Le mariage sous L'Ancien Régime
LE
MARIAGE,
SES
AGRÉEMENS
ET
SES CHAGRINS
DEDIÉ AUX MARYS.
Tome Second.
Vignette.
A PARIS,Au PALAIS.
Chez JEAN-BAPTISTE LANGLOIS
dans la grand' Salle, vis-à-vis la grand'
Chambre, à l'Ange Gardien.
Filet simple.
M. DC. XCIII.
Avec Privilege du Roy.
Bandeau fleuri.
Bandeau fleuri.
PHILOGAME
Lettrine D, double cadrage à feuilles.
HISTOIRE
PHILOGAME
Lettrine, "M" bordée de rubans dans un cadre.
AUX MARYS.
Lettrine "M", boîte courronée.MESSIEURS,
Le premier Tome des Agrée-
mens & des Chagrins du
Mariage n'eût pas ſi-tôt paru,
que pluſieurs Femmes d'eſprit
touchées de curioſité par ſon
titre, & parce qu'il étoit
dedié à leur ſexe, s'empreſ-
gnered beaucoup d'indigna-
tion & de colere contre l'Au-
theur, pour les avoir accuſées
d'être ſeules les cauſes des
chagrins & des peines du
Mariage ; & un jour m'étant
trouvé avec trois des plus
jolies de Paris, elles me pouſ-
ſerent for plaiſamment là‑
deſſus. Oüy, Monſieur, me
diſoit l'une, une femme ai-
mera ſon mary, & luy ſera
fidelle, pendant qu'il eſt toû-
jours chagrin & de méchante
refuſe les choſes les plus ne-
ceſſaires, pour entretenir ma-
gnifiquement une Maîtreſse en
ville, à qui il deſtine ſa belle
humeur & ſes doux momens !
Ce mary, reprenoit l'autre,
qui inſenſible aux careſſes de
ſa femme ne connoît d'autre
plaiſir que celuy de la bou-
teille & des bons repas ! Ce
mary joüeur, interrompoit
l'autre, qui negligeant ſes
affaires, conſume & diſſipe ſon
bien & celuy de ſa femme, &
fureurs de ſon jeu, juſqu'à
mettre en gage, & juſqu'à
vendre les meubles de leur
maiſon, & même les nippes
& les bijoux de ſa femme !
Enfin elles concluoient toutes
trois, qu'il faudroit qu'une
femme fût bien ſote ou bien
inſenſible, ſi elle n'uſoit du
droit de repreſaille dans de
ſemblables rencontres. MES-
SIEURS, MESSIEURS,
Elles n'ont pas de ſi méchan-
tes raiſons que vous pouriez
en a beaucoup parmy vous qui
jouïroient ſeuls, tranquile-
ment, & avec honneur, des
careſſes & des embraſsemens
innocens de leurs femmes, qu,-
elles prodiguent tous les jours
ailleurs, ſi par leur méchante
conduite & leurs dérégle-
mens, ils ne les avoient re-
butées de leur devoir & de
leur fidelité. Puiſqu'il est
donc vray, MESSIEURS,
que vous avez autant de part
que vos femmes dans ce qui
mens & aux Chagrins du
Mariage, je me crois obligé
de vous offrir ce ſecond Tome,
comme je leur ay offert le pre-
mier ; profitez-en, ce ſont les
ſouhaits,
mens & des Chagrins du
Mariage n'eût pas ſi-tôt paru,
que pluſieurs Femmes d'eſprit
touchées de curioſité par ſon
titre, & parce qu'il étoit
dedié à leur ſexe, s'empreſ-
ã *
AUX MARYS.
ſerent de le lire. Elles témoi-gnered beaucoup d'indigna-
tion & de colere contre l'Au-
theur, pour les avoir accuſées
d'être ſeules les cauſes des
chagrins & des peines du
Mariage ; & un jour m'étant
trouvé avec trois des plus
jolies de Paris, elles me pouſ-
ſerent for plaiſamment là‑
deſſus. Oüy, Monſieur, me
diſoit l'une, une femme ai-
mera ſon mary, & luy ſera
fidelle, pendant qu'il eſt toû-
jours chagrin & de méchante
AUX MARYS.
humeur avec elle, & qu'il luyrefuſe les choſes les plus ne-
ceſſaires, pour entretenir ma-
gnifiquement une Maîtreſse en
ville, à qui il deſtine ſa belle
humeur & ſes doux momens !
Ce mary, reprenoit l'autre,
qui inſenſible aux careſſes de
ſa femme ne connoît d'autre
plaiſir que celuy de la bou-
teille & des bons repas ! Ce
mary joüeur, interrompoit
l'autre, qui negligeant ſes
affaires, conſume & diſſipe ſon
bien & celuy de ſa femme, &
AUX MARYS.
pouſſe les emportemens & lesfureurs de ſon jeu, juſqu'à
mettre en gage, & juſqu'à
vendre les meubles de leur
maiſon, & même les nippes
& les bijoux de ſa femme !
Enfin elles concluoient toutes
trois, qu'il faudroit qu'une
femme fût bien ſote ou bien
inſenſible, ſi elle n'uſoit du
droit de repreſaille dans de
ſemblables rencontres. MES-
SIEURS, MESSIEURS,
Elles n'ont pas de ſi méchan-
tes raiſons que vous pouriez
bien
AUX MARYS.
bien vous imaginer, & il yen a beaucoup parmy vous qui
jouïroient ſeuls, tranquile-
ment, & avec honneur, des
careſſes & des embraſsemens
innocens de leurs femmes, qu,-
elles prodiguent tous les jours
ailleurs, ſi par leur méchante
conduite & leurs dérégle-
mens, ils ne les avoient re-
butées de leur devoir & de
leur fidelité. Puiſqu'il est
donc vray, MESSIEURS,
que vous avez autant de part
que vos femmes dans ce qui
AUX MARYS.
peut contribuer aux Agrée-mens & aux Chagrins du
Mariage, je me crois obligé
de vous offrir ce ſecond Tome,
comme je leur ay offert le pre-
mier ; profitez-en, ce ſont les
ſouhaits,
MESSIEURS,
De Vôtre tres-humble Serviteur,
J.D.D.C.
De Vôtre tres-humble Serviteur,
J.D.D.C.
Bandeau.
Extrait du Privilege du Roy.
PAR Lettres de Privilege de ſa
Majeſté, données à Verſailles le
19. Juin 1690. Signées BOUCOT,
& ſcellées du grand Sceau de cire
jaune. Il eſt permis au Sieur J.D.D.C.
de faire imprimer, vendre & debiter
un Livre intitulé Philogame & Anti-
game, ou les Agréemens & les Cha-
grins du Mariage , avec deffenſes à
tous Imprimeurs, Libraires, & autres
perſonnes d'imprimer, vendre ny de-
biter ledit Livre, & ce durant l'eſpace
de ſix années, à compter du jour qu'il
ſera achevé d'imprimer, ſur les peines
y contenuës.
Majeſté, données à Verſailles le
19. Juin 1690. Signées BOUCOT,
& ſcellées du grand Sceau de cire
jaune. Il eſt permis au Sieur J.D.D.C.
de faire imprimer, vendre & debiter
un Livre intitulé Philogame & Anti-
game, ou les Agréemens & les Cha-
grins du Mariage , avec deffenſes à
tous Imprimeurs, Libraires, & autres
perſonnes d'imprimer, vendre ny de-
biter ledit Livre, & ce durant l'eſpace
de ſix années, à compter du jour qu'il
ſera achevé d'imprimer, ſur les peines
y contenuës.
Regiſtré ſur le Livre des Libraires
& Imprimeurs le 20 Octobre 1691.
& Imprimeurs le 20 Octobre 1691.
Signé P. AUBOUYN, Syndic.
Les Exemplaire ont été fournis.
Achevé d'imprimer pour la premiere
fois le 31 Decembre 1692.
fois le 31 Decembre 1692.
PHILOGAME
Bandeau fleuri.
PHILOGAME
ET
ANTIGAME.
OU
LES AGRÉEMENS
ET
LES CHAGRINS
DU MARIAGE.
Troiſiéme Partie.
Lettrine D, double cadrage à feuilles.
