
Ce frontispice met l'accent sur la consolation que représente les enfants dans le
mariage, selon les deux citations bibliques. La figure féminine prononce les paroles
de Rachel dans le livre de Genèse, XXX, 1, où elle exprime son désir d'avoir des enfants (
LA
Composé par le R. P. Thomas le Blanc,
Ouurage tres vtile & necessaire auxperson
nes Mariées.
1 A PARIS,
Chez Gilles André, ruë S.Iacques à l'Ima
ge S. François, attenant la vieille Poste. filet maigre M. DC. LXIV.
AVEC PRIVILEGE DV ROY. 2
[...] da mihi liberos alioquin moriardans la traduction de la Vulgate). Le prêtre répond en citant I Samuel I, 17, où Anna demande à Dieu de lui donner un enfant mâle. Le prêtre Eli répond que Dieu lui accordera ce qu'elle a demandé;
Deus Israel det tibi petitionem tuem. (Ce livre de la Bible était autrefois appelé le premier Livre des Rois, d'où
I Regici.) Voir latinvulgate.com.
LA
DIRECTION
ET LA
CONSOLATION
DES PERSONNES
MARIEES,
OV LES MOYENS
infaillibles de faire vn Mariage
heureux, d'vn qui seroit mal
heureux.
Auec l'abregé des vies de quelques Saincts
& de quelques Sainctes, qui ont beaucoup
souffert dans leurs Mariages.
Composé par le R. P. Thomas le Blanc,
de la Compagnie de Iesus.
Ouurage tres vtile & necessaire auxperson
nes Mariées.
1 A PARIS,
Chez Gilles André, ruë S.Iacques à l'Ima
ge S. François, attenant la vieille Poste. filet maigre M. DC. LXIV.
AVEC PRIVILEGE DV ROY. 2
APPROBATION.
IE Soubsigné Prouincial de la Compagnie de Iesvs, en la Prouince de Champagne, selon le Priuilege accordé à ladite Compagnie : par
les Roys tres-Chrestiens Henry III.
le 20. Mars 1583. Henry IV. le 20. Decembre 1608. Louys XIII. le 14. Fevrier 1619. & Louis XIV. à present
regnant le 23. Decembre 1650. Permets à Iean Riuiere, priuatiuement
à tous autres ; de faire imprimer le
liure intitulé : La Direction & la
Consolation des personnes Mariées.
Composé par le R. P. Thomas le
Blanc de la mesme Compagnie, &
ce sur les peines contenües audit
Priuilege. Fait en Nostre College
de Dijon le 24. Decembre 1663.
Pierre le Cazre.
3
4
bandeau
lettrine
M
ON cher lecteur, ie
vous presente ce petit
trauail, pour vostre
consolation, & pour la satisfaction des personnes d'honneur,
qui m'ont souuent pressé, en
France & en Italie, de vouloir
assister ceux qui sont dans le tracas du mesnage : & dans le malheur d'vn mariage infortuné.
Comme la maladie est extreme : aussi la difficulté d'y
trouuer des remedes doux &
efficaces, a plusieurs fois fait
trembler ma plume, & esbranlé ma resolution. Mais l'ardeur de ceux qui me poussoient
à ce dessein, ne me donnant
nulle treue : i'ay esté comme
necessité de ployer sous leurs raisons, dont ie vous veux faire
part. Ils me disoient auec vne
amiable colere & vne charitable importunité.
Quoy donc ? Aurezvous fait tant d'efforts, pour
aider diuerses personnes, sans
auiser au secours de ceux de la
vertu desquels dépend la perfection de tous les autres.
N'estes-vous pas entré
dans les armées, pour donner
aux soldats, au milieu de la
licence de la guerre, vn cœur
Chrestien ; & vne vertu
masle, qui remporte tous les
iours la victoire sur les vices :
leur presentant Le Soldat ge
nereux.
N'estes-vous pas en
Imprimé au
Pont à
Mousson.
tré dans les cabarets, pour y
apporter de la moderation : &
pour en retirer ceux qui y noyent
leur raison dans le vin, leur
Au Põt
& à
Dijon.
donnant l'Homme de bonne compagnie. N'estes-vous
pas entré dans les berlans, &
dans les lieux de desbauche, où
les blasphemes sont dans leur
regne, pour en bannir les iuremens & les execrations, leur
monstrant les foudres du Ciel,
qui pendent sur leurs testes : &
A
Dijon.
Dieu vangeur & ennemi
des blasphemes, des iuremens des maledictions, &
des imprecations.
Quoy ? N'auez-vous
pas tasché d'exciter tous les
Chrestiens à la modestie, au
silence & à la deuotion : dans
les temples dediez au Dieu viuant : par le Chrestien dans
A
Dijon.
l'Eglise : D'esclairer les petites filles dans les escoles : par
le Miroir des Vierges les
A
Dijon.
ieunes enfans dans les Colle
A
Paris,
chez
Binière
ges : par
le bon Ecolier.
Vovs auez penetré dans les
Cloistres des Religieux : leur
auez porté
l'Idée parfaite des
A
Lyon.
Chez
Barbier
Religieux, ou le sainct trauail des mains : qui contient
amplement toute la perfection
qu'ils doiuent acquerir enuers
Dieu, enuers le prochain, &
enuers eux-mesmes.
Vous n'auez point negligé
les gens de mestier, dans leurs
boutiques ; & les gens de labeur,
dans le lieu de leurs sueurs ; leur
A
Dijon.
monstrant
le bon Vigneron,
le bon Laboureur, & le bon
Artisan. Vous auez mené les
riches & les pauures par les rües:
& par tous les lieux, où ils
peuuent se perfectionner, & seruir leur Createur : leur donnant
A
Dijon.
pour guide le bon Riche &
le bon Pauure. Vous auez
visité les maisons, pour y essüier
les larmes des veuues, & pour
les auancer en la plus haute perfection : leur mettant en main,
A
Dijon.
A
Paris.
la consolation & la direction des Veuues. Vous n'auez pas mesmes negligé les Cochers & les Laquais, estant sur
le point de faire paroistre en pu
blic, le bon Cocher & le bon
Laquais.
Apres tous ces trauaux,
laisserez vous sans secours ceux,
de la vertu ou du vice desquels
depend la bonne conduite ou le
naufrage de tous ceux à qui
vous auez tendu la main ?
Si vn homme marié est desreglé dans son mesnage : où il a
toutes les occasions de viure en
paix, & de seruir Dieu: comment se fera-t-il vn soldat vtile à la Republique, & assez
genereux, pour dompter la violence de ses passions, au milieu
de la tempeste & de la furie des
armées & des batailles ?
Par quelle industrie fermerez-vous les cabarets, si vne
femme vit dans sa maison, comme vne megere, & ne donne
aucun repos à son mari le tourmentant par ses crieries, par ses
maledictions, & par ses rages.
La fumée ne le chassera point
si-tost de sa chambre : qu'elle le
fera sortir du logis : & chercher
dans vn berlan, auec des fripons, ce qu'il ne peut trouuer en
sa maison parmy ses domestiques.
Si le mary & la femme s'accoustument à des iuremens iournaliers & à des maledictions reciproques : par quel artifice arresterez vous la langue d'vn libertin, qui perd tout son bien en vn
coup de dez : ou qui reçoit vn
sanglant affront, par son ennemi ?
Le veritable moyen d'auoir
des Chrestiens deuots, dans les
Eglises : des filles modestes, dans
leurs escoles : Escoliers diligens, dans les classes : des Religieux feruens, dans les cloistres : des Artisans, des Laboureurs, des Vignerons courageux dans leurs fatigues : des
Riches moderez, dans leur prosperité : des Pauures patiens,
dans leur affliction : des Veuues
contentes, dans leur solitude : des
valets obeissans, dans leurs seruices, c'est de mettre ordre dans
la famille : & rendre la femme
& le mari vertueux.
Si la teste se conserue en bonne santé, tous les membres seront
dans vne vigueur, capable de
les fortifier pour toutes leurs fon
ctions. Si la teste est dans vne fascheuse langueur, tout le reste du
corps tombera en foiblesse, & ne
fera rien, dans la perfection necessaire. Lors qu'vne fontaine est
empestée, tous les ruisseaux sont
corrompus : & causent la mort à
ceux qui en puisent de l'eau.
Ne croyez donc pas auoir
fait grand progrez par vos liurets : si vous n'aidez le pere
& la mere de famille : dont depend la vertu & la saincteté
de tout le reste des hommes. Iusques icy sont les entretiens de
mes amis, ou plustost des vôtres: qui me sollicitoient de vous
assister.
Ie ne vous rapporteray point
le reste de leurs motifs. C'est
assez, que ce raisonnement paroissant tres-fort, i'y ay donné
les mains & le cœur : & me
suis euertué de trouuer des remedes à tous les maux que
vous souffrez : & à toutes les
passions, qui vous transportent.
Rendez-vous aux discours que
ie fais : & ie vous promets de la
part de Dieu, vne paix remplie de ioye & de consolation,
dans les plus cuisans trauaux
de cette vie : & vne immortelle felicité, dans le Ciel : où les
larmes & les plaintes ne trouueront plus de lieu : & où vn
eternel repos assouuira tous les
desirs de vostre ame. Ainsi soitil.
bandeau
TABLE DES CHAPITRES CONTENVS EN CE LIVRE. Livre premier.
filet mi-maigre- CHAPITRE I. LE Mariage est vn excellent Estat de vie, & tres-agreable à Dieu. page 1
- CHAPITRE II. Il ne se faut point marier par phantaisie, mais par vne meure deliberation 14
- CHAPITRE III. Il est fort difficile de n'estre point mal marié. 23
- CHAPITRE IV. Ceux qui sont mal Mariez, sont dans vn Estat tres douloureux. 30 §. I. Vne Femme mal marièe est vne Ame damnèe, si elle n'y prend garde. là mesme. §. II. Vn Homme mal marié est dans vn fascheux Purgatoire, quoy qu'il fasse. 34
- CHAPITRE V. Ceux qui sont mal Mariez, se peuuent faire de grands Saincts. 39 §. I. Vne Femme mal mariée, peut estre vne glorieuse Martyre de IesvsChrist. 40 §. II. Vn Homme malmarié peut deuenir vn parfait Confesseur de Iesvs-Christ. 44
- CHAPITRE VI. Quatre moyens generaux pour viure content & ioyeux, estant mal marié. 49 §. I. La Patience oste l'amertume des choses douloureuses, qui arriuent dans le mesnage. 50 §. II. La memoire de la Passion de Nostre Sauueur Iesvs-Christ, donne de la douceur dans l'amertume du mesnage. 57 §. III. L'exercice de la presence de Dieu, cause de la ioye au milieu des plus rudes attaques. 63 §. IV. L'Oraison obtient les forces necessaires, & vne constante perseuerance dans les afflictions domestiques. 70
LIVRE DEVXIESME.
- Chapitre I. LA Consolation & la Direction d'vne Femme, qui n'est point aimée de son Mary. 76 §. I. Remedes du costé de la Femme, qui croit n'estre point aimée par son mary. 79 §. II. Considerations pour le Mary qui n'aime point sa Femme. 93
- CHAPITRE II. La Consolation & la Direction d'vne Femme, qui est battuë par son Mary. 101 §. I. Aduis à la femme, qui est battüe par son mary. 102 §. II. Aduis pour le mary qui bat sa femme. III
- CHAPITRE III. La Consolation & la Direction d'vne femme dont le mary est ialoux. I2I
- CHAPITRE IV. La Consolation & la Direction d'vne Femme, qui a vn Mary débauché & peu chaste. 140
- CHAPITRE V. La Consolation & la Direction d'vne femme, qui est mal obeïe par ses enfans & par ses seruiteurs, sans que son mary les maintienne dans leur deuoir. 162 §. I. Aduis pour la femme bafoüée par ses enfans, & par ses seruiteurs. la mesme. §. II. Aduis pour le Mary; dont la Femme est mesprisée par ses enfans, & par ses ser- uiteurs. 173 §. III. Aduis aux Enfans, qui mesprisent leur Mere. 184 §. IV. Auis aux Seruiteurs, qui mesprisent la Maistresse du logis. 187
- CHAPITRE VI. La Consolation & la Direction d'vne Femme, laquelle a vn Mary auaricieux; qui la laisse & ses enfans dans la necessité. 190
- CHAPITRE VII. La Consolation & la Direction d'vne Femme, dont le mary est fascheux à son Pere,à sa Mere, à ses enfans d'vn autre lict, & aux Seruiteurs & Seruantes qu'elle affectionne. 209 §. I. Aduis à la Femme, dont les parens, & les domestiques sont mal traitez. la méme. §. II. Aduis pour le Mary, en ce qui concerne ses enfans & ceux de sa Femme. 214 §. III. Auis au Mary, touchant ses seruiteurs & ses seruantes, que sa femme supporte. 222 §. IV. Auis au Mary, pour ce qui concerne le Pere & la Mere de sa Femme. 228
- CHAPITRE VIII. La Consolation & la Direction d'vne Femme, dont le Mary ne gagne rien, ou par paresse, ou par maladie. 232
- CHAPITRE IX. La Consolation & la Direction d'vne Fem- me, qui a vn mary ignorant, stupide & méprisé. 252
- CHAPITRE X. La Consolation & la Direction d'vne Fem- me, dont le mary est gourmãd & yurogne. 272
- CHAPITRE XI. La Consolation & la Direction d'vne Fem- me, qui a vn Mary prodigue & joüeur. 289
- CHAPITRE XII. La Consolation & la Direction d'vne fem- me, dont le Mary est impie, qui luy empesche ses deuotions. 304
LIVRE III.
- Chap i. La loüange des fẽmes vertueuses. 333
- Chap. ii. Quatre auis generaux, pour faire d'vne mauuaise femme vne bonne. 344
- Chap. iii. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la Femme aime trop les Compagnies. 350
- CHAP. iv. La Consolation & la Direction d'vn mary, qui a vne femme libertine & débauchée. 367
- Chap. v. La consolation & la Direction d'vn Mary, dont la femme dépense trop en habit, & en d'autres superfluitez. 394
- Chap. vi. La Consolation & la Direction d'vn mary, dont la femme est auaricieuse. 410
- Chap. vii. La Consolation & la Direction d'vn mary,dont la femme traite mal son Pere, sa Mere, & ses enfans d'vn autre lit. 429
- Chap. viii. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la femme est possedée de ialousie. 440
- Chap. ix. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la Femme est sterile. 457
- Chap. x. La Consolation & la Direction d'vn mary, dont la femme est laide ou maladiue. 466
- Chap. xi. La Consolation & la Direction d'vn mary dont la Femme est grossiere, stupide & paresseuse. 476
- Chap. xii. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la femme est excessiue en ses deuotions. 486
- Chap. xiii. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la Femme est babillarde, & & inquietante par ses plaintes & par ses discours impertinens. 501
- Chap. xiv. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la Femme est colere mal gracieuse. 518
- Chap. xv. La Consolation & la Direction d'vn Mary, dont la Femme est superbe & desobeïssante. 546
LIVRE IV.
Vies de quelques Saints, de quelques Sain- tes, & d'autres personnes illustres & vertueuses, qui ont beaucoup souffert dans leurs Mariages.
- Chap. i. La vie de Saint Iob, Miroir de Patience. 554
- Chap. ii. La vie de Louis le Debonnaire, Empereur & Roy de France. 564
- Chap. iii. La vie de sainte Monique, Mere de sainct Augustin. 578
- Chap. iv. La vie de Saincte Anastasie, Martyre. 586
- Chap. v. La vie de Saincte Elizabeth, Reyne de Portugal. 590
- Chap. vi. La vie de la Bien-heureuse Ieanne Reine de France, & Fondatrice des Religieuses de l'Annonciation Nostre-Dame. 602
- Chap. vii. La vie de Catherine d’Espagne, Reine d'Angleterre. 611
- Chap. viii. La Vie de Catherine Iagellon, ou de Pologne, Reine de Suede & de Gothie. 621
- Chap. ix. La Vie de Marie Tessonniere, dite Marie de Valance. 632
- Chap. x. La Vie de Saincte Godolene. 644
filet décoratif
Extraict du Priuilege du Roy.
PAr grace & Priuilege du Roy, donné à Paris le vnziesme iour de Mars
1663. Il est permis à IEAN Riviere,
Marchand Libraire à Paris, d'imprimer
ou faire imprimer, vendre & debiter vn
Liure intitulé, La Direction & la Consolation des personnes mariées, Composé par le
Reuerend Pere Thomas le Blanc
Docteur en Theologie de la Compagnie
de Iesvs; Et deffenses sont faites à toutes
personnes de quelque qualité & condi
tion qu'elles soient, d'imprimer ou faire
imprimer ledit Liure pendant le temps &
espace de quinze ans entiers & accomplis, à compter du iour que ledit Liure
sera acheué d'imprimer, à peine d'en courir l'amande & la confiscation des exemplaires, ainsi qu'il est plus amplement
porté par ledit Priuilege.
Et ledit Riviere a associé auec
luy Gilles Andre' & Clavde Calleville, pour en ioüir coniontement ensemble, suiuant l'accord fait entre eux.
Registré sur le Liure de la Communauté
des Marchands Libraires & Imprimeurs de
cette Ville de Paris, suiuant & conformement à l'Arrest de la Cour de Parlement,
du 8. Auril 1653. & aux charges portées
par le present Priuilege.
Acheué d'imprimer pour la premiere fois
le 24. Avril 1664.
Les Exemplaires ont esté fournis.
I
bandeau
LA DIRECTION ET LA CONSOLATION DES PERSONNES MARIEES. LIVRE PREMIER. filet mi-maigre
CHAPITRE PREMIER. Le Mariage est vn excellent Estat de vie, & tres-agreable à Dieu.
lettrine; "I" (J) encadré, entouré de feuillesI. I
E ne pretẽs point disputer
aux Vierges & aux Religieux, les auantages & les
prerogatiues qu'ils ont au dessus de
ceux qui sont engagez dans les liens
2
du Mariage, & dans les soins d'vne
famille.
Mais ie maintiens,que les personnes
mariées peuuẽt arriuer à vne haute,
tres-heroïque, & tres-admirable saincteté : s'ils veulent cooperer aux graces
que Dieu leur presente,& se seruir des
occasiõs qu'ils rencõtrent pour s'éleuer
aux plus hauts degrez de perfection.
I'auouë qu'vn homme marié ne
peut demeurer iour & nuict à l'Eglise
pour y chanter les loüanges de Dieu:
qu'il ne peut ny porter souunet des cilices & des haires, ny faire plusieurs
disciplines, ny jeusner au pain & à
l'eau, ny se tenir retiré dans vne solitude, pour vacquer à la contemplation des choses diuines, auec vne si
tranquille & si parfaite liberté d'esprit,
qu'vn Chartreux ou qu'vn Anachorete.
Mais il peut exercer la Charité, qui
est la Reine & la plus eminente de
toutes les vertus, la patience, la debonnaireté, la justice, la force, la temperance, l'humilité, & toutes les
sainctes actions d'vn Chrestien. Il en
trouue à chaque moment des sujets
3
enuers sa femme, enuers ses enfans,
enuers ses seruiteurs & ses seruantes.
Sa porte luy offre tous les iours des
boiteux, des aueugles, des estropiants,
& des personnes reduites à vne extreme pauureté. Il a ses Fermiers necessiteux à diriger & à soulager. Il entend
souuent ses voisins, ses parens & ses
amis qui implorent son assistance. Il
peut selon ses moyens & son esprit,
soustenir sa Ville, sa Prouince & son
Royaume : y contribuër de ses soins,
de ses conseils, de son argent, & de
son sang, si la necessité l'y oblige. Selon sa vocation, il aide les villageois
dans leurs procez,dans leurs affaires,
& dans leurs miseres ; leur donnant
conseil, trauaillant pour eux, & leur
eslargissant ce dont ils ont besoin.
II. Dieu est vn sage Pere de famille.
Il occupe ses enfans à diuers Mestiers;
où ils peuuent s'auancer & faire fortune.
Les Vacations & les Offices des
hommes sont semblables aux saisons
de l'année, qui ont leurs commoditez
& leurs difficultez. Dieu les fauorise
4
tous, & offre son aide à tous. S'il a
honoré la Virginité en naissant d'vne
Vierge ; il a voulu qu'elle fust mariée.
Il a choisi l'Apostre sainct Iean Vierge
pour estre son Bien-aimé : mais il a
pris sainct Pierre qui auoit esté marié,
pour estre le chef de toute son Eglise.
Noé le Reparateur du Monde, Abraham le Pere des Croyans,tous les Patriarches & presque tous les Prophetes
ont esté mariez, & ont eu des enfans.
Moïse, le Legislateur des Hebreux,
qui auoit dompté Pharaon & toute
l'Egypte par de prodigieux miracles ;
qui auec sa houlette auoit changé l'eau
en sang, & la poussiere de la terre en
grenoüilles & en mousches : qui auoit
ouuert la Mer rouge, pour y faire passer
trois millions de personnes à pied sec :
qui ne marchoit qu'à la lumiere d'vn
Ange caché dãs vne nuée: qui parloit à
Dieu face à face, auec la mesme familiarité qu'vn amy discourt auec son
amy : qui sortoit de l'oraison auec vn
visage tout éclatant & lumineux : qui
faisoit pleuuoir le pain du Ciel, &
sortir l'eau des rochers, auoit vne
5
femme & enfans.
III. Dans la Loy de grace, nostre
Sauueur a voulu aller aux nopces, auec
la glorieuse Vierge sa Mere, & auec
tous ses Apostres : & les honorer par
le premier de ses miracles : conuertissant l'eau en vn vin delicieux.
Il donne maintenant sa benediction
à tous ceux qui reçoiuent le Sacrement
de Mariage : & leur confere la grace
sanctifiante, s'ils y sont bien disposez.
Ce qui est le plus considerable, & qui
peut causer vne grande ioye, c'est que
le Sacrement laisse vn droit d'auoir
d'autres graces actuelles, dans les occurrences, & dans le besoin de l'Estat,
où l'on doit viure le reste de ses iours.
Ces graces ont esté si puissantes,
qu'elles ont fait de tres - excellens
Saincts : & ont donné à l'Eglise des familles; où le mary & la femme ont esté
canonisez. Tels sont sainct Xenophon,
& sa femme Marie : sainct Castule, &
saincte Irene : sainct Nicostrate, &
saincte Zoë: sainct Seuerien, & saincte
Aquila : sainct Adrien, & saincte Natalie : sainct Maxime, & saincte Se-
6
conde: sainct Lucien, & sainct Paule.
On pourroit en rapporter diuers autres, s'il estoit necessaire : & vous estes
certain, qu'il ne tient qu'à vous d'estre du nombre de ces amis de nostre
Seigneur.
IV. Le Mariage ne donne pas seulement au Ciel le mary & la femme : il
les fait comme des arbres de vie, au
milieu du Paradis terrestre de l'Eglise :
qui portent des fruicts dignes des
yeux, des mains, & de la bouche de
Dieu.
Quelle chose pourroit estre plus
agreable à cette diuine Majesté, que
de contempler la mere des Machabées,
auec ses sept enfans qu'elle anime au
martyre ? que de voir les sainctes Felicité & Symphorose auec vn pareil
Marinæus
& Mariana
hist.
Hisp.
sed vocat
Marcellum
nombre ? & sainct Martiel auec onze
enfans, qui gagnerent tous la palme
& la couronne d'vn glorieux Martyre?
Saincte None sa femme mourut d'vne
façon miraculeuse avec le douziesme.
V. Vn Religieux n'a point cét auantage. Il est vn arbre excellent au parterre de l'Eglise: mais il est sterile. Que
7
s'il recompense par ses instructions, en
la culture des ames : il ne trauaille que
sur la matiere que luy offre le Mariage.
Et il s'est trouué des hommes mariez,
qui ont conuerty autant ou plus de
personnes à la veritable Foy qu'aucun
Religieux.
Sainct Estienne Roy d'Hongrie,
est estimé l'Apostre de toutes les Prouinces de ce beau Royaume. Sainct
Charlemagne Empereur & Roy de
France, est appellé l'Apostre des Saxons. Il les a instruits & conuertis,
auec la bouche des machines de guerre, & auec la langue des espées. Il a
aussi beaucoup seruy à l'Espagne & à
d'autres Royaumes, pour y maintenir la veritable Religion contre les Infidelles ?
VI. De plus, qui est-ce qui a donné à l'Eglise les Religieux. Qui est-ce
qui leur bastit des Monasteres ? Qui
est-ce qui leur donne des rentes ? Qui
conserue leurs biens des vsurpations
de l'impieté, sinon les personnes mariées,lesquelles par leurs trauaux s'acquierent des richesses : & par leur pie
8
té les consacrent à Dieu, entre les
mains de ses seruiteurs particuliers.
Et il peut arriuer que par l'exercice de la Charité, de la Iustice, de la
Patience, & de diuerses autres vertus:
vn homme marié sera plus vertueux
qu'vn Religieux, encore que son estat
ait moins de perfection. Sainct Ald
helme dit, en son Traicté qu'il a composé de la Virginité.
La Virginité est de l'Or: l'Estat des Veuues est de l'argent, & le Mariage est de l'airain.Quand cela seroit veritable: ie pourrois dire que l'airain de Corinthe a esté autrefois plus estimé que l'or mesme.
VII. Que si le Mariage est vn estat
propre pour les parfaits, il l'est beaucoup plus pour les foibles, qui sont
agitez de fascheuses tentations, &
sont continuellement dans les flots, en
peril de faire vn triste naufrage. Le
Mariage est un port, comme l'appelle
Sainct Gregoire, lequel conseille sagement, à ceux qui sont dans ces agitations d'esprit & de corps, de se lier à
cét Estat qui est donné de Dieu pour le
9
remede de la concupiscence, & pour la
L. 12.
Mor.
procreation des enfans.
Ceux, dit-il,
qui souffrent auec difficulté, & qui ont peine de surmonter les vagues des tentations de la chair, doiuent se retirer au port du Mariage.
L'Apostre dit clairement, qu'il
est meilleur de se marier, que de se
consumer dans les ardeurs de son
corps. Car il n'y a nulle offense en se
mariant : pourueu qu'on ne se soit
point astreint par aucun vœu, à vne
autre maniere de vie. Ainsi parle sainct
Gregoire.
VIII. La saincte Eglise a condamné comme heretiques, ceux qui ont
reprouué les nopces, Et veut mesmes
qu'on se puisse marier plusieurs fois,
si la necessité ou l'vtilité y oblige.
Sainct Paul écriuant à sainct Ti-
I. Tin.
4.
mothée, Euesque d'Ephese, declare
ouuertement, que ceux qui defendent
de se marier, se sont retirez de la veritable creance, qu'ils s'arrestent à vn
esprit d'erreur, & à la doctrie des demons : que ce sont des hypocrites, des
menteurs, & des hommes qui ont la
10
conscience cauterisée.
Escriuant aux Hebreux5, il dit,
Eph. 5.
32.
Que le Mariage doit estre honoré de tous: Et aux Ephesiens,
Que c'est vn Sacrement qui est grand en Iesus-Christ & en l'Eglise.
IX. Dieu l'a institué : & a ordonné
que nulle puissance humaine ne puisse
separer le mary d'auec sa femme, ny la
femme d'auec son mary : puis que luymesme les a vnis en deux corps, pour
estre vne mesme chose.
X. L'Ange Raphaël conduisit le
jeune Tobie auec de merueilleux soins,
& auec vne bonté incomparable : afin
de luy trouuer vne femme. Il luy enseigna tout ce qu'il deuoit faire en suite, mesmes pour ce qui concernoit l'vsage du Mariage. Ce qui prouue euidemment que tout y est sainct:moyennant qu'on y suiue les loix que Dieu y
a ordonnées.
XI. Dieu mesme commanda au
Prophete Osée de prendre vne femme,
de tascher d'en auoir des enfans, & de
leur imposer les noms qu'il luy designa. Que peuuent dire les ennemis du
11
Mariage contre toutes ces raisons si
pressantes & si euidentes.
XII. Sainct Augustin auance vne
In
Psal99.6
proposition plus auantageuse aux personnes qui sont dans le tracas du ménage, asseurant qu'vne personne mariée, qui est humble, est meilleure
qu'vn Religieux qui est orgueilleux.
XIII. Ie ne m'arresteray point à
vous déduire vne verité qui est toute
éuidente. Que le Mariage fait presque tout l'ornement du monde.
C'est le Mariage qui a assemblé les
hommes en des Communautez: qui a
estably les Loix, qui les a fait obseruer: qui a basty les Villes & les Palais:
qui a cultiué les terres & les vignes :
qui dirige les armées : qui trauerse les
mers, & qui exerce tous les Arts que
nous voyons, & que nous admirons.
Demandez à vn Marchand qui va
aux Indes, sans se soucier ny des flots
de la mer, ny des rochers de la terre,ny
des vens de l'air, ny des Pyrates, ny de
mille incommoditez, quel motif il a
de son voyage ? Il vous répondra incontinent : Que le dessein d'enrichir
12
ses enfans l'anime, & luy oste la
frayeur des perils qui s'offrent à luy
tous les iours.
Interrogez vn Seigneur, Qui estce qui le pousse à exposer sa vie dans
les attaques des Villes, dans les batailles & dans les assauts, il dira : Que le
desir d'auancer sa famille, pour le bien
de sa posterité, luy communique cette
ardeur, & luy fortifie le cœur & les
bras.
XIV. Enfin, si vous ostiez le Mariage de la terre, vous osteriez la charité des familles, n'y ayant nulle liaison entre les hommes. Aujourd'huy,
on rejette au nombre des bestes brutes,
ceux qui n'aiment pas leurs femmes,
leurs enfans, leurs peres, leurs meres,
leurs oncles, leurs tantes, leur cousins, leurs cousines, & tous les
alliez.
L'esperance mesme de pouuoir vn
iour s'allier à vne famille, auec laquelle on n'a nulle proximité de sang, fait
qu'on agit auec tous ceux d'vne ville
& d'vn païs auec plus de reserue, que
si l'on estoit certain, que iamais on ne
13
pourroit y auoir aucune vnion ny alliance : Et pour cette cause, l'Eglise a
defendu, que les parens aux quatre
premiers degrez ne se puissent marier
ensemble, afin que diuerses familles
ayent vn moyen plus facile de s'vnir
en charité. Et de ce fait, on trouue des
Villes, où la pluspart sont liez
par le moyen de parenté ou d'alliance,du mary ou de la femme : ce qui
empesche beaucoup de haines, de detractions, de proccz, & d'autres inconueniens.
XV. Si Dieu auoit ordonné, comme il pouuoit, que la production des
hommes se fist sans le Mariage : toute
la terre seroit vn desert. L'vn se retireroit dans vn bois, pour n'estre interrompu de personne. L'autre se cacheroit dans quelque grotte de montagne, ou dans quelque petite cabane
de Berger. Chacun demeureroit dans
vn chagrin melancholique, & ne se
soucieroit de chose aucune qui concernast le bien public.
XVI. Ne méprisons donc point le
Sacrement de Mariage, puis qu'il est
14
si vtile, & pour le bien de la Republique, & pour l'vtilité des familles:que
Dieu l'a institué & commandé : que
Iesus-Christ l'a honoré de sa presence,
& esleué à la dignité d'vn Sacrement
de son Eglise : que les Anges l'ont
conseillé, & que tous les Saincts l'ont
loüé & respecté, dans la consideration
de ses vtilitez, pour l'establissement des
Royaumes, pour la victoire de tentations, & pour l'acquisition des plus
eminentes vertus.
filet décoratif
CHAPITRE II. Il ne se faut point marier par phantaisie, mais par vne meure deliberation.
I. LE feu de la jeunesse est si actif,
& fait ses efforts auec tant de
promptitude, qu'il est souuent impossible à la prudence humaine de moderer ses ardeurs & d'empescher ses rauages. Que si l'amour y mesle ses
15
flammes & son aueuglement, il est
semblable à vn torrent impetueux, qui
sortant d'vne montagne enflammée,
desole toute la campagne, & ne peut
estre retenu par aucune industrie.
La jeunesse qui brusle du feu de
l'amour, pour venir à bout de ses desseins, foule aux pieds sa noblesse, ses
richesses, sa santé, ses commoditez, &
tout ce qui est de plus souhaitable en la
vie.
II. Pour grands que soient les
maux, qui sont causez par la temerité
d'vn jeune homme, ils paroissent tolerables, s'ils sont de peu de durée. Mais
vn Mariage mal fait est vn malheur
eternel, & dont rien ne peut deliurer
que la mort d'vne des deux parties.
C'est Iesus-Christ mesme qui l'ordonne en sainct Matthieu.
Que l'homme Cap. 19.7 ne separe point ceux, que Dieu a conjoints ensemble.
III. L'Amour est vn feu de paille
qui s'allume dans vn clin d'œil, qui
éleue ses flâmes fort haut,& qui a vn si
furieux embrasement, qu'il est capable de reduire en cendres les plus belles
16
maisons, & les plus riches Palais.
Neantmoins ce feu folet s'esteint facilement, & lors qu'on y pense le
moins.
Qui plus est, lors qu'il n'est fondé
que sur vne vaine phantaisie, sur vne
illusion de beauté, ou sur quelque
chose sujette à changement:il se transforme souuent en vne si grande haine,
qu'on ne peut souffrir la veuë de l'objet, qui auoit charmé les sens & le
cœur : & qu'on auoit recherché à trauers les espées & les hazards d'vne
mort honteuse.
Cette verité parut dans Amnon,
le fils aisné du Roy Dauid, Ce jeune
Prince,charmé & ensorcelé de la beauté de sa sœur Thamar, la força &
en abusa. A l'instant, il conçeut vne
si déraisonnable & si furieuse auersion
d'elle, qu'il la chassa de son logis, &
n'en voulut iamais plus oüir parler.
Plusieurs sont comme les poissons, qui à la veuë de la nasse desirent
d'y entrer : & qui ne sont pas plustost
dedans, qu'ils font tous leurs efforts
pour en sortir. Vous les pouuez aussi
17
comparer aux oyseaux qui courent à
l'amorce, & qui se trouuant pris au
glu, se tourmentent en battant des
aisles pour se dégager.
IV. Que feriez-vous si vn pareil
malheur vous arriuoit, apres que vôtre passion auroit jetté son feu ? Les
Loix diuines & humaines vous obligent de demeurer iour & nuict & toute vostre vie, auec la femme que vous
aurez vne fois prise. Si vous la voyez
pauure ou roturiere, ou beaucoup au
dessous du lustre de vostre famille,
vous aurez vne infinité de regrets,
d'auoir par vne legereté precipité
perdu vostre reputation, rabaissé
vos enfans, attristé vos parens & vos
alliez.
V. Le meilleur conseil que ie puisse
vous donner, est : de vous seruir d'vne
meure deliberation, de consulter nôtre Seigneur par de feruentes oraisons,
& de luy demander les lumieres necessaires pour vn choix si important,
de vous informer des inclinations &
de la volonté de vostre Pere, de vostre
Mere, & de vos autres parens. Sur
18
tout, ne vous mes-alliez iamais, ny
pour ce qui concerne les biens, ny
pour ce qui regarde la noblesse.
VI. Ie vous conseille mesmes, de
ne point viser plus haut que vostre
portée. Car si vous auez vne femme
notablement plus noble, plus riche,
& mesme plus belle & plus adroite
que vous : vous estes vn euident
peril, qu'au lieu d'vne femme qui vous
obeïsse selon son deuoir : vous n'en
ayez vne qui fasse la Maistresse & qui
vous gourmande.
Ioan.
Petersius in
Chron.
Holsat.
Ces motifs pousserent les Holsatiens à ordonner, qu'vn homme noble prist vne femme noble : qu'vn
homme libre en prit vne libre, &
qu'vn esclaue ne se pust allier qu'à vne
esclaue. La peine de ceux qui contreuenoient à cette Loy, estoit vne mort
ignominieuse.
Du
Iarric.
hist.des
Ind. l.
2. Ch.
14.
Les Loix de l'Empire du Calecut
sont plus fascheuses. Non seulement
les Nobles, & ceux qui ont la liberté,
sont obligez encore aujourd'huy de
prendre vn party égal : mais vn Charpentier, par exemple, ne peut auoir
19
pour femme que la fille d'vn Charpentier: vn Masson, que la fille d'vn Masson, & ainsi du reste. Cela est fort rude : & empesche, qu'vn bel esprit ne
puisse iamais porter son vol bien haut.
Mais ce reglement maintient la paix
dans les familles particulieres.
VII. Il est vray, que la ressemblance est la mere de l'amour, & de l'amour
solide & constant, toutefois il faut
auoüer, que l'excellence de l'esprit
peut & doit tenir lieu de noblesse & de
richesses. Les parens y doiuent auoir
vn grand égard : mais ils ne doiuent iamais violenter les enfans à vn
party qui ne leur agrée point.
Il est plus facile, mais plus perilleux, de faire consentir les filles à vn
Mariage desauantageux & desagreable. La crainte & la vergogne leur ferment le cœur & la bouche : & ne leur
permettent pas d'expliquer leurs desirs
ny leurs auersions.
Pour éuiter ce peril, les Indiens
Cæl. l.
1 .cap.
31.
menoient leurs filles dans vne place
publique, lors qu'elles estoient en âge
20
d'estre mariées. Vne multitude de ieunes gens y accouroit, & la fille choisissoit en toute liberté, celuy qu'elle
connoissoit auoir plus de vertu & plus
de rapport à ses humeurs.
VIII. Si vous auez vne antipathie
naturelle de quelque personne, auertissez en serieusement vos parens : &
par vous-mesme, & par ceux qui ont
de l'authorité sur leurs esprits. Toute
la contrainte que vous apportez à
vous vaincre, ne sera point de longue
durée. Et si par vostre silence, vous
vous laissez engager dans vne alliance,
qui soit contre vostre desir : la tristesse
vous accablera dans la continuation
d'vn malheur, que vous verrez ineuitable.
De cette resolution dépend vostre
vie : de vostre vie, depend vostre mort :
& de vostre mort, l'eternité. Parlez
donc auec liberté, mais auec modestie. N'acceptez point en vne heure,
ce que vous regretterez en tous les
momens qui vous resteront.
IX. Que si la demande de vos pa
21
rens est raisonnable:& que vos amours
soient volages, & mal fondez : accommodez-vous à leur volonté : Et generalement parlant, c'est le meilleur, &
ce que Dieu benit dauantage: si l'auersion naturelle n'est point trop grande:
ou les defauts de celuy qu'on presente
trop notables, & qui choquent trop
puissamment vostre imagination. Ainsi
Rebecca accepta Isaac, Lia & Rachel
accepterent Iacob, & Sara prit pour
mary le ieune Tobie : & le Ciel versa
ses plus diuines benedictions sur toutes ces familles.
X. Les parens doiuent auoir compassion de leurs enfans, lors qu'ils
voyent des auersions naturelles trop
excessiues. Il vaut mieux leur laisser la
paix & la joye dans vne moindre fortune : que de les brusler des flammes
d'vne colere & d'vne rage infernale,
dans vn estat brillant.
Les antipathes de la nature preuiennent nostre liberté. Nous en voyõs
aux animaux mesmes, aux poissons, &
aux oyseaux de si étonnantes, que nous
aurions peine de les croire : si nos yeux
22
ne nous en faisoient vn fidelle rapport.
Souuent, dés le premier abord, sans
iamais s'estre veus, ils s'attaquent, ils
se tuent, & se mettent en pieces les
vns les autres. Ils portent mesme quelquefois leur haine apres la mort : Le
sang des vns ne se pouuant joindre au
au sang des autres, & les chordes faites de leurs entrailles se taisant, lors
que celles de leurs ennemis sont pro
Plin.
l. 28 c.
4.
ches & resonnent. Si mesme vous
mettez les peaux de l'Hyene & de la
Panthere ensemble : le poil tombe à
celle de la Panthere.
Voudriez-vous donc mettre vostre
fils & vostre fille dans vne telle conjoncture, qu'ils dessechassent sur leurs
pieds & dans leurs cœurs, estant continuellement tourmentez par ces
auersions consumantes.
XI. Enfin, si vous considerez combien de qualitez il faut en l'homme &
en la femme, & en tout ce qui se trouue dans la famille pour vn Mariage accomply: vous serez tres-reserué à vous
lier à cet Estat, & vous y apporterez
vne tres meure deliberation, auant
23
que de permettre qu'on vous serre par
des liens indissolubles, dont on ne
pourra iamais vous déliurer.
filet décoratif
CHAPITRE III. Il est fort difficile de n'estre point mal marié.
I. THeophraste a fait vn Liure tou chant les nopces, où il demɑ̃de.
Si vn hõme sage doit prendre vne femme ? Et il respond, que si vne femme
est recommandable par sa beauté, par
ses bonnes mœurs, & par la vertu de
ses parens, vn homme sage s'y peut
marier : s'il a vne bonne santé, & des
moyens pour faire subsister sa famille
auec facilité & auec honneur. Ainsi
parle ce Philosophe.
II. Mais il adjouste, Que tout cét
assemblage de perfections se rencontre
rarement dans vn Mariage : & que par
consequent, vn homme sage doit s'exempter d'vn joug si rude & si pesant.
En premier lieu, dit-il, les soins le
24
detournent de l'estude de la Philosophie, & il luy est impossible de vacquer suffisamment à ses Liures, & aux
desirs d'vne femme. Elle a besoin de
plusieurs choses qui sont difficiles à
trouuer. Elle desire des habits precieux, de l'or, des perles, des superfluitez, des seruantes, des meubles de
plusieurs sortes, des litieres, & des carosses dorez. Toute la nuict elle est importune par ses plaintes & par ses lamentations : & rompt les oreilles
d'vn mary, fatigué par le continuel
trauail de la iournée. Celle-la, dit-elle,
est mieux habillé que moy : elle en est
honorée par vn chacun : & ie gemis dãs
le mépris & dans le rebut au milieu des
compagnies. Pourquoy auez - vous
jetté les yeux sur nostre voisine ? Quel
motif vous pousse à tant parler à nostre
seruante? Combien auez-vous rapporté d'argent au retour du Parquet?
Sa jalousie fait qu'on ne peut auoir
l'amitié d'aucune autre femme : l'amour qu'on témoigneroit à quelqu'vne, luy paroistroit vne haine formée
contre elle.
25
Si quelqu'vn est capable de se faire connoistre par sa doctrine dans vne
meilleure Ville que la sienne, il n'y
peut aller auec sa femme, & ne peut
neantmoins la quitter sans crime. Si
elle est pauure, sa nourriture est difficile à trouuer. Si elle est riche, elle est
à charge par son insolence.
III. Adjoustez à tous ces malheurs,
qu'il n'est point permis d'en choisir
vne autre. Quelle quelle soit il la faut
retenir, la nourrir & viure auec elle
iusqu'à la mort. Si elle est stupide,
colere, laide, orgueilleuse : on ne le
connoistra pas bien qu'apres les nopces. On donne permission à vn Marchand d'éprouuer vn cheual, vn asne,
vn bœuf, vn chien, & les plus chetifs
des esclaues. Les habits mesmes, les
pots, les chaises, les vases de terre &
de bois, auant que de s'engager à l'achapt. La femme seule se tient close
& couuerte: de peur qu'elle ne deplaise, auant le contract solemnel qu'on
Lib. I.
c. 28.
& 29.
en fait. Ce sont les paroles de Sainct
Hierosme, au Traicté qu'il a fait contre l'Heresiarque Iouinien. Où il re
26
marque, Qu'vn Gentilhomme Romain estant repris de ce qu'il auoit refusé vne femme, qui estoit belle,chaste
& riche : il montra son pied, & dit.
Ce soulier, que vous voyez, vous paroist beau pour sa nouueauté : mais
vous ignorez où il me blesse. Il vouloit dire, qu'il sçauoit des imperfections secrettes de celle, dont on luy
faisoit des Eloges.
IV. Il est tres difficile de trouuer
vne personne qui soit si accomplie
que rien ne luy manque : beaucoup
plus est-il impossible d'en trouuer plusieurs. Et neantmoins il y a dans vn
ménage, non seulement vne femme,
mais aussi des enfans, des seruiteurs,
des seruantes, des Fermiers, des creanciers, des debteurs, qui causent plusieurs fascheries, plusieurs procez &
plusieurs pertes. Comment donc ne
confesserons-nous pas, qu'il est difficile de n'estre point mal marié.
V. Pour ne parler presentement
que de la femme, si l'on en rencontre
vne mauuaise, sans doute toute la vie
sera remplie de quantité de miseres.
27
Sainct Chrysostome dit,
Qu'vne mau In Matth. c. 19. uaise femme n'est autre chose, que l'ennemie de l'amitié & de la paix, vne peine ineuitable, vn mal necessaire, vne tentation naturelle, vne calamité souhaitée, vn peril domestique, vn dommage delectable, vne malice ornée d'vne belle couleur.
Stob.
serm.
66.
Le Philosophe Thalés, qui fut l'vn
des sept Sages de la Grece, auoit vne si
grande frayeur de mal rencõtrer: qu'étãt pressé par sa mere en la fleur de son
âge de prendre vne femme, il répondit,
qu'il n'estoit point encore temps : Et
sur la mesme inuitation, dans vn âge
plus auancé, il luy repartit qu'il estoit
trop tard. Ce qui reuient à l'opinion
de Platon, qui disoit : Qu'en la Ieunesse il n'estoit pas encore temps de se
marier : & qu'en la vieillesse c'estoit
folie de le faire.
