites beſtes & ſages ſentẽt ce ſang
corrompu & iettent là le bled, qui
en eſt infecté , ſans iamais vouloir
en gouſter: que durant l'eclypſe de
la Lune ou du Soleil, ou bien quand
la Lune eſt en coniõction, les fleurs
de la femme ſont irremediables &
ſeruent de peſte & de poiſon aux
à elles: que ſi vne femme, ayant ſes
mois touche ſeulemẽt le ieune bois
de la vigne elle le gaſtera , meſmes
qu'elle fait mourir & la rue & le lier-
re à les toucher ſeulement: qu'ayant
touché vne ruche de mouches à
miel, les mouches s'en irõt: que tou-
chant vne iument preigne, elle la fe-
ra auorter: meſmes que le feu ( qui
neant-moins eſt fort actif, ne peut
corrompre & amortir ce venin. De
fait s'il ſe trouue tant ſoit peu de cẽ-
dres de linges, infectés de ce ſang,
parmy la buée des foulõs & degraiſ-
ſeurs de draps, la pourpre s'ẽ tache-
ra & ſe perdra la fleur & naïueté de
quelque teinture que ce ſoit. Voyre
mais152 qu'eſt-il de beſoin de nous ar-
reſter d'auãtage ſur ce diſcours, puis
que ie demeure d'accord, que la ma
lignité du ſang menſtrual eſt tres-
pernicieuſe. Mais que pour cela on
doiue cõclure, que les meres veulẽt
deliurer leurs filles de telle ſubiectiõ
qui leur eſt naturelle, ſeroit & s'op-
poſer à leur intention & vouloir de-
que l'õ ſçait pour le ſeur, que ces de-
coupeures ne tẽdẽt qu'à preparer &
habiliter la fille à pouuoir cõceuoir,
qui, le cours de ces decoulemens ſe
tariſſant, deuiendroit ſterile & infe-
cõde. En outre par le raport de ceux
qui ont hanté ces païs eſtrãges nous
apprenons, que veritablement elles
ne ſont point ſi lõgs temps tourmẽ-
tées de ces defluxiõs, mais que pour
ce elles ne laiſſent à en eſtre viſitees
toutes les Lunes, & qu'alors elles ſe
mettoient auec vn baſtõ blãc & vny
ayant enuirõ trois pieds de long &
ſe gardent d'attoucher à choſe qu'õ
puiſſe boire ny manger ſur tout de
coucher auec leurs maris , auſquels
elles font tenir leur eau par ce ſeul
mot Airo-aip , qui veut à dire ie
me treuue mal. Par ainſi, s'il m'eſt
loiſible de iouër à couuerturer, ie di-
ray que penſans ſe deſ-charger de
quelque malignité d'humeur, aidãt
à procréer ce ſang corrompu , elles
ſe fõt inciſer d'vne ſi bruſque & fan-
taſque façon. Ie ſçay bien que ie me
mais puis qu'il y auoit vne manife-
ſte immutation & alteration de no-
ſtre Droict a eſté de beſoin d'eſclair-
cir ce point de ceſte ſorte. Donques
pour retourner au mariage de ces
ſauuages les meres ne permettent
que leurs filles prẽnẽt mary iuſques
à ce que leurs cheueux ſoiẽt recreus
& qu'il leur couure preſque toutes
les eſpaules , ce qui ne ſe peut faire
qu'ẽ trois quarts d'an pour le moins
& le plus ſouuent autant de Lunes,
Oncle
maternel
le plus
proche et
habile à
eſpouſer
les filles
ſauua-
ges.
qu'il y a dé doigts aux deux mains,
ainſi que leur couſtume eſt de com-
pter. S'il aduient que les filles refu-
ſent leur oncle maternel, & en prẽ-
nent quelqu'autre à leur plaiſir ou-
tre le gré de leur mere on les tient
pour paillardes. Et ne faict on pas
grand compte d'elles, pour eſtre ia-
mais femmes arreſtees à vn homme
mais font ſouuent maris nouueaux
qu'ils dient Aſſak, c'eſt à dire mary
paſſager, volage & non arreſté meſ-
mes ſont cauſe que leur oncle ma-
ternel oſte leur mere à leur pere, &
Exercice
de ces fil
les Sau-
uages.
pere & le plus ſouuent ſans mere,
parce que de deſpit elles ſont tuées.
Cependant leur meres leur mõſtrẽt
à faire des vaiſſeaux de terre, cõme
ſont les pots à cuire la chair, poiſſon
& autres viandes, qu'ils mangent,
plates eſcuelles , & vaiſſeaux mar-
quetés en compartimẽs,aſſez beaux
& verniſſés auec vne certaine gõ-
me blanche, qui croiſt en des arbres
de l'eſcorce deſquels on fait des bar-
ques longues, pour aller en guerre,
portans de trente cinq à quarante
hommes & d'auantage. Auſſi leur
apprẽnẽt elles à faire d'autres grãds
pots à cuire leur breuuage & des au
tres pour le mettre, dont y en a, qui
tiennent plus d'vn muy : meſmes
faut, qu'elles ſçachent tiſtre les licts
de cotton:Et en ſomme ſoyent ou-
urieres en toutes choſes, qui ſoit en
leur meſnage, & ne ſoient en aucu-
cune ſorte pareſſeuſes. Mais quand
les filles ſont ſages & ſuyuent le cõ-
ſeil de leurs meres, ſi elles ſont viuã-
tes, ou bien, ſi elles ſont mortes, de
rentes(icy le pere ayant bien peu de
pouuoir) elles en ſont bien mieux
priſees & ſur termes de trouuer bon
party & vn mary allant à la guerre,
qu'on appelle Kereombar , pourueu
qu'elles n'ayent d'oncle maternel,
lequel ſuyuant la couſtume , par o-
bligation couſtumiere & moyen-
nant le mariage, pourchaſſe & faict
de bons & grands ſeruices à la mere
& aux freres de la fille & puis au pe-
Moyens
par leſ-
quels les
gendres
s'entre-
tiennent
enuers
leurs
beaux-
peres.
re, qui eſt le dernier, ou bien aux on-
cles,le pere eſtant mort. Car il y a tel
entre ces nouueaux mariez, qui n'a
encore parlé au pere vn demy an
apres qu'il eſt marié, tant ont de hõ-
te l'vn de l'autre, auec quelque crain
te que peut auoir le gendre, s'effor-
çant ſeulement par tous les moiens
qu'il luy eſt poſſible d'auoir l'amitié
& grace de tous les parens de celle,
qu'il veut garder pour fẽme, cõme
& grace de tous les parens de celle,
qu'il veut garder pour fẽme , cõme
de prendre des ennemis priſonniers
à bailler à ſes ieunes beaux-freres, à
tuer, afin qu'ils en changent le nom
de leur enfance, ou bien autrement
pour vengeance de ſon beau-pere,
d'icelle morts à la guerre ou man-
gez par l'ennemy. Pareillement de
les accompaigner à la guerre & s'ils
ſont en danger de l'ennemy ſe met-
tre au deuant, pour les deffendre,
de peur qu'ils ne ſoient pris ny bleſ-
ſéz : auſſi porter la farine ſur le dos
pour viure ſur le chemin , tuer be-
ſtes , oyſeaux , prendre poſſeſſion,
faire les loges des repoſees & plu-
ſieurs autres choſes qu'ils ont de
couſtume de faire , quand il vont
ſoit par mer ou par terre en voyage
Maris
Sauua-
ges ſuiets
a de grã-
des char
ges.
ou contre l'ennemy: Outre ce quãd
ils changent de village ſont ſubiects
d'ayder à faire les maiſons , à cou-
per les arbres , pour faire places &
iardins. Somme, tout le tẽps que les
femmes ſont viuãtes auec leurs ma-
ris, ils ſont obligés à vne infinité de
choſes enuers les parens d'icelle.
Que s'ils faiſoyent autrement les
fẽmes les vous placqueroiẽt là tout
net, fuſſent elles ja toutes vieilles &
ayãs pluſieurs enfãs, qu'elles quicte
roient à leurs maris par la contrainte
vont prendre iuſques à leurs mai-
ſons quand ils les ont chez eux, ſans
que nul les oſe empeſcher. Telle
diſſipation de mariage n'aduient
que trop ſouuent, d'autant que le
mary ne peut s'acquitter de toutes
ces charges, principalement ceux
qui en ont pluſieurs, autrement fau-
droit qu'ils eſcartelaſſent leurs corps
en autant de parties qu'ils ont de
femmes. Pour ceſte occaſion au-
cuns ont dict que ceſte ſubiection
deuoit eſtre reſtrainte à celle qui eſt
le mieux aymee entre toutes les au-
tres. Ie ne veux conteſter ſur choſe,
de laquelle ie ſuis incertain : Si veux-
ie bien aſſeurer , que ny le Coſmo-
graphie Theuet , ny ceux , qui ont
deſchiffré les vies , mœurs & façon
de viure de ces Sauuages n'ont faict
mention de telle diſtinction , ains
rapportent,que le plus ſouuent ad-
uient que les hommes, qui ont des
femmes en telle condition n'ont
gueres de parẽs de leur coſté, ſi que
ils ſont cõtraincts de demeurer auec
dits Cont-ſamené, c'eſt à dire mary de
femmes. En apres ſi on veut regar-
der vn peu plus prés , on trouuera
que les filles des ſœurs ſont les fem-
mes legitimes , & q̃ ceſte ſeruitude
ne s'entend ſinon de ceux qui n'ont
point de ſœur à leur engẽdrer fem-
mes. Parquoy ſont cõtraints, s'ils en
veulẽt auoir, de ſeruir iuſqu'à ce que
leur fẽme ait fait des enfãs, pour ſer-
uir l'õcle maternel, & deſgager leur
pere en partie, ſinon du tout. Bref
c'eſt biẽ en ceſt endroit la plus grã-
de ſeruitude, dont vn pauure hom-
Quelles
appro-
ches les
ieunes
Sauua-
ges font
vers les
filles.
me puiſſe eſtre matté. Auſſi diſent
ils en leur prouerbe , Apuaue taiga-
pu ancoepro romo Yieng, qui eſt à dire,
les peuples font lignées auec grand
trauail & difficulté, mais pour parler
des premieres approches que font
les hommes vers les filles à marier,
lors qu'où elles refuſent leurs on-
cles , ou qu'elles n'en ont aucun,
ils vont à la chaſſe aux beſtes , ou
aux aiſeaux , ou bien en peſche-
rie , ſelon que la commodité du
cipalement , quant ils cognoiſſent,
que la mere & autres parens de la
fille les deſirent , apportent vne
charge de venaiſon , ou poiſſon le
plus exquis qu'ils peuuent recou-
urer , le ſoir entre Chien & Loup,
le mettent deuant la mere de la fil-
le , ſans dire mot , puis s'en reuont
le plus ſecrettement qu'ils peuuent,
de peur d'eſtre apperceus des voi-
ſins. Vray eſt, qu'auant toute œu-
ure la fille peut auoir donné aſſeu-
rance au ieune homme, puis la me-
re d'icelle s'en doutant , comme à
demy , & faiſant ſemblant de n'en
rien ſçauoir , luy demande d'où
vient ceſte proye , & à qui elle a
donné telle aſſeurance. La fille luy
en compte la verité, & luy dict,
que c'eſt de la part d'vn tel , qui luy
dict le iour paſſé , qu'il la voudroit
bien pour femme , pourueu qu'el-
le s'y accordaſt, & que ſa mere &
ſes autres parens en fuſſent con-
tens. Alors la mere appelle le pere
de la fille , pour departir le preſent
deuiſent des mœurs & conditions
du jeune homme: vn chacun d'eux
en dict ſa ratelée , en ſorte qu'a-
pres auoir eſté tenu long temps ſur
les rangs , ſi elle cognoiſt qu'il leur
ſoit aggreable , la mere luy dict la
premiere fois qu'il luy eſt loiſible
de parler auec luy , l'aſſeurant a-
uec promeſſes , que s'il luy plaiſt
d'aller coucher auec elle , ſa me-
re ne luy en dira rien. La principa-
Qualité
d'vn ieu-
ne hõme
pour poſ-
ſeder la
grace
d'vne
ſauuage.
le qualité , qui peut rendre admiſ-
ſible vn ieune homme à auoir fem-
me , eſt qu'il ait prins des priſon-
niers en guerre , autrement ne ſe-
roit-il receu. Et y a bien vne cho-
ſe , qui iamais la mere ne permet-
tra , que ſa fille couche auec hom-
me , qu'il n'en ait point pris pour le
moins vn ou deux , & qu'il n'ait
changé nom dés ſon enfance , par-
ce que les enfans qui ſeroyent en-
gendrez d'vn Manem , c'eſt à dire,
qui n'a prins quelque eſclaue , ne
feroyent iamais bon fruict, & ſe-
royent Mebels , c'eſt à dire faillis, &
le & ſon amoureux , il s'en va alors
que tous dormẽt, coucher en la vil-
le auec la fille du coſté , où la mere
ſe tient, puis s'en retourne de grand
matin, de peur d'eſtre apperceu. Et
s'il ſont au gré l'vn de l'autre, le ma-
riage eſt fait , & de la en auant il fait
tous les ſeruices, & s'humilie de la
façon que i'ay dit cy deſſus, à ſa bel-
le mere , & à tous les autres parens
d'icelle. Et ſi leurs complexions ſe
rencontrent bien, leur mariage du-
re iuſques à la mort. De là en apres
ſi l'homme eſt de grand lieu, & ap-
partient à perſonnes qui meritent,
il faict tant , qu'auec le temps , il
tranſmarche ſa femme vers ſes pa-
rens , & en ſa maiſon. Dés qu'il l'a
rangée ſous ſon taudy & qu'il luy
faict bon traictement , elle cerche
par tous moyens d'auoir des com-
paignes , pour eſtre auec elle fem-
mes de ſon mary , à fin qu'elle ſoit
aidée d'elles , à ſon meſnage, parce
qu'il eſt bien mal-aiſé , qu'vne ſeu-
le femme puiſſe faire tout , en vne
pays-là, car il faut iardiner , accou-
ſtrer les cottonniers , & filler le cot-
ton, tant gros, pour faire licts, que
delié à accouſtrer les fleſches de
leur mary , & de leurs freres , & les
plumaſſeries que font les vieillards:
auſſi faire des pots à appreſter com-
me eſt dict cy deſſus , à manger,fai-
re tous les iours des breuuages,cui-
re le ſel & le mettre en maſſe , &
beaucoup d'autres ouurages,qui ne
ſçauroyent eſtre menez à chef par
Pluralité
de fẽmes
entre les
ſauuages.
vne ſeule femme. Cela eſt cauſe,
qu'ils ont pluſieurs femmes, & au-
tant qu'ils peuuent en auoir & en-
tretenir. Et y a tel , qui en a plus
d'vne douzaine , & plus de quatre
vingts enfans. Leur meſnage , tou-
tesfois, eſt ſi bien reiglé & s'entren-
tendent ſi bien tretous , qu'on n'y
veoit aucunes riottes entr'-elles, ny
moins de jalouſie , au moins qui ſe
mette en euidence. Il y a encores
vne autre occaſion , ſur laquelle ils
fondent ceſte pluralité de femmes,
par ce qu'ils ne hantent auec elles,
ſur ce que
ces ſauua
ges ne
touchent
a leurs
femmes
dés qu'el
les ſont
groſſes.
pendant qu'elles ſont groſſes , ny a-
pres l'enfantement,iuſques à ce que
l'enfant ſoit nourry & chemine
tout ſeul , terme bien long princi-
palement à ces ruſtres qui ne ſont ſi
ſobres qu'ils puiſſent faire abſtinen-
ce par deux ou trois ans. Ie ſçay
bien auoir leu dans Hippocrate au
traicté qu'il a faict de la ſurfetation,
qu'il y auoit vn extreme danger
d'offenſer l'enfant , ſi pendant la
groſſeſſe on venoit à preſſer vn peu
de prés , le ventre de la mere. Voi-
re que c'eſt là où ſe doit r'apporter
C. orige.
37.q.4.
ce qui eſt tiré de Sainct Hieroſme,
qu'apres l'enflure du ventre , qu'il
faut , que l'on ſe donne garde de
perdre les enfans , d'autant que
( ainſi que là eſt noté par la gloſe)
l'enfant ſe pourroit perdre par la
concuſſion trop frequente. Cela
faict , que nous voyons, que les pu-
tains publiques conçoiuẽt fort peu
ſouuent, ou, ſi elles viennent à con-
ceuoir, qu'elles retiennent bien peu
de temps leur fruict. A ce propos
auſſi trouuons nous, qu'Iſaac Com-
ple, fut ſi continẽt , qu'il ne vouloit
auoir affaire à ſa femme dés que ſeu-
lemẽt il ſentoit qu'elle auoit eu vne
fois de luy lignée. Il y a bien plus
qu'en vn Concile nommemẽt cela
fut prohibé & defendu, que les ma-
riez ne s'entre-hantaſſent pour l'ac-
couplement charnel , pendant que
la femme ſeroit enceinte, voire153 dés
que l'enfant auoit commẽcé à bou-
ger , ainſi qu'il eſt remarqué és de-
crets de Burchard, meſmes aupara-
Lib 19.
cap. 175
uant celuy qui auoit touché à ſa
femme apres qu'elle auoit ſenty re-
muer l'enfant , eſtoit condamné à
ieuner au pain & a l'eau , par l'eſpa-
ce de vingt iours, & à dix celuy qui
auoit eſté aſſeuré que ſa femme e-
ſtoit emprainte , & pour cela n'a-
uoit laiſſé de cohabiter auec elle.
des Sauuages du Cap de Frie,
remarquent, que bien que le lien de
mariage ſoit indignement commẽ-
cé par ces Sauuages , ſi eſt-ce que
chacun eſt content du ſien , ſans
ſouiller la couche de ſon voiſin. Ils
ſe marient ſans diſcretion trop grã-
de pour la conſanguinité , laquelle
Quels de
grés ſont
obſeruez
entre les
Sauua-
ges pour
la prohi-
bitiõ des
nopçes.
ils limitent ſeulement du fils auec la
mere , & du frere auec la ſœur,
pouſſez ſeulement d'vn inſtinct na-
turel ( ſans aucune police ou Loy,
qui les y contraigne ) & parce qu'ils
tiennent pour choſe aſſeurée , que
quiconque coucheroit auec ſa me-
re ou ſa ſœur , ou ſa fille , faudroit
qu'il finiſt malheureuſement , ſoit
que quelque experience le leur ait
appris ou autrement. Pour les au-
I v
La Forest
tres degrez, ils n'y ont aucun eſgardains y voit-on couſtumierement
l'oncle eſpouſer la fille de ſa ſœur,
qu'ils nomment Chéraindit-mébut,
c'eſt à dire la fille de ma ſœur, &
Chérémirekorem, ma femme futu-
re. Sur ce faut noter, que dés qu'el-
les ſont neés , l'oncle maternel les
leue & retient pour femmes , qui
doit eſtre, & par ce moyen le pe-
re de la fille eſt acquité d'vne partie
de la ſeruitude , en quoy il eſtoit
obligé pour ſa femme mere de l'en-
fant enuers les parens d'icelle : mais
pourtant , iamais les meres ne per-
mettent , que les hommes couchẽt
auec leurs filles,auant aage cõpetãt,
& auquel elles puiſſent conceuoir,
En quel
temps les
filles de
ces Sau-
uages
couchent
auec les
hommes.
c'eſt à ſçauoir , alors qu'elles ſont
paruenuës au temps des purgations
feminines , qui leur aduiennent en
la quinzieſme ou ſeizieſme année,
pluſtoſt ou plus tard , ſelon la di-
uerſe nature & complexion d'icel-
les , & ce le plus ſouuent au deffaut
de la Lune. Les Romains (ainſi que
nos Legiſlateurs l'ont teſmoigné)
102
Nvptiale.
ayans rejetté l'inſpection du corps,ont limité le temps de marier à la
puberté. Vous voyez, que ces pau-
ures Sauuages ont mieux aimé s'ar-
reſter à la compoſitiõ naturele, ſans
meſurer les complexions de diuer-
ſes perſonnes à vne meſme année:
Par ce moyẽ ſemblẽt-ils auoir ioüé
au plus ſeur, d'autant que l'aage de
douze ans, voire151 quãd on les tireroit
à quinze , eſt quelquesfois trop
preſſé pour elles , qui par quelque
empeſchement naturel ſont retar-
dées de pouuoir conceuoir. Et puis
qu'icy ces Sauuages font breſche à
noſtre droict , faut veoir quel mo-
Sottes et
rigoureu
ſes cere-
monies
des Sau-
uagss,
pour ha-
biliter les
filles à la
cõceptiõ.
yen ils ſuiuent , pour habiliter les
ceremonies & ſuperſtitions outra-
geuſes, dõt les meres vſent alors que
leurs filles commencẽt à auoir leur
premier temps, qu'elles nomment
en leur langue , Quioudu-ar ,que
nous pourrions interpreter peur
eſcheuë ou aduenuë , parce que
les filles ſont fort effrayées , quant
elles ſentent approcher le temps
I vj
La Forest
de ces non accouſtumées decou-lemens, encor plus quand il eſt ar-
riué : car, outre ce qu'on leur oſte
leur cheueux , auec vne dent de
poiſſon , qui tranche tellement
quellement , le plus prés de la te-
ſte que faire ce peut , & mainte-
nant elles ſe pincettent leur poil
honteux auec des pincettes , qu'el-
les ont recouuré de ceux qui de de-
ça ont frequenté en leur contrée,
on les met debout ſur vne pierre,
platte qui ſert de gray aux gens du
pais, à dreſſer leurs coliers, blancs, &
noirs, & à polir leurs pierres vertes,
que les hommes portent en leurs
leures , en leur decoupant le cuir,
depuis leurs eſpaules , iuſques ſur
leurs feſſes, en leur faiſant vne croix
biaiſe , au long du dos , de telle fa-
çon que le ſang en découle de tou-
tes parts , & ce auec la moytié d'v-
ne dent de beſte , affutée à la ſem-
blance d'vn crochet. Et n'eſtoit la
honte & crainte qu'elles ont , fe-
royent des cris horribles , de faict
elles grinſent les dents, ſerrent leurs
103
Nvptiale.
poulces & tordent leurs doigts pẽ-dant qu'on les martiriſe & bourele
de telle façon , & monſtrent bien à
leur minoir, qu'elles ne ſont gueres
contẽtes de paſſer par vne ſi extre-
me douleur. Cela fait, on les frotte
auec de la cendre faicte de courges
ſauuages, qui n'eſt moins coroſiue
que ſalpeſtre ou poudre à Canon:
en ſorte que iamais les marques n'ẽ
effacẽt. Apres on leur lie les bras &
le corps, d'vn fil de cottõ, leur metãt
au col des dẽts d'vne beſte, nõmée
en leur patois Capu-gouare, c'eſt à di-
re herbe mangeant ou viuant d'her-
be, à fin (diſent-elles) que leurs dents
ſoyent plus dures , à maſcher leur
breuuage, qu'ils appellent Chaouim,
maintiennent, ſi elles n'eſtoyẽt ain-
ſi decoupées, que leur ventre ſeroit
gaſté, & leurs enfans ſeroyent con-
trefaits. Apres on les couche en vn
vieil lict pendu par les deux bouts,
ſelon leur couſtume , du quel la fille
ne deſcẽd iuſqu'au bout de 3.iours,
où elle eſt ſerrée & enuelopée,
ſi que persõne ne la voit pẽdãt ceſte
La Forest
belle diette faut qu'elle ſe paſſe demanger, boire ny tire aucunement.