DANS le même
tems que Philo-
game ſoûtenoit
qu'il y avoit plus d'agrée-
de chagrins, & qu'Anti-
game ſoûtenoit le con-
traire ; & qu'ils prioient
l'Abbé Sophin de les juger,
ſur la queſtion de ſçavoir
s'il eſt plus avantageux de
ſe marier, que de vivre
dans le celibat : Leſbie a-
mie de Fraudeliſe, depuis
qu'elles avoient été en-
ſemble penſionnaires dans
un même Convent de
Religieuſes, vint luy ren-
dre viſite. C'eſt pour vous
ſouhaiter, luy dit-elle en
bonheurs & mille plai-
ſirs dans vôtre Mariage.
Oüy, ma chere, repartit
Fraudeliſe, en la ſerrant
dans ſes bras ; je vais de-
venir la plus heureuſe per-
ſonne du monde puiſque
j'épouſe Philogame. Je
le veux croire, repartit
Leſbie d'un ton ſerieux,
en ſe placeant dans un
fauteüil ; mais pour cela
il faudra que vôtre deſti-
née ait quelque choſe de
bien ſingulier, & que Phi-
cõme les autres hommes.
Combien de femmes, con-
tinua-t-elle, ſe plaignent
nuit & jour de s'eſtre en-
gagées dans le Mariage? C'eſt
une terrible choſe, reprit
Leſbie, de s'aſſujettir pour
toute ſa vie à la volonté
& aux infirmitez d'un
homme que l'on ne con-
noiſt qu'au travers d'une
galanterie intereſſée, &
d'un nombre infini d'arti-
n'eſt pas ſi-toſt devenu vô-
tre Epoux, qu'il ſe regarde
comme un Maître qui a
un empire abſolu ſur vous;
il vous néglige, il vous
mépriſe, & croit ſortir de
ſa gravité & vous faire
grace quand il reçoit vos
careſſes. Je n'aprehende
rien de ce côté-là, reprit
Fraudeliſe, Philogame
m'aime avec une paſſion
trop tendre & trop con-
ſtante. D'autres peines,
continua Leſbie, peuvent
riage, comme les accidens
& les maux qui acom-
pagnent les groſſeſſes &
les acouchemens des jeu-
nes femmes, & la peine
& les douleurs que cauſent
les maladies & la mort
des enfans. Bon ! repartit
Fraudeliſe, le plaiſir de
donner à un Mary que
l'on aime un enfant qu'il
vous demande vous con-
ſole aiſément de ces maux;
ſi ces enfans ſont malades,
ce ſoin regarde les dome-
continua-t-elle en ſoûriant,
pour un perdu deux re-
couvrez. Comtez-vous
pour rien, reprit Leſbie,
les ſoins & les inquietudes
que cauſent l'envie & l'am-
bition d'élever vos enfans
& d'en faire de grands
Seigneurs, & la part que
vous prenez aux fatigues
& aux peines que ſouffre
un pauvre Mary pour a-
maſſer du bien, ou pour
conſerver celuy qu'il a ?
Je ſçauray, repliqua Frau-
mens, borner ma fortune
& mon ambition, & m'a-
pliquer toute entiere à di-
vertir mon mary par mon
enjouëment & par mes
careſſes ; & entre nous la
neceſſité ne me fait pas
peur, nous aurons du bien
& nos peres y ont mis
bon ordre. Combien
d'hommes, repartit Leſ-
bie, ont été élevez dans
les grandes Charges &
dans les richeſſes qui ſont
à preſent dans la neceſſité,
enfants ſont dans la miſere
& dans la ſervitude ? Mais
je veux, continua-t-elle,
que vôtre famille ſoit dans
les honneurs & dans l'a-
bondance ; qui vous ré-
pondra que le cœur de
ce Mary, content de luy
même, & qui cherche
tous les jours de nouveaux
ragoûts de joye & de plai-
ſir, continuëra à vous ai-
mer avec ce teint jaune,
ces lévres paſles & livides,
ces yeux battus & enfon-
maigre & effilé que vos
longues groſſeſſes & vos
frequens accouchemens
vous auront ſans doute
cauſez, pendant qu'il ver-
ra tous les jours dans le
monde des femmes belles
comme des Anges, qui i-
ront au devant de luy
pour luy prodiguer leurs
faveurs. Comme Leſbie
parloit ainſi, la veuve d'un
Marchand Joüallier vint
voir Fraudeliſe ; c'eſtoit
pour luy vendre un Co-
chande luy avoit fait avoir
pluſieurs bijoux à bon
marché, ce qui avoit don-
né lieu à une tres-grande
liaiſon qui eſtoit entr'elles.
Voyez, dit-elle à Fraude-
liſe, en regardant & tour-
nant ce Colier de tous les
côtez, & en le luy preſen-
tant, voyez cette belle eau,
cette groſſeur & cette ron-
deur. Je vous les garantis
Perles d'Orient à peine de
les perdre ; c'eſt un marché
donné, continua-t-elle,
la Dame à qui il eſt &
qui en a fait faire un faux
ſemblable pour tromper
ſon mary, n'avoit joüé de
malheur à la Baſſette, vous
ne l'auriez pas pour ce
prix là. Fraudeliſe aprés
l'avoir examiné, dit à cette
femme, qu'elle le feroit
voir & qu'elle luy ren-
droit réponſe. Leſbie qui
connoiſſoit cette femme;
pour l'avoir veuë ſouvent
avec ſa mere, & pour a-
voir achetté d'elles des
qu'il n'y avoit pas long-
temps que ſon mary étoit
mort, lui demanda ſi elle
étoit remariée. Elle lui re-
partit qu'elle en étoit fort
éloignée, qu'il n'y avoit
point de condition plus
heureuſe que celle d'une
veuve, qu'elle eſt indé-
pendante, qu'elle vit com-
me il luy plaît, & qu'elle
eſt à l'abry des reproches,
que l'on a coûtume de
faire aux filles qui vieil-
liſſent ſans ſe marier. Vos
pouroient bien changer.
Moy remariée, interrom-
pit bruſquement cette fem-
me en élevant la voix &
en hauſſant les épaules !
Dieu m'en garde, je ſçay
trop ce qu'en vaut l'aune,
& le Mariage n'eſt pas fait
pour des miſerables com-
me nous. Pourquoy re-
pliqua Leſbie ? Les hom-
mes de nôtre condition,
reprit cette Marchande,
regardent leurs femmes
comme leurs ſervantes. Au
rellent, & leur diſent cent
injures : répondent-elles,
ils les menacent de leur
rompre les bras ; ils veu-
lent bien avoir des Maî-
treſſes en ville, mais ſi la
pauvre femme entretient
une petite galanterie, &
qu'ils viennent à s'en a-
percevoir, ils font les dé-
mons & veulent la tuer,
comme ſi cela ne devoit
pas être reciproque. Il n'en
eſt pas de même, continua-
t-elle, des femmes de qua-
rien voir ; & s'il ſe pre-
ſente quelque choſe de-
vant leurs yeux, ils les dé-
tournent pour éviter l'é-
clat & le ſcandale. Ecou-
tez, je vous prie, quelle
a été ma deſtinée avec feu
mon mary, & puis vous
jugerez ſi l'envie de me
remarier doit me repren-
dre. Je luy avois aporté
quantité de meubles, de
bonnes nipes, & de beaux
écus ; les premiers jours
de nôtre mariage, à l'en-
point ceſſer de m'aimer,
je devois être la maîtreſſe
de tout, & je ne devois
jamais manquer de rien :
mais en peu de temps il
y eût bien du rabat-joye,
il devint ſi inquiet & ſi
bouru qu'il ne pouvoit
me ſouffrir ; ce n'eſtoit que
gronderie, que querelle
perpetuelle, il ne ſe plai-
ſoit qu'au jeu de Boulle,
au Cabaret, & avec des
femmes débauchées, & ne
revenoit le ſoir que fort
tabac, & furieux comme
un Lion, en peſtant & ju-
rant contre moy & contre
ſes enfans. Etoit-il malade
il falloit que je paſſaſſe les
jours & les nuits à le ſer-
vir, & que je vendiſſe ma
marchandiſe à vil prix
pour la dépenſe de ſa ma-
ladie ; & pour toute re-
compenſe il me diſoit que
j'étois une friponne & une
coquine qui voudroit déja
le voir enterré. Aprés ſa
mort les frais funeraires
mé la meilleure partie de
mon bien ; & il me reſte
cinq petits enfans & un
fond de boutique mal-aſ-
ſorti, avec lequel il faut
que mon induſtrie nous
faſſe vivre : jugez aprés
cela, belle Leſbie, ſi l'en-
vie de me remarier peut
me prendre. Comme cette
Marchande parloit ainſi,
un laquais d'Antigame vint
demander Leſbie pour luy
parler en particulier. Elle
avoit placé ce laquais au-
luy raportât tout ce que
ſon Maître diſoit & faiſoit
en ſon abſence. Il luy dit
comment la pluye avoit
obligé Philogame, Anti-
game, & l'Abbé Sophin
d'entrer dans un Cabaret
où ils avoient trouvé Cle-
ante & Philabel diſputant
ſur la qualité d'un Rubis
qu'avoit Cleante : il luy
apprit de quelle maniere
Antigame avoit veu ce
Rubis, qu'il y avoit trou-
vé beaucoup de reſſem-
avoit donné ; comment il
avoit fait interroger le la-
quais de Cleante là deſſus.