Quelques Philosophes ont escrit,
Que si les hommes estoient sans femmes, ils seroient dignes de la visite &
de la conuersation des Dieux.
VI. Tout cela se dit auec plus de
chaleur que de verité. Le Mariage est
28
sainct : mais il faut prendre garde,
comment on l'entreprend. Et lors
qu'on s'y est obligé, il faut passer par
ses difficultez, comme par vn chemin
qui est bon, & qui meine droict au terme où l'on va : mais qui est herissé
d'épines.
Laer.
lib.2.8
Le premier estant interrogé, si vn
homme sage deuoit se marier, repartit
à celuy qui parloit. Me tenez-vous
pour vn homme sage ? Ouy, Monsieur,
repliqua celuy qui vouloit sçauoir le
sentiment d'vne personne si renommée. Ie suis marié, adjousta le Philosophe.
Ibid.9
Socrate dit encore mieux. Soit que
vous preniez vne femme, ou que vous
n'en preniez pas : c'est merueille, si
vous n'auez diuers repentirs de vostre
resolution. Il donnoit à entendre, que
le Celibat & le Mariage ont leurs difficultez particulieres qu'on ne peut
éuiter.
Le Celibat est seul sans enfans, &
29
sans posterité, & voit son bien passer
en des mains estrangeres. Le Mariage
a pour ses compagnes les anxietez continuelles, les lamentations qui ne
trouuent iamais de fin, les reproches
du peu de dot qu'on a donné,vn visage
arrogant des alliez, vne belle-mere
babillarde & querelleuse, des euenemens incertains pour les enfans, pour
la femme, & pour les biens. Ainsi
il n'est point icy question de faire vn
choix entre le bien & le mal, mais
entre deux maux, dont il faut peser la
grandeur, afin de prendre le moindre.
VIII. Tous ces raisonnemens vous
prouuent le peril qu'il y a de mal rencontrer si l'on se marie, & la necessité de mettre vn temps raisonnable,
pour auoir cette satisfaction d'esprit,
d'auoir fait son deuoir en vn choix de si
grande importance. Ce soin pris dans
la veuë de son son salut, est vne des plus
asseurées consolations qu'on puisse
auoir dans toutes les amertumes qui
se rencontreront en diuerses occurrences, durant tout le cours de la
vie.
30
bandeau
CHAPITRE IV. Ceux qui sont mal Mariez, sont dans vn Estat tres-douloureux.
CHacun estime que ce Tyran
Mezence.
estoit tres-cruel, lequel joignoit
vn corps mort auec vn corps viuant:
afin de faire mourir dans la puanteur
du mort, celuy qui estoit en vie.
Mais ce mal n'estant point de longue durée, & se finissant dans peu de
iours, estoit moindre que le malheur
d'vn mary, vny par le contract de Mariage à vne mauuaise femme : ou d'vne
femme jointe à vn mauuais mary. Expliquons cette verité.
§. I. Vne Femme mal mariée est vne ame damnée, si elle n'y prend garde.
L'Enfer est terrible à cause de l'horreur du lieu, de l'ardeur du feu, de la
compagnie des demons & des damnez,
de l'eternité des peines & du desespoir,
qui prouient de tous ces maux.
Le mesme malheur presque se re
31
trouue, lors qu'vne femme est obligée
de demeurer toute sa vie auec vn mau
Plut.
de sup.
p. 295.
uais mary.
Premierement, sa maison est dans
de continuelles tenebres. Elle ressemble à ce païs des Cimmeriens : qui,
comme on conte, non seulement viuoient dans l'obscurité : mais ignoroient mesme qu'il y eust vn Soleil au
monde. Dans cette miserable maison,
ce ne sont que pleurs, que lamentations, que regrets,d'auoir iamais mis le
pied, en vn lieu si deplorable.
Secondement, le feu de la colere,
& le desir de la vengeance s'allument
d'vne telle sorte ; qu'aucunes fois la
rage pousse à des actions tres-funestes,
dont ie n'ose soüiller ce papier. Le
cœur d'vne femme qui est dans vne
continuelle tristesse, est semblable aux
statuës de l'Idole Moloch , qu'on faisoit embraser, & lors qu'elle estoit
toute rouge de feu, on y iettoit des enfans pour les brusler & consumer.
Toutes les pensées de ces pauures creatures affligées les tourmentent, les
font perir à petit feu : & ne leur don
32
nent aucun rafraischissement, ny iour
ny nuict.
Troisiesemement, vn homme impie & furieux est vn demon enragé,
qui ne fait que remplir l'air d'execrations & de blasphemes, & qui frappe
sans raison, sur ceux qui luy donnent
le moindre déplaisir.
Solin.
pag.97
Les Angiles10,
peuple barbare, n'adoroient aucunes diuinitez, que celles
qu'ils reconnoissoient dans les enfers.
Les hommes scelerats sont encore plus
execrables. Ils sçauent qu'il y a vn
Dieu dans les Cieux, qui merite la veneration & l'adoration de tous les
Estres créez. Et neantmoins, ils le
blasphement & le maudissent pour
plaire aux demons.
Ils sont en cela pires que ces
Strab.
lib.5:
Ethiopiens, qui dés le matin maudissoient le Soleil d'Orient, & se cachoient dans des Marais pour se garantir de ses ardeurs.
Dieu donne de la lumiere & de la
chaleur à toute la terre, & merite pour
ses bien-faits l'amour & le culte de
tous les peuples. Et toutefois ces fu
33
rieux & ces yurognes le deshonorent
par leurs impietez ordinaires.
N'est-ce pas vn grand supplice
d'auoir sans cesse les oreilles battuës
des blasphemes de ces monstres forcenez, & d'oüir les maledictions & les
imprecations que les enfans, les seruiteurs & les seruantes leurs donnent. Si
l'on viuoit parmy les Ours, parmy les
Lions, & parmy les serpens, on n'auroit point plus de douleur, & on ne
seroit pas dans vn plus grand peril
Greg.
9. Mer.
c. 48.
pour le salut de son ame.
Quatriesmement, l'Eternité est le
plus grand malheur des damnez, qui
comme dit sainct Gregoire, ont vne
mort sans mort, vne fin sans fin, vn
defaut sans defaut. Car leur mort vit:
leur fin commence tousiours, & leur
defaillance tourmente, & ne chasse
iamais la frayeur : leur flamme brusle
& est sans lumiere. Tout cela, & ce
que ce sainct Docteur adjouste, conuient tres-veritablement à vn Mariage
mal fait, qui doit durer tout le long
de la vie.
Cinquiesmement, enfin de cette
34
perpetuelle durée, sans apparence de
separation ny de soulagement, suit vn
cruel desespoir de ne sortir iamais de
ses douleurs. La femme qui est dans
ce deplorable estat, maudit mille fois
l'heure qu'elle a veu son mary, ou plûtost son bourreau : Elle maudit l'heure
qu'elle luy a parlé, qu'elle a consenty à
son alliance, qu'elle est entrée en son
logis, qu'elle a mangé auec luy, &
fait le reste des deuoirs du Mariage.
N'est-ce pas veritablement estre dans
vn enfer continuel que de viure de la
sorte.
§ II. Vn homme mal marié, est dans vn fascheux Purgatoire, quoy qu'il fasse.
Ie ne le mets qu'en Purgatoire,
dautant qu'il est le maistre du logis, &
qu'il en sort lors qu'il luy plaist, pour
se diuertir dans le trafic & dans d'autres affaires. Mais la femme est obligée de gemir continuellement dans sa
maison, sans aucun pouuoir de donner
de l'air à sa douleur, lors qu'elle est
tombée entre les mains d'vn mauuais
mary qui est son Maistre, & à qui elle
35
est obligée d'obeïr.
Si neantmoins vous voulez, vous
pouuez auec raison mettre aussi dans
les Enfers vn homme qui est mal marié. Car, comme Dieu mesme asseure. Il est meilleur de demeurer auec les
Lions, auec les Serpens, & auec les
dragons, qu'auec vne méchante femme. D'où il est facile de tirer vne consequence, qui concluë qu'elle est vne
furie d'enfer. Parce que n'y ayant rien
au monde, qui soit pire que la cruauté
des Lions, & le venin des Serpens &
des dragons : celle qui est plus à craindre doit estre de la nature des diables,
rien ne se trouuant sur la terre égal à sa
malice.
Ie n'oserois dire ce que les anciens
Autheurs & les Saincts Peres en ont
marqué dans leurs escrits. Laissons les
parler sans rien y adjouster : Nous verrons en son lieu les loüanges des femmes vertueuses.
I. Le Philosophe Secundus estant
Max.
ser.92
prié de dépeindre vne femme mauuaise.
de Decoll: S.
Ioan.11
C'est, dit-il, le naufrage du mary, la tempeste du logis, l'empeschement du 36 repos, la captiuité de la vie, vn dommage iournalier, vne bataille volontaire & sans relasche, vne guerre qui se fait à grands frais, vne beste farouche, auec qui l'on est forcé de boire & de manger tous les iours, vn soin plein d'anxieté, à qui neantmoins il faut montrer de la confiance, vne Lionne qui embrasse, vn gouffre qui paroist beau & aimable, vn animal malicieux, & vn mal necessaire.
II. Sainct Chrysostome, traictant
de la meschanceté d'Herodias parle en
ces termes.
Les Lions respecterent le Prophete Daniel dans la fosse où il fut ietté par ses ennemis : & l'impie Iezabel tua le iuste Naboth. La Balene conserua Ionas dans son ventre : & la perfide Dalila mit entre les mains des Philisthins le valeureux Samson, apres l'auoir trompé par ses artifices, & luy auoir coupé ses cheueux par sa déloyauté. Les dragons & les aspics ont reueré sainct Iean Baptiste au desert, & ont deposé leur ferocité à ses pieds, & voicy qu'Herodias luy coupe la teste, & la demande pour le prix de sa dan 37 ce. O le pernicieux & le cruel dard du demon qu'vne méchante femme. Adam fut chassé du Paradis de delices par vne femme. David fit massacrer malheureusement Vrie vaillant Capitaine, estant incité par vne femme. Les femmes precipiterent Salomon, le plus sage des hommes, dans le sacrilege & dans l'Idolatrie. Vne femme lia le chaste Ioseph, & le confina dans vne prison.
Que m'arrestay-je au dommage qui en arrive aux hommes, veu qu'vne femme a fait tomber les Anges du Ciel, & a jetté au plus profond des abysmes ceux qui par leur saincteté estoient esgaux aux Seraphins. La malice de la femme renuerse tout, elle tuë tout, & reduit tout au neant. Elle ne pardonne à personne. Elle ne respecte ny les Diacres, ny les Prestres, ny les Prophetes. O le mal, qui surpasse tous les maux, qu'vne femme vicieuse, soit qu'elle abonde en richesses, ou qu'elle soit pauure! Si elle a le pouuoir de nuire selon ses desirs ! O le mal intolerable, & la vipere, qui a du poison sans remede, 38 qu'vne femme meschante & impudente! Si on luy fait quelque tort, elle entre en des rages inexplicables, & qui luy font perdre l'esprit. Si on l'honore, elle deuient orgueilleuse & insupportable. Si son mary est puissant, elle ne cesse iour & nuict de le porter à des crimes. Elle le caresse auec malignité, & le pousse auec violence à l'execution de ses desseins. Si son mary est pauure, elle l'incite sans cesse à la colere & aux debats auec ses voisins. La crainte de Dieu ne donne aucune retenuë à sa langue : & dans ses furies, elle ne pense nullement au iour du Iugement, & ne leue iamais son cœur à Dieu.Voilà vne partie de ce que sainct Chrysostome écrit de la malice de cette Megere.
Ie ne rapporteray point icy d'autres authoritez, tous les saincts Peres
entrans dans la pensée de sainct Chrysostome, & tous les Philosophes Payens, dans celle de Secundus.
Vous voyez euidemment, quels
tourmens ressentent ceux qui sont
obligez de viure & de mourir entre les
39
mains de ces monstres : & combien
grand est leur Purgatoire, ou leur
Enfer.
Nous verrons amplement au troisiesme Liure, le profit qu'ils en peuuent faire. Disons en maintenant vn
mot : & donnons aussi quelque consolation aux femmes, qui ont rencontré
vn mauuais mary.
filet décoratif
CHAPITRE V. Ceux qui sont mal Mariez, se peuuent faire de grands Saincts.
TOute nostre vie est vn chemin à
l'Eternité : & par consequent, le
meilleur Estat est celuy qui nous offre
des sentiers plus asseurez pour arriuer
à vne sublime perfection, quoy qu'ils
soient bordez de ronces & d'espines.
Tel est l'estat d'vne femme mal mariée,
il semble qu'elle ne marche que sur des
precipices : mais si elle veut bien agir
dans le chemin de la Croix, elle y rencontrera de tres illustres couronnes.
40
§. I. Vne Femme mal Mariée, peut estre vne glorieuse Martyre de Iesus-Christ.
S.Tho.
22. qu.
124.
art.1.12
Le Martyre est vn acte de quatre
vertus : qui sont, la Force, la Patience, la Charité & la Foy. La Force exerce cét acte, comme la premiere & la
principale cause : la Patience vient en
suite : la Charité le commande, & la
Foy en est la fin.
La Mort est de l'essence du Martyre, comme enseigne sainct Thomas,
& si elle ne s'ensuit, on ne tient point
le Martyre parfait & accomply.
Les tourmens & la mort mesme
ne manquent point à vn Mariage mal
fait : & vn mary cruel, auaricieux,
yurogne, farouche, arrogant, brutal,
colere, luxurieux, & corrompu par de
semblables vices, est vn bourreau impitoyable, qui fait mourir tous les
iours vne pauure femme ; laquelle
desseche sur ses pieds, & noye sans
cesse sa vie dans vn torrent de larmes.
Son affliction est extreme : mais sa
recompense est eminente, Dieu la pla
41
plaçant entre les Martyrs, auec ceux
qui viuent dans les opprobres & dans
In
Hom.
les afflictions.
Celuy, dit sainct Gregoire,
que le Tyran fait massacrer, est euidemment Martyr, à cause de l'action qui est connuë d'vn chacun. Mais celuy qui souffre des contumelies, & qui aime ses ennemis, est Martyr par ses sainctes affections, qui ne sont connuës que de Dieu seul.
Ne vous est-ce pas vne tres-sensible consolation d'auoir cette certitude : que toutes vos espines se changeront en roses, & toutes les pierres qui
vous accablent, deuiendront les perles & les diamans de vostre Guirlande?
Et que si Dieu ne vous met pas presentement à couuert des violences de vôtre Mary, sous l'abry d'vne visible protection, il vous reserue des thresors &
des honneurs eternels ?
Il est necessaire que d'auoir tout
vôtre recours à Dieu,& deverser toutes
vos larmes à ses pieds : il a vn cœur si
tendre & si paternel, qu'il ne vous rebutera iamais. Il vous donnera la
Force, la Patience, la Charité & la
42
Foy, pour vous faire vne Saincte &
vne Martyre.
A cela vous aideront plusieurs
moyens que ie vous proposeray dans
le Chapitre suiuant ; & diuers motifs
que ie déduiray particulierement au
deuxiesme Liure de ce Traicté.
Ie ne vous mettray maintenant deuant les yeux que quelques Martyrs
pour animer vostre constance. Considerez auec attention leurs tortures
& leur generosité. Et demandez-vous
de temps en temps, & deuant le combat, & au plus fort de vos souffrances:
Acta
Mart.
Quoy me fustige t'on auec des verges armées de fer & de plomb, & faites en forme de scorpions, pour me deschirer iusques aux os, comme les saincts Saturnin & Sisinnie. Me rompt-on les os à coups de bastons, comme aux saincts Anastase, Persan, Valentin & Genulphe? Suis-je escrasée sous vne gresle de pierres comme sainct Estienne ? Me couronne-t'on la teste d'espines de fer, comme à sainct Frontaise, & à ses compagnons. M'arrache-t'on les ongles comme à sainct Leuce? Me met-on des 43 aleines toutes rouges entre les doigts, pour les faire passer iusques aux coudes : comme aux saincts Celement Euesque d'Ancyre, & à sainct Agathange. Me fend-on le ventre comme à sainct Leon Euesque de Nicée en Thrace ? M'arrache t'on les mammelles comme à saincte Agathe ? Où sont les flambeaux pour me brusler tout le corps comme à sainct Valerien ? Qui m'a ietté de la poix fonduë sur la teste comme à sainct Cyriaque ? M'a-t'on estendu & bruslé sur vn lict de fer tout enflammé comme sainct Thyrse : ou sur vn gril comme sainct Laurent ? M'a-t'on ietté dans la bouche du plomb fondu ? Sainct Carterie a souffert ce tourment auec patience. Qui m'a deschiré auec des ongles de fer, comme les Saincts Vincent, Ananle, & Eugene ? Me brusle-t'on par tout le corps auec des flambeaux ardens : comme les Saincts Valerien, Candide & Felicien : ou comme sainct Cyre & sainct Iean, que l'on saupoudra de sel & de vinaigre, apres ce tourment si cruel ?
La veuë de la generosité des Mar
44
tyrs, du secours qui leur vient de Paradis, & de l'atrocité de leurs tourmens dont ils se mocquent, vous renforcent le cœur, & vous prouueront
euidemment, qu'auec la grace de
Dieu vous pouuez souffrir constamment toutes les fascheries qui vous
arriuent par la cruauté de vostre
mary, de vos enfans, & de vos domestiques.
Si vous experimentez, que cette
consideration des Martyrs vous fortifie, lisez leurs vies entieres : Priez vôtre Confesseur de vous en ramasser des
Impr.
Lugd.13
exemples illustres. Il en trouuera vne
grande quantité d'assez remarquables en mon Commentaire sur les
Pseaumes14, & particulierement sur le
quarante-troisieme, que i'ay entierement expliqué des Martyrs, partie
montrant l'atrocité de leurs tourmens, partie le secours merueilleux
du Ciel, partie leur inuincible & constante perseuerance.
§. II. Vn homme mal marié peut deuenir vn parfait Confesseur de Iesus-Christ.
45Les Martyrs confessent & soustiennent la Foy au milieu des glaïues, des
feux, des huiles boüillantes,& de diuers
autres tourmens, sans branler à la
veuë de la mort la plus cruelle. Les
Confesseurs professent la mesme Foy
dans leurs Oraisons, dans leurs conuersations, & dans toutes les actions
de pieté, & de toutes les vertus qu'ils
exercent auec ferueur & auec perseuerance, iusques au dernier periode de
leur vie.
Cette profession de Foy est tresnecessaire à vn mary, qui a esté si malheureux, selon le monde, que de trouuer vne femme, laquelle choque ses
inclinations, & qui agit contre ses
volontez.
A peine trouuerez-vous vne seule
vertu, dont il ne rencontre de signalées occasions tous les iours, sans sortir du logis. Pour cette cause, le Philosophe Socrate conseruoit sa femme
Xantippe, qui estoit d'vne tres-fascheuse humeur: afin d'auoir le moyen
d'estre continuellement dans la reser
46
ue, & dans la practique des plus masles vertus.
Dieu nous dit en l'Ecclesiastique,
Eccli.
25. 17.
Æneas
Sylu.
l.2.de
gestis
Alph.15
Que toute la malice est en la malice de la femme. Il faut donc toute la bonté,pour se premunir contre ses surprises : & pour n'estre point abbatu par ses attaques.
Gregoire de Haimberg, homme
tres-excellent en l'Eloquence & aux
belles Lettres, retournant d'vn long
voyage demanda sur son chemin comment on se portoit dans sa famille ? &
ayant appris que sa femme estoit en
bonne santé. Ah ! dit-il, si elle est en
vie ie suis mort : pour declarer, qu'il
estimoit ses mauuaises mœurs aussi
fascheuses que la mort mesme.
Ctesias, au rapport de Photius,
nous raconte, Que la Martichore est
vne beste farouche qui a le visage de
femme. Elle est grande comme vn
Lion, de couleur rouge, & a triples
rangs de dents. Elle a vne queuë longue d'vne coudée, & herissée de trespiquantes espines. Elle se sert de cette
queuë comme d'vn arc pour tirer ses
47
picquerons, qu'elle iette de la longueur d'vn arpent de terre: Elle tuë
tout ce qu'elle rencontre, excepté l'Elephant. Solin adjouste, qu'elle à la
queuë comme vn Scorpion, & vne
voix si raisonnante, qu'elle imite les
flustes & les trompettes. Elle deuore
les hommes auec auidité, & est si legere à la course, qu'on ne la peut
euiter.
Vne femme meschante est vne
beste furieuse, qui a la rage des Lions
par ses coleres: triple rang de dents par
ses detractions, n'épargnant ny ses
Superieurs, ny ses égaux, ny ses inferieurs. Elle est herissée d'espines dans
sa conuersation, & à le venin des Scorpions, par ses maledictions & imprecations secrettes. Elle a vne voix plus
perçante que les trompettes, & allume
le combat à toutes occasions qui se
presentent. Enfin, si elle peut, elle
atterre & deuore son mary, le ruinant
en ses biens, & en sa renommée.
InMu
lier.
Improb.16
Sainct Ephrem en dit bien dauantage.
49
O qu'vne mauuaise femme est vn mal extreme ! Elle est vn lacet orné, 48 vn naufrage sur la terre, vn visage malin, vn thresor d'immondice, vne conuersation qui cause la mort, le rauage des yeux, la perte des ames, vn dard qui perce les cœurs, le sceptre des enfers, vne conuoitise precipitee, la consolation du diable, le repos du serpent, vne douleur inconsolable, vn four allumé, l'achoppement de ceux qui trauaillent à leur salut, vne malice incurable, la boutique des furies, vne amour criminelle, vne beste impudente, vne impetuosité, qui n'admet aucune bride: vne bouche effrenée qui reuele les secrets, le triomphe des tenebres, la guide des pechez, la maistresse des plaisirs, vn desir de meschanceté, la cause d'vne eternelle damnation, vne prudence terrestre, la paresse & l'engourdissement des hommes, vne vipere bien habillée, vn combat volontaire, vn malheur de tous les iours, vne tempeste domestique, la ruine de son mary, vne beste cruelle, vn rendez-vous des adulteres, les armes de l'enfer, vne rage souhaitée, vne mort deguisée & ornée. Iusques icy sainct Ephrem.
Combien de vertus doit professer celui qui entre tous les iours en lice auec
vn monstre si dénaturé, s'il ne veut à
chaque heure perdre la victoire, &
tomber auec cette furie dans des abysmes sans ressource.
Celuy-là donc, qui sort victorieux de ces combats, ne merite-il
pas d'estre appellé vn veritable Confesseur de Iesus-Christ, pour l'amour
duquel il surmonte tant de difficultez
qui se presentent à luy, & qui le
veulent retarder dans le chemin du
Ciel.
filet décoratif
CHAPITRE VI. Quatre moyens generaux pour viure content & ioyeux, estant mal marié.
VN Soldat bien armé depuis les
pieds iusques à la teste, ne
craint point les cuops de flesches : si
principalemẽt elles sont tirées par vne
personne foible. Vn homme genereux,
50
renforcé par la seule nature, se moque
des paroles & des actions malignes
d'vne mauuaise femme.
Mais la grace luy donne encore
des armes, qui sont de meilleure
trempe & plus impenetrables. I. La
Patience. II. Le souuenir de la Passion de Iesus-Christ. III. L'Exercice
de la Presence de Dieu. IV. L'Oraison.
§ I. La Patience oste l'amertume des choses douloureuses qui arriuent dans le mesnage.
I. Dieu donne du miel à ses seruiteurs, mais de la bouche des Lions,
comme au valeureux Samson chef de
son peuple. Il tire le vin de la grappe
des raisins : l'huile des oliues : le grain
de froment de l'écorce qui le renferme.
Mais toute cette douceur & cette
commodité ne se donnent point, que
sous le pressoir & sous le fleau.
II. Tous les biens & tous les
contentemens de ce monde, sont les
fruicts de la Croix de Iesus-Christ. Il
y faut monter auec luy, si nous voulons les cueillir.
51
III. Cherchons nos aises tant qu'il
nous plaira ; il nous faut porter nostre
Croix. Chacun a la sienne, & personne ne s'en peut exempter. De quelque costé que nous nous tournions,
nous l'aurons tousiours à la rencontre.
Quelques Chrestiens de la Syrie font
Trig.
le signe de la Croix, commençant de
la droite à la gauche : nous commençons de la gauche à la droite. Les
Chrestiens du Iapon se l'imprimoient
sur le front : le Bien heureux Henry
Suso, sur son cœur & sur son dos.
Plusieurs Cheualiers la portent sur
leur sein, les autres sur leurs bras:
quelques vns sur leurs manteaux &
sur leurs casques. Les vnes sont rouges, les autres sont blanches, jaunes,
noires, argentées, & de diuerses matieres. Mais toutes sont Croix. Nous
ne sommes point meilleurs que nostre
Maistre, qui a porté la sienne iusques
à la mort.
IV. Dans les Cours mesme des
Rois, on passe sa vie en receuant des
affronts & des disgraces, & en remerciant ceux qui les font, si l'on veut
52
auancer sa fortune, & paroistre à la
fin dans vn beau iour.
V. Vn homme patient & courageux tourne tout en bien : comme
vn bon estomach tire vn bon suc d'vne
Osorias
lib. 2.
de Emman.
mauuaise viande. La Patience tire le
miel de la pierre, & vne bonne nourriture du poison-mesme. Vous pouuez emprunter des Brasiliens vn excellent symbole de cela. Ils ne sement
point de bled pour auoir du pain. Ils
ont vne racine grande comme la pourcelaine. Elle a vn venin si pernicieux,
que ceux qui en mangent sans la cuire
meurent sur le champ. Pour euiter ce
peril ils la battent, & en font sortir le
suc veneneux : ils la sechent au Soleil,
la broyent sous vne meule & en font
de la farine. Les pains qu'on en fait
sont bons, & d'vn goust sauoureux.
VI. Iamais vous n'euiterez les pechez dans vostre maison, si vous n'affermissez vostre esprit par la patience.
Tous les iours vous ferez quelque
naufrage, si vous n'affermissez vostre
cœur par cette anchre de salut.
Socrate disoit, qu'vn Nauire ne se doit
53
pas contenter d'vne seule anchre, &
qu'vne seule esperance n'est point ca
Max
ser de
spe.
pable d'asseurer nostre esprit. Mais ie
suis certain que la Patience toute seule
suffit, pour asseurer au milieu des plus
furieuses tempestes vn homme vrayement Chrestien. Vn cœur patient est
vn Rocher inébranlable, que les flots
courroucez de la fortune ne font que
lauer & endurcir.
VII. Si l'on n'euite point les pechez sans la vertu de Patience, beaucoup moins acquiert-on les vertus. Il
faut tailler les pierres auant que d'en
bastir la Ierusalem Celeste. Les vertus
composent l'edifice spirituel de l'ame:
Lib.31
de
claust.
animæ.17
Et Hugues de sainct Victor dit.
Que l'Humilité en est le fondement, & y tient la profondeur : que la Charité en est la largeur : que les bonnes œuures esleuent les murailles, & obtiennent la protection qui les couure & qu'enfin la longueur s'acheve, auec la fermeté d'vne constante & solide Patience.
VIII. Mais ce qui vous cause vne plus
sensible douleur, c'est que le mal vous
vient par vostre femme, laquelle de
54
uroit estre vostre consolation & vostre
soulagement. Pour vous parler auec
franchise, ie vois bien que vostre mal
est extreme : & d'autant plus qu'il est
ineuitable. Mais quand vous entrerez dans des fougues peu raisonnable & peu Chrestiennes, vous augmenterez vos douleurs, & ne mettrez
aucun remede à vostre infortune.
Considerez plustost, que vousmesme auez choisi cette femme. Qu'il
est iuste d'accomoder vos humeurs
à celle à qui vous auez donné vostre
cœur. Si vostre choix a esté precipité
dans les boüillons de vostre passion, acceptez-en la penitence que la Iustice
diuine vous enuoye.
Laert.
lib.2.18
Antisthenes reprenoit les hommes
de ce qu'ils mettent beaucoup de consideration à l'achapt d'vn vase qui se
vent à l'encant de peur d'y estre trompez : & qu'ils ne considerent point la
vie de ceux, en l'amitié desquels ils
s'engagent. Auec combien plus de
raison doiuent estre repris ceux qui se
lient pour toute leur vie à vne femme
sans vne meure deliberation,sans auoir
55
long temps consulté l'Oracle diuin, &
la volonté de leurs parens ?
Laert.
lib.2.19
IX. Si vous voulez, vous vous accoustumerez au bruit dans peu de
temps. Le Philosophe Socrate voyant
qu'Alcibiade admiroit comme il retenoit sa femme Xantippe, qui ne faisoit
que criailler & le quereller : il l'asseura, Que toutes ces crieries ne l'offensoient non plus, que le bruit de la
rouë qui tiroit l'eau de son puits.
Prom.
19 11.
Vn homme sage est plus fort, que
tout le tintamarre d'vne babillarde : &
la Sagesse, dit Salomon,
se montre dans la Patience.
X. Tout seroit tolerable, ditesvous, s'il duroit peu : mais vne femme par sa malice afflige tout le cours
de la vie. Pour moderer cette affliction,
il faut ietter la veuë sur la briéueté de
vos iours, & sur la longueur de l'eternité. Cette veuë appaisera vostre esprit
par l'espoir d'vne prompte déliurance,
& d'vne recompense qui ne finira
iamais.
Le Philosophe Simonidés disoit,
Mille ans & cent mille ans comparez 56 à l'éternité ne sont qu'vn moment volant & passager. Le Prophete Royal20 Psal. 69.4.21auoit enseigné deuant luy,
Que mille années ne sont non plus deuant les yeux de Dieu ; que le iour d'hier qui est passé. Quoy donc n'aurez-vous point vn courage assez masle pour souffrir vn seul iour, ou plustost vn seul poinct de temps qui s'écoule?
XI. Roidissez-vous contre le torrent, & demandez souuent à Dieu la
Perseuerance dans vos bonnes resolutions d'estre patient. Les autres vertus voyent la couronne & courent
apres: mais la seule perseuerance l'ob
Epist.
129.22
tient.
La Perseuerance, dit sainct Bernard,
est la nourrisse du merite, la mediatrice du prix, la sœur de la Patience, la fille de la constance, l'amie de la paix, le nœud des amitiez, le lien de l'vnion des cœurs, le bouleuart de la saincteté. Ostez la Perseuerance, le seruice n'a recompense aucune, ny le bien-fait aucune grace, ny la force aucune loüange. L'Eternité ne se donne qu'à elle seule, où plustost elle seule porte l'homme à l'eternité : veu que nostre 57 Seigneur dit. Celuy qui perseuerera sera sauué. Ainsi parle S. Bernard. Tenez donc ferme, & toutes les difficultez s'applaniront, auec le temps & auec la Patience.
§. II. La memoire de la Passion de nostre Sauueur Iesus-Christ, donne de la douceur dans l'amertume du mesnage.
Exod.
15.23
I. Au sortir de l'Egypte, Moïse entra auec le peuple de Dieu dans le desert de l'Arabie, & trouua d'abord vne
eau fort amere, aussi l'appella-t'il
Mara, qui signifie, Amere, ou Amertume. Le peuple se mit incontinent à
murmurer : mais Dieu y pourueut, enseignant vn bois si doux & si efficace,
qu'estant ietté dans cette eau il la rendit douce, partie par sa vertu naturelle, partie par la force particuliere qu'il
luy communiqua, dans l'extremité du
besoin de ses seruiteurs.
II. Nostre vie est vn desert, plein
d'vne infinité d'amertumes. Il faut
prendre le bois de la Croix de nostre
Seigneur, & le ietter dans nos angoisses, sans aucun doute il les adoucira.
58
Car, comme aduertit sainct Gregoire,
il n'est rien de si fascheux, que l'on ne
supporte auec gayeté de cœur, si l'on
se remet en la memoire la Passion du
Redempteur de nos ames.
III. Comment seroit-il possible,
qu'vn homme chargé de pechez, digne de la colere de Dieu pour ses offenses passées : méprisable à cause de la
bassesse de son corps, & de l'ignorance
de son ame, se plaignist de ce qu'il endure, voyant Dieu mesme cloüé sur
vne Croix, déchiré depuis les pieds
iusqu'à la teste, & couronné d'espines, mourir entre deux voleurs pour
l'amour de luy ?
Sainct Bernard se pasme dans cette
consideration.
Le chef de Iesus, ditil,
qui est redoutable à tous les Anges, est percé d'vne multitude d'espines. Son visage qui est le plus beau d'entre tous ceux des hommes, est soüillé par les crachats des Iuifs. Ses yeux plus luisans que le Soleil, sont obscurcis en sa mort. Ses oreilles qui oyent la musique des Esprits celestes, entendent les brocards & les iniures des impies. Sa bouche 59 qui enseigne les Seraphins, est abreuuée de vinaigre. Ses pieds dont on adore l'escabeau, sont cloüez en la Croix. Ses mains qui ont formé les Cieux, sont estendues sur la mesme Croix, & percées de gros cloux. Son corps est deschiré par les foüets, & meurtry de coups de pieds, de poings, & de bastons. Son costé est transspercé d'vne lance. Il ne luy reste que la langue libre, afin de prier son Pere Eternel pour les pecheurs.
IV. Si la Croix de sainct Thomaise, Patriarche de Constantinople, &
celle de sainct Xauier, trempées dans
des mers courroucées, en ont appaisé
les flots qui menaçoient du naufrage :
qui pourra douter que la Croix du Sauueur de l'Vniuers, ne mette le calme
dans vn cœur, pour flottant & agité
qu'il puisse estre.
V. L'experience a montré cette for
En sa
Vie.
ce de la Croix. Sainct Elzear Comte
d'Arien, fut vn iour interrogé par
saincte Dalphine sa femme: Comment
il se pouuoit faire, qu'estant si souuent offensé par diuerses personnes, il
n'en montrast aucun signe d'indigna
60
tion, il répondit. Ie sens au vif les
mouuemens de la colere, à toutes les
attaques qui me suruiennent. Mais
i'ay recours incontinent aux playes de
mon Iesus. Aussi tost que ie suis entré
dans cét azile, toutes les injures me
sont tres-douces, & toutes les douleurs se changent en ioye, considerant
que i'ay alors quelque petite ressemblance à mon Redempteur.
VI. Vn Lion rauageant tout vn
païs, sainct Chrysostome ordonna
qu'on plantast vne Croix sur le chemin
où il passoit. Dés le lendemain on
trouua ce furieux estendu mort, au
pied de cét arbre de vie. Ne craignez
rien, si vous posez dans vostre cœur la
Croix du Fils de Dieu, & si vous y versez vos larmes & vos douleurs.
VII. Les Serpens, lesquels demeurent auprés des arbrisseaux, qui
distillent le baume y perdent leur venin. Et toutes les afflictions iettées
au pied du bois de salut, & arrosées du
Sang de Iesus, deuiennent douces &
bien-faisantes.
VIII. Vn Religieux estant abys
61
mé dans ses tristesses, & noyé dans ses
Ludolph. de
vita
Christi.
larmes, ne pouuoit ny lire ny prier, ny
faire aucune action de pieté. IesusChrist luy apparut dans cette détresse:
luy dit. Pourquoy demeures-tu oisif
& glacé dans tes pensées melancholiques, & à quel sujet te ronges tu ainsi
le cœur ? leue toy : & medite serieusement ma Passion, & ta douleur se perdra dans l'amertume de mes tourmens. Il obeït, & fut parfaitement
guery de ce chagrin assommant.
IX. Sainct Antonin, Archeuesque de Florence, priant vn iour
deuant vn Crucifix, & estant extasié
en la contemplation des douleurs
de son Redempteur, fut esleué en
l'air tout rayonnant de clarté. Il
porta sa bouche au costé de ce Dieu de
bonté & d'amour, & en tira vne si
douce liqueur, que depuis ce tempslà ses discours en resterent comme emmiellez, & plus agreables qu'à l'ordinaire. Tout est doux dans celuy qui a
gousté du Sang de Iesus.
S.Brig.
Reuel.24
X. Ce Dieu de charité asseura
saincte Brigide, Qu'il estoit encore
62
aujourd'huy tout prest, d'endurer les
mesmes supplices & la mesme mort
pour chaque pecheur en particulier,
qu'il endura pour tous les hommes
lors qu'il viuoit sur terre. Pourroit-il
arriuer que nous fussions si lasches,
que de reculer dans les occasions qu'il
nous offre pour l'imiter ? Toute sa vie
n'a esté autre chose qu'vn martyre continuel. Comment donc voudrionsnous chercher du repos & de l'allegresse, dans ce lieu de combat & de
souffrance ?
XI. Les Saincts se sont efforcez de
suiure leur Sauueur sur le Caluaire, &
de ne iamais perdre de veuë sa Croix &
sa Patience. L'Abbé Estienne25 disoit.
Moschus c.
64.26
Iour & nuict ie n'ay autre chose deuant les yeux que mon Redempteur estendu sur la Croix. Et cette pensée l'occupoit d'vne telle sorte, que souuent il n'oyoit pas ceux qui parloient d'autres choses.
XII. Saincte Claire de Montefal-
Bozius
l.15.c.
9.
co, auoit la Passion de Iesus si fort imprimée dans son ame, qu'apres sa mort
on l'apperçeut grauée sur son cœur. Et
63
Bozius asseure, auoir veu marquez sur
ce cœur les foüets, auec quoy Iesus
auoit esté flagellé ; la colomne où il
auoit esté lié, & tous les autres instrumens de sa Passion.
XIII. Imitez ces ames d'élite, &
ayant Iesus dans vostre cœur, vous
serez imperturable à tous les accidens qui vous suruiendront au dehors.
§. III. L'exercice de la presence de Dieu cause de la joye, au milieu des plus rudes attaques.
Edoüard, Roy d'Angleterre, prit
pour son symbole le globe de la terre,
enchaisné & suspendu en l'air, par vne
main celeste qui paroissoit dans vne
nuë. Il y adjousta ces paroles,
Nil sine Deo, Rien ne se fait en ce monde, sans vne speciale Prouidence de Dieu.
Il n'est nulle puissance sur la terre,
qui ait les forces de vous oster vn cheueu de la teste si Dieu ne les luy dõne.
Il vous enuironne de toutes parts, &
personne ne peut vous attaquer sans
sa volonté.
Que craignez-vous donc ? & dequoy
64
vous attristez-vous ? C'est vostre Createur, vostre conseruateur, vostre Pere
nourrissier, vostre Pasteur, vostre Medecin, vostre vie, vostre joye, vostre
tout. Si vous l'auez vous auez tout,
s'il vous conserue vous estes asseuré, &
s'il vous afflige c'est pour vous couronner. Quelle chose pourroit estre
capable de vous troubler, si vous
vous mettiez souuent en la presence
d'vn Dieu si bon, si sage, & si puissant?
Sur.
26. Iunij. Baron.
ann.
5,o.27
Gallican, General de l'armée Romaine, apres la perte d'vne sanglante
bataille, estoit presque reduit au desespoir, ne pouuant humainement eschapper de la main des Scythes victorieux. Dans cette extremité il implora le secours du Ciel, & à l'improuiste
il apperceut à l'entour de soy vne armée d'Anges habillez en soldats qui
luy donnoient courage : & l'exhortoient à se ruer sur les ennemis. Animé par leur presence, il enfonce les
bataillons des Scythes, prend leur Roy
prisonnier, & met tout à l'espée ou en
fuite.
65
Si le mesme vous arriuoit, vous
releueriez sans doute vos esperances,
dans vos pertes & dans vos abaissemens. N'est-il pas veritable ? Quoy
dõc? Dieu n'est-il pas plus puissant, que
tous les Anges du Paradis : qui n'ont
nulle force que celle qu'il leur communique ? Vn seul passereau ne tombe
point en terre sans ses ordres. Vne
seule feüille d'arbre ne se détache point
de ses branches s'il ne le veut. Et vous
vous persuaderiez que iamais il vous
pust ou voulust abandonner ? Ne vous
laissez nullement entrer dans l'esprit
cette erreur, laquelle seroit capable de
vous troubler & de vous perdre.
Le Soleil ne souhaite point tant de
communiquer sa lumiere à la terre
que Dieu desire de se donner aux
hommes, & de leur eslargir ses
Ad
Paulin.
bien-faits.
Ce qu'est la lumiere aux yeux & aux choses visibles, dit Thalassius,
Dieu l'est à l'entendement & aux choses qu'il connoist.
Le Soleil obscurcit les estoilles par
sa clarté : & Dieu fait disparoistre par
ses splendeurs tout le lustre de la terre.
66
L'ame qui le contemple, voit que toutes les grandeurs du monde ne sont
que baissesse, son esclat que tenebres,
son abondance que pauureté.
Si le Soleil, dit sainct Ambroise, Ambr.
espand ses rayons sur tout l'Vniuers, & penetre dans les lieux les plus fermez par le moyen de ses influences, sans que les portes ny les verroüils de fer l'en empeschent. Comment la splendeur de Dieu ne penetrera-t'elle pas les pensées & les cœurs des hommes, & quelle puissance pourra se soustraire à sa veuë si perçante? Que si Dieu voit toutes les pensées, toutes les paroles, & toutes les moindres actions de vostre mary, de vostre femme, de vos enfans, & de tous ceux qui vous affligent ; il peut les empescher de vous inquieter. Que s'il ne iuge pas que ce soit vostre bien: voudriez-vous resister & combattre contre sa diuine Prouidence. Rendezvous executeur de sa Loy, & non pas juge & controlleur de ses volontez.
Rien ne vous pourra nuire, si vous
vous affermissez en Dieu,qui ne se retire
iamais de vous : mais qui vous est sans
67
cesse infiniment vny.
Dieu, enseigne Greg. in Ezech. hom.1728 saint Gregoire,
est dans toutes ses creatures, au dehors, au dessus, & au dessous d'elles toutes. Il est au dessus par son pouuoir, exerçant sur elles vn souuerain domaine. Il est au dessous par sa bonté en les soustenant. Il est au dehors par son immensité en les enuironnant. Il est au dedans par sa subtilité, les remplissant de ses graces. Il les gouuerne estant au dessus d'elles. Il les tient dans ses mains estant au dessous. Il les enuironne à l'exterieur, les defendant de leurs contraires, & les penetre iusqu'à la moüelle des os, & aux parties les plus cachées en les perfectionnant.
Si vous vous laissez penetrer &
remplir de Dieu, vous serez tel qu'vne
esponge au milieu de la mer, qui a de
l'eau au dedans, au dessus, au dessous,
& de tous les costez. Et vous demeurerez tousiours égal à vous-mesme,
soit en la prosperité, soit en l'aduersité.
Premierement, lors que vous serez en prosperité, considerez que Dieu
vous voit, qu'il vous aime, qu'il vous
68
éclaire, qu'il vous offre ses graces,
qu'il occupera sainctement toutes vos
pensées & toutes vos affections si
vous le voulez. Cette consideration
vous remplira de ioye, & vous fera
mener vne vie heureuse selon Dieu, &
selon ceux auec qui vous viurez.
Nazianz.
Sainct Gregoire de Nazianze explique
cela par vne excellente comparaison.
Comme, dit-il,
celuy qui oit vn excellent joüeur de Luth, prend vn tel plaisir à cette melodie, que son esprit s'y attache entierement, & ne pense à autre chose, encore qu'il ne le voye point des yeux corporels. De mesme sorte, celuy qui a fait le Ciel & la terre, & tout ce qu'ils contiennent, se manifeste à nous, nous conserue, nous fait agir, & retient tout nostre esprit, bien que la foiblesse de nostre entendement ne le puisse comprendre.
Secondement, lors que les afflictions vous attaqueront, & voudront
vous abattre & accabler de tristesse : si
vous pensez que Dieu vous est present
& vous offre son secours, vostre cœur
sentira vne celeste joye qui dissipera
69
tous ces nuages.
Acta
Mart.
Dans mes aduersi-Psal. 76.4.
tez, dit Dauid,
ie me suis souuenu de mon Createur, & i'ay senty vne allegresse qui m'a entierement réjoüy.
Les bourreaux ayant presenté à
sainct Gordias29des rouës,des cheualets,
des grils de fer, & tous les instrumens
avec lesquels on tourmentoit les Chrestiens, il jetta les yeux au Ciel pour y
contempler son Dieu qui le secouroit.
Et apres auoir témoigné d'vne voix
masle & joyeuse que Dieu l'aideroit,
il se precipita luy-mesme dans le feu,
auec vne promptitude qui étonna tous
les Payens, & réjoüit tous les seruiteurs de Dieu.
Vne voix celeste anima dans la prison saincte Archelaa30, & les saincts
Genite & Genulphe : dans le lieu du
supplice sainct Polycarpe, & au milieu
des tourmens sainct Thyrse, saincte
Prisque, & sainct Theodore : Et tous
fortifiez du secours diuin, se porterent genereusement dans le combat.
Rien n'est difficile à vn courageux soldat, à la veuë de son Capitaine & de
son Roy.
70
Lors donc que vous vous trouuerez dans vostre mesnage, accablé de
douleurs & d'anxietez: jettez les yeux
sur Dieu, qui est vostre amy & vostre
Pere : Il vous est vny intimement, &
vous enferme dans soy-mesme. Ce
bouclier est impenetrable à tous les
malheurs de ce monde. Adjoustez-y
la priere, elle augmentera vostre confiance : & vous obtiendra des graces
plus fortes & plus victorieuses. Considerons cette verité.
§. IV. L'Oraison obtient les forces necessaires, & vne louable Perseuerance, dans les afflictions domestiques.