Ces trois iours paſſés elles deſcen-
dent ſur le meſme gray, & ſur tout
prennent garde de ne toucher ter-
re auec leurs pieds. Que ſe elles veu-
lent aller à leurs affaires ſecrettes la
mere ou quelqu'vne de ſes tantes
ou mere grand la portent dehors a-
uec vn charbon de feu ardant & vn
peu de cotton en vn taiz de pot, de
peur ( dient-elles ) que quelque
mauuaiſe choſe ( qu'elles appellent
Mahe) ne les approche ou ne leur
entre au corps par leurs parties ſe-
crettes ou autrement, de là en apres
ſont remiſes en leur lict, & leur don-
ne on ſeulemẽt de la farine & quel-
ques racines cuites , ſans vſer de ſel
ny de quelque ſorte de viande ou
breuuage, fors de l'eau. La pauure
patiente eſt en ceſt eſtat iuſques à ce
que le ſecond ſang ſoit venu, qui eſt
l'eſpace d'vn mois pour le moins
Lequel temps accomply & le ſe-
cond decoulement faict , nommé
en leur language Pororoipok, qu'on
104
Nvptiale.
interprete faire bruit derechef, ellen'eſt pas encore deliuree de tour-
mens , d'autant qu'on luy decoupe
la poitrine , & le ventre tout ainſi
que le dos ſans luy laiſſer les feſſes
entieres, qu'elles ne ſoyent deſchi-
rees, comme le dos & le ventre. Le
mois ſuyuant leur abſtinence n'eſt
du tout ſe eſtroite, ſi ne frequentent
elles point encor auec les autres, &
ne vont aux iardins beſoigner, ain-
ſi qu'elles auoient couſtume aupar-
auant, ſeulement, ſe tiennent coyes
& ſans grouiller dans leur lict,aſſiſes
à eſplucher du cotton & filer tant
ſeulement. Le moys d'apres elles
commencent aller aux iardins, a-
pres auoir eſté noircies d'vne cer-
taine peincture noire que font les
gens de ce pays là d'vn fruict d'ar-
bre, qu'ils appellent en leur langua-
ge Ianipap. Pour en auoir le ſuc ils le
maſchent auant qu'il ſoit meur &
eſt quelque peu amer , mais eſtant
en maturité eſt bon à manger : Sa
groſſeur & couleur eſt comme les
tres-groſſes noix de noyer , quand
La Forest
elles ſont toutes vertes , mais ellesn'ont point de noyau , ainſi qu'a la
noix , ains eſt comme vne pomme,
Ie laiſſe aux Medecins, à ſonder
pourquoy ces bonnes Dames font
ces ſingeries, & ſi telles detaillades
& meurdriſſeurs ſeruent à rendre
les femmes plus fertiles qu'elles ne
ſont. De dire qu'elles le facent pour
s'exempter du flux menſtrual , c'eſt
à mon aduis prendre la matiere aux
cheueux , d'autant que ( ſelon que
tiennent ceux qu'on tient pour les
mieux habillés d'entendemẽt entre
les Naturaliſtes) les femmes, qui ne
Maligni
té des de-
fluxions
mẽſtrue-
les.
rougiſſent de tels deſcoulemens
ſont brehaignes & ſteriles , attendu
que ce sãg mẽſtrual ſert de matiere
à la generation , & la ſemence de
l'homme y ſert de preſure, ſe meſ-
lãt auec iceluy. Et ne ſert d'alleguer
Pl.ch.15
li.7.&
chap.7.
lib.28.
les imperfections compaignes de
telles emiſſions , leſquelles ie con-
feſſe, & adiouſte , que les Philoſo-
phes naturels tiennent, & ſur tous
autres Pline , que ſi la femme ayant
ſes moys approche d'vn vin nou-
105
Nvptiale.
ueau, il en aigrira:les bleds auſſi ſei-chent , ſi elle les touche eſtant en
ceſt eſtat, les hantes en meurent, cõ-
me font les herbes des iardins , où
elle paſſe : meſmes le fruict des ar-
bres, ſous qui elle ſe ſera rafraiſchie,
tombera:les miroirs ſe tachent à ſon
regard, auſſi fait l'acier & l'hyuoire,
meſmes que l'air en eſt infecté : les
chiens auſſi ayans gouſté des fleurs
d'vne femme deuiennent enragés
& ſont les morſures incurables: meſ-
mes que le bitume, qui nage certain
temps ſur le lac de Sodome, ou mer
morte, & qui à cauſe de ſa viſcoſité
s'attache à tout ce qu'il rencontre
filant touſiours comme glu, n'a gar-
de de prende au fil qui ſera tient de
ce ſang venimeux. Les Formis auſſi
petites beſtes & ſages ſentẽt ce ſang
corrompu & iettent là le bled, qui
en eſt infecté , ſans iamais vouloir
en gouſter: que durant l'eclypſe de
la Lune ou du Soleil, ou bien quand
la Lune eſt en coniõction, les fleurs
de la femme ſont irremediables &
ſeruent de peſte & de poiſon aux
La Forest
hõmes, qui alors ont cognoiſſanceà elles: que ſi vne femme, ayant ſes
mois touche ſeulemẽt le ieune bois
de la vigne elle le gaſtera , meſmes
qu'elle fait mourir & la rue & le lier-
re à les toucher ſeulement: qu'ayant
touché vne ruche de mouches à
miel, les mouches s'en irõt: que tou-
chant vne iument preigne, elle la fe-
ra auorter: meſmes que le feu ( qui
neant-moins eſt fort actif, ne peut
corrompre & amortir ce venin. De
fait s'il ſe trouue tant ſoit peu de cẽ-
dres de linges, infectés de ce ſang,
parmy la buée des foulõs & degraiſ-
ſeurs de draps, la pourpre s'ẽ tache-
ra & ſe perdra la fleur & naïueté de
quelque teinture que ce ſoit. Voyre
mais152 qu'eſt-il de beſoin de nous ar-
reſter d'auãtage ſur ce diſcours, puis
que ie demeure d'accord, que la ma
lignité du ſang menſtrual eſt tres-
pernicieuſe. Mais que pour cela on
doiue cõclure, que les meres veulẽt
deliurer leurs filles de telle ſubiectiõ
qui leur eſt naturelle, ſeroit & s'op-
poſer à leur intention & vouloir de-
106
Nvptiale.
mẽtir l'experience ordinaire: Puisque l'õ ſçait pour le ſeur, que ces de-
coupeures ne tẽdẽt qu'à preparer &
habiliter la fille à pouuoir cõceuoir,
qui, le cours de ces decoulemens ſe
tariſſant, deuiendroit ſterile & infe-
cõde. En outre par le raport de ceux
qui ont hanté ces païs eſtrãges nous
apprenons, que veritablement elles
ne ſont point ſi lõgs temps tourmẽ-
tées de ces defluxiõs, mais que pour
ce elles ne laiſſent à en eſtre viſitees
toutes les Lunes, & qu'alors elles ſe
mettoient auec vn baſtõ blãc & vny
ayant enuirõ trois pieds de long &
ſe gardent d'attoucher à choſe qu'õ
puiſſe boire ny manger ſur tout de
coucher auec leurs maris , auſquels
elles font tenir leur eau par ce ſeul
mot Airo-aip , qui veut à dire ie
me treuue mal. Par ainſi, s'il m'eſt
loiſible de iouër à couuerturer, ie di-
ray que penſans ſe deſ-charger de
quelque malignité d'humeur, aidãt
à procréer ce ſang corrompu , elles
ſe fõt inciſer d'vne ſi bruſque & fan-
taſque façon. Ie ſçay bien que ie me
La Forest
ſuis beaucoup eſtẽdu ſur ce propos,mais puis qu'il y auoit vne manife-
ſte immutation & alteration de no-
ſtre Droict a eſté de beſoin d'eſclair-
cir ce point de ceſte ſorte. Donques
pour retourner au mariage de ces
ſauuages les meres ne permettent
que leurs filles prẽnẽt mary iuſques
à ce que leurs cheueux ſoiẽt recreus
& qu'il leur couure preſque toutes
les eſpaules , ce qui ne ſe peut faire
qu'ẽ trois quarts d'an pour le moins
& le plus ſouuent autant de Lunes,
Oncle
maternel
le plus
proche et
habile à
eſpouſer
les filles
ſauua-
ges.
qu'il y a dé doigts aux deux mains,
ainſi que leur couſtume eſt de com-
pter. S'il aduient que les filles refu-
ſent leur oncle maternel, & en prẽ-
nent quelqu'autre à leur plaiſir ou-
tre le gré de leur mere on les tient
pour paillardes. Et ne faict on pas
grand compte d'elles, pour eſtre ia-
mais femmes arreſtees à vn homme
mais font ſouuent maris nouueaux
qu'ils dient Aſſak, c'eſt à dire mary
paſſager, volage & non arreſté meſ-
mes ſont cauſe que leur oncle ma-
ternel oſte leur mere à leur pere, &
107
Nvptiale.
par ce moyen ſont dictes filles ſansExercice
de ces fil
les Sau-
uages.
pere & le plus ſouuent ſans mere,
parce que de deſpit elles ſont tuées.
Cependant leur meres leur mõſtrẽt
à faire des vaiſſeaux de terre, cõme
ſont les pots à cuire la chair, poiſſon
& autres viandes, qu'ils mangent,
plates eſcuelles , & vaiſſeaux mar-
quetés en compartimẽs,aſſez beaux
& verniſſés auec vne certaine gõ-
me blanche, qui croiſt en des arbres
de l'eſcorce deſquels on fait des bar-
ques longues, pour aller en guerre,
portans de trente cinq à quarante
hommes & d'auantage. Auſſi leur
apprẽnẽt elles à faire d'autres grãds
pots à cuire leur breuuage & des au
tres pour le mettre, dont y en a, qui
tiennent plus d'vn muy : meſmes
faut, qu'elles ſçachent tiſtre les licts
de cotton:Et en ſomme ſoyent ou-
urieres en toutes choſes, qui ſoit en
leur meſnage, & ne ſoient en aucu-
cune ſorte pareſſeuſes. Mais quand
les filles ſont ſages & ſuyuent le cõ-
ſeil de leurs meres, ſi elles ſont viuã-
tes, ou bien, ſi elles ſont mortes, de
La Forest
leurs tantes ou plus prochaines pa-rentes(icy le pere ayant bien peu de
pouuoir) elles en ſont bien mieux
priſees & ſur termes de trouuer bon
party & vn mary allant à la guerre,
qu'on appelle Kereombar , pourueu
qu'elles n'ayent d'oncle maternel,
lequel ſuyuant la couſtume , par o-
bligation couſtumiere & moyen-
nant le mariage, pourchaſſe & faict
de bons & grands ſeruices à la mere
& aux freres de la fille & puis au pe-
Moyens
par leſ-
quels les
gendres
s'entre-
tiennent
enuers
leurs
beaux-
peres.
re, qui eſt le dernier, ou bien aux on-
cles,le pere eſtant mort. Car il y a tel
entre ces nouueaux mariez, qui n'a
encore parlé au pere vn demy an
apres qu'il eſt marié, tant ont de hõ-
te l'vn de l'autre, auec quelque crain
te que peut auoir le gendre, s'effor-
çant ſeulement par tous les moiens
qu'il luy eſt poſſible d'auoir l'amitié
& grace de tous les parens de celle,
qu'il veut garder pour fẽme, cõme
& grace de tous les parens de celle,
qu'il veut garder pour fẽme , cõme
de prendre des ennemis priſonniers
à bailler à ſes ieunes beaux-freres, à
tuer, afin qu'ils en changent le nom
de leur enfance, ou bien autrement
pour vengeance de ſon beau-pere,
108
Nvptiale.
ou de quelcun des oncles dy frered'icelle morts à la guerre ou man-
gez par l'ennemy. Pareillement de
les accompaigner à la guerre & s'ils
ſont en danger de l'ennemy ſe met-
tre au deuant, pour les deffendre,
de peur qu'ils ne ſoient pris ny bleſ-
ſéz : auſſi porter la farine ſur le dos
pour viure ſur le chemin , tuer be-
ſtes , oyſeaux , prendre poſſeſſion,
faire les loges des repoſees & plu-
ſieurs autres choſes qu'ils ont de
couſtume de faire , quand il vont
ſoit par mer ou par terre en voyage
Maris
Sauua-
ges ſuiets
a de grã-
des char
ges.
ou contre l'ennemy: Outre ce quãd
ils changent de village ſont ſubiects
d'ayder à faire les maiſons , à cou-
per les arbres , pour faire places &
iardins. Somme, tout le tẽps que les
femmes ſont viuãtes auec leurs ma-
ris, ils ſont obligés à vne infinité de
choſes enuers les parens d'icelle.
Que s'ils faiſoyent autrement les
fẽmes les vous placqueroiẽt là tout
net, fuſſent elles ja toutes vieilles &
ayãs pluſieurs enfãs, qu'elles quicte
roient à leurs maris par la contrainte
La Forest
de leurs parens & freres, meſmes lesvont prendre iuſques à leurs mai-
ſons quand ils les ont chez eux, ſans
que nul les oſe empeſcher. Telle
diſſipation de mariage n'aduient
que trop ſouuent, d'autant que le
mary ne peut s'acquitter de toutes
ces charges, principalement ceux
qui en ont pluſieurs, autrement fau-
droit qu'ils eſcartelaſſent leurs corps
en autant de parties qu'ils ont de
femmes. Pour ceſte occaſion au-
cuns ont dict que ceſte ſubiection
deuoit eſtre reſtrainte à celle qui eſt
le mieux aymee entre toutes les au-
tres. Ie ne veux conteſter ſur choſe,
de laquelle ie ſuis incertain : Si veux-
ie bien aſſeurer , que ny le Coſmo-
graphie Theuet , ny ceux , qui ont
deſchiffré les vies , mœurs & façon
de viure de ces Sauuages n'ont faict
mention de telle diſtinction , ains
rapportent,que le plus ſouuent ad-
uient que les hommes, qui ont des
femmes en telle condition n'ont
gueres de parẽs de leur coſté, ſi que
ils ſont cõtraincts de demeurer auec
leurs
109
Nvptiale.
leurs beaux peres & meres, & ſontdits Cont-ſamené, c'eſt à dire mary de
femmes. En apres ſi on veut regar-
der vn peu plus prés , on trouuera
que les filles des ſœurs ſont les fem-
mes legitimes , & q̃ ceſte ſeruitude
ne s'entend ſinon de ceux qui n'ont
point de ſœur à leur engẽdrer fem-
mes. Parquoy ſont cõtraints, s'ils en
veulẽt auoir, de ſeruir iuſqu'à ce que
leur fẽme ait fait des enfãs, pour ſer-
uir l'õcle maternel, & deſgager leur
pere en partie, ſinon du tout. Bref
c'eſt biẽ en ceſt endroit la plus grã-
de ſeruitude, dont vn pauure hom-
Quelles
appro-
ches les
ieunes
Sauua-
ges font
vers les
filles.
me puiſſe eſtre matté. Auſſi diſent
ils en leur prouerbe , Apuaue taiga-
pu ancoepro romo Yieng, qui eſt à dire,
les peuples font lignées auec grand
trauail & difficulté, mais pour parler
des premieres approches que font
les hommes vers les filles à marier,
lors qu'où elles refuſent leurs on-
cles , ou qu'elles n'en ont aucun,
ils vont à la chaſſe aux beſtes , ou
aux aiſeaux , ou bien en peſche-
rie , ſelon que la commodité du
K
La Forest
lieu & la ſaiſon le portent , & prin-cipalement , quant ils cognoiſſent,
que la mere & autres parens de la
fille les deſirent , apportent vne
charge de venaiſon , ou poiſſon le
plus exquis qu'ils peuuent recou-
urer , le ſoir entre Chien & Loup,
le mettent deuant la mere de la fil-
le , ſans dire mot , puis s'en reuont
le plus ſecrettement qu'ils peuuent,
de peur d'eſtre apperceus des voi-
ſins. Vray eſt, qu'auant toute œu-
ure la fille peut auoir donné aſſeu-
rance au ieune homme, puis la me-
re d'icelle s'en doutant , comme à
demy , & faiſant ſemblant de n'en
rien ſçauoir , luy demande d'où
vient ceſte proye , & à qui elle a
donné telle aſſeurance. La fille luy
en compte la verité, & luy dict,
que c'eſt de la part d'vn tel , qui luy
dict le iour paſſé , qu'il la voudroit
bien pour femme , pourueu qu'el-
le s'y accordaſt, & que ſa mere &
ſes autres parens en fuſſent con-
tens. Alors la mere appelle le pere
de la fille , pour departir le preſent
110
Nvptiale.
à tous leurs amys , en le mangeantdeuiſent des mœurs & conditions
du jeune homme: vn chacun d'eux
en dict ſa ratelée , en ſorte qu'a-
pres auoir eſté tenu long temps ſur
les rangs , ſi elle cognoiſt qu'il leur
ſoit aggreable , la mere luy dict la
premiere fois qu'il luy eſt loiſible
de parler auec luy , l'aſſeurant a-
uec promeſſes , que s'il luy plaiſt
d'aller coucher auec elle , ſa me-
re ne luy en dira rien. La principa-
Qualité
d'vn ieu-
ne hõme
pour poſ-
ſeder la
grace
d'vne
ſauuage.
le qualité , qui peut rendre admiſ-
ſible vn ieune homme à auoir fem-
me , eſt qu'il ait prins des priſon-
niers en guerre , autrement ne ſe-
roit-il receu. Et y a bien vne cho-
ſe , qui iamais la mere ne permet-
tra , que ſa fille couche auec hom-
me , qu'il n'en ait point pris pour le
moins vn ou deux , & qu'il n'ait
changé nom dés ſon enfance , par-
ce que les enfans qui ſeroyent en-
gendrez d'vn Manem , c'eſt à dire,
qui n'a prins quelque eſclaue , ne
feroyent iamais bon fruict, & ſe-
royent Mebels , c'eſt à dire faillis, &
K ij
La Forest
faineans. Cela conclud entre la fil-le & ſon amoureux , il s'en va alors
que tous dormẽt, coucher en la vil-
le auec la fille du coſté , où la mere
ſe tient, puis s'en retourne de grand
matin, de peur d'eſtre apperceu. Et
s'il ſont au gré l'vn de l'autre, le ma-
riage eſt fait , & de la en auant il fait
tous les ſeruices, & s'humilie de la
façon que i'ay dit cy deſſus, à ſa bel-
le mere , & à tous les autres parens
d'icelle. Et ſi leurs complexions ſe
rencontrent bien, leur mariage du-
re iuſques à la mort. De là en apres
ſi l'homme eſt de grand lieu, & ap-
partient à perſonnes qui meritent,
il faict tant , qu'auec le temps , il
tranſmarche ſa femme vers ſes pa-
rens , & en ſa maiſon. Dés qu'il l'a
rangée ſous ſon taudy & qu'il luy
faict bon traictement , elle cerche
par tous moyens d'auoir des com-
paignes , pour eſtre auec elle fem-
mes de ſon mary , à fin qu'elle ſoit
aidée d'elles , à ſon meſnage, parce
qu'il eſt bien mal-aiſé , qu'vne ſeu-
le femme puiſſe faire tout , en vne
111
Nvptiale.
maiſon , ſelon la couſtume de cepays-là, car il faut iardiner , accou-
ſtrer les cottonniers , & filler le cot-
ton, tant gros, pour faire licts, que
delié à accouſtrer les fleſches de
leur mary , & de leurs freres , & les
plumaſſeries que font les vieillards:
auſſi faire des pots à appreſter com-
me eſt dict cy deſſus , à manger,fai-
re tous les iours des breuuages,cui-
re le ſel & le mettre en maſſe , &
beaucoup d'autres ouurages,qui ne
ſçauroyent eſtre menez à chef par
Pluralité
de fẽmes
entre les
ſauuages.
vne ſeule femme. Cela eſt cauſe,
qu'ils ont pluſieurs femmes, & au-
tant qu'ils peuuent en auoir & en-
tretenir. Et y a tel , qui en a plus
d'vne douzaine , & plus de quatre
vingts enfans. Leur meſnage , tou-
tesfois, eſt ſi bien reiglé & s'entren-
tendent ſi bien tretous , qu'on n'y
veoit aucunes riottes entr'-elles, ny
moins de jalouſie , au moins qui ſe
mette en euidence. Il y a encores
vne autre occaſion , ſur laquelle ils
fondent ceſte pluralité de femmes,
par ce qu'ils ne hantent auec elles,
K iij
La Forest
Diſcoursſur ce que
ces ſauua
ges ne
touchent
a leurs
femmes
dés qu'el
les ſont
groſſes.
pendant qu'elles ſont groſſes , ny a-
pres l'enfantement,iuſques à ce que
l'enfant ſoit nourry & chemine
tout ſeul , terme bien long princi-
palement à ces ruſtres qui ne ſont ſi
ſobres qu'ils puiſſent faire abſtinen-
ce par deux ou trois ans. Ie ſçay
bien auoir leu dans Hippocrate au
traicté qu'il a faict de la ſurfetation,
qu'il y auoit vn extreme danger
d'offenſer l'enfant , ſi pendant la
groſſeſſe on venoit à preſſer vn peu
de prés , le ventre de la mere. Voi-
re que c'eſt là où ſe doit r'apporter
C. orige.
37.q.4.
ce qui eſt tiré de Sainct Hieroſme,
qu'apres l'enflure du ventre , qu'il
faut , que l'on ſe donne garde de
perdre les enfans , d'autant que
( ainſi que là eſt noté par la gloſe)
l'enfant ſe pourroit perdre par la
concuſſion trop frequente. Cela
faict , que nous voyons, que les pu-
tains publiques conçoiuẽt fort peu
ſouuent, ou, ſi elles viennent à con-
ceuoir, qu'elles retiennent bien peu
de temps leur fruict. A ce propos
auſſi trouuons nous, qu'Iſaac Com-
112
Nvptiale.
mene, Empereur de Conſtantino-ple, fut ſi continẽt , qu'il ne vouloit
auoir affaire à ſa femme dés que ſeu-
lemẽt il ſentoit qu'elle auoit eu vne
fois de luy lignée. Il y a bien plus
qu'en vn Concile nommemẽt cela
fut prohibé & defendu, que les ma-
riez ne s'entre-hantaſſent pour l'ac-
couplement charnel , pendant que
la femme ſeroit enceinte, voire153 dés
que l'enfant auoit commẽcé à bou-
ger , ainſi qu'il eſt remarqué és de-
crets de Burchard, meſmes aupara-
Lib 19.
cap. 175
uant celuy qui auoit touché à ſa
femme apres qu'elle auoit ſenty re-
muer l'enfant , eſtoit condamné à
ieuner au pain & a l'eau , par l'eſpa-
ce de vingt iours, & à dix celuy qui
auoit eſté aſſeuré que ſa femme e-
ſtoit emprainte , & pour cela n'a-
uoit laiſſé de cohabiter auec elle.
Lib. 3.
ſtromat.
ſtromat.
Clement Alexandrin aſſeure, qu'on
ne pourra monſtrer qu'aucun des
anciens ſe ſoit meſlé à ſa femme , ſi
toſt qu'elle commençoit à charger,
ains on trouue qu'ils attendoyent
non point ſeulement qu'elle fut
fut ſeuré , & qu'apres ils ne faiſoyẽt
difficulté de les cognoiſtre. Deſia,
(dict-il )trouuerez-vous, que le pe-
re de Moyſe en eſtoit logé là , d'au-
tant qu'il laiſſa eſcouler trois ans en-
tre la generation d'Aaron & de
Moyſe. Par telle abſtinence mon-
ſtroyent-ils , qu'ils n'entendoyent
point aux nopçes , pour aſſouuir
leurs impudiques conuoitiſes , ains
pluſtoſt pour multiplier l'humain li-
nage. Ariſtote recognoiſſant l'inõti-
nẽce des femmes, au 7. liure de ſon
hiſtoire des animaux, chapitre 4. &
au 4. liure de leur generation cha-
pit. cinquieſme, nous aduertit,qu'il
n'y a que la femme & la iument, qui
deſirent & ſouffrent le maſle, apres
leur cõception. Et pour ceſte occa-
ſion, Plutarque ſouſtiẽt, que les be-
ſtes brutes ſont beaucoup plus rai-
sõnables que les hõmes & femmes.
En l'eſtat de Solon telle diette n'eut
pas eſté receuë, par ce que ce Legiſ-
lateur auoit ordonné que le mary
allaſt voir ſa femme , pour le moins
lupté , mais pour ſe rendre, comme
par obligation , les arres & gages
d'amitié par honneur, grace & loy-
auté mutuelle. Et comme les villes
renouuellent par interualle de tẽps,
les alliances , qu'elles ont les vnes
auec les autres : Auſſi vouloit So-
lon , que l'on rafraiſchit l'alliance
des nopçes, en maniere de dire par
les propos que l'on s'entretenoit
en telle careſſe & viſitation. Au-
tresfois , par maniere de deuis , i'ay
voulu ſonder de quelques Mede-
cins , occaſion de ce ieuſne au-
quel ces Sauuages s'humilient: pour
le dernier chef , de moy-meſmes
ie me reſoluois aſſez ( ce me ſem-
bloit) ſçachant treſbien, que le laict
d'vne femme , qui ſurcharge , eſt
fort mal ſain, pour la nourriture de
l'enfant, qui tette, mais pour le pre-
mier , ie me trouuois bien entre-
pris ne pouuant prendre en paye-
ment la raiſon, dont ils ont accou-
ſtumé de faire bandeau à leur Poly-
gamie , quand ils diſent que s'ils a-
tẽps de leur groſſeſſe, ſi elles eſtoyẽt
enceintes de maſle, ils en feroyent
vn bardache ou bougeron , qu'ils
nomment en leur langue Teuir, & ſi
c'eſtoit vne fille , qu'ils l'inceſtue-
royent, crimes qui leur ſont auſſi
bien que l'adultere , en telle dete-
ſtation , que meſmes ils ne veulent
pas en ouïr parler. Et ne me ſert ce
qu'aucuns alleguoyent de la ſuper-
fœtatiõ,d'autãt que ie ne veux point
nier , que d'vne meſme portée, vne
femme ne puiſſe auoir pluſieurs en-
fans, voire154 qu'il y ait vn, deux iours,
plus ou moins entre la generation
du premier & des autres. En outre,
ie paſſeray volontiers ceſt article,
que nos Iuriſconſultes ont borné le
tẽps du deuil,iuſques à vn an , pour
empeſcher le meſlãge de ſemence
du deffunct,& celuy , auquel la
femme pourroit aſpirer : mais que
cela fauoriſe à la beſtiſe de ces Sau-
uages, ie n'y vois aucune apparẽce.