Il ajoûta que ce laquais a-
voit répondu, qu'une fille
dont il n'avoit pu aprendre
le nom avoit fait preſent
de ce Rubis à Cleante, &
qu'elle devoit encore luy
donner deux mille Louis2
d'or & l'épouſer ; qu'An-
tigame avoit penſé que
c'étoit d'elle qu'il parloit,
& en avoit été touché
ſenſiblement ; que Philo-
l'en avoit raillé. Il luy ra-
conta enſuite que dans ce
meſme temps un laquais
de Fraudeliſe qui portoit
une Lettre dans ſa main
étoit venu dans la cour de
ce Cabaret demander Phi-
label ; qu'Antigame re-
connoiſſant de la feneſtre
de la chambre où il étoit,
le laquais de Fraudeliſe,
avoit ſoupçonné qu'il y
avoit quelque commerce
de galanterie entre Phi-
label & Fraudeliſe, & a-
couvrir il falloit intercep-
ter cette Lettre ; qu'An-
tigame étant deſcendu il
étoit allé ſe placer dans un
endroit d'une allée par où
ce laquais devoit paſſer, ſi
obſcure qu'il étoit impoſ-
ſible de pouvoir diſtinguer
une perſonne & la recon-
noître ; que dans le mo-
ment que ce laquais avoit
été auprés d'Antigame,
Antigame luy avoit de-
mandé la Lettre de Frau-
deliſe en luy preſentant
voit pris l'écu & luy a-
voit remis la Lettre; qu'en-
ſuite Antigame avoit dé-
cacheté la Lettre & l'avoit
remiſe à Philogame; que
Philogame étoit convenu
qu'elle étoit de la main de
Fraudeliſe & avoit lû ce
qu'elle contenoit à Anti-
game & à l'Abbé Sophin:
ce laquais ajoûta qu'il ne
pouvoit ſe reſſouvenir des
termes avec leſquels cette
Lettre étoit conçuë, mais
qu'il ſçavoit ſeulement
deliſe n'épouſoit Philo-
game que contre ſon in-
tention & pour obeïr à
ſon pere, & qu'elle aime-
roit toûjours Philabel. Ce
laquais dit encore à Leſ-
bie, comment Antigame
à ſon tour avoit raillé
Philogame ſur ce qu'il
pretendoit être aimé ſeul
de Fraudeliſe, & enfin
tout ce qui avoit été dit
par l'Abbé Sophin, & par
Philogame & Antigame:
& ſur ce que Leſbie luy
voit concevoir comment
il en pouvoit tant ſçavoir,
il luy apprit qu'il s'étoit
caché derriere un lit d'où
il avoit tout entendu ; &
enſuite il quitta Leſbie
pour aller rejoindre ſon
Maître dont il s'étoit dé-
robé pour venir donner
cet avis à Leſbie.
Le raport de ce laquais
avoit tellement touché
Leſbie, & avoit fait une
ſi violente impreſſion ſur
ſon viſage, que Fraudeliſe
demanda la raiſon. Leſ-
bie repartit à Fraudeliſe,
qu'elle venoit en partie
de l'attachement qu'elle
avoit pour ſes intereſts;
& comme Fraudeliſe la
preſſoit de s'explquer plus
clairement, elle luy de-
manda ſi elle n'avoit pas
écrit ce jour là à Philabel,
& ce que contenoit ſa
Lettre. Ce diſcours mit
l'alarme au cœur de Frau-
deliſe, ce qui fit qu'elle la
pria de luy dire prompte-
deſſus. Leſbie témoigna
avoir de la peine à s'ex-
pliquer devant cette Mar-
chande, qui s'en apper-
cevant prit la parole, &
luy dit qu'une femme de
ſon métier en ſçavoit
beaucoup ; qu'elle en a-
voit bien appris en portant
des Perles & des Diamans
dans les maiſons ; que Leſ-
bie & Fraudeliſe pou-
voient ſe repoſer hardi-
ment ſur ſa diſcretion &
ſur ſa fidelité; qu'elle a-
pour conduire finement
une galanterie ; qu'elle ſe
faiſoit un tres-grand plai-
ſir de rendre les Amants
heureux ; que Leſbie pou-
voit parler hardiment, &
qu'elles verroient l'une &
l'autre de quel bois elle ſe
chaufoit. Leſbie qui étoit
auſſi inquiete & auſſi em-
baraſſée que Fraudeliſe,
fut ravie de connoître le
talent de cette veuve, pour
s'en ſervir à ſon tour, ſi el-
le étoit auſſi habile qu'elle
qu'elle continua en diſant
à Fraudeliſe, que la Lettre
qu'elle avoit écrite ce jour
là à Philabel, avoit été in-
terceptée & étoit entre
les mains de Philogame,
& de la maniere qu'elle y
étoit paſsée. Fraudeliſe ap-
pella auſſi-tôt ſon laquais,
pour ſçavoir de luy à qui
il avoit donné ſa Lettre.
Ce laquais repartit un peu
embaraſſé, qu'il l'avoit
donnée à Philabel : &
comme Leſbie le preſſa
reconnu le viſage de Phi-
label, ce laquais luy a-
voüa qu'à cauſe de l'obſ-
curité de l'endroit où il
étoit lors qu'il la luy avoit
remiſe, il n'avoit pû le
voir ; mais qu'il falloit
ſeurement que ce fût Phi-
label, parce que celuy
à qui il avoit donné la
Lettre, en l'abordant luy
avoit demandé la Lettre
de Fraudeliſe. Fraudeliſe
ayant renvoyé ce laquais
en le grondant, & étant
étoit entre les mains de
Philogame, en fut ſi ſen-
ſiblement touchée qu'elle
tomba comme immobile
dans un fauteüil ; & re-
venant à elle, elle parla
ainſi avec de grands ſoû-
pirs. Vous me regardez-
donc à preſent, Philogame,
comme une ingrate &
une infidelle, qui vouloit
vous ſurprendre avec une
tendreſſe fauſſe & ſup-
poſée : ha malheureuſe
Fraudeliſe ! ha malheu-
t-elle, ſous quel aſtre ma-
lin ſommes-nous nez ?
helas ! que ne pouvez-vous
voir un moment, conti-
nua-t-elle, les ſentimens
d'eſtime, & de tendreſſe
que j'ay pour vous, &
les ſentimens de mépris,
& de haine que j'ay pour
Philabel ! mais non, je
ne pourray jamais vous
les faire voir, & je n'ay
d'autre party à prendre
que la mort : que j'y
trouverois de conſolation
le fond de vôtre cœur un
reproche éternel de vôtre
injuſtice. Mais ma chere
Fraudeliſe, interrompit
Leſbie, aimiez vous Phi-
logame ? vous aimoit-il ?
ha ! ſi je l'aimois, reprit
Fraudeliſe, non jamais il
ne s'eſt veu une paſſion
fondée ſur plus d'eſtime,
& plus d'amour ; qu'il é-
toit honnête & reſpec-
tueux, qu'il me diſoit de
choſes tendres & paſſion-
nées ! il en mourra le
bien que moy. Pourquoy
donc, reprit Leſbie, l'ai-
mant autant que vous
faiſiez, & en étant autant
aimée, entretenir un com-
merce de galanterie avec
Philabel ? C'eſt une longue
hiſtoire, ma chere, repar-
tit Fraudeliſe, que je ne
ſuis pas en état de vous
dire. Cette Marchande
luy repreſenta que la
choſe n'étoit pas ſi deſeſ-
perée qu'elle s'imaginoit;
qu'on pouroit luy don-
ſi on ſçavoit ſon hiſtoire;
que nous étions aveugles
dans nos propres intereſts,
& plus capables de trou-
ver des avis pour nous mê-
mes : Elle ajoûta que puis
qu'elle étoit aimée de
Philogame, & qu'elle l'ai-
moit, elle eſperoit de trou-
ver des moyens pour la
juſtifier dans ſon cœur,
& pour les remettre bien
enſemble. Ce diſcours re-
mit un peu Fraudeliſe, ce
ainſi ſon hiſtoire.