On admiroit anciennement vne
Pausan. in
Attic.31
pierre en la ville de Megare, où l'on
disoit qu'Apollon auoit autrefois posé
son luth. Si on la touchoit auec
vne autre pierre, elle rendoit vn son
agreable, tel que celuy d'vn luth.
Vous la pouuez prendre pour le
symbole d'vn homme vertueux, qui
loüe Dieu dans ses afflictions. Si
la fortune, si les maladies, si les
parens, si le mary, si la femme, si
71
les amis, si les ennemis, si diuers accidens le frappent, il resonne si melodieusement, que Dieu, les Anges &
les hommes en reçoiuent vn singulier
contentement.
Iob fut fortement frappé de Dieu
par les mains du Demon : & il s'écria,
Dominus dedit, Dominus abstulit : Sit nomen Domini benedictum. Mon Seigneur m'auoit donné mes biens: Mon Seigneur me les a ostez: que son sainct Nom soit beny.
Le vieux Tobie deuint aueugle :
[S]ara, qui fut la femme du jeune To[b]ie fut calomniée : Anne, la mere de
[S]amuël,fut bafoüée par Phenenna. Ils
ouurirent tous leur cœur au Ciel, & se
[t]ournerent vers Dieu, dont ils receuent du secours.
Kiranidés.
Les Indiens auoient vn Oiseau ;
lequel dés sa naissance se tournoit vers
[l]e Soleil Orient, qu'il suiuoit en son
[M]idy & en son Couchant, courant
[s]ans cesse vers ce Pere des lumieres.
[P]our cette raison ils l'appelloient Heliodrome, comme nous appellons Heliotrope, l'herbe qui regarde tousiours
72
ce Roy des Astres, dont il reçoit continuellement les rayons & les influences.
Vne ame saincte a perpetuellement Dieu deuant les yeux, dans la
premiere naissance de ses esperances,
dans le midy de ses prosperitez, &
dans le couchant de ses disgraces &
infortunes.
Nostre Seigneur nous a donné
l'exemple. Dés la premiere Aurore de
sa Conception, il leua ses yeux vers le
Pere Eternel, pour ne les en détourner iamais. Il le regarda dans la gloire de sa Predication & de ses miracles.
Et dans sa Passion, il versa en son sein
toutes les douleurs qui luy suruinrent,
& par l'oraison, luy mit son ame entre
les mains.
Ayant traicté fort amplement de
l'Oraison Vocale, & de l'Oraison Mentale, dans vn Liure que i'ay intitulé
le Sainct trauail des mains32 (qui contient toute la perfection Chrestienne
& Religieuse ) il ne me reste icy que
de dire vn mot de son pouuoir, dans
les trauerses de la vie.
73
L'Oraison y a vne telle efficacité :
que non seulement elle empesche les
tristesses dans l'affliction : mais qu'elle
oste toute l'affliction, & ne luy donne
aucune prise sur la personne qui en est
armée. Cela s'est veu souuent dans les
combats des saincts Martyrs, qui par
leurs oraisons ont arresté l'effect des
flesches, des lances, des espées, des
cailloux, des scies, des bestes farouches, des dragons, des feux, & de tous
les instrumens de la cruauté. Apportons-en quelques exemples.
I. Sainct Philemon & sainct Sabi-
In Actis eorum.
nien ne pûrent estre blessez par les flesches que les bourreaux tiroient contre
eux. II. Les lances n'offenserent
point sainct Thierry. III. Sainct
Thyrse ne fut nullement blessé par des
espées tres-affilées. IV. Ceux qui
voulurent lapider les Saincts Euchaire,
Valere & Materne, furent rendus immobiles par leurs prieres : & ne pûrent
iamais recouurer le mouuemẽt de leurs
corps que par les prieres des mesmes
Saincts Martyrs. V. Sainct Thyrse &
sainct Sarbelie ne pûrent estre diuisez
74
par vne scie. VI. Les bestes farouches ne nuisirent point, ny aux saincts
Neophyte & Emilien, ny aux Sainctes
Agnés & Typhene33. Sainct Asterie les
appriuoisa mesmes par vn signe de
Croix. VII. Sainct Honorat chassa
par ses prieres vn dragon de l'Isle où il
habita : & plusieurs Saincts Martyrs
n'en n'ont nullement esté endommagez. VIII. Sainct Polycarpe retient
par son oraison, l'actiuité du feu où
l'on vouloit le brusler : & en est enuironné auec l'admiration de tout le
peuple. Sainct Valerien, sainct Aquila, & sainct Candide, demeurent dans
vne fournaise ardente sans en estre incommodez : & sainct Sabinien sur vn
banc de fer embrazé. Sainct Tiburce
& sainct Constance Euesque de Perouse, marchent sans crainte & sans
lezion sur des charbons ardens.
L'Oraison opere toutes ces merueilles, & plusieurs autres que vous
sçauez. Dieu est le Pere des misericords & des bontez. Il accourt à l'aide de ses enfans aussi-tost qu'ils luy
ouurent leurs cœurs & leurs bou
75
ches, & luy manifestent leurs necessitez.
Confiez-vous donc en sa bonté,
& reclamez son aide dans vos plus cuisantes douleurs, & soyez certain qu'il
vous secourera, & adoucira vos pei
Matth
11. 28.
nes.
Venez, dit-il,
vous tous qui trauaillez & qui estes chargez, & ie vous soulageray.
La Tortuë marine, eschaussée &
Plin.l.
9.c.10
desseichée par le Soleil ne peut point
estre submergée, & surnage tousiours
au dessus de l'eau. Quiconque dans
ses oraisons reçoit les rayons & les
ardeurs de Iesus-Christ Soleil de justice, ne doit pas craindre aucun naufrage.
76
bandeau fleuri
222
LA DIRECTION ET LA CONSOLATION DES PERSONNES MARIEES. LIVRE DEVXIESME. filet maigre
CHAPITRE PREMIER. La Consolation & la Direction d'vne femme, qui n'est point aimée de son mary.
LE plus grand malheur qui
puisse arriuer à vne famille,
c'est que le mary & la femme perdent l'amour qui les a vnis par
77
vn lien indissoluble, & qui les doit
tenir ensemble toute leur vie, sans
espoir d'aucune separation. Car si S.
Iean Chrysostome dit auec raison, Qu'il
seroit plus expedient de perdre la lumiere du Soleil, que d'estre priué de la
familiarité de ses amis : d'autant que
plusieurs qui voyent le Soleil meurent
de tristesse, dans les tenebres des douleurs & des afflictions, manquant de
cette consolation : & que ceux qui
ont de bons amis ne sentent nulle tristesse,dans le fort de leurs plus fascheuses calamitez. Que diroit-il de l'amitié, laquelle doit se retrouuer entre
le mary & la femme, qui ne sont qu'vne mesme chair, & qui ne peuuent
estre diuisez, sans des angoisses tressensibles ?
Si le Soleil estoit soustrait de cét
Vniuers, tous les Astres seroient sans
lumiere, comme la pluspart des Astronomes croyent. La Lune seroit certainement dans vne triste Eclipse & obscurité, & la terre ne produiroit rien
faute de chaleur. Si le maistre du logis
se laisse glacer & obscurcir par la haine,
78
la femme est absolument sans clarté,
& les enfants, les seruiteurs, & les seruantes, sans aucune action vtile &
agreable.
Vn luth a diuerses chordes & di
In
cap.18
Act.34
uerses voix : mais il ne rend qu'vne
harmonie, & vn seul Musicien le pinse.
Le Luth est la Charité, dit sainct Chrysostome,
les voix sont les paroles qui la fomentent. Elles font toutes vne seule melodie, qui réjoüit Dieu & ses Anges, & est vn joyeux spectacle à tous les Citoyens du Ciel. Elle reprime la fureur des demons & l'impetuosité des passions, & leur impose vn eternel silence, comme lors qu'vn Musicien excellent touche vn instrument de Musique, il n'est personne si insolent qui ne se taise.
L'Amour est l'Ame du Mariage: laquelle doit animer le mari & la femme, afin qu'ils n'ayent qu'vne ame en
deux corps, & qu'ils viuent d'vne mesme vie. De là s'ensuit ce que disoit
Licurgue, Qu'vne femme qui est priuée de l'amour de son mary, n'a point
vne veritable vie. Elle est telle qu'vn
79
corps mort, sans couleur, sans joye,
sans sentiment. Tout ce qu'elle void,
tout ce qu'elle entend, tout ce
qu'elle s'imagine, tout ce qu'elle passe
par son esprit, est vne continuelle terreur & anxieté, qui luy cause des
douleurs, pires que la mort mesme.
Sainct Augustin estoit dans la mesme pensée lors qu'il disoit. Que l'Amour est vne certaine vie : laquelle
conioint, ou veut conjoindre deux
personnes.
Taschons de faire de deux miracles l'vn, ou de ressusciter les morts,
faisant rentrer dans leurs cœurs l'Amour, qui est l'Ame de l'ame : ou faisant que ceux qui sont morts dans la
vie ciuile, en viuent d'autant plus vigoureux, en la vie surnaturelle & diuine.
§. I. Remedes du costé de la femme, qui croid n'estre point aimée par son mary.
I. Considerez que souuent vos
frayeurs ne font qu'vne imagination
mal fondée, sur quelque rapport impertinent, ou sur quelque signe leger,
80
& sinistrement interpreté. La mesme
terre est stable & immobile, à vn œil
qui est sain : & tremble à vne teste
mal faite, & qui est malade. Interpretez tout en bien. Il y a des naturels qui sont peu complaisans en paroles : mais qui aiment d'autant plus
ardemment dans le cœur, que moins
ils éuaporent de leurs flammes par la
bouche.
Le veritable Amour ne consiste
point en de vaines cajolleries, ny
en des témoignages exterieurs d'affection : mais en de bonnes actions,
qui pouruoyent à vos besoins, à ceux
de vos enfans & de vostre famille. Vne
humeur guerriere, vn naturel peu ciuilisé, vn homme embarassé dans de
grandes affaires, ou publiques, ou domestiques, ne peut faire le petit muguet, & des actions enfantines, pour
faire voir l'amour veritable & sincere
qu'il a au fonds du cœur. Et cependant vne femme doüillette & esleuée
dans la mollesse, exigeroit volontiers
ces bassesses en son mary. Montrez
que vous auez vne ame noble, & qui
81
ne s'amuse nullement à ces fatrats, &
à ces impertinences.
II. Voulez-vous estre aimée, aimez la premiere. L'Amour est l'aimãt des cœurs. Iamais vous n'aimerez
parfaitemẽt & constãmẽt vne persõne,
pour barbare qu'elle soit, en luy bienfaisant, en épiant tout ce qui luy agrée
au boire, au manger, au vestement, au
coucher, & en tout le reste de la vie
humaine : qu'enfin vous n'emportiez
par vne douce violence, son cœur &
son amour. On a veu des Lions dans
les Amphitheatres, caresser ceux qui
leur auoient osté vne espine du pied.
On a admiré des Dragõs qui au milieu
des bois ont sauué la vie à ceux qui les
auoient nourris en leur jeunesse. Il
n'est nulle barbarie & brutalité, qui
ne se laisse vaincre à l'Amour.
Vous gagnerez plus par la tendresse & par l'ardeur de vos affections,
que par des crieries importunes, ny
par des injures outrageuses. Le Vent
de Bise & le Soleil gagerent vn iour, &
mirent vn prix à celuy d'eux deux, qui
feroit plus promptement jetter bas le
82
manteau à vn homme qui passoit son
chemin. Le Vent comme asseuré de la
victoire, & se fiant sur son impetuosité, commence le premier à souffler de
toutes ses forces contre ce voyageur,
pour luy enleuer de dessus les espaules
ce manteau. Le voyageur le resserre
incontinent, & le tient ferme & arresté. Et plus ce Vent furieux menoit
de bruit & renforçoit son attaque, plus
le voyageur s'enueloppoit dans son
manteau, & le pressoit sur son corps.
Le tour du Soleil estant venu pour
agir, il ne fit que darder à plomb ses
rayons sur le dos de cét homme tout
glacé & morfondu de froid, incontinent il s'arresta, prenant plaisir à estre
réchauffé : en suite la chaleur s'augmentant il déueloppe son manteau,
commence à suer & à gemir sous le
poids : enfin dans peu de temps il le
jetta par terre, ne pouuant plus resister
à ce Roy des lumieres & des ardeurs
celestes.
Lib. de
morib.
Eccl.
lib. de
doctr.35
La Charité est la Reine des cœurs
les plus dénaturez,
Il n'est rien de si dur, ny de si obstiné, dit sainct Au- 83 Christ. & ad Martian. gustin,
qui ne se surmonte & se liquefie dans le feu de l'Amour.
Et ailleurs,
la seule Charité surmonte toutes choses, & sans la Charité tout ne vaut rien. En tout lieu qu'elle se rencontre, elle tire tout à soy. La Charité est la source de la paix, la rosée de la grace, la semence de la concorde, & le fruict de l'amour.
On nous conte, que deux luths
parfaitement accordez resonnent au
temps de l'hyuer, encore qu'on n'en
touche qu'vn. Parlez tousiours bien
de vostre Mary, & faites-luy tousiours
du bien : il vous répondra par des
loüanges de vostre prudence & de
votre charité, & vous aidera de tout
son pouuoir, & aimera de tout son
cœur.
Trauaillez pour luy, & montrezvous reconnoissance des biens qu'il
vous fait, quoy qu'ils n'égalent point
vos desirs ?36 & asseurez-vous que l'amour qui prouiendra de vostre vertu,
le poussera à vous donner vn entier
contentement.
Vn certain dépeignit dans son
84
Symbole les trois Graces: dõt l'vne tenoit vn Rameau de Meurte37, l'autre vne
Rose, & la troisiesme des Dez : voulant
dire, que les bien faits doiuent estre
doux & agreables, & que mesmes ils
deuoient estre reciproques, comme les
Dez passent de main en main.
III. Considerez l'occasion de la
haine, & du refroidissemẽt suruenu entre vous & vostre mary. Si vous trouuez qu'elle soit en vous, ostez la
promptement. Retirez la matiere
vous esteindrez le feu. Esloignez l'occasion de la colere, vous guerirez l'alienation de l'esprit.
Il arriue souuent aux inimitiez &
aux auersions domestiques,cõme à ces
Isles qui se forment au milieu des riuieres. Elles commencent par vn peu
de sable ou de quelque autre chose,
qui arreste peu à peu ce qui y aborde
& s'y joint. Enfin, il se fait vn monceau considerable, qui empesche le
cours de la riuiere & la commodité des
basteaux.
IV. Sur tout, taschez de découurir
si quelqu'vn ne seme point de la ziza
85
nie par de faux rapports. Esloignez de
vous tous ces seditieux, & ne leur confiez iamais vos secrets. Ce sont des
supposts du diable, qui souuent soufflent chaud & froid, & aliennent l'vne
& l'autre partie, par leurs mensonges
& par leurs calomnies.
In Pastor.38
Sainct Gregoire se met en colere
contre ces malheureux esprits, qui seruent de messagers à l'ennemy du genre
humain.
Il n'est, dit-il,
rien de plus parfait que la Charité, ny de plus agreable au demon que la perte de cette saincte vertu. Quiconque donc tuë la Charité en son Prochain, est vn des plus familiers seruiteurs du demon.
V. Soyez vertueuse : & vostre vertu si elle est constante, se fera paroistre
dans vn tel éclat, qu'enfin les tenebres se dissiperont, & vous laisseront
vn iour d'autant plus beau, plus recreatif, & plus étincelant de lumiere,
que les nuages auront esté obscurs &
fascheux. Le Soleil ne peut iamais estre
si caché qu'il ne iette quelque rayon :
qui fasse cõnoistre, admirer & aimer son
86
excellente beauté, & ses merueilleux
effects.
Lib.
22.c.
8.39
Pline, escrit, que ceux qui
portoient l'herbe Hecatoncephalon
estoient aimez d'vn chacun. La Vertu
est vne fleur celeste : qui ne peut estre
apperceuë, sans tirer à soy les cœurs
de ceux qui la contemplent.
VI. Ayez particulierement vn ardent Amour de Dieu, & il vous gagnera l'amour des hommes. Vn Aimant attire si puissamment vn anneau
de fer, & luy communique si charitablement sa vertu, que cét anneau en
attire plusieurs autres, & fait vne
chaisne comme de nouueaux Aimans,
qui ne se peuuent separer les vns des
autres sans violence.
Iesus-Christ est l'Espoux de l'Eglise, & des sainctes ames. Il le faut aimer, & il vous rendra aimable. Il est
le fondement de l'Eglise, & il faut
mettre sur ce fondement, de l'or, de
l'argent, & des pierres precieuses.
L'or, dit sainct Thomas,
est la Charité: l'argent est l'Oraison & la Contem 87 plation, les pierres precieuses sont les autres vertus. Bastissez bien cette maison, & Iesus fera prosperer la vostre & celle de vos enfans.
VII. Efforcez-vous par vos vertus
d'estre aimée de Dieu; & vous ne vous
affligerez pas beaucoup, de vous voir
peu affectionné des creatures. L'Espouse sacrée dit à Iesus-Christ dans les
Canti
I.v.i.
Cantiques.
Mon Bien-aimé, donnezmoy vn baiser de vostre bouche : Car vos mammelles sont meilleures que le vin. La Mammelle du Pere Eternel, dit Clement Alexandrin, c'est IesusChrist. Les Mammeles de Iesus-Christ sont les enseignemens de la doctrine Euangelique, selon l'aduis de sainct Thomas ; ou plustost les delices de la vie spirituelle, comme l'explique S. Bernard.
Ces delices, dit le Prophete Royal40,
sont plus douces que le lait & le miel,
Partant, si vous les obtenez de Dieu,
vous ne vous mettrez en peine de rien,
& quelquefois vostre cœur sera si remply de ce vin celeste, que vous vous réjoüirez d'estre rebuté de vostre mary,
88
afin que vous vous attachiez plus fortement & plus inseparablement à la source de toutes les bontez & de toutes les
douceurs.
VIII. Taschez que vostre mary
aime Dieu, & infailliblement il vous
aimera, encore que vous soyez remplie d'imperfections : Car l'Amour de
Dieu & l'Amour du Prochain procedent d'vne mesme racine de Charité,
& ont vn mesme motif formel. On
aime DIeu pour l'amour de luy-mesme, & le Prochain pour l'amour de
Dieu.
De plus, lors que deux choses sont
vnies à vne troisiesme, elles sont vnies
entre'elles-mesmes. Nous le voyons
aux lignes d'vn cercle, qui aboutissent
toutes à vn mesme centre : & y sont
toutes vnies ensemble. Si vostre mary
aime Dieu, & que vous aimiez aussi
Dieu, vous vous trouuerez vne mesme chose & vn mesme cœur en Dieu,
& entre vous deux, & ce lien sera plus
ferme & plus indissoluble que tout autre. Dieu est tousiours le mesme, &
ne varie point. Il versera aussi dans
89
vos ames le mesme suc de Charité,
comme vn tronc donne la mesme seve à deux branches, qui luy sont antées & incorporées.
Lors que le sainct Esprit descendit sur vn chacun des Apostres, & le
remplit de son feu celeste : il les vnit
tous en Charité & à soy-mesme, &
entr'eux. Si vous & vostre mary auez
vn mesme Esprit, & bruslez du mesme
feu diuin, vous ne perdrez iamais les
ardeurs necessaires pour vn parfait
amour humain.
Le Roy des Ethiopiens Vopha
Osor.
lib.4.
lenses, enuoyoit tous les ans vn de ses
Gentilshommes par tout son Empire,
pour porter du feu nouueau aux Princes & aux Rois qui estoiẽt sous son domaine, & à tous ses subjets. Lors que
l'Ambassadeur estoit arriué au Palais
d'vn de ces Princes, l'on y esteignoit
tout le feu, & l'Ambassadeur en faisoit
de nouueau. Alors tous les subjets du
Prince venoient à son logis & remportoient du feu en toutes leurs maisons.
Si quelqu'vn refusoit d'en prendre, il
estoit censé vn traistre, & estoit puny
90
du dernier supplice, comme criminel
de leze Majesté. Si mesmes il estoit
besoin, on menoit vne armée contre
luy.
Cette inuention vous peut seruir.
Il faut de temps en temps faire du feu
nouueau dans vostre logis, par des extraordinaires actions de charité enuers
vostre mary & enuers vos enfans : si
vous voulez que l'Amour y viue & y
agisse dans sa vigueur & dans sa perfection. Cét Amour est le fruict de toutes les vertus.
La vie de l'homme, dit sainct Bernard,
est l'Amour de Dieu. La Foy le conçoit, l'Esperance l'enfante, la Charite le forme & le viuifie. Car l'Amour de Dieu, ou l'Amour Dieu ( qui est le sainct Esprit ) se meslant auec l'amour de l'homme,se l'affectionne, & le rend vne mesme chose auec luy & auec son amour. Cét Amour de Dieu engendré par la Grace, est allaité par la lecture des Liures Saincts, nourry par la meditation, renforcé & éclairé par l'Oraison.
Si vous auez ce Diuin Amour du
sainct Esprit, cét Esprit qui n'est
91
qu'Amour, entrera dans le cœur de
vostre mary, & vous le rendra tel que
vous desirez. Et s'il y trouue trop de
resistance il vous redoublera ses graces, & vous fera vn cœur de diamant, qui sera precieux aux yeux de
Dieu, lumineux aux yeux des Anges, & imperturable aux attaques
des hommes.
IX. Enfin ne vous persuadez nullement, que le mauuais visage que
vous fait vostre mary, & les paroles
aigres qu'il laisse échapper de sa bouche, soient vne haine formée dans
son cœur : C'est souuent vne antipathie d'humeurs, qu'il doit souffrir &
vous aussi, & qui peut-estre le fasche
plus que vous.
Nous voyons, comme i'ay déja
marqué, des discordes & des antipathies entre diuers animaux, sans qu'il
en paroisse aucune cause. Cela se voit
tous les iours, entre l'aragnée & le
serpent, entre les souris & les fourmis,
entre le Trochile & l'Aigle, & entre
plusieurs autres.
Ce qui est plus admirable, c'est
92
qu'entre certaines plantes, & entre
certains arbres on trouue des auersions
sensibles, en sorte que les vns meurent, ou ne profitent point aupres des
autres. La Vigne embrasse toutes les
plantes & tous les arbres, & refuit41 les
choux. Le Chesne ne vient pas bien
auprés de l'Oliuier, & beaucoup moins
auprés du Noyer. Estant mis dans la
fosse de l'vn de ces deux arbres il
meurt. Nous voyons auec estonnement les alienations d'esprit dans des
peuples voisins, & qui habitent le
mesme climat.
Ne rejettez dõc point sur vne haine
formelle, mais sur l'humeur de vostre
mary, ce qui vous déplaist en ses paroles & en ses actions: Esperez que le
temps, vostre patience, & principalement le secours diuin, apporteront du
remede à vostre malheur.
En attendant, nourrissez - vous
de la rosée du Ciel : viuifiez - vous
par le feu du sainct Esprit, consolez-vous dans les exercices de pieté,
& rendez-vous par vos vertus aimable
aux Saincts, aux Anges, à la Vierge
93
Marie, à Iesus-Christ, & à toute la
Saincte Trinité42. Vous ne perdrez rien
au change, & vous passerez doucement
vostre vie, auec vne compagnie si souhaitable & si agreable.
§. II. Considerations pour le mary qui n'aime point sa femme.
I. Vous desirez d'estre aimé, & vous
passeriez dans vostre propre esprit pour
vn homme dénaturé, si vous vous
plaisiez à estre hay des autres, & si vous
méprisiez leur amour. Or il est impossible d'auoir parfaitement l'amour
d'autruy si on ne luy donne le sien.
Les yeux sont les premiers messagers des Mariages, & ils ont vn notable rapport à l'amour du mary & de la
femme, en ce qui est de la mutuelle
correspondance de l'vn à l'autre. Si
vn œil se leue vers le Ciel, l'autre œil
s'y leue incontinent. Si l'vn s'incline
vers la terre, l'autre s'abaisse dans la
mesme proportion. Et l'vn ne se tourne iamais d'vn costé, que son compagnon ne le suiue à pas égal. Le mesme
se rencontre aux amours, qui posse
94
dent les cœurs d'vn homme & d'vne
femme.
Si donc vous aimez vostre femme
elle vous aimera : Ne l'aimez pas : son
cœur sera glacé pour vous. Tel que
vous serez enuers elle, telle vous la
trouuerez enuers vous.
II. Voudriez-vous passer dans l'estime de vos parens & de vos concitoyens pour vn inconstant, pour vn
volage, & pour vn perfide ? Or ditesmoy en verité, qu'auez-vous promis
à vostre femme? Metttez-vous deuant
les yeux le temps de vostre recherche.
Que ne luy auez-vous point dit? Combien de témoignages d'amitié luy
auez-vous montrez? Combien de promesses luy auez-vous reïtereées ? Ne
l'auez-vous pas cent & cent fois asseurée, que vostre bonne affection enuers
elle seroit inuiolable, & ne se diminueroit iamais iusqu'à la mort ?
Ressouuenez-vous aussi du iour
de vos nopces. N'auez-vous pas mis
ou fait mettre sur la teste de vostre Espouse vne Couronne ? C'est, dit Pas-
95
Lib. 2.
de caron. c.
16. &
17.
chal, vn signe d'amour, de joye, de
congratulation, & de victoire, remportée iusques à ce temps-là sur la concupiscence, & sur les Passions. Ne
luy auez-vous pas donné le baiser de
paix & d'amour à la face de l'Eglise, &
en presence de toute vostre parenté &
de la sienne. Ne luy auez-vous pas mis
vn anneau au doigt, en signe de la durée de cét amour, que vous disiez ne
deuoir non plus trouuer de fin, que
cét anneau n'en auoit point.
N'auez-vous pas declaré cét
amour par diuers signes d'allegresse,
conduisant vostre Espouse en vostre
maison ? Toutes les Nations ont certaines ceremonies à cét effect. Ie me
contenteray icy de celle qui se practi
Ioseph
Besson
in Syria
sancta.43
quent en Syrie. Le soir des nopces, le
Fiancé va sur le soir au logis de son Espouse, auec les flambeaux de toute la
Ville. Il marche seul entre deux hommes, qui portent chacun vne espée
nuë : L'vn le precede, l'autre le suit.
Les haut-bois, les tambours, & d'autres instrumens de Musique n'y manquent pas, & d'autres marques d'vne
96
signalée réjouïssance. Plusieurs hommes & plusieurs femmes leur tiennent
compagnie. Le Fiancé fait tous ces
frais, & n'y manque iamais, encore
qu'il soit pauure : Et il consumera
plustost tout son bien, que d'obmettre cette ceremonie, en quoy il
témoigne son affection enuers son Espouse.
Vous auez fait dans ce iour de joye
tous les frais, que la coustume & vôtre fortune vous ont permis. Cela
vous a reussi auec succez, & auec l'agréement de tous les alliez. Voudriezvous maintenant esteindre vn si beau
feu, qui vous a donné tant de lustre ?
Caton disoit, qu'vn homme est plus
digne de loüange d'estre bon mary,que
d'estre illustre parmy les Senateurs.
Vous auez bien commencé, ne finissez
point mal : Mais s'il y a eu quelque interruption, remettez-vous dans vos
premieres ardeurs.
III. La societé de plusieurs actions
demande cét amour reciproque. Quand
il n'y auroit que l'assiduité de boire &
de manger ensemble, vous seriez
97
obligé à vne cordiale affection. Les
Grecs presentoient à leurs hostes, deuant tous les autres mets vn peu de sel,
pour leur témoigner qu'ils conserueroient leur amitié incorruptible, comme le sel preserue de corruption toutes
les viandes.
On renuoyeroit aux Asnes ceux,
qui au lieu de laituës, offriroient des
chardons pour salade:comme faisoient
les anciens Romains, au rapport de
Capitolin. Vous ferez bien pis : si au
lieu de viandes, vous offrez du venin
& des espines à vostre Espouse.
IV. L'Amour vous est absolument
necessaire, si vous voulez tirer de bons
seruices de vostre femme, & la maintenir en santé. Si elle conçoit vne
haine contre vous elle luy glacera
le cœur, & par consequent, luy refroidira les esprits vitaux, luy troublera l'imagination, & rompra les
bras qui seront languissans & inutiles
dans le trauail.
Au contraire, si l'Amour luy eschauffe le cœur, il le luy dilatera, il
en viuifiera & purifiera les esprits, il
98
les épandra par tous les membres, &
la rendra vne bonne ouuriere dans
toute vostre famille, & elle sera vôtre plus seur & plus agreable refuge.
Calius
l. 9. c.
22.
Les Thebains44 auoient vn Regiment de soldats,en qui estoit leur principale esperance. Elle estoit composée
de personnes qui s'estoient voüez vne
particuliere & inuiolable amitié.
Charles Frideric, Duc de Iuliers,
de Cleues, & de Monts, prit pour son
Symbole quantité de cœurs, mis sur
vn bouclier auec cette inscription.
Hic murus aheneus esto. Voicy vne muraille d'airain. Il eust dit plus veritablement. Voicy vne muraille d'or, & tout à fait impenetrable.
Le cœur est la source de la vie. Il
vit le premier & meurt le dernier : S'il
meurt tout meurt : S'il est malade tout
est languissant : S'il est vif & actif, tout
demeure, & tout paroist dans sa
vigueur.
V. Vne femme qui aime, a mille
inuentions pour conseruer la santé &
la vie à son mary par de bons offices,
99
par ses soings,& mesme par des actions
heroïques & non attenduës. La fille
de Clearque, ayant eu permission de
visiter son mary dans la prison, changea d'habits auec luy, & le déliura au
peril de sa propre vie. L'Amour est inuentif & prest de tout souffrir pour
celuy à qui il s'est donné. I'ay raconté
Imprimé chez
Grang er à
Dijon.
de tres-rares exemples de l'Amour effectif des femmes enuers leurs maris,
dans vn Traicté intitulé, Le bon Vigneron, le bon Laboureur, & le bon
Artisan.
VI. Ie vous diray vn mot qui vous
doit penetrer le cœur. Voulez vous
viure en seureté, aimez vostre femme,
& témoignez-luy vostre amour par de
bons effects. Alphonse, Roy d'Arragon disoit sagement : Que l'Amour est
sans armes, & neantmoins dort toûjours armé. Au contraire, il est perilleux de tenir tousiours dans son sein
vne vipere pleine de venin. Vous remplissez d'vne haine mortelle le cœur de
vostre femme : Cette haine est vn poison, tiré du plus creux de l'abysme, &
100
vous viuez auec elle comme si vous la
caressiez,auec toutes les tendresses que
vous luy deuez, & que vous luy auez
promises.
Si j'osois charger ce papier de diuerses tragedies arriuées en tous les
siecles, ie vous ferois dresser les cheueux en teste, & glacer le sang dans
les veines. Mais ie n'ay garde de remettre dans la memoire des hommes,
ce qui doit estre enterré dans vn eternel oubly.
Concluez, & soyez sage & moderé. Viuez joyeux, au milieu des caresses & des diuertissemens d'vne honneste & chaste Amour. Ne viuez
point vne vie de Hibou, qui n'aime que les tenebres & la solitude, &
qui se fait la haine & l'opprobre de
tous les oyseaux.
101
bandeau décoratif
CHAPITRE II. La Consolation & la Direction d'vne Femme, qui est battuë par son Mary.
LEs paroles volent en l'air, & ne
blessent personne. Vne haine
couuerte se cache dans les replis du
cœur, & ne fait mal qu'à ceux qui
sont trop curieux. Mais les soufflets,
les coups de poings, les coups de pieds
& de bastons meinent vn tel bruit, &
portent vn si notable dommage au
corps, & vne si fascheuse infamie à la
personne, qu'ils sont insupportables à
vne femme bien née, & qui se sent
innocente.
Il est vray que cét estat est treslamentable, lors que la passion possede tellement vn mary, qu'il n'escoute
point la raison, & qu'il se laisse emporter à vne furieuse impetuosité, qui
le met hors de soy-mesme. Au lieu
d'vn homme raisonnable, à qui l'on
102
s'est confié & donné, pour en tirer du
soulagement & de la joye : on trouue
vn Lion & vn Tigre enragé, qui rugit
continuellement dans sa cauerne, &
en suite, déchire & deuore ceux qui y
sont.
Mais il n'est point de mal si grand
qui ne se puisse tourner à profit, si nous
y prenons garde, & qui ne se puisse
tout à fait empescher ou diminuër, si
nous y apportons vne bonne volonté,
& vne sage conduite.
§. I. Aduis à la femme, qui est battuë par son mary.
I. Prenez garde quel est le naturel
de vostre mary, & qu'est-ce qui le
choque en vous : Accommodez-vous
à ses humeurs, & vous l'appriuoiserez,
encore qu'il fut plus farouche qu'vn
Loup & qu'vn Lion. Sainct Emerius
appriuoisa vn Lion par vne douce parole : & sainct Seuerin, Euesque de
Septempeda, par vn seul signe de
Croix, rendit vn Loup doux & domestique.
Voyez attentiuement s'il n'y a
rien en vous qui luy donne vne iuste
103
occasion, ou vn specieux pretexte de
vous frapper & molester. Si vous rencontrez quelque imperfection choquante, corrigez-là, & Dieu benira
vostre vertu, & le desir que vous aurez,de viure en sorte qu'il ne soit point
offensé dans vostre maison.
II. Ne croyez point que les coups
que vostre mary vous donne, procedent d'vne haine interieure : Car cette
pensée aigriroit vostre mal. Souuent
vne simple legereté, ou vne surprise de
vin, ou l'âge plein de feu luy emportent la main.
Il pourroit arriuer que ce seroit vn
excez d'affection, laquelle ne peut
rien souffrir en vous qui offense ses
yeux. Vous voyez par vostre propre
experience, que vous punissez vos enfans pour certaines fautes, dont vous
ne daignez pas seulement reprendre vn
de vos valets : Car vostre amour veut
vostre fils parfait, & l'indifference
que vous auez pour le bien de vostre
valet, vous fait negliger & tolerer ses
rusticitez & imperfections.
104
Les femmes des Moscouites45 sont
Auity.
admirables en ce poinct. Si elles font
vne faute vn peu remarquable, elles
n'estiment point estre aimées de leurs
maris, s'ils ne les battent selon que la
faute le merite. Qui a payé est quitte :
Autrement on peut craindre, qu'vne
indignation couuée ne demeure plus
long temps sur le cœur, & n'en corrompe entierement l'affection.
III. Si vostre mary vous frappe,
mesmes mal à propos, taisez-vous, &
ne luy donnez point d'imprecations.
Ne criez point de telle sorte, que les
voisins en soient allarmez, si ce n'est
qu'il y ait du peril pour vostre vie, ou
pour vostre santé : & qu'il faille les
appeller au secours.
Bon
Vigner
lib. 3.
c. I. 46
I'ay prouué ailleurs, que le silence
empesche que les maris ne frappent
leurs femmes. Ie dis maintenant, qu'il
fait au moins qu'ils ne les frappent
point si rudement ny si souuent. Car
qui seroit le desnaturé, qui voulut toucher sur vne pauure brebis laquelle ne
luy dit rien, & qui luy donne sa laine
& sa substance ? Si la precipitation, la
105
colere ou l'yuresse, pousse vn ieune esuenté à quelque escapade, & qu'on ne
luy resiste point dans sa fureur, lors
que son feu est passé il reste honteux &
humilié. Il rentre en soy-mesme, il
admire la vertu & la generosité de celle qui a tant d'amour pour luy, & tant
de respect pour Dieu. Il propose alors
de ne plus tomber dans vne faute si criminelle & si esloignée de la raison.
Chacun a le remords de sa conscience,
lequel est vn Pedagogue inuisible, qui
ne manque iamais à son deuoir. Dieu
le fait agir puissamment, lors que la
personne offensée s'en rend digne, &
implore son aide.
Imitez le Lierre coupé, il ne laisse
pas de s'attacher plus fortement à l'arbre qui l'appuyoit, & d'en tirer tout
le suc qu'il peut. Par ce moyen il repousse ses rejettons, & montre enfin
aussi haut qu'il estoit.
IV. Consderez que cette souffrance est vne satisfaction pour vos pechez, vn grand merite deuant Dieu,
& vn moyen de rendre toutes vos vertus plus heroïques & plus solides. On
106
dit qu'vn Cheual mordu d'vn Loup, en
deuient plus genereux.
V. Dieu changera vos amertumes
en douceurs, & vos playes en des sources de benedictions. Il sortit des
playes de saincte Martine martyre,
vne soüeue odeur, qui embaumoit
tout l'air voisin, & rejoüissoit les assistans.
Colloq.
[?]1.47
Le Baume ne couleroit point si
abondamment, si l'on ne donnoit de
petites taillades au tronc de l'arbrisseau. Majole rapporte qu'au nouueau
Monde on trouue vn arbre, qui estant
incisé, distille vne goutte semblable
au Baume en odeur, laquelle guerit de
toutes playes, & referme entierement
les cicatrices : de sorte qu'il n'y paroist
plus aucune marque de la blessure.
V.48 Meditez les tourmens & les
douleurs des saincts Martyrs, & les
vostres vous sembleront vn jeu d'enfant. Saincte Marcionille fut tourmentée, & enfin massacrée par son
propre mary, auec sainct Celse son
fils.
Plusieurs Martyrs ont esté souffle
107
tez, bastonnez, bruslez, escorchez,
rostis sur des grils ardens, & ont souffert tous ces supplices, & plusieurs autres auec des joyes incomparables.
Lors, dit sainct Chrysostome,
que les S. Chride sanctis Martyrib.49 Saincts Martyrs estoient enuironnez de flammes qui entroient dans leurs playes, & qui les consumoient iusques aux os, ils souffroient ces douleurs comme s'ils eussent esté de diamant, & comme s'ils eussent enduré dans des corps empruntez.
Et ailleurs parlant de l'Apostre
sainct Paul, il dit.
Acta
Mart.
Sainct Paul estant orné de la Charité de Dieu, ne craignoit point dauantage Neron, & les autres Tyrans & bourreaux, qu'vn petit mouscheron qui vole en l'air. Par cette Charité, il estimoit toutes les tortures & la mort mesme vn ieu d'enfant. Il estoit plus joyeux & plus glorieux dans ses liens, que s'il eust esté couronné d'vn diademe. Estant dans la prison il demeuroit au Ciel. Il receuoit plus volontiers les playes que les autres ne reçoiuent les recompenses. Cette Charité luy rendoit les trauaux 108 plus doux, que le repos ne sembloit aux autres, & les douleurs plus agreables, que les couronnes, que les triomphes & les trophées.
Sainct Hermile se réjouïssoit, lors
qu'on luy frappoit le visage auec des
instrumens d'airain. Saincte Seconde
se faschoit contre le Tyran, de ce qu'il
honoroit sa sœur Rufine en la souffletant, & qu'il ne la faisoit point souffrir pour imiter son Sauueur.
Sainct Sebastien loüoit Dieu, sous
la gresle des bastonnades, dont il fut
assommé.
Sainct Marc & Sainct Marcellien,
estant attachez à vn posteau par des
cloux qui luer perçoient les pieds asseuroient : Que iamais ils n'auoient
esté à vn meilleur festin.
Sainct Arcadius loüoit Dieu, &
chantoit d'allegresse, lors qu'on luy
coupoit tous les membres de son corps
les vns apres les autres.
Vostre mal est tres-grand, & tresdifficile à supporter, ie ne croy pas
neantmoins qu'il soit égal à celuy de
ces genereux soldats de Iesus-Christ.
109
Considerez leurs souffrances, admirez la force de la grace de Dieu en eux:
loüez leur valeur, implorez leur assistance, & asseurez-vous que vous en
receurez vn grand soulagement, &
que vostre patience en deuiendra plus
genereuse.
VI. La Patience rend le mal plus
leger, & l'Oraison l'oste quelquefois
entierement, & fait que Dieu renforce
tellement le cœur de son secours, qu'il
ne sent aucune douleur.
Hist.
ipsor.
Sainct Clement d'Ancyre, &
sainct Agathange, estans mis sur des
grils de fer tout embrasez, n'en furent nullement endommagez, quoy
que le Tyran fist jetter sur eux de
l'huile, de la poix, & du souffre
boüillant.
Le mesme sainct Clement receut
cent cinquante coups sur la teste, &
vn Ange le guerit incontinent.
Sainct Theodore chante au milieu de ses tourmens, & vn Ange
essuye auec vne merueilleuse allegresse, la sueur qui couloit de son visage.
Vn autre Ange guerit sainct Constan-
110
ce de toutes ses playes.
Ayez donc confiance en Dieu :
Iettez dans son sein vostre cœur & vos
douleurs : Inuoquez-le auec ardeur,
& il vous assistera & consolera. Peutestre conuertira-t'il vostre mary par
vos prieres & par vostre patience,
comme il conuertit les bourreaux de
saincte Martine, elle ayant prié pour
eux. Et quoy qu'il en arriue, vos douleurs se tourneront en joye, & vos
tourmens en allegresse. Les pieces des
pots cassez dont on tourmentoit sainct
Vincent, se changerent en des fleurs
tres-belles & tres-odoriferantes. Dieu
ne permet iamais que ses seruiteurs
soient accablez du fardeau qu'il met
sur leurs espaules, s'ils ont recours à
sa bonté.
VIII.50 Continuez tousiours les bons
seruices que vous rendez à vostre mary,
& à toute vostre famille. Rendez le
bien pour le mal, & vostre merite sera
tres-grand deuant Dieu. Les Saincts
ont exercé cette Charité enuers leurs
plus cruels persecuteurs. Sainct Meinrad fit bonne chere aux voleurs, qu'il
111
sçauoit estre venus pour l'assassiner.
Les Saincts Martyrs Phocas & Melas,
traicterent le plus ciuilement qu'ils
pûrent, & nourrirent auec joye & charité les bourreaux qui les cherchoient
pour les massacrer, & qui en effect les
tuerent.
Dieu a tourné leurs supplices en
plaisirs, & leur mort d'vn moment en
vne eternelle vie. Lors qu'on picque
certaines Huitres il en sort vne liqueur
qui se change en pierres precieuses.
Toutes vos larmes, toutes vos sueurs,
& toutes vos douleurs seront transformées en des fleurs, en des perles,
& en des couronnes.
§. II. Aduis pour le mari qui bat sa femme.
I. L'homme qui frappe sa femme
mal à propos, fait vne profession publique qu'il n'a point d'esprit, ne pouuant gagner par dexterité & par bienfaits, l'affection d'vne personne qui a
eu tant d'inclination pour luy, que de
s'y donner entierement, & de s'y assujettir iusques à la mort, auec laquelle
il est en communauté de corps & de
112
biens, & conuerse continuellement en
la maison, à la table, au lict, à la ville,
aux champs, & dans toutes les rencontres de la vie.
Ceux qui ne sont pas bons Caualiers, tourmentent vn cheual à coups
d'esperons & à coups d'escourgées, encore n'en peuuent-ils tirer le seruice
qu'ils desirent. Mais vn Caualier industrieux en fait ce qu'il veut, auec le
moindre coup de houssine, & souuent
par vne seule parole, ou vn seul mouuement de la bride.
II. Personne ne reuoque en doute,
que celuy qui se bat soy-mesme, qui
s'arrache les cheueux, qui se meurtrit
le visage à coups de poings, & les bras
ou les jambes à coups de bastõs ne soit
vn insensé, qui n'a plus de jugement.
Or personne ne doute, que l'homme
& la femme ne soient vne mesme cho
Matth.
19.5.
se.
113
Erunt duo in carne vna. Ils sont deux en vne mesme chair, dit nostre Seigneur. Iugez donc vous-mesme quel nom vous meritez, si vous frappez vostre femme qui est vne mesme chose auec vous.
III. Le contrecoup en retombe sur
vous, & plus dangereusement que sur
elle. Comme les coups qu'on donne
sur le costé gauche incommodent aussi
le costé droict, & pour l'ordinaire,
le contre-coup est pire que le coup
mesme.
IV. Celuy qui frappe sa femme est
vn barbare ou vn yurogne. S'il est
d'vne condition riche & noble, il est
barbare, s'il est de basse naissance, il
Solin.
est brutal ou yurogne. Les Neuriens,
peuple de Scythie, se transformoient
en Loups durant l'esté, & exerçoient
plusieurs cruautez sous cette figure
puis retournoient à leur premiere figure. Les yurognes sont presque toute l'année transformez en de cruelles
bestes. Ces Neuriens adoroient Mars
pour leur Dieu; ils adoroient aussi leurs
espées, & leur immoloient des hommes. Ils faisoient mesme leur feu domestique auec des os d'hommes & de
femmes. Ce Hieroglyphe peut nous
figurer ceux qui estans remplis de vin,
ne pensent qu'à toucher, qu'à crier,
& qu'à mettre toute leur maison en
114
feu & en flammes.
V. Ceux qui battent leurs femmes sont des ames lasches, qui s'attaquent à de plus foibles qu'eux, &
tremblent deuant leurs égaux. Les
anciens Hetruriens ont esté blasmez,
de ce qu'ils faisoient fustiger leurs esclaues au son de la fluste, pour auoir
du plaisir & du diuertissement, mesme
dans les larmes & les gemissemens de
ces pauures miserables victimes, qui
ne leur pouuoient resister.
Les ames genereuses aiment la
paix & la doucuer, & méprisent toutes les violences precipitées. L'Empereur Maximilien le montroit dans vn
tel Embleme. Il peignit vne Aigle,
qui fouloit aux pieds la foudre: & tenoit vn rameau d'Oliuier.