Attendu que le relais & la bride du
vefuage, que les Legiſlateurs ont
pour empeſcher , que la vefue ne
porte,ſous le nom de Poſthume, vn
enfant en la maisõ du deffunct , qui
aura toutesfois eſté procreé par le
ſecõd mary. A l'edroit de ces Sauu-
ges cela ne peut auoir lieu, d'autant
que ſi tãt eſtoit qu'au bout de deux
ou trois moys le Sauuage ſur-engẽ-
dra vn fils , outre celuy duquel elle
ſeroit enceinte touſiours le Pere le
deuroit recognoiſtre, cõme ſiẽ. Voi
re,s'il n'y auoit que la multitude des
enfãs, qui boucla leur accointãce, ie
voudrois maintenir, que ces Sauua-
ges, pour accoiſtre leur lignée taſ-
cheroyẽt à ſurgroſſir leurs femmes,
veu que le plus grãd bien qu'ils s'e-
ſtimẽt pouuoir receuoir, eſt d'auoir
vne grande & belle engence. Ceux
qui ont voulu ſubtiliſer d'auantage
en coniectures, ont dit, que ces ſau-
uages ſe ſont reſtraints à telle diette,
pourautãt que la matrice de la fem-
mes enceinte eſtãt cloſe & ſerrée ne
reçoit aucune ſemẽce,ſi bien qu'ils
pource ne lairoiẽt à engẽdrer beau-
coup d'humeurs corrompuẽs , qui
pourroyẽt paraduenture beaucoup
nuire au petit enfant. Soit cõme que
ce ſoit ie m'en rapporte aux mede-
cins, leſquels,s'ils le trouuent bon
pourrõt entrer plus auant en ceſte
matiere & fureter tous les ſecrets
d'où ils cognoiſtrõt, qu'õ pourra ti-
rer la raiſon, ſur laquelle eſt fõdé ce
Punition
de la fẽ-
me qui
eſtãt en-
ceinte on
va pail-
lardé.
lõg attermoyemẽt, & ce pendant ie
retourneray vers nos Sauuages,qui
sõt jaloux au poſſible, de l'integrité
qui leur doit eſtre gardée par leurs
femmes. De fait ſi d'auanture quel-
que femme a paillardé , eſtant en-
ceinte , parce que leur mary faict
la ſurſeance que i'ay cy deſſus re-
marqué , & que cela vienne à eſtre
deſcouuert , comme bien à peine
Bastard
enterré
tout vif
par les
Sauua-
ges.
peut-il eſtre celé , quand l'enfant
eſt né il eſt enterré tout vif, & la fẽ-
me delaiſſée , qui ne ſert apres que
pour les ieunes hommes , qui n'ont
encores le moyẽ d'auoir femme, &
n'eſt iamais en bõne eſtime entr'eux
bien eſtrange & hors de raiſon , de
faire porter la peine à l'enfant qui
eſt hors de coulpe, pluſtoſt la mere
deuroit elle meſme porter le ſup-
plice, puis que c'eſt elle qui a of-
fencé. Ioinct que ( comme tres-
bien diſent nos Docteurs par-
lans des enfans naturels & engen-
dréz hors des mariages) les baſtards
au lieu d'eſtre chargez , rebroueez
& meſpriſés doyuent pluſtoſt eſtre
embraſſés par pieté & compaſſion,
& ne porter ( comme l'on dict) la
patte au four de ce dont ils ne peu-
uent mais : Si eſt-ce qu'autrement
on le practique parmy les ſauuages,
qui appellent tel enfant. Mara-oue-
re , c'eſt à dire de pluſieurs ſortes,
à ſçauoir de peres , tellement aui-
ly entre eux, qu'on ne ſouffriroit
aller en guerre auec les autres, de
peur qu'il ne leur porta malheur &
mal-encontre:meſmes que perſon-
ne , ne voudroit manger de ce qu'il
auroit touché, fut venaiſon, poiſſon
au autre choſe. Et puis que nous
enfans, faut ſçauoir , que quand
Commẽt
ces ſau-
uages
ſont deli
urees du
trauail
d'enfant le temps d'enfanter eſt venu elles
ſe mettent ſur vne buche platte
pres de la couuerture de la maiſon
par dedans , qui touche à terre &
en tiennent les lattes , & iettent
quelques cris aſſez forts & grands
en leur language , & demeureront
en ce trauail le long d'vn demi iour
ſans eſtre aidées ny ſecourues d'au-
cunes femmes que ce ſoit les vnes
plus, les autres moins: puis quand
l'enfant eſt né, ſi le pere eſt viuant,il
le leue de terre, & coupe le nombril
auec les dẽts, ſi c'eſt vn maſle:ſi c'eſt
vne femelle la mere le coupe ou la
plus prochaine parente, pour la de-
bilité de la giſante : que ſi le pere
eſt mort ou abſent, ſon oncle ma-
ternel le leue, comme i'ay dict cy
deſſus. En apres la mere ſe met en
vn vieil lict iuſques à ce qu'elle ſoit
bien purgee & nettoyee. Cela
faict le pere luy met le pied ſur le
ventre tout bellement , affin que,
comme ils dient il ſoit reſſerré, l'en-
eſt tout incontinent apres pein-
cturé de couleurs noires & rouges
par le pere lequel au ſurplus ſans
l'emmaillotter , le couchant dans
vn lict de cotton pendu en l'air
entre-deux eſpees de bois ſi c'eſt
vn fils, & luy eſt faict vn Hanongra-
ue , c'eſt a dire offerte ceremonieu-
ſe de bon preſage , qui eſt d'ongles
d'Once & ſerres d'Aigle auec
ſes plumes des ailles , ou de la
queuë , vn petit arc & des fleſches
le tout pendu au lict de l'enfant.
Et c'eſt affin qu'il ſoit plus ver-
tueux & de grand courage , com-
me ils croyent ſelon leur façon
ſuperſtitieuſe. Si c'eſt vne fille on
luy pend des dents de ceſt animal,
comme on faict aux filles qui ont
leur premier moys , & pour la
cauſe meſmes trois iours durant
le pere ſe tient aupres de ſa femme,
faiſant abſtinence de chair, de toute
ſorte de poiſſon, de ſel , & de meſmes
ne faict aucune beſoigne iuſques à
ſec & tombé, de peur (dit-il) que luy
ny l'enfant ne ſa mere n'ayent le
ventre tranché, qu'ils appellent Te-
Keaip, mettant par chaſcun iour au
midy & au ſoir le pied ſur le ventre
de ſa femme auec pluſieurs ſinge-
ries,ſimagrees & ceremonies preſa-
geuſes , comme de petites attrapes
faictes à prendre beſtes auquel il
met le porte-enfant en guiſe d'v-
ne beſte & le faict tõber deſſus en
maniere que ſi vne ſouris ſe prenoit
au tres-buchet. D'autre-part prend
ce petit arc & les fleſches qu'on a
pendu au petit lict de l'enfant & en
tire contre ce porte-enfant & auec
vn petit fillet à peſcher le prend cõ-
me en guiſe d'vn poiſſon , le tout à
celle fin que l'enfant prenne & tuë
beſtes , oiſeaux, & peſche du poiſſon
& vne infinité d'autres choſes que
i'ay honte de publier,tant elles ſont
ridicules, fades & ſuperſtitieuſes.
Que ſi le mary n'y eſt, le frere de la
femme le faict où le plus proche
parent, ſi les hommes en ſont reffu-
eſt ſec & tombé, le pere le prend &
en faict des petits morceaux, leſ-
quels il attache aux petits poſteaux
de la maiſon, autant qu'il y en a, a-
fin que l'enfant ſoit grand pere de
famille & qu'il entretienne maiſon
& meſnage. Cependant la femme
ſe leue & s'en va contre les grands
pilliers & poſteaux de la maiſon
s'appuyer le ventre & le ſerrant biẽ
fort , de peur (dit-elle ) qu'il ne luy
pende en bas & qu'il n'y demeure
des rides. Les trois iours paſſés le
mary s'en va à ſes affaires , apres a-
uoir impoſé le nõ à l'enfant, & faict
toutes ces ceremonies de bon pre-
ſage, mais la mere demeure vne lu-
ne entiere en ſon lit nourriſſant ſon
enfant auec l'abſtinence de chair,
de poiſſon & de ſel, que i'ay cy deſ-
ſus ramenteu. Au bout du moys
elles vont à leurs iardins faire leurs
affaires cõme de couſtume. Et ainſi
vous voiez que les hommes ont icy
beaucoup à ſouffrir tant à faire l'a-
mour, que pour s'ẽtretenir des parẽs
geſſine, eſtans contraincts de leur
ſeruir de ſages femmes , que pour
la ſubiection qu'ils ont à elles: car ſi
elles ne ſont traitées , comme elles
veulent elles laiſſent leurs marys,
quand ce ne ſeroit que pour deue-
nir pareſſeux. Parquoy tout hom-
me qui veut là auoir beaucoup de
femmes doit eſtre doux, bening, &
amiable , ſans les tancer aucune-
mẽt. Icy ne faut oublier, que les fẽ-
mes nouriſſent leurs enfans ſou-
ëfuement , qu'il ne leur manque
choſe qui ſoit. Pour les appren-
dre à manger leur maſchent de
toutes choſes vſitees en viandes,
ſans iamais les tancer tant s'en faut
de les battre ny en aucune manie-
re les tourmenter. Or c'eſt bien
la plus grande gloire , qu'on puiſſe
auoir en ces pays-là tant hommes
que femmes , ie ne ſuis poinct le
vaiſſeau remply des iniures ny de
mon pere , ny de ma mere , &
tiennent que l'enfant tancé ne
peut iamais profiter ou faire bien.
ne pourra monſtrer qu'aucun des
anciens ſe ſoit meſlé à ſa femme , ſi
toſt qu'elle commençoit à charger,
ains on trouue qu'ils attendoyent
non point ſeulement qu'elle fut
K iiij
La Forest
deliurée , mais auſſi , que l'enfantfut ſeuré , & qu'apres ils ne faiſoyẽt
difficulté de les cognoiſtre. Deſia,
(dict-il )trouuerez-vous, que le pe-
re de Moyſe en eſtoit logé là , d'au-
tant qu'il laiſſa eſcouler trois ans en-
tre la generation d'Aaron & de
Moyſe. Par telle abſtinence mon-
ſtroyent-ils , qu'ils n'entendoyent
point aux nopçes , pour aſſouuir
leurs impudiques conuoitiſes , ains
pluſtoſt pour multiplier l'humain li-
nage. Ariſtote recognoiſſant l'inõti-
nẽce des femmes, au 7. liure de ſon
hiſtoire des animaux, chapitre 4. &
au 4. liure de leur generation cha-
pit. cinquieſme, nous aduertit,qu'il
n'y a que la femme & la iument, qui
deſirent & ſouffrent le maſle, apres
leur cõception. Et pour ceſte occa-
ſion, Plutarque ſouſtiẽt, que les be-
ſtes brutes ſont beaucoup plus rai-
sõnables que les hõmes & femmes.
En l'eſtat de Solon telle diette n'eut
pas eſté receuë, par ce que ce Legiſ-
lateur auoit ordonné que le mary
allaſt voir ſa femme , pour le moins
113
Nvptiale.
trois fois le moys , non pour la vo-lupté , mais pour ſe rendre, comme
par obligation , les arres & gages
d'amitié par honneur, grace & loy-
auté mutuelle. Et comme les villes
renouuellent par interualle de tẽps,
les alliances , qu'elles ont les vnes
auec les autres : Auſſi vouloit So-
lon , que l'on rafraiſchit l'alliance
des nopçes, en maniere de dire par
les propos que l'on s'entretenoit
en telle careſſe & viſitation. Au-
tresfois , par maniere de deuis , i'ay
voulu ſonder de quelques Mede-
cins , occaſion de ce ieuſne au-
quel ces Sauuages s'humilient: pour
le dernier chef , de moy-meſmes
ie me reſoluois aſſez ( ce me ſem-
bloit) ſçachant treſbien, que le laict
d'vne femme , qui ſurcharge , eſt
fort mal ſain, pour la nourriture de
l'enfant, qui tette, mais pour le pre-
mier , ie me trouuois bien entre-
pris ne pouuant prendre en paye-
ment la raiſon, dont ils ont accou-
ſtumé de faire bandeau à leur Poly-
gamie , quand ils diſent que s'ils a-
K v
La Forest
uoyent affaire à leurs femmes , dutẽps de leur groſſeſſe, ſi elles eſtoyẽt
enceintes de maſle, ils en feroyent
vn bardache ou bougeron , qu'ils
nomment en leur langue Teuir, & ſi
c'eſtoit vne fille , qu'ils l'inceſtue-
royent, crimes qui leur ſont auſſi
bien que l'adultere , en telle dete-
ſtation , que meſmes ils ne veulent
pas en ouïr parler. Et ne me ſert ce
qu'aucuns alleguoyent de la ſuper-
fœtatiõ,d'autãt que ie ne veux point
nier , que d'vne meſme portée, vne
femme ne puiſſe auoir pluſieurs en-
fans, voire154 qu'il y ait vn, deux iours,
plus ou moins entre la generation
du premier & des autres. En outre,
ie paſſeray volontiers ceſt article,
que nos Iuriſconſultes ont borné le
tẽps du deuil,iuſques à vn an , pour
empeſcher le meſlãge de ſemence
du deffunct,& celuy , auquel la
femme pourroit aſpirer : mais que
cela fauoriſe à la beſtiſe de ces Sau-
uages, ie n'y vois aucune apparẽce.
Attendu que le relais & la bride du
vefuage, que les Legiſlateurs ont
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Nvptiale.
eſtroitement ordonné , n'eſt quepour empeſcher , que la vefue ne
porte,ſous le nom de Poſthume, vn
enfant en la maisõ du deffunct , qui
aura toutesfois eſté procreé par le
ſecõd mary. A l'edroit de ces Sauu-
ges cela ne peut auoir lieu, d'autant
que ſi tãt eſtoit qu'au bout de deux
ou trois moys le Sauuage ſur-engẽ-
dra vn fils , outre celuy duquel elle
ſeroit enceinte touſiours le Pere le
deuroit recognoiſtre, cõme ſiẽ. Voi
re,s'il n'y auoit que la multitude des
enfãs, qui boucla leur accointãce, ie
voudrois maintenir, que ces Sauua-
ges, pour accoiſtre leur lignée taſ-
cheroyẽt à ſurgroſſir leurs femmes,
veu que le plus grãd bien qu'ils s'e-
ſtimẽt pouuoir receuoir, eſt d'auoir
vne grande & belle engence. Ceux
qui ont voulu ſubtiliſer d'auantage
en coniectures, ont dit, que ces ſau-
uages ſe ſont reſtraints à telle diette,
pourautãt que la matrice de la fem-
mes enceinte eſtãt cloſe & ſerrée ne
reçoit aucune ſemẽce,ſi bien qu'ils
K vj
La Forest
ne feroyẽt que perdre leur tẽps & ſipource ne lairoiẽt à engẽdrer beau-
coup d'humeurs corrompuẽs , qui
pourroyẽt paraduenture beaucoup
nuire au petit enfant. Soit cõme que
ce ſoit ie m'en rapporte aux mede-
cins, leſquels,s'ils le trouuent bon
pourrõt entrer plus auant en ceſte
matiere & fureter tous les ſecrets
d'où ils cognoiſtrõt, qu'õ pourra ti-
rer la raiſon, ſur laquelle eſt fõdé ce
Punition
de la fẽ-
me qui
eſtãt en-
ceinte on
va pail-
lardé.
lõg attermoyemẽt, & ce pendant ie
retourneray vers nos Sauuages,qui
sõt jaloux au poſſible, de l'integrité
qui leur doit eſtre gardée par leurs
femmes. De fait ſi d'auanture quel-
que femme a paillardé , eſtant en-
ceinte , parce que leur mary faict
la ſurſeance que i'ay cy deſſus re-
marqué , & que cela vienne à eſtre
deſcouuert , comme bien à peine
Bastard
enterré
tout vif
par les
Sauua-
ges.
peut-il eſtre celé , quand l'enfant
eſt né il eſt enterré tout vif, & la fẽ-
me delaiſſée , qui ne ſert apres que
pour les ieunes hommes , qui n'ont
encores le moyẽ d'auoir femme, &
n'eſt iamais en bõne eſtime entr'eux
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Nvptiale.
Telle punition ſemble certainemẽtbien eſtrange & hors de raiſon , de
faire porter la peine à l'enfant qui
eſt hors de coulpe, pluſtoſt la mere
deuroit elle meſme porter le ſup-
plice, puis que c'eſt elle qui a of-
fencé. Ioinct que ( comme tres-
bien diſent nos Docteurs par-
lans des enfans naturels & engen-
dréz hors des mariages) les baſtards
au lieu d'eſtre chargez , rebroueez
& meſpriſés doyuent pluſtoſt eſtre
embraſſés par pieté & compaſſion,
& ne porter ( comme l'on dict) la
patte au four de ce dont ils ne peu-
uent mais : Si eſt-ce qu'autrement
on le practique parmy les ſauuages,
qui appellent tel enfant. Mara-oue-
re , c'eſt à dire de pluſieurs ſortes,
à ſçauoir de peres , tellement aui-
ly entre eux, qu'on ne ſouffriroit
aller en guerre auec les autres, de
peur qu'il ne leur porta malheur &
mal-encontre:meſmes que perſon-
ne , ne voudroit manger de ce qu'il
auroit touché, fut venaiſon, poiſſon
au autre choſe. Et puis que nous
La Forest
ſommes tombés ſur le propos desenfans, faut ſçauoir , que quand
Commẽt
ces ſau-
uages
ſont deli
urees du
trauail
d'enfant le temps d'enfanter eſt venu elles
ſe mettent ſur vne buche platte
pres de la couuerture de la maiſon
par dedans , qui touche à terre &
en tiennent les lattes , & iettent
quelques cris aſſez forts & grands
en leur language , & demeureront
en ce trauail le long d'vn demi iour
ſans eſtre aidées ny ſecourues d'au-
cunes femmes que ce ſoit les vnes
plus, les autres moins: puis quand
l'enfant eſt né, ſi le pere eſt viuant,il
le leue de terre, & coupe le nombril
auec les dẽts, ſi c'eſt vn maſle:ſi c'eſt
vne femelle la mere le coupe ou la
plus prochaine parente, pour la de-
bilité de la giſante : que ſi le pere
eſt mort ou abſent, ſon oncle ma-
ternel le leue, comme i'ay dict cy
deſſus. En apres la mere ſe met en
vn vieil lict iuſques à ce qu'elle ſoit
bien purgee & nettoyee. Cela
faict le pere luy met le pied ſur le
ventre tout bellement , affin que,
comme ils dient il ſoit reſſerré, l'en-
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Nvptiale.
fant auſſi eſt laué bien net, puiseſt tout incontinent apres pein-
cturé de couleurs noires & rouges
par le pere lequel au ſurplus ſans
l'emmaillotter , le couchant dans
vn lict de cotton pendu en l'air
entre-deux eſpees de bois ſi c'eſt
vn fils, & luy eſt faict vn Hanongra-
ue , c'eſt a dire offerte ceremonieu-
ſe de bon preſage , qui eſt d'ongles
d'Once & ſerres d'Aigle auec
ſes plumes des ailles , ou de la
queuë , vn petit arc & des fleſches
le tout pendu au lict de l'enfant.
Et c'eſt affin qu'il ſoit plus ver-
tueux & de grand courage , com-
me ils croyent ſelon leur façon
ſuperſtitieuſe. Si c'eſt vne fille on
luy pend des dents de ceſt animal,
comme on faict aux filles qui ont
leur premier moys , & pour la
cauſe meſmes trois iours durant
le pere ſe tient aupres de ſa femme,
faiſant abſtinence de chair, de toute
ſorte de poiſſon, de ſel , & de meſmes
ne faict aucune beſoigne iuſques à
La Forest
ce que le nombril de l'enfant ſoitſec & tombé, de peur (dit-il) que luy
ny l'enfant ne ſa mere n'ayent le
ventre tranché, qu'ils appellent Te-
Keaip, mettant par chaſcun iour au
midy & au ſoir le pied ſur le ventre
de ſa femme auec pluſieurs ſinge-
ries,ſimagrees & ceremonies preſa-
geuſes , comme de petites attrapes
faictes à prendre beſtes auquel il
met le porte-enfant en guiſe d'v-
ne beſte & le faict tõber deſſus en
maniere que ſi vne ſouris ſe prenoit
au tres-buchet. D'autre-part prend
ce petit arc & les fleſches qu'on a
pendu au petit lict de l'enfant & en
tire contre ce porte-enfant & auec
vn petit fillet à peſcher le prend cõ-
me en guiſe d'vn poiſſon , le tout à
celle fin que l'enfant prenne & tuë
beſtes , oiſeaux, & peſche du poiſſon
& vne infinité d'autres choſes que
i'ay honte de publier,tant elles ſont
ridicules, fades & ſuperſtitieuſes.
Que ſi le mary n'y eſt, le frere de la
femme le faict où le plus proche
parent, ſi les hommes en ſont reffu-
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Nvptiale.
ſans. Quand le nombril de l'enfanteſt ſec & tombé, le pere le prend &
en faict des petits morceaux, leſ-
quels il attache aux petits poſteaux
de la maiſon, autant qu'il y en a, a-
fin que l'enfant ſoit grand pere de
famille & qu'il entretienne maiſon
& meſnage. Cependant la femme
ſe leue & s'en va contre les grands
pilliers & poſteaux de la maiſon
s'appuyer le ventre & le ſerrant biẽ
fort , de peur (dit-elle ) qu'il ne luy
pende en bas & qu'il n'y demeure
des rides. Les trois iours paſſés le
mary s'en va à ſes affaires , apres a-
uoir impoſé le nõ à l'enfant, & faict
toutes ces ceremonies de bon pre-
ſage, mais la mere demeure vne lu-
ne entiere en ſon lit nourriſſant ſon
enfant auec l'abſtinence de chair,
de poiſſon & de ſel, que i'ay cy deſ-
ſus ramenteu. Au bout du moys
elles vont à leurs iardins faire leurs
affaires cõme de couſtume. Et ainſi
vous voiez que les hommes ont icy
beaucoup à ſouffrir tant à faire l'a-
mour, que pour s'ẽtretenir des parẽs
La Forest
de leur fẽmes, que du tẽps de leurgeſſine, eſtans contraincts de leur
ſeruir de ſages femmes , que pour
la ſubiection qu'ils ont à elles: car ſi
elles ne ſont traitées , comme elles
veulent elles laiſſent leurs marys,
quand ce ne ſeroit que pour deue-
nir pareſſeux. Parquoy tout hom-
me qui veut là auoir beaucoup de
femmes doit eſtre doux, bening, &
amiable , ſans les tancer aucune-
mẽt. Icy ne faut oublier, que les fẽ-
mes nouriſſent leurs enfans ſou-
ëfuement , qu'il ne leur manque
choſe qui ſoit. Pour les appren-
dre à manger leur maſchent de
toutes choſes vſitees en viandes,
ſans iamais les tancer tant s'en faut
de les battre ny en aucune manie-
re les tourmenter. Or c'eſt bien
la plus grande gloire , qu'on puiſſe
auoir en ces pays-là tant hommes
que femmes , ie ne ſuis poinct le
vaiſſeau remply des iniures ny de
mon pere , ny de ma mere , &
tiennent que l'enfant tancé ne
peut iamais profiter ou faire bien.
118
Nvptiale.
Des vef
ues Sau-
uages &
des ſolem
nitez
faictes
aux obſe
ques du
mary.
ues Sau-
uages &
des ſolem
nitez
faictes
aux obſe
ques du
mary.
Reſte maintenant à traicter quand
elles ſont vefues cõme elles ſe gou-
uernent. Faut donc ſçauoir, que leur
mary eſtãt mort en guerre de vieil-
leſſe ou bien d'autre accident , elles
font couper leurs cheueux pres de
la teſte apres en auoir arraché la
plus grande partie , auec des hor-
ribles pleurs & lamentations fort
piteuſes , puis elles courbent le
deffunct en vn bloc & monceau
enſemble dans le lict, où il eſt mort
ainſi que les enfans ſont au ven-
tre de leur mere , puis ainſi enue-
loppé le mettent dans vn grand
pot & le couurent de l'vn de leurs
plats , où il auoit accouſtumé de
ſe lauer. Apres font vne foſſe ron-
de , comme vn puits , & profon-
de enuiron de la hauteur d'vn
homme , & inhument ainſi leurs
morts auec quelque peu de feu,
affin (dient-elles) que le malin eſprit
n'en approche & vn peu de farine,
a ce que ſi l'ame du mort a faim,
elle en mange , couurant le tout
de la terre qui en a eſté tirée.
enterré dans la maiſon à l'en-
droit propre ,où il couchoit , & ſi
c'eſt vn enfant il eſt mis hors la mai-
ſon derriere , vis à vis, où il eſtoit.
Les femmes pleurent le mort par
demy an, & apres font vne feſte
pour l'amour du mort ſoit petit ou
grand. Les vefues ne ſe remarient
poinct ſi ce n'eſt aux freres & plus
proches parens de leur deffunct
mary, leſquels faut auant que ce fai-
re, qu'ils vangẽt la mort du deffunct
s'il a eſté prins & mangé de l'enne-
my, ou bien s'il eſt mort de vieilleſ-
ſe ou maladie , faut neant-moins
que celuy, qui doit prendre la vefue
pour femme , prenne & ameine vn
priſonnier , qui nettoye ſur la foſſe
du treſpaſſé, ſoit qu'on ait changé de
village ou autrement : Auſſi que
toutes les pennaſſieres155, colliers, arcs
& fleſches d'iceluy ſoyent lauees
par le priſonnier, meſmes ſon grand
lict , où il couchoit de ſon viuant,
ainſi que la couſtume le porte. Ia-
mais ces vefues ne ſe remarient à
lant qu'eſtoit leur mary , autrement
on les chuferoit156 & meſpriſeroit,
leurs enfans meſmes en ſeroyent
faſchés & mal-contans. Que ſi elles
ne peuuent auoir telle rencontre
elles aymẽt mieux ſe paſſer ſans ma-
rier & demeurer ainſi vefues le re-
ſte de leur vie auec leurs enfans.