Cul de lampe.
tems que Philo-
game ſoûtenoit
qu'il y avoit plus d'agrée-
A
Troiſiéme Partie.
2
Les Agréemens & les
mens dans le mariage quede chagrins, & qu'Anti-
game ſoûtenoit le con-
traire ; & qu'ils prioient
l'Abbé Sophin de les juger,
ſur la queſtion de ſçavoir
s'il eſt plus avantageux de
ſe marier, que de vivre
dans le celibat : Leſbie a-
mie de Fraudeliſe, depuis
qu'elles avoient été en-
ſemble penſionnaires dans
un même Convent de
Religieuſes, vint luy ren-
dre viſite. C'eſt pour vous
ſouhaiter, luy dit-elle en
3
Chagrins du Mariage.
courant l'embraſſer, millebonheurs & mille plai-
ſirs dans vôtre Mariage.
Oüy, ma chere, repartit
Fraudeliſe, en la ſerrant
dans ſes bras ; je vais de-
venir la plus heureuſe per-
ſonne du monde puiſque
j'épouſe Philogame. Je
le veux croire, repartit
Leſbie d'un ton ſerieux,
en ſe placeant dans un
fauteüil ; mais pour cela
il faudra que vôtre deſti-
née ait quelque choſe de
bien ſingulier, & que Phi-
A ij
4
Les Agréemens & les
logame ne ſoit pas faitcõme les autres hommes.
Combien de femmes, con-
tinua-t-elle, ſe plaignent
nuit & jour de s'eſtre en-
gagées dans le Mariage? C'eſt
une terrible choſe, reprit
Leſbie, de s'aſſujettir pour
toute ſa vie à la volonté
& aux infirmitez d'un
homme que l'on ne con-
noiſt qu'au travers d'une
galanterie intereſſée, &
d'un nombre infini d'arti-
5
Chagrins du Mariage.
fices & de déguiſemens : iln'eſt pas ſi-toſt devenu vô-
tre Epoux, qu'il ſe regarde
comme un Maître qui a
un empire abſolu ſur vous;
il vous néglige, il vous
mépriſe, & croit ſortir de
ſa gravité & vous faire
grace quand il reçoit vos
careſſes. Je n'aprehende
rien de ce côté-là, reprit
Fraudeliſe, Philogame
m'aime avec une paſſion
trop tendre & trop con-
ſtante. D'autres peines,
continua Leſbie, peuvent
A iij
6
Les Agréemens & les
vous attendre dans le Ma-riage, comme les accidens
& les maux qui acom-
pagnent les groſſeſſes &
les acouchemens des jeu-
nes femmes, & la peine
& les douleurs que cauſent
les maladies & la mort
des enfans. Bon ! repartit
Fraudeliſe, le plaiſir de
donner à un Mary que
l'on aime un enfant qu'il
vous demande vous con-
ſole aiſément de ces maux;
ſi ces enfans ſont malades,
ce ſoin regarde les dome-
7
Chagrins du Mariage.
ſtiques, & s'ils meurent,continua-t-elle en ſoûriant,
pour un perdu deux re-
couvrez. Comtez-vous
pour rien, reprit Leſbie,
les ſoins & les inquietudes
que cauſent l'envie & l'am-
bition d'élever vos enfans
& d'en faire de grands
Seigneurs, & la part que
vous prenez aux fatigues
& aux peines que ſouffre
un pauvre Mary pour a-
maſſer du bien, ou pour
conſerver celuy qu'il a ?
Je ſçauray, repliqua Frau-
A iiij
8
Les Agréemens & les
deliſe, régler mes ſenti-mens, borner ma fortune
& mon ambition, & m'a-
pliquer toute entiere à di-
vertir mon mary par mon
enjouëment & par mes
careſſes ; & entre nous la
neceſſité ne me fait pas
peur, nous aurons du bien
& nos peres y ont mis
bon ordre. Combien
d'hommes, repartit Leſ-
bie, ont été élevez dans
les grandes Charges &
dans les richeſſes qui ſont
à preſent dans la neceſſité,
9
Chagrins du Mariage.
ou dont les veuves & lesenfants ſont dans la miſere
& dans la ſervitude ? Mais
je veux, continua-t-elle,
que vôtre famille ſoit dans
les honneurs & dans l'a-
bondance ; qui vous ré-
pondra que le cœur de
ce Mary, content de luy
même, & qui cherche
tous les jours de nouveaux
ragoûts de joye & de plai-
ſir, continuëra à vous ai-
mer avec ce teint jaune,
ces lévres paſles & livides,
ces yeux battus & enfon-
10
Les Agréemens & les
cez, & avec ce viſagemaigre & effilé que vos
longues groſſeſſes & vos
frequens accouchemens
vous auront ſans doute
cauſez, pendant qu'il ver-
ra tous les jours dans le
monde des femmes belles
comme des Anges, qui i-
ront au devant de luy
pour luy prodiguer leurs
faveurs. Comme Leſbie
parloit ainſi, la veuve d'un
Marchand Joüallier vint
voir Fraudeliſe ; c'eſtoit
pour luy vendre un Co-
11
Chagrins du Mariage.
lier de Perles : cette Mar-chande luy avoit fait avoir
pluſieurs bijoux à bon
marché, ce qui avoit don-
né lieu à une tres-grande
liaiſon qui eſtoit entr'elles.
Voyez, dit-elle à Fraude-
liſe, en regardant & tour-
nant ce Colier de tous les
côtez, & en le luy preſen-
tant, voyez cette belle eau,
cette groſſeur & cette ron-
deur. Je vous les garantis
Perles d'Orient à peine de
les perdre ; c'eſt un marché
donné, continua-t-elle,
12
Les Agréemens & les
pour ſix cens Louis1, & ſila Dame à qui il eſt &
qui en a fait faire un faux
ſemblable pour tromper
ſon mary, n'avoit joüé de
malheur à la Baſſette, vous
ne l'auriez pas pour ce
prix là. Fraudeliſe aprés
l'avoir examiné, dit à cette
femme, qu'elle le feroit
voir & qu'elle luy ren-
droit réponſe. Leſbie qui
connoiſſoit cette femme;
pour l'avoir veuë ſouvent
avec ſa mere, & pour a-
voir achetté d'elles des
13
Chagrins du Mariage.
bijoux, & qui ſçavoitqu'il n'y avoit pas long-
temps que ſon mary étoit
mort, lui demanda ſi elle
étoit remariée. Elle lui re-
partit qu'elle en étoit fort
éloignée, qu'il n'y avoit
point de condition plus
heureuſe que celle d'une
veuve, qu'elle eſt indé-
pendante, qu'elle vit com-
me il luy plaît, & qu'elle
eſt à l'abry des reproches,
que l'on a coûtume de
faire aux filles qui vieil-
liſſent ſans ſe marier. Vos
14
Les Agréemens & les
ſentimens, reprit Leſbie,pouroient bien changer.
Moy remariée, interrom-
pit bruſquement cette fem-
me en élevant la voix &
en hauſſant les épaules !