VI. Celuy qui bat sa femme, se
met en danger d'estre ridicule & infame dans tout son voisinage. Le droict
naturel de sa conseruation, le transport de la colere, les tentations du
demon, peuuent tellement échauffer
& animer la plus foible des creatures,
qu'elle se mettra en defense, qu'elle
115
luy sautera aux yeux, qu'elle luy
marquera les joües auec ses ongles,
le défigurera, & le blessera notablement.
Les moindres souris montrent les
dents si on les attaque. Et les plus
chetifs animaux domptent quelquefois les plus orgueilleux & les plus inuincibles. Richeome rapporte, qu'vne vieille Caualle tua vn Lion par vn
coup de pied, le Lion s'approchant
d'elle pour la deuorer. Il n'est point
de foible ennemy, lors qu'il s'agist
de la santé, de l'honneur, & de la
vie.
Ie veux que vous sortiez victorieux du combat. Ce vous sera vne
grande gloire, de vous estre battu en
duel auec vne femme.
VII. Celuy qui bat sa femme la
rend farouche & indocile, si elle a vn
cœur genereux, il la fait pusillanime,
si elle est craintiue, la douceur l'appriuoisera mieux, si son humeur est
reuesche ; & l'on en tirerera plus de
seruice.Cela se voit mesmes en la pluspart des bestes.
116
L'Elephant de l'Inde, au rapport
De animal 12
c. 44.51
d'Elien, estant pris lors qu'il est déja
robuste, est fort difficile à appriuoiser,
& par vn desir de liberté est tres-farouche, taschant de tuer ceux qui le
tiennent. Si on le lie, il entre dans de
plus grandes fougues, rejette les viandes les plus delicates, & se laisse mourir. Les Indiens pour le rendre docile
luy chantent vne chanson, & joüent
d'vn instrument de Musique. L'Elephant commence à l'écouter, leue les
oreilles, pour oüir plus commodement cette melodie, montre qu'il y
prend plaisir, & se rend doux & traitable par cét agreable concert, en suite il mange peu à peu, & quoy que délié, ne retourne plus à sa ferocité naturelle.
Vous auez mené vostre Espouse
en vostre maison auec les violons, &
auec d'autres instrumens de Musique.
Retenez y toute vostre vie vne bonne
consonance, & elle y demeurera volontiers, & vous y rendra de bons
seruices.
VIII. La societé de la vie de
117
l'homme & de la femme, les oblige à
vn amour parfait, & à vne douceur &
des caresses reciproques. Elle doit appaiser les plus furieux, & esteindre
leurs flammes. L'Empereur Antonin
auoit mis dans son Symbole vn Foudre pacifique sur vn lict. Vn lict de
plume resiste aux boulets de Canon,
en ne leur resistant pas.
Combien de seruices rend vne
femme à son mary ? Ils meritent son
amitié, & doiuent empescher sa
cruauté. Le Crocodile, quoy que trescruel, ne nuit iamais à vn petit oiseau
qui se nomme Trochile : à cause que
cét oiseau luy nettoye les dents, y
cherchant sa nourriture. Il entre auec
asseurance dans la bouche de ce monstre, & en sort auec liberté. Qui estce qui vous prepare vos viandes, & qui
a soin de tous vos domestiques, sinon
vostre femme? Ne payez point par vne
lasche & ingrate cruauté, les seruices
charitables de sa bonté.
IX. Celuy qui bat sa femme, nuit
beaucoup à ces enfans & à toute sa famille. Car il est presque necessaire
118
qu'ils méprisent, où le mary comme
vn brutal, ou la femme comme vne
teste dure & mal faite : & quelquefois
les accidens qui suruiennent dans ce
chamaillis, rend l'vn & l'autre absolument ridicule. Ainsi le gouuernement
est enerué, & l'esprit des enfans & des
seruiteurs se rebute, & vit dans vne
noire melancholie, de ce qu'ils n'entendent, que des crieries, des plaintes,
des blasphemes, des maledictions &
des imprecations.
X. Celuy qui bat sa Femme, renuerse toute l'education de ses enfans :
& leur donne vn exemple, qui les rendra de petits Tigres, en leur temps, &
des Diables toute leur vie. Leur imagination se remplit de colere, & de
blasphemes: qui font puis apres de furieux effets dans les occasions.
XI. Celuy qui bat sa Femme, sans
vne absoluë necessité, surpasse son
pouuoir. Le domaine du Mary sur la
Femme, n'est pas semblable à celuy
qu'il a sur son or, sur son argent, &
sur ce qu'il possede: mais il est ciuil, &
fort limité. Eue fut tirée de la coste
119
d'Adam, & non pas de la teste ny des
pieds : pour monstrer, comme elle ne
doit point dominer sur son mari; aussi
n'en doit elle point estre méprisée &
bafoüée: mais estre sa compagne bienaimée : ayant esté prise d'auprés du
cœur.
XII. Dieu defend aux hommes, par
la bouche de l'Apostre, de tourmenter
Coloss.
3. 19.52
leurs femmes,
Maris, dit-il,
aimez vos femmes, & ne leur témoignez point d'amertumes.
Si l'on n'obeït point à ce commandement, la douleur retombera
pour l'ordinaire sur celuy qui frappe.
C'est ce que meritent ces bourreaux
domestiques, comme anciennement
le meritoient & le souffroient les
In Actus.
bourreaux des Saincts Martyrs. Ceux
qui martyrisoient saincte Martine,
furent tourmentez visiblement par les
Anges. Ceux qui foüettoient sainct
Thyrse auec des cordes, en furent euxmesmes foüettez, & en suite auec des
foüets embrasez : & ce qui est plus à
nostre propos, ils se fustigerent euxmesmes. Vn mary ne peut frapper le
120
corps de sa femme, qu'il ne se perce le
cœur, par vn sensible remors de conscience, & par vne juste crainte,
d'estre dans le mespris de toute sa
parenté.
Le cloud qu'on vouloit ficher
dans la teste de sainct Potite, rejaillit
sur le Tyran, & se ficha profondement
dans la sienne.
Concluez de tout cecy, qu'il
faut qu'vn homme soit entierement
hors de soy-mesme ; lors que sans
vne extreme necessité, il vient à
cette barbarie de frapper sa femme; si
particulierement cela arriue plusieurs
fois. Il se nuit à soy-mesme, à sa reputation, à ses enfans à toute sa famille, & fait vne action qui est brutale
& barbare.
121
bandeau décoratif
CHAPITRE III. La Consolation & la Direction d'vne femme dont le mary est jaloux.
LA Ialousie, dit Chrysippe, est vne
maladie de l'esprit, laquelle procede d'vne crainte, que quelqu'autre
n'ait la joüissance d'vne chose aimé
qu'on veut posseder tout seul.
Vn Auaricieux est jaloux de son
or & de son argent. Vn Gentilhomme
est jaloux de son honneur: vn Roy de
sa domination; & vn mary de sa femme. Tout ce qui donne le moindre
ombrage de les leur rauir les choque,
& les fait entrer dans de grandes inquietudes.
Ce mal est l'vn des plus grands
qui puissent arriuer au Mariage. Car
il ne donne nul repos, ny iour ny nuict,
à vn esprit soupçonneux, & qui se forme vne infinité de chimeres, croyant
qu'il est trahy & priué de ce qu'il a de
plus cher au monde, pour ses delices
122
& pour sa reputation.
Vne femme qui connoist ce malheur, si elle se trouue innocente, seche sur ses pieds, & desire mille fois
le tombeau, afin de couurir sa honte
& estouffer ses regrets. Donnons quelque soulagement à sa douleur, &
queques aduis pour la dissiper entierement.
§. I. Aduis à la femme, dont le mary est possedé de jalousie.
I. Compatissez à vostre mary comme à vn malade : & réjoüissez-vous
que son mal ne procede que d'vn excez de l'Amour qu'il vous porte, & de
l'estime qu'il fait de vostre beauté, de
vostre bonne grace, de vos paroles
charmantes, & de plusieurs perfections
naturelles qu'il apperçoit en vous. Il
vous affectionne, & veut vous posseder tout seul, à dessein de conseruer
vostre honneur, de sauuer vostre ame,
de maintenir le lustre de vostre famille,
& vos enfans dans leur heritage ; sans
le diuiser à d'autres qui ne seroient
point à luy.
Ie vois bien, qu'estant certaine
123
de vostre vertu, vous trouuez que ses
soupçons vous sont injurieux. Mais
consolez-vous, puis que sa jalousie
vient plustost de foiblesse que de malice, & que de grands Saincts en ont
esté surpris, estant trompez par de faux
rapports.
Sainct Henry, Empereur d'Occident, prit vn fascheux ombrage de
saincte Chunegonde sa femme. Mais
Surius.
la Saincte, pleine d'vne genereuse
confiance en Dieu, ne s'en estonna
point. Elle s'offrit à marcher à pieds
nuds sur des coutres de charruë tout
estincelans de feu. L'Empereur luy
permit, & elle y passa auec allegresse
& promptitude, sans en estre aucunement blessée.
Sainct Ioseph mesme eust quelque
soupçon de la Vierge Marie Mere de
Dieu, & auoit déja resolu de la quitter. Mais Dieu luy enuoya vn Ange
pour l'instruire, afin de le mettre hors
de peine, & la Vierge hors de blâme.
Num.
6. 5.
II. Confiez-vous que Dieu dissipera ce broüillard, moyennant que
vous ayez vn peu de patience. Dieu
124
auoit ordonné aux Iuifs vne Eau-benite, qu'on nommoit l'Eau de Ialousie. Le mary qui auoit quelque soupson de sa femme le menoit au Prestre,
lequel auec de certaines prieres, presentoit cette eau à l'accusée. Si elle
estoit sans crime, l'eau ne luy faisoit
aucune incommodité : mais la rendoit feconde. Que si elle estoit coupable ses entrailles pourrissoient, &
elle en mouroit.
Saincte Elizabeth53, Reine d'Hongrie, fut suspecte au Roy son mary54: à
cause des particuliers témoignages
d'affection, que cette vertueuse Princesse montroit à vn de ses Pages, le
Vita
& An.
Lusit.
quel excelloit en pieté par dessus tous
les autres. Le Roy piqué d'vne furieuse jalousie, se resolut de faire mourir
ce Page ; & à cét effect l'enuoye à vn
ouurier qui cuisoit de la chaux, à qui
il auoit commandé de jetter dans son
fourneau ardent le premier qu'il luy
addresseroit. Comme ce Page y alloit
par l'ordre du Roy, il passa proche d'vne Eglise, & entẽdant qu'on sonnoit à
l'éleuation du sainct Sacremẽt à la Mes
125
se, il entra dedans, oüit le reste de la
Messe, & l'autre entiere qui suiuoit. Le Roy souhaitant auec impatience de sçauoir le succez de son messager, enuoye vn autre Page (qui estoit
l'accusateur de la Reine & de son
compagnon ) à ce faiseur de chaux,
pour luy demander s'il auoit executé
ses ordres. Il n'y fut pas plustost
arriué que le Chaufournier l'empoigne, & nonobstant toutes resistances
le jette dans son fourneau, sur la
creance que c'estoit celuy dont le Roy
luy auoit parlé. Peu de temps apres le
Page vertueux qui estoit designé à ce
supplice vint à cét ouurier, & luy demande s'il auoit obey au Roy. Il respond, qu'il auoit fait auec fidelité ce
qui luy auoit esté commandé, & que
le Page estoit reduit en cendres. Le
Roy ayant ouy ce rapport par celuymesme qu'il vouloit perdre, admira
les iugemens de Dieu, & le soin qu'il
prend de la vie & de la reputation de
ses seruiteurs & de ses seruantes. Il
honora la Reine plus que iamais, &
caressa ce Page, qui auoit esté déliuré
126
de cét extreme peril par sa pieté. Esperez les mesmes assistances du Ciel, si
vous auez la mesme vertu en terre.
III. Considerez attentiuement
d'où vostre mary prend occasion de
vous tenir pour vne libertine, & vne
débauchée. Iettez vne œillade sur
toutes les causes qui luy peuuent donner quelque pretexte.
1. Si ce sont de trop frequens entretiens auec quelqu'vn de vos domestiques, de vos parens & de vos
voisns, il faut necessairement les retrancher, pour innocens & pour vtiles à la famille qu'ils puissent estre.
Rien ne vous doit estre plus cher que
vostre repos & celuy de vostre mary.
Cette maladie de Ialousie ne peut se
guerir, tandis que les sujets de l'om
Plutarch.
in Artax.55
brage demeurent.
Les Persans estoient si soupçonneux, qu'ils faisoient mourir, non
seulement ceux qui touchoient & qui
caressoient vne des Concubines du
Roy, mais aussi ceux qui s'en approchoient lors qu'elle passoit par la ruë.
Vous voyez combien grande est la ma
127
ladie de la Ialousie, & le soin qu'il
faut apporter pour l'euiter, & pour la
guerir.
2. Ne permettez iamais aucune familiarité à personne, en se joüant auprés de vous, en raillant, en vous manaint les mains, ou vsant d'autres priuautez bien qu'innocentes.
Ruellius l.
13.cap.
143.
L'herbe qu'on appelle Tousiours
viuante, est tres belle à voir, estant
tousiours verdoyante. Si quelqu'vn
la veut toucher, elle resserre incontinent ses feüilles, & les cache
sous ses petites branches : Que si on
la touche, elle se flestrit aussi-tost, &
paroist comme morte : Si l'on en
retire la main, elle reprend sa nouuelle
vigueur.
Toutes les caresses sont perilleuses, & peuuent donner de iustes craintes, que d'vne petite estincelle ne sorte
vn grand incendie.
3. Si vostre mary ne trouue pas
bon, que vous sortiez souuent du logis pour aller en compagnie, pour assister au bal, pour prendre d'autres recreations : réjoüissez-vous de cette
128
contrainte, qui vous retranche beaucoup de sujets de distractions & de dissipations de vostre deuotion.
Combien de Sainctes Martyres
ont esté renfermées dans les prisons,
& y ont receu de signalées faueurs de
Dieu. Saincte Archelas & saincte Prisque y furent visitées par les Anges, &
y sentirent de tres-grandes tendresses
de pieté. Saincte Barbe y fut resserrée
long-temps par son propre Pere, &
renforcée par les faueurs du Ciel. Dieu
ne vous manquera iamais, si vous
vous jettez entre ses bras.
4. Moderez la somptuosité de vos
habits,paroissant moins vaine vous paroistrez plus chaste. Les habits somptueux & mols, disoit l'Empereur Auguste, sont l'estendart de l'orgueil, &
le nid de la luxure.
Les Hebreux se seruent du mesme
mot, Ada, pour signifier ornement ;
& pour signifier recherche des delices.
Il est difficile de tenir la mediocrité
dans les ornemens, & de ne se point
laisser emporter à l'excez & au vice. S.
Chrysostome asseure, que de l'ornemẽt
129
Homil.
4. in
Genes.
des habits suit vne infinité de maux.
C'est, dit-il,
vne source d'arrogance, du mespris du Prochain, de la corruption des ames, & l'allumette de la volupté.
Sainct Cyprien est encore plus ri
S. Cyp.
lib. de
habit.
Virg.56
goureux, & parle contre le luxe des
habits en ces termes.
L'esclat des habits & de leurs ornemens, joint au fard du visage, ne conuient qu'à des femmes prostituées & impudiques, & nous voyons que pas vne ne se pare auec plus de soin que celles qui ont perdu la honte. Celles qui s'habillent de soye & de pourpre, au dessus de leur condition, ne peuuent se reuestir de Iesus-Christ. Celles qui s'ornent d'or, de pierres precieuses, & de carquans57, ont perdu l'ornement du cœur & du corps. Iusques icy sainct Cyprien.
Vous voyez qu'il est necessaire d'ôter à vostre mary, qui a déja l'esprit
blessé, cette occasion de maintenir ses
pensées contre vous.
5. Ne vous efforcez point de paroistre belle dans les assemblées, en
vous fardant, de peur que vostre mary
n'en fortifie ses ombrages, & ne s'ima
130
gine que vous voulez vous captiuer le
cœur de quelqu'vn par cette beauté recherchée. Socrate disoit, que la beauté
est vne tyrannie. Platon escrit, qu'elle
domine sur la nature. Theophraste l'appelle vne tromperie cachée. Theocrite,
vn dommage d'yuoire. Carneide, vn
Royaume sans satellites.
Pour cette raison, vn Ancien ne
conseilloit pas à vn ieune homme de
se marier. Si, luy disoit-il, ta femme
est laide, tu seras tousiours dans vn
dégoust. Si elle est belle, elle sera commune à d'autres.
Cela n'est point veritable vniuersellement. Mais vostre mary ayant déja des pensées flottantes, sera plus agité, s'il voit que vous fassiez la jolie &
la complaisante.
6. Sur tout, qu'il n'y ait rien de
trop découuert en vostre sein, & en
vostre coïffure. C. Supitius repudia
sa femme dans Rome, parce qu'elle
estoit sortie de sa maison ayant la teste
découuerte.
La loy, dit-il,
t'oblige de ne t'orner que pour plaire à mes yeux. Tu te deuois attifer seulement pour 131 eux, & non pas pour les yeux d'autruy.
En Arabie & en Syrie, les fem
Besson.
mes marchent encore aujourd'huy par
la ruë si bien voilées, qu'elle ne se reseruent qu'vne ouuerture pour l'vn de
leurs yeux.
Isaie.
3. 16.
Dieu se fasche, de ce que les filles
& les femmes de Ierusalem marchoient ayant le sein découuert. Et
pour cette raison, il les menace de les
faire tomber entre les mains des barbares, qui les dépoüilleroient, les deshonoreroient, & leur feroient souffrir
de tres-grandes indignitez & incommoditez.
Il les compare aux Lamies, lesquelles estoient des bestes farousches
dans l'Afrique, qui auoient des visages de femmes, & des mammelles d'vne si rauissante beauté, qu'en les montrant elles en charmoient les moins
aduisez des hommes, & les deuoroient. Le reste de leurs corps estoit
chargé d'escailles fort dures. Elles ne
parloient point, mais jettoient vn sifflement tel que les dragons.
132
7. Moderez vos œillades : & ne
sousriez iamais à des jeunes gens, qui
peuuent donner du soupçon. Les
yeux sont les guides de l'amour, & la
porte par où elle entre au cœur. Ieremie, parlant en la personne des habitans de Ierusalem, que Dieu auoit punis pour leurs pechez, & specialement
Threr.
3. 51.58
pour leur luxure, dit.
Mon œil a dérobé & pillé mon ame. Il montre qu'vne seule œillade peut faire ce larcin.
Sainct Gregoire asseure, qu'il
In Job.
31.
n'est nulle vertu si heroïque, à qui ne
nuise la liberté des œillades, & qui
n'en sente des reuoltes en son Appetit
inferieur. C'est pourquoy Iob asseure,
qu'il auoit fait vn accord auec ses
yeux, de ne point regarder les filles, de
peur que ces regards ne luy engendrassent des pensées peu chastes.
Les yeux charment facilement le
cœur. Vn ieune homme fut tellement pris par la beauté & l'esclat des
yeux d'vne saincte Vierge, qu'il ne
cessoit de l'importuner & de la solliciter.
Mais cette ame noble & genereuse,
133
ayant appris la cause de son amour,
s'arracha les deux yeux & les luy enuoya dans vn plat, & par son sang,
esteignit le brasier qui consumoit ce
ieune esuenté, & le guerit de sa folle
passion.
8. Ne vous seruez iamais de poudre de senteur, si vostre mary ne le
trouue pas bon. Cela peut donner prise à vn esprit qui est déja alteré. Vne
femme qui se parfume sans raison, est
souuent vn pigeon musqué, qui va à
la chasse, & attire les autres pour les
captiuer.
La Panthere est vn beau Symbole
Æliã
lib. 5.
c. 40.59
de ces affetées, qui se parent d'habits
recherchez, & qui s'embaume de
parfums. Cét animal attrape les autres de cette sorte. Il cache sa teste
dans quelque buisson de peur de les
espouuanter. Les bestes sauuages sentant la bonne odeur qui sort de son
corps, s'en approchent & s'arrestent,
afin de regarder à loisir sa belle peau.
La Panthere se leue alors de son embuscade, en attrape quelques-vnes, &
les deuore.
134
Contentez-vous de l'odeur de vos
vertus, & elle vous rendra agreable au
Ciel, à vos domestiques, à vos parens,
& sur tout à vostre mary, dont vous
2. Cor.
2. 15.
deuez preferer l'amour & le contentement à tous les autres auantages, & à
toutes vos autres satisfactions.
Nous sommes la bonne odeur de Iesus-Christ, dit sainct Paul.
Dieu a souuent fait, que les corps mémes de ses Saincts rendissent vne bõne
odeur, pour montrer combien leurs
ames luy plaisoient. Les corps des
Sainctes Vierges Vlphie & Marguerite
d'Hongrie rendent vne tres - soüeue
odeur. Et ce qui est plus merueilleux,
celuy de saincte Aldegonde sentoit
fort bon, huict cens ans apres sa
mort.
Concluez de tout ce discours, que
vous deuez vser de quelque contrainte
dans vostre conduite, iusqu'à ce que
tous les nuages soient dissipez, &
qu'vn beau iour esclaire l'esprit de vôtre mary. Si par vne mollesse peu tolerable, vous ne voulez rien ceder de
vos droicts pretendus, ny de vos di
135
uertissemens qui choquent, vous
vous jettez dans vn euident peril d'égaler vostre misere à vostre vie.
§. II. Aduis au mary, qui est possedé de Ialousie.
I. Mesprisez pour l'ordinaire les
Rapporteurs, s'il n'y a vn sujet tresnotable de soupçonner, & si leur rapport n'a des probabilitez fort sensibles.
Souuent le demon suscite ces perturbateurs du repos des familles, pour les
renuerser entierement, ou au moins
pour les remplir de fiel & d'amertume. Souuent vne secrette vengeance, vn interest couuert, vne malignité dissimulée, vne legereté trop credule, vne precipitation temeraire &
peu Chrestienne, ouurent la bouche à
ces boutefeux.
II. S'il y a quelque sujet raisonnable, & que les aduis vous soient
donnez par diuerses personnes desinteressées, dignes de foy, & qui n'ont
eu nulle prise auec vostre femme : esclaircissez - vous prudemment de la
verité. Ne precipitez rien dans vne
matiere de la derniere importance.
136
Ne declarez pas vos craintes à personne, qu'apres vne meure deliberation. Alors si le mal vous oppresse
trop le cœur, & que vous ayez vn amy
ou vn parent sage, âgé & secret, vous
pourrez décharger dans son sein vostre
affliction. Cette ouuerture, & cette
décharge de pensées, ne seruiront pas
peu à vostre guerison.
III. Considerez vous comme vn
malade, & ne croyez point facilement
aux phantosmes qui vous passent par
l'imagination. Tout paroist jaune à
des yeux qui ont la jaunisse : & rouge
à ceux qui regardent par vn verre qui
est peint en rouge. Vne personne
craintiue qui marche la nuict, croid
souuent voir des esprits & des soldats
ennemis, quoy qu'il n'y ait rien de
reel sinon sa frayeur.
IV. Pesez serieusement les grands
malheurs qui trauerseront toute vostre
famille : si vous vous laissez posseder &
gourmander par cette noire Passion,
qui augmente tousiours auec le temps;
qui fait tous les iours vne nuée plus
espaisse, & qui enfin éclate souuent
137
en tonnerres & en foudres, qui
consument & perdent tout. L'histoire de sainct Iulien l'Hospitalier vous
doit tenir dans la reserue, mesme aux
crimes, qui semblent tous euidens.
En son absence, son pere & sa me
S. Anton.
Bollãd.
in I an.60
re vinrent en son logis pour le visiter
par honneur. Sa femme leur témoigna toute la charité possible, & par ciuilité les fit coucher dans son propre
lict. Le lendemain elle s'en va à l'Eglise, laissant ces bonnes gens harassez
encore au lict. Iulien arriue sur ces
entrefaites, & à l'entrée de sa maison
court à son lict, pour donner le bon
iour à sa femme. Il fut fort surpris d'y
voir vn homme & vne femme, & incontinent,la chambre estant dans l'obscurité, il se persuade que c'estoit sa
femme auec vn adultere. Piqué d'vne
furieuse jalousie, & transporté de colere, il les tuë tous deux sur le champ,
& sort de son logs tout hors de soy. A
la sortie il rencontre dans la ruë sa
femme qui retournoit de ses deuotions. Iamais homme ne fut plus estonné. Il s'informe de tout, & apprend
138
qu'il auoit malheureusement massacré
son pere & sa mere. Ce malheur luy
causa des douleurs inconceuables :
mais elles ne rendirent point la vie aux
morts. Il se resolut à vne tres-austere
penitence. A cét effect il fit bastir vn
Hospital, & y seruit les pauures iusques à la mort. Sa femme ne se voulut point separer de luy, & luy tint
tousiours compagnie dans ses bonnes
œuures. Les austeritez de Iulien furent si heroïques, & sa Charité si embrasée, qu'vn Ange luy apparust, &
l'asseura que son peché luy estoit pardonné.
Vous voyez dans quelles miseres
precipite la trop grande credulité & la
precipitation. Neantmoins, qui n'auroit esté surpris dans cét accident si
palpable, ou le crime sembloit se toucher au doigt. Sans doute tous y seroient trompez : sinon ceux qui supposent que plusieurs choses se trouuent fausses auec le temps, qui paroissoient à nos yeux malades, aussi claires
que le Soleil dans son midy.
I'adjousteray vn aduis d'impor
139
tance, pour ceux qui ne sont point
encore engagez dans le Mariage. S'ils
sont déja auancez en âge, ils ne doiuent iamais prendre pour femme vne
jeune fille. La jeunesse ne peut s'empescher de certaines gaillardises, entremeslées de legereté, & cherche pour
l'ordinaire ses semblables, pour vn
peu rire plus librement. Vn vieillard
qui est déja chagrin, & qui sçait plusieurs cheutes des vnes & des autres
interprete tout en mal. Il croit facilement qu'il est méprisé, n'ayant pas
tous les attraits & toutes les mignardises qu'vne ieune femme desireroit.
Que s'il vient à faire éclater ses soupçons, toute la maison se renuerse, &
se change en vne continuelle prison,
remplie de pleurs, de querelles, & de
maledictions.
Il n'y a toutefois aucune Regle si
generale qui n'ait ses exceptions. On
trouue de vertueuses filles qui ont la
maturité de la vieillesse : & des vieillards, qui par l'excellence de leur naturel, de leur accortise, & de leur vertu, trouuent plus de joye & de diuer
140
tissement à vne jeune femme, que ne
feroit vn ieune mary. C'est donc à la
prudence de ne rien precipiter, & de
bien consierer le choix d'vn bien ou
d'vn mal, qui doit durer toute la vie.
bandeau décoratif
CHAPITRE IV. La Consolation & la Direction d'vne Femme, qui a vn Mary débauché & peu chaste.
LA plus sensible douleur que puisse auoir vne femme genereuse &
vertueuse, c'est de voir son mary dans
le desordre de l'impudicité, qui perd
son corps & son ame, qui le rend inutile aux affaires ; qui le fait prodigue
& dissipateur du bien de ses enfans, le
joüet d'vne ville, & le valet d'vne perduë ; pour en suite, rapporter dans sa
maison des maladies honteuses & contagieuses, & les communiquer aux
personnes innocentes.
I'aduoüe qu'il est tres difficile de
consoler & de diriger vne femme qui
141
est tombée dans ce malheur. Faisons
neantmoins ce que nous pourrons.
§. I. Aduis pour la Femme, à qui son Mary manque de fidelité, en ce qui touche le Mariage.
I. Considerez auec attention quelle est la veritable cause de la licence effrenée que se donne vostre mary. S'il
est celuy qui sollicite, ou s'il est poussé par quelques effrontées. Si la compagnie de quelque éuenté l'emporte,
ou s'il est le premier à exciter les autres. Si l'ardeur de l'âge le precipite :
ou si vne habitude inueterée le gourmande. Si particulierement vous n'estes point l'occasion de cette liberté,
en luy refusant ce que vous luy deuez;
en le rebutãt par vos discours: en vous
plaignant trop de sa conduite; ne vous
accommodant point à ses humeurs ;
vous mettant souuent en colere contre
luy, & faisant d'autres choses desagreables ; qui, comme parle Dieu-mesme
en l'Escriture, le chassent de vostre logis, ainsi que feroit la fumée. Ostez
la cause vous osterez l'effect. Trauaillez-y par vous-mesme, par vos parens,
142
par vos voisins, par vos amis, par monsieur vostre Curé, ou par quelques
bons Religieux.
II. Interposez-y le secours du Ciel.
Car personne ne peut estre chaste sans
vne particuliere grace de Dieu. Sans
la pluye, la terre ne peut produire aucun bon fruict, ny l'homme sans la
grace.
Cassien en la Conference de Moïse Abbé61, dit. Qu'il est necessaire que
l'ame soit attaquée par l'esprit de fornication : iusques à ce qu'elle reconnoisse, que ces batailles-là sont au-dessus de ses forces : & qu'elle ne peut
obtenir la victoire par aucun soin, ny
par aucun trauail humain : si Dieu ne
l'assiste d'vn secours tres-singulier &
tres-efficace.
III. Compatissez à la violence
d'vne passion, qui dompte les plus valeureux soldats de Iesus-Christ, s'ils
ne sont continuellement sur leurs gardes & sous les armes, comme on a veu
auec horreur en sainct Victorin, en
sainct Iacques l'Hermite, & en plusieurs autres.
143
Sainct Hierosme escrit, Que la luxure ploye mesmes les esprits, qui
sont plus forts que le fer, & qui
semblent plus impenetrables à ses
attaques.
Sainct Augustin se lamente à la
De singularet
Cler.
veuë de cheutes deplorables.
Combien d'Euesques,s'escrie-t'il,
& combien de Prestres d'vne saincte & treseminente, apres des victoires tres-signalees pour la confession de la Foy, apres auoir fait des miracles admirables, ont fait naufrage dans ce gouffre; lors qu'ils se sont exposez aux perils des flots dans vn nauire si fresle qu'est le corps humain ! Combien de Lions, & combien inuincibles a surmonté vne delicate foiblesse. Ie veux dire l'impudicité, qui estant vile & miserable, fait sa proye des plus grandes Sainctes, & des hommes les plus renommez.
Samson, Dauid & Salomon en
Eccli.
19.2.
sont de funestes exemples.
Le vin & les femmes, dit Dieu,
font tomber les sages dans l' Apostasie. Salomon, qui 3. Reg. 11.3.62 auoit plus de sagesse que tous les Princes de la terre, a esté si fort abruti par 144 cette violente Passion, qu'il a eu sept cens femmes, & trois cens Concubines, qui le gourmanderent si imperieusement, quelles le firent sacrifier à leur idoles, & leur bastir des autels & des temples.
Il sort du feu des os du Lion si on
les entrechoque. Et Portius Licinius
dit, Que l'homme & l'amour ne sont
point enflammez : mais qu'ils sont le
feu & la flamme mesme. Adonis, le
Dieu des voluptueux, estoit appellé
par les anciens Hebreux, Thammuz,
qui signifie, incendie, embrasement.
Vn certain Duc de Venise prit
pour son Symbole vne Aigle, qui
estoit morduë à la poitrine par vn serpent. Il y adjousta ce mot, Semper ardentius, pour declarer que l'Amour,
dont vne femmelette l'auoit blessé,
glissoit tousiours de plus en plus le
venin dans ses veines, & les embrazoit.
Et de fait, sainct Gregoire dit,
In Moral.
qu'aussi-tost que le serpent infernal
de la luxure a ietté sa teste dans vne
145
ame, à peine luy permet-il d'auoir vne
bonne pensée.
Ce vice a des desirs visqueux & attachans : Car de la suggestion suit la pensée, de la pensée suit l'affection, de l'affection, la delectation, de la delectation le consentement, du consentement l'action, de l'action la coustume, de la coustume, le desespoir, du desespoir la defense du peché, de cette defense la vanterie de son crime, de la vanterie la damnation.
IV. Ne desesperez iamais de l'amendement de vostre mary. Continuez vos prieres, faites dire des Messes,
augmentez vos aumosnes, specialement aux prisonniers, afin que Dieu
rompe les chaisnes qui l'attachent. Il
n'est nulle chaisne de fer si forte,
que le temps & l'industrie ne rompent.
Sainct Augustin a esté engagé
dans ce malheur, peut-estre plus
long-temps que celuy dont vous déplorez la captiuité ; & aujourd'huy il
est l'vn des plus purs & des plus estin
Lib.
Confes8.c.5.
celans Astres du Firmament.
Ie souspirois, dit-il,
lié non par le fer d'autruy, 146 mais par ma propre volonté, qui estoit plus dure que le fer. Mon ennemy tenoit ma volonté, & m'auoit fait vne chaisne dont il m'auoit lié. Car de la volonté peruerse se forme vn desir déreglé, & de ce desir déreglé se forme vne coustume, & ne resistant point à la coustume, on tombe quasi dans la necessité de mal faire.
Ce Sainct personnage s'est neantmoins retiré heureusement de cét embaras. Vous pouuez donc raisonnablement esperer que par vos prieres,
par les aduis de vos amis & de vos parens, & sur tout par vn puissant secours du Ciel, vostre mary se reconnoistra, & la fougue de l'âge estant
passée, vous contentera d'autant plus,
que plus il vous desoblige.
V. Ne le tourmentez point auec
importunité pour ce sujet, quoy que
tres-juste. Prenez vostre temps lors
qu'il est en bonne humeur. Vostre
prudence & vostre patience surmonteront enfin son obstination. Saincte
Elizabeth, Reine de Portugal, conuertit le Roy son mary par sa charité
147
& par sa longanimité. Elle caressoit
mesme les bastards qu'il auoit eu par
ses amourettes. A la fin cette bonté si
aimable & si aimante, toucha le cœur
du Prince, qui se laissa vaincre par la
vertu de sa femme.
Zonar.
Liuia, femme de l'Empereur Auguste, estant interrogée par quelle industrie elle auoit gagné le cœur de ce
puissant Monarque : Elle répondit. En
m'estudiant de connoistre tout ce qui
luy pouuoit donner de la complaisance, le faisant auec promptitude & auec
allegresse, & dissimulant ses amours
estrangeres, comme si j'eusse esté aueugle, sans auoir aucune curiosité sur
ses actions, pour en apprendre les particularitez.
Ce conseil est tres-difficile: mais de
deux maux il faut tousiours choisir le
moindre, specialement s'il se peut
tourner en bien.
VI. Meditez qu'anciennement,
lors que la pluralité des femmes estoit
permise, & qu'vn homme en auoit
trois ou quatre, & quelquefois dix &
vingt, & beaucoup davantage : La
148
condition des femmes, mesme dans
les ménages bien reglez, estoit pire
que la vostre.
Il est veritable que l'offense de
Dieu vous doit estre plus sensible.
Mais sondez vostre cœur, & voyez si
la gloire de Dieu est son motif, ou vos
propres interests. Dieu attend auec
patience la conuersion de vostre mary,
& souffre les injures qu'il luy fait, attendant son temps pour le tirer absolument à luy. Ne vous rendez point
plus difficile, que le Createur & le
souuerain Seigneur du Ciel & de la
Terre.
§. II. Aduis au mary desbauché, & peu chaste.
I. N'allumez point vn brasieur que
vous ne pourrez esteindre. La luxure
est vn feu allumé par les furies, qui
ne peut estre esteint par toutes les eaux
de la terre, ny par toutes les forces humaines.
Sainct Hierosme le déplore en ces
termes.
O luxure, dit-il,
feu des enfers, dont la matiere est la gourmandise : les flammes, la colere, les estin 149 celles, les discours déprauez, la fumée, l'infamie, les cendres, l'impureté, & la fin la torture.
De là vient que le demon a de la
puissance sur ceux qui bruslent de son
Tob.6
17.
feu. L'Archange Raphaël dit,
Que cét esprit tenebreux a vn grand pouuoir sur ceux qui ne cherchent que leur plaisir, comme les Mulets & les Cheuaux qui n'ont point d'entendement. Et de fait, il estouffa les sept maris de Sara femme vertueuse, & fille de Raguel homme craignant Dieu.
Vn autre diable fit mourir vn ieune homme, qui vouloit abuser de
saincte Agnés, mais la Saincte le
ressuscita : & le conuertit à IesusChrist.
II. Craignez que la femme que
vous voyez, & qui vous prouoque au
peché, paroissant dans vne beauté qui
vous enchante, ne soit vn demon qui
vous trompe sous cette illusion. Ils
se sont presentez souuent sous cette
forme charmante, mesme à des Saincts
tres-purs & tres esleuez en vertu :
150
Vita.
comme à sainct Antoine & à sainct
Vvolstan, & quelquefois en ont fait
tomber dans des abominations presque incroyables : Comme sainct Victorin, lequel s'abandonna à vn diable qu'il croyoit estre vne femme, dont
il auoit pris la figure. Il tomba pasmé & comme mort ; lors que cét ennemy de toute saincteté s'éclatant
de rire, se fit paroistre pour ce qu'il
estoit.
III. Souuenez-vous que l'œil de
Dieu veille sur vous en tout lieu & en
tout temps, & qu'il tien en main ses
foudres pour vous punir.
Orphée appelle le Soleil, l'Oeil de
la Iustice. Car il découure les actions
des hommes durant le iour. Dieu les
voit, depuis l'Aurore iusques au soir,
& dans les plus espaisses tenebres de
la nuict.
Aussi ses yeux, dit l'Eccle Lacles. 23.28. siastique,
sont beaucoup plus brillans que ceux du Soleil.
Ce Dieu de lumiere & de pureté
estant vn pur esprit, & incapable de
toute soüilleure, il a vne extreme horreur de la luxure.
Ce vice, escrit sainct 151 Augustin,
est ennemy de Dieu, & en-De Doctr. Christ.
nemy de toutes les vertus. Il perd toute la substance de l'homme, & chatoüillant presentement par vn execrable plaisir, ne permet point qu'on iette les yeux sur la pauureté future.
Dieu témoigne l'horreur qu'il a
de cette brutalité par des punitions
exemplaires, qui sont capables de
faire glacer le sang dans les veines à vn
esprit bien-fait ; & à refroidir les
boüillons des Passions les plus allumées.
Apres quarante ans d'vn penible
exil dans le desert, les Israëlites, peuple choisi de Dieu entre tous ceux de
l'Vniuers, estoient arriuez fort proches de la terre promise, qui estoit la
Figure du Paradis. Balac, Roy des
Moabites63, incité par le faux Prophete
Balaan, fit richement orner les plus
belles filles de son Royaume, auec
celles du Royaume de Madian, & les
exposa à leur volonté. Ce peuple charnel se laissa surprendre en ces filets, &
offensa son Createur.
Quelle punition en attendez
152
vous. Dieu fit pendre vne quantité
des plus remarquables de son peuple,
& en tua vingt-quatre mille, & en
suite ordonna que l'on mit au fil de
l'espée tous les hommes & tous les enfans masles des Madianites, & toutes
les femmes qui auoient eu commerce
auec les hommes, sans rien du tout
reseruer que les filles vierges. Que
dites-vous à ce regard ? l'effroy ne
vous surprend-il point dans la pensée
de vos crimes ? Soyez certain, ou que
vous vous amanderez bien tost ou que
vous serez grieuement chassé par la
toute-puissante main de Dieu.
IV. Souuenez-vous de la Foy que
vous auez iurée au pied des Autels, &
à la face de toute l'Eglise. Vous sçauez que les parjures sont l'execration
de toutes les nations de la terre, &
que le Ciel les a foudroyez souuente
Imprimé au
Pont à
Mousson,
chez
Guilleré.
fois, les punissant dans vne extreme
seuerité. Vous en auez plusieurs exempples, dans vn Traicté que i'ay composé contre les blasphemateurs & contre
les jureurs. Ie l'ay inscript :
Dieu vengeur & ennemy des Blasphemes, des 153 Iuremens, des Maledictions, & des Imprecations.
V. Meditez, que l'Adultere est vn
peché beaucoup plus notable qu'vne
simple fornication, que tous les Royaumes & toutes les Republiques en
ont eu vne tres-grande auersion, &
que plusieurs ont condamné à mort
ceux qui se sont salis de ce crime abominable qui trouble les familles, les
Soldat
genereux,
imprimé au
Pont.
Villes & les Royaumes. Lisez ce que
i'en rapporte au Liure que i'ay fait
pour les Soldats.
VI. Pensez qu'apres vn peu de miel
acheté bien cherement, vous trouuerez beaucoup de fiel dans vos delices
Eccles.
7.27.
pretenduës.
I'ay trouué, dit Salomon,
la femme plus amere que la mort. Elle est vn lacet des chasseurs, & son cœur est vne nasse de pescheurs. Ce Prince en pouuoit parler comme sçauant, en ayant esprouué toutes les mignardises & toutes les delices.
In
epist.64
O ! s'escrie sainct Hierosme, que
le fruict de la luxure est amer, & dégoustant. Il a plus d'amertume que
le fiel, & est plus cruel que le glaiue.
154
La luxure, dit sainct Ambroise, est
De
Abel et
Cain.
vn cruel aiguillon des vices, qui ne
donne aucun repos à l'esprit. Il boult
la nuict, & est tousiours aux recherches douloureuses durant le iour.
Boëce escrit, que l'aiguillon de la
De
Schol.
discipl.
luxure d'vne femme débauchée est l'aiguillon d'vn Scorpion. Il pique à
l'improuiste, & cause la mort, lors
qu'on y pense le moins.
VII. Iettez les yeux sur vostre
femme, sur vos enfans, sur vos seruiteurs, sur vos seruantes, sur vos parens, & sur toute vostre famille, que
vous affligez & que vous ruinez.
Les Docteurs des Hebreux disent:
Que lors que le Roy Salomon s'abandonna à l'impudicité, il fut depossedé
de son Throsne par Asmodée. Et que
ce demon qui preside à l'impureté se
portoit pour Roy, & passoit pour tel
dans l'esprit du peuple, trompé par
l'illusion de ses ornemens. Il donnoit
tous les ordres, & se faisoit obeïr exactement & ponctuellement.
Si ces Rabins ne parlent que par
Symbole, il faut renuoyer leur histoi
155
re au nombre des fables. Mais il est
veritable, qu'où se rencontre la lubricité, le diable domine & fait d'étranges rauages.
Philopator Roy d'Egypte, passoit
Iustin.
l. 29.
& 30
les nuicts entieres dans ses ordures
auec vne vilaine, nommée Agathoclée, & les iours en des festins déreglez. Aussi tua t'il son pere, sa mere,
sa sœur, & sa femme.
VIII. Ne craignez - vous point
que vostre femme vous imite, & que
vos enfans suiuent vos pas? leur conseilleriez-vous, & leur permettriezvous ce que vous faites ?
Mais auec quelle raison pourriezvous les punir, en ce que vous leur enseignez, & à quoy vous les poussez,
par vos desordres & déreglemens.
Comme vn Roy qui se plaist aux
sciences, ou à la Musique, ou à quelque art particulier, fait plusieurs hommes doctes, excellens Musiciens, &
bons Artisans : & vn qui est addonné
au jeu & à l'auarice, les fait joüeurs
& concussionnaires. De mesme vn
mary voluptueux, rend vne femme
156
& des enfans amateurs de la volupté. Et vn qui est sobre & chaste,
leur persuade la sobrieté & la chasteté.
IX. Ouurez les yeux, & contemplez la splendeur des ames pures
& chastes.
La Chasteté, dit sainct Cyprien,
est l'honneur des corps, l'or-De bono viduit. 65
nement des mœurs, la saincteté des sexes, le lieu de la pudeur, la paix de la maison, & la source de la concorde.
X. Si vous ne vous amendez, la luxure vous aueuglera & rendra inutile
à tout bien : & mesme aux affaires de
vostre mesnage. Le Roy Sedecias fut
Hier.
in Ezech.
aueuglé en Reblata, ou Deblata, ce
que sainct Hierosme accommode à
nostre propos.66 Deblata signifie vn cabat67 de figues.
Apres vne feinte douceur, escrit ce Sainct,
les luxurieux sentent l'amertume hors de la terre de promesse. Le Miel coule des levres de la femme débordée : Il contente & remplit pour vn temps la bouche de ceux qui en goustent. Mais en suite, il se trouue plus amer que le fiel, & que les 157 figues ameres que le Prophete Ezechiel apperceut.
XI. Ne voyez-vous pas que par
vos débauches, vous vous rendez ridicule à vne ville entiere, qui vous void
traisner par vne coquine, & faire à son
gré des actions basses & indignes de la
noblesse de vostre esprit & de vostre
Prou.
7. 12.
naissance.
Le jeune Fripon, dit le plus sage des hommes68,
suit vne femme perduë, comme vn bœuf qui est mené à la boucherie, & comme vn agneau, qui saute follement, dans l'ignorance qu'on le meine aux liens & à la mort.
Pour fort, pour genereux, pour
victorieux, pour sçauant que vous
soyez, vous ne laisserez pas d'estre
d'autant plus exposé à la risée, que
vous abaisserez plus vostre grandeur, &
que vous vous laisserez maistriser par
vne personne de neant, & ennemie de
Dieu.
Sainct Chrysostome compare ces
aueugles à vn Lion desarmé.