Or encores qu'elles ſe remarient el-
les ne ſe precipitent point ſi fort,
qu'elles ne laiſſent eſcouler vn an
entier , combien que le lendemain
de la mort de leur mary la mort fut
vengee, qui eſt le principal poinct,
qui peut les rẽdre dignes de ſecõ-
des nopces. A ce propos ie me ſou-
uiens auoir ouy raconter d'vne fem-
me de ce pays-là , laquelle apres la
mort de ſon mary , qui auoit eſté
prins & mangé de ces ennemis , ne
ſe voulut remarier , par-ce que nul
des parens de ſon mary ne s'effor-
çoit de venger ſa mort : Prenãt l'arc
& les fleſches elle meſme alla à la
guerre auec les hommes, & fit tant
qu'elle print & amene des priſon-
ſes enfans, leur diſant , tuez mes
enfans , vengez la mort de voſtre
pere deffunct , puis que le reſte de
ſes parens ont le cœur ſi failly que
ils ne daignent en prendre la ven-
geance : c'eſt poſſible pource que
ie ne ſuis pas ieune & aſſez bel-
le , ſi y a-il vne choſe en moy, dont
ie ne feray poinct de difficulté me
vanter , c'eſt que ie ſuis forte , &
vaillante , pour venger la mort,
de voſtre pere deffunct mon ma-
ry. Ceſte femme fit tant que el-
le print pluſieurs autres ennemis,
leſquels elle faiſoit tuer meſmes
aux ieunes freres , & nepueux de
ſon deffunct mary , ne reſſentant
rien moins que ſa femme , tant el-
le auoit le cœur haut & viril. Voy-
la en ſomme ce qui appartient au
mariage de ces pauures. Sauuages,
ainſi que ie l'ay peu recueillir des
diſcours qui en ont eſté dreſſees
par les Sieurs Theuets , de Lery,
Belle-Foreſt , & autres. Et pour
le regard de ce que nous auons dict
ſcrupuloſité, que ces Sauuages font
de s'accointer d'elles auant qu'elles
aient eu leurs fleurs, cela n'eſt point
priuatiuement peculier à ces Sau-
uages , d'autant que les Cefaleens,
Preuue
de l'adul
tere en-
tre ces
Sauua-
ges.
vſent de meſmes , & entre eux la
premiere femme eſt la principale, &
faut que les autres luy façent ſerui-
ce & les enfans d'icelle ſont les he-
ritiers. Quant à l'adultere pour
en rendre vn homme, attainct &
ſuffiſamment conuaincu, ſuffit de
le voir aſſis ſur le lict, ou la natte,
où s'aſſeera la femme d'vn autre,
& faut que l'homme , & la fem-
me meurent enſemble, ſans eſ-
poir quelconque de grace, ou re-
miſſion. Or pour autant qu'au com-
mencement de ce chapitre i'ay de-
battu la diuerſité du Droict eſtably
par les Romains, & de celuy, qui eſt
pratiqué par les Sauuages , pour le
temps,auquel les filles peuuẽt eſtre
habiles à engendrer & entendre au
mariage i'eſtime qu'il ne ſera point
meſſeãt, pour eſclaircir de tãt mieux
meres,que comme il eſt treſ dange-
reux de precipiter trop les mariages
pour l'incapacité, qui ſe manifeſte,
auſſi eſt il trop plus que perilleux de
tenir ſi long temps en abboys ces
pauures filles, qui comme le feu ne
leur manque ,& ſont imbecilles ex-
ceſſiuement laiſſent quelques-fois
Diſcours
trop
ſur le
long re
tardemẽt
qui eſt
fait de
marier
les filles.
enyurees quelles ſont de leurs foles
affections, mettre le feu à la chemi-
nee. Il ne faut pas aller courir au
Peru, en Turquie ou en Perſe, par-
my nous nous n'ẽ voions que trop
d'exemples , qui maintes-fois font
tranſir de deuil & regret les pauures
peres & meres de n'auoir de meil-
leure heure donné ordre à loger
leurs filles , qui filletant , ſans eſtre
mariees, ſe ſont rendues femmes. En
maints endroits on recule en arrie-
re, & cependant on ne ſigne que la
pauure fille rapporte la penſe char-
gee, & embraſee des flammes d'a-
mour & chatouillee des aiguillons
de la chair met à l'abandon ſa pudi-
cité. Voyla que c'eſt le pere, qui re-
pouruoir de party cõuenable, crain-
te de dégainer d'argent pour la dot,
luy acquiert quelquesfois deshon-
neur & infamie , & conſequemmẽt
à toute ſa maiſon : ce qu'il deuroit
bien craindre aduenir , & taſcher à
le fuir, & penſer que la chaſteté de
la vierge eſt de treſ-difficile garde, à
guetter laquelle tous les yeux d'Ar-
gus ne ſuffiroyent : tellement que ſi
la fille qui a vingt-cinq ans paſſez,
voyant que ſon pere differe de la
partir, fait folie de ſon corps , ou ſe
marie à ſon plaiſir, par le droict Ro-
main, la fille ne peut eſtre desheri-
tée, ny forcloſe de la ſucceſſion,ains
pour n'auoir tenu cõte ſi long tẽps
du ſoing que nature luy commãde
auoir de ſa poſterité , il perd en ce
cas, l'authorité & preeminẽce, qu'il
auoit ſur ſa fille. Or à fin que celles,
qui de noſtre temps ont eſté ſurpri-
ſes & preoccupées, ne ſe deſeſpe-
rent,pour eſtre remarqueés , & que
d'autre part on ne reuoque en dou-
te l'hiſtoire que ie veux icy propo-
grands Empereurs qui fut onques:
C'eſt ce Charles le grand , lequel
quoy que bien aduiſé, ſe trouua ce-
pendant pris par la faute que ſe fit,
& à luy auſſi ſa fille aiſnée, qui fit
faux-bon à ſa virginité, il n'en don-
na la coulpe qu'à ſoy-meſmes, & eſ-
ſaya de couurir & reparer au mieux
qu'il peut , la faute aduenuë , où il
voyoit tremper & ſe morfondre la
bonne reputation & l'honneur de
Hiſtoire
memora-
ble de la
fille aiſ-
née de
l'Empe-
reur
Charles
le grand,
tous les deux, comme Iaques Curio
en ſon 2. liure des choſes Chrono-
logiques,recite auoir autresfois leu
à Olbiopoli157, ville aſſiſe ſur la ri-
uiere du Meyn en Alemaigne,là où
eſt enterré Eginard principal per-
ſonnage comprins en ceſt affaire.
Faut donques ſçauoir, que l'Empe-
reur Charles le grand eſtoit fort a-
moureux des ſçiences Mathemati-
ques, & meſmes n'auoit petite co-
gnoiſſance des choſes celeſtes ,des
influences & cours des planettes &
de l'Aſtrologie, où il ſe baignoit, a-
uec vne telle affection, que ſouuen-
repaiſtre ſon eſprit. Or comme vne
nuict ſeraine & eſtoilée, il obſeruoit
les aſtres par vne feneſtre, il vit d'ad
uenture , Eginard ſon Chancelier,
(aucuns dient ſecretaire de ſa cham-
bre) pendant ſur le dos de ſa fille, la
plus grande d'aage, laquelle le por-
toit ſur ſes eſpaules, & trauerſoit par
vne court, dont le paué eſtoit cou-
uert de neige, à fin que le lẽdemain
matin aucun ne peut remarquer au-
tre trace que de fẽme, qui fut pour
aller au corps d'hoſtel des Dames,
& principalemẽt droit en la cham-
bre ou cabinet de la ieune Princeſ-
ſe : ioint qu'on eut peu recognoi-
ſtre la piſte , forme & marque du
pied d'Eginard, ſur la neige , pour
celle d'vn homme, & poſſible d'E-
ginard meſmes. Deuinez à quelle
fin il eſtoit porté à heure induë , au
quartier des femmes par la fille de
ſon maiſtre , ce n'eſtoit point pour
enfiler des perles, ains (poſſible) el-
le-meſmes. l'Empereur faſché ou-
tre meſure, & non ſans cauſe , vain-
cret , & le diuulga le iour enſuiuãt,
contant tout le faict deuãt les Prin-
ces de ſa Cour, qui trouuerent tous
l'acte fort eſtrange , de ſorte , que
pas vn d'entre eux ne pouuoit, ſans
regret, en ouïr parler, deteſtants
tel forfaict. Apres qu'il leur eut ex-
poſé le cas de point en point , & les
eut enquis de la peine meritée, &
qu'il eut entendu l'opinion de tous,
dont les vns eſtimoyent les delin-
quans dignes de la roüe, aucuns du
gibet , il enuoya querir Eginard , &
ſa fille , leſquels venus deuant ſa fa-
ce il maria enſemble , & les feit eſ-
pouſer ſur le champ , diſant : Ie te
donne, Eginard , ta porteuſe pour
legitime eſpouſe, de l'amour de la-
quelle ie te veois eſpris: & ne fit au-
tre ſigne ny ſemblant de courroux,
ſinon que prendre ſur ſoy toute la
coulpe, de n'auoir marié à temps ſa
fille.
elles ſont vefues cõme elles ſe gou-
uernent. Faut donc ſçauoir, que leur
mary eſtãt mort en guerre de vieil-
leſſe ou bien d'autre accident , elles
font couper leurs cheueux pres de
la teſte apres en auoir arraché la
plus grande partie , auec des hor-
ribles pleurs & lamentations fort
piteuſes , puis elles courbent le
deffunct en vn bloc & monceau
enſemble dans le lict, où il eſt mort
ainſi que les enfans ſont au ven-
tre de leur mere , puis ainſi enue-
loppé le mettent dans vn grand
pot & le couurent de l'vn de leurs
plats , où il auoit accouſtumé de
ſe lauer. Apres font vne foſſe ron-
de , comme vn puits , & profon-
de enuiron de la hauteur d'vn
homme , & inhument ainſi leurs
morts auec quelque peu de feu,
affin (dient-elles) que le malin eſprit
n'en approche & vn peu de farine,
a ce que ſi l'ame du mort a faim,
elle en mange , couurant le tout
de la terre qui en a eſté tirée.
La Forest
Si c'eſt vn pere de famille il eſtenterré dans la maiſon à l'en-
droit propre ,où il couchoit , & ſi
c'eſt vn enfant il eſt mis hors la mai-
ſon derriere , vis à vis, où il eſtoit.
Les femmes pleurent le mort par
demy an, & apres font vne feſte
pour l'amour du mort ſoit petit ou
grand. Les vefues ne ſe remarient
poinct ſi ce n'eſt aux freres & plus
proches parens de leur deffunct
mary, leſquels faut auant que ce fai-
re, qu'ils vangẽt la mort du deffunct
s'il a eſté prins & mangé de l'enne-
my, ou bien s'il eſt mort de vieilleſ-
ſe ou maladie , faut neant-moins
que celuy, qui doit prendre la vefue
pour femme , prenne & ameine vn
priſonnier , qui nettoye ſur la foſſe
du treſpaſſé, ſoit qu'on ait changé de
village ou autrement : Auſſi que
toutes les pennaſſieres155, colliers, arcs
& fleſches d'iceluy ſoyent lauees
par le priſonnier, meſmes ſon grand
lict , où il couchoit de ſon viuant,
ainſi que la couſtume le porte. Ia-
mais ces vefues ne ſe remarient à
119
Nvptiale.
vn qui ſoit moindre , fort & vail-lant qu'eſtoit leur mary , autrement
on les chuferoit156 & meſpriſeroit,
leurs enfans meſmes en ſeroyent
faſchés & mal-contans. Que ſi elles
ne peuuent auoir telle rencontre
elles aymẽt mieux ſe paſſer ſans ma-
rier & demeurer ainſi vefues le re-
ſte de leur vie auec leurs enfans.
Or encores qu'elles ſe remarient el-
les ne ſe precipitent point ſi fort,
qu'elles ne laiſſent eſcouler vn an
entier , combien que le lendemain
de la mort de leur mary la mort fut
vengee, qui eſt le principal poinct,
qui peut les rẽdre dignes de ſecõ-
des nopces. A ce propos ie me ſou-
uiens auoir ouy raconter d'vne fem-
me de ce pays-là , laquelle apres la
mort de ſon mary , qui auoit eſté
prins & mangé de ces ennemis , ne
ſe voulut remarier , par-ce que nul
des parens de ſon mary ne s'effor-
çoit de venger ſa mort : Prenãt l'arc
& les fleſches elle meſme alla à la
guerre auec les hommes, & fit tant
qu'elle print & amene des priſon-
La Forest
niers , leſquels elle bailla à tuer àſes enfans, leur diſant , tuez mes
enfans , vengez la mort de voſtre
pere deffunct , puis que le reſte de
ſes parens ont le cœur ſi failly que
ils ne daignent en prendre la ven-
geance : c'eſt poſſible pource que
ie ne ſuis pas ieune & aſſez bel-
le , ſi y a-il vne choſe en moy, dont
ie ne feray poinct de difficulté me
vanter , c'eſt que ie ſuis forte , &
vaillante , pour venger la mort,
de voſtre pere deffunct mon ma-
ry. Ceſte femme fit tant que el-
le print pluſieurs autres ennemis,
leſquels elle faiſoit tuer meſmes
aux ieunes freres , & nepueux de
ſon deffunct mary , ne reſſentant
rien moins que ſa femme , tant el-
le auoit le cœur haut & viril. Voy-
la en ſomme ce qui appartient au
mariage de ces pauures. Sauuages,
ainſi que ie l'ay peu recueillir des
diſcours qui en ont eſté dreſſees
par les Sieurs Theuets , de Lery,
Belle-Foreſt , & autres. Et pour
le regard de ce que nous auons dict
120
Nvptiale.
de la pluralité des femmes & de laſcrupuloſité, que ces Sauuages font
de s'accointer d'elles auant qu'elles
aient eu leurs fleurs, cela n'eſt point
priuatiuement peculier à ces Sau-
uages , d'autant que les Cefaleens,
Preuue
de l'adul
tere en-
tre ces
Sauua-
ges.
vſent de meſmes , & entre eux la
premiere femme eſt la principale, &
faut que les autres luy façent ſerui-
ce & les enfans d'icelle ſont les he-
ritiers. Quant à l'adultere pour
en rendre vn homme, attainct &
ſuffiſamment conuaincu, ſuffit de
le voir aſſis ſur le lict, ou la natte,
où s'aſſeera la femme d'vn autre,
& faut que l'homme , & la fem-
me meurent enſemble, ſans eſ-
poir quelconque de grace, ou re-
miſſion. Or pour autant qu'au com-
mencement de ce chapitre i'ay de-
battu la diuerſité du Droict eſtably
par les Romains, & de celuy, qui eſt
pratiqué par les Sauuages , pour le
temps,auquel les filles peuuẽt eſtre
habiles à engendrer & entendre au
mariage i'eſtime qu'il ne ſera point
meſſeãt, pour eſclaircir de tãt mieux
La Forest
l'affaire, icy apprendre aux peres &meres,que comme il eſt treſ dange-
reux de precipiter trop les mariages
pour l'incapacité, qui ſe manifeſte,
auſſi eſt il trop plus que perilleux de
tenir ſi long temps en abboys ces
pauures filles, qui comme le feu ne
leur manque ,& ſont imbecilles ex-
ceſſiuement laiſſent quelques-fois
Diſcours
trop
ſur le
long re
tardemẽt
qui eſt
fait de
marier
les filles.
enyurees quelles ſont de leurs foles
affections, mettre le feu à la chemi-
nee. Il ne faut pas aller courir au
Peru, en Turquie ou en Perſe, par-
my nous nous n'ẽ voions que trop
d'exemples , qui maintes-fois font
tranſir de deuil & regret les pauures
peres & meres de n'auoir de meil-
leure heure donné ordre à loger
leurs filles , qui filletant , ſans eſtre
mariees, ſe ſont rendues femmes. En
maints endroits on recule en arrie-
re, & cependant on ne ſigne que la
pauure fille rapporte la penſe char-
gee, & embraſee des flammes d'a-
mour & chatouillee des aiguillons
de la chair met à l'abandon ſa pudi-
cité. Voyla que c'eſt le pere, qui re-
garde
121
Nvptiale.
garde de bien colloquer ſa fille & lapouruoir de party cõuenable, crain-
te de dégainer d'argent pour la dot,
luy acquiert quelquesfois deshon-
neur & infamie , & conſequemmẽt
à toute ſa maiſon : ce qu'il deuroit
bien craindre aduenir , & taſcher à
le fuir, & penſer que la chaſteté de
la vierge eſt de treſ-difficile garde, à
guetter laquelle tous les yeux d'Ar-
gus ne ſuffiroyent : tellement que ſi
la fille qui a vingt-cinq ans paſſez,
voyant que ſon pere differe de la
partir, fait folie de ſon corps , ou ſe
marie à ſon plaiſir, par le droict Ro-
main, la fille ne peut eſtre desheri-
tée, ny forcloſe de la ſucceſſion,ains
pour n'auoir tenu cõte ſi long tẽps
du ſoing que nature luy commãde
auoir de ſa poſterité , il perd en ce
cas, l'authorité & preeminẽce, qu'il
auoit ſur ſa fille. Or à fin que celles,
qui de noſtre temps ont eſté ſurpri-
ſes & preoccupées, ne ſe deſeſpe-
rent,pour eſtre remarqueés , & que
d'autre part on ne reuoque en dou-
te l'hiſtoire que ie veux icy propo-
L
La Forest
ſer, ie mettray en butte l'vn des plusgrands Empereurs qui fut onques:
C'eſt ce Charles le grand , lequel
quoy que bien aduiſé, ſe trouua ce-
pendant pris par la faute que ſe fit,
& à luy auſſi ſa fille aiſnée, qui fit
faux-bon à ſa virginité, il n'en don-
na la coulpe qu'à ſoy-meſmes, & eſ-
ſaya de couurir & reparer au mieux
qu'il peut , la faute aduenuë , où il
voyoit tremper & ſe morfondre la
bonne reputation & l'honneur de
Hiſtoire
memora-
ble de la
fille aiſ-
née de
l'Empe-
reur
Charles
le grand,
tous les deux, comme Iaques Curio
en ſon 2. liure des choſes Chrono-
logiques,recite auoir autresfois leu
à Olbiopoli157, ville aſſiſe ſur la ri-
uiere du Meyn en Alemaigne,là où
eſt enterré Eginard principal per-
ſonnage comprins en ceſt affaire.
Faut donques ſçauoir, que l'Empe-
reur Charles le grand eſtoit fort a-
moureux des ſçiences Mathemati-
ques, & meſmes n'auoit petite co-
gnoiſſance des choſes celeſtes ,des
influences & cours des planettes &
de l'Aſtrologie, où il ſe baignoit, a-
uec vne telle affection, que ſouuen-
122
Nvptiale.
tesfois il ſe releuoit de nuict, pour yrepaiſtre ſon eſprit. Or comme vne
nuict ſeraine & eſtoilée, il obſeruoit
les aſtres par vne feneſtre, il vit d'ad
uenture , Eginard ſon Chancelier,
(aucuns dient ſecretaire de ſa cham-
bre) pendant ſur le dos de ſa fille, la
plus grande d'aage, laquelle le por-
toit ſur ſes eſpaules, & trauerſoit par
vne court, dont le paué eſtoit cou-
uert de neige, à fin que le lẽdemain
matin aucun ne peut remarquer au-
tre trace que de fẽme, qui fut pour
aller au corps d'hoſtel des Dames,
& principalemẽt droit en la cham-
bre ou cabinet de la ieune Princeſ-
ſe : ioint qu'on eut peu recognoi-
ſtre la piſte , forme & marque du
pied d'Eginard, ſur la neige , pour
celle d'vn homme, & poſſible d'E-
ginard meſmes. Deuinez à quelle
fin il eſtoit porté à heure induë , au
quartier des femmes par la fille de
ſon maiſtre , ce n'eſtoit point pour
enfiler des perles, ains (poſſible) el-
le-meſmes. l'Empereur faſché ou-
tre meſure, & non ſans cauſe , vain-
L ij
La Forest
cu de douleur , ne ſceut le tenir ſe-cret , & le diuulga le iour enſuiuãt,
contant tout le faict deuãt les Prin-
ces de ſa Cour, qui trouuerent tous
l'acte fort eſtrange , de ſorte , que
pas vn d'entre eux ne pouuoit, ſans
regret, en ouïr parler, deteſtants
tel forfaict. Apres qu'il leur eut ex-
poſé le cas de point en point , & les
eut enquis de la peine meritée, &
qu'il eut entendu l'opinion de tous,
dont les vns eſtimoyent les delin-
quans dignes de la roüe, aucuns du
gibet , il enuoya querir Eginard , &
ſa fille , leſquels venus deuant ſa fa-
ce il maria enſemble , & les feit eſ-
pouſer ſur le champ , diſant : Ie te
donne, Eginard , ta porteuſe pour
legitime eſpouſe, de l'amour de la-
quelle ie te veois eſpris: & ne fit au-
tre ſigne ny ſemblant de courroux,
ſinon que prendre ſur ſoy toute la
coulpe, de n'auoir marié à temps ſa
fille.
123
Nvptiale.
Les Patagoneens , Yucateens , &
autres Indiens.
Chap. XXIIII.
NOus ne ſerons en ce chapitre
ſi long, qu'auons eſté au pre-
cedent, ains employerons pour eſ-
claircir ce qui concerne ces maria-
ges, vne partie de ce que le Sieur de
Belle-Foreſt en a laiſſé par eſcrit au
chapitre ſixieſme du dernier liure
de la Coſmographie de Munſter, a-
pres Goncal Ouiede au dixieſme
chapitre du ſommaire des Indes.
Ces mariages ſont diuers ſelon la
qualité des perſonnes, d'autant que
les Caciques eſpousẽt autãt de fem-
mes qu'il leur plaiſt , & vne telle
qu'ils iugent la plus belle eſt auſſi la
plus eſtimée, leſquelles ils prennent
des filles des principaux de leurs ter
Nopçes
de leurs
Cacique.
res (car pour rien ils n'eſpouſeroyẽt
vne eſtrangere ) auec leſquelles ſe
ioignent par mariage , & font de
grands banquets , & dances ſolen-
nopçes Royales : le premier enfant
maſle , qui ſort de ce mariage , eſt
celuy auſſi , auquel ( le Roy mou-
rant ) eſcheoit l'heritage du Royau-
me. N'y ayant point d'hoir maſ-
le , ſont celles , qui ſuccedent, leſ-
quelles ils marient aux plus riches,
& mieux apparents de leurs vaſ-
ſaux : Mais s'il y auoit des enfans
du fils aiſné decedé, i'entens des fil-
les, elles ne viennent point à la ſuc-
ceſſion , ains ſeront heritiers, ceux
qui ſeront de ſa ſœur,puiſnée,pour
les eſtimer aſſeurément du ſang du
Prince , ce qu'ils n'oſent faire de la
part du frere , à cauſe de la defian-
ce de la femme qu'il aura eſpouſée.
ſi long, qu'auons eſté au pre-
cedent, ains employerons pour eſ-
claircir ce qui concerne ces maria-
ges, vne partie de ce que le Sieur de
Belle-Foreſt en a laiſſé par eſcrit au
chapitre ſixieſme du dernier liure
de la Coſmographie de Munſter, a-
pres Goncal Ouiede au dixieſme
chapitre du ſommaire des Indes.
Ces mariages ſont diuers ſelon la
qualité des perſonnes, d'autant que
les Caciques eſpousẽt autãt de fem-
mes qu'il leur plaiſt , & vne telle
qu'ils iugent la plus belle eſt auſſi la
plus eſtimée, leſquelles ils prennent
des filles des principaux de leurs ter
Nopçes
de leurs
Cacique.
res (car pour rien ils n'eſpouſeroyẽt
vne eſtrangere ) auec leſquelles ſe
ioignent par mariage , & font de
grands banquets , & dances ſolen-
L iij
La Forest
nelles & publiques à la feſte desnopçes Royales : le premier enfant
maſle , qui ſort de ce mariage , eſt
celuy auſſi , auquel ( le Roy mou-
rant ) eſcheoit l'heritage du Royau-
me. N'y ayant point d'hoir maſ-
le , ſont celles , qui ſuccedent, leſ-
quelles ils marient aux plus riches,
& mieux apparents de leurs vaſ-
ſaux : Mais s'il y auoit des enfans
du fils aiſné decedé, i'entens des fil-
les, elles ne viennent point à la ſuc-
ceſſion , ains ſeront heritiers, ceux
qui ſeront de ſa ſœur,puiſnée,pour
les eſtimer aſſeurément du ſang du
Prince , ce qu'ils n'oſent faire de la
part du frere , à cauſe de la defian-
ce de la femme qu'il aura eſpouſée.
Pluralité
de fẽmes
defendue
au ſimple
peuple.
de fẽmes
defendue
au ſimple
peuple.