Dieu m'en garde, je ſçay
trop ce qu'en vaut l'aune,
& le Mariage n'eſt pas fait
pour des miſerables com-
me nous. Pourquoy re-
pliqua Leſbie ? Les hom-
mes de nôtre condition,
reprit cette Marchande,
regardent leurs femmes
comme leurs ſervantes. Au
15
Chagrins du Mariage.
premier chagrin ils les que-rellent, & leur diſent cent
injures : répondent-elles,
ils les menacent de leur
rompre les bras ; ils veu-
lent bien avoir des Maî-
treſſes en ville, mais ſi la
pauvre femme entretient
une petite galanterie, &
qu'ils viennent à s'en a-
percevoir, ils font les dé-
mons & veulent la tuer,
comme ſi cela ne devoit
pas être reciproque. Il n'en
eſt pas de même, continua-
t-elle, des femmes de qua-
16
Les Agréemens & les
lité : les marys ne veulent rien voir ; & s'il ſe pre-
ſente quelque choſe de-
vant leurs yeux, ils les dé-
tournent pour éviter l'é-
clat & le ſcandale. Ecou-
tez, je vous prie, quelle
a été ma deſtinée avec feu
mon mary, & puis vous
jugerez ſi l'envie de me
remarier doit me repren-
dre. Je luy avois aporté
quantité de meubles, de
bonnes nipes, & de beaux
écus ; les premiers jours
de nôtre mariage, à l'en-
tendre
17
Chagrins du Mariage.
tendre dire, il ne devoitpoint ceſſer de m'aimer,
je devois être la maîtreſſe
de tout, & je ne devois
jamais manquer de rien :
mais en peu de temps il
y eût bien du rabat-joye,
il devint ſi inquiet & ſi
bouru qu'il ne pouvoit
me ſouffrir ; ce n'eſtoit que
gronderie, que querelle
perpetuelle, il ne ſe plai-
ſoit qu'au jeu de Boulle,
au Cabaret, & avec des
femmes débauchées, & ne
revenoit le ſoir que fort
B
Troiſiéme Partie.
18
Les Agréemens & les
tard, infecté de vin & detabac, & furieux comme
un Lion, en peſtant & ju-
rant contre moy & contre
ſes enfans. Etoit-il malade
il falloit que je paſſaſſe les
jours & les nuits à le ſer-
vir, & que je vendiſſe ma
marchandiſe à vil prix
pour la dépenſe de ſa ma-
ladie ; & pour toute re-
compenſe il me diſoit que
j'étois une friponne & une
coquine qui voudroit déja
le voir enterré. Aprés ſa
mort les frais funeraires
19
Chagrins du Mariage.
& de Juſtice ont conſom-mé la meilleure partie de
mon bien ; & il me reſte
cinq petits enfans & un
fond de boutique mal-aſ-
ſorti, avec lequel il faut
que mon induſtrie nous
faſſe vivre : jugez aprés
cela, belle Leſbie, ſi l'en-
vie de me remarier peut
me prendre. Comme cette
Marchande parloit ainſi,
un laquais d'Antigame vint
demander Leſbie pour luy
parler en particulier. Elle
avoit placé ce laquais au-
B ij
20
Les Agréemens & les
prés d'Antigame afin qu'illuy raportât tout ce que
ſon Maître diſoit & faiſoit
en ſon abſence. Il luy dit
comment la pluye avoit
obligé Philogame, Anti-
game, & l'Abbé Sophin
d'entrer dans un Cabaret
où ils avoient trouvé Cle-
ante & Philabel diſputant
ſur la qualité d'un Rubis
qu'avoit Cleante : il luy
apprit de quelle maniere
Antigame avoit veu ce
Rubis, qu'il y avoit trou-
vé beaucoup de reſſem-
21
Chagrins du Mariage.
blance avec celuy qu'il luyavoit donné ; comment il
avoit fait interroger le la-
quais de Cleante là deſſus.
Il ajoûta que ce laquais a-
voit répondu, qu'une fille
dont il n'avoit pu aprendre
le nom avoit fait preſent
de ce Rubis à Cleante, &
qu'elle devoit encore luy
donner deux mille Louis2
d'or & l'épouſer ; qu'An-
tigame avoit penſé que
c'étoit d'elle qu'il parloit,
& en avoit été touché
ſenſiblement ; que Philo-
B iij
22
Les Agréemens & les
game s'en étant aperceul'en avoit raillé. Il luy ra-
conta enſuite que dans ce
meſme temps un laquais
de Fraudeliſe qui portoit
une Lettre dans ſa main
étoit venu dans la cour de
ce Cabaret demander Phi-
label ; qu'Antigame re-
connoiſſant de la feneſtre
de la chambre où il étoit,
le laquais de Fraudeliſe,
avoit ſoupçonné qu'il y
avoit quelque commerce
de galanterie entre Phi-
label & Fraudeliſe, & a-
23
Chagrins du Mariage.
voit cru que pour le dé-couvrir il falloit intercep-
ter cette Lettre ; qu'An-
tigame étant deſcendu il
étoit allé ſe placer dans un
endroit d'une allée par où
ce laquais devoit paſſer, ſi
obſcure qu'il étoit impoſ-
ſible de pouvoir diſtinguer
une perſonne & la recon-
noître ; que dans le mo-
ment que ce laquais avoit
été auprés d'Antigame,
Antigame luy avoit de-
mandé la Lettre de Frau-
deliſe en luy preſentant
24
Les Agréemens & les
un écu ; que ce laquais a-voit pris l'écu & luy a-
voit remis la Lettre; qu'en-
ſuite Antigame avoit dé-
cacheté la Lettre & l'avoit
remiſe à Philogame; que
Philogame étoit convenu
qu'elle étoit de la main de
Fraudeliſe & avoit lû ce
qu'elle contenoit à Anti-
game & à l'Abbé Sophin:
ce laquais ajoûta qu'il ne
pouvoit ſe reſſouvenir des
termes avec leſquels cette
Lettre étoit conçuë, mais
qu'il ſçavoit ſeulement
que
25
Chagrins du Mariage.
que le ſens étoit que Frau-deliſe n'épouſoit Philo-
game que contre ſon in-
tention & pour obeïr à
ſon pere, & qu'elle aime-
roit toûjours Philabel. Ce
laquais dit encore à Leſ-
bie, comment Antigame
à ſon tour avoit raillé
Philogame ſur ce qu'il
pretendoit être aimé ſeul
de Fraudeliſe, & enfin
tout ce qui avoit été dit
par l'Abbé Sophin, & par
Philogame & Antigame:
& ſur ce que Leſbie luy
C
Troiſiéme Partie.
26
Les Agréemens & les
témoigna qu'elle ne pou-voit concevoir comment
il en pouvoit tant ſçavoir,
il luy apprit qu'il s'étoit
caché derriere un lit d'où
il avoit tout entendu ; &
enſuite il quitta Leſbie
pour aller rejoindre ſon
Maître dont il s'étoit dé-
robé pour venir donner
cet avis à Leſbie.
Le raport de ce laquais
avoit tellement touché
Leſbie, & avoit fait une
ſi violente impreſſion ſur
ſon viſage, que Fraudeliſe
27
Chagrins du Mariage.
s'en apperçeut & luy endemanda la raiſon. Leſ-
bie repartit à Fraudeliſe,
qu'elle venoit en partie
de l'attachement qu'elle
avoit pour ſes intereſts;
& comme Fraudeliſe la
preſſoit de s'explquer plus
clairement, elle luy de-
manda ſi elle n'avoit pas
écrit ce jour là à Philabel,
& ce que contenoit ſa
Lettre. Ce diſcours mit
l'alarme au cœur de Frau-
deliſe, ce qui fit qu'elle la
pria de luy dire prompte-
C ij
28
Les Agréemens & les
ment ce qu'elle ſçavoit là‑deſſus. Leſbie témoigna
avoir de la peine à s'ex-
pliquer devant cette Mar-
chande, qui s'en apper-
cevant prit la parole, &
luy dit qu'une femme de
ſon métier en ſçavoit
beaucoup ; qu'elle en a-
voit bien appris en portant
des Perles & des Diamans
dans les maiſons ; que Leſ-
bie & Fraudeliſe pou-
voient ſe repoſer hardi-
ment ſur ſa diſcretion &
ſur ſa fidelité; qu'elle a-
29
Chagrins du Mariage.
voit des talens admirablespour conduire finement
une galanterie ; qu'elle ſe
faiſoit un tres-grand plai-
ſir de rendre les Amants
heureux ; que Leſbie pou-
voit parler hardiment, &
qu'elles verroient l'une &
l'autre de quel bois elle ſe
chaufoit. Leſbie qui étoit
auſſi inquiete & auſſi em-
baraſſée que Fraudeliſe,
fut ravie de connoître le
talent de cette veuve, pour
s'en ſervir à ſon tour, ſi el-
le étoit auſſi habile qu'elle
C iij
30
Les Agréemens & les
ſe promettoit ; ſi bienqu'elle continua en diſant
à Fraudeliſe, que la Lettre
qu'elle avoit écrite ce jour
là à Philabel, avoit été in-
terceptée & étoit entre
les mains de Philogame,
& de la maniere qu'elle y
étoit paſsée. Fraudeliſe ap-
pella auſſi-tôt ſon laquais,
pour ſçavoir de luy à qui
il avoit donné ſa Lettre.