Si quelqu'vn, dit-il,
ostoit les dents & les ongles à vn Lion grand & genereux, il le rendroit difforme, méprisable, & vn 158 digne objet de la risée des enfans qui le pourroient dompter, encore qu'au parauant il estonnast vn chacun par son rugissement. De mesme les femmes libertines soumettent au pouuoir des demons tous ceux qu'elles ont captiuez, & les rendent mols, temeraires, impudens, insensez, audacieux, importuns, faineants, effrenez, leur donnent vne ame basse & seruile ; les font inciuils & obstinez : eux qui auparauant excelloient en force d'esprit, en douceur & en toutes les autres vertus.
XI.69 Quittez cette infame captiuité : Iettez bas vos liens, & sortez de la
prison qui vous tient dans les fers,
dãs les tenebres, & dans l'ombre de la
mort. La grace de Dieu ne vous manquera iamais ; il n'y faut adjouster que
vostre volonté & vostre consentement.
Vous auez fait vos chaisnes, vous les
pouuez rompre.
Iean Baptiste à Porta, prit pour
son Symbole vn Ver à soye, qui sortoit de sa coquille auec cette inscription.
Et feci, & fregi. Ie me suis rendu captif par des liens de soye que 159 i'ay faits, & ie les rompts, & auec des aisles prends ma liberté. Il vouloit dire, qu'il quittoit les amourettes où il s'estoit embarassé.
XII. Il n'est point question de
se tourmenter dans le combat, la victoire se donne aux fuyards. Pour
I. Cor.
6. 18.
cette raison, l'Apostre70 dit aux Corinthiens71,
Fugite fornicationem. Fuyez la fornication.
Salomon aduertit dans les Prouerbes.
Prou.
5.
37.
De singular.
Cleric.
Ne vous amusez point aux paroles trompeuses d'vne femme abandonnée. Le Miel decoule de ses leures, & sa bouche paroist nette comme de l'huile : mais sa fin est amere comme l'absynthe, & sa langue est aiguë comme vn glaiue à deux trenchans, ses pieds courent à la mort, & elle va droict aux enfers. Elle ne marche point par les sentiers de la vie: sa marche est vague & inconnuë. Retirez - vous d'elle, & ne vous apporchez iamais de sa maison. Iusques icy le sage Salomon.
Sainct Augustin en parle d'vne
maniere estonnante.
Le feu, dit-il, 160
sort de son corps, le fer contracte la roüille, les Aspics causent la mort. Et la femme iette dans l'ame des hommes la peste de la concupiscence. Elle s'epanche en risée, elle amollit le cœur par ses mignardises ; & ce qui est le plus pernicieux & le plus pestilentiel, elle se plaist aux chants desordonnez. Il seroit moins dangereux d'oüir le sifflement des Basilics, que d'ouurir les oreilles au chant de ces Sirenes, qui ne delectent que pour deuorer.
Les Saincts ont montré par leurs
actions, la crainte & l'horreur qu'ils
ont eu de la conuersation des femmes,
non seulement débordées, mais aussi
vertueuses. Sainct Antoine estant prié
d'aller voir vne femme, quoy que de
bonne vie, afin de luy rendre la santé, il
le refusa, & la guerit sans se transporter en son logis.
Sainct Arsene tança si seuerement
vne Dame Romaine, qui estoit venuë
dans le desert pour le voir, qu'elle en
tomba malade, comme i'ay dit.
Nicephor. l.
I.c.37.
Pior, Religieux de grande vertu,
estant commandé d'aller visiter sa
161
sœur, laquelle le demandoit auec vne
extreme affection, y alla. Mais il
ferma ses yeux tandis qu'il fut auec
elle, & ne la vid point.
Ie ne vous pousse point à ces excez, & vostre condition ne le permet
pas. Mais si ces Saincts ont eu tant de
reserue, vous deuez iuger que vostre
foiblesse se doit tenir sur ses gardes, &
fuïr prudemment & genereusement
les occasions du mal.
Dans la guerre, mesme corporelle,
il est souuent plus honorable de faire
vne honneste retraite, que de liurer
vne bataille temeraire : Beaucoup plus
cela est-il veritable, en cette guerre
spirituelle, où les ennemis sont tresforts, tres experimentez & presque
tousiours victorieux en quelque chose, si l'on ne se defend par vne prompte
& prudente fuite.
162
bandeau décoratif
CHAPITRE V. La Consolation & la Direction d'vne femme, qui est mal obeïe par ses enfans & par ses seruiteurs, sans que son mary les maintienne dans leur deuoir.
C'Est vn grand malheur, que le
mary haïsse ou traite mal sa
femme. Mais il est notablement plus
grand & plus insupportable, lors que
les enfans, les seruiteurs & les seruantes se joignent à luy, & ne font nul
estat de ce qu'elle leur commande.
Voyons si nous pourrons tirer du miel
de la pierre, & du bon heur de cét
estat douloureux.
§. I. Aduis pour la femme bafoüée par ses enfans, & par ses seruiteurs.
I. Plus vous vous trouuez rebutée de ces creatures, plus vous deuez esleuer vostre ame en Dieu. Lors
qu'on jette auec violence vn balon
163
contre vn marbre qui ne le veut point
receuoir, il se leue d'autant plus vers
le Ciel, qu'il en est repoussé auec vn
plus grand rebut.
Entrez dans le Ciel, & conuersezy comme sainct Paul, ou faites descendre le Ciel dans vostre cœur comme saincte Catherine de Sienne. Elle
y faisoit vn Autel à nostre Seigneur, à
la Vierge, aux Anges & aux Saincts, à
qui elle auoit plus de deuotion. Et se
voyant rebutée de son Pere, de sa Mere, des seruiteurs & des seruantes du
logis, elle viuoit plus joyeuse qu'à l'ordinaire.
Vn Ancien disoit qu'il n'estoit
iamais moins seul, que lors qu'il estoit
seul. Lors que vous conuersez auec
les Cherubins, auec les Seraphins, &
auec Dieu mesme : que vous importe
d'auoir les Creatures pour compagnes
ou pour amies ? Tout ce qui est en ce
monde n'est qu'vn atome & vn pur
neant, en comparaison du Createur.
Qui a Dieu pour soy, ne doit rien rechercher dauantage.
II. Rien ne vous nuira, si vous
164
jettez vostre confiance en Dieu. Le
Prophete Daniel estoit au milieu des
Lions auec vn extreme plaisir, n'en receuant que des caresses.
In
epist.
Sainct Ignace le Martyr ne desiroit rien plus ardemment, que d'estre
exposé aux Lions dans l'Amphitheatre
Romain, non pas pour en estre caressé, mais pour en estre déchiré & deuoré. Par ce moyen, disoit-il, ie seray vn pain digne d'estre presenté à la
table de mon Dieu. Il protestoit hautement, que si ces animaux cruels ne
se ruoient sur luy, il les agaceroit, afin
d'exciter leur rage.
Ne donnez point de sujet à vos
enfans, ny à vos seruiteurs & seruantes de vous offenser, car vous seriez
cause qu'ils pecheroient aussi contre
Dieu. Mais s'ils pouuoient vous desobliger sans aucun peché, leurs fautes
vous seroient tres-souhaitables, &
vous mettroient dans vn estat, ou vôtre vertu seroit plus masle & plus accomplie, par la force de cœur, que
Dieu ne manquera point de vous donner, si vous la luy demandez.
165
La Palme se leue en haut, lors
qu'on la charge de quelque poids. Et
vne ame courageuse se guinde vers son
principe qui est Dieu, lors qu'on la
veut plus accabler.
Si toute vostre maison est dans le
desordre, efforcez-vous de recompenser ce defaut par vos vertus, & de receuoir en vostre ame seule toutes les
graces que les autres perdent par leur
faute. Strabon escrit, qu'vne certaine
Lib.13.72
Region n'auoit aucun arbre : & que
toute la campagne n'estoit que cendres, que montagne, & que pierre de
couleur noire : comme si elle auoit esté
bruslée du foudre. Il n'y auoit qu'vne
vigne, qui estendoit ces branches tresvertes : & portoit de beaux & d'excellens raisins.
Lors qu'vn œil ne reçoit les esprits
vitaux, l'autre en reçoit dauantage: &
voit plus clair qu'auparauant, s'il s'est
conserué sain & entier.
III. De plus, soyez tres certaine; que
si vous auez du courage & de la patience, vostre vertu rendra vne si bonne
166
odeur; que tous, enfin vous aimeront
& vous honoreront.
Si l'on plante la Rose, au milieu des
Petra
Sãcta.
aulx & des oignõs,elle a vne plus douce
odeur & vne plus viue & plus agreable
couleur. Pour cette raison, le Comte
Hierosme Fallette la dépeignit de la
sorte dans son Symbole : afin de monstrer que sa renommée seroit d'autant
plus odoriferante ; que ses enuieux le
calomnieroient, auec plus de malignité.
IV. Considerez, s'il n'y a point de
vostre faute à cause, de vostre mauuaise humeur ; de vos paroles aigres & fascheuses : de vostre auarice,
qui nourrit mal vos domestiques: des
rapports trop frequens, dont vostre
Mary se lasse: de vostre delicatesse, qui
se choque à la moindre chose : de vostre mauuaise conduite, qui ne sçait
gagner le cœur à personne. Si vous retranchez ce qui est de vicieux en vous;
vous aurez bien-tost des autres ce que
vous desirez en eux.
C'est vn grand desordre dit Saint
167
Augustin, que les Maistres & les Maistresses veüillent auoir toutes choses
bonnes, dans leurs logis, excepté eux.
Si vous demandez de bons enfans &
de bons seruiteurs, ils vous demandent
vne bonne Mere & vne bonne Maistresse. Les voulez-vous obeïssans ?
obeïssez bien à Dieu, & à vostre Mary.
Voulez vous qu'ils soient patiens ?
souffrez quelque chose de leur âge, &
de leur inciuilité. Desirez vous qu'ils
ne iurent point? moderez vous de telle
sorte, que iamais ils n'entendent sortir de vostre bouche aucune imprecation ny aucune malediction.
V. Aymez vos enfans, vos seruiteurs
& vos seruãtes : & tout ce qu'ils feront
vous sera doux & agreable : ou au
moins, supportable & peu fascheux.
Hector Boëce en son Histoire d'Ecosse, fait mention d'vne certaine pierre spongieuse : dans laquelle si l'on
versoit de l'eau salée, elle passoit au
trauers: & perdant son amertume, deuenoit douce.
Vn cœur qui aime trouue tout beau
& tout bon, & excuse facilement les
168
defauts. Les enfans sont des enfans :
& n'ont pas la prudence d'vn âge meur
& aduancé. Demandez-vous des fruits
à vn petit arbre, qui à peine a bien pris
racine ? Vos seruiteurs sont des garçons
de village, ou de basse naissance. Ils
ont eu vne mauuaise education : & ne
peuuent si tost s'assuiettir aux loix de
la raison, & de la vertu. Voudriez-vous
tirer d'vn arbre sauuage des fruits aussi
doux : que s'il auoit eu vne soigneuse
culture dans le parterre d'vn Roy.
VI. Vostre Mary considere, que la
douceur attire plus puissamment les
cœurs que la seuerité : & fait rendre
des seruices, qui sont d'vne plus longue durée.
François Marcion, excellent Iuris
Iustinian
Genuens.
lib. 6.
consulte & Ambassadeur de la Republique de Genes aupres d'vn Duc de
Milan, se voiant rebuté de ce Prince
(qui ne vouloit pas garder les articles
accordez à sa patrie) luy presenta vne
plante d'ocyman qui est la dragée aux
cheuaux. Le Duc admirant ce present
& à quel dessein il se faisoit, luy en
demanda l'explication. L'Ambassadeur
169
luy respondit, cette herbe estant maniée doucement a vne bonne odeur:
mais si on la traitte rudement, elle
sent tres-mauuais, & produit des
scorpions. Il adiousta, que ses compatriotes estoient de mesme nature.
Le Duc prit tant de plaisir à cette inuention, qu'il luy accorda ses demandes : & le renuoia auec honneur.
Vostre Mary voudroit bien auoir ses
enfans, & ses seruiteurs tres-parfaits.
C'est son bien, autant & plus que le
vostre. Mais il a peur d'arracher le bon
grain, s'il arrache trop precipitamment
l'yvroie.73 La difficulté de trouuer des
seruiteurs laborieux & fidelles le rend
plus craintif. Car il arriue souuent
qu'en perdant vn seruiteur qui n'a
qu'vn vice: on ouure sa maison, à ceux
qui en ont plusieurs.
Math.
ii 29.
Iesvus-Christ est l'Agneau, qui
porte les pechez du monde. Il se plaist
à la douceur, & a dit.
Apprenez de moy que ie suis debonnaire & humble de cœur. & vous trouuerez le repos de vos ames.
Q. Fabius Maximus remit les
affaires des Romains en bon estat, &
170
surmonta Annibal par sa patience. Il
fust appellé Ouicula : c'est à dire, petite
brebis : à cause de sa douceur & mansuetude.
VI. Si vous gagnez le cœur de
vos seruiteurs, & de vos enfans: vous
ferez vne famille heureuse. Ils seront
tous vnis à vous, à vostre Mary, &
entr'eux-mesme, par vn commun lien
de charité : & ne s'en diuiseront
iamais.
S. Augustin asseure, auoir veu vn
Lib. 2.
de ciui.
Aimant, qui tiroit vn anneau de fer, &
le tenoit suspendu en l'air : & que cet
anneau de fer, ayant receu l'influence
de l'Aimant, en tiroit vn second. Ce
second en tiroit vn troisiesme ; le troisiesme, vn quatriesme : & qu'enfin
il se fit vne chaisne d'anneaux, qui
n'estoient soustenus d'aucun appuy :
sinon de la vertu interieure, qu'ils se
communiquoient l'vn à l'autre.
Vous ferez le mesme dans vostre
famille, si vostre charité est parfaite.
Elle se glissera, sans bruit, dans le cœur
de vos domestiques: & les enchaisnera
si puissamment, que leurs esprits non
171
seulement ne se partageront point à
vostre ruine: mais feront des merueilles, pour vostre consolation & aduancement.
P. Catienus Philotimus estoit si
Plin.l.
c. 36.
fort aimé de son Maistre : qu'il en fust
fait heritier. Il eust vn si excessif amour
enuers son mesme Maistre : qu'il ne
voulut point luy suruiure. A ce dessein,
il se ietta dans le buscher, où son corps
brusloit : & s'y consomma auec luy.
Valer.
l.6.c.8.
Le seruiteur de Panopion fit mieux.
Sur l'aduis qu'il eust; que l'on venoit
pour tuer son Maistre ; il le fit sortir
secrettement par la porte de la bassecour : & s'habillant de ses habits, se
laissa massacrer pour luy. Si les vostres
vous aiment, ils vous rendront de signalez seruices.
VI.74 Le plus grand secret, pour vous
faire aimer & seruir par vos enfans, par
vos seruiteurs, & vos seruantes : c'est
d'auoir soin de leur vertu. Pressez-les
doucement à frequenter les Sermons,
à se Confesser & Communier souuent,
à assister aux Messes de vostre Paroisse,
& aux Vespres : à faire quelque lecture
172
de liures qui leur sont propres. Ce leur
seront des Predicateurs iournaliers :
qui leur diront, plusieurs fois, ce que
vous auriez peine de leur dire, vne
seule & qu'ils ne receuroient point
auec agrément.
Impr.
au Põt
chez
Guill.
Impr.
à Dijon
chez
Chauanée,
&
Grangier.
I'ay composé vn liure exprez, pour
instruire les seruiteurs & les seruantes:
& l'ay inscript, Le bon Seruiteur & la
bonne Seruante. I'en ay fait vn autre,
pour vos Filles : que i'appelle, Le Miroir des Vierges. Enfin, i'en ay adiousté
vn troisiesme pour vos Garçons : &
l'ay nomé, Le bon Escolier. Vous trouuerez encore beaucoup de choses, sur
ce sujet, au Traitté que i'ay fait pour le
menu peuple. Son nom est, Le bon Vigneron, Le bon Laboureur, & le bon
Artisan.
Faites lire ces liurets à vos enfans, à
vos seruiteurs, & à vos seruantes. Lisezles vous mesme, afin de les pouuoir
plus facilement & vtilement instruire.
Vous regaignerez bien-tost auec vsure,
vostre argent : ces liures n'estant point
de grand prix. Si vous ne voulez pas
debourser cinq sols, pour sauuer vostre
173
famille : n'auez vous pas grand tort de
vous plaindre de la peine que vous y
souffrez.
§. II. Aduis pour le Mary ; dont la Femme est mesprisée par ses enfans, & par ses seruiteurs.
Quatre motifs vous obligent, de ne
souffrir nulle insolence de vos domestiques contre vostre Femme.
I. La consideration de vostre Femme
est tres-puissante à cet effet : soit pour
maintenir vos enfans dans leur deuoir:
soit pour luy soûmettre vos seruiteurs
& vos seruantes.
Premierement elle vous a donné vos
enfans : elle les a allaitez : elle les a
nourris : elle les a instruits des leur
tendre ieunesse : elle en a supporté la
fatigue plusieurs années. Seroit il
iuste de l'affliger, par le don mesme
qu'elle vous a fait ?
Si vn arbre vous porte de beaux
fruits, & vous les met entre les
mains : estimerez - vous iuste,
174
d'en ietter contre ses branches, pour les
froisser & pour les rompre ?
Secondement, Dieu veut, que vous
soûmettiez vos seruiteurs, & particulierement vos seruantes, à vostre
Gen.
24.
Femme. Agar, qui estoit la seruante
de Sara Femme d'Abraham, voyant
qu'elle auoit vn fils, s'enorgueillit : &
mesprisa sa Maistresse. Sara s'en plaignit à Abraham : & Abraham consulta
Dieu, pour sçauoir ce qu'il deuoit faire
dans cette conioncture. Dieu luy dit,
Chasse la seruante, & son fils. Vn An Gen. 16 ge auoit des-ja auerti Agar de s'humilier soûs sa Maistresse.
II. La consideration de vos enfans
vous oblige de les soûmettre à vostre
Femme : soit qu'elle soit leur Mere, ou
qu'elle ne le soit pas. Si vous les maintenez dans leur desobeïssance, vous
leur nuisez : & vous contreuenez aux
ordres de Dieu. Il vous commande de
les chastier: afin de les faire sages.
175
LaProu. 22.
folie est liée au col de l'enfant( ou comme tourne l'Interprete Syriaque75, fait enuoler le cœur de l'enfant )
& la verge la dissipe.
cap.23
Et ailleurs.
cap.30
N'espargnez point la correction à vos enfans. La verge ne les fera point mourir. Chastiez-les : & vous sauuerez leurs ames, de l'enfer.
Iesus Fils de Sirac dit, en l'Ecclesiastique.
Celuy qui ayme son fils, le chastie souuent : afin que puis apres il viue en paix : & qu'il ne mandie pas son pain de porte en porte.
Chez les Lacedemoniens76, si vn enfant chastié par quelque autre, en faisoit plainte à son Pere ; ce Pere estoit
obligé par les loix de le chastier encore
vn coup : s'il ne vouloit passer dans
l'estime de ses concitoiens, pour vn
homme lasche.
L'or a besoin d'estre frappé, pour
porter la figure de son Roy, dit BenSyra en ses Prouerbes : & le ieune
homme pour estre fait vne belle Image de Dieu.
Si vous caressez trop vos enfans,
vous les estoufferez : comme le Singe
qui tuë ses petits en les serrant trop
estroittement dans son sein, par vn excez d'amour & de tendresse. Au moins,
vous les rẽdrez reuesches contre vous
176
mesme : lors que l'âge leur aura augmenté les forces & le pouuoir : comme il arriue aux poulains indomptez
qui renuersent & blessent ceux qui
leur ont espargné l'escorgée77 & l'éperon.
III. La consideration de vos seruiteurs & de vos seruantes vous oblige
de les soûmettre à vostre Femme : autrement, ils font plusieurs pechez, la
mesprisant, en detractant dans le logis
& dehors, negligeant leurs offices,
perdant la pluspart du temps, s'amusant à des ieux illicites, à des conuersations dangereuses, à des paroles insolentes, & à diuers autres desordres.
Vous deuez pouruoir à leur salut,
ou par douceur, en les carressant &
leur faisant du bien : ou par seuerité,
en vous faschant contre eux, & en les
punissant.
Si nous sommes obligez, dit S. Gregoire,
d'aimer nos prochains, comme nous mesmes : il s'ensuit, queib l .5. moral.
nous deuons nous fascher contre leurs vices : ainsi que contre les nostres.
Ne croyez point, que la colere soit
vicieuse : moyennant, qu'elle soit bien
reglée : Au contraire, vne trop grande
177
douceur degenereroit en mollesse &
en lascheté : & seroit vne offense de
Psal 4.
Dieu.
Faschez vous, dit Dauid,
de peur que vous ne pechiez. Si vous ostez en Chrys. inMar 5. tierement la colere, escrit S. Chrysostome, les enseignemens ne profitent de rien: la Iustice n'a point de vigueur: & les vices ne sont point reprimez.
Celuy donc qui ne se fasche point,
lors qu'il est necessaire, offense Dieu.
Car vne douceur & vne patience desraisonnable seme les vices : & les
nourrit par sa negligence. De sorte que
non seulement les meschans : mais
aussi les bons & vertueux sont incitez
à mal faire.
IV. La consideration donc de vostre salut vous doit mettre la verge en
main, pour la correction de vos enfans
& vous faire roidir les bras, pour les
rendre souples & obeïssans à vostre
Femme. Le mesme se doit dire, à proportion, pour la conduite de vos seruiteurs & de vos seruantes.
Si vous n'empeschez efficacement
leurs imperfections, le pouuant faire,
vous les approuuez : & vous y parti
178
cipez.
Les fautes ausquelles nous ne resistons pas,dit le Pape Innocent,
ont nostre approbation. Car ne point punir les meschans, en ayant le pouuoir, n'est autre chose qu'en fomenter la malice. Et celuy la doit auoir vn grand scrupule, d'estre participant des crimes qui ne les empesche point de toute sa puissance.
Dieu chastie seuerement cette mollesse : mesme aux plus Illustres & aux
plus vertueux personnages. Heli, Sou
I. Reg.
4.
uerain Iuge & Souuerain Pontife des
Iuifs, estoit fort adonné à la pieté, mais
ses enfans estoient impies. Il les reprenoit trop mollement de leurs crimes,
& n'en interrompit pas le cours par
vne authorité absoluë, & par des chastimens exemplaires. Dieu permit, que
les Philisthins ietterent vne armée
dans son païs. Heli enuoia des troupes
fort nombreuses, pour les arrester, &
pour les combattre. Ophni & Phinees
ses deux enfans en furent les Generaux. Ils liurent la bataille, & la perdent : ayant laissé sur le champ du
combat, environ quatre mille soldats.
179
Ils ne perdent point cœur pour cela.
Ils enuoient querir l'Arche du Testa-
ment : où Dieu residoit d'vne maniere
speciale : & donnoit de merueilleux
secours à son peuple. L'abord de l'Arche releua le courage aux Israëlites; &
estonna les Philisthins. La deuxiesme
bataille se donne : le combat y est sanglant de part & d'autre. Mais comme
la vengeance de Dieu poursuiuoit
Ophni & Phinées, ils furent tuez tous
deux : Les Israëlites prirent la fuite :
l'Arche fust enleuée par les Barbares &
infidelles : & trente mille hommes du
peuple de Dieu resterent sur la place.
Ce n'est point assez : Heli, qui par
sa trop grande indulgence, auoit laissé
viure licentieusemẽt ses enfans, oyant
la desroute de l'armée, la mort de ses
deux fils, la prise de l'Arche, fust saisi
d'vne telle douleur : qu'il tomba de
dessus sa chaise, & mourut soudainement s'estant rompu le col en cette
cheute. La Femme de Phinées, au recit
de toutes ses funestes nouuelles,
accoucha d'vn fils auant le temps, &
mourut de douleur.
180
Vous voyez, quelle tragedie fust
causée : à raison qu'Heli auoit toleré
le vice en ses enfans.
Exod.
22. 29.
Dieu commandoit, que si vn bœuf
blessoit quelqu'vn, auec ses cornes: &
que le Maistre en estant aduerti, ne
l'empeschast point: il fust responsable
du tort qu'il faisoit. S'il tuoit quelqu'vn, on faisoit mourir non seulement le bœuf, mais son Maistremesme.
Vous estes coupables de tous les
maux de vos enfans, si vous pouuez les
empescher. Et ne vous flattez point
sur la douceur que la nature exige de
vous. Vous deuez exterminer le vice
en vos enfans, par vne seuerité necessaire. Que respondrez-vous à Dieu,
qui ordonnoit aux Iuifs, Que si vn enfant estoit si débauché, qu'ils ne peussent le corriger; les parens le menassent
eux-mesmes aux Iuges pour le faire
supplicier, & vouloi[en]t absolument que
les Iuges le condamnassent à la mort,
Deut.
25.
pource qu'il n'auoit point obey aux
commandemens de son Pere & de sa
Mere.
181
Tout le peuple l'assommoit à coups
de pierres: afin que sa mort seruit d'exemple aux autres. André de Gonzague, Marquis de Guastalle, peignit
vn Scorpion en son Symbole, & y mit
cette Epigraphe,
Qui viuens ladit, morte meditur. Celuy qui blesse en sa vie guerit par sa mort. Le Scorpion tué sur la playe qu'il a faite, la guerit.
Les punitions remedient aux
maux, que la meschanceté des enfans
& des seruiteurs a causez dans la famille. Si Dieu s'est montré si seuere
enuuers les enfans refractaires : ne
soyez pas trop mol en l'education des
vostres. Il vous en sçauront mauuais
gré à la fin, & possible vous en maudiront, & en tireront vengeance.
Boëce rapporte78, qu'vn certain San
De
Schol.
discipl.
guin79, qui n'auoit point esté corrigé
par son Pere, estant condamné a estre
pendu pour ses crimes, demanda de
luy parler. Comme son Pere s'approcha de luy, le fils se rua de furie
sur son visage, & luy coupa le nez
auec ses dents, disant.
Si vous m'a 182 uiez bien corrigé, ie ne serois pas où ie suis.
V. Ne vous laissez point toutefois aller temerairement à l'esprit volage d'vne femme passionnée. Examinez serieusement tous ses rapports, &
ne faites iamais par des paroles aigres,
& par des actions seueres ce que vous
pouuez faire par douceur.
Comme celuy qui est trop mol, & qui plastre tout,p. l t dit S. Chrysostome,
fait vn homme negligent. Aussi celuy qui se sert tousiours de reprehension, irrite les esprits. Il faut vser de moderation : autrement, on se met en danger de tout perdre. Roboam, par sa colere inconsiderée, menaça d'vne rigoureuse seuerité les dix Tributs d'Israël : ce qui fut cause, qu'elles se reuolterent contre luy : se choisirent vn autre Roy : & ne se reünirent iamais au Royaume de Iuda.
La prudence prend son temps; & a
des effects admirables sans aucun
peril. Alphonse I. Duc de Ferare, s'estant
seruy le premier de la Grenade militaire,
la prit pour son Symbole, y ajoustant ces
mots,
Au lieu & au temps. Car si vous allu 183 mez trop tost la Grenade elle blesse celuy qui la veut ietter aux autres, si vous l'allumez trop tard, elle ne nuit point eux ẽnemis. Mais si vous y mettez le feu à temps, elle fait de merueilleux effets.
VI. Enfin, si vous voulez ranger vos
enfans & vos seruiteurs & faire qu'ils
vous obeissent & à vostre femme; vsez
dans les diuerses rencontres, de recompenses & de punitions. Les punitions
les tiendront dans la crainte: les recompenses gagnerõt leur amour. Ainsi vous
euiterez les deux extremitez vicieuses,
d'vne trop grande rigueur, & d'vne
excessiue douceur. C'est ce que declaroit
Pie III. Souuerain Pontife Il fit peindre
en son Symbole des branches d'Oliuier auec des verges : & y escrire ces
paroles.
184
Pœna & præmium. La peine & la recompense. La peine, pour les vices : la recompense, pour les vertus. Si vous punissez bien vos enfans & vos seruiteurs, pour leurs fautes : recompensez les encore mieux, pour leurs loüables actions : & sur tout, pour l'obeissance & la soumission, qu'ils rendent à vostre femme.
§. III. Auis aux Enfans, qui mesprisent leur Mere.
I. Dieu vous ordonne l'amour &
respect enuers vos parens : & vous
promet en recompense vne longue vie.
Il a prescrit la recompense à ce seul
commandement : afin que comme il
n'est nul desir plus ardent que de conseruer sa vie : aussi il n'y ayt rien mieux
obserué que l'honneur & l'amour enuers ceux de qui on l'a receuë.
Demetrius Phalereus enseignoit sagement. Que les ieunes gens doiuent
se respecter eux-mesmes, dans la solitude, les autres, à la rencontre : &
leurs parens, au logis.
II. Tout vostre bien vous vient
originairement de vostre Pere & de
vostre Mere : & sans eux vous ne seriez point au nombre des Estres. Si
vous viuez : si vous voyez : si vous
marchez : si vous raisonnez : si vous
esperez le Paradis : tout cela tire son
origine, de ce que vous ont baillé
vos parens : sans qui Dieu n'eust
iamais crée vostre ame, ny formé
vostre corps.
185
Herode le Sophiste les met au nombre des Dieux, à nostre esgard.
Nos parens, disoit il,
sont les viues images des Dieux : ou plustost, ils sont des Dieux domestiques, qui nous ont fait beaucoup de biens. Ils sont nos creanciers, nos maistres, & nos amis.
Que si vostre estre, vostre conseruation, vostre augmentation, tous
vos ornemens d'esprit & de corps, sont
des faueurs de vos parens, quel
honneur, quel respect, & quelle
soumission ne leur deuez vous pas ?
S. Thomas a vne pensée, qui m'agrée
fort.
Les enfans, dit-il,
reçoiuent de leurs parens la vie, comme vn fief : à condition, que s'ils sont fidelles, ils la retiennent : & s'ils sont infidelles & desloyaux ils la perdent.
III. Dieu ne promet pas seulement
Eccl.
5. 5.
vne longue vie, aux enfans, qui honoreront leurs parens. Mais il les asseure,
dans l'Ecclesiastique : que par ce moyen, ils amassent vn thresor : qu'ils
auront des enfans, dont ils receuront de la ioye: qu'ils seront exaucez
en leurs prieres : qu'ils seront com
186
blez de benedictions iusques à leur
mort : que Dieu les aydera, au temps
de la tribulation : & que leurs pechez
leur seront pardonnez.
IV. Au contraire Dieu nous de
Eccle.
3. 18.
clare : qu'il maudira celuy qui prouoque sa Mere à vne iuste colere, & qui
l'irrite.
In vit.80
S. Frodobert.
Les Liures sont pleins d'Histoires
Tragiques, & de punitions tres rigoureuses des enfans, qui ont mal
traité leurs Meres. Vn certain Robert
disputa auec la sienne, pour diuiser
quelques gerbes : & l'ayant prise par
les cheueux, la ietta par terre. La nuit
suiuante, il deuint borgne : & fut surpris d'vn tremblement si vehement,
& si douloureux au bras, qu'il le remuoit sans cesse, le iettant derriere
son dos : & le reflechissant sur son
estomac. Il perdit aussi l'esprit: ce qui
affligea tellement sa Mere: qu'elle en
mourut, dans trois iours.
Euitez les petites desobeissances, &
les petites querelles : & iamais vous
ne viendrez à ces excez.
187
§. IV. Auiz aux Seruiteurs, qui mesprisent la Maistresse du logis.
I. Encore que vostre Maistre
souffre vos insolences contre sa Femme : par la crainte qu'il a de se priuer
de vostre seruice : ne doutez pas, qu'il
vous haït, & deteste en son cœur : &
que s'il trouue d'autres seruiteurs, qui
luy soient vtiles, il vous chassera de
son logis, comme des personnes mal
auisées & arrogantes.
II. Si vostre Maistre, irrité contre sa Femme, se plaist pour vn temps
aux vacarmes que vous faites : cela ne
durera gueres. Les coleres des Amants
font des amitiez plus fortes, & plus
ardentes.
L'amour s'esteint quelquefois : mais
il se rallume. On trouue des fontaines,
qui esteignent les flambeaux allumez :
& qui rallument les flambeaux esteints.
Vn peu de paille embrazée, qu'on passe
au dessus de l'eau, eschaufe les vapeurs
& les exhalaisons : & fait de la flamme.
L'humeur bigearre81 d'vne femme a
glacé le cœur de son mary : vne caresse, faite auec dexterité & prudence
188
l'enflammera plus que iamais. Que deuiendrez vous alors ? Qu'el fruit tirerez-vous de vos brauades ? Ne serezvous pas immolé la la iuste colere de
l'vn & de l'autre.
III. Voulez-vous estre vn excel
Hebr.
I. 14.
lent seruiteur ? Imitez les Anges.
189
Ils sont tous, dit S. Paul,
des Esprits qui seruent à Dieu : & qu'il enuoie pour seruir à ceux qui sont les heritiers du salut eternel. Ils ont toutes les qualitez d'vn excellent seruiteur. I. Ils sont tresobeissans: courant où ils sont enuoyez, au moindre signe de la volupté de Dieu. II. Ils sont tres-humbles, ne refusant aucun seruice, pour vil & mesprisable qu'il soit : encore qu'ils Ezech. I. soient les Princes du Paradis. III. Ils sont tres-prompts à l'execution. Ils egalent les esclairs & les foudres par leur vitesse : comme l'aperceut le Prophete Ezechiel. Pour ces raisons, on les depeint souuent n'ayant que la teste & les aisles: pour declarer, qu'aussi-tost qu'ils ont veu & oüy ce qu'on leur ordonne, ils volent pour le mettre en execution.
Chacun veut estre seruy promptement. Ælius Verus, Empereur Romain82, donnoit des aisles à ses seruiteurs, qu'il enuoyoit aux champs : afin
de les aduertir, d'apporter de la promptitude à l'execution de ses ordres. Il
Iul
Cesar
l. I. de
Imper.
Rom.83
les appelloit du nom des vens : Boreas,
Notus, Eurus, Auster. De la vinrent
les Soldats, qui estoient appellez Pennigeri : portans des aisles. Ils estoient
destinez à porter les Lettres des Empereurs. C'est pourquoy Aristide, au
Panegyrique de la Ville de Rome, dit.
Les Lettres nous viennent comme apportées par des oyseaux. Ils les estimoient estre soubs la protection de
Mercure, & pour cette raison, ils
les depeignoient aislez.
Vous estes soûs la protection du Dieu
Createur des hommes & des Anges.
Seruez luy, en la personne de vostre
Maistre & de vostre Maistresse, qu'il a
mis en place pour vous commander.
Si vous le regardez en eux : il vous recompensera de vos moindres seruices,
comme si vous les luy rendiez. S. Paul
dit clairement, aux Ephesiens.84
Serui- 190 Ephes. 5. 6. teurs, obeissez à vos Maistres charnels, auec crainte & respect, en la simplicité de vostre cœur, comme à Iesus-Christ, Ne seruant point à veuë d'œil, comme pour plaire aux hommes : mais comme seruiteurs de Iesus-Christ, faisant la volonté de Dieu de bon cœur, seruant de bonne volonté comme à N. Seigneur, & non pas comme aux hommes. Sçachant certainement, qu'vn chacun receura la recompense de ses bonnes œuures: soit qu'il viue dans le seruice, ou qu'il soit en pleine liberté.
bandeau décoratif
209
CHAPITRE VI. La Consolation & la Direction d'vne Femme, laquelle a vn Mari Auaricieux; qui la laisse & ses enfans dans la necessité.
C'Est vn cruel supplice que de
mourir de faim. Mais ce supplice
est extraordinairement douloureux, si
l'on demeure affamé, dans vn festin,
où l'on voit manger les autres, sans
191
en auoir la permission.
Les pauures sont à plaindre à cause de leur indigence. Mais vne femme
d'honneste famille, qui se voit gourmandée par vn barbare Auaricieux : &
reduite à vne vie chetiue, qui l'oblige
à souffrir beaucoup de mesaises85 en ses
habits, en son viure, & en diuers aubesoins de la vie, me semble encore
plus miserable, & plus digne de compassion. Il faut faire vn effort, pour
trouuer quelque adoucissement à sa
douleur.
§. I. Auis à la Femme, qui vit dans l'indigence, par l'Auarice de son Mary.
I. C'est vne pure bonté de Dieu,
en vostre endroit; que vous soyez née
dans l'Europe, & dans vne famille riche & noble. Vous pouuiez naistre
dans les deserts & dans les sables de
l'Afrique, dans les forests de Canada,
dans les glaces & les neiges des Mers
qui sont soubs les deux Poles. Qu'eussiez - vous fait pour lors, estant à
demy nuë, couuerte d'vn meschant
bout de peau, nourrie d'herbes & de
192
legumes mal apprestées : ou au plus,
n'ayant qu'vn peu de chair mal cuite,
sans pain & sans saulce?
Faites souuent cette reflexion. Et
vous trouuerez, que vous n'estes
point des plus infortunées de ce mõde.
S. Paul, parlant à S. Timothée,
1. Tim.
6.7.
Euesque d'Ephese, luy dit
Nous n'auons rien apporté en ce monde. Il est certain, que nous n'en emporterons rien. Ayant nostre viure & nos habits, soyons contens.
II. Les Saincts ont esté plus mal
In cor.
vitis.
nourris, que vous : bien qu'ils meritassent vn meilleur traittement, que
vous ne desireriez pour vostre contentement. S. Marcel Pape, estant resserré
par le Tyran dans vne estable, pour y
panser les cheuaux : ne mangeoit que
du pain bien sec, & ne beuuoit que
de l'eau.
3. S. Macaire ne mangea, sept
ans durant, que des herbes cruës.
4. Saincte Eusebie, surnommée
193
Xene ( c'est à dire Hospitaliere ) ne
mangeoit que du pain, meslé auec ses
larmes, & auec de la cendre. Elle n'en
prenoit qu'vne fois, en deux, ou en
trois, ou mesme en quatre iours.
5. Saincte Geneuiêue, depuis l'âge de quinze ans iusques à cinquante
ans, ne prenoit qu'vn peu de pain &
de feves, le Dimanche & le leudy. Et
ne faisoit cuire ses fêves, qu'enuiron
de quinze en quinze iours.
III. La faim fait trouuer les viandes
grossieres plus agreables, que ne seroiẽt les mets les plus exquis des Roys,
si l'on manque de cet assaisonnement.
Ptolomée, Roy d'Egypte, faisant
voyage ne trouua que du pain tres-sale
& tres-degoustant. La faim neantmoins, le contraignit d'en manger. Il
s'escria incontinant. Que iamais il
Diod.
l.2.c.1.
n'auoit gousté rien de plus sauoureux.
Gnefactus, Roy du mesme Royaume, menant vne armée en Arabie, fut
contraint par la faim, de manger dans
le desert, des viandes dont il n'eust pas
souffert la veuë, en vn autre temps.
Il y prit tant de goust qu'il rejetta ab
194
solument les delices de la Cour : fut
tres-sobre, tout le reste de sa vie : &
fit descrire la cause de sa frugalité,
dans le Temple de Iupiter, pour seruir
d'exemple aux autres Roys, & à tout
le peuple.
IV. Si vous recourez à Dieu, & luy
representez vos besoins, auec resignation, auec constance, & auec perseuerance : il vous fournira tout ce qui
vous sera necessaire, & pour les habits, & pour l'argent, & pour la nour
Bollã.
Surius
Metap
Baron
riture.
1. Les Anges ont donné à manger à la B. Oringe, à Saincte Ide, à
Sainct Alexandre, à Sainct Iulien, &
à plusieurs autres.
Quatre ans durant, vn Ange apportoit des viandes à la B. Veronique:
& quelquefois il les augmentoit au
double : afin qu'elle en fit part à sa
compagne
Tous les iours, vn Ange apportoit
vn pain à S. Phosterius : & luy pouruoyoit abondamment, selon le nombre des hostes qu'il receuoit.
Vn Ange nourrit, douze iours du
195
rant, S. Pontien : qu'on tenoit dans
vne estroite prison, où l'on vouloit le
faire mourir de faim.
2. Dieu vous pouruoira d'habits,
qui vous seront necessaires & à vos enfans. Moïse conduisoit dans vn desert
sterile, trois millions de personnes.
Ce voyage dura quarante ans : & Dieu
conserua en leur entier tous les
vestemens des hommes & des femmes,
qui estoient dans vn âge auancé : &
fit croistre ceux des enfans, à proportion que leur corps croissoit, en grandeur & en grosseur.
Les Anges reuestirent d'vne belle
Robbe Saincte Agnes : que les bourreaux tiroient toute nuë, dans vn lieu
infame : d'où elle sortit victorieuse &
innocente.
3. Si l'argent vous est absolument
necessaire, il ne vous manquera point:
si vous estes fidelle à Dieu ; & si vous
implorez son assistance. Il fit, que l'argent ne manqua iamais dans la bourse
de Saincte Liduvine. Aussitost qu'elle
en auoit tiré des petites pieces de
monnoye, qui y estoient ; elle y en
196
trouuoit d'autres, de mesme valeur.
C'estoit comme vne source inespuisable de la liberalité de Dieu.
Le B. Herman, ou Ioseph, estant en
Cachet
in vit.
core enfant, la B. Vierge Marie luy
monstra vne pierre, soubs laquelle il
trouua de l'argent, pour soulager la
necessité de ses parens & la sienne. Elle
l'auertit, de faire le mesme dans ses
besoins : Ainsi rien ne luy manqua,
qui luy fust entierrement necessaire.
Dieu changeroit plustost les pierres
en argent, que de vous laisser perir :
si vous l'inuocquez du fond du
cœur. Il peut releuer vos cheutes, &
enrichir vostre pauureté. Il conuertit,
vne fois de l'estain en argent dans
l'Espagne : & par ce miracle, enrichit
vn Marchand, que S. Iean l'Aumosnier
auoit assisté, apres de grandes pertes.
V. Lors que le murmure se faisit
de vostre cœur : & que vous commencez de vous indigner contre vostre mary, de ce qu'il ne vous fournit
pas suffisamment d'argent pour vos
habits, pour vostre entretien, & pour
vostre famille : Considerez que possi
197
ble vous ne sçauez pas toutes les
debtes & tous les embaras de vostre
mesnage, pour lesquels vostre mary
espargne: sans vous donner de la douleur, pour ses mauaises affaires.
VI. Enfin, estimez que l'estat de
vostre misere est tres-propre, pour vous
enrichir de plusieurs vertus : & vous
faire vne saincte.
La Palme se plaist dans vn sol, qui
soit salé. Elle ne veut point estre engraissée auec du fumier.
Le Pouliot, dit Ciceron, fleurit en
lib. I.
de diuinat.86
hyuer, dans la plus grande rigueur
du froid.
La vertu fleurit, porte des fruits, &
se fortifie dans l'affliction & l'indigence : & languit dans l'abondance,
où elle est tousiours en danger de
perir.
VII. Vous ne deuez point vous tenir pauure & miserable : si vous estes
riche, aux yeux de Dieu & de ses Anges : l'or & l'argent, dit Euripide, ne
sont nullement les veritables richesses:
mais les vertus.
Pythagore disoit,
Que les richesses 198 de la terre sont vne Anchre fort foible : que la gloire l'est encore plus : & que le corps & le reste sont sans force. Quelles sont donc les Anchres fortes & assurées? La prudence, la force, la magnanimité & les autres vertus. Elles ne sont point ébranlées par aucune tempeste. Dieu a mis cette Loy : que la seule vertu est solide & puissante : & que tout le reste n'est qu'vne pure badinerie & sottise d'enfant: Iusques icy ce Philosophe.
VIII. Mesprisez donc tout ce que
vous desirez, hors de Dieu : & vous
croirez auoir tousiours suffisamment
des biens de la terre : & mesmes du
peu que vous aurez par vostre mary,
vous prendrez plaisir d'en retrancher
vne partie: afin de meriter dauantage.
§. II. Auis pour le Mary qui laisse sa Femme & Enfans en necessité.
I. Vostre espargne doit auoir vne
fin raisonnable ? Pour qui amassez
vous, si ce n'est pour vostre femme &
pour vos enfans ? Que si vous cherchez leur bien, & leur contentement:
ne vaut-il pas mieux les contenter dés
maintenant : que de les inquieter vn
199
Prou
15.
long-temps, pour les mettre à leur
aise apres plusieurs années? l'Auarice
est le trouble des familles : comme
Dieu mesme nous asseure. Ne vous
en laissez point gourmander.
II. Vostre Auarice vous priue de
l'vtilité de vos richesses.
Celuy qui aime les richesses, dit Dieu en l'Ecclesiastique,
n'en tirera aucun profit.
Il est semblable à ceux qui sont
condamnez aux mines d'or & d'argent: Ils en manient beaucoup: mais
ils n'en sont pas plus riches. Car rien
n'en reuient à leur profit. Ils demeurent tousiours, dans leurs cachots &
dans leurs tenebres : tandis que les
Autels & les Palais des Roys reluisent
par le brillant de ces metaux.