Quant au ſimple peuple , il n'eſt
loiſible à pas vn , d'eſpouſer qu'v-
ne ſeule femme,laquelle quelques-
fois ils repudient, pour en pren-
dre vne autre : bien que cela n'ad-
uient gueres ſouuent, quoy que la
moindre & legiere occaſion ſuffi-
ſe, pour deſpecer leurs mariages,
& n'y faut que le conſentement de
ſemble , & ſur tout , lors que les
femmes ne peuuent auoir des en-
fans , la plus part deſquelles ſont
aſſez continentes , combien que le
nombre ne ſoit que trop grand, de
celles , qui ne ſont gueres chiches
de leurs perſonnes , ains volontiers
ſe preſtent à ceux , qui les requie-
rent de ce faire, & ſur tout les plus
grandes , leſquelles dient , que ce
n'eſt à vne grande Dame , & qui eſt
de ſang illuſtre , de refuſer choſe
aucune , qu'on luy demande , &
que c'eſt vn traict de vilainie. Il eſt
vray, qu'elles n'ont garde de ſe meſ-
ler auec vn homme, qui ſoit de baſ-
ſe eſtoffe & condition , ſur tout ay-
ment-ils les Chreſtiens & ſi quel-
qu'vn des principaux les ayme , el-
les s'en ſentent fort glorieuſes , &
leur gardẽt loyauté , pourueu qu'ils
ne ſoyent long temps loing d'elles,
d'autant qu'elles n'ont accouſtu-
mé de ſe contenir longuement , &
pource ſont fort promptes d'aller
au change. La plus grande meſ-
femmes eſt , qu'ayans opinion que
c'eſt aux vieilles d'auoir des enfans,
& non aux ieunes , qui deuroyent
employer leur ieuneſſe en plaiſir &
allegreſſe , & non à porter ceſte
charge en leur ventre , elles ſçauent
Auorte-
mẽt d'ẽ-
fans.
faire des compoſitions & drogues,
(ſe ſentans groſſes ) pour ſe faire
vuider le germe, & fruict ſans dou-
leur quelconque. Elles doiuent
bien peu à nos ſuccrées mignõnes,
qui ont des eaux & fards, dont elles
ſe ſeruent , pour faire reſerrer leurs
mammelles trop pendantes & eſ-
panduës : ces Indiennes ont des
petits aiguillons à ſenſualité , qui
dérident entierement leurs tetins
fleſtris. Quant aux ſolennitez , qui
ſont gardées en leurs mariages , par
ce qu'elles ne different eſſentielle-
ment , d'auec celles de leurs voi-
ſins , icy n'ay voulu en dreſſer nou-
ueau & particulier diſcours , pour
n'vſer de redites. Seulement ad-
iouſteray-ie ce mot , que les fem-
mes de Cabrâ, qui ſont comme che-
mes diſtinguez du peuple , & plus
authoriſez que le vulgaire , por-
tent auſſi bien le nom d'Eſpaues,
(qui eſt à dre Madame) que font
les eſpouſes des Cacique.
loiſible à pas vn , d'eſpouſer qu'v-
ne ſeule femme,laquelle quelques-
fois ils repudient, pour en pren-
dre vne autre : bien que cela n'ad-
uient gueres ſouuent, quoy que la
moindre & legiere occaſion ſuffi-
ſe, pour deſpecer leurs mariages,
& n'y faut que le conſentement de
124
Nvptiale.
l'vne des parties , ou des deux en-ſemble , & ſur tout , lors que les
femmes ne peuuent auoir des en-
fans , la plus part deſquelles ſont
aſſez continentes , combien que le
nombre ne ſoit que trop grand, de
celles , qui ne ſont gueres chiches
de leurs perſonnes , ains volontiers
ſe preſtent à ceux , qui les requie-
rent de ce faire, & ſur tout les plus
grandes , leſquelles dient , que ce
n'eſt à vne grande Dame , & qui eſt
de ſang illuſtre , de refuſer choſe
aucune , qu'on luy demande , &
que c'eſt vn traict de vilainie. Il eſt
vray, qu'elles n'ont garde de ſe meſ-
ler auec vn homme, qui ſoit de baſ-
ſe eſtoffe & condition , ſur tout ay-
ment-ils les Chreſtiens & ſi quel-
qu'vn des principaux les ayme , el-
les s'en ſentent fort glorieuſes , &
leur gardẽt loyauté , pourueu qu'ils
ne ſoyent long temps loing d'elles,
d'autant qu'elles n'ont accouſtu-
mé de ſe contenir longuement , &
pource ſont fort promptes d'aller
au change. La plus grande meſ-
L iiij
La Forest
chanceté qu'on remarque en cesfemmes eſt , qu'ayans opinion que
c'eſt aux vieilles d'auoir des enfans,
& non aux ieunes , qui deuroyent
employer leur ieuneſſe en plaiſir &
allegreſſe , & non à porter ceſte
charge en leur ventre , elles ſçauent
Auorte-
mẽt d'ẽ-
fans.
faire des compoſitions & drogues,
(ſe ſentans groſſes ) pour ſe faire
vuider le germe, & fruict ſans dou-
leur quelconque. Elles doiuent
bien peu à nos ſuccrées mignõnes,
qui ont des eaux & fards, dont elles
ſe ſeruent , pour faire reſerrer leurs
mammelles trop pendantes & eſ-
panduës : ces Indiennes ont des
petits aiguillons à ſenſualité , qui
dérident entierement leurs tetins
fleſtris. Quant aux ſolennitez , qui
ſont gardées en leurs mariages , par
ce qu'elles ne different eſſentielle-
ment , d'auec celles de leurs voi-
ſins , icy n'ay voulu en dreſſer nou-
ueau & particulier diſcours , pour
n'vſer de redites. Seulement ad-
iouſteray-ie ce mot , que les fem-
mes de Cabrâ, qui ſont comme che-
125
Nvptiale.
ualiers , ou ſimples Gentils-hom-mes diſtinguez du peuple , & plus
authoriſez que le vulgaire , por-
tent auſſi bien le nom d'Eſpaues,
(qui eſt à dre Madame) que font
les eſpouſes des Cacique.
Des mariages des Prestres.
Chap. XXV.
L'Occaſion qui m'a faict mettre
en lice , le mariage des Preſtres
ſemblera, à pluſieurs, toute autre
que ie n'ay pourpenſé : aucuns,
qui ont ( peut eſtre ) quelque dent
ſur moy , eſtimeront , que ie me
couperay en propos, & me for-
maliſeray pour marier les Preſtres.
Les autres qui auroyent bien en-
uie de rompre ieuſne deſireroyent
auſſi bien, que ie leur preſtaſſe la
main , à fin qu'ils puiſſent faire vne
belle enjambée : les autres finale-
ment , attendront de moy , que ie
rabatte les coups , de ceux qui ſe
ſont bandez contre le Cœlibat.
vaine eſperance. Il ne faut pas, que
l'on penſe qui ie me vueille topi-
quer d'vne choſe, à laquelle , que
quant bien ie me ſerois rompu la
teſte , ie ne ſçaurois donner ordre.
Parce que la matiere eſt chatouil-
leuſe, ie me contenteray de racon-
ter ſimplement ce qui en eſt , ſans
partiſer pour les vns , & me diſ-
gracier des autres. Ie ſçay treſbien,
qu'à l'encontre du Cœlibat on bra-
que pluſieurs & rudes pieces , meſ-
mes qu'on faict pyuot de ce qu'au
Concile Niceen, Paphnuce s'op-
poſa à l'interdiction du mariage fai-
cte aux Preſtres , & promeus aux
ordres : Que là deſſus on reſpond,
que ce Sainct perſonnage ne vou-
lut conſentir, que les Preſtres ma-
riez fuſſent forcez , & neceſſitez
à quitter leurs femmes : C'eſt vne
queſtion Theologale , que ie lair-
ray , ſi on veut demeſler pour la
tentatiue de quelque gentil cer-
ueau : de ma part il me ſuffira, ſi ie
puis prouuer par authorité , que
chapitre du mariages des Æthio-
piens , i'ay monſtré, que le Pre-
ſtres y ſont mariez , ainſi que nous
apprend Don François Aluarez, &
meſmes au cent quarente-ſeptieſ-
me chapitre de ſa deſcrition d'Æ-
thiopie , au trente - deux , & tren-
te troiſieſmes articles des deman-
des que luy feit l'Archeueſque de
Braga , dict , que les Moines ne ſe
peuuent marier : ce qui eſt permis
Preſtres
& Cha-
noines
Æthio-
piens ma
riez.
aux Prebſtres & Chanoines , leſ-
quels vont manger à part chacun
en ſa maiſon, & le Religieux tous
enſemble , qui comme dict eſt, ne
ſe marient point. Leurs chefs ſe
nomment Licanati, & demeurent
les femmes des Chanoines hors du
Cloiſtre , chacune à part , là où ils
les vont trouuer , quand il leur
plaiſt. Les enfans des Chanoines
demeurent en la meſme dignité
que leurs peres, mais ceux des Pre-
ſtres non , s'ils ne ſont ordonnez
& continuez par l'Abuna158. Icy ie ra-
menteuroy les demandes , qui fu-
par le commandement du Prete-
jan , ſur le faict du mariage des
Preſtres , & la reſolution qu'il leur
bailla , ſi ie ne craignois enfler ce
diſcours, de choſe qui ne me ſeroit,
peut eſtre , allouée & que le liſeur
curieux pourra , s'il luy plaiſt, trou-
uer au ſoixante dix-ſeptieſme cha-
pitre de ſa deſcription d'Æthiopie.
en lice , le mariage des Preſtres
ſemblera, à pluſieurs, toute autre
que ie n'ay pourpenſé : aucuns,
qui ont ( peut eſtre ) quelque dent
ſur moy , eſtimeront , que ie me
couperay en propos, & me for-
maliſeray pour marier les Preſtres.
Les autres qui auroyent bien en-
uie de rompre ieuſne deſireroyent
auſſi bien, que ie leur preſtaſſe la
main , à fin qu'ils puiſſent faire vne
belle enjambée : les autres finale-
ment , attendront de moy , que ie
rabatte les coups , de ceux qui ſe
ſont bandez contre le Cœlibat.
L v
La Forest
Vous verrez qu'ils ſe repaiſſent devaine eſperance. Il ne faut pas, que
l'on penſe qui ie me vueille topi-
quer d'vne choſe, à laquelle , que
quant bien ie me ſerois rompu la
teſte , ie ne ſçaurois donner ordre.
Parce que la matiere eſt chatouil-
leuſe, ie me contenteray de racon-
ter ſimplement ce qui en eſt , ſans
partiſer pour les vns , & me diſ-
gracier des autres. Ie ſçay treſbien,
qu'à l'encontre du Cœlibat on bra-
que pluſieurs & rudes pieces , meſ-
mes qu'on faict pyuot de ce qu'au
Concile Niceen, Paphnuce s'op-
poſa à l'interdiction du mariage fai-
cte aux Preſtres , & promeus aux
ordres : Que là deſſus on reſpond,
que ce Sainct perſonnage ne vou-
lut conſentir, que les Preſtres ma-
riez fuſſent forcez , & neceſſitez
à quitter leurs femmes : C'eſt vne
queſtion Theologale , que ie lair-
ray , ſi on veut demeſler pour la
tentatiue de quelque gentil cer-
ueau : de ma part il me ſuffira, ſi ie
puis prouuer par authorité , que
126
Nvptiale.
les Preſtres ont eſté mariez: Auchapitre du mariages des Æthio-
piens , i'ay monſtré, que le Pre-
ſtres y ſont mariez , ainſi que nous
apprend Don François Aluarez, &
meſmes au cent quarente-ſeptieſ-
me chapitre de ſa deſcrition d'Æ-
thiopie , au trente - deux , & tren-
te troiſieſmes articles des deman-
des que luy feit l'Archeueſque de
Braga , dict , que les Moines ne ſe
peuuent marier : ce qui eſt permis
Preſtres
& Cha-
noines
Æthio-
piens ma
riez.
aux Prebſtres & Chanoines , leſ-
quels vont manger à part chacun
en ſa maiſon, & le Religieux tous
enſemble , qui comme dict eſt, ne
ſe marient point. Leurs chefs ſe
nomment Licanati, & demeurent
les femmes des Chanoines hors du
Cloiſtre , chacune à part , là où ils
les vont trouuer , quand il leur
plaiſt. Les enfans des Chanoines
demeurent en la meſme dignité
que leurs peres, mais ceux des Pre-
ſtres non , s'ils ne ſont ordonnez
& continuez par l'Abuna158. Icy ie ra-
menteuroy les demandes , qui fu-
L vj
La Forest
rent faictes à ce dit , Don Aluarez,par le commandement du Prete-
jan , ſur le faict du mariage des
Preſtres , & la reſolution qu'il leur
bailla , ſi ie ne craignois enfler ce
diſcours, de choſe qui ne me ſeroit,
peut eſtre , allouée & que le liſeur
curieux pourra , s'il luy plaiſt, trou-
uer au ſoixante dix-ſeptieſme cha-
pitre de ſa deſcription d'Æthiopie.
Preſtres
autres-
fois ma-
riez en
Flãdres,
Angleter
re & Eſ-
coſſe.
autres-
fois ma-
riez en
Flãdres,
Angleter
re & Eſ-
coſſe.
On ſçait que jadis les gens d'Egli-
ſe eſtoyent mariez en Flandre , auſ-
ſi bien qu'en Eſcoſſe , & Angleter-
re pareillement , ce qui leur fut de-
puis deffendu , attendu le ſcanda-
le , joinct , qu'il y auoit grand nom-
bre de Moines, qui ſe ſeculariſoient
& ce faiſoyent Preſtres ſeculiers,
pour ſe marier. Parquoy Euariſte,
Eueſque de Rome , ordonna,
que ceux qui ſe marieroyent, ce fut
publiquement , pour cognoiſtre,
ce qui s'en pourroit enſuiuir , du
depuis on a preſſé de ſi prés les Ec-
cleſiaſtiques , en l'Egliſe Latine,
qu'il eſt bien peu de memoire
d'aucuns, qui ſe marient. Mais en
de difficulté, & entre ceux, qui ſe sõt
rendus Greciſans159, comme entre les
Moſcouites, leſquels obeiſſent au
ſe eſtoyent mariez en Flandre , auſ-
ſi bien qu'en Eſcoſſe , & Angleter-
re pareillement , ce qui leur fut de-
puis deffendu , attendu le ſcanda-
le , joinct , qu'il y auoit grand nom-
bre de Moines, qui ſe ſeculariſoient
& ce faiſoyent Preſtres ſeculiers,
pour ſe marier. Parquoy Euariſte,
Eueſque de Rome , ordonna,
que ceux qui ſe marieroyent, ce fut
publiquement , pour cognoiſtre,
ce qui s'en pourroit enſuiuir , du
depuis on a preſſé de ſi prés les Ec-
cleſiaſtiques , en l'Egliſe Latine,
qu'il eſt bien peu de memoire
d'aucuns, qui ſe marient. Mais en
127
Nvptiale.
l'Egliſe Grecque ils n'en font pointde difficulté, & entre ceux, qui ſe sõt
rendus Greciſans159, comme entre les
Moſcouites, leſquels obeiſſent au
Preſtres
Moſco-
uites ma
riéz &
non les
Moynes.
Moſco-
uites ma
riéz &
non les
Moynes.
Patriarche de Conſtãtinople. Quel-
ques vns du Clergé, ſont ſi reformés
& conſcientieux qu'ils ne veulent
vſer de chair, s'il ne ſont ſubiects à
maladies & Pareillement quelques
Moynes, qui viuent auſterement ſe-
lon leur reigle principalement quel-
ques Baſiliens160. Ils portẽt tout le re-
uenu en commun & pour le profit
& ſouſtiẽ du monaſtere, & ſont ces
Moynes ſi reformés qu'ils ne fre-
quentent que bien peu auec les hõ-
mes, & ne sõt point mariés ainſi que
ſont les Preſtres ſeculiers, voire161 ne le
peuuent eſtre, & ſont ſuiets au com-
mandement du Prince. Il y a vne
ſecte d'Hermites entre eux, leſquels
ſortans de ces Monaſteres ſe retirẽt
aux foreſts & deſerts, & ſont nõmés
Stolpniki, comme qui diroit habitant
és Colomnes, à cauſe que leurs mai-
ſonnettes & cellules ſont faictes,
ainſi que de Colomnes ou ſouſte-
& racines, & des fruicts, qu'ils treu-
uent par les terres , & ceux-cy ſont
fort eſtimez, & honorez par toute
la Moſcouie. Quant aux Preſtres
qu'on appelle Seculiers , ils vien-
nent à telle diguité , à la façon des
anciens , & n'eſt nul faict Diacre,
qu'il ne ſoit marié , toutesfois n'eſt-
il permis ſe remarier, car celuy qui
ſe remarie , tout ainſi qu'entre les
Æthiopiens, demeure entre les lais.
I'ay autresfois parlé auec vn docte
perſonnage de ce pays ,auec lequel
conferant de pluſieurs choſes , en
fin ie luy demandis , pour quelle
occaſion ils licentioyent en l'Egliſe
ques vns du Clergé, ſont ſi reformés
& conſcientieux qu'ils ne veulent
vſer de chair, s'il ne ſont ſubiects à
maladies & Pareillement quelques
Moynes, qui viuent auſterement ſe-
lon leur reigle principalement quel-
ques Baſiliens160. Ils portẽt tout le re-
uenu en commun & pour le profit
& ſouſtiẽ du monaſtere, & ſont ces
Moynes ſi reformés qu'ils ne fre-
quentent que bien peu auec les hõ-
mes, & ne sõt point mariés ainſi que
ſont les Preſtres ſeculiers, voire161 ne le
peuuent eſtre, & ſont ſuiets au com-
mandement du Prince. Il y a vne
ſecte d'Hermites entre eux, leſquels
ſortans de ces Monaſteres ſe retirẽt
aux foreſts & deſerts, & ſont nõmés
Stolpniki, comme qui diroit habitant
és Colomnes, à cauſe que leurs mai-
ſonnettes & cellules ſont faictes,
ainſi que de Colomnes ou ſouſte-
La Forest
nuës de piliers , & viuent d'herbes,& racines, & des fruicts, qu'ils treu-
uent par les terres , & ceux-cy ſont
fort eſtimez, & honorez par toute
la Moſcouie. Quant aux Preſtres
qu'on appelle Seculiers , ils vien-
nent à telle diguité , à la façon des
anciens , & n'eſt nul faict Diacre,
qu'il ne ſoit marié , toutesfois n'eſt-
il permis ſe remarier, car celuy qui
ſe remarie , tout ainſi qu'entre les
Æthiopiens, demeure entre les lais.
I'ay autresfois parlé auec vn docte
perſonnage de ce pays ,auec lequel
conferant de pluſieurs choſes , en
fin ie luy demandis , pour quelle
occaſion ils licentioyent en l'Egliſe
Diſcours
ſur l'in-
ſtitution
du Celi-
bat ordõ
né en l'E
gliſe La-
tine.
ſur l'in-
ſtitution
du Celi-
bat ordõ
né en l'E
gliſe La-
tine.
Greciſée162, les Preſtres de ſe marier,
veu qu'en la Latine le Celibat eſt
treſ-expreſſement enjoinct. Deux
cauſes m'amena il , & qui ſont de
gentille grace. Le premier eſt, di-
ſoit-il puis qu'il n'y a en tout le nou-
ueau teſtament couplet , qui for-
cloſe les Eccleſiaſtiques de maria-
ge c'eſt ſe faire accroire eſtre plus
ſage que Dieu, ou pluſtoſt eſtre ſer-
n'eſt commandé. L'autre eſtoit vn
appendix , de la premiere, que les
Latins , auoyent eſté payez de leur
folie , d'autant que le Cœlibat, a-
uoit engendré plus de mal-heurs, &
attiré plus de maledictions , ſur les
Chreſtiens que l'on me ſçauroit e-
ſtimer. Là deſſus me dreſſa vne li-
ſte de baſtards , adultere , violemẽs
de filles, & efforts faicts à leur cha-
ſteté , apres dreſſa front des admi-
nicules accompaignans le borde-
lage, par le moyen deſquels (diſoit
ce venerable) les ſuppoſts du Cœli-
bat auoient eſté miſerablemẽt ener-
ués & eſtropiés.Pẽſez vous ſi ie de-
meuroy muet & manquois de repli-
que, que ie couleray, ſous ſilence,
pour ne ſembler me vouloir moy-
Preſtres
Neſto-
riens ma
riez.
meſmes enfler de ma propre louan-
ge. De meſmes que les Moſcouites,
vous voyés, que les Preſtres Neſto-
riens foulent au pied le Cœlibat,
toutes-fois leur premiere femme,
eſtant morte ils ne conuolent point
aux ſecõdes nopces. Que ſi quelcun
Punitiõ
d'adul-
tere.
que l'abſout de ſon ſerment, & luy
permet & diſpẽſe d'eſpouſer vne au
tre fẽme. Lors que l'Armenie eſtoit
en plus grãde liberté maintenãt
les femmes adulteres y perdoyẽt le
nez , affin de porter la deformité de
leur face pour teſmoignange de leur
paillardiſe, & l'hõme qui eſtoit trou
ué auec elles y perdoit les genitoi-
res. Le preſtre paillardãt eſtoit degra
dé, ſans eſperance de iamais plus rẽ-
trer en ſon office:& ſi eſtãt marié ſa
fẽme ſe portoit peu honeſtemẽt , il
failloit qu'il ſe cõtint ſans plus habi-
ter auec elle, autrement ainſi qu'en
Æthiopie, il perdoit l'entrée de l'E-
gliſe. La femme du Preſtre, eſtãt vef-
ue, n'euſt oſé ſe remarier ſur peine
d'eſtre bruſlee ſans remiſſion quel-
conque : & toutes-fois ſi elle ſe fut
veautrée, en toute ſaleté de paillar-
diſe, elle n'en eut eu aucune puni-
tion:qui eſt cauſe qu'en Armenie, y
auoit tãt de paillardes, qu'il ſembloit
qu'encor elles proſtituaſsẽt leur cõ-
tinence à celle Deeſſe Anaitide, la-
menie. Là donc l'adultere eſtoit pu-
ny plus rigoureuſement qu'en no-
ſtre France, où on n'en tiẽt pas grãd
compte ny qu'en certains païs du la
peine de l'adultere, eſt pecuniaire.
Comme à Peruſe ſi vn homme re-
tint durãt vne heure vne fẽme il y a
alencõtre de luy condamnation de
deux ou trois cẽs liures. Par le ſtatut
de Treuiſe les biẽs de la fẽme adul-
tere ſont confiſqués. A Nouare ſi
quelcũ à adulteré par force & qu'il
ait violenté la femme, il eſt cõdam-
né en cent liures imperiales, ou biẽ
en cinquante ſi ç'a eſté de gré, à gré,
& ſans effort. Toutes-fois Signorel
remarque que, s'il plaiſt au mary , la
femme ſera bruſlée, ou qu'elle per-
dra ſon dot. Par les loix des Auſtra-
ſiẽs faites par Theodoric Roy Fran-
çois , celuy qui auoit pollué la cou-
che d'autruy pour reparation eſt
condãné d'accorder auec ſon mary
auec ſon Vuergil c'eſt à dire en cent
quarante ſols. Mais par les loix des
Ripuariẽs, il amẽde deux cẽs ſols. ne
en la loy, probrum ff. de ver. ſig. eſt tres
raiſonnable que le dommage de la
bourſe eſt auiourd'huy plus puny
que celuy de l'honneur & des bon-
nes mœurs. Car on pend les larrons,
mais les adulteres paſſent par le pẽ-
dant de la bourſe.
veu qu'en la Latine le Celibat eſt
treſ-expreſſement enjoinct. Deux
cauſes m'amena il , & qui ſont de
gentille grace. Le premier eſt, di-
ſoit-il puis qu'il n'y a en tout le nou-
ueau teſtament couplet , qui for-
cloſe les Eccleſiaſtiques de maria-
ge c'eſt ſe faire accroire eſtre plus
ſage que Dieu, ou pluſtoſt eſtre ſer-
128
Nvptiale.
uiteur du Diable , faire plus qu'iln'eſt commandé. L'autre eſtoit vn
appendix , de la premiere, que les
Latins , auoyent eſté payez de leur
folie , d'autant que le Cœlibat, a-
uoit engendré plus de mal-heurs, &
attiré plus de maledictions , ſur les
Chreſtiens que l'on me ſçauroit e-
ſtimer. Là deſſus me dreſſa vne li-
ſte de baſtards , adultere , violemẽs
de filles, & efforts faicts à leur cha-
ſteté , apres dreſſa front des admi-
nicules accompaignans le borde-
lage, par le moyen deſquels (diſoit
ce venerable) les ſuppoſts du Cœli-
bat auoient eſté miſerablemẽt ener-
ués & eſtropiés.Pẽſez vous ſi ie de-
meuroy muet & manquois de repli-
que, que ie couleray, ſous ſilence,
pour ne ſembler me vouloir moy-
Preſtres
Neſto-
riens ma
riez.
meſmes enfler de ma propre louan-
ge. De meſmes que les Moſcouites,
vous voyés, que les Preſtres Neſto-
riens foulent au pied le Cœlibat,
toutes-fois leur premiere femme,
eſtant morte ils ne conuolent point
aux ſecõdes nopces. Que ſi quelcun
La Forest
à ſa femme qui ſoit adultere, l'Eueſ-Punitiõ
d'adul-
tere.
que l'abſout de ſon ſerment, & luy
permet & diſpẽſe d'eſpouſer vne au
tre fẽme. Lors que l'Armenie eſtoit
en plus grãde liberté maintenãt
les femmes adulteres y perdoyẽt le
nez , affin de porter la deformité de
leur face pour teſmoignange de leur
paillardiſe, & l'hõme qui eſtoit trou
ué auec elles y perdoit les genitoi-
res. Le preſtre paillardãt eſtoit degra
dé, ſans eſperance de iamais plus rẽ-
trer en ſon office:& ſi eſtãt marié ſa
fẽme ſe portoit peu honeſtemẽt , il
failloit qu'il ſe cõtint ſans plus habi-
ter auec elle, autrement ainſi qu'en
Æthiopie, il perdoit l'entrée de l'E-
gliſe. La femme du Preſtre, eſtãt vef-
ue, n'euſt oſé ſe remarier ſur peine
d'eſtre bruſlee ſans remiſſion quel-
conque : & toutes-fois ſi elle ſe fut
veautrée, en toute ſaleté de paillar-
diſe, elle n'en eut eu aucune puni-
tion:qui eſt cauſe qu'en Armenie, y
auoit tãt de paillardes, qu'il ſembloit
qu'encor elles proſtituaſsẽt leur cõ-
tinence à celle Deeſſe Anaitide, la-
129
Nvptiale.
quelle eſtoit adoré & ſeruie en Ar-menie. Là donc l'adultere eſtoit pu-
ny plus rigoureuſement qu'en no-
ſtre France, où on n'en tiẽt pas grãd
compte ny qu'en certains païs du la
peine de l'adultere, eſt pecuniaire.
Comme à Peruſe ſi vn homme re-
tint durãt vne heure vne fẽme il y a
alencõtre de luy condamnation de
deux ou trois cẽs liures. Par le ſtatut
de Treuiſe les biẽs de la fẽme adul-
tere ſont confiſqués. A Nouare ſi
quelcũ à adulteré par force & qu'il
ait violenté la femme, il eſt cõdam-
né en cent liures imperiales, ou biẽ
en cinquante ſi ç'a eſté de gré, à gré,
& ſans effort. Toutes-fois Signorel
remarque que, s'il plaiſt au mary , la
femme ſera bruſlée, ou qu'elle per-
dra ſon dot. Par les loix des Auſtra-
ſiẽs faites par Theodoric Roy Fran-
çois , celuy qui auoit pollué la cou-
che d'autruy pour reparation eſt
condãné d'accorder auec ſon mary
auec ſon Vuergil c'eſt à dire en cent
quarante ſols. Mais par les loix des
Ripuariẽs, il amẽde deux cẽs ſols. ne
La Forest
forte que la plainte qu'a faict Alcia,en la loy, probrum ff. de ver. ſig. eſt tres
raiſonnable que le dommage de la
bourſe eſt auiourd'huy plus puny
que celuy de l'honneur & des bon-
nes mœurs. Car on pend les larrons,
mais les adulteres paſſent par le pẽ-
dant de la bourſe.