Ce laquais repartit un peu
embaraſſé, qu'il l'avoit
donnée à Philabel : &
comme Leſbie le preſſa
31
Chagrins du Mariage.
de luy dire s'il avoit bienreconnu le viſage de Phi-
label, ce laquais luy a-
voüa qu'à cauſe de l'obſ-
curité de l'endroit où il
étoit lors qu'il la luy avoit
remiſe, il n'avoit pû le
voir ; mais qu'il falloit
ſeurement que ce fût Phi-
label, parce que celuy
à qui il avoit donné la
Lettre, en l'abordant luy
avoit demandé la Lettre
de Fraudeliſe. Fraudeliſe
ayant renvoyé ce laquais
en le grondant, & étant
C iiij
32
Les Agréemens & les
perſuadée que ſa Lettreétoit entre les mains de
Philogame, en fut ſi ſen-
ſiblement touchée qu'elle
tomba comme immobile
dans un fauteüil ; & re-
venant à elle, elle parla
ainſi avec de grands ſoû-
pirs. Vous me regardez-
donc à preſent, Philogame,
comme une ingrate &
une infidelle, qui vouloit
vous ſurprendre avec une
tendreſſe fauſſe & ſup-
poſée : ha malheureuſe
Fraudeliſe ! ha malheu-
33
Chagrins du Mariage.
reux Philogame ! s'écria-t-elle, ſous quel aſtre ma-
lin ſommes-nous nez ?
helas ! que ne pouvez-vous
voir un moment, conti-
nua-t-elle, les ſentimens
d'eſtime, & de tendreſſe
que j'ay pour vous, &
les ſentimens de mépris,
& de haine que j'ay pour
Philabel ! mais non, je
ne pourray jamais vous
les faire voir, & je n'ay
d'autre party à prendre
que la mort : que j'y
trouverois de conſolation
34
Les Agréemens & les
ſi je pouvois laiſſer dans le fond de vôtre cœur un
reproche éternel de vôtre
injuſtice. Mais ma chere
Fraudeliſe, interrompit
Leſbie, aimiez vous Phi-
logame ? vous aimoit-il ?
ha ! ſi je l'aimois, reprit
Fraudeliſe, non jamais il
ne s'eſt veu une paſſion
fondée ſur plus d'eſtime,
& plus d'amour ; qu'il é-
toit honnête & reſpec-
tueux, qu'il me diſoit de
choſes tendres & paſſion-
nées ! il en mourra le
35
Chagrins du Mariage.
pauvre malheureux, auſſi-bien que moy. Pourquoy
donc, reprit Leſbie, l'ai-
mant autant que vous
faiſiez, & en étant autant
aimée, entretenir un com-
merce de galanterie avec
Philabel ? C'eſt une longue
hiſtoire, ma chere, repar-
tit Fraudeliſe, que je ne
ſuis pas en état de vous
dire. Cette Marchande
luy repreſenta que la
choſe n'étoit pas ſi deſeſ-
perée qu'elle s'imaginoit;
qu'on pouroit luy don-
36
Les Agréemens & les
ner un conſeil avantageuxſi on ſçavoit ſon hiſtoire;
que nous étions aveugles
dans nos propres intereſts,
& plus capables de trou-
ver des avis pour nous mê-
mes : Elle ajoûta que puis
qu'elle étoit aimée de
Philogame, & qu'elle l'ai-
moit, elle eſperoit de trou-
ver des moyens pour la
juſtifier dans ſon cœur,
& pour les remettre bien
enſemble. Ce diſcours re-
mit un peu Fraudeliſe, ce
37
Chagrins du Mariage.
qui fit qu'elle commençaainſi ſon hiſtoire.
38
Les Agréemens & les
Bandeau.
HISTOIRE
DE FRAUDELISE.
APrés que mon pere,
& ma mere m'eu-
rent tirée du Convent où
nous étions, ils me pri-
rent avec eux, & me don-
nerent une gouvernante.
Dans ce temps-là un tres‑
grand Procez dans lequel
il s'agiſſoit de la meilleure
partie de leur fortune, fût
renvoyé au Parlement
rent, & me laiſſerent a-
vec cette gouvernante,
ſous la conduite d'une
tante qui mourut peu de
jours aprés leur départ, ſi
bien que je fus reduite à
cette ſeule gouvernante.
Cette femme au lieu d'e-
xaminer toutes mes ac-
tions pour les régler, m'a-
plaudiſſoit en tout, & é-
toit inceſſamment à me
loüer, en me diſant que
j'étois la plus belle fille de
Paris, & que j'allois faire
eſt du goût d'une jeune
perſonne, auſſi prit-elle un
tres-grand aſcendant ſur
mon eſprit : c'eſtoit là ſon
but, vous le verrez par
la ſuitte.
& ma mere m'eu-
rent tirée du Convent où
nous étions, ils me pri-
rent avec eux, & me don-
nerent une gouvernante.
Dans ce temps-là un tres‑
grand Procez dans lequel
il s'agiſſoit de la meilleure
partie de leur fortune, fût
renvoyé au Parlement
39
Chagrins du Mariage.
de Bourgogne : ils y alle-rent, & me laiſſerent a-
vec cette gouvernante,
ſous la conduite d'une
tante qui mourut peu de
jours aprés leur départ, ſi
bien que je fus reduite à
cette ſeule gouvernante.
Cette femme au lieu d'e-
xaminer toutes mes ac-
tions pour les régler, m'a-
plaudiſſoit en tout, & é-
toit inceſſamment à me
loüer, en me diſant que
j'étois la plus belle fille de
Paris, & que j'allois faire
40
Les Agréemens & les
bien des conquêtes; celaeſt du goût d'une jeune
perſonne, auſſi prit-elle un
tres-grand aſcendant ſur
mon eſprit : c'eſtoit là ſon
but, vous le verrez par
la ſuitte.
Un jour me voyant
plus gaye, & plus em-
preſsée à m'ajuſter qu'à
l'ordinaire, elle prit ſon
temps pour me dire, que
ſi ma beauté me don-
noit du plaiſir, elle faiſoit
ſouffrir un tres-honnête
homme qui m'aimoit a-
lente, mais ſi ſoûmiſe &
ſi reſpectueuſe, qu'une
Reine même ne s'en of-
fenſeroit pas. Je luy en de-
manday le nom ; elle me
le tût, en me diſant qu'elle
vouloit me laiſſer deviner.
A la promenade le même
jour, je vis un homme qui
n'ôtoit point les yeux de
deſſus moy, & qui me
regardoit avec un air paſ-
ſionné ; nos regards ſe ren-
contrerent : ha ! ma chere,
que les hommes ſont
momens de ſurpriſe il
baiſſoit les yeux d'une
maniere ſi ſoûmiſe, & ſi
remplie de pudeur que je
l'aurois donné à imiter à
la plus habile novice de
nôtre Convent : le four-
be, le traître, ce n'étoit
que pour me ſurprendre.