Non seulement l'Auaricieux ne
maintient point le lustre de sa naissance
par la splendeur de ses habits, & par
le brillant des meubles de sa maison :
mais il meurt de faim, au milieu de
l'abondance. La Femme de Pythius,
Roy de Bithinie, le declara par vne ingenieuse inuention. Ce Prince, poussé
par vne insatiable conuoitise d'amasser
200
de l'or & de l'argent, fatiguoit la pluspart de ses sujets dans les mines. Sa
femme luy fit de toutes sortes de viandes, en or & en argent : & les luy presenta, au temps du disner. Pythius
prit d'abord vn grand plaisir à ce seruice. Le deuxiesme & troisiesme seruice se faisant de la mesme sorte, quoy
qu'il demandast à manger, il se mit en
colere. La Reine, qui estoit plus prudente, luy dit alors. Sire, vous tuez
continuellement vos sujets, pour vne
chose que vous voyez ne pouuoir soustenir vostre vie. Contẽtez vous de tant
de biens, que vous auez: & traittez vous
à la Royale. Faites cultiuer les champs
de vostre Royaume : & viure vostre
peuple en repos & en abondance. Il
crut ce sage auis & fut depuis vn
excellent Prince; aimé de tous ses sujets, & redouté de tous ses voisins.
III. L'Auaricieux, comme vous
voyez, est dommageable aux autres.
Thomas Murs87 le compare à vn chien
farouche : qui est attaché à vn ratelier
où il y a du foin. Il n'en mange point
& empesche les autres animaux d'en
201
manger.
IV. Les biens que vous amasserez
Ælian.
l. 6. c.
51.
ne vous rassasieront iamais, tandis que
vous retiendrez l'Auarice dans vostre cœur. Ceux qui sont mordus du
serpent Dipsas sont tellement emflammez d'vne furieuse soif : que plus ils
boiuent, plus ils ont soif.
S. Augustin considerant l'auidité
insatiable des Auaricieux, escrit qu'ils
De vir
Dom.
sont pires, que les bestes brutes. Voicy ses paroles.
Iob.
27.18.
Que veut dire cette insatiable auidité de la concupiscence. Les bestes irraisonnables mettent des bornes à desirs. Elles ne rauissent, que pressées de la faim. Elles espargnent leur proye, aussitost qu'elles se sont remplis suffisamment. La seule auarice des riches est insatiable. Elle rauit tousiours: & n'est iamais contente. Elle ne craint point Dieu : & ne respecte point les hommes. Elle ne pardonne point à son Pere. Elle ne connoist point sa Mere. Elle n'obëit point à ses Freres : & ne garde point la foy à ses Amis. Elle opprime les Veuues: attaque les Orphelins: iette en esclauage ceux qui sont libres: & est tous-202
iours preste à faire de faux sermens.
V. Vous vous mettez en peril, de
renuerser vostre famille, en la batissant par vne Auarice mesquine &
sordide. Iob dit, que l'Auaricieux bastit sa maison, comme la tigne88. Les
Septante tournent,
Sa maison se fera, comme celle de la tigne89 & de l'aragnée. L'aragnée fait sa toile, en s'espuisant : & la tigne90, en rongeant. Mais enfin tout perit bien tost : Dieu renuersant tout ce que l'auare auoit amassé aux despens d'autruy : & en fais cruellement souffrir ceux à qui il deuoit donner du secours.
Theop.
Baron
8. tom.
anne
602.
L'Empereur Maurice ne voulut
point racheter, pour fort peut d'argent,
plusieurs soldats, que Chaian Roy des
Auares auoit pris dans vne bataille.
C'est pourquoy ce Roy les fit tous
esgorger, auant que de retourner en
son pays. Cette auarice de Maurice deplut si fort à Dieu & à tous les sujets
de l'Empire, particulierement aux soldats : qu'vne sedition s'estant esleuée
dans l'armée, à raison des quartiers
d'hyuer, Phocas fut proclamé Em
203
pereur. Il accourt à Constantinople : y
est receu par le Senat, & Couronné par
le Patriarche : Ce Tyran fit prendre
Maurice, ces cinq enfans masles, sa
femme & ses filles, & les fit tous massacrer. Voila le fruit d'vne lasche
auarice.
Ce qui arriue aux Empires, arriue
aux familles particulieres : & si l'on
n'y perd pas la vie, par ce vice infame
d'auarice : on y diminue ses biens. S.
lib. de
gloria
Cons
c7.c.8.
Gregoire de Tours raconte. Qu'vn
Nautonnier refusant l'aumosne à vn
pauure : & luy disant que son Nauire
ne portoit que des pierres, fut bien
estonné, que tout le pain, tous les fruits
& toutes les viandes, qui estoient
dans ce Nauire, se conuertirent en
pierres. Et ce Sainct assure en auoir
veu des Oliues & des Dattes, plus
dures que du marbre.
VI. Quand l'auarice seroit vtile à
l'agrandissement de vostre famille,
vous la deuriez fuir: parce qu'elle perd
vostre ame : en comparaison de laquelle vous deuez mespriser tous les
biens de la terre, comme du limon &
204
du fumier.
O hommes, s'escrie Sainct Augustin,
quelle folie vous renuerse l'esprit : Vous perdez la veritable vie. vous tuez vostre ame: vous acquerez de l'or, qui n'est que de la boüe, & vous perdez le Ciel, qui vous offre des thresors Eternels.
S. Chrysologue entre dans la mesme
In ser.
pensée, & dans le mesme zele.
Celuyla, dit-il,
est vn lasche, qui estant appellé à vn Royaume, s'amuse à vn petit gain dans sa maison. Il faut auoir vne ame de plomb & de fer, pour estimer dauantage vn escu, que les thresors d'vn Roy. C'est auoir peu de sens & de iugement, de vouloir perdre des choses tres-grandes, pour de tres-viles & tresabjectes : & de se laisser eschaper des mains, des biens Eternels, pour ceux qui ne font que couler auec le temps.
Ne vous laissez point emporter à l'é
Cirlã
lib. 3.
de rer.
utilci,
c. 55.
clat de l'or & de l'argent : mais considerez, que la mort de vôtre ame est cachée
soubs ce brillant, qui n'est qu'vne
pure illusion du demon, & vne inuention pour vous perdre sans resource.
Cela se peut expliquer, par la mali
205
cieuse subtilité de Fenella. Kennethus
Roy d'Ecosse, ayant tué Dessus parent
de cette Princesse, elle se resolut à la
vengeance. Elle fit faire à ce dessein,
vne belle statuë, qui tenoit en sa main
vne pomme d'or, ornée de riches pier
Hector
Boettius. l.
21.hist.
Scot.
res precieuses. L'Artifice estoit : que
lors qu'on la tiroit à soy: plusieurs iauelots sortoient de la statuë ; qui se lançoient sur celuy qui s'en approchoit.
Fenella fit poser cette statuë dans vn
Iardin de plaisance : & inuita le Roy
de s'y venir diuertir. Ce Prince, ne
sçachant rien du secret, fut raui à la
premiere veuë de cette statuë : il s'en
approche auec ioye, & se saisit de cette
pomme. Incontinent, il fut percé de
ses fleches cachées : & tomba roide
mort, au milieu de ses Princes, de sa
Noblesse & de ses Gardes. Ce qui arriua pour lors au corps de ce Roy, arriue tous les iours en l'ame des auares.
Ils rauissent l'or : & il les tuë. Quel
profit leur en reste-il: veu qu'il faut perdre mesmes cette meurtriere masse de
terre munie?
206
VII. C'est encore vne consideration
qui doit moderer vostre auidité. Vous
perdrez, enfin tous ces biens de terre:
& vous n'en emporterez rien en l'au
Iob 20.
15.
tre monde.
L'impie vomira les richesses qu'il a deuorées : & Dieu les luy arrachera du ventre.
Cela se peut expliquer, par ce qui
arriue aux Corbeaux en la Chine, &
qui est arriué aux Chats d'Affrique
aux Isles Balcares.
1ff. Les Mandarins Chinois nourris
Matt.
l.6.
sent de grands Corbeaux domestiques,
qui sont duits91 à la pesche. Ils leur serrent le cou auec vn nœud, qui ne leur
oste point la respiration : mais qui les
empesche d'aualer ce qu'ils prennent.
Ces Corbeauxse lançent auec vne admirable vistesse & adresse dans l'eau :
prennent de petits poissons dans leur
bouche, & de gros en leur bec: & les
reportent au logis, où l'on leur fait rendre gorge, & lascher toute leur proye.
2. Les Habitans des Isles Major
Strabo. l. 3.
que & Minorque estoient si molestez,
par vne multitude presque infinie de
Lapins : qu'ils furent sur le point de
207
quitter leurs Isles, & d'enuoyer à Rome des Ambassadeurs, pour demander
vn autre pays. Enfin, ils s'auiserent de
faire entrer dans les tanieres de ces
petits animaux, des Chats d'Affrique.
Mais ils leur lierent la gorge: afin que
pouuant chasser ou dechirer leur proye,
ils ne peussent la deuorer.
Vous n'emporterez auec vous en
l'autre monde, ny or ny argent, ny dignitez, ny palais, ny prez, ny champs,
ny vignes, ny bois : pourquoy donc
allez-vous à la chasse de ces biens, auec
tant d'empressement. Ne faites point
miserable vostre famille, en luy cachant
des biens que vous ne pouuez longtemps conseruer.
VIII. Non seulement vous serez
bien-tost obligé par la mort, & peut
estre auparauant par quelque reuers de
fortune, de laisser toutes vos richesses:
mais vous sentirez de tres-cruelles
douleurs en cette perte, si vous attachez trop vostre affection à ces biens
perissables.
Poggius asseure; que de son temps,
De auarit.
vn homme addonné à l'avarice, estant
208
prest de rendre l'ame se fit apporter vn
bassin plein d'escus d'or. Et qu'alors
il leur demanda instamment du secours, leur alleguant. Qu'ils les auoit
gardez, comme son ame propre: & que
c'estoit en cette extremité, où ils
deuoient l'assister. Il repeta souuent
ces paroles. Ah! qui sont ceux à qui ie
vous laisseray. Enfin, il mourut dans
ces regrets : & quitta auec larmes &
auec sanglots, ce qu'il auoit si ardemment cherché : si soigneusement conserué : & si inutilement & sottement
inuoqué.
Concluez : & resoluez vous de
n'estre plus si auide des richesses, qui
sont volantes & passageres. Pouruoyez
honnestement vostre femme, & vos
enfans, & toute vostre famille. Tout
ce que vous y emploierez, vous causera
du merite aupres de Dieu, & vous
comblera de ioye en l'ame. Tout ce
que vous reseruerez mal à propos :
ne vous seruira que de tourment, en sa
conseruation & en sa perte.
CHAPITRE VII. La Consolation & la Direction d'vne Femme, dont le mary est fascheux à son Pere, à sa Mere, à ses Enfans d'vn autre lict, & aux Seruiteurs & Seruantes qu'elle affectionne.
LA necessité des familles & des
affaires contraint quelquefois à
se remarier. Mais c'est vn miracle, si la
charité s'y trouue si parfaite : qu'il n'y
interuienne plusieurs inconueniens &
plusieurs deplaisirs. Voyons briéuement, comment on s'y doit comporter, pour en tirer du profit.
§. I. Aduis à la Femme, dont les parens, & les domestiques sont mal traitez.
I. Lors que vous vous estes resoluë
à vn second Mariage : vous vous estes
exposée à toutes les difficultez & à
toutes les douleurs, qui ont coustume
d'y arriuer. Publius Syrus dit ingenieusement, à ce sujet. Si celuy qui est
eschapé d'vn naufrage se remet dere
210
chef sur Mer : il n'a point de iuste raison d'accuser Neptune, le Dieu des
flots, de ce qu'il permet aux vens de
souffler contre son vaisseau.
Pour cette raison, plusieurs femmes
prudentes ont rejetté les secondes
Nopces : qu'on leur offroit auec instance. 1. Annia pressée de se remarier
en la fleur de sa ieunesse & de sa beauté; le refusa, disant. Ie ne le ne le feray
iamais. Si i'auois vn bon Mary, i'aurois trop peur de sa mort. Si i'en rencontrois vn fascheux : ie serois insensée
de le prendre, apres le mien qui estoit
d'vne tres-excellente bonté. 2. Valeria estant interrogée, pourquoy apres
la mort de son Mary, elle n'en prenoit
pas vn autre. Parce que, dit-elle, encore que le mien soit mort aux autres
il est encore viuant, & viura tousiours
pour moy. 3. Martia, Fille de Caton,
repartit à la mesme demande. A peine
trouuerai-je vn Mary : qui me cherche
plustost que mes biens.
II. Quand vous voyez, que vostre
Mary fait esclater sa passion contre vostre Pere, vostre Mere & vos Enfans, &
211
contre vos Seruiteurs & vos Seruantes: considerez qu'il vaut mieux, qu'il
la monstre, que de la couuer dans son
cœur. La flamme brusle par son ardeur:
mais elle resioüit, par sa lumiere. La fumée est intolerable ; & estouffe, sans
qu'on y pense.
III. Recompensez par vos bons
seruices, & par vostre tendresse, enuers
vos parens, & enuers vos domestiques,
les boutades & les excez de vostre
Mary : Ne leur donnez neantmoins
rien à son insceu, sans l'aduis de vostre
Confesseur, ou de quelque homme
sçauant & experimenté. Vostre Mary
est le Maistre & le Dispensateur des
biens de la famille.
IV. Ne precipitez rien: dissimulez
pour vn temps, si l'indignation est
trop grande. Maintenez, auec plus de
soin, l'affection que vous porte vostre
Mary. Si vous ne la perdez point: il ne
sera pas bien difficile d'accommoder
tout en son temps. Lors que vous
le verrez en bonne humeur, tesmoignez luy que ce procedé trop austere
enuers vos parens, ou enuers vos seruiteurs, vous afflige, vous serre le cœur
212
& vous met en peril de vostre santé.
Si vous auez d'ailleurs, quelque indisposition, ce moyen sera tres-efficace.
V. Si la prudence, ou la necessité,
vous contraint de ne point tant hanter
vostre Pere & vostre Mere : ne manquez pas, de leur faire sçauoir la bonne
volonté que vous auez pour eux : & le
desir, que vous conseruez de trauailler
à vne bonne paix.
VI. Pour ce qui concerne vos enfans; ne vous persuadez pas facilement
Eccli.
7.
que vostre Mary leur soit trop seuere.
Dieu luy commande la grauité, en ces
termes.
Vous auez des Filles : gardez leurs corps: & ne leur monstrez point vn visage riant.
Eccli.
30. 9.
Dieu ne veut pas moins de grauité
& de seuerité, enuers les masles.
Traitez doucement vostre fils, dit-il:
& il vous remplira de frayeurs. Si vous iouez auec luy, il vous attristera : ne luy sousriez point, & ne luy compatissez point : autrement, il vous causera beaucoup d'amertume. Faites luy baisser la teste, tandis qu'il est ieune. Chastiezle, dez sa premiere enfance; de crainte 213 qu'il ne s'endurcisse, & ne vous croye pas: & vous transpere le cœur de douleur.
VII. Ne vous gendarmez donc pas,
si vostre Mary est serieux enuers vos
enfans : & ne leur permet point, en sa
presence, diuerses libertez, dont vous
voudriez tirer vostre diuertissement. Il
Strabo.
l.15.
n'estoit point permis aux Escoliers des
Brachmanes, ny de parler, ny de cracher, ny de se moucher, deuant eux.
Si cela leur arriuoit, ils estoient exclus
de la classe de ces Philosophes Indiens,
Vincent. l.
2. c.
74.
hist.
nar.
Basil.
in Hex.
comme n'ayant point vn suffisant domaine sur eux-mesmes.
VIII. Ne vous fachez non plus, s'il
les chastie plus que vostre tendresse
maternelle ne voudroit. Il les nestoyera de leurs vices & leur donnera la
vie & la vigueur des vertus. Les bourdons meurent dans le miel : & viuent
dans le vinaigre. Le sel d'Agrigentum
se durcissoit en l'eau, & se liquifioit au
feu. Ce qui est vtile & necessaire à vos
enfans, ne vous doit point estre fascheux & desagreable. Et beaucoup
moins deuez vous en tesmoigner vo
214
stre mécontentement à vôtre Mary: qui
a des-ja assez de peine à cette violence
qu'il se fait. Vous pourriez estre cause,
qu'il quitteroit tous ses soins : & que
vos enfans mal esleuez vous feroient
bien des maux : si particulierement, en
punition de cette lascheté Dieu vous
ostoit vostre Mary.
IX. Il pourroit neantmoins arriuer,
que la seuerité seroit excessiue : & que
vous deuriez interposer vostre credit.
Mais cela se doit faire, apres vne meure
deliberation ; & apres auoir bien prié
Dieu, qu'il vous inspire & vostre Mary
ce qui sera le plus conuenable à sa
gloire, au salut de vos enfans, & au
bien de vostre famille.
§. II. Aduis pour le Mary, en ce qui concerne ses enfans & ceux de sa Femme.
I. Loüez en vous mesme la tendresse de vostre Femme : tant pour ses
parens, que pour ses enfans, ses seruiteurs & ses seruantes. Les femmes ont
plus de lait que les hommes : & la douceur leur est plus propre. La vostre seroit blasmable, si elle n'auoit point
215
cette affection : que Dieu a donnée,
mesme aux animaux.
L'Aigle aime tant ses petits, dit le
R. Saomon.
Docteur Salomon ; que les voulant
garantir des fleches du chasseur; non
seulement elle les enleue en l'air auec
ses griffes : mais elle les met sur son
dos : afin qu'ils soient plus asseurez
qu'elle mesme : & qu'on ne puisse les
blesser, sans l'offenser la premiere.
On blasme l'Austruche, de ce qu'elle ne couue point ses œufs: & ne prend
aucun soin de ses petits.
II. Ne trouuez point mauuais que,
de temps en temps, vostre Femme demande la grace pour ses enfans : cela
l'en fera aimer, & empeschera qu'ils ne
luy fassent tant de peine.
Ne vous indignez point aussi, si
quelquefois voyant vostre colere trop
allumée & que vous frappez trop rudement ses chers nourrissons, elle va au
secours; & vous arrache les verges des
mains. Cela est excellent, lors qu'il se
fait auec concert, & d'vn mutuel accord. Car l'enfant demeure dans la
crainte : & ne reçoit pas vn grand mal.
216
Ælian
3.c.23.
Mais quand il arriueroit, sans vostre permission : donnez quelque chose
à vne Mere attendrie. Le Pelican non
seulement se tire du sang de la cuisse
pour nourrir ses poussins : mais se iette
aussi au milieu des flammes, pour les
en deliurer.
III. Vous deuez faire plus de cas
de l'amour de vostre femme, à qui vostre colere est onereuse : que de la satisfaction de vostre passion : veu que cette
douceur, meslée auec vostre aigreur,
Plin.
7.c.25.
est propre à produire de bons effets. Le
fiel de l'Aigle est excellent pour la veuë
si on le mesle auec le miel de l'Attique.
IV. La trop grande seuerité abbat
l'esprit des enfans : les rend stupides &
pusillanimes : ou les met en furie, & les
rend fougueux & indociles. La Lamproye deuient furieuse, si elle boit du
vinaigre : Plusieurs naturels se roidissẽt
contre la rigueur, & se rendent traitables à vne douceur prudente & moderée : mais il n'y en a presque point, à
qui l'excez de la rigueur ne nuise beaucoup. Vne petite pluie penettre & fertilise la terre. Les orages & les torrens
217
rauagent & enleuent tout: & ne laissent
que des pierres & des cailloux durs &
inutiles.
V. Ne vous rebutez point, si quelqu'vn de vos enfans paroist moins poli,
moins ingenieux, & moins propre à
vos desseins. Ce sera possible celuy qui
releuera toute vostre famille : & ceux
dont vous faites plus d'estat, & que
vous croyez deuoir estre la splendeur
de vostre maison : en seront l'opprobre.
Saül, Roy des Iuifs, appella son
quatriesme fils Esbaal : qui signifie, le
feu, la splendeur & l'amour du Roy. Il
fut si lasche, & si peu propre à gouuerner le Royaume, qu'il tint sept ans par
le secours d'Abner ( qui signifie ) Pere
ou Prince lumineux, qu'on l'appella
Isboseth: c'est à dire, homme de confusion, homme contemptible.
Le Fils de Ionathas fut nommé
Meribaal : qui est autant, que si l'on
eust dit, vn Seigneur belliqueux & vaillant. Il fut puis apres dit Miphiboseth :
qui signifie, homme mesprisable à son
seul regard : homme qui a vn visage &
vn maintien contemptible.
218
Au contraire, ceux qui estoient reiettez par leurs parens à des occupations basses & abjettes: ont esté esleuez
de Dieu-mesme, sur la teste de tous
leurs freres, & de leurs parens. Dauid
estoit retenu, par son Pere Isaï, à la garde des brebis, pendant qu'il poussoit
ses freres dans les charges des armées.
Son Pere pensoit si peu à son auancement : qu'il ne le rappella pas seulement des champs, lors que Samuel luy
declara que Dieu luy auoit ordonné
d'oindre pour Roy celuy de ses enfans
qu'il luy designeroit dans son logis.
Isaï fit assembler ses sept autres fils; &
laissa Dauid auec ses brebis. Mais les
autres n'estant point choisis du Ciel,
Samuel fit venir ce petit berger, le
moins âgé de ses freres, & le plus negligé : & par vne sainte onction, le
declara successeur de la Couronne.
Les jugemens de Dieu sont admirables,
& passent entierement nostre portée &
nostre preuoyance.
VI. Enseignez vos enfans par vousmesme, si vous le pouuez : au moins,
faites leur rendre compte, de ce qu'on
219
leur enseigne dans les classes. Ce soin
les fera plus soigneux : & se voyant
éclairez par vous & par leur Maistre,
comme par deux yeux toûjours veillans, ils ne s'endormiront point dans
leur deuoir, & ne seront iamais en
tenebres.
Quand le Soleil éclaire nostre Hemisphere : la Lune & les Estoiles éclairent l'autre. Si le Maistre donne de la
lumiere à vos enfans dans sa Classe.
Si vous, si vostre femme, si le reste de
vostre famille les illumine par vos connoissances & par vos vertus, ils deuiendront bien-tost des enfans de lumiere, & illustreront en leur temps
vostre Maison.
VII. Si vous ne pouuez vaquer à
leur instruction, choisissez les plus
sçauans & les plus vertueux Maistres
que vous pourrez. Il importe beaucoup d'auoir vn bon Iardinier, pour
planter les arbres d'vn verger,si on veut
Plato
in Alcib.
Crinitus de
honor.
en gouster des fruits.
Les Rois de Perse enuoyoient leurs
enfans aux Maistres qui enseignoient à
monter à cheual ; & les faisoient aller
220
à la chasse dés l'âge de sept ans. A qua
Disc.
l.1.6.2.
torze ans, ils leur donnoient des hommes les plus renommez en sagesse, en
iustice, en temperance, & en force, qui
fussent dans tout le Royaume : & ils
estoient appellez, les Precepteurs Royaux. Le premier leur enseignoit la
science des choses naturelles, & les Instituts, & manieres de viure & d'agir
des Rois. Le deuxiéme leur inculquoit,
que toute leur vie, ils aimassent & pratiquassent la verité sur toutes choses.
Le troisiéme, qu'ils ne se laissassent iamais domter par aucunes de leurs passions : mais qu'ils s'efforçassent de se
mettre dans vne parfaite liberté d'esprit : de se commander premierement à
eux mesmes, & de n'estre esclaues
d'aucun vice. Le quatriéme, enfin,
les exhortoit & les stiloit92 à auoir vn
cœur genereux & sans crainte.
VIII. Si vous auez soin de vos propres enfans, ne negligez point ceux
que vostre femme a eus d'vn autre Mary. Caressez-les mesme, auec plus de
tendresse exterieure ; & tenez fortement la main que les vostres les ai
221
ment, les respectent & les assistent.
C'est le meilleur moyen de maintenir
la paix, & la prosperité de vostre Maison, & durant vostre vie, & apres vostre mort.
Les Poëtes nous racontent, que Castor & Pollux freres de diuers Peres
s'entr'aimerent si cordialement, que
Pollux, fils de Iupiter, deuant estre immortel, il ceda à son frere Castor la
moitié de son immortalité : C'est pourquoy, ils furent tous deux transportez
au Ciel, pour y luire l'vn apres
l'autre.
Si la Charité, qui est vn feu diuin,
enflamme & éclaire vos enfans, ils
pourront tous s'échauffer l'vn l'autre
en l'amour des biens eternels, & au
desir des heroïques actions, & reluire
ensemble. Si Castor & Pollux paroissent, dans le Ciel, tous deux à pareille
heure ; c'est vn signe de beau temps.
Iamais vous ne l'aurez, ny beau, ny
bon, sans vne mutuelle concorde, &
sans la splendeur des vertus dans
vostre logis.
§. III. Auis au Mary, touchant ses seruiteurs & ses seruantes; que sa Femme supporte.
I. Considerez, que vos seruiteurs &
vos seruantes sont d'vne mesme nature que vous : & qu'ils son éleus à
l'estat de la Grace & de la gloire, aussi
bien & aussi auantageusement que
vous. Ils ont esté creés de la mesme
matiere, rachetez par le mesme Sang
du Fils de Dieu, & destinez à la mesme
recompense du Paradis.
Les Gymnosophistes, Philosophes de
Diodor
l.2.c.
18.
l'Inde, auoient vne Loy entr'eux, que
personne n'est esclaue ; mais que tous
sont nez libres, & doiuent estre honorez en cette qualité. Et le Philosophe
Bion enseignoit, Que les seruiteurs
vertueux sont libres : & que les Maistres vicieux, sont esclaues. I'ay prouué cette verité au premier liure du
Sect.1.
& 2.
Traité que i'ay fait pour l'instruction
& pour la consolation des seruiteurs &
des seruantes.
II. Seneque tres-sage Philosophe
conseille de viure parmy ses seruiteurs,
auec familiarité, auec douceur & de
223
bonnaireté. Cette Charité leur épanoüit le cœur, renforce les bras, esueille l'esprit, pour aimer, pour honorer, pour seruir & aider leurs Maistres, en tout lieu & en toute occurrence.
Sabell.
l.6.
Inne.
ad. 1.
Vn seruiteur, dans la ville de Tyre,
sauua la vie à Straton son Maistre, & le
fit Roy de cette Republique, parce
qu'il l'auoir traité auec douceur &
debonnaireté.
III. Si vous abaissez vos seruiteurs,
contre leur gré, à des offices trop vils
& trop laborieux : vous vous priuerez
souuent de leurs trauaux, dans leurs
occupations ordinaires, lors que vous
serez absent : ou ils tomberont malades de dépit, ou ils s'enfuiront de vostre logis, ou feront quelqu autre
sottise. Ce qui se fait à contre-cœur,
n'est iamais de longue durée.
Vn ieune Lacedemonien, d'honneste
famille, estant fait prisonnier de guer
Plin
Lacon
re par le Roy Antigonus, fut vendu à
l'encant auec les autres esclaues. Il seruit alegrement & fidellement à celuy
qui l'auoit acheté : tandis qu'il ne luy
224
commanda rien d'indigne de sa naissance. Mais son Maistre luy ayant
ordonné d'apporter vn pot de chambre, il refusa d'obeïr. En estant fort
pressé par cét homme enflammé de colere, il monta promptement sur le toit
de la maison : & criant à haute voix,
Tu verras ce que tu as acheté, se precipita la teste deuant sur le paué : & se
l'écrasa. C'est vne imprudence de contraindre violemment vn seruiteur à des
actions à quoy il a vne trop grande repugnance naturelle.
IV. Ne chargez point aussi vos seruiteurs au delà de leurs forces. Leur
cœur laissera refroidir l'affection qu'ils
vous porteroient: & par consequent, ils
agiront moins à vostre profit qu'ils
n'eussent fait. Contentez-vous, lors
qu'ils font comme les autres seruiteurs
de vostre ville, aux maisons qui sont
semblables à la vostre: ou qu'ils gardent
les conditions du contrat, qu'ils ont
fait auec vous, à l'entrée de vostre logis.
Il y auoit à Suze, ville Royalle de
Perse, des bœufs, dont chacun tiroit
tous les jours, cent seaux d'eau, pour
225
les jardins du Roy. Ils faisoient cela auec promptitude, & sans aucune
contrainte: Mais il estoit impossible de
leur en faire tirer vn seul dauantage :
nonobstant toutes les caresses qu'on
leur fist : & toutes les bastonnades
qu'on leur donnast.
Le jugement naturel dicte à vos seruiteurs ce qu'ils vous doiuent, selon
les gages que vous leur donnez : &
selon la coustume de la ville, où vous
viuez. Conformez-vous y : si vous ne
voulez passer dans leur esprit, pour
vn barbare, & pour vn homme, qui
ne merite pas d'estre seruy.
V. Estudiez le naturel de vos
seruiteurs & de vos seruantes. De
cette connoissance dépend la bonne conduite, & l'efficacité du gouuernement. Les vns se captiuent par
amour, & par de bonnes paroles, les
autres se gagnent par les loüanges :
les autres, par bien faits : quelquesvns, par crainte & par menaces. L'on
en trouue mesmes, qui ne marchent
point, si l'on ne les pique. Si l'on manque de cette lumiere, on gaste tout
226
pour l'ordinaire : rendant orgueilleux
les vns, & abatant le cœur aux autres.
Sur cette pensée, diuers Princes &
diuers Rois se sont déguisez, pour connoistre ce qui se passoit dans leurs
Royaumes : afin d'estre aidez, par cet
Hector
Boeth.
l. 17.
hist.
Scot.
te veuë, en leur gouuernement. Iacques I. Roy d'Escosse, changeoit quelquefois d'habit : & se mesloit parmy
ses Sujets, particulierement parmy les
Marchands, pour voir leur maniere
d'agir, dans les banquets, & dans le
trafic.
Frideric le vieux, Duc d'Austriche,
oncle de l'Empereur Frideric III. con
Æneas
Sylu. l
3. de
Alph.
uersoit souuent auec les villageois, s'estant caché sous vn habit de villageois.
Il se donnoit à loüage93, pour cultiuer
la terre : & pour faire, à la iournée
d'autres trauaux. Il jettoit alors des
discours de soy & de ses Courtisans.
Comme il fut interrogé, pourquoy
il en vsoit de la sorte. Ie ne puis, ditil, sçauoir autrement la verité.
Si vostre condition le permet, trauaillez quelquefois auec vos seruiteurs, pour les soulager en leurs la
227
beurs. Vous verrez bien-tost à leurs
mains & à leurs langues, quels ils
font. Ils prendront aussi courage, de
faire plus joyeusement, & auec plus
de perfection, ce qu'ils verront que
vous desirez & estimez.
VI. Ne méprisez iamais vos seruiteurs, en telle sorte qu'ils vous ayent
en horreur, & qu'ils conçoiuent quelque desir de vangeance. Ils sont maintenant sous vos pieds : demain, peutestre, ils seront sur vostre teste. Nous
voyons chaque iour que la rouë de
Fortune tourne en tous les Estats &
esleue de la poussiere ceux qui rampoient par terre, au plus bas de la lie
du peuple. On a aussi souuent veû
tomber du plus haut du Ciel les plus
grandes & les plus brillantes Estoiles,
pour s'esteindre dans la bouë, ou
pour se noyer dans les abysmes.
Herod.
l. 30
Darius, Roy de Perse, auoit esté seruiteur de Cyrus, & auoit porté le Carquois où estoient les fléches.
Seleuous, le premier Roy des Grecs
en la Syrie & en l'Asie, apres Alexandre : auoit esté valet de pied de ce valeureux Conquerant.
228
Seruius Tullius, le fils d'vn esclaue,
Dionys
Halicar
l.3.
fut le sixiéme Roy de Rome, eut vn
regne tres-heureux, & triompha trois
fois de ses ennemis.
Les seruantes ont aussi esté souuent
esleuées à de tres-illustres dignitez,
par l'affection qu'vn Roy ou vn Empereur leur a portée. En la Chine &
en diuers Royaumes, les Princes &
les Rois n'ont nul esgard aux richesses
ny à la Noblesse, lors qu'il est question
de leurs femmes. Ils n'ont l'œil qu'à
la beauté & à la gentillesse de l'esprit.
De sorte que souuent ils prennent des
filles de Charpentiers, de Menuisiers,
de Cordonniers, & de semblables Officiers tres - raualez.
§ IV. Auis au Mary, pour ce qui concerne le Pere & la Mere de sa Femme.
I. Vous deuez louër vostre Femme,
de ce qu'elle vous presse d'aimer &
d'assister ses parens. Si elle ne le faisoit pas, vous la devriez tenir pour
vne ingrate & pour vne barbare. Elle
leur doit la vie, & tout ce qu'elle a.
Et vous leur deuez vostre Femme,
229
qu'ils vous ont donnée : & qui, sans
eux, ne seroit pas au nombre des
viuans.
II. Supposé la verité, que Dieu nous
a enseignée, Que l'homme & la femme ne sont qu'vne mesme chair : le
Pere & la Mere de vostre femme sont
vostre Pere & vostre Mere : & par consequent vous estes obligé de les cherir,
de les aider, & de les seruir en cette
qualité. Ils vous ont donné leur fille,
qui est leur substance. Ils vous font
heritier de leurs biens, qu'ils vous ont
acquis auec beaucoup de sueurs. Ils
vous ont desja mis en main vne bonne somme d'argent pour vostre mariage, & se sont priuez des douceurs
de la vie, pour vous accommoder.
Ils desirent vostre auancement, vos
richesses & vos honneurs, comme les
leurs propres. Leurs bons auis vous
peuuent estre vtiles, à cause de l'experience qu'ils ont dans les affaires.
Leurs amis & leurs parens seront vn
grand renfort à vostre famille. Les
prieres qu'ils feront pour vous & pour
vos enfans, vous obtiendront les fa
230
ueurs du Ciel. Leurs maledictions
vous apporteroient de grands dommages.
Deut.
27.
Maudit soit, dit Dieu au Deuteronome,
celuy qui n'honore pas son Pere & sa mere. Et en l'Ecclesiastique,
laEccl.3.
benediction du Pere affermit la maison: & la malediction de la mere en arrache les fondemens.
Aux Prouerbes, vous auez,
CeluyProu. 19 & 30
qui afflige son pere & sa mere sera méprisé d'vn chacun, & reüssira mal en ses entreprises. Ceux-là meritent d'estre mangez des corbeaux & des aigles, estant pendus prés des torrens, qui se moquent de leurs peres & de leurs meres, à qui ils doiuent la vie.
III. Pour qui reseruez vous vostre
affection, si vous ne la donnez à vos
parens, & à ceux de vostre femme ?
Ils sont les plus grandes richesses que
vous puissiez souhaiter, & les plus
precieux meubles, que vous puissiez
posseder.
Platon au Traité qu'il a fait pour
Plato
11. de
legib.
la bonne police d'vne Republique,
en parle de cette sorte:
Ceux dont les 231 peres & les meres, ou les grand-peres & les grand-meres sont au logis comme vn Thresor, doiuent croire fermement que iamais ils n'auront vne Diuinité plus efficace, & qui leur apporte plus de commoditez: s'ils les honorent & les assistent, comme la raison & leur deuoir les y obligent.
Concluez : & iugez, que vostre
Femme a vn iuste sujet de trouuer
mauuais, que pour de chetifs interests pretendus, vous méprisez ses
parens : & que par ce moyen vous
vous priuiez & toute vostre famille,
des benedictions que le Ciel y verseroit, si vous vous corrigiez de ce
defaut. Concluez aussi, qu'elle encourreroit les maledictions susdites,
si elle ne vous prioit de les aimer &
de les aider.
232
Filet décoratif.
CHAPITRE VIII. La Consolation & la Direction d'vne Femme, dont le Mary ne gagne rien, ou par paresse, ou par maladie.
LEs Mariages ne se font pas seulement, pour la procreation des
enfans : mais aussi pour rendre la vie
plus douce, par vne mutuelle communication de biens & de trauaux,
entre l'homme & la femme. Quand
donc l'vn ou l'autre vient à manquer
à ce deuoir, celuy qui reste seul est
accablé sous le faix, estant obligé de
porter tout le poids des fatigues, &
de gemir, dans vne fâcheuse amertume.
Le vinaigre n'est pas plus fâcheuxProu. 10.26.
aux dents, dit Salomon,
ny la fumée aux yeux, que l'est vn paresseux à celuy qui l'occupe.
Themistocle dit encore plus ; Que
Plutar.
la paresse est le sepulchre d'vn hom
233
me viuant. De sorte qu'vne pauure
femme vit aupres d'vn mary endormy,
comme aupres d'vn corps mort, qui
ne se remuë point, & qui rend vne
intolerable puanteur. Taschons de
remedier à cette misere.
§. I. Auis pour la femme qui a vn mary paresseux.
I. Considerez, que si vostre mary
estoit fort laborieux, & gagnoit beaucoup, probablement il en deuiendroit
orgueilleux, & s'adonneroit à la débauche, sous pretexte de se distraire,
& de reprendre ses forces.
II. Si vostre mary estoit robuste &
de grand trauail, il exigeroit de vous
des labeurs, qui vous seroient insupportables. Chacun se plaist à ses semblables : & croit que ce qu'il peut est
possible aux autres. Vn bon Ouvrier
veut sa femme, dans vne continuelle
action. Il la mesure souuent à ses
propres forces, sans auoir esgard aux
infirmitez qui luy suruiennent. Que
feriez-vous en cette extremité ?
III. Vostre mary ne trauaille pas
tant que vous voudriez : mais il est
234
d'vn naturel doux & debonnaire. Il
vous laisse en repos & vos enfans.
Nul homme n'a toutes les perfections
ensemble. Iettez les yeux sur la facilité de son naturel, sur la paix & le
repos qu'il vous donne : & si vous
estes raisonnable, vous en serez moins
affligée.
A peine, dit Ciceron, trouuerezvous personne, qui ayant souffert de
grands trauaux, & couru plusieurs
dangers, n'attende que la gloire pour sa
recompense. Mais, ce qui est le pis,
le cœur s'enfle par les bons succés ;
& fait, que l'œil & la bouche méprisent & dédaignent les autres. Si
vostre mary vous bafoüoit, ce vous
seroit vn grand déplaisir. Ayez donc
patience, s'il est moins bon Ouvrier;
puis qu'il vous laisse dans vne grande
tranquilité.
IV. Bornez vostre conuoitise, &
diminuez les frais de vostre table, de
vos habits, de vostre vaisselle, de vos
autres meubles, & de plusieurs superfluitez. Vous verrez alors vostre
maison autant à son aise, que si vo
235
stre mary gagnoit beaucoup, & que
vous continuassiez la grande dépense,
dont vostre vanité ou vostre delicatesse est desireuse. Celuy qui tire
beaucoup d'eau, & la verse dans vn
canal, ou la jette en terre ; n'en a
point tant, que celuy qui en tire peu,
& la reserue dans vn bassin, auec soin
& auec prudence.
V. Si vostre mary trauailloit dauantage, il tomberoit malade, & espuiseroit toutes ses forces. Vn champ
qui est trop fertile, & vn arbre qui
se charge d'vne trop excessiue quantité de fruits, sont bien-tost épuisez
& rendus infructueux.
VI. Faites, par vostre vertu & par
vostre condescendance, que vostre
mary vous porte de l'affection, & à
vos enfans. Cette amour luy donnera de l'ardeur & de la promptitude
dans ses actions. L'amour est vn feu
qui n'est iamais oisif.
Felix Prince de Salerne, & General
d'armée, montra cette actiuité de
l'amour, mesme aux naturels les plus
lents & tardifs. Il prit pour son sym
236
bole vne Tortuë, qui voloit en l'air,
& y mit ces deux mots, Amor addidi:
voulant dire, que l'amour qu'il portoit à son Prince, luy donnoit des
aisles à son seruice: & qu'encore qu'il
ne fust point d'vn esprit si vif, que
cette affection le feroit voler dans les
plus perilleuses & plus difficiles rencontres, sans neantmoins rien precipiter par vne temerité inconsiderée.
§. II. Auis à la femme qui a vn mary malade.
I. Qui est - ce qui peut resister à la
volonté de Dieu ? Il afflige & console ses seruiteurs, comme il luy plaist.
Il enuoya l'aueuglement à Tobie, qui
estoit vn miroir de toutes les vertus :
& des maladies tres-fascheuses & treslongues à Iob, le plus vertueux de
tous les hommes de son temps.
Leurs femmes entrerent dans vne
si noire mélancolie, qu'elles dirent
des paroles injurieuses à ces exemplaires de sainteté : & mesmes vinrent à
vn tel excés, qu'elles murmurerent
contre la Prouidence de Dieu. Mais
ces saints personnages les reprirent
237
genereusement, & leur obtinrent vne
perseuerante patience.
II. Si vous vous affligez trop des
maladies de vostre mary, pour vn malade vous en ferez deux : & vos enfans demeureront sans secours. Faites mieux : taschez de vous réjouïr
de la belle occasion que vous auez
d'exercer la charité, sans aucun peril de vaine gloire. Tant de saintes
Dames & de vertueuses Princesses vont
aux Hospitaux, pour y chercher des
malades, afin de leur faire l'aumosne,
& de leur rendre quelque seruice.
Et Dieu vous en offre dans vostre propre maison.
L'ordure que S. Mochua fit sortir du
Hist.
ipsor.
nez de S. Munnu, lepreux, se changea
en pierres precieuses ; comme firent
les vers qui sortirent du pied de S.
Simeon Stylite ; & de la mammelle
chancreuse d'vne sainte Vierge, à qui
parloit S. Dominique.
Les Alcyons ont vne telle amour l'vn
Pluta.
pour l'autre : que si le masle ou la femelle tombe malade, ou est trop âgé,
& ne peut suivre ; il ne le quitte ia
238
mais, & ne le laisse point derriere soy:
mais le met sur son dos : afin de le
porter où il doit aller pour trouuer ce
qui leur est necessaire.
III. Si vostre mary n'estoit malade,
possible se damneroit-il, & s'adonneroit à des débauches qui vous feroient gemir, iour & nuit. Le corps
qui est fort & robuste, est vne fourmiliere de tentations: mais lors qu'il
est abatu, il se soûmet à l'ame & à la
raison. Au milieu des ardeurs, qui
consument ses membres, son esprit
est en vigueur & plein de merites.
Sur le Mont Olympe, il y a vne bouche de feu, aupres de laquelle vne
Meth.
apud
Phot.
plante nommée Pyragnus est chargée de fleurs & de feüilles aussi belles & aussi vertes, que si elle estoit
Sostr.
apud
Achil.
Tat.
l. 2.
sur le bord d'vne fontaine. Et dans
Byzance le feu du Ciel, tombant sur
vn Oliuier sterile, le rendit fertile.
L'affliction est vn feu du S. Esprit,
qui purge & qui fertilise les ames.
Si vostre famille est riche en vertus,
elle est trop heureuse ; Elle a Dieu,
qui est la source de tous les biens.
239
IV. Considerez que les maladies
du corps obligent vostre mary & vous
aussi de recourir à Dieu : sur la veuë
que vous pouuez trouuer en luy seul
le remede à vos maux. Si cét aiguillon ne vous pressoit, vous n'y courreriez pas si promptement : & vous
ne verseriez pas tant de larmes à ses
pieds.
La seule Marie Magdeleine fut chercher Nostre Seigneur Iesus - Christ,
pour en receuoir l'absolution de ses
pechez. Tous les autres n'y ont esté
poussez, que pour trouuer remede à
leur aueuglement, à leur surdité, à
leur paralysie, & à diuerses maladies.
Et de là cét aimable & charitable
Redempteur prit occasion de les attirer parfaitement à soy, & d'en faire
des Saintes. Quand vous serez en
Paradis, vous benirez de toutes vos
forces la misere qui vous a vnie à
Dieu, & dépris de tout le goust des
creatures.
Les parens alloient au Sauueur du
Monde, pour leurs enfans : les maris pour leurs femmes : les femmes
240
pour leurs maris. Imitez-les: & il vous
secourera.
V. Implorez l'aide des Saints: specialement de ceux qui ont vne particuliere vertu, pour guerir certaines
maladies. Sainte Lucie guerit du mal
des yeux. Sainte Lustilde de la surdité : Sainte Apolline du mal des dents:
Saint Blaize des maux de gorge: Saint
Marcoul des escroüelles : Sainte Berthe de la folie : & ainsi du reste.
VI. Inuoquez l'Ange Gardien de
vostre mary, & le vostre, ceux de
vos enfans & de vos seruiteurs: afin
qu'ils vous assistent & vous consolent. L'Archange Raphaël descendit
du Paradis, pour rendre la veuë à
Tobie. Vn Ange consola S. Munnu
lepreux : & auertit S. Mochua, qu'il
l'allast guerir : ce qu'il fit. Vn autre
Ange apporta de l'onguent à Sainte
Macre, pour guerir ses mammelles,
comme S. Pierre fit à Sainte Agathe:
S. Aidan fut auerty par vn autre de
guerir vn Roy d'Hibernie94, & de l'asseurer, que Dieu luy donnoit encore
trente ans à viure.
241
VII. Iettez vne œillade sur vostre vie,
& sur celle de vostre mary: Vous trouuerez peut-estre, que vos pechez sont
la cause de vostre malheur. Sans le
peché d'Adam, il n'y auroit nulle maladie en tout le Monde. Et souuent
sans les fautes des particuliers, les
maisons seroient en parfaite santé.
Saint Macaire asseura vn Prestre, que
sa maladie, qui estoit tres-fascheuse,
ne procedoit que de ses crimes. Il
l'en fit bien confesser, & conceuoir
vn ferme propos de n'y plus retomber, & le guerit parfaitement. Saint
Ricmire rendit aussi la veuë à vn aueugle ; apres qu'il se fut confessé.