Philoſo-
phes In-
diens.
phes In-
diens.
ſans la liſte des Philoſophes In-
diens en font pluſieurs cantons de
Gymnoſophiſtes, Germains 163, que
Porphyre , appelle Samanées, des
Hylobies, des Pramnes, des Brach-
manes des Bramins , & autres. Le
chapit. ſuyuãt eſt deſtiné aux Brach-
manes , & le preſent aux Bramins,
deſquels toutes les Indes , ſont far-
cies. A Guzerath , on faict eſtat de
trois ſortes de gentils , des Rebuthi,
qui ſont les Cheualiers, des Bancani,
qui ſont les marchands & des Bra-
ſtres, & Philoſophes ou Docteurs
des idolatres, d'autant, qu'ils ſeruent
deuant des idoles , & ſont commis
au gouuernement des temples, deſ-
quels ils ont grande quantité, partie
Philoſo-
phes In-
diens.
deſquels ſont rentés, és autres, il faut
que les Bramins viuent d'aumoſne.
Ils vont tous nuds au deſſus de la
ceinture , mais ſur l'eſpaule ils ont
vn cordon à trois fils, ou bouquets
de ſoye, qui eſt la marque pour les
recognoiſtre des Bancani, & ne mã-
gent ceux cy choſe quelcõque , qui
ait ſang, comme auſſi ils ne tuẽt ani-
mal quel qu'il ſoit en la terre, en l'air
ny es eaux, obſeruent les ablutions,
& lauemens. Ils ſe marient comme
nous faiſons ſans auoir pluralité de
femmes, ainſi que font & les Ma-
hemetans & les autres idolatres, &
eſtiment peché d'entendre aux ſe-
condes nopces, à celuy, qui a perdu
ſa partie. Ils font grand feſte à leurs
nopçes, & cecy par pluſieurs iours
s'y faiſant grande aſſemblee , chaſ-
cun y eſtant veſtu fort richement,
uiter paillardiſe ils ſe marient , fort
Solenni-
tez au
iour des
nopces
des Bra-
mins.
ieunes, hommes & femmes: le iour
des nopces les eſpoux ſe tiennent
ſur vn lict richement veſtus, & char-
gés de ioyaux , & pierrerie , deuant
eux vne petite table & deſſus icel-
le vne idole, couuerte de fleurs , &
autour quãtité de lampes allumées
vers laquelle idole le mary, & la fẽ-
me faut que du matin iuſqu'au ſoir,
tiennent les yeux fichés, ſans boire,
ny manger , ny dire vn ſeul mot à
perſonne qui viue. Cependant les
inuitez les feſtoyent & ſe reſiouyſ-
ſent auec leurs chants, bals, dançes
& ieux d'inſtrumens , comme en-
cor'ils font des feux artificiels, pour
le plaiſir & paſſe-temps de la com-
paignie. Aduenãt que le mary meu-
re il n'eſt plus permis à la femme de
ſe remarier , laquelle ſuccede auec
les enfans à l'heritage du deffunct.
Eſt à noter, que les Bramins ne prẽ-
nent femmes d'ailleurs que des Bra-
mins,afin de ne ſouiller & meſlãger
leurs races & familles: deſquelles y
Deux ſor
tes de
Bramins
de grande qualité & les plus reſpe-
ctés, qui ſont ceux, qui ont charge
des temples & qui offrent , les
ſacriſices : les autres de plus baſ-
ſe condition, qui ſeruent de meſſa-
gers & courriers pour ceux, qui les
employent , à cauſe que, quelque
part qu'ils aillent il n'y a perſonne,
qui leur face ennuy ny faſcherie,
quoy que la guerre ſoit de tous co-
ſtés allumee, voyre165 les voleurs , les
rencontrans ſur le chemin les reſpe-
ctent de tant, que de leur faire voye
& les honorer , là où ils deualiſent
Voleurs
n'oſent
meffaire
aux Bra
mins.
les autres. Pour ce les marchans,
pour leur ſauuegarde ont accouſtu-
mé de mener à quelque prix que ce
ſoit l'vn de ces Bramins , aſſeurés,
qu'ils ſont, qu'en leur compaignie,
il n'y a ſi deteſtable brigand, qui oſa,
leur meffaire. Et s'il y aduient qu'il y
en ait de ſi farouche , que de piller,
ou deualiſer les pauures marchans,
qui ſeront en la cõpaignie d'vn Bra-
min , ſoudain il ſe tuë, ou ſe naure
d'vn poignard , du ſang duquel les
ges qu'ils trainent par les ruës, iuſ-
ques à tant qu'on leur ait faict iuſti-
ce du tort que les marchans ont re-
ceu, & vẽgeance du ſang eſpãdu de
leur cõpaignõ. A Calicut le Roy fait
tel eſtat de ces Bramins, que lors que
il prend femme,il cerche & choiſit
Bramins
ont la pre
rogatiue
de depu-
celer les
Roynes.
le plus honorable d'entre-eux , le-
quel il fait coucher la premiere nuit
des nopçes auec ſa fẽme , afin qu'il
la depucelle:Et encor ne penſés pas
que ce ſoit gratuitemẽt que ces ca-
phards vont plãter les cornes à leur
Prince, faut il qu'il les paye , & n'y a
que le Roy, qui ait ce credit, que les
Bramins facẽt les premiers eſſais de
leurs fẽmes. La couſtume a tant gai-
gné là que les Rois pẽſent receuoir
vne grande grace, & faueur , ſi ces
maiſtres caphars ſe iouẽt auec leurs
femmes & les ſurſaillent toutes les
fois que bon leur ſemble. Or tout
ainſi qu'à Cambaià , des-can Goa, &
pays voiſins il y a des Bramins, qu'õ
nomme Patameres, à cauſe qu'õ les
eſtime eſtre deſcendus du ſang roial
chin le Roy eſt de la famille des Bra-
mins, de meſmes qu'ẽ Malabar, les
Roys ſont de ceſte race, & pour-ce
les enfãs maſles des Rois, ne ſucce-
dẽt point à la courõne, nõ plus qu'ẽ
Calicut,ains les freres du Roi, ou sõ
neueu, à cauſe qu'ils sõt Bramins, leſ-
Femmes
des Bra-
mins.
quels couchent auec les ſœurs du
Roy, deſquelles ſortẽt les heritiers,
d'autãt que ceux qui viẽnẽt des Rois
ſont fils d'autres Dames que les Bra-
mines, & qu'ils degenerẽt du ſang
Royal. Les fẽmes de ces Bramins,
ſont fort chaſtes, outre la couſtume
du païs, & ne ſe meſlẽt onc auec au-
tres qu'auec leurs marys , non plus
que iamais vne Bramine eſt mariee,
auec autre que celuy qui eſt de ce-
ſte vocation ne pouuãt eſpouſer vn
naire, là où les femmes naires ont li-
cence de coucher auec les Bramins,
leſquels ſont chiẽs à tous coliers, &
tels que toute couche leur eſt per-
miſe , à cauſe qu'ils ſont les meſ-
ſagers de leurs idoles. Apres la mort
de ces Bramins , on bruſle leurs
leſquelles refuſans de ce faire, ſont
blaſmees au poſſible. Celles qui ſe
ſacrifient auec leurs maris ſont con-
duites en fort grande magnificence
& ſont accompaignees des Ban-
cans & Bracmins, pour les conſoler,
tout ainſi que pardeça on donne
quelque Paſteur aux pauures patiẽs,
qu'on meine au gibbet, pour eſtre
iuſticiés. Ces maiſtres , venerables
les exhortent à patience , & ma-
gnanimité & à meſpriſer la mort eu
eſgard à la briefueté & incertitude
de ceſte vie, la ſermonent ſi bien
qu'il ſemble à ceſte pauure eſgaree,
qu'elle s'en va aux nopces.
diens en font pluſieurs cantons de
Gymnoſophiſtes, Germains 163, que
Porphyre , appelle Samanées, des
Hylobies, des Pramnes, des Brach-
manes des Bramins , & autres. Le
chapit. ſuyuãt eſt deſtiné aux Brach-
manes , & le preſent aux Bramins,
deſquels toutes les Indes , ſont far-
cies. A Guzerath , on faict eſtat de
trois ſortes de gentils , des Rebuthi,
qui ſont les Cheualiers, des Bancani,
qui ſont les marchands & des Bra-
130
Nvptiale.
mins leſquels ſont comme les Pre-ſtres, & Philoſophes ou Docteurs
des idolatres, d'autant, qu'ils ſeruent
deuant des idoles , & ſont commis
au gouuernement des temples, deſ-
quels ils ont grande quantité, partie
Philoſo-
phes In-
diens.
deſquels ſont rentés, és autres, il faut
que les Bramins viuent d'aumoſne.
Ils vont tous nuds au deſſus de la
ceinture , mais ſur l'eſpaule ils ont
vn cordon à trois fils, ou bouquets
de ſoye, qui eſt la marque pour les
recognoiſtre des Bancani, & ne mã-
gent ceux cy choſe quelcõque , qui
ait ſang, comme auſſi ils ne tuẽt ani-
mal quel qu'il ſoit en la terre, en l'air
ny es eaux, obſeruent les ablutions,
& lauemens. Ils ſe marient comme
nous faiſons ſans auoir pluralité de
femmes, ainſi que font & les Ma-
hemetans & les autres idolatres, &
eſtiment peché d'entendre aux ſe-
condes nopces, à celuy, qui a perdu
ſa partie. Ils font grand feſte à leurs
nopçes, & cecy par pluſieurs iours
s'y faiſant grande aſſemblee , chaſ-
cun y eſtant veſtu fort richement,
La Forest
pour honorer les mariees: Pour eui-uiter paillardiſe ils ſe marient , fort
Solenni-
tez au
iour des
nopces
des Bra-
mins.
ieunes, hommes & femmes: le iour
des nopces les eſpoux ſe tiennent
ſur vn lict richement veſtus, & char-
gés de ioyaux , & pierrerie , deuant
eux vne petite table & deſſus icel-
le vne idole, couuerte de fleurs , &
autour quãtité de lampes allumées
vers laquelle idole le mary, & la fẽ-
me faut que du matin iuſqu'au ſoir,
tiennent les yeux fichés, ſans boire,
ny manger , ny dire vn ſeul mot à
perſonne qui viue. Cependant les
inuitez les feſtoyent & ſe reſiouyſ-
ſent auec leurs chants, bals, dançes
& ieux d'inſtrumens , comme en-
cor'ils font des feux artificiels, pour
le plaiſir & paſſe-temps de la com-
paignie. Aduenãt que le mary meu-
re il n'eſt plus permis à la femme de
ſe remarier , laquelle ſuccede auec
les enfans à l'heritage du deffunct.
Eſt à noter, que les Bramins ne prẽ-
nent femmes d'ailleurs que des Bra-
mins,afin de ne ſouiller & meſlãger
leurs races & familles: deſquelles y
129164
Nvptiale.
en a de deux ſortes , les vns eſtansDeux ſor
tes de
Bramins
de grande qualité & les plus reſpe-
ctés, qui ſont ceux, qui ont charge
des temples & qui offrent , les
ſacriſices : les autres de plus baſ-
ſe condition, qui ſeruent de meſſa-
gers & courriers pour ceux, qui les
employent , à cauſe que, quelque
part qu'ils aillent il n'y a perſonne,
qui leur face ennuy ny faſcherie,
quoy que la guerre ſoit de tous co-
ſtés allumee, voyre165 les voleurs , les
rencontrans ſur le chemin les reſpe-
ctent de tant, que de leur faire voye
& les honorer , là où ils deualiſent
Voleurs
n'oſent
meffaire
aux Bra
mins.
les autres. Pour ce les marchans,
pour leur ſauuegarde ont accouſtu-
mé de mener à quelque prix que ce
ſoit l'vn de ces Bramins , aſſeurés,
qu'ils ſont, qu'en leur compaignie,
il n'y a ſi deteſtable brigand, qui oſa,
leur meffaire. Et s'il y aduient qu'il y
en ait de ſi farouche , que de piller,
ou deualiſer les pauures marchans,
qui ſeront en la cõpaignie d'vn Bra-
min , ſoudain il ſe tuë, ou ſe naure
d'vn poignard , du ſang duquel les
La Forest
autres vont teindre certaines ima-ges qu'ils trainent par les ruës, iuſ-
ques à tant qu'on leur ait faict iuſti-
ce du tort que les marchans ont re-
ceu, & vẽgeance du ſang eſpãdu de
leur cõpaignõ. A Calicut le Roy fait
tel eſtat de ces Bramins, que lors que
il prend femme,il cerche & choiſit
Bramins
ont la pre
rogatiue
de depu-
celer les
Roynes.
le plus honorable d'entre-eux , le-
quel il fait coucher la premiere nuit
des nopçes auec ſa fẽme , afin qu'il
la depucelle:Et encor ne penſés pas
que ce ſoit gratuitemẽt que ces ca-
phards vont plãter les cornes à leur
Prince, faut il qu'il les paye , & n'y a
que le Roy, qui ait ce credit, que les
Bramins facẽt les premiers eſſais de
leurs fẽmes. La couſtume a tant gai-
gné là que les Rois pẽſent receuoir
vne grande grace, & faueur , ſi ces
maiſtres caphars ſe iouẽt auec leurs
femmes & les ſurſaillent toutes les
fois que bon leur ſemble. Or tout
ainſi qu'à Cambaià , des-can Goa, &
pays voiſins il y a des Bramins, qu'õ
nomme Patameres, à cauſe qu'õ les
eſtime eſtre deſcendus du ſang roial
132
Nvptiale.
des princes de Cambaie, auſſi à Co-chin le Roy eſt de la famille des Bra-
mins, de meſmes qu'ẽ Malabar, les
Roys ſont de ceſte race, & pour-ce
les enfãs maſles des Rois, ne ſucce-
dẽt point à la courõne, nõ plus qu'ẽ
Calicut,ains les freres du Roi, ou sõ
neueu, à cauſe qu'ils sõt Bramins, leſ-
Femmes
des Bra-
mins.
quels couchent auec les ſœurs du
Roy, deſquelles ſortẽt les heritiers,
d'autãt que ceux qui viẽnẽt des Rois
ſont fils d'autres Dames que les Bra-
mines, & qu'ils degenerẽt du ſang
Royal. Les fẽmes de ces Bramins,
ſont fort chaſtes, outre la couſtume
du païs, & ne ſe meſlẽt onc auec au-
tres qu'auec leurs marys , non plus
que iamais vne Bramine eſt mariee,
auec autre que celuy qui eſt de ce-
ſte vocation ne pouuãt eſpouſer vn
naire, là où les femmes naires ont li-
cence de coucher auec les Bramins,
leſquels ſont chiẽs à tous coliers, &
tels que toute couche leur eſt per-
miſe , à cauſe qu'ils ſont les meſ-
ſagers de leurs idoles. Apres la mort
de ces Bramins , on bruſle leurs
La Forest
corps , & auec eux leurs femmes, leſquelles refuſans de ce faire, ſont
blaſmees au poſſible. Celles qui ſe
ſacrifient auec leurs maris ſont con-
duites en fort grande magnificence
& ſont accompaignees des Ban-
cans & Bracmins, pour les conſoler,
tout ainſi que pardeça on donne
quelque Paſteur aux pauures patiẽs,
qu'on meine au gibbet, pour eſtre
iuſticiés. Ces maiſtres , venerables
les exhortent à patience , & ma-
gnanimité & à meſpriſer la mort eu
eſgard à la briefueté & incertitude
de ceſte vie, la ſermonent ſi bien
qu'il ſemble à ceſte pauure eſgaree,
qu'elle s'en va aux nopces.
Les Brachmans.
Chap. XXVII.
PVis qu'au r'apport de Strabon,
liure quinzieſme de ſa Geogra-
phie, Megaſthenes tenoit, que les
Brachmans eſtoyent les plus excel-
lens entre les Philoſophes qu'il ce-
nous entrõs au diſcours de leur vie,
mœurs & doctrine , auant qu'enta-
mer leur mariage. Ioinct que i'ay
enuie tout d'vn train de vuider la
queſtion du meſlange & commu-
nion des femmes, qui eſtoit receuë
parmy ces ſolz , auſſi-bien que par-
my les Nicolaites , & autres , ainſi
Vie,
mœurs et
doctrine
des Bra-
chmans.
que verrons cy apres. Dés que ces
Brachmans ſont conceus (dict Stra-
bon ) ils ont des hommes doctes,
qui ont le ſoin d'eux, & leſquels, ve-
nans vers la mere, vſent de ne ſçay
quels charmes & paroles ſur elle &
ſur le fruict , luy ſouhaitans & pro-
mettans felicité & bon ſuccés, pour
l'aduenir : mais il y en a, qui dient,
qu'ils ne parloyent à la mere que de
choſes bonnes & luy preſchoyent
ſobrieté & continence, eſtimãs cel-
les eſtre heureuſes , qui les eſcou-
toyent de bon cœur , leſquelles , ils
diſoyent , ſeroyent abondantes en
lignée. Les enfans eſtans venus en
lumiere, on leur donnoit des inſtru-
cteurs , ores les vns , tantoſt les au-
grandelets , c'eſtoit alors qu'on leur
donnoit pour maiſtres, les plus do-
ctes & excellents de leur eſcholle.
Ces Philoſophes viuoyẽt dedãs les
bois ( ainſi que nos Gaulois Druy-
des166) leſquels eſtoyent les plus pro-
chains des villes, & s'y tenoyent aſ-
ſemblez, comme ſont les Religieux
en leurs Monaſteres, viuans fort ſo-
brement, couchans ſur des materats
& peaux de beſtes, ne mangeans
chair quelcõque ( comme encores
ils ne font ) & s'abſtenans des fem-
mes ( ce que maintenant ils n'ont
garde d'obſeruer) ne parlans que de
choſes ſerieuſes, & communiquans
de bon cœur auec ceux qui les ve-
noyent accoſter , comme deſireux
& d'apprendre, & faire cognoiſtre
& entendre leur ſçauoir aux autres:
Les diſciples vſoyent d'vne grande
reuerence & modeſte reſpect, eſtãt
deuant leurs maiſtres, ne leur eſtant
loiſible de parler , touſſer , ny cra-
cher, & s'il aduenoit à pas vn de ce
faire, il eſtoit ſoudain chaſſé, pour ce
me peu honeſte, & ſans ſobrieté, &
continence. Il viuoyent par l'eſpa-
ce de trente ſept ans en ceſte diſci-
pline & ſujection , & lors chacun
des diſciples ſe retiroit en ſa maiſon
luy eſtant permis de viure vn peu
plus licentieuſement que de cou-
ſtume: car il ſe pouuoit veſtir de lin
ſubtil & delicat, porter des anneaux
aux doigts , & des bracelets , & des
bagues penduës aux oreilles , mais
le tout auec diſcretion & modeſtie,
& ſans aucun deſbord & ſuperflui-
té : comme auſſi leur eſtoit permis
de manger chair d'animaux , autres
que ceux qui ſont ſecourables à
l'homme , & ce pendant les ſaulſes
& les viandes fort aigres, & mordã-
tes, comme aux, oignons, & eſpice-
rie, leur eſtoyent deffenduës. Ils s'a-
muſoyent ſur tout à la ſcience des
Aſtres , & a vouloir iuger des hom-
mes, par leur Phyſiognomie, dont
les Pramnes, qui eſtoyent leurs en-
nemis mortels, ſe moquoyẽt, à gor-
ge deſployée , & les appelloyent
incertaines. Quant à leurs maria-
ges , ie ne puis que ie ne les reprou-
ue pour deux principales raiſons.
liure quinzieſme de ſa Geogra-
phie, Megaſthenes tenoit, que les
Brachmans eſtoyent les plus excel-
lens entre les Philoſophes qu'il ce-
lebre,
133
Nvptiale.
lebre, ce ne ſera hors de propos, ſinous entrõs au diſcours de leur vie,
mœurs & doctrine , auant qu'enta-
mer leur mariage. Ioinct que i'ay
enuie tout d'vn train de vuider la
queſtion du meſlange & commu-
nion des femmes, qui eſtoit receuë
parmy ces ſolz , auſſi-bien que par-
my les Nicolaites , & autres , ainſi
Vie,
mœurs et
doctrine
des Bra-
chmans.
que verrons cy apres. Dés que ces
Brachmans ſont conceus (dict Stra-
bon ) ils ont des hommes doctes,
qui ont le ſoin d'eux, & leſquels, ve-
nans vers la mere, vſent de ne ſçay
quels charmes & paroles ſur elle &
ſur le fruict , luy ſouhaitans & pro-
mettans felicité & bon ſuccés, pour
l'aduenir : mais il y en a, qui dient,
qu'ils ne parloyent à la mere que de
choſes bonnes & luy preſchoyent
ſobrieté & continence, eſtimãs cel-
les eſtre heureuſes , qui les eſcou-
toyent de bon cœur , leſquelles , ils
diſoyent , ſeroyent abondantes en
lignée. Les enfans eſtans venus en
lumiere, on leur donnoit des inſtru-
cteurs , ores les vns , tantoſt les au-
M
La Forest
tres, mais quand ils venoyent à eſtregrandelets , c'eſtoit alors qu'on leur
donnoit pour maiſtres, les plus do-
ctes & excellents de leur eſcholle.
Ces Philoſophes viuoyẽt dedãs les
bois ( ainſi que nos Gaulois Druy-
des166) leſquels eſtoyent les plus pro-
chains des villes, & s'y tenoyent aſ-
ſemblez, comme ſont les Religieux
en leurs Monaſteres, viuans fort ſo-
brement, couchans ſur des materats
& peaux de beſtes, ne mangeans
chair quelcõque ( comme encores
ils ne font ) & s'abſtenans des fem-
mes ( ce que maintenant ils n'ont
garde d'obſeruer) ne parlans que de
choſes ſerieuſes, & communiquans
de bon cœur auec ceux qui les ve-
noyent accoſter , comme deſireux
& d'apprendre, & faire cognoiſtre
& entendre leur ſçauoir aux autres:
Les diſciples vſoyent d'vne grande
reuerence & modeſte reſpect, eſtãt
deuant leurs maiſtres, ne leur eſtant
loiſible de parler , touſſer , ny cra-
cher, & s'il aduenoit à pas vn de ce
faire, il eſtoit ſoudain chaſſé, pour ce
134
Nvptiale.
iour, de la compagnie, & eſtimé hõ-me peu honeſte, & ſans ſobrieté, &
continence. Il viuoyent par l'eſpa-
ce de trente ſept ans en ceſte diſci-
pline & ſujection , & lors chacun
des diſciples ſe retiroit en ſa maiſon
luy eſtant permis de viure vn peu
plus licentieuſement que de cou-
ſtume: car il ſe pouuoit veſtir de lin
ſubtil & delicat, porter des anneaux
aux doigts , & des bracelets , & des
bagues penduës aux oreilles , mais
le tout auec diſcretion & modeſtie,
& ſans aucun deſbord & ſuperflui-
té : comme auſſi leur eſtoit permis
de manger chair d'animaux , autres
que ceux qui ſont ſecourables à
l'homme , & ce pendant les ſaulſes
& les viandes fort aigres, & mordã-
tes, comme aux, oignons, & eſpice-
rie, leur eſtoyent deffenduës. Ils s'a-
muſoyent ſur tout à la ſcience des
Aſtres , & a vouloir iuger des hom-
mes, par leur Phyſiognomie, dont
les Pramnes, qui eſtoyent leurs en-
nemis mortels, ſe moquoyẽt, à gor-
ge deſployée , & les appelloyent
M ij
La Forest
fols, & vains, prediſeurs des choſesincertaines. Quant à leurs maria-
ges , ie ne puis que ie ne les reprou-
ue pour deux principales raiſons.
Pluralité
de fẽmes
receuë
par les
Brach-
mans, cõ-
damnée.
de fẽmes
receuë
par les
Brach-
mans, cõ-
damnée.
La premiere eſt par ce qu'ils ſe don-
noient licence d'eſpouſer pluſieurs
femmes , ſous ceſte conſideration,
(diſoient-ils ) que d'vn grand nom-
bre il en ſortiroit pluſieurs enfans,
& en ce faiſoyent-ils double fau-
te , tant pource qu'ils s'affectoyent
peculieremẽt ie ne ſçay quelle ſain-
cteté , qui n'eſtoit communiquée
aux autres , qu'auſſi pour ſe peſle-
meſler ainſi auec tant de femmes.
Et neantmoins ils ſont tenuz pour
la ſaincteté meſme, voire qu'il y
en a167 qui aiguiſent le fil de leur bien-
diſance à eſleuer l'integrité de vie,
de ces venerables , leſquels ils veu-
lent maintenir en leur degré de pri-
uauté , preeminence & precellen-
ce par deſſus les Bramins, alleguans
pour leurs deffenſes , qu'encores
que les Bramins ne s'accouplent
qu'à vne femme , en mariage , ſi ne
laiſſent-ils d'auoir d'autres eſgouts,
de toute charnalité : mais quant aux
Brachmans , ils ne ſont appelez à
deflorer les Roynes , & encorner
les plus habiles du pays , ſi bien que
pour ſuppléer à tel rechãge, il em-
braſſent la pluralité des femmes.
N'eſt-ce pas bien ſyllogiſer ? & les
Bramins & les Brachmans offen-
ſoyent Dieu, mais encores plus les
Brachmans, par ce qu'ils abuſoyent
du mariage lors qu'ils ſe fondoyent
en telle multiplicité de femmes.