Entendez-vous bien, que
c'eſt de Philabel dont je
parle ? par la ſuitte vous
verrez combien ma gou-
vernante étoit à luy : elle
me demanda aprés la pro-
mon amant; je crûs avoir
fait une belle découverte
en le luy dépeignant, elle
en convint. C'étoit un
homme à l'entendre parler,
qui n'avoit pas ſon égal
pour la nobleſſe, pour le
cœur, & pour le merite;
vrayement c'étoit bien de
l'honneur pour moy qu'il
voulût bien me rendre
viſite. Que l'on eſt ſote
quand on ne ſçait point
le monde ! je le recevois
tres-bien, & m'applaudiſ-
me donna un petit Chien
fort joly, un Perroquet
qui diſoit tout ; je paſſois
les journées à baiſer & à
careſſer ce petit Chien, le
Perroquet parloit toute la
nuit, & en criant repetoit
vingt fois, ingratte Frau-
deliſe ayez pitié de moy,
cruelle Fraudeliſe ayez
pitié du pauvre Philabel.
Il me mena à trois Come-
dies, à Berenice, à Ariane,
& à Andromaque ; à Be-
renice, il n'y a injure qu'il
reté ; à Ariane, il auroit
volontiers fait tirer l'épée
à Theſée pour le punir
de ſon infidelité ; à An-
dromaque, dans certains
endroits tendres & paſ-
ſionnez, où Pyrrus eſt mal-
traité d'Andromaque, il
me diſoit en pleurant, &
me ſerrant les mains, qu'il
étoit mille fois plus mal-
heureux que Pyrrus ; qu'-
Andromaque avoit ſujet
de haïr Pyrrus, puiſqu'il
avoit été ennemy d'Hec-
pour moy je n'avois point
de raiſon de le haïr, &
que cependant je le haïſ-
ſois. Je ris à ce diſcours;
qui n'en auroit pas fait
autant à ma place ? je me
fis une groſſe affaire avec
luy, & pendant le reſte
de la Comedie il parut
dans le dernier chagrin.
plus gaye, & plus em-
preſsée à m'ajuſter qu'à
l'ordinaire, elle prit ſon
temps pour me dire, que
ſi ma beauté me don-
noit du plaiſir, elle faiſoit
ſouffrir un tres-honnête
homme qui m'aimoit a-
vec
41
Chagrins du Mariage.
vec une paſſion tres-vio-lente, mais ſi ſoûmiſe &
ſi reſpectueuſe, qu'une
Reine même ne s'en of-
fenſeroit pas. Je luy en de-
manday le nom ; elle me
le tût, en me diſant qu'elle
vouloit me laiſſer deviner.
A la promenade le même
jour, je vis un homme qui
n'ôtoit point les yeux de
deſſus moy, & qui me
regardoit avec un air paſ-
ſionné ; nos regards ſe ren-
contrerent : ha ! ma chere,
que les hommes ſont
D
Troiſiéme Partie.
42
Les Agréemens & les
trompeurs ! oüy dans cesmomens de ſurpriſe il
baiſſoit les yeux d'une
maniere ſi ſoûmiſe, & ſi
remplie de pudeur que je
l'aurois donné à imiter à
la plus habile novice de
nôtre Convent : le four-
be, le traître, ce n'étoit
que pour me ſurprendre.
Entendez-vous bien, que
c'eſt de Philabel dont je
parle ? par la ſuitte vous
verrez combien ma gou-
vernante étoit à luy : elle
me demanda aprés la pro-
D ij
43
Chagrins du Mariage.
menade, ſi j'avois reconnumon amant; je crûs avoir
fait une belle découverte
en le luy dépeignant, elle
en convint. C'étoit un
homme à l'entendre parler,
qui n'avoit pas ſon égal
pour la nobleſſe, pour le
cœur, & pour le merite;
vrayement c'étoit bien de
l'honneur pour moy qu'il
voulût bien me rendre
viſite. Que l'on eſt ſote
quand on ne ſçait point
le monde ! je le recevois
tres-bien, & m'applaudiſ-
44
Les Agréemens & les
ſois de cette conquête : ilme donna un petit Chien
fort joly, un Perroquet
qui diſoit tout ; je paſſois
les journées à baiſer & à
careſſer ce petit Chien, le
Perroquet parloit toute la
nuit, & en criant repetoit
vingt fois, ingratte Frau-
deliſe ayez pitié de moy,
cruelle Fraudeliſe ayez
pitié du pauvre Philabel.
Il me mena à trois Come-
dies, à Berenice, à Ariane,
& à Andromaque ; à Be-
renice, il n'y a injure qu'il
45
Chagrins du Mariage.
ne dît à Titus ſur ſa du-reté ; à Ariane, il auroit
volontiers fait tirer l'épée
à Theſée pour le punir
de ſon infidelité ; à An-
dromaque, dans certains
endroits tendres & paſ-
ſionnez, où Pyrrus eſt mal-
traité d'Andromaque, il
me diſoit en pleurant, &
me ſerrant les mains, qu'il
étoit mille fois plus mal-
heureux que Pyrrus ; qu'-
Andromaque avoit ſujet
de haïr Pyrrus, puiſqu'il
avoit été ennemy d'Hec-
46
Les Agréemens & les
tor ſon mary, mais quepour moy je n'avois point
de raiſon de le haïr, &
que cependant je le haïſ-
ſois. Je ris à ce diſcours;
qui n'en auroit pas fait
autant à ma place ? je me
fis une groſſe affaire avec
luy, & pendant le reſte
de la Comedie il parut
dans le dernier chagrin.
Le lendemain je ne le
vids point, il étoit ma-
lade, tous les jours ſon
mal augmentoit, il ne
vouloit plus prendre de
& vouloit mourir à ce
que l'on me rapportoit :
ma charitable gouver-
nante entreprit de me
faire entendre que j'avois
fait une tres-grande faute,
& qu'avec certains hom-
mes tendres, il n'en fal-
oit pas tant pour les faire
mourir.
vids point, il étoit ma-
lade, tous les jours ſon
mal augmentoit, il ne
vouloit plus prendre de
47
Chagrins du Mariage.
nourriture, ny de remede,& vouloit mourir à ce
que l'on me rapportoit :
ma charitable gouver-
nante entreprit de me
faire entendre que j'avois
fait une tres-grande faute,
& qu'avec certains hom-
mes tendres, il n'en fal-
oit pas tant pour les faire
mourir.
Au plus vîte la plume
à la main, je luy fais ſatis-
faction, j'écris deux ou
trois fois, ou plutôt j'en-
voye des copies de ma
illuſtre gouvernante com-
poſoit ; j'eſtois de bonne
foy, je m'imaginois qu'il
s'agiſſoit de ſauver la vie
à un homme à qui je
croyois avoir quelques o-
bligations : les Lettres ne
parloient que de la vio-
lente paſſion que j'avois
pour luy, de l'empreſſe-
ment que j'avois de luy
en donner des marques,
& de tout faire plutôt
que de le voir plus long-
temps malade ; n'étois-je
n'étois-je pas bien en gou-
vernante ? vous en jugerez
mieux par la ſuite : le ma-
lade ne vouloit point gue-
rir, ny ſortir du lit; il
falut que j'allaſſe le rele-
ver, c'étoit avec repu-
gnance; je n'avois aucu-
ne inclination particuliere
pour ſa perſonne, il ne
touchoit point mon cœur;
ſa veuë ne me donnoit ny
de plaiſir, ny de trouble,
ſes façons concertées &
peu naturelles ne me plai-
mois de luy que ſon petit
chien, & ſon Perroquet.