Mettez-vous en bon estat; persuadez
le mesme à vostre mary: & esperez la
misericorde de Dieu. Celuy qui se
jettoit promptement dans la piscine
Probatique, à certains jours que
l'Ange y descendoit, en sortoit sain,
& y laissoit toutes ses maladies. Vn
Paralytique demeura trente huit ans
dans l'hospital, sans auoir personne
qui l'aidast pour s'y jetter: & demeura
tout ce temps-là dans son infirmité.
242
Enfin, nostre Seigneur le guérit, &
l'auertit de ne plus pecher, comme
luy disant, Que sa paralysie auoit esté
causée par ses pechez. Aidez vôtre mari
à entrer dans la piscine pleine du Sang
de Iesus-Christ, qui est le Sacrement
de Penitence : vous serez asseurée, que
son ame sera nettoyée de ses playes :
& souuent le corps y trouuera sa santé entiere, ou vn notable soulagement.
§. III. Auis au mary paresseux & malade.
I'ay discouru amplement de la pa
Imprme à
Lion
chez
Barbier.
tience necessaire dans les maladies,
au Traité que i'ay inscrit le saint trauail des mains. Il ne me reste donc
icy, que de dire vn mot aux faineans,
encore les pourrois-je renuoyer au
mesme Traité, où ie parle de la mortification du corps & de l'esprit,
dans les trauaux des Offices, par la
vertu de Diligence. Vsons donc de
brieueté.
I. L'homme doit trauailler : parce
qu'il est mis au Monde pour cela : &
que Dieu luy vend tout au prix de ses
243
sueurs. Comme la femme, dit Socrate, ne procrée point d'enfans sans
l'homme: ainsi l'esperance ne produit
rien sans le trauail.
Salomon renuoye le paresseux à la
Prou.
6.
fourmy, qui trauaille durant l'Esté,
pour estre fournie en Hyuer : & par
cette préuoyance, elle subsiste. La
sauterelle chante & danse en Esté, sans
rien amasser: aussi meurt-elle aux premieres froidures.
II. Le trauail acquiert non seulement des biens temporels, mais aussi
les eternels. Les Anges animerent les
Saints Seuerin & Victorin à bien trauailler, sur la consideration d'vne recompense eternelle, qui ne se peut
acquerir autrement. Ils excitoient
tous les iours S. Remond, afin qu'il
s'occupast, dés le matin à la gloire
de leur Createur, en bien trauaillant.
III. Ouurez les yeux: & vous verrez,
que tous les Estres sont dans vne continuelle action. Dieu mesme, & les
puissans Princes de la Terre ne cessent iamais de trauailler. Latinus
Pacatus, dans le Panegyrique qu'il a
244
fait à l'honneur de l'Empereur Theodose95, dit:
Les choses diuines se plaisent à vn continuel mouuement : & l'eternité est dans vne perpetuelle agitation. Tout ce que les autres appellent trauail, est vostre nature : comme le Ciel se tourne sans iamais s'arrester : comme les Mers sont sans cesse dans leurs flus & leur reflus: comme le Soleil n'est iamais oisif & immobile. De mesme, ô sacrée Maiesté, vous agissez sans aucun relasche dans les affaires, qui retournent tousiours les vnes apres les autres.
Voudriez-vous estre comme Chosroés Roy de Perse, qui auoit fait faire
vn Globe de tout le Monde, & s'estoit mis au milieu, dans vn Throsne.
Le Ciel se rouloit alentour de luy: les
tonnerres grondoient, la Mer paroissoit agitée : & il regardoit tout cela
sans se mouuoir.
Laurent Priolle, Duc de Venise, mit
pour son symbole vn Horloge exposé
au Soleil, auec cette inscription, Nulla hora sine linea. Nulle heure ne passe
sans marquer vne ligne. Vn autre
prit vn Horlage à rouë, auec cette
245
epigraphe, Mobilitate viget. Sa vigueur
& sa perfection consistent en son mouuement.
IV. La paresse est cause de plusieurs
pechez : le trauail les empesche d'entrer en l'ame, & les en chasse, lors
qu'ils s'y sont glissez. Eusebe le Philosophe disoit :
La paresse abat le corps & l'esprit : & l'exercice nous rend semblables à Dieu, lequel agit sans se reposer iamais. Vne eau viue est bonne & salutaire ; vne eau croupissante se corrompt, cause des maladies par sa puanteur & par son venin : est facilement gastée par les crapaux & par les serpens.
V. La paresse fomente specialement
la luxure, qui est facilement surmontée par le trauail. Pour cette raison,
Cyrus ne voulut pas, que les Persans
quitassent vne region aspre & remplie
de montagnes, pour descendre dans
vne plus molle & plus fertile ; qui
ne les eust point obligez au labeur.
Et, par leur force & courage, il conquit la Monarchie de l'Asie.
L'armée d'Hannibal fut chaste &
victorieuse, tandis qu'elle fut dans
246
l'action, & elle s'enerua dans les delices & dans l'oisiueté de la Champagne d'Italie.
VI. Le paresseux est vn fardeau inutile de la terre : C'est vn homme
sans mains & sans pieds ; & qui est
tout ventre, n'estant propre qu'à la
cuisine. Les anciens Portugais coupoient la main droite à leurs ennemis
vaincus, afin de les rendre inutiles au
trauail, particulierement de la guerre.
Et il s'est quelquefois trouué des hommes si lâches & si faineans, qu'ils se
sont coupé les pouces, dans la frayeur
d'aller à la guerre : d'où nous appellons des hommes lasches & timides,
des Poltrons: Pollice truncos. Ces ames
basses sont dignes d'estre traitées, selon la rigueur de ces Grecs, qui coupoient les pouces des mains aux fuyars, afin que n'estant plus propres
aux armes, ils demeurassent toute leur
vie aux Galeres, à manier la rame.
VII. Iesus - Christ qui a esté dans
les labeurs dés sa plus tendre ieunesse, & qui a couru dans sa carriere
comme vn Geant, sans prendre aucun
247
repos, aime ceux qui agissent, & se
les vnit intimement.
Manus eius tor-Cant. 5.
natiles. Ses mains sont faites au tour, dit l'Espouse sacrée, qui le connoissoit parfaitement :
Elles sont d'or, & pleines d'hyacinthes. Les mains du Sauueur, disent les Interpretes, sont ceux qui trauaillent. Ils doiuent estre prompts à l'action, auoir le motif de la Charité : & estre precieux deuant Dieu & deuant ses Anges.
VIII. La vie d'vn paresseux est
sans honneur : & celle d'vn homme
Lib.de
Sacr.
Abel
&
Caïn. 96
laborieux est glorieuse. Philon escrit,
que le labeur a la mesme proportion
auec l'honnesteté, que les viandes
auec la vie : & que comme la vie
ne peut subsister sans les viandes,
aussi l'honneur ne peut se trouuer sans
la fatigue.
Alexandre ayant campé aupres du
fleuue Oxus, deux fontaines sourdirent de la terre : vne d'eau, & l'autre
d'huile. Artisander, qui estoit Deuin,
dit, Que la fontaine d'huile signifioit
le labeur, mais auec la victoire. Vou
248
les-vous l'esclat de la victoire, acceptez
les sueurs des trauaux.
IX. Enfin la paresse trompe celuy
qu'elle possede : Elle luy promet du
repos : & elle l'accable de douleur &
de mélancolie.
Iconol.
pag.5
Le chemin du paresseux,Prou. 15.19. dit Salomon,
est vn chemin d'épines. On n'y fait point vn pas, sans se piquer & s'ensanglanter.
Cesar de Ripa nous décrit la paresse,
comme vne Vieille édentée, auec vn
visage crasseux & ridé, & auec des
habits tres-pauures & déchirez. Il la
peint assise, ayant la teste panchée,
& soustenuë par sa main gauche, qu'elle appuye sur ses genoux. Elle tient
vne corde en sa main droite ; & le
poisson Remora, auec vne Tortuë en
sa gauche. Le paresseux se plaist de
couuer les cendres de son foüier97, & se
renferme dans sa coquille, se nourrissant de sa bave, & viuant miserable.
Petr.
du
Iarrie
Il est semblable à l'animal, que les
Portugais appellent Paresse. Il se trou
249
l.3.c.
22.
ue au Brasil ; & est de la grandeur des
Cerigons98 : Il a vn museau fait à la façon des Chats-huants : Ses ongles ressemblent fort aux doigts des hommes.
Sa longue cheuelure, qui luy pend
par derriere, couure tout son col.
Iamais il ne se leue droit sur ses pieds:
mais il traisne par terre son ventre
plein de graisse. A grand'peine peut-il
faire, en quinze iours autant de chemin, qu'est l'espace d'vn jet de pierre.
Quelques-vns escriuent, qu'il se nourrit de vent ; & que, pour cela, il se
tourne tousiours du costé que le vent
souffle. Ioseph Acosta dit, qu'il vit de
Maff.
1. 2.
p. 46.
mousches: & Pierre Maffée escrit, qu'il
mange des feüilles d'arbres, au sommet desquels il demeure. Il met deux
iours pour y monter, & deux pour en
descendre : & il est impossible de luy
faire doubler le pas, ny par exhortations, ny par menaces, ny par coups
de bastons.
Vous pouuez aisément trouuer plu
Hist.
des Indes.
sieurs rapports de cét animal & du
paresseux. Maintenant je feray seulement reflexion sur ce qu'asseure Pier-
250
re du larric, qu'on entend cét animal
quelquefois de nuit repeter par six fois
cette voix Ha, Ha, Ha. De sorte que
la premiere est plus haute que la deuxiesme : la deuxiesme que la troisiesme : & ainsi consecutiuement en abbaissant tousiours par proportion: de
mesme que les Musiciens chantent
leur, La, Sol, Mi, Re, Vt. D'où
aucuns ont dit, Que cét animal a enseigné la Musique.
Le paresseux cherche la joye, mais
c'est vne joye nocturne, remplie de tenebres & de déplaisirs : vne joye qui
dure peu, & qui va tousiours en diminuant. Vne ioye enfin, qui doit
estre appellée plustost lamentation
qu'allegresse : & qui repete souuent,
dans les regrets du temps perdu, de
sa maison ruinée, des larmes de sa
femme, de la misere de ses enfans vn
triste ah, ah, ah : dont il n'a aucune
vtilité. La paresse tient son homme
dans l'indigence & dans la mélancolie, particulierement en sa vieillesse :
dans la veuë de la pauureté presente,
& de l'impossibilité du remede. Le
251
fruit n'est point en l'arbre, que la fleur
n'ait precedé : De mesme la ioye ne se
trouue point en la vieillesse, que le trauail n'ait precedé en la ieunesse.
X. Au contraire, le trauail est vne
continuelle source de ioye, pour toute
la vie : apres qu'on a surmonté quelques difficultez & quelques degouts
qui se rencontrent au commencement.
Lib.16.
Strabon raporte, qu'aupres de Laodicée,
il y a vne isle qui est fort precieuse,
& qui ne laisse pas pourtant d'auoir
plusieurs habitans. Il y a vne fontaine,
en laquelle si on plonge vn vase, du
premier coup l'on en tire vne eau amere & salée, comme l'eau de la mer.
Toutes les autres fois, elle est douce
& propre à boire.
Il faut casser la noix, pour en gouster. Les amandes ont deux escorces:
la premiere est amere : la seconde dure & aspre : mais le fruit est en doux.
Trauaillez, & trauaillez fermement :
& Dieu versera vne si sainte & si celeste onction sur vos bras, sur tout vostre corps, & sur toute vostre ame :
que dans peu de temps, vous n'en
252
sentirez aucune fatigue : & en receurez beaucoup de ioye & de profit.
Filet décoratif.
266
CHAPITRE IX. La Consolation & la Direction d'vne Femme, qui a vn mary ignorant, stupide & méprisé.
IL y autant de difference de conuerser auec vn homme grossier,
& ignorant, & auec vn homme d'vn
esprit subtil & esclairé par les sciences,
qu'il y en a, de viure dans vne prison
au milieu des tenebres, ou de viure
dans vn Palais, que l'argent, l'or, les
pierres precieuses & le Soleil font reluire dans vn agreable esclat. Comment donc pourrons-nous consoler
vne femme, qui pensant auoir trouué vn beau & riche Diamant, voit
qu'elle n'a entre les mains qu'vne
fausse perle & vne happelourde.
253
§. I. Aduis à la femme, qui a vn mary stupide & méprisable.
I. Si vostre Mary est stupide, grossier,
& ignorant, il en sera plus humble,
estant abaissé par la connoissance de
son incapacité : & vous donnera plus
de domaine sur soy, & sur toute vostre famille : si vous sçauez le gagner
adroitement, & auec modestie &
respect.
II. S'il est humble, il en sera plus
agreable à Dieu : & en obtiendra plus
promptement des faueurs, que s'il estoit plus subtil. S'il fait quelques fautes, elles seront plus pardonnables.
Dieu tolere plustost, dit S. Gregoire,
que quelqu'vn demeure dans l'ignorance, moyennant qu'il soit humble : que de leIn Prol. l.9. de Trinit.
uoir orgueilleux, auec la science. S. Augustin estoit dans le mesme sentiment.
Celuy là est plus loüable, dit-il,
qui connoist sa foiblesse: que celuy qui n'y iettant point la veuë connoistroit les merueilles de ce Monde, le cours des astres, les fondemens de la terre, & le sommet des Cieux.
III. Au contraire, la science est sou
254
uent vne occasion de vanité, de presomption, d'arrogance, de temerité
dans les entreprises, d'obstination
dans son propre iugement, de mépris
des autres : & par consequent, des
fleaux de Dieu, qui creue ces balons
bouffis de vent.
La Science enfle, dit S. Paul. S. Bernard remarque prudem Ser. 36. Cant. 99 ment, que quelques-vns ne recherchent la science, que pour sçauoir : ce qui est vne sotte curiosité : & d'autres pour estre connus & estimez: ce qui est vne méprisable vanité.
Aucuns desirent, par le moyen de
leurs sciences, arriuer à des honneurs,
& s'auancer dans les Cours des Princes : & ils se perdent dans leurs lumieres, comme les Pyraustes dans le brillant des chandelles, & dans l'ardeur de
leurs flammes.
L'ambition, comme auertit Saint Ber- In Ser. Quidr. 100 nard,
est vn mal subtil, vn poison secret, vne peste cachée. Elle est l'inuentrice des tromperies, la mere de l'hypocrisie, la nourrice de l'enuie, l'origine de tous les vices, l'allumette des crimes, la corruption des vertus, la tigne101 de la sainteté. Elle 255 aueugle le cœur : elle engendre des maladies par les remedes mesmes : & tourne la medecine en langueur.
IV. Assez souuent les esprits fort
subtils n'excellent point en iugement,
Car la vaine presomption de leur capacité les aueugle, & les precipite
In epist.
Pauli.
dans leurs actions.
Comme le vin, qui n'est point trempé d'eau, oste le iugementdit Saint Ambroise :
de mesme, la science oste la connoissance de soy mesme, & enorgueillit : si elle n'est moderée par la Charité. Or l'orgueil renuerse les familles : & en fait vn lieu d'horreur & de confusion, exposé aux fleaux continuels de Dieu, qui a declaré vne guerre ouuerte aux superbes.
V. Sur tout, prenez garde, que iamais il ne vous eschape aucun mot,
ny en la presence ny en l'absence de
vostre mary, qui témoigne la basse
estime que vous auez de son esprit &
de son iugement. Il n'est rien de plus
sensible, que le reproche des defauts
du corps & de l'esprit. Appellez borgne ou difforme vn homme qui est
excellemment beau, & qui a vne veuë
256
perçante & agreable, il n'en fera que
rire ; parce qu'il sçait bien, que ce
brocard ne fera nulle impression sur
les esprits. Mais moquez-vous d'vn
boiteux & d'vn bossu, cette injure
leur sera tres-sensible. Ils connoissent
leurs manquemens, ils s'en chagrinent eux-mesmes : & s'estiment la
bute de la risée publique: dans la veuë
qu'on y fait reflexion. Cela est beaucoup plus veritable pour les defauts
de l'esprit. Moderez donc vostre langue : & agissez auec vostre mary, dans
la mesme reuerence & soumission,
que s'il estoit fort esclairé : & vous
viendrez bien plus facilement à bout
de sa conduite, entrant plus auant
dans son esprit.
VI. Voyez si vous ne le pouuez
point secourir, dans ses affaires, où
il s'est embroüillé mal à propos. Abi-
v. Reg.
c. 30.
gail sauua, par sa prudence, son mary Nabal & toute sa famille : & en
destourna la colere de Dauid, que la
sotise de cét homme stupide auoit allumée. Ce nom de Nabal ( qui signifie
vn sot ( & le refus insolent qu'il fit aux
257
soldats enuoyez par ce Prince, monstrant bien qu'il estoit vn homme
brutal, barbare, & d'vne mauuaise
conduite. Sa réponse arrogante &
injurieuse eust fait piller sa maison, &
peut-estre massacrer plusieurs personnes, si la sagesse de sa femme n'y eust
promptement pourueu : Elle alla au deuant de Dauid, qui venoit auec ses troupes : le gagna si efficacement par son
humilité, par sa modestie, & par sa
liberalité, qu'il pardonna à son mary :
apres la mort duquel il la prit pour
sa femme : De sorte que l'occasion du
bon-heur d'Abigail fut la sottise de
son mary : & iamais elle n'eust porté la Couronne Royale sur sa teste,
si Nabal n'eust fait aucune faute. Efforcez-vous d'vser d'autant plus de
prudence, que vostre mary fera plus
de manquemens: & confiez-vous en
la Prouidence diuine : que ce qui
dans l'ordre naturel deuroit nuire à
vostre famille, luy profitera & l'affermira.
VII. Priez les parens & les amis de
vostre mary, de luy donner courage,
258
de luy ouvrir les moyens d'agir dans
les occurences: & de l'exciter à vn desir de se rendre excellent en son Office. Il ne faut quelquefois qu'vn auis
serieux, ou vne sage reprimende, faite
en temps & lieu, pour réueiller vn
esprit. Seruius Sulpitius, estant le plus
excellent Orateur de Rome, apres Ciceron, vint demander conseil à Mutius dans vne affaire d'vn sien amy :
Digest.
l. t. de
origine
iuris,
ex Põponij
Enchir.
& comme il ne conceuoit point sa
response, il l'interrogea derechef.
Mutius luy expliqua le Droit, pour
la seconde fois. Sulpitius ne le comprenant point encore : Mutius indigné, luy dit : C'est vne chose honteuse à vn Senateur, à vn homme noble,
& à vn Orateur d'ignorer le Droit
qu'il professe. Sulpitius piqué de ce
reproche, se mit si ardemment à l'étude du Droit Romain, & s'y rendit
si excellent: qu'il en composa enuiron
cent & quarante-vingts Liures.
Demosthenes ne fut iamais arriué
à la gloire d'estre le premier Orateur
de la Grece, s'il n'eust esté sifflé par
vn Peuple insolent, à cause de sa mau
259
uaise prononciation. Ce luy fut vne
pointe qui le fit appliquer plus soigneusement son esprit à l'action & au
maniment de sa voix : ce qui luy
reüssit si parfaitement, qu'il y excella par dessus tous les auters Orateurs.
VII. Ne perdez point facilement l'esperance, de voir vn iour vostre mary
donner quelques belles productions
Decansis Plãtar. 21. 102
de son esprit. Theophraste dit, qu'il
y a des arbres en Egypte, qui ne
donnent du fruit, qu'apres cent ans :
Ce seroit trop pour vous. Les hommes sont des arbres celestes, qui donnent leurs fruits bien plustost.
Aristote escrit, que l'Elephant porte
son petit en son ventre deux ans : au
moins il l'y porte dix-huit mois. Ce
Ælian
l.7. de
anim.
c. 44
qui vient tard, est souuent plus prisable, que ce qui se fait à la haste. Le
temps precipité fait beaucoup d'auortons : ce qui vient à loisir, a plus de
perfection. C'est ce que vouloit dire
Leonard Loredan, lors qu'il prit pour
son symbole vn Elephant, auec ce
mot.
Nascetur. Il naistra. Comme 260 s'il eust dit : Ayez patience, s'il ne se jette pas si tost au iour ; il viendra en son temps, & en sera plus parfait.
IX. Si toutes les esperances humaines vous manquent, recourez à Dieu :
& versez vostre cœur deuant luy.
Montrez-luy la necessité, que vostre
Mary ait plus d'esprit, plus de science, plus de iugement, plus de conduite, plus de reputation : il luy donnera ce que vous desirez : ou vous
donnera plus que vous ne demandez;
vous faisant vne sainte, par vne heroïque patience, & par vne humble resignation à ses volontez.
On a veû les Alberts, les Hermans,
Imprimé à
Paris,
cheZ
I ean
Riuiere.
& diuers autres ( dont i'ay parlé au
liure du Bon Escolier ) qui ayant l'esprit grossier sont paruenus à des sciences tres excellentes : & ont esté les
Oracles de leurs siecles. Ajoustez-y l'Abbé Hor ; lequel par la
priere d'vne heure, obtint autant de
science que ceux qui auoient estudié
plusieurs années. Saint Romuald eut
la connoissance de l'interpretation de
tous les Pseaumes, en priant. Sainte
261
InVita
l. I.
Hildegarde escrit de soy, qu'estant
âgée de quarante deux ans & sept
mois, elle fut penetrée d'vn rayon
celeste, qui esclaira & enflamma tout
son cerueau & tout son cœur, comme
vn Soleil : & que depuis ce temps-lâ,
elle eut vne parfaite intelligence des
Pseaumes, des Euangiles, & de toute
la Sainte Escriture. Si Dieu donne à
l'oraison la connoissance de ses plus
hauts Mysteres, à combien plus forte
raison luy accordera-il des connoissances plus basses & moins precieuses ?
Continuez-donc vos prieres auec ferueur : & vous en retirerez de grands
auantages & de grandes lumieres.
X. Si vous craignez, que la
nourriture ne manque à vostre famille : regardez les oiseaux de l'air, qui
ne sement point, qui ne moissonnent
point, qui n'amassent point leur prouision dans des greniers: & qui neantmoins, ne laissent pas de viure vne
vie ioyeuse, en chantant & en se promenant par l'air. Dieu pouruoit à
leurs besoins, & il n'y tombe point
vn seul passereau, sans sa particuliere
262
Prouidence. Chassez donc, ces vaines craintes. Dieu est plus le Pere de
vos enfans, que vous n'en estes la
mere: & a plus de charité enuers eux
que vous. Iettez tous vos soins &
tous vos troubles dans son sein: demandez luy vne force de cœur: priezle de vous donner vne filiale confiance en sa bonté : & soyez asseurée qu'il
ne vous delaissera iamais : & qu'il
pouruoira à vostre famille.
Souuenez-vous, que l'Ange donna
du pain au Prophete Elie, dans le desespoir de trouuer personne qui le
nourrist. Dieu en enuoya à Saint Emerius, qui l'en auoit supplié estant au
desert. L'Apostre S. Pierre en apporta aussi à Sainte Aldegonde. Les viandes manquant à Saint Bonnet, qui
estoit sur vn fleuue, vn grois poisson
sauta dans sa barque : & fut suffisant
à la nourriture de tous ses seruiteurs,
comme il auoit demandé en sa
priere.
Iarchas en l'Inde auoit vne table,
où les viandes venoient d'elles-mesmes dans de beaux & riches plats,
263
sans y estre portées par personne : &
le vin se versoit dans les verres, par
les brocs, sans qu'aucun seruiteur parrust dans la chambre.
Ce qui arriuoit là par Magie, fut
fait par les Anges au Monastere de
Saint François de Paule: où ils apporterent d'excellens poissons à vne
Dame, & à ses Gentilshommes,
lesquels ne se plaisoient point à manger les féves qu'on leur auoit presentées.
Soyez d'autant plus asseurée de l'aide de Dieu, que l'aide des hommes
vous paroist moins. Ce fut la pensée
Æn.
Syl.
hist.
Boh.103
de Venceslas, Roy de Boheme, dans
vne autre occasion. Estant pris prisonnier dans la perte d'vne bataille,
il fut interrogé, en quelle disposition
estoit son esprit ? Iamais en meilleure,
dit-il : Car lors que i'auois tous les
secours des creatures, à peine pouuois-ie penser à Dieu : maintenant,
que i'en suis destitué, ie ne pense
qu'à luy, & en luy seul est tout mon
espoir. Ie suis certain, qu'il ne me
delaissera iamais : & qu'il exaucera
264
mes prieres. Dieu ne manqua point
à ce genereux Prince, & l'assista selon
son desir.
Les anciens Grecs chassoient la
Faim hors de leurs logis à coups de
verges: C'estoit vne sotte superstition,
& qui ne seruoit de rien. Les impatiens se tourmentent sans profit.
Conseruez vn esprit paisible & tranquile: & attendez le secours du Ciel.
Psal.54
23.
Iettez vostre pensée en Dieu, dit Dauid,
& il vous nourrira.
XI. Vostre mary est assez sçauant,
s'il a la science des Saints. Qui connoist Dieu, connoist tout : & qui ne
le connoist pas, ne connoist rien.
La grande science de l'homme, dit S. Augustin,
est de connoistre, que de soymesme il n'est rien: & que de tout ce qu'il a, il l'a de Dieu & pour Dieu.
S. Thomas enseigne, que la verita
2. 2.
qu. 47.
ble & la parfaite prudence est celle,
qui nous monstre, & qui nous fait
commander ce qui appartient à la bonne fin de la vie humaine. Il asseure,
que cette prudence appartient aux seules personnes vertueuses.
265
XII. Le dernier & le plus important
auis est, Que vous ne laissiez pas d'honorer & de respecter vostre mary,
pour ignorant & pour grossier qu'il
puisse estre. Il est vostre superieur &
vostre maistre : & vous luy deuez le
respect & l'obeïssance. Il tient son
authorité de Dieu, & vous deuez res
Bonfin.
Annal.
Hung.
l.3.Doc
4. 104
pecter Dieu en sa personne. Michel
Orsagh, Palatin d'Hongrie, estant sollicité par la Noblesse, d'aider à oster
le Royaume au Roy Mathias ; qui ne
paroissoit pas, à leur dire, auoir vn
grand esprit, respondit sagement,
Quiconque a la Couronne de Roy, doit estre adoré, & tenu pour sacré: quand ce seroit vn bœuf. Dites-le mesme de vostre mary : & Dieu luy donnera les lumieres necessaires, pour vous conduire & vostre famille : comme il conduisit son Peuple par vne nuée : qui de soy n'estant qu'obscurité, luy seruit de flambeau & de rafraichissement, l'Ange de Dieu la conduisant & l'éclairant.
§. II. Auis au mary ignorant & mesprisé.
I. Conceuez vne haute estime de la
science & de la connoissance neces
Brou.
19.2.
saire pour bien exercer vostre Office,
Dieu dit par Salomon;
Où il n'y a point de Science, il n'y a point de bien.Et au Sap.6. 1. liure de la Sapience;
La science est meilleure que la force, & l'homme sage que l'homme vaillant.
II. Demandez conseil à Iesus-Christ,
dans toutes vos affaires. Il est la Sapience du Pere eternel, & son Verbe
increé. Il est nostre sagesse, dit Saint
Paul. Il est, dit S. Iean, la lumiere
qui esclaire tous les hommes qui viuent au Monde. Cét aimable Seigneur
Iean.
14.6.
dit de soy-mesme.
Ie suis le chemin, la verité & la vie.
Tobie auertit son fils, de benir Dieu
en tout temps : & de le prier, qu'il
le dirige en toutes ses actions : & de
faire en sorte, que tous ses conseils
visent à sa gloire.
Nous deuons ouurir nostre cœur à
Dieu, à ses lumieres, & à ses volontez : & le fermer à tout le reste. Il y
267
Lotus
a vn arbre aquatique dans l'Egypte,
lequel auant le leuer du Soleil a ses
feuilles entortillées, qui s'ouurent
peu à peu, à proportion que le Soleil
monte sur nostre Orizon, & iette des
rayons. A midy, elles sont toutes ouuertes. Depuis ce temps-là, elles se
replient doucement : & la nuit estant
venuë, elles se trouuent entierement
fermées, comme si elles ne se vouloient ouurir qu'à la lumiere du Ciel.
Nous voyons encore cela en diuerses
fleurs, specialement aux Tulipes.
III. Seruez-vous quelquefois du
conseil de vostre femme : si elle a de
l'esprit & de la vertu. Debora fut cause par son sage auis, & par sa generosité:
que Barac ( qu'aucuns estiment auoir
esté son mary ) alla contre l'armée de
Iabin Roy des Chananeens; qu'il la désit: & qu'il mit en pleine liberté le Peuple de Dieu, lequel gemissoit depuis 20.
ans sous la tyrannie de cét infidelle.
Elle l'aida mesmes beaucoup à gouuerner toute la Prouince, la paix estant
faite.
Iudith, par son conseil, par sa pru
268
dence & par sa force, sauua la ville de
Bethulie, sa patrie : qui estoit presque
entre les mains des Assyriens105.
Plusieurs autres femmes ont conserué diuers Royaumes. Et generalement, chez les anciens Gaulois, elles
entroient dans les conseils de guerre :
à cause de la viuacité de leur esprit,
& de la force de leur courage.
Prenez toutefois garde, qu'elle vous
aide tellement à vostre famille, qu'elle ne se nuise point à elle-mesme, deuenant imperieuse & insolente, à cause du besoin qu'elle voit que vous
auez de son secours. Faites que l'amour que vous luy portez, & qu'elle vous porte, la tienne dans la modestie. Si elle vous aime, elle craindra de vous déplaire : & vous viurez,
comme frere & sœur, dans vne mutuelle affection: pour l'auancement de
vos enfans, & pour vostre propre satisfaction.
IV. Trauaillez tant que vous pourrez : la science & l'experience aux affaires ne s'acquiert point autrement.
Le Philosophe Metroclés disoit, auec
269
bonne raison. Vous pouuez acheter
le logis, les habits, les champs, les
vignes, & les autres biens d'autruy
à force d'argent: Mais il faut acheter
les sciences, auec vn labeur sans relâche.
Les Arts mesmes ne se perfectionnent, qu'auec l'ardeur & l'assiduité
du trauail. Plantin, le plus renommé de tous les Imprimeurs, mettoit
sur ses Liures,
Labore & constantia. Comme s'il eust dit, Ie fais mes ouurages auec vn grand trauail & auec vne constance inébranlable.
Il est bien plus facile d'imprimer les
lettres sur le papier, que de grauer les
sciences dans nostre esprit. Le labeur
est donc necessaire. La cité, où l'on
enseignoit les sciences, chez les Hebreux, se nommoit Cariath, senna,
qui signifie, Cité des Liures. Elle se
nommoit aussi Cariath sepher : c'est à
dire, Cité des espines. Rien ne se donne en ce Monde sans labeur. Depuis
le peché d'Adam, la terre n'est point
sans espines & tout s'achette à la sueur
du visage. Nostre esprit est plein de
270
roüille. Il faut suer, pour luy donner
de l'éclat, L'espée s'affile en la fourbissant: & nostre esprit, en l'occupant
dans de loüables exercices.
N'est il pas raisonnable, de trauailler
pour l'ornement de nos esprits, puis
que nous trauaillons tant pour l'ornement de nos corps & de nos maisons ?
La Science, escrit le Pape Pie § p.105 II.
est le plus excellent meuble que vous puissiez acquerir : & vn heritage meilleur que la Royauté. Les richesses, la puissance, & les autres biens exterieurs, sont muables & caduques : ils vont & viennent selon la volonté d'vne Fortune variable. Dieu se iouë dans le Monde, esleuant les vns, & abaissant les autres: comme il luy plaist. Il luy est facile d'éleuer à la Royauté vn Potier de terre: & d'vn Roy faire vn Potier. Mais les biens de l'ame, qui sont la continence, la chasteté, la force, la iustice, la moderation, l'entendement, la viuacité de l'esprit, la memoire, les sciences, & le reste, nous sont vnis par vn lien indissoluble: & ne nous sont point ostez, qu'auec la vie. Ce sont nos biens, à propre 271 ment parler, qui nous rendent la vie plus douce, & la mort plus remplie d'esperance d'vne felicité eternelle.
Et de vray, la Science sert à la vertu, comme le flambeau au voyageur,
qui marche de nuit. Car comment
pourroit-on acquerir vne vertu, dont
on n'auroit nulle connoissance ? Comment fuiroit-on les vices, si l'on n'en
voyoit la nature & la deformité ?
LeDoinst Nouitior.
chemin qui nous conduit à Dieu, dit Hugues de S. Victor,
est la Science, qui nous montre, de quelle sorte qu'il faut viure auec honnesteté : Par la science, on va à la discipline, par la discipline à la bonté, par la bonté à la felicité.
V. Considerez enfin, que si vous
estes sçauant, vous serez comme vn Soleil dans vostre famille, & dans vostre
vile : communiquant vos lumieres à
vostre femme, à vos enfans, à vos
seruiteurs, à vos voisins, & à vos concitoyens : &, outre cela, Dieu en sera
vostre recompense, Le Prophete Da-
Dan.12
13.
niel vous en asseure, disant ;
Ceux qui sont doctes, seront lumineux comme la splendeur du Firmament : & ceux qui 272 enseignent la vertu à plusieurs, seront comme les Estoiles de la premiere grandeur, dans toute l'eternité.
Que pouuez-vous desirer de plus
agreable & de plus necessaire ? Trauaillez donc à vous rendre habile
homme, selon vostre profession, & à
auancer par ce moyen, vostre famille
touchée de vostre exemple, dans l'exercice des vertus.
Filet décoratif.
CHAPITRE X. La Consolation & la Direction d'vne Femme, dont le mary est gourmand & yurogne.
LE dernier des malheurs, & le plus
fascheux qui pourroit arriuer à
vn honneste homme, seroit de se marier à quelque beste farouche, comme à vne lamie. Cette beste furieuse auoit le visage, les mammelles, &
plusieurs autres parties du corps semblables à celles d'vne femme ; Elle
se lamentoit dans les bois, parlant
273
comme vne femme : elle attiroit les
hommes par ses attraits : & les ayant
estouffez, les deuoroit.
La plus lamentable misere d'vne
femme seroit aussi de prendre pour
mary quelque animal furieux, ou
quelque demon déguisé en homme.
Ce ne luy seroit pas vn moindre mal,
si ayant espousé vn homme raisonnable, il se changeoit en loup garou,
en singe, en pourceau, ou en lion,
s'estant laissé ensorceler à quelque Circé. Nul ne reuoque en doute ces propositions.
C'est ce qui arriue tous les iours,
lors qu'vne pauure femme est surprise : & que se pensant mettre dans la
maison d'vn homme honneste & raisonnable, elle n'y trouue qu'vn yvrogne & vn gourmand. Nous prouuerons cette verité au deuxiesme paragraphe. Voyons maintenant quelques
remedes à ce malheur.
§. I. Auis à la femme, dont le mary est sujet à la gourmandise & à l'yvrognerie.
I. La meilleure & la plus fructueuse consolation qu'on vous puisse don
274
ner, c'est de faire apprehender à vostre
mary l'horreur & l'enormité de son
crime. I'en ay composé vn Traité
entier, qui est assez recreatif, pour ne
point effaroucher ces esprits, qui aiment leurs plaisirs. I'ay appris de
bonne part, qu'il a esté vtile à plusieurs.
A Dijon,
chez
Chauã
ce. Au
Pont
chez
Guilleré.
Achetez-le, & faites-le couler adroitement dans les mains de vostre mary, lors qu'il est en bonne humeur.
Il est imprimé en deux lieux.
II. Ne vous mettez point en colere, lors qu'il boit vn peu trop au logis : ou qu'il y amene quelqu'vn de
ses amis, pour le disner, ou pour
quelqu'autre repas. Encore qu'en ses
excés il fasse du desordre & de la dépense : neantmoins, il vaut mieux tolerer vn petit mal, que de le precipiter
dans vn grand.
Si vous continuez à luy faire bon visage, à ses amis, & à ses camarades :
leur preparant auec promptitude &
auec alegresse ce qu'il desire : asseurez
vous, qu'à la fin il se reglera : il deuiendra sobre : il vous aimera : il craindra
de vous deplaire : il cherchera le moyen
275
de vous contenter en d'autres choses:
il redoublera ses soins & ses trauaux :
il espargnera, en diuerses occasions,
plus qu'il n'aura dépensé : il se retirera des tauernes & des mauuaises compagnies : il croira vos conseils : pouruoira à l'auancement de vos enfans ;
& enfin, fera heureuse vostre famille. Il faut de la Patience, & vne constante perseuerance : & ne doutez pas
que Dieu n'y mette la main : & ne
luy touche le cœur.
Si par malheur vostre mary retourne
au logis, plein de vin, ne criez point
contre luy. Ces paroles seroient alors
inutiles : car il est hors de son bon
sens, & incapable de faire aucune
bonne action. Le lendemain, il ne se
souuiendroit nullement de tout ce
que vous auriez dit, auec beaucoup
de peine & d'inquietude.
Au lieu de luy profiter, vous vous
ietteriez dans vn euident peril de luy
faire commettre de grandes fautes.
Le feu du vin enflammant son corps
& sa teste, il pourroit bien vous
blesser si rudement, ou vos enfans,
276
que vostre famille en seroit incommodée.
La prudence enseigne, de n'augmenter point vn feu qui brusle vne maison ; en excitant vn vent, qui l'embrase dauantage. Estouffez le, auec
toute la promptitude & auec toute l'adresse que vous pourrez, vous montrerez en cela vne telle force d'esprit : qu'estant reuenu à soy, il l'admirera.
S. Macaire fut tellement honoré, à
cause de sa douceur, qu'on l'estimoit,
comme vne petite Diuinité. Nous lisons dans les vies des Peres ces paroles ;
Comme Dieu porte le Monde, & les pechez des hommes: aussi S. Macaire viuoit comme vn Dieu sur terre : supportant les fautes d'vn chacun : les voyant & les entendant, comme s'il eust esté sourd & aueugle. Pour faire vn bon mesnage, le mary doit estre sourd, & la femme doit estre aueugle.
III. Apres auoir eu patience, quelque temps raisonnable, & auoir gagné l'affection de vostre Mary, par
vostre sage complaisance, par vostre
277
charité ; & par la ioye, que vous auez tesmoignée à luy faire honneur,
& à ses amis: choisissez vn temps qu'il
soit en bonne humeur, qu'il soit touché par quelque predication, qu'il se
soit communié, qu'il vous tesmoigne des tendresses extraordinaires.
Priez-le alors, de se moderer en ce
vice, qui perd son ame, qui endommage sa santé, qui le rend moins estimable dans le logis, & dans le voisinage. Et vous verrez, que ioignant
vos prieres, vos aumosnes, & vos
bonnes œuures à vos paroles, vous
viendrez à bout de luy. Ie vous mettray icy quelques considerations,
que vous pourrez luy proposer, ou luy
faire lire.
§ II. Auis au mary, qui a coustume de s'enyurer.
I. Considerez, que la Gourmandise & l'Yurognerie sont deux vices,
qui sont propres à des bestes brutes :
& qui y transforment les hommes.
L'Yurognerie leur oste la raison, & la
Gourmandise les rend hebetez & stupides. Elles ne leur permettent pas
278
de penser à aucunes affaires serieuses,
mais seulement à leur ventre : dont ils
font vn Dieu, comme enseigne Saint
Paul. Ils l'adorent : ils luy offrent toutes leurs victimes : & luy consacrent
tous leurs trauaux.
Les Yurognes, dit Saint Augustin,
n'ont nulle raison, ny prudence pour
la conduite de leur vie. Ils perdent
la memoire de leurs actions & de leurs
Offices, & ne peuuent pouruoir à chose aucune.
Les Docteurs Hebreux remarquent,
que Beor, qui signifie vne beste de
charge, vn fol, &vn incendie, fut le pere
de Bela : qui est à dire, vn qui auale ou
qui deuore : comme font les gourmans
& les Yurognes. Seneque a dit clairement. Ceux qui obeïssent à leurs
ventres, doiuent estre rejettez au nombre des bestes : & ne meritent pas d'estre mis au nombre des hommes.
Nic. d.
morib.
gent.106
Les Sauromates107 beuuoient & mangeoient quelquefois trois iours de
suite. Aussi estoient-ils si stupides ;
qu'ils estoient soûmis à leurs femmes,
comme à leurs Dames & Maistresses.
279
Oster la raison à l'homme, c'est luy
oster la lumiere du Ciel, & le jetter
dans vne fascheuse nuit, où il ne voye
que des phantosmes, qui luy causent
de la frayeur.
La vie des Yurognes, dit S. Basile,
n'est qu'vn songe, & vne resuerie. Et S. Chrysostome escrit, que l'yvrognerie change le iour en tenebres, n'ostant pas seulement la clarté du Soleil materiel, mais aussi la splendeur de la raison, dont elle est la mort. Les Saints ont eu peine, de s'abaisser à prendre de la viande pour leur corps: tant ils ont estimé cette action basse & rauallée. Saint Eurice ne prit iamais sa refection, quarante ans du Pallad rant qu'il n'eust pleuré auant que d'aller en table. S. Isidore ne mangea iamais tout son saoul : & pleura souuent en mangeant :
Ie suis confus, disoit-il,
de prendre de la viande, qui est propre aux bestes, estant doüé de raison, & capable d'estre nourry de l'ambrosie du Paradis.
In
Matth.
Saint Chrysostome enseigne, que la
Gourmandise & l'Yurognerie transforment les hommes en pourceaux : &
les font encore beaucoup pires, que
280
ces animaux sales & immondes; Qu'vn
asne & vn chien sont meilleurs qu'eux.
Que presque toutes les bestes ne boiuent & ne mangent point au delà de
leur necessité, encore que cent personnes les pressent à ces excez. Et par
consequent, que l'Yurogne & le Gourmand sont de pire condition qu'elles.
II. Parcourez toutes les Nations de
la terre : vous verrez, que les plus sages d'entre les hommes ont esté les
plus sobres. Les Mages, qui estoient
les Philosophes des Perses, ne mangeoient que des legumes & de la farine. Les Gymnosophistes, qui estoient les Philosophes de l'Inde, ne
viuoient que de farine & de pommes,
afin d'auoir vne parfaite liberté & viuacité d'esprit, la chaleur viuifiant
leurs esprits vitaux & animaux, à cause qu'elle n'estoit point occupée trop
à la concoction des viandes.
III. L'Yurognerie est non seulemẽt vn
vice brutal, mais aussi vn vice diabolique : Elle chasse d'vne ame toutes les
In
Matth.
vertus, &y introduit tous les vices. Ce S.
Docteur adjouste :
L'Yurogne est sembla- 281 ble à vn Demoniaque: car il est impudent & furieux tout ensemble. Nous auons pitié d'vne personne qui est possedé du diable: mais nous haïssons & detestons l'Yurogne : parce que sa fureur luy est volontaire: & fait de sa bouche, de ses yeux, de ses oreilles, & de tous ses sens, des cloaques, & des instrumens de peché.
Le Gourmand est aussi possedé d'vn
Mense
Ian.in
uita.
fascheux demon, qui ruine la famille.
Bollandus fait mention d'vne femme,
laquelle mangeoit trente poules par
chacun iour: ce qui incommodoit fort
son Mary ; Saint Macedoine, qui ne
mangeoit qu'vn peu d'orge trempée
dans de l'eau, la guerit, & depuis, à
peine mangeoit-elle vn quartier de
poule par iour. Fuyez donc la Gourmandise & l'Yurognerie, comme des
vices de Demon.
Le diable de l'yurognerie est tresdangereux & tres-dommageable. Il
est le boute-feu general, bruslant le
corps par la chaleur du vin.
Tous les vices brutaux, dit S. Isidore de Damiette108,
viennent du vin, comme de leurl.136.13
source. La luxure particulierement est 282 est allumée par le brasier du vin. Le mesme S. Isidore dit, Que dans la Bëoce il y auoit vn Lac : dont l'eau estant beuë, faisoit brusler des flammes de la concupiscence. Le vin le fait bien dauantage. La viande y contribuë aussi : comme l'experience le prouue. Adam & Eue sentirent la reuolte de leurs corps, apres auoir mangé du fruit deffendu: & furent chassez du Paradis terrestre. Le Diable du Midy, dont fait mention le Prophete, est tres nuisible : parce qu'il attaque apres le repas ; lors que le corps est chargé de viandes, & l'esprit obscurcy par les fumées qui montent à la teste.
IV. L'Yurognerie & la Gourmandise perdent non seulement l'ame,
mais aussi le corps ; l'affoiblissant &
le rendant sujet à la goutte, à la grauelle, à la migraine, aux maux d'estomac, de cœur, de poulmon, & à plusieurs autres maladies.
Le corps de l'Yurogne, dit S. Basile,
est tout corrompu, ses yeux sont chassieux, sa peau est liuide : sa respiration est courte, sa langue 283 begaye, sa voix est incertaine, & ses pieds chancelans.
V. L'Yurognerie & la Gourmandise
causent non seulement la maladie ;
Cap.
18.220
mais la mort-mesme.
Plusieurs, dit Dieu en l'Ecclesiastique,
sont mortels, à cause des excez de bouche: mais celuy qui est abstinent augmente sa vie.
Le demon engraisse ses captifs, pour
Destat.