L'autre raiſon qui me fait formaliſer
contre les mariages des Brachmãs,
eſt qu'ils eſtoyent ſi charitables en-
tr'eux, qu'ils auoient les femmes cõ-
munes entr'eux , chacun accoſtant
celle de ſon compagnon, tout ainſi
que Platon le requeroit , & que les
Nicolaites le vouloyent introduire,
Nicolai-
tes here-
tiques.
en l'Egliſe primitiue. Ces Nicolai-
tes ont ainſi eſté appelez de Nico-
colas Antiocheen, l'vn des ſept Dia-
cres , qui auec Sainct Eſtienne fu-
rent deputez par les Apoſtres , au
ſeruice des vefues. Ceſtuy , ayant
la ialouſie qu'il auoit de ſa femme,
laquelle eſtoit fort belle, à fin de ſe
rendre incoulpable deuant eux, de
ce qui luy eſtoit impoſé , il l'ame-
na en public deuant tous , l'aban-
donnant & permettant d'en vſer,
à quiconque la voudroit , contre le
commandemẽt de noſtre Seigneur,
qui deffend à tout homme , de ſe-
parer ceux que Dieu a conjoincts.
Par ceſte acte de Nicolas , pluſieurs
prenans occaſion , creurent qu'il
eſtoit loiſible & permis à vn cha-
cun ſe ſeruir de telle femme , que
bon luy ſembleroit , voulans , ain-
ſi que Platon le permettoit, que
toutes femmes fuſſent communes.
Tellement que telle couſtume fut
entre-eux conuertie en fornica-
tion & paillardiſe ſans aucun reſ-
pect de mariage. A ceſte hereſie,
noient licence d'eſpouſer pluſieurs
femmes , ſous ceſte conſideration,
(diſoient-ils ) que d'vn grand nom-
bre il en ſortiroit pluſieurs enfans,
& en ce faiſoyent-ils double fau-
te , tant pource qu'ils s'affectoyent
peculieremẽt ie ne ſçay quelle ſain-
cteté , qui n'eſtoit communiquée
aux autres , qu'auſſi pour ſe peſle-
meſler ainſi auec tant de femmes.
Et neantmoins ils ſont tenuz pour
la ſaincteté meſme, voire qu'il y
en a167 qui aiguiſent le fil de leur bien-
diſance à eſleuer l'integrité de vie,
de ces venerables , leſquels ils veu-
lent maintenir en leur degré de pri-
uauté , preeminence & precellen-
ce par deſſus les Bramins, alleguans
pour leurs deffenſes , qu'encores
que les Bramins ne s'accouplent
qu'à vne femme , en mariage , ſi ne
laiſſent-ils d'auoir d'autres eſgouts,
135
Nvptiale.
pour leur faire paſſer la phantaiſiede toute charnalité : mais quant aux
Brachmans , ils ne ſont appelez à
deflorer les Roynes , & encorner
les plus habiles du pays , ſi bien que
pour ſuppléer à tel rechãge, il em-
braſſent la pluralité des femmes.
N'eſt-ce pas bien ſyllogiſer ? & les
Bramins & les Brachmans offen-
ſoyent Dieu, mais encores plus les
Brachmans, par ce qu'ils abuſoyent
du mariage lors qu'ils ſe fondoyent
en telle multiplicité de femmes.
L'autre raiſon qui me fait formaliſer
contre les mariages des Brachmãs,
eſt qu'ils eſtoyent ſi charitables en-
tr'eux, qu'ils auoient les femmes cõ-
munes entr'eux , chacun accoſtant
celle de ſon compagnon, tout ainſi
que Platon le requeroit , & que les
Nicolaites le vouloyent introduire,
Nicolai-
tes here-
tiques.
en l'Egliſe primitiue. Ces Nicolai-
tes ont ainſi eſté appelez de Nico-
colas Antiocheen, l'vn des ſept Dia-
cres , qui auec Sainct Eſtienne fu-
rent deputez par les Apoſtres , au
ſeruice des vefues. Ceſtuy , ayant
M iij
La Forest
eſté repris par iceux Apoſtres , dela ialouſie qu'il auoit de ſa femme,
laquelle eſtoit fort belle, à fin de ſe
rendre incoulpable deuant eux, de
ce qui luy eſtoit impoſé , il l'ame-
na en public deuant tous , l'aban-
donnant & permettant d'en vſer,
à quiconque la voudroit , contre le
commandemẽt de noſtre Seigneur,
qui deffend à tout homme , de ſe-
parer ceux que Dieu a conjoincts.
Par ceſte acte de Nicolas , pluſieurs
prenans occaſion , creurent qu'il
eſtoit loiſible & permis à vn cha-
cun ſe ſeruir de telle femme , que
bon luy ſembleroit , voulans , ain-
ſi que Platon le permettoit, que
toutes femmes fuſſent communes.
Tellement que telle couſtume fut
entre-eux conuertie en fornica-
tion & paillardiſe ſans aucun reſ-
pect de mariage. A ceſte hereſie,
Satur-
nin here
tique.
nin here
tique.
ſe ioingnit l'heretique Saturnin na-
tif d'Antioche, diſciple de Simon
le magicien , & de Menander, qui
entres autres impietez de ſon here-
ſie , diſoit , auec les Nicolaites, que
differemment : ſi bien qu'vn cha-
cun pouuoit ſans offenſe , ne pe-
ché vſer de celle qu'il voudroit.
Or encores que l'Eſcriture Saincte,
auec ſainct Auguſtin , Philaſtrius,
Eueſque de Brixie , en leur liures
des hereſies , Nicephore & autres
ſçauans perſonnages, deteſtent
ceſte hereſie, ſi veux-ie bien en-
cores adiouſter que quand nous
n'aurions autres moyens de defen-
ſe , que ce qu'Ariſtote deduict au
deuxieſme chapitre du ſecond li-
ure de ſes Politiques , ſans doute
faudroit que ceſte confuſion de
femmes fit le ſoubre-ſault. Et par
ce que la matiere ſemble le reque-
rir, ie prieray le liſeur m'excuſer, ſi
Commu-
nion de
femmes
ſur quels
moyens
fondés.
ie m'eſtens vn peu au long ſur ce
diſcours. Ceux qui partialiſent pour
la communion que Platon a vou-
lu forger en ſa republique Socra-
tique font targue de pluſieurs bou-
cliers tirez de l'Arſenal Anabaptiſ-
tique168, ou l'on ne ſouffre ces deux
mots de Mien & de Tien, com-
Sur tout ils nous battent de deux
inconueniens. Le premier eſt que
la proprieté des femmes, qu'on a
voulu priuatiuement & excluſiue-
ment attribuer aux marys a engen-
dré la jalouſie , les meurtres , & le
mauuais meſnage , dont on voit
les familles troublées pour l'adul-
tere. L'autre , qu'appropriant de
telle façon les femmes & enfans à
certains particuliers , on degou-
ſtoit les autres d'aymer & porter
affection aux enfans , leſquels ils
euſſent chery, pour la ſeule opinion
qu'ils euſſent peu ſe donner, qu'il
ſe pouuoit faire que les enfans leur
appartenoyent. Voila deux poincts
qui ont quelque apparence , mais
au fonds , ſont de peu de force &
Refuta-
tion d'i-
ceux mo-
yens.
efficace. Ie demeure d'accord qu'à
cauſe des inſolences de quelques
garnemens les maris s'effarouchent
& quelquesfois deſchargent bien
rudement , ou ſur les eſtalons ou
ſur ces deſloyales , qui ſi toſt ſe laiſ-
ſent atterrer. Si la bride eſtoit te-
la premiere touche ils peuſſent ve-
nir en euidence à iuſtice, eſtimez-
vous , que nous verrions telles &
ſi frequentes ſur-ſaillies des maris,
qui quelquefois , & trop ſouuent
s'imagineroyent eſtre coqüéz. Ie
veux , que bien d'auantage ils ſe to-
piquent , pourtant faudra-il don-
ner libre entrée à quiconques vou-
dra paſſer ſur le vẽtre des femmes?
De deux maux (dict-on couſtumie-
rement) faut élire le moindre , mais
ſi pour faire du nyais & Nicolai-
ſer , il eſtoit queſtion de ſe laiſſer
planter les cornes , ah ! combien de
ſurſaillans ſe trouueroyent, qui ſe-
royent bien aiſes , ſans crainte de
reprehenſion, d'y graiſſer leurs bot-
tes. Le danger, certainement, eſt
bien grand de tuer vn ruffien , que
l'on trouue honnir la pudicité de
ſa couche , ou de ſe hazarder à la
modeſtie ou prudence d'vn adul-
tere , mais auſſi de ſe laiſſer encor-
ner , c'eſt vne touche qui pique ſi
vifuement au cœur , qu'encores,
mieux ſophiſtiqué ſes cornes, qu'il
n'a pas , ſi ne me ſçauroit-on faire
croire qu'vn homme ayant le cœur
genereux , puiſſe ſouffrir qu'vn e-
ſtrangier vienne tremper ſon pain
au pot , qui excluſiuement de
tous autres luy eſt deſtiné. En apres
y a-il raiſon de permettre que Dieu
ſoit manifeſtement offenſé? Les
deux mariez ſont deux en vne
chair , s'il y a vn adioinct , faudra
qu'ils ſoyent troys en vne chair, &
ainſi ſera illudée la volonté ſacrée
de l'Eternel. C'eſt donc hors de
propos , qu'on met en jeu les mal-
heurs , qui enſuiuent ceux, qui ne
ſont bien reiglez en leurs maria-
ges. La folie des temeraires , &
indiſcrets , ne doit nuire aux bien-
aduiſez. Encores que pluſieurs
ayent ſouffert pour le nom ſacré
des Chreſtiens , ſera-il à dire, que
l'on ne doiue ſe partialiſer pour le
Chriſtianiſme , ou qu'on ſe doiue
laiſſer aller à toutes heurtes de reli-
gion ? Ie ne parle point des poſſeſ-
ces noms Tien & Mien,
ſont auſſi enſeuelis pour ce ſecond
chef. Encores moins de nez y a-il
ſur l'affection que les ſupoſts du
Nicolaiſme penſens eſtre affadie,
pour autant que l'on ne penſera que
l'enfant nous attouche. Puis qu'ils
veulent ne parler qu'en politics
humains , ie veux les arraiſonner
en politiques. Ils ne me pourront
nier , que la diſpoſition de noſtre
corps ne ſe rapporte à la conſtitu-
tion du corps de la Republique,
encores donques que les functions
de la main , du cerueau , des pieds
& de nos cinq ſens different tou-
tes par enſemble , ſe trouuera-il
vn eſprit ſi tres-éceruelé, & manque
de iugemẽt, qu'il vueille deſauoüer
& meſcognoiſtre l'ouurage de ſes
mains,pourautãt qu'il eſtimera que
ce ne ſoit du beſoigné du cerueau.
Partãt tout ainſi que toutes les par-
ties de noſtre corps ſymboliſent à
à leur tout,auſſi faut-il croire , que ſi
quelque malignité ne no9 a arraché
reputerons à nous meſmement &
à l'ornement du corps ciuil , tout ce
qui ſera des parties d'iceluy, encor
qu'elles ſoyent poſſible, beaucoup
eſloignées de nous: Voyre mais169, à
quel propos fais-ie ſur ce diſcours ſi
longue poſe?il ne faut que la raiſon
meſmes de ces Socratiques ſuppo-
ſés , pour faire ou culbuter ou eſ-
parpiller ce ſale meſlange. Et auſſi
eſt-ce là,ou a viſé Ariſtote, qui pour
replique, met en faict, que ceſte cõ-
fuſion de corps d'amitiés & d'affe-
ctions pratiquee par le meſlange
des Brachmans, Nicolaites & parti-
ſans de Socrates , ne peut qu'elle ne
nous agoue170, d'autant que tout ainſi
qu'vn peu de douceur, ſi on la de-
laue en vne grande lauaſſe d'eau,
perd toute ſa ſaueur, auſſi les peres,
ſe trampans en vne ſi grande multi-
titude de flots ne pourroyent rete-
nir l'amitié naturelle, que nous voy-
ons eſtre reueree par ceux, qui ſça-
uent drachmer171le poids, la force &
la vertu de leur virilité, ſans l'eſpan-
dit) la plume au vent: Qui prendra
de prés garde à la comparaiſon, qu'a
ameiné Ariſtote , s'il n'a le ſens du
tout cacochimé , d'Anabaptiſme,
faudra qu'il confeſſe, que quand la
loy diuine n'auroit lieu, nature,
meſmes ſuffit pour rendre condã-
nez ceux, qui à l'eſgarée ſe fourrent
à telles & ſi volages accointãces, d'an
tãt q̃ ce, qui oblige les peres à nour-
rir, les enfãs & aux enfãs à reuerer &
auoir ſoin de leur peres n'eſt cõtre
le commandement de Dieu , que
l'inſtinct naturel, qui nous pouſſe,
ſemond172, reſueille & induit à cherir
noſtre ſang. Et comment pourra vn
homme recognoiſtre ce qu'il aura
enfourné, ſi pluſieurs ont ( comme
l'on dit) mis leur pain à la fournee.
De dire qu'en la face ou au corps
demeure vne marque & arrhe im-
primee, qui faict qu'vn chaſcun
puiſſe recognoiſtre ſa piece , c'eſt
nous vouloir faire iouer trop au
mal aſſeuré:attendu qu'on lit, qu'en
la race de Lepide y eut veritablemẽt
blãce du
viſage
nous de-
çoit ſou-
uent.
trois enfans faicts à diuerſes fois,
qui tous auoyẽt vn œil couuert d'v-
ne pellicule , & ſi n'auoyent eſté
faicts les vns apres les autres, car il
y auoit d'autres enfans entre-deux:
auſſi quelques fois il aduient , que
les enfans retirent au pere-grand:
Des iumeaux, par fois l'vn retire au
pere, & l'autre à la mere. Il y a des
femmes, qui font tous leurs enfans
qui les retirent : d'autres les font
ſemblables à leurs maris , & quel-
quesfois les enfans ne retireut, ny à
pere ny à mere : aucunesfois auſſi,
les filles retirent au pere , & les fils
à la mere. La preuue en eſt grande
en ce que raconte Ariſtote , au ſe-
cond chapitre du ſeptieſme liure
de l'hiſtoire des animaux, & au dix-
huictieſme chapitre du premier li-
ure de la generation des animaux,
touchant Nicee , ce luiteur renom-
mé de Conſtantinople , lequel e-
ſtant ſorty d'vne baſtarde d'Æthio-
pien , qui eſtoit blanche , comme
les autres femmes , neantmoins il
naſquit noir , comme ſon ayeul. Et
diſcours de l'homme & de la fem-
me, eſtans en l'acte de generation,
aidẽt beaucoup aux rapports & ſem
blances : auſſi font pluſieurs cas qui
peuuẽt aduenir fortuitemẽt ſoit par
la veuë, ou par l'oüye, ou par vn ſou
uenir des formes qu'on apprehẽde
en l'acte de generatiõ. L'eſprit auſſi
du pere & de la mere lors vagabõ-
dãt & tracaſſant ça & là, & imprimãt
quelque ſemblãce eſt eſtimée cauſe
de ſemblance ou non-ſemblance,
par ainſi ce n'eſt de merueilles, ſi les
diſſemblances ſont plus grandes,
entre les hommes qu'entre autres
animaux : car le ſoudain mouue-
ment de l'eſprit , & les diſcours de
l'entendement s'imaginent, phan-
taſient , & repreſentent pluſieurs
& diuerſes marques:mais l'imagina-
tiue des autres animaux demeure
touſiours en vn eſtre:auſſi vne beſte
engendrera le plus ſouuẽt ſon ſem-
blable. Artemõ, hõme artiſan, eſtoit
ſi ſemblable à Antioque, que la Roi-
ne Laodicée , apres qu'Antioque
ſigner le Royaume , à qui bon luy
ſembleroit, & pour recommander
au peuple celuy , qu'elle vouloit a-
uancer. Vibius, homme Artiſan, &
Publicius iadis eſclaue, retiroyent ſi
fort à Põpee, qu'à peine les eut on
ſceu diſcerner tous trois les vns d'a-
uec les autres , tant bien repreſen-
toiẽt ceſte preud'hommie, & maje-
ſté, qui reluiſoit en la care, & face
de Pompée. Cela auſſi cauſa à ſon
pere le ſoubriquet de Menogenes,
ſon cuiſinier , encores que deſia on
l'appella Strabo, pour eſtre louſche,
comme vn autre ſien eſclaue. Se-
rapio, auſſi eſtoit du tout ſembla-
ble à Scipion , & neant-moins c'e-
ſtoit vn malotru eſclaue, Porchier
d'vn marchand de porceaux. Sur
ſecond Scipiõ , qui eſtoit de la meſ-
me maiſon de l'autre Salutio173, ba-
ſteleur & ioüeur de farces fit tom-
ber ſon nom pour ſoubriquet L'an
du Conſulat de Lentule & Metelle
d'aduenture ſe trouua rent ſur les eſ-
chauffaux deux gladiateurs , tous
ſçauoir Spinter174, qui vint en la ſe-
conde pointe,lequel retiroit entie-
rement à Lentulus , & Pamphile175,
qui vint à la troiſieſme pointe , qui
carioit à Metellus. De meſmes. Ru-
brius baſteleur fut appellé Plancus,
pource qu'il retiroit à Lucius, Plan-
cus l'Orateur fort renommé. Bur-
buleius auſſi baſteleur ſeruit de ſou-
briquet au vieil Curion : Menoge-
nes ioueur de farces à Meſſala, en-
cores qu'il eut eſté Cenſeur. En Si-
cile ſe trouua vn peſcheur, qui reti-
roit du tout au Proconſul Sura, non
ſeulement au traict de viſage , mais
auſſi à parler bref , à faire la mouë
en parlant & à retirer la langue, cõ-
me faiſoit Sura. A Caſſius Seuere,
Orateur renommé , Mirmillo fut
mis au deuant par reproche, com-
eſtant du tout ſemblable à luy. Et a-
fin que nous ne nous eſgarions par
les Foreſts & de l'antiquité & des
pays eſtranges, voulés vous vn plus
manifeſte argument de deux per-
ſonnes qui ſe retiroyent comme
ceſt impoſteur Arnauld , du Thil,
du lieu de Sagar176qui reſſembloit tel-
lement à Martin Guerre , natif,
d'Andaye, au pays de Baſcous , ou
de Biſcaye, qu'il print le nom de
ce Martin Guerre. Or qu'il luy re-
tira entierement des lineamens de
viſage, de ſon port, maintien & ſta-
ture appert par-ce que Bertrande,
Rolz, laquelle Martin Guerre , a-
uoit eſpouſé & pris à femme à Ar-
tigat lieu du Dioceſe de Rieux, en
Gaſcoigne le receut pour tel, com-
me auſſi firent encores quatre ſœurs
vn Oncle, & autre parens d'iceluy,
Martin Guerre, tous les voiſins
luy firent la bien venuë. Auant ceſt
impoſteur Bertrande demeura trois
ans ſans le pouuoir recognoiſtre. En
fin elle print ſoupçon & cõmence a
deſcouurir & cognoiſtre l'impoſtu-
re de ce du Thil, qui fut ſi bien pour-
ſuyuy , qu'apres le retour de ſon
vray mary Martin Guerre ( qui
auoit eſté abſent d'elle enuiron huit
ans il fut condamné par arreſt de
prononcé iudiciellement le dou-
zieſme iour de Septembre 1560. à
faire amende honorable au deuant
de l'Egliſe d'Artigat, & illec de ge-
noux, en chemiſe, teſte & pieds nuds
ayant la hard au col & tenant en ſes
mains vne torche de cire ardante,
demãdant pardon à Dieu , au Roy
a Iuſtice, auſdicts Martin Guerre, &
Bertrande , de Rolz, mariées , & ce
fait eſtre deliuré és mains de l'exe-
cuteur de haute iuſtice, pendu & e-
ſtranglé au deuant de la maiſon de
Martin Guerre en vne potẽce qui y
ſeroit dreſſée, à ces fins & apres ſon
corps eſtre bruſlé. A eſté beſoing,
que ie m'exprimaſſe ainſi au long
ſur ceſte reſſemblance , d'autant
que c'eſt le principal eſchaptoi-
re de ceux , qui preſtant l'eſpaule
au meſlange Brachmanien , de di-
re , que touſiours il y a des traicts,
qui nous peuuẽt faire recognoiſtre
ceux qui nous appartiennent. Et ne
faut point reſtraindre ce deſborde-
mẽt de fẽmes cõmunes à certaines
les Taprobaniens, ou Sumatriens,
meſmes ſont remarquez par les an-
ciens, pour auoir eu leurs femmes
communes, ſans qu'aucune forme
de mariage y fut gardée: Si bien que
les enfans y eſtoyent communes &
chaſcun les aymant comme pere.
tif d'Antioche, diſciple de Simon
le magicien , & de Menander, qui
entres autres impietez de ſon here-
ſie , diſoit , auec les Nicolaites, que
136
Nvptiale.
l'on pouuoit vſer des femmes in-differemment : ſi bien qu'vn cha-
cun pouuoit ſans offenſe , ne pe-
ché vſer de celle qu'il voudroit.
Or encores que l'Eſcriture Saincte,
auec ſainct Auguſtin , Philaſtrius,
Eueſque de Brixie , en leur liures
des hereſies , Nicephore & autres
ſçauans perſonnages, deteſtent
ceſte hereſie, ſi veux-ie bien en-
cores adiouſter que quand nous
n'aurions autres moyens de defen-
ſe , que ce qu'Ariſtote deduict au
deuxieſme chapitre du ſecond li-
ure de ſes Politiques , ſans doute
faudroit que ceſte confuſion de
femmes fit le ſoubre-ſault. Et par
ce que la matiere ſemble le reque-
rir, ie prieray le liſeur m'excuſer, ſi
Commu-
nion de
femmes
ſur quels
moyens
fondés.
ie m'eſtens vn peu au long ſur ce
diſcours. Ceux qui partialiſent pour
la communion que Platon a vou-
lu forger en ſa republique Socra-
tique font targue de pluſieurs bou-
cliers tirez de l'Arſenal Anabaptiſ-
tique168, ou l'on ne ſouffre ces deux
mots de Mien & de Tien, com-
M iiij
La Forest
me eſtant la ſource de tout mal.Sur tout ils nous battent de deux
inconueniens. Le premier eſt que
la proprieté des femmes, qu'on a
voulu priuatiuement & excluſiue-
ment attribuer aux marys a engen-
dré la jalouſie , les meurtres , & le
mauuais meſnage , dont on voit
les familles troublées pour l'adul-
tere. L'autre , qu'appropriant de
telle façon les femmes & enfans à
certains particuliers , on degou-
ſtoit les autres d'aymer & porter
affection aux enfans , leſquels ils
euſſent chery, pour la ſeule opinion
qu'ils euſſent peu ſe donner, qu'il
ſe pouuoit faire que les enfans leur
appartenoyent. Voila deux poincts
qui ont quelque apparence , mais
au fonds , ſont de peu de force &
Refuta-
tion d'i-
ceux mo-
yens.
efficace. Ie demeure d'accord qu'à
cauſe des inſolences de quelques
garnemens les maris s'effarouchent
& quelquesfois deſchargent bien
rudement , ou ſur les eſtalons ou
ſur ces deſloyales , qui ſi toſt ſe laiſ-
ſent atterrer. Si la bride eſtoit te-
137
Nvptiale.
nuë roide à tels forfaicts, ou qu'àla premiere touche ils peuſſent ve-
nir en euidence à iuſtice, eſtimez-
vous , que nous verrions telles &
ſi frequentes ſur-ſaillies des maris,
qui quelquefois , & trop ſouuent
s'imagineroyent eſtre coqüéz. Ie
veux , que bien d'auantage ils ſe to-
piquent , pourtant faudra-il don-
ner libre entrée à quiconques vou-
dra paſſer ſur le vẽtre des femmes?
De deux maux (dict-on couſtumie-
rement) faut élire le moindre , mais
ſi pour faire du nyais & Nicolai-
ſer , il eſtoit queſtion de ſe laiſſer
planter les cornes , ah ! combien de
ſurſaillans ſe trouueroyent, qui ſe-
royent bien aiſes , ſans crainte de
reprehenſion, d'y graiſſer leurs bot-
tes. Le danger, certainement, eſt
bien grand de tuer vn ruffien , que
l'on trouue honnir la pudicité de
ſa couche , ou de ſe hazarder à la
modeſtie ou prudence d'vn adul-
tere , mais auſſi de ſe laiſſer encor-
ner , c'eſt vne touche qui pique ſi
vifuement au cœur , qu'encores,
M v
La Forest
que le Poëte du Belleau euſt encormieux ſophiſtiqué ſes cornes, qu'il
n'a pas , ſi ne me ſçauroit-on faire
croire qu'vn homme ayant le cœur
genereux , puiſſe ſouffrir qu'vn e-
ſtrangier vienne tremper ſon pain
au pot , qui excluſiuement de
tous autres luy eſt deſtiné. En apres
y a-il raiſon de permettre que Dieu
ſoit manifeſtement offenſé? Les
deux mariez ſont deux en vne
chair , s'il y a vn adioinct , faudra
qu'ils ſoyent troys en vne chair, &
ainſi ſera illudée la volonté ſacrée
de l'Eternel. C'eſt donc hors de
propos , qu'on met en jeu les mal-
heurs , qui enſuiuent ceux, qui ne
ſont bien reiglez en leurs maria-
ges. La folie des temeraires , &
indiſcrets , ne doit nuire aux bien-
aduiſez. Encores que pluſieurs
ayent ſouffert pour le nom ſacré
des Chreſtiens , ſera-il à dire, que
l'on ne doiue ſe partialiſer pour le
Chriſtianiſme , ou qu'on ſe doiue
laiſſer aller à toutes heurtes de reli-
gion ? Ie ne parle point des poſſeſ-
138
Nvptiale.