Imper.
in nouo Orb.
les massacrer, & pour les deuorer. Les
peuples de Mexique ornent quelquefois leurs prisonniers de guerre, auec
les mesmes ornemens qu'ils donnent
aux Dieux, à qui ils les veulent immoler : & les font iouïr de toutes les
delices qu'ils desirent, l'espace d'vn
mois. Ils leur deferent tout l'honneur
dont ils se peuuent auiser : & les adorent, lors qu'ils passent par les ruës.
Apres trente iours, les voyant assez
gras, ils les immolent à leurs idoles: & les mangent en vn banquet solemnel.
VI. Meditez souuent, que c'est vne
chose fascheuse & ennuyeuse, de seruir à son ventre. Car il ne se contente
Ser.de
ioiux.
iamais.
La Gourmandise, dit S. Am- 284 broise,
est vne mauuaise maistresse : Elle demande tousiours, & n'est iamais assouuie. Il n'est rien de plus insatiable que le ventre, il reçoit auiourd'huy, & exige de-Lib.11.
main de nouueaux tributs.
Athenée raconte, que certains peuples furent appellez Cylicranes : parce qu'ils portoient tousiours sur leurs
espaules la figure d'vn pot. Les yurognes ne portent pas les pots & les
pintes sur l'espaule: mais dans la main,
dans la bouche, & dans le cœur, où ils
ont le caractere de la beste.
VII. L'Yurognerie & la Gourman
Iob.20
14.
dise n'apportent aucun plaisir, mais
plustost de la douleur. Iob dit de l'impie, Que son pain se tournera dans
Prou.
c7. 7.
son ventre en du fiel d'aspics. Saint
Salomon auertit,
Que celuy qui est saoul, ne tient conte du miel.
Au contraire, les vertus qui sont
Solin.
contraires à ces vices, apportent du
contentement à l'ame : Elles ressemblent à la pierre precieuse qu'on nomme Dionysias : laquelle estant broyée
& iettée dans l'eau, luy donne l'odeur
du vin: & cependant resiste à l'Yuresse.
285
La Sobrieté rend toutes les boissons
agreables : & resiste aux pechez.
Dieu a changé assez souuent l'eau
en vin, pour recreer & fortifier vn
peu ses seruiteurs: comme au B. Gauthier de Bierbeke : & quelquefois a
fait sortir du vin des rochers : comme il fit à la priere du B. Amaranthe.
Rien n'est si rude, dont Dieu ne
tire de la douceur pour ses seruiteurs.
VIII. L'Yurognerie & la Gourmandise renuersent les villes & les
familles particulieres. Nabuzardan,
qui auoit la charge des Cuisiniers
en la Cour de Nabuchodonosor,
renuersa & brusla Ierusalem & le
Temple du vray Dieu. Xanthus
escrit vn plaisant conte, vous le
croirez, s'il vous plaist, pour moy
ie ne le croy pas, comme il le dit
Athen.
l. 10.
c. I.
cruëment. Cramblés, dit-il, ayant
accoustumé de boire & de manger
auec excez, auoit dans vne seule nuit
mangé sa femme: & en ayant trouué
au matin la main dans sa bouche, il
s'estrangla de douleur. C'est vn beau
symbole de ce qui arriue tous les iours
286
aux Yurognes & aux Gourmans. Ils
mangent & boiuent leurs femmes,
leurs enfans, leurs seruiteurs, leurs
creanciers, leurs mestairies, & tous
leurs biens.
IX. Considerez que vous deuez l'exemple à vostre famille: si vous la voulez maintenir dans le deuoir : il faut
que vous y soyez le premier. C'est la
methode dont se sont seruis les plus
grands Princes, pour conseruer leurs
armées qui estoient dans la necessité.
Alphonse, Roy de Sicile, voyant son
armée sans aucun logement pour se
retirer, & dans la necessité pour le
viure, refusa publiquement du pain,
qu'on luy presentoit auec vne raue &
vn petit fromage. Cette abstinence
consola tous les soldats, & leur fit
supporter allegrement leurs incommoditez.
L'Empereur Rodolphe en la bataille qu'il gagna contre Othocart Roy
de Boheme, eut fort soif. Quelques
Æn.
Syl. l.3
in Can.109
Capitaines osterent par force vne cruche d'eau à vn vilageois : & la luy presenterent.
Rendez, dit l'Empereur,
cette 287 cruche d'eau à ce Vilageois: Ie sentois la soif de l'armée, & non pas la mienne.
Que respondez-vous à cela ? Mais
que respondrez-vous aux Saints qui
ont fait des jeusnes tres-austeres ? S.
Antoine & S. Vulfian ne mangeoient
que de deux en deux iours. S. Eusebe le Syrien ne mangeoit que de trois
en trois. S. Gerasime, de quatre en
quatre. Aucuns ont esté six, sept &
huit iours sans manger. Nostre Seigneur, Moïse, Elie, S. Simon le Stylite ont jeusné quarante iours entiers.
Ces austeritez vous feront rougir, &
vous condamneront au iour du jugement.
X. Ne croyez pas que l'abstinen
In vita corum.
ce doiue diminuer ny vostre vie, ny
vos forces. S. Antoine apres auoir jeusné tres-rigoureusement vingt ans durant, estant dans vne caue, où il soustint de tres-frequentes & de tres-violentes attaques du demon, ne parut
ny pasle, ny maigre à la sortie, & vécut iusques à l'âge de cent cinq ans.
S. Romuald estoit tres-austere en son
viure, & ieusnoit presque tousiours :
288
Il n'a point laissé de viure six vingts ans.
Au contraire, comme i'ay desia dit, vne
trop grande repletion cause les maladies & la mort. Vn nauire qui est trop
remply, coule à fond, & fait naufrage : & vn corps trop plein de vin & de
viande tombe dans le sepulchre, &
fait faire vn triste naufrage à l'ame, qui
est son pilote.
Concluez de tout cecy que si l'abstinence prolonge la vie, & les excez
l'abregent : si l'yurognerie & la gourmandise rendent l'homme semblable
aux bestes : si elles sont des vices diaboliques, qui perdent l'ame & le
corps, qui n'apportent aucun plaisir;
mais plusieurs douleurs, qui renuersent les villes & les familles : il faut
deuenir sobre, & n'estre iamais ny
Gourmand ny Yurogne.
289
Bandeau décoratif.
CHAPITRE XI. La Consolation & la Direction d'vne Femme, qui a vn Mary prodigue & joüeur.
IL n'est point aisé de dire, quel mary est plus fascheux à sa femme, ou
l'Auaricieux, ou le Prodigue : Neantmoins le Prodigue me semble luy
estre plus onereux & plus dommageable. Car celuy qui par auarice resserre
son or & son argent, a le moyen de
faire du bien à sa famille, lors que la
raison & la vertu luy ouurent les yeux,
qui estoient éblouïs dans le brillant
de l'or. Mais le Prodigue arrache la
racine de l'arbre : s'oste le moyen d'en
receuoir aucun fruit : & ayant dissipé
son bien, ne peut le faire retourner ny
par ses regrets ny par ses larmes. Essuyons celle de la femme, si nous pouuons: & taschons d'empescher les profusions de son mary.
290
§. I. Auis à la Femme, dont le Mary est Prodigue & adonné au Ieu.
I. Auant que de condamner vostre
mary, dans vostre esprit : & de l'y faire
passer pour vn Prodigue : considerez
attentiuement & patiemment ce qu'il
donne, & à quelles personnes. Souuent les vices ont la couleur des vertus, & les vertus paroissent des vices.
La femme de S.Homobost se faschoit,
[?]uita
& le reprenoit comme vn Prodigue: de
ce qu'il sembloit excessif en ses aumosnes : Mais Dieu luy montra qu'elle se
trompoit, multipliant le pain de sa
maison, & changeant l'eau en vin,
lors qu'il auoit eslargy son pain & son
vin aux pauures.
Si vous croyez que vostre mary soit trop liberal, attendez au moins
quelque temps, sans faire bruit : &
vous verrez, que Dieu vous rendra
le centuple de ce que vostre mary aura
distribué aux pauures ou aux Eglises.
Alexandre le Grand, estant encore
ieune, brusla vne fois grande quantité
Plut.
d'encens à l'honneur de ses Dieux.
Son Precepteur le reprit de cette Pro
291
digalité. Mais ce genereux Prince
subjuga l'Arabie, & enuoya à cét auaricieux des Nauires entiers pleines d'encens : & y adiousta ces mots:
Ie vous enuoye vne bõne quãtité d'encens, afin que vous ne soyez point auaricieux enuers les Dieux : puis que i'ay sous mon pouuoir la Prouince où croist l'encens.
Si Dieu permettoit que ceux là fussent recompensez, qui estoient liberaux enuers les fausses Diuinitez : parce qu'ils auoient du respect pour la
Diuinité, encore qu'ils se trompassent
au choix : que ne fera-t'il point à ceux
qui pour son amour donnent leurs
biens à ses Eglises, ou aux pauures qu'il
leur adresse : & en la personne desquels
il leur demande la charité ? Nous auons plusieurs exemples de la liberalité
de Dieu enuers eux.
S. Odilon ayant distribué liberalement son vin à des mendians : les barils qu'il menoit se trouuerent remplis
diuinement d'vn tres-excellent vin.
Saint Iosse, fils du Roy Iudicaët110,
Ineius
histor.
méprisa la possession du Royaume qui
luy appartenoit à la mort de son pere,
292
& s'enfuit dans vne solitude, pour y
seruir Dieu. Il donna vn iour les
quatre pains qu'il auoit, en estant
supplié par des personnes necessiteuses. Son compagnon qui ne voyoit
aucune apparence d'en trouuer au desert où ils estoient, en murmura hautement : & taxa le Saint comme vn
Prodigue, qui ne pouruoyoit pas premierement à sa famille. Le Saint jetta
vn soûpir au Ciel, & incontinent ce
craintif vit aborder à leur petit hermitage quatre batteaux chargez de pain
& de vin, qui n'auoient aucun Pilote:
les Anges en estant inuisiblement les
conducteurs.
II. Si vostre mary fait plus de frais au
jeu, que vous ne voudriez, pensez serieusement, si l'excés est notable.Ne
prenez point l'alarme, & ne faites point
de bruit au logis, pour peu de chose.
Si vous n'y procedez auec adresse &
auec patience, il est dangereux, que
vous n'augmentiez le mal.
293
Les terres ont besoin de repos, autrement elles s'épuisent. L'arc ne peut
estre tousiours bandé : & l'esprit de
l'homme sémousse, si on le tient sans
cesse dans des actions serieuses. La
vie mesme est souuent en peril, dans
vne trop grande continuation de trauaux.
Nous voyons que les Oiseaux,
apres auoir peiné à la bastisse de leurs
nids, s'égayent dans l'air, & voltigent alentour, afin de se recréer. Ain
Lib. de
Orat.111
si, dit l'Orateur Romain, nos esprits
fatiguez dans les trauaux & dans les
affaires, cherchent du repos : & desirent de se diuertir, estant libres de tous
leurs soins.
III. Si l'excés est notable, taschez
de persuader doucement vostre mary
de se moderer: Occupez le tãt que vous
pourrez au logis, par vous-mesme, &
par vos parens. Trouuez-luy des diuertissemens innocens, ou dans la
ville ou dans vos mestairies. Si vous
luy trouuez du plaisir chez soy : probablement, il n'en cherchera point
ailleurs.
294
IV. Efforcez-vous de si bien esleuer
vos Enfans : que leur vertu le touche,
l'incline à les aimer : & luy fasse souhaiter leur bien : C'est le meilleur
moyen de l'attendrir, & de luy engendrer vn desir de conseruer & d'augmenter ses biens, pour les mettre
dans vn lustre conuenable à son
estat.
V. Si le desordre continuë, il sera
vtile de parler à ses parens, plustost
qu'aux vostres: de leur declarer ce qui
se passe, & les soins que vous auez
pris pour y remedier, les suppliant d'y
contribuer leurs trauaux & leur authorité.
VI. Que si tous ces moyens de prudence & de charité n'ont nul effect,
& qu'il y ait vn probable peril de la
ruine de vos enfans, parlez à vos propres parens. Demandez leur auis : &
suiuez leur conseil: ils sçauent ce que
les loix permettent, en de pareils
accidens.
VII. Enfin, si vostre mary prodigue son bien, conseruez le vostre: &
ayez soin de vos enfans. Ne caution
295
nez iamais vostre mary, lors qu'il
empruntera de l'argent. Opposezvous à la vente des fonds de terre, si
la Loy vous le permet : au moins, n'y
donnez iamais vostre consentement,
si vos parens & vos amis ne iugent,
que c'est vostre bien & de vostre famille. Il est bon de faire tout ce que
vous pourrez pour gagner l'affection
de vostre Mary : mais il ne faut point
nuire à vos enfans, pour luy complaire: C'est en cela, qu'il est necessaire de
montrer auec modestie vne force d'esprit inébranlable.
§ II. Auis au Mary Prodigue, & Ioüeur.
I. Si vous n'estes Prodigue, que
dans l'imagination de vostre femme
auaricieuse : ne desistez point de faire les mesmes aumosnes : Elle ne sçait
ce qu'elle demande. Elle pretend enrichir sa maison, par vne espargne
peu Chrestienne ; & elle en cherche
la ruine, détournant les benedictions
que le Ciel verse sur ceux qui sont liberaux : & attirant les fleaux, qui
296
tombent sur la teste de ceux qui sont
auares.
Nous lisons dans la vie de Saint Simeon Stylite ; que la maison d'vn
auaricieux fut bruslée, auec tous les
thresors d'or & d'argent qui y estoient,
à cause qu'il ne donnoit pas l'aumosne. Cét auare recourut à ce saint personnage, lequel luy declara la cause
de son malheur : & ne voulut iamais
prier Dieu, pour la reparation de sa
perte, tant est desagreable à Dieu &
aux Saints le defaut de charité enuers
les pauures.
II. Bien que vous deuiez continuer
vos aumosnes, sans auoir esgard aux
craintes de vostre femme : toutefois
la prudence & la charité requierent,
que vous les fassiez plus secrettement,
afin de compatir à sa foiblesse ; & de
conseruer dans vostre logis la paix &
la ioye, qui sont deux biens inappréciables.
Nostre Seigneur nous enseigne, que
lors que nous donnons l'aumosne,
nostre main droite se doit cacher à la
gauche. Ce qui n'éclate point aux
297
yeux des hommes, iette de plus brillans rayons aux yeux de Dieu : estant
plus certainement fait pour luy, sans
que les creatures y ayent aucune
part.
III. Prenez garde que vos aumosnes n'excedent point vos forces, Dieu
ne veut pas, chaque iour, faire des
miracles, enrichissant ceux qui s'épuisent mal à propos. Il ne vouloit anciennement aucun Sacrifice sans sel.
Il veut que la prudence, qui est l'œil
& la guide des vertus,ouure vos mains
& distribuë vos liberalitez.
Saint Paul nous auertit, Que nous
de deuons point donner tellement aux
pauures, qu'ils viuent en abondance:
& que nous tombions dans l'indigence. On tient que S. Ioachin & Sainte
Anne, pere & mere de la glorieuse
Vierge Marie, diuisoient leur reuenu
en trois parts. Ils en appliquoient
l'vne au Temple, pour y offrir des victimes & pour y mettre des ornemens.
Ils distribuoient l'autre aux necessiteux : & la troisiéme seruoit pour leur
mesnage.
298
Vn tremblement de terre, secoüant
tout le païs d'Antioche, où estoit S.
Simon Stylite, sur sa colonne, il pria
Inuitã
auec tout le peuple, qui l'estoit venu
voir, pour le supplier qu'il appaisast
la colere de Dieu, iustement irrité contre les débordemens du siecle. L'on
oüit vne voix celeste, qui disoit : La
voix d'vn seul, en toute cette multitude a esté exaucée. S. Simon connut diuinement ce seruiteur de Dieu:
& le fit venir au milieu de l'assemblée.
C'estoit vn pauure vilageois fort humble. Le Saint le pressa instãmẽt de manifester quelles vertus il pratiquoit, par le
moyen desquels sa priere auoit eu tant
d'efficace. Incontinent il se jetta par
terre, & s'écria ; Ie ne suis qu'vn miserable pecheur. Vne voix fut derechef oüye en l'air.
O Simon, tu as esté exaucé auec ce bon vilageois. S. Simon le contraignit alors de dire sa maniere de viure.
Ie diuise, dit-il,
mon bien en trois parts. Ie donne la premiere aux pauures: la deuxiéme au Prince, en payant les gabelles: & la troisiéme à ma famille. A mesme temps tout ce 299 peuple courut à luy, l'embrassa, & le caressa, iettant plusieurs larmes.
IV. Iamais vous n'aurez la reputation d'auoir vn jugement solide : si
vous passez dans l'esprit de vos domestiques, de vos amis, & de vos
concitoyens, pour vn joüeur & pour
vn prodigue.
La Loy des douze Tables, chez les
Romains, ostoit aux Prodigues & aux
furieux l'administration de leurs biens.
Elle commandoit, qu'vn Curateur leur
fust donné : & que ce Curateur gouuernast tout, iusques à ce que le furieux fust retourné en son bon sens :
& que le Prodigue se fust amendé.
Voudriez-vous estre mis en paralelle, auec des hommes qui ont perdu
la raison, & qui sont en furie ? neantmoins, ne iugez-vous pas, que le
Prodigue a vn grand rapport à vn homme furieux ?
Ne tiendriez-vous pas pour furieux
celuy qui ietteroit tous ses meubles
à la ruë. Le Prodigue n'y jette pas
seulement ses meubles, mais ses métairies & ses Seigneuries.
300
Timæus raconte, que dans Agrigen
Ithen.
1b: 2.
tum vne maison estoit appellée la
Galere; parce que certains ieunes hommes estant yures, & pensant qu'ils
fussent dans vn nauire agité de la tempeste, jetterent dans la ruë les verres,
les pots, les plats, les viandes, les
nappes, les couuertes des lits, les
matelats, & tout ce qu'ils recontrerent. Les Iuges y accoururent pour
arrester ce desordre. Les yvrognes tinrent ferme, & asseurent qu'ils auoient raison de décharger leur nauire, pour sauuer leur vie.
Qu'en iugez-vous ? Si enyuré de
vos passions, & du desir de prendre
vos plaisirs, vous prodiguez vostre bien:
vous faites encore pis qu'eux. Ils estoiẽt
yvres & échauffez par quelque vin
fougueux. Vous vous ruinez de sang
froid. Ils iettoient au pillage le bien
d'autruy, & vous dissipez le vostre,
celuy de vos enfans, & de vostre
femme. Ils estoient meus par vne
opinion, que cette perte leur sauuoit
la vie : & vous connoissez bien, que
la douleur de vostre indigence & des
301
opprobres, sera capable de vous ietter
auant le temps dans le tombeau.
V. Si vous auez vn serieux desir de
vous amender, chassez loin de vous
tous les flateurs, qui vous enuiron
Camer.
inSymbol.
nent, & qui succent vostre substance.
I. Iean Dantisque Euesque, les appelloit les chiens d'Actæon, qui mangent leur maistre.
II. Anaxilas les appelloit les vers des
Theo.
phrast.
riches, Car comme le Ver ronge le
grain ; de mesme ces hommes de tauerne rongent ceux qui ont de l'or &
de l'argent.
III. Diogenes disoit, qu'il estoit
Laert.
meilleur de tomber dans vne multitude de Corbeaux, qu'en celle des flatteurs : parce que les Corbeaux ne déchirent que les morts, & eux deuorent les viuans.
IV. Constantin le Grand auertissoit,
que ces ames malignes estoient la ti
Niceph
gne & les souris de la Cour des Princes, des Rois & des Empereurs.
V. Alphonse d'Arragon les comparoit plaisamment aux loups. Comme,
disoit-il, les loups flattent & gratent
302
les asnes : & puis les mettent en pieces, & en font leur curée. De mesme, ces chercheurs de lippée franche
flattent, par des Sonnets, par de vaines loüanges, par des railleries ingenieuses, les hommes riches & abrutis par le vin & par les autres delices :
& les consument dans les festins &
dans les jeux.
VI. Euitez sur tout les jeux de hazard: & principalement celuy des Dez.
Comme la perte est soudaine & surprenante, elle ruine bien-tost ; & fait
vomir d'execrables blasphemes contre
Dieu & contre les Saints : i'en ay traité suffisamment au liure que i'ay fait
pour les soldats.
Imprimé au
Pont,
chez
Guilliére.
Vous faites estat d'estre honneste
homme : fuyez donc le jeu des Dez.
Le Prince des Philosophes112 enseigne,
Que les larrons & ceux qui ioüent aux
Dez, sont des personnes d'vn esprit
bas, raualé & sordide : parce qu'ils
cherchent vn gain illicite, & n'ont
point d'autre but que de gagner.
Platon dit bien dauantage, & escrit,
Que le diable, nommé Theut, est l'in
303
uenteur de ce jeu maudit.
Plusieurs histoires montrent, que
le diable se plaist à ce jeu : qu'il y a
joüé diuerses fois : qu'il y pousse ses
esclaues : qu'il les fait blasphemer: &
quelquefois les emporte en corps &
en ame.
Cet ennemy des hommes ayant
joüé auec vn frippon, nommé Thye-
Cæsarius,l.
6. c. 34
mo, il l'emporta visiblement, sans
que iamais l'on en ait eu nouuelle depuis. Voudriez-vous jouër à ce jeu-là?
Prenez garde, que le demon qui se
cache dans vos yeux, & dans les pechez qui s'y meslent, est encore plus
dangereux, que s'il vous apparoissoit
visiblement. Il vous causeroit alors
de l'horreur, & maintenant il vous enchante : & vous attache à ce diuertissement criminel, par vne fausse delelectation, & par de vaines esperances
de gagner quelque somme notable.
Corrigez-vous donc, pour mettre
vostre salut dans l'asseurance, vostre
femme dans le repos : & vostre famille
dans vn estat florissant.
304
Bandeau décoratif.
XII. ET DERNIER CHAP. La Consolation & la Direction d'vne femme, dont le Mary est impie, qui luy empesche ses deuotions.
LEs pertes temporelles sont fort
sensibles à vne femme, qui aime
tendrement ses enfans : & qui souhaite
auec passion de les esleuer dans la mesme splendeur, dans laquelle ses parens ont vescu. Mais le peril de perdre le Paradis, & toutes les Couronnes que Dieu y donne, touche bien
plus viuement vne femme vertueuse,
& qui a penetré la grandeur de son
Createur, la bonté de son Redempteur, & la douceur des biens qu'ils
reseruent à leurs amis.
Or la compagnie d'vn mary, qui
est impie, & qui empesche à sa femme
par son authorité, par ses caresses, &
par ses menaces les exercies de la pieté, donne vn iuste sujet de craindre,
qu'elle ne se laisse tomber au preci
305
pice, y estant poussée auec violence :
veu, principalement, que la foiblesse
de la nature est si grande, qu'elle y
glisse d'elle-mesme. Il est donc difficile de consoler & de diriger vne femme qui est sur le bord de l'abysme,
& qui tremble à chaque pas. Ne perdons pas neantmoins l'esperance de
pouruoir vtilement à sa conduite.
§ III. Auis à la femme qui est empesché dans ses exercices de pieté.
I. Affermissez vostre courage, & ne
vous laissez point ébranler dans vos
deuotions, qui sont raisonnables :
soit que vostre mary vous attaque
par raillerie, ou par quelqu'autre maniere. Sainte Dorothée estant pressée
par le Tyran Saprice, de quiter son
Dieu, & d'adorer les idoles, comme
les Empereurs le commandoient, res
Surius
pondit genereusement :
L'Empereur du Ciel & de la Terre m'a ordonné de seruir à luy seul. Iugez vous mesme auquel ie dois obeïr. Elle tint cette fermeté d'esprit iusqu'à la mort, qu'elle souffrit auec ioye & allegresse,
II. Meditez auec attention, & auec
306
vn esprit de charité, s'il n'y a point
d'excés dans vos pratiques. Considerez, si vous n'estes pas trop longue,
en vos prieres, ou trop austere en vos
mortifications. S'il y a de l'excés, moderez-vous: & vous y gagnerez deuant
Dieu, & deuant les hommes ; vostre
deuotion vous estant plus vtile, &
moins onereuse aux autres.
Ceux qui boiuent moderément des
Pline.
eaux du fleuue Gallus en Phrygie, en
reçoiuent du soulagement comme d'vne medecine salutaire. Mais ceux qui
en boiuent trop, en deuiennent insensez. L'excez des oraisons & des autres exercices pieux font tourner la
teste ; & iettent les femmes aheurtées
à leur propre iugement, dans des presomptions, qui leur font faire de lourdes fautes.
III. Les jours de Festes, vous pouuez prendre plus de loisir que les iours
ordinaires. Il vous est alors loisible de
vous confesser, de vous communier,
d'assister à la grand'Messe de vostre
Parroisse, au Sermon, à Vespres, &
307
au Salut. Par ce moyen, vous assouuirez vos saintes ardeurs, sans que personne se puisse plaindre, n'y ayant rien
d'extraordinaire.
Pline asseure, Qu'en la Iudée, il y
Pline,
l.31.c.2
Ioseph
deBelle
l. 7. c.
24.113
auoit vn fleuue appellé le Fleuue du
Sabbat. Il couloit toute la semaine,
& le iour du Sabat il estoit à sec, & se
reposoit. Dieu prit son repos ce iourlà, aprés auoir trauaillé toute la semaine, en la creation de tous les
Estres. Il le consacra dés lors aux
exercices de pieté. En la Loy de Grace, nous auons les Dimanches & les
Festes, pour nous y occuper. I'en ay
traitté ailleurs assez amplement, dans
les Traitez du saint trauail des mains114,
& du bon Vigneron115: ie n'en diray rien
dauantage à ce sujet.
IV. Trauaillez bien toute la semaine : & vostre mary ne trouuera point
mauuais, que vous vaquiez à vos prieres les iours de Feste. Il est dangereux
que la paresse ne se glisse en vostre
cœur, sous vn beau pretexte d'assister à
des sermons extraordinaires, d'assister à
plusieurs Messes, de vous confesser, &
308
de vous communier les iours de trauail, à l'occasion de diuerses petites
deuotions, qui ne sont point d'obligation. Bien trauailler au logis, c'est
l'essentielle, la necessaire & la meilleure
deuotion d'vne Mere de famille.
Iacob prit premierement, pour sa
femme Lia : qui represente la vie actiue : & en suite, il espousa Rachel, qui
est la figure de la vie contemplatiue.
Lia eut plus d'enfans que Rachel, &
d'vn d'eux nasquirent les Rois de
Iudée116, & le Sauueur du Monde117 :
Pour nous montrer, que souuent le
merite est plus grand, dans le trauail
que dans la contemplation.
Lors que Nostre Seigneur voulut
ressusciter le Lazare, il parla premierement à Marthe : qui est le symbole de
la vie actiue : & Marthe auertit sa sœur
Marie Magdelaine, qui represente la
vie contemplatiue, de le venir trouuer.
Hirsemés, ville en la Tribu de Dan,
( qui signifie jugement ) peut estre interpretée, ou Cité du Soleil, ou Cité
de Seruice. Pour nous déclarer, que
Dieu donne ses lumieres à ceux qui
309
luy seruent dans les offices qu'il leur a
donnez : & font les deuoirs, que leur
condition requiert. Vous voyez que
le Soleil verse ses rayons, & contemple la terre en marchant tousiours. Il
ne prend iamais aucun repos. Il sert
sans cesse son Createur, dans l'exercice qui luy est ordonné. Si vous imitez ce Roy des Astres, vous serez toûjours dans les lumieres celestes, &
illuminerez tousiours les autres.
V. Vos deuotions sont libres : mais
le soin de vostre mesnage est d'obliga
Serm.
145.
tion & de Iustice. Or, comme enseigne S. Chrysologue, aupres de Dieu,
la pieté ne vaut rien sans la iustice,
ny la justice sans la pieté. Ces vertus
se perdent, estant separées l'vne de
l'autre.
VI. Adjoustez à vostre trauail iournalier la Charité, la Patience, l'Humilité, la Conformité à la volonté
de Dieu, & les autres vertus: & vous
serez plus agreable au Ciel. L'Oraison est vn acte de la vertu de Religion ; qui n'est que la cinquiesme,
dans l'ordre de Dignité entre les ver
310
tus. La Charité va la premiere, l'Esperance la suit : puis la Foy & la Penitence : & apres ces quatre Vertus
vient la Religion. Addonnez - vous
donc dauantage à la Charité enuers
Dieu, enuers vostre mary, enuers
vos enfans, enuers vos seruiteurs,
vos ouuriers, vos censiers, vos voisins, vos parens, vos amis, vos ennemis, pour l'amour de Dieu : & tenez pour vne verité tres-certaine,
qu'elle vous donnera vne Couronne
plus brillante en Paradis, que ne feroit l'Oraison. Ce que l'Oraison promet à Dieu, la Charité le fait. Le
fruit vaut mieux que la fleur: & l'œuure, que la parole.
VI. Mortifiez vôtre propre iugemẽt
vostre inclination desreglée : dans
vostre conduite. Domptez genereusement vos passions de colere, de haine, de tristesse, & semblables. Prenez auec resignation les pertes qui
vous arriuent par les gelées, par les
gresses, par les auters accidens de fortune, & par la malice des hommes.
Cette force d'esprit, vny à son Dieu,
311
vous esleuera plus haut que toutes
vos contemplations.
Quelle est cette ame, dit Salomon au Caut.3. 6. Cantique,
qui monte du desert comme vne fumée faite auec les bonnes odeurs de la Mirrhe, de l'Encens, & des autres especes aromatiques. Remarquez, qu'il met la Mirrhe, qui est le symbole de la Mortification & de la Penitence, deuant l'Encens, qui est la figure de l'Oraison. Car la mortification & la Penitence plaisent plus à Dieu, & éleuent l'ame plus haut, que l'Oraison.
VII. Si cela ne contente point vostre
ardeur & vostre pieté : recompensez
la perte que vous croirez faire en accourcissant vos prieres, par l'augmentation de leur ferueur. Vous voudriez chaque iour oüir deux Messes,
contentez-vous d'vne:mais assistez-y,
comme si vous y voyiez Nostre Seigneur naistre sur le Calvaire, ou
regner au Ciel, selon la varieté des
temps de l'année. Vous desireriez
d'assister tous les iours à la predication : n'y allez, que les Festes & les
312
Dimanches. Mais escoutez-y le Predicateur, comme vn Ange, que Dieu
vous enuoye: & comme Dieu-mesme,
qui vous ordonne ses volontez. Reduisez en pratique tout ce que vous
oyez : & sans nul doute, vous serez
plus parfaite, que si vous y alliez
plus souuent par routine, & contre
le gré de vostre mary, qui s'en trouue incommodé.
Vous voudriez communier deux
ou trois fois chaque semaine : Ne
vous approchez de cette sacrée fontaine qu'vne seule fois, en tout ce
temps-là : mais allez-y, comme à la
source de vostre vie & de vostre salut. S. Charles Borromée, pour declarer son ardent desir de boire dans
cette diuine fontaine, auoit peint vn
Cerf, qui couroit à vne source d'eau
viue : & y auoit mis cette Epigraphe:
Vna salus. Voila mon salut.
Vous ne trouuerez pas seulement,
en l'Eucharistie, le moyen d'estancher vostre soif, mais aussi de rassasier vostre faim. Iesus-Christ y est le
pain des forts, & le pain des Anges.
313
C'est le Pain, qui fortifia le Prophete
Elie, quarante jours durant: lors qu'il
alloit au Mont Horeb, pour y parler à
Dieu, & pour y receuoir ses ordres.
C'est le Pain de Gedeon, qui renuerse
le camp des Madianites: C'est la Manne qui nourrit delicieusement le Peuple de Dieu.
Ces pensées bien meditées dans vne
Communion vous la rendront plus
fructueuse, que ne seroient plusieurs
faites sans consideration, & à la haste.
VIII. Priez au matin & au soir,
tous les iours, dans vostre logis. Personne ne le peut trouuer mauuais.
Faites-le à deux genoux auec toute
la modestie & auec toute la deuotion
In EpAlex.
possible. En l'Inde, du temps d'Alexandre le Grand, il y auoit deux
arbres mysterieux ; l'vn s'appelloit
l'arbre du Soleil : & l'autre, l'Arbre
de la Lune. L'vn & l'autre rendoit
des oracles, lors que son Astre dardoit ses rayons sur les branches. On
fit voir cette merueille à ce valeureux
Conquerant. L'homme est vn Arbre
celeste : il doit parler à son Dieu, &
314
luy presenter ses fruits à toute heure,
mais particulierement au commencement du iour, & au commencement
de la nuit. Saint Hierosme conseille
à la Vierge Eustochium, d'estre vne
Cigale de la nuit : & de chanter alors
les loüanges de son Createur. Et l'Autheur du Liure de la Sapience118 nous
auertit, Que la Manne se donnoit au
Sap.
39. 28.
matin : & qu'il la falloit recueillir auant le leuer du Soleil, autrement
elle se fondoit,
afin de manifester à tous, qu'il faut benir Dieu, auant que le Soleil soit leué : & l'adorer, lors qu'on en voit les premiers rayons. Dieu vous y communiquera ses douceurs, si vous estes diligente. Curtius fait Lib. 6.119 mention d'vn arbre au païs des Hyrcaniens120: dont les feüilles sont chargées de miel, à l'Aube du iour. Mais le Soleil n'a point plustost ietté ses rayons dessus, que ce suc est perdu. Soyez soigneuse, que la paresse ne vous fasse rien perdre : & vous serez bien-tost riche.
IX. Dans tout le cours de la iournée, entretenez-vous en de feruentes
315
Oraisons Iaculatoires, & en de saints
desirs. Ils vous seruiront souuentefois plus, que de bien longues deuotions.
Celuy qui desire, dit Saint Augustin, In Ps. 86.
crie du cœur : bien qu'il se taise. Et celuy qui ne desire pas, est muet aupres de Dieu : quoy qu'il rompe les oreilles de ceux auec qui il vit ; iettant de grands cris. In Moral. Saint Gregoire assure, que les desirs ont vne voix plus penétrante, aupres de Dieu, que les paroles.
X. Tenez-vous tousiours en la presence de Dieu : & tout le tumulte des
affaires n'empeschera point l'éleuation
de vostre esprit, ny l'vnion de vostre
cœur à son Bien-aimé : comme l'experimenta Sainte Catherine de Sienne, ainsi que i'ay rapporté ailleurs.
La pierre precieuse Synodites est
Damascius in
uita
Isidor.
marquée du Soleil & de la Lune. Le
Soleil y demeure tousiours d'vne mesme grandeur. La Lune y croist & y
decroist, comme la Lune qui est au
Soleil, au rapport de Damascius. Les
choses sublunaires croissent & decrois
316
sent en elles-mesmes, & dans nos
cœurs : mais Dieu, qui est tousiours
le mesme, doit estre tousiours d'vne
mesme maniere, le Maistre & le Roy
de nos esprits.
XI. Vous pouuez de tẽps en temps,
vous tirer à l'escart dans quelque coin:
& y espancher vostre cœur deuant
Dieu. Il acceptera aussi bien vos vœux
& vos larmes, que si vous estiez au
pied des Autels.
Saint Iulien dit la Messe, dans la pri
In eius
rebus
geslis.
son, se seruant de sa poitrine, pour
son Autel121. Les Anges apporterent vn
Calice & vne Hostie, dans la prison,
à saint Clement Euesque d'Ancyre.
Tout lieu est bon à Dieu. Il ne regarde que le cœur de ses seruiteurs.
XII. Si vous n'estes point satisfaite
de ce que ie vous propose, adressezvous à vostre Confesseur & à vostre
Directeur : & suiuez leur conseil.
Mais choisissez des hommes vertueux,
sçauans & experimentez en la vie spirituelle. Si apres auoir oüy leur avis,
conformes à ce que ie vous dis, vous
ne les croyez pas: asseurez-vous, que
317
vous estes dans vne illusion dautant
plus perilleuse, qu'elle a plus d'apparence de sainteté.
On ne presente point de venin,
sans y mesler du miel ou du sucre.
Et les vices ne trompent iamais si
bien que sous le voile des vertus. Le
Diable apparut à Saint Potite & à Saint
Martin, sous la figure de Iesus Christ :
& sous la figure de Nostre-Dame, à vn
Bouer-
in Ann.
Capuc
Religieux de l'Ordre de saint François, qu'il traita puis apres trescruellement: l'ayant, sous pretexte de
Charité, poussé à vne desobeïssance.
Il prit la forme d'vn Ange, s'apparoissant au Moine Heron: d'abord il le
porta à des jeûnes indiscrets: en suite,
il le fit sortir de son Monastere, ietter
bas sa robe, retourner aux delices du
siecle, s'y soüiller des vices les plus
honteux: & à la fin, se precipiter dans
vn puits, & mourir impenitent. Cét
esprit malin trompa vn ieune Reli
Histor
Societ.122
gieux de nostre Compagnie, se montrant à luy auec le visage & les habits de saint Paul. Au commencement
il luy inspira de grands gousts de de
318
uotion : l'exhorta au zele des ames,
luy conseilla de lire la sainte Escriture,
& les Peres. Puis il le détourna de
lire Ciceron & Virgile: qui neantmoins
estoient necessaires pour bien faire
sa classe. Il le dégousta, en suite, de
sa Religion, où il perdroit beaucoup
de temps à la lecture de ces Payens.
Et enfin, le rendit vn malheureux
apostat, sous le pretexte qu'ayant vn
grand esprit, & vn rare talent pour
la predication, il auanceroit bien plus
la gloire de Dieu dans les chaires des
Eglises, que dans la poussiere des
classes. Et lors qu'il fut dans le siecle, toutes ses belles resolutions s'en
allerent en fumée. Tout son cœur
s'éuapora bien-tost, & se glaça dans
vn air contagieux.
Craignez-donc, que sous le voile
de pieté, le demon ne vous détourne des œuures de Charité & de Iustice, que vous deuez exercer dans vostre logis, enuers vostre mary, enuers
vos enfans, & enuers vos seruiteurs.
Vous deuez pourvoir à leur viure, à
leurs habits, à leur contentement, &
319
à leur vertu. La deuotion ne consiste
ny aux larmes, ny aux longues oraisons : mais elle est vn acte de volonté, de se donner auec promptitude
au seruice de Dieu: comme l'explique
saint Thomas. Ou bien, la Deuotion
est vne ferueur de la volonté : qui ne
se pouuant contenir au dedans du
cœur, se manifeste au dehors, par de
certains indices.
XIII. Ne desesperez iamais de la
conuersion de vostre mary : quand
bien il seroit tel en impieté, que vostre imagination vous le represente.
I. Cor.
7.14
L'homme infidelle, dit saint Paul,
sera sanctifié par la femme fidelle. Tous les pechez des hommes ne sont que comme vne bluette & vne petite estincelle, qui s'esteint incontinent, estant iettée dans la misericorde de Dieu, comme dans vne mer infinie.
Saint Carpus, voyant qu'vn Payen
S. Dionys.in
Epist.
auoit peruerty vn Chrestien, prioit
Dieu ardemment, qu'il les perdist
tous deux. Dans l'ardeur de son oraison, il vit l'Enfer qui estoit ouuert :
& ces miserables sur le bord, tout
320
prests à tomber dedans. Son zele estoit
si bruslant, qu'il se leua pour les
pousser dans ces flammes vangeresses:
de peur, que par leur mauuais exemple, ils ne peruertissent quelqu'vn de
ses sujets. A mesme temps, il apperçeut Nostre Seigneur Iesus-Christ qui
descendoit du Ciel, & qui alloit aider
ces pauures pecheurs, pour les retirer de cét abysme. Il declara alors à
Carpus, par des paroles tres-tendres,
qu'il estoit prest de souffrir pour chaque pecheur, ce qu'il auoit souffert
pour tous les hommes en general: si
son Pere eternel l'ordonnoit de la sorte. Ce charitable Sauueur a declaré
cette mesme vanité à sainte Brigide, &
à plusieurs autres.
Manassés, Roy de Iuda, fut tres
22. Par.
33.123 &
Salian.
impie l'espace de sept ans. Il adora les
faux Dieux : il leur bastit des Autels
& des Temples : il prophana le Temple du vray Dieu, y posant des Idoles : il passa son fils par le feu en leur
honneur : & comme escrit saint Hierosme, l'y brusla entierement. Il s'adonna aux enchantemens, & con
321
sulta les Deuins. Il establit des Prestres d'Apollon & des Augurs124. Il
remplit la ville de Ierusalem du sang
des innocens. Il fit scier en deux le
Prophete Isaye, qui estoit son parent.
Estant pris par Merodach, Roy de Babylone125, il fut serré dans vne estroite
prison. Sa misere luy ouurit les yeux,
& fit reconnoistre ses pechez. Il en
demanda pardon, & se conuertit parfaitement. Dieu le receut auec tant
de charité, qu'il le deliura de sa captiuité: luy remit le Sceptre en main,
& la Couronne sur la teste, & le fit
regner heureusement encore plus de
quarante ans. Vostre mary n'a iamais
fait la moitié des impietez & des
cruautez de ce Roy: pourquoy donc
n'auriez-vous point esperance, qu'il
se conuertira.
XIV. Cherchez auec zele tous les
moyens de le conuertir, y employant
ses parens, ses amis, Monsieur vostre
Curé, quelques Religieux feruens &
experimentez. La femme de Phanias
le conuertit à Nostre Seigneur; par le
moyen de saint Basile : encore qu'il
322
fust si méchant que de s'estre deuoüé
au diable.
XV. Trauaillez y vous-mesme : &
ne refuyez aucune peine, pour sa
conuersion. Saint Paul desiroit d'estre
anatheme, pour sauuer les Hebreux
In Act.
ses freres. Saint Chrysostome asseure
ses auditeurs, qu'il voudroit estre mille fois aueugle, s'il pouuoit par son
aueuglement conuertir leurs ames :
qui luy estoient plus cheres que la
lumiere du Soleil. Moyse demandoit
à Dieu, qu'il l'effaçast du Liure de
vie, s'il ne vouloit pardonner à son
Peuple.
XVI. Priez feruemment pour luy, il
n'est rien qu'vne feruente oraison
n'obtienne.
L'Oraison, dit S. Augustin,
est le secours de l'ame sainte, laIn Ser.
consolation du bon Ange, le tourment du diable, vn seruice agreable à Dieu, la loüange particuliere de la penitence & de la Religion, vne gloire accomplie, vne esperance certaine, & vne santé incorruptible.
XVII. Efforcez-vous, sur tout, de
luy persuader, qu'il se retire des mau
323
uaises compagnies : de peur qu'il n'y
perisse. Moyse estant allé proche des
pauillons de Coré, Danthan & Abiron, dit à tous ceux qui y estoient accourus, pour voir le sucés de son voyage.
Retirez-vous de la demeure deNum. 16. 26.
ces impies, & ne touchez rien de ce qui leur appartient : de crainte que vous ne soyez enuelopé dans leurs pechez: & que vous ne participiez à leur punition. Apres auoir dit ces paroles, il fit fendre la terre en deux : & tous ceux qui estoient dans leurs pauillons furent abysmez auec eux, à la reserue des enfans de Coré, que Dieu conserua par miracle. Il faut vn miracle, & vn miracle extraordinaire, pour conseruer la vertu au milieu des impies mais il faudroit vne douzaine de miracles, pour conuertir vn meschant homme, qui continuë de hanter ces personnes empestées.
XVIII. Asseurez-vous, que si vos
efforts sont constans : si vos prieres
ont de la perseuerance: si les hommes
prudens & vertueux y mettent la
main : que vous obtiendrez la con
324
uersation de vostre mary: comme fit
saint Monique, & comme ont fait
plusieurs autres. Et alors vous aurez
plus de liberté de vaquer à vos deuotions.
§. III. Auis pour le mary, qui empesche les devotions de sa femme.
I. C'est vne folie de s'attaquer à plus
fort que soy : & au pouuoir de qui
sont nostre vie, nostre santé, nos
forces, nos richesses, & nos honneurs.
Qui peut les augmenter, les diminuer, & les oster entierement, selon
Prou.
5. 22.
sa volonté.
L'impie, dit Salomon,
sera pris dans ses crimes : & lié par les chaisnes de ses pechez. Il mourra, parce qu'ilEs.c.15
n'a point receu la doctrine & la maniere de bien viure. Il sera trompé, par la multitude de ses sottises. Comment pourroit-il euiter la punition de son souuerain Seigneur, & retenir sa main vangeresse, veu qu'il luy est en abomination : & que comme parle Iob, Iob 31 il le garde pour le iour de sa fureur.
II. L'impieté trouble l'esprit de celuy qu'elle possede.
Il n'est nulle paix 325 Cap.48 22 & 7 20.126 à l'impie, dit le Prophete Isaye, qui asseure, qu'il est vne mer agitée, qui ne peut appaiser ses flots & ses tempestes : & que ses eaux salées, outrepassant leurs bornes, rempliroient tout le chemin de bouë & d'ordure.
Chacun, dit l'Orateur Romain, est
tourmenté par sa propre conscience.
Ses tromperies, ses crimes & sa sottise l'inquietent. Ses mauuaises pensées, & le souuenir de ses offenses
l'éfrayent. Voila les continuelles &
les domestiques furies des impies,
qui les agitent iour & nuit, sans aucun relasche.
Theodoret,l.
4. hist.
cap. 29127
III. L'impieté renuerse les Empires & les Royaumes: L'experience de
tous les siecles l'a prouué euidemment. Et vn genereux Capitaine le
dit à son propre Prince. L'Empereur
Valence, heretique, reprochoit à