ſions , & des biens , d'autant queces noms Tien & Mien,
ſont auſſi enſeuelis pour ce ſecond
chef. Encores moins de nez y a-il
ſur l'affection que les ſupoſts du
Nicolaiſme penſens eſtre affadie,
pour autant que l'on ne penſera que
l'enfant nous attouche. Puis qu'ils
veulent ne parler qu'en politics
humains , ie veux les arraiſonner
en politiques. Ils ne me pourront
nier , que la diſpoſition de noſtre
corps ne ſe rapporte à la conſtitu-
tion du corps de la Republique,
encores donques que les functions
de la main , du cerueau , des pieds
& de nos cinq ſens different tou-
tes par enſemble , ſe trouuera-il
vn eſprit ſi tres-éceruelé, & manque
de iugemẽt, qu'il vueille deſauoüer
& meſcognoiſtre l'ouurage de ſes
mains,pourautãt qu'il eſtimera que
ce ne ſoit du beſoigné du cerueau.
Partãt tout ainſi que toutes les par-
ties de noſtre corps ſymboliſent à
à leur tout,auſſi faut-il croire , que ſi
quelque malignité ne no9 a arraché
M vj
La Forest
du cœur, nos parties naturelles nousreputerons à nous meſmement &
à l'ornement du corps ciuil , tout ce
qui ſera des parties d'iceluy, encor
qu'elles ſoyent poſſible, beaucoup
eſloignées de nous: Voyre mais169, à
quel propos fais-ie ſur ce diſcours ſi
longue poſe?il ne faut que la raiſon
meſmes de ces Socratiques ſuppo-
ſés , pour faire ou culbuter ou eſ-
parpiller ce ſale meſlange. Et auſſi
eſt-ce là,ou a viſé Ariſtote, qui pour
replique, met en faict, que ceſte cõ-
fuſion de corps d'amitiés & d'affe-
ctions pratiquee par le meſlange
des Brachmans, Nicolaites & parti-
ſans de Socrates , ne peut qu'elle ne
nous agoue170, d'autant que tout ainſi
qu'vn peu de douceur, ſi on la de-
laue en vne grande lauaſſe d'eau,
perd toute ſa ſaueur, auſſi les peres,
ſe trampans en vne ſi grande multi-
titude de flots ne pourroyent rete-
nir l'amitié naturelle, que nous voy-
ons eſtre reueree par ceux, qui ſça-
uent drachmer171le poids, la force &
la vertu de leur virilité, ſans l'eſpan-
139
Nvptiale.
dre à l'incertain & ietter (comme l'õdit) la plume au vent: Qui prendra
de prés garde à la comparaiſon, qu'a
ameiné Ariſtote , s'il n'a le ſens du
tout cacochimé , d'Anabaptiſme,
faudra qu'il confeſſe, que quand la
loy diuine n'auroit lieu, nature,
meſmes ſuffit pour rendre condã-
nez ceux, qui à l'eſgarée ſe fourrent
à telles & ſi volages accointãces, d'an
tãt q̃ ce, qui oblige les peres à nour-
rir, les enfãs & aux enfãs à reuerer &
auoir ſoin de leur peres n'eſt cõtre
le commandement de Dieu , que
l'inſtinct naturel, qui nous pouſſe,
ſemond172, reſueille & induit à cherir
noſtre ſang. Et comment pourra vn
homme recognoiſtre ce qu'il aura
enfourné, ſi pluſieurs ont ( comme
l'on dit) mis leur pain à la fournee.
De dire qu'en la face ou au corps
demeure vne marque & arrhe im-
primee, qui faict qu'vn chaſcun
puiſſe recognoiſtre ſa piece , c'eſt
nous vouloir faire iouer trop au
mal aſſeuré:attendu qu'on lit, qu'en
la race de Lepide y eut veritablemẽt
La Forest
La reſsẽ-blãce du
viſage
nous de-
çoit ſou-
uent.
trois enfans faicts à diuerſes fois,
qui tous auoyẽt vn œil couuert d'v-
ne pellicule , & ſi n'auoyent eſté
faicts les vns apres les autres, car il
y auoit d'autres enfans entre-deux:
auſſi quelques fois il aduient , que
les enfans retirent au pere-grand:
Des iumeaux, par fois l'vn retire au
pere, & l'autre à la mere. Il y a des
femmes, qui font tous leurs enfans
qui les retirent : d'autres les font
ſemblables à leurs maris , & quel-
quesfois les enfans ne retireut, ny à
pere ny à mere : aucunesfois auſſi,
les filles retirent au pere , & les fils
à la mere. La preuue en eſt grande
en ce que raconte Ariſtote , au ſe-
cond chapitre du ſeptieſme liure
de l'hiſtoire des animaux, & au dix-
huictieſme chapitre du premier li-
ure de la generation des animaux,
touchant Nicee , ce luiteur renom-
mé de Conſtantinople , lequel e-
ſtant ſorty d'vne baſtarde d'Æthio-
pien , qui eſtoit blanche , comme
les autres femmes , neantmoins il
naſquit noir , comme ſon ayeul. Et
140
Nvptiale.
certes les fantaiſies, impreſſions, &diſcours de l'homme & de la fem-
me, eſtans en l'acte de generation,
aidẽt beaucoup aux rapports & ſem
blances : auſſi font pluſieurs cas qui
peuuẽt aduenir fortuitemẽt ſoit par
la veuë, ou par l'oüye, ou par vn ſou
uenir des formes qu'on apprehẽde
en l'acte de generatiõ. L'eſprit auſſi
du pere & de la mere lors vagabõ-
dãt & tracaſſant ça & là, & imprimãt
quelque ſemblãce eſt eſtimée cauſe
de ſemblance ou non-ſemblance,
par ainſi ce n'eſt de merueilles, ſi les
diſſemblances ſont plus grandes,
entre les hommes qu'entre autres
animaux : car le ſoudain mouue-
ment de l'eſprit , & les diſcours de
l'entendement s'imaginent, phan-
taſient , & repreſentent pluſieurs
& diuerſes marques:mais l'imagina-
tiue des autres animaux demeure
touſiours en vn eſtre:auſſi vne beſte
engendrera le plus ſouuẽt ſon ſem-
blable. Artemõ, hõme artiſan, eſtoit
ſi ſemblable à Antioque, que la Roi-
ne Laodicée , apres qu'Antioque
La Forest
fut tué, ſe ſeruit d'Artemon, pour re-ſigner le Royaume , à qui bon luy
ſembleroit, & pour recommander
au peuple celuy , qu'elle vouloit a-
uancer. Vibius, homme Artiſan, &
Publicius iadis eſclaue, retiroyent ſi
fort à Põpee, qu'à peine les eut on
ſceu diſcerner tous trois les vns d'a-
uec les autres , tant bien repreſen-
toiẽt ceſte preud'hommie, & maje-
ſté, qui reluiſoit en la care, & face
de Pompée. Cela auſſi cauſa à ſon
pere le ſoubriquet de Menogenes,
ſon cuiſinier , encores que deſia on
l'appella Strabo, pour eſtre louſche,
comme vn autre ſien eſclaue. Se-
rapio, auſſi eſtoit du tout ſembla-
ble à Scipion , & neant-moins c'e-
ſtoit vn malotru eſclaue, Porchier
d'vn marchand de porceaux. Sur
ſecond Scipiõ , qui eſtoit de la meſ-
me maiſon de l'autre Salutio173, ba-
ſteleur & ioüeur de farces fit tom-
ber ſon nom pour ſoubriquet L'an
du Conſulat de Lentule & Metelle
d'aduenture ſe trouua rent ſur les eſ-
chauffaux deux gladiateurs , tous
141
Nvptiale.
deux retirans aux deux Conſuls, àſçauoir Spinter174, qui vint en la ſe-
conde pointe,lequel retiroit entie-
rement à Lentulus , & Pamphile175,
qui vint à la troiſieſme pointe , qui
carioit à Metellus. De meſmes. Ru-
brius baſteleur fut appellé Plancus,
pource qu'il retiroit à Lucius, Plan-
cus l'Orateur fort renommé. Bur-
buleius auſſi baſteleur ſeruit de ſou-
briquet au vieil Curion : Menoge-
nes ioueur de farces à Meſſala, en-
cores qu'il eut eſté Cenſeur. En Si-
cile ſe trouua vn peſcheur, qui reti-
roit du tout au Proconſul Sura, non
ſeulement au traict de viſage , mais
auſſi à parler bref , à faire la mouë
en parlant & à retirer la langue, cõ-
me faiſoit Sura. A Caſſius Seuere,
Orateur renommé , Mirmillo fut
mis au deuant par reproche, com-
eſtant du tout ſemblable à luy. Et a-
fin que nous ne nous eſgarions par
les Foreſts & de l'antiquité & des
pays eſtranges, voulés vous vn plus
manifeſte argument de deux per-
ſonnes qui ſe retiroyent comme
La Forest
deux gouttes d'eau que celuy deceſt impoſteur Arnauld , du Thil,
du lieu de Sagar176qui reſſembloit tel-
lement à Martin Guerre , natif,
d'Andaye, au pays de Baſcous , ou
de Biſcaye, qu'il print le nom de
ce Martin Guerre. Or qu'il luy re-
tira entierement des lineamens de
viſage, de ſon port, maintien & ſta-
ture appert par-ce que Bertrande,
Rolz, laquelle Martin Guerre , a-
uoit eſpouſé & pris à femme à Ar-
tigat lieu du Dioceſe de Rieux, en
Gaſcoigne le receut pour tel, com-
me auſſi firent encores quatre ſœurs
vn Oncle, & autre parens d'iceluy,
Martin Guerre, tous les voiſins
luy firent la bien venuë. Auant ceſt
impoſteur Bertrande demeura trois
ans ſans le pouuoir recognoiſtre. En
fin elle print ſoupçon & cõmence a
deſcouurir & cognoiſtre l'impoſtu-
re de ce du Thil, qui fut ſi bien pour-
ſuyuy , qu'apres le retour de ſon
vray mary Martin Guerre ( qui
auoit eſté abſent d'elle enuiron huit
ans il fut condamné par arreſt de
142
Nvptiale.
la Cour de Parlement de Tholouſe,prononcé iudiciellement le dou-
zieſme iour de Septembre 1560. à
faire amende honorable au deuant
de l'Egliſe d'Artigat, & illec de ge-
noux, en chemiſe, teſte & pieds nuds
ayant la hard au col & tenant en ſes
mains vne torche de cire ardante,
demãdant pardon à Dieu , au Roy
a Iuſtice, auſdicts Martin Guerre, &
Bertrande , de Rolz, mariées , & ce
fait eſtre deliuré és mains de l'exe-
cuteur de haute iuſtice, pendu & e-
ſtranglé au deuant de la maiſon de
Martin Guerre en vne potẽce qui y
ſeroit dreſſée, à ces fins & apres ſon
corps eſtre bruſlé. A eſté beſoing,
que ie m'exprimaſſe ainſi au long
ſur ceſte reſſemblance , d'autant
que c'eſt le principal eſchaptoi-
re de ceux , qui preſtant l'eſpaule
au meſlange Brachmanien , de di-
re , que touſiours il y a des traicts,
qui nous peuuẽt faire recognoiſtre
ceux qui nous appartiennent. Et ne
faut point reſtraindre ce deſborde-
mẽt de fẽmes cõmunes à certaines
La Forest
ſectes de mal-aduiſés, d'autant queles Taprobaniens, ou Sumatriens,
meſmes ſont remarquez par les an-
ciens, pour auoir eu leurs femmes
communes, ſans qu'aucune forme
de mariage y fut gardée: Si bien que
les enfans y eſtoyent communes &
chaſcun les aymant comme pere.
Commu-
nion de
femmes
prati-
quée,
entre plu
ſieurs
peuples.
nion de
femmes
prati-
quée,
entre plu
ſieurs
peuples.
Or ceſte communion de femmes
n'a eſté que par trop practiquee par
maints autres peuples. Les Maſſage-
tes prenoyent chaſcun vne femme
en mariage, & toutesfois vne fem-
me eſtoit commune à tous & toutes
les femmes communes à vn. Euſe-
be au ſixieſme liure de la preparatiõ
Euangelique recite le contraire des
Serés peuple d'Aſie habitans à l'O-
rient deſ-dicts Maſſagetes. Leſ-
quels , il dict auoir eu des loix, qui
leur deffendoyent de tuer, de pail-
larder, de deſrober & d'adorer des
idoles. Et pour le reſpect d'icelles
ne s'eſtre trouué par-my eux aucuns
temples nulle femme adultere , au-
cun larron , pas vn meurtrier: Con-
Brachmanes il les loue d'vne gran-
de preud'hommie & pieté en tou-
tes leurs actions , les renomme en-
nemis de l'adoration rendue aux
ſimulachres des faux Dieux & fort
ſobres en leur boire & manger ſi
bien qu'encores qu'il ne touche les
loix de leurs mariages, ſi eſt ce qu'il
les deſcript tels que quand nous ne
lirions autre choſe de leur vie, nous
les deuſſions eſtimer auoir abhor-
ré toute ſaleté de luxure deſor-
donnee & principalement la Poly-
gamie, & communauté de femmes.
Car il les depeinct entierement ad-
donnez à la contẽplation de Dieu
& de ſes œuures & retenus tout le
iour à le ſeruir & adorer. Mais qui a‑
il de plus ennemy du culte diuin,
que la luxure ou la multiplicité de
femmes: deſquelles le contentemẽt
eſt le mortel ennemy de la chaſteté
& de ceſte netteté d'Ame neceſſaire
en l'exercice des functiõs ſpirituel-
les? Le ſeruice diuin ne ſe peut ac-
ne ſont ſublimees là-haut, d'où
neant-moins les retire l'eſguillon
charnel, & les attache à la terre, ſur
laquelle elles rãpent tant que la me-
moire ou la pointure d'vne impudi-
cité dure. Ainſi nous pouuons rai-
ſonnablement douter que les Bra-
chmans , qui de leur franc gré &
ſans y eſtre aſſeruis pour aucunes
loix demeuroyent attentifs, perpe-
tuellement au ſeruice de Dieu, & à
la contemplation des choſes hautes
ayent eu pluſieurs femmes & com-
munes entre eux, ou qu'ils ayent ia-
mais mené vne vie ſi religieuſe. Et
que choſe qu'il en ſoit nous pou-
uons tenir pour treſſeur que l'vn ne
peut compatir auec qu' l'autre non
plus que la terre ſe ioindre au Ciel.
C'eſt pourquoy les hommes vouez
aux choſes ſainctes au miniſtere de
la religion & contemplation des ſa-
crés myſteres d'icelle, ont eſpouſé
le ſainct Cœlibat, & donné le libel-
le de repude à toutes femmes pour
feu de chaſteté , qui eſt tout diuin,
que rabbatus en bas par celuy de la
chair qui eſt terreſtre & en l'ap-
probation d'vn ſi ſainct veu nous
finirons ce que nous auions à dire
des Mariages.
n'a eſté que par trop practiquee par
maints autres peuples. Les Maſſage-
tes prenoyent chaſcun vne femme
en mariage, & toutesfois vne fem-
me eſtoit commune à tous & toutes
les femmes communes à vn. Euſe-
be au ſixieſme liure de la preparatiõ
Euangelique recite le contraire des
Serés peuple d'Aſie habitans à l'O-
rient deſ-dicts Maſſagetes. Leſ-
quels , il dict auoir eu des loix, qui
leur deffendoyent de tuer, de pail-
larder, de deſrober & d'adorer des
idoles. Et pour le reſpect d'icelles
ne s'eſtre trouué par-my eux aucuns
temples nulle femme adultere , au-
cun larron , pas vn meurtrier: Con-
143
Nvptiale.
tinuãt apres sõ diſcours par la vie desBrachmanes il les loue d'vne gran-
de preud'hommie & pieté en tou-
tes leurs actions , les renomme en-
nemis de l'adoration rendue aux
ſimulachres des faux Dieux & fort
ſobres en leur boire & manger ſi
bien qu'encores qu'il ne touche les
loix de leurs mariages, ſi eſt ce qu'il
les deſcript tels que quand nous ne
lirions autre choſe de leur vie, nous
les deuſſions eſtimer auoir abhor-
ré toute ſaleté de luxure deſor-
donnee & principalement la Poly-
gamie, & communauté de femmes.
Car il les depeinct entierement ad-
donnez à la contẽplation de Dieu
& de ſes œuures & retenus tout le
iour à le ſeruir & adorer. Mais qui a‑
il de plus ennemy du culte diuin,
que la luxure ou la multiplicité de
femmes: deſquelles le contentemẽt
eſt le mortel ennemy de la chaſteté
& de ceſte netteté d'Ame neceſſaire
en l'exercice des functiõs ſpirituel-
les? Le ſeruice diuin ne ſe peut ac-
144
La Forest
complir deuëment ſi les affectionsne ſont ſublimees là-haut, d'où
neant-moins les retire l'eſguillon
charnel, & les attache à la terre, ſur
laquelle elles rãpent tant que la me-
moire ou la pointure d'vne impudi-
cité dure. Ainſi nous pouuons rai-
ſonnablement douter que les Bra-
chmans , qui de leur franc gré &
ſans y eſtre aſſeruis pour aucunes
loix demeuroyent attentifs, perpe-
tuellement au ſeruice de Dieu, & à
la contemplation des choſes hautes
ayent eu pluſieurs femmes & com-
munes entre eux, ou qu'ils ayent ia-
mais mené vne vie ſi religieuſe. Et
que choſe qu'il en ſoit nous pou-
uons tenir pour treſſeur que l'vn ne
peut compatir auec qu' l'autre non
plus que la terre ſe ioindre au Ciel.
C'eſt pourquoy les hommes vouez
aux choſes ſainctes au miniſtere de
la religion & contemplation des ſa-
crés myſteres d'icelle, ont eſpouſé
le ſainct Cœlibat, & donné le libel-
le de repude à toutes femmes pour
Nvptiale.
eſtre eſleuez pluſtoſt en haut par lefeu de chaſteté , qui eſt tout diuin,
que rabbatus en bas par celuy de la
chair qui eſt terreſtre & en l'ap-
probation d'vn ſi ſainct veu nous
finirons ce que nous auions à dire
des Mariages.
FIN.
Vignette à feuilles et fruits.
Sceau de la Bibliothèque de l'Arsenal.
Noms propres et Terminologie médicale
Aaron
Selon la Bible, Aaron aurait été le frère de Moïse et le premier grand prêtre des Hébreux.
- Aaron, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Abuquer
Selon l'Histoire de l’Éthiopie (1540) de Francisque Alvarez, Abucher fut choisi pour second mari par une dame de la cour éthiopienne, qui renonça
à son premier époux en sa faveur. Cet exemple sera à illustrer la possibilité de la
dissolution du mariage parmi ce peuple.
- Alvarez, Dom Francisque, Histoire de l’Éthiopie dans Léon l’Africain, De l'Afrique, contenant la description de ce pays et, La navigation des anciens capitaines portugais aux Indes orientales et occidentales, 1556, trad. Jean Temporal, rpt. Paris, 1830, t. 3, p.77. Google livres, 21 novembre 2010.
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Adam
Dans les traditions juive, musulmane et chrétienne, Adam fut le premier homme, créé
par Dieu et mis dans le Paradis terrestre (Éden). Dieu créa également une femme, Ève, à partir de la côte d'Adam, ainsi représentant le mariage comme l'union de l'homme
et de la femme en une seule chair.
Selon la tradition, Ève, tentée par Satan, qui avait pris la forme d’un serpent, encouragea Adam à manger le fruit défendu ; ce péché originel, qui pèse sur toute l’humanité, provoqua Dieu à chasser les deux du Paradis. Ève
et Adam eurent trois fils, Abel, Caïn et Seth. Le premier livre de la Bible, la Genèse, raconte l’histoire du premier homme et de la première femme sur la Terre.
- Adam, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Adé
Commune du Tchad située au Soudan.
- Adé (Tchad), Wikipédia l'encyclopédie libre (7 novembre 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 22 novembre 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ad%C3%A9_%28Tchad%29.
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Agathias
Agathie, dit Agathias le Scolastique (c. 530-c. 580), un poète et historien grec,
devient juriste dans la petite ville de Sosthénion près de Constantinople. Après la mort de Justinien (565), Agathias entame une histoire du règne de celui-ci, long de cinq livres. Cet
ouvrage est une des sources principales sur la période 551-559. Agathias écrivit aussi
de petits poèmes d'amour et composa une Anthologie d'épigrammes en sept livres.
- Agathias, Wikipédia (21 juillet 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 27 juillet 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Agathias.
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Alexandre le Grand
Né en 356 av. J.-C. à Pella, Alexandre le Grand fut le fils du roi Philippe II et d’Olympias devenant en -336 roi de Macédoine ainsi que le chef de la Confédération hellénique.
Considéré comme un des plus grands conquérants de l'histoire, Alexandre le Grand créa
un empire s'étendant de la mer Ionienne à l'Himalaya. Il fonda Alexandrie en Égypte
(-332- -331) et choisit Babylone comme la capitale de son empire (-331). Il mourut à Babylone en -323 après quoi ses
généraux, les Diadoques, partagèrent son empire et se mirent à combattre par la suite,
assassinant sa mère Olympias, son épouse, Roxane, et son fils, Alexandre IV.
- Alexander the Great, Wikipédia l'encyclopédie libre (21 novembre 2023), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 décembre 2023. https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_le_Grand.
- Alexandre le Grand (~356-~323), Encyclopédie Universalis (2009), Paris, Encyclopædia Universalis, Internet, 1er octobre 2009.
- Alexandre le Grand ou Alexandre III, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Alexandrie en ar. al-Iskandarīyah, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Alvise Cadamosto, ou Alvide da Ca'da Mosto
Alvise Cadamosto, ou Alvide da Ca' da Mosto, également connu en portugais sous le
nom de Luís Cadamosto ou Luigi Cada-Mosto (c. 1432 - 1488) est un navigateur vénitien engagé par les Portugais pour explorer
les côtes africaines, notamment l’actuel Sénégal. Son journal de voyage édité à Milan
en 1507-1508 sous le titre de Navigatio ad terras ignotas fut publié en version latine à Paris en 1532. Ce fut un des best-sellers géographiques
de la Renaissance.
- Alvise Cadamosto, Wikipédia (26 mai 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 27 juillet 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Alvise_Cadamosto.
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Anaitide
Anaitide est le nom sous lequel les anciens Lydiens, Arméniens et Persans adoraient
la déesse romaine Diane, ou, selon certaines sources, Vénus.
- Anaitide, Dizionario della lingua italiana, Padova, nella Tipografia della Minerva, 1830, vol. VII. Google livres, Internet, 5 janvier 2011.
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André Alciat ou Andreas Alciatus
Andreas Alciatus (1492-1550) était un des plus célèbres juristes humanistes du XVIe
siècle. Né près de Milan, il s’installa en France où il était connu pour ses recherches
sur les textes légaux antiques. Son ouvrage le plus célèbre est l’Emblemata, un recueil de brefs textes latins illustrés de gravures sur bois, qui connut de
nombreuses rééditions dès sa publication en 1531. Alciatus est considéré comme le
créateur du genre du livre d’emblèmes, très populaire en Europe pendant les XVIe et
XVIIe siècles.
- André Alciat, Wikipédia l'encyclopédie libre (13 novembre 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 13 novembre 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Alciat.
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André Thévet
(Angeloume 1503 ou 1504 - Paris 1592). Moine cordelier et voyageur français qui visita
la Palestine, la Grèce, l'Italie, l'Asie Mineure et le Brésil, où il participa à l'expédition
de Villegaignon en 1555. Lorsqu'il retourna en France, il fut élu aumônier de Catherine de Médicis. En 1558, il devint le cosmographe et historiographe du roi. Il est l'auteur d'une
Cosmographie du Levant (1554) et des Singularités de la France antarctique (1571-1575).
- Thévet (André), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Angelo Rocca ou Camers Camerinus
Angelo Rocca (Rocca 1545 – Rome 1620), docteur en théologie et fondateur de la Bibliothèque
angélique à Rome, fut connu également comme Camers Camerinus au monastère augustin
à Camerino où il servit de supérieur. Il assuma d'autres postes importants, y compris
la direction de l'imprimerie du Vatican, le sacristain dans la chapelle pontificale
et l'évêque titulaire du diocèse des Augustins à Thagaste en Numidie (aujourd'hui Souk-Ahras en Algérie).
- Angelo Rocca, Wikipédia l'encyclopédie libre (14 janvier 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 14 octobre 2010. https://en.wikipedia.org/wiki/Angelo_Rocca.
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Antelminelli
Famille riche italienne appartenant à la faction gibeline. Vers 1300, Castruccio Castracani degli Antelminelli et son père furent exilés de la ville de Lucques par les Guelfes.
- Castruccio Castracani, Wikipédia l'encyclopédie libre (25 octobre 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 26 octobre 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Castruccio_Castracani.
- Castruccio Castracani, Encyclopædia Britannica Online (2010), Encyclopædia Britannica, Internet, 26 octobre 2010. https://www.britannica.com/biography/Castruccio-Castracani.
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Anthoine Castracaigne ou Castracagne
En 1280, la sœur de ce chanoine trouva un enfant abandonné dans le jardin de son frère,
qui décida d’élever l’enfant qui deviendra le célèbre capitaine Castruccio Castracani.
- Gruget, Claude, Les diverses leçons de Pierre Messie [Pedro Mexia], Gentil-homme de Sevile 1556, rpt. Paris, 1643, p. 826, Google livres, Internet, 13 novembre 2010.
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Antioche (en turc Antakya)
Ancienne ville de la Syrie antique fondée v. 300 par Séleucos Ier Nicator, général
d'Alexandre le Grand, qui devint la capitale de l'Empire séleucide et grand centre de l'Orient hellénistique.
Pendant la domination de l'Empire romain, Antioche était la troisième plus grande
et importante ville après Rome et Alexandrie. Elle fut également le siège de la mission
de Saint-Paul (47-55 ap. J.-C.) d'où l'un des premiers centres du christianisme. Antioche
se trouve actuellement en Turquie au nord-ouest de la frontière syrienne.
- Antioch, Encyclopædia Britannica Online (2010), Encyclopædia Britannica, Internet, 21 décembre 2010. https://www.britannica.com/place/Antioch-modern-and-ancient-city-south-central-Turkey.
- Antioche en turc Antakya, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.