Nous le trouvâmes cou-
ché dans ſon lit avec un
abattement d'agoniſant :
l'on débutta par nous dire
qu'il y avoit trois jours
qu'il n'avoit pris de nour-
riture ; par reſpect com-
me ſi j'avois été un habile
Medecin, ceux qui é-
toient dans la chambre,
& ma gouvernante ſe
retirerent dans une autre,
& me laiſſerent ſeule a-
ſonner en ſecret de l'état
de ſa maladie ; la premiere
choſe qu'il me dit, fut
qu'il étoit reſolu de mou-
rir, & que puiſque je ne
voulois point l'aimer, la
vie luy étoit odieuſe, &
qu'il ne ſouhaitoit rien
tant que d'en ſortir. Je
vous avoüe que je crûs
qu'il parloit de bonne
foy, & qu'il me fit pitié ;
je ne rappellay à la vie le
mieux que je pûs, & luy
promis tout ce qu'il vou-
tablit, & prit de la nour-
riture devant moy. Ad-
mirez, je vous prie, ma
ſimplicité ; il prend un
boüillon, je m'applaudis
de cette belle cure, il me
rend mille graces, il me
baiſe mille fois les bras;
je n'avois garde de l'em-
pêcher de faire, de crainte
d'une rechûte ; ma ſotte
complaiſance l'enhardit,
ha l'inſolent ! oüy contre
ce malade, contre cet
agoniſant j'eus beſoin de
& de toutes mes forces.
Echappée je luy fis mille
reproches outrageans, a-
vec défenſese de ſe pre-
ſenter jamais devant mes
yeux ; j'appellay ma gou-
vernante qui étoit dans
une autre chambre aſſou-
pie, & ſorty avec elle de
ce logis ; j'étois plus fu-
rieuſe qu'un Lion : quoy,
luy diſois-je, Philabel n'eſt
donc qu'un impudent, un
fourbe, un ſcelerat, ſans
tendreſſe, & ſans reſpect
mande qu'à triompher de
ma foibleſſe, & de mon
honneur ! n'étois-je pas
une jolie fille, ajoutois-je,
ſi je m'étois pas mal dé-
fenduë, & oſerois-je pa-
roître dans le monde ? je
dis quantité d'autres cho-
ſes trop longues à rap-
porter. Penant tout ce
diſcours mon honnête
gouvernante m'écoutoit
tranquillement, & me
voyant un peu plus calme
me dit qu'il ne falloit
une moindre beauté n'au-
roit pas produit de ſi
grands effets; qu'elle con-
noiſſoit de tres-habiles
femmes à qui la même
choſe étoit arrivée, qui
n'en avoient point parlé;
& quoy-qu'elles euſ-
ſent feint de la colere &
du reſſentiment contre
les cabaliers, elles les en
eſtimoient davantage dans
le fond de leurs cœurs ;
que c'étoit le party que
je devois prendre, que
arrivée à d'autres filles
de qualité qu'à moy,
qui ne s'en étoient pas ti-
rées ainſi, & qui cepen-
dant n'étoient pas moins
eſtimées dans le monde.
A ce diſcours je m'aper-
ceus de tous les méchans
deſſeins qu'elle avoit con-
tre moy, & de ſon in-
telligence avec Philabel
pour me perdre : que d'in-
dignation, que de fureur
j'eus contr'elle ! cepen-
dant il falloit diſſimuler
à la main, je luy fais ſatis-
faction, j'écris deux ou
trois fois, ou plutôt j'en-
voye des copies de ma
48
Les Agréemens & les
main des Lettres que monilluſtre gouvernante com-
poſoit ; j'eſtois de bonne
foy, je m'imaginois qu'il
s'agiſſoit de ſauver la vie
à un homme à qui je
croyois avoir quelques o-
bligations : les Lettres ne
parloient que de la vio-
lente paſſion que j'avois
pour luy, de l'empreſſe-
ment que j'avois de luy
en donner des marques,
& de tout faire plutôt
que de le voir plus long-
temps malade ; n'étois-je
pas
49
Chagrins du Mariage.
pas une fille bien ſage ?n'étois-je pas bien en gou-
vernante ? vous en jugerez
mieux par la ſuite : le ma-
lade ne vouloit point gue-
rir, ny ſortir du lit; il
falut que j'allaſſe le rele-
ver, c'étoit avec repu-
gnance; je n'avois aucu-
ne inclination particuliere
pour ſa perſonne, il ne
touchoit point mon cœur;
ſa veuë ne me donnoit ny
de plaiſir, ny de trouble,
ſes façons concertées &
peu naturelles ne me plai-
E
Troiſiéme Partie.
50
Les Agréemens & les
ſoient point, & je n'ay-mois de luy que ſon petit
chien, & ſon Perroquet.
Nous le trouvâmes cou-
ché dans ſon lit avec un
abattement d'agoniſant :
l'on débutta par nous dire
qu'il y avoit trois jours
qu'il n'avoit pris de nour-
riture ; par reſpect com-
me ſi j'avois été un habile
Medecin, ceux qui é-
toient dans la chambre,
& ma gouvernante ſe
retirerent dans une autre,
& me laiſſerent ſeule a-
51
Chagrins du Mariage.
vec le malade pour rai-ſonner en ſecret de l'état
de ſa maladie ; la premiere
choſe qu'il me dit, fut
qu'il étoit reſolu de mou-
rir, & que puiſque je ne
voulois point l'aimer, la
vie luy étoit odieuſe, &
qu'il ne ſouhaitoit rien
tant que d'en ſortir. Je
vous avoüe que je crûs
qu'il parloit de bonne
foy, & qu'il me fit pitié ;
je ne rappellay à la vie le
mieux que je pûs, & luy
promis tout ce qu'il vou-
E ij
52
Les Agréemens & les
lut, pourveu qu'il ſe ré-tablit, & prit de la nour-
riture devant moy. Ad-
mirez, je vous prie, ma
ſimplicité ; il prend un
boüillon, je m'applaudis
de cette belle cure, il me
rend mille graces, il me
baiſe mille fois les bras;
je n'avois garde de l'em-
pêcher de faire, de crainte
d'une rechûte ; ma ſotte
complaiſance l'enhardit,
ha l'inſolent ! oüy contre
ce malade, contre cet
agoniſant j'eus beſoin de
53
Chagrins du Mariage.
mes dents, de mes ongles,& de toutes mes forces.
Echappée je luy fis mille
reproches outrageans, a-
vec défenſese de ſe pre-
ſenter jamais devant mes
yeux ; j'appellay ma gou-
vernante qui étoit dans
une autre chambre aſſou-
pie, & ſorty avec elle de
ce logis ; j'étois plus fu-
rieuſe qu'un Lion : quoy,
luy diſois-je, Philabel n'eſt
donc qu'un impudent, un
fourbe, un ſcelerat, ſans
tendreſſe, & ſans reſpect
E iij
54
Les Agréemens & les
pour moy, & qui ne de-mande qu'à triompher de
ma foibleſſe, & de mon
honneur ! n'étois-je pas
une jolie fille, ajoutois-je,
ſi je m'étois pas mal dé-
fenduë, & oſerois-je pa-
roître dans le monde ? je
dis quantité d'autres cho-
ſes trop longues à rap-
porter. Penant tout ce
diſcours mon honnête
gouvernante m'écoutoit
tranquillement, & me
voyant un peu plus calme
me dit qu'il ne falloit
55
Chagrins du Mariage.
point m'alarmer, & qu'-une moindre beauté n'au-
roit pas produit de ſi
grands effets; qu'elle con-
noiſſoit de tres-habiles
femmes à qui la même
choſe étoit arrivée, qui
n'en avoient point parlé;
& quoy-qu'elles euſ-
ſent feint de la colere &
du reſſentiment contre
les cabaliers, elles les en
eſtimoient davantage dans
le fond de leurs cœurs ;
que c'étoit le party que
je devois prendre, que
E iiij
56
Les Agréemens & les
pareille avanture étoitarrivée à d'autres filles
de qualité qu'à moy,
qui ne s'en étoient pas ti-
rées ainſi, & qui cepen-
dant n'étoient pas moins
eſtimées dans le monde.
A ce diſcours je m'aper-
ceus de tous les méchans
deſſeins qu'elle avoit con-
tre moy, & de ſon in-
telligence avec Philabel
pour me perdre : que d'in-
dignation, que de fureur
j'eus contr'elle ! cepen-
dant il falloit diſſimuler
57
Chagrins du Mariage.
ou tout perdre.De retour au logis je
m'enfermay ſeule dans ma
chambre, où refléchiſſant
ſur la vie douce & tran-
quile que j'avois menée
dans le Convent; ſur les
agitations, & les inquie-
tudes que j'avois reſſenties
depuis que j'en étois ſor-
tie, les tromperies & les
infidelités que l'on m'a-
voit faites, le peu de du-
rée des plaiſirs de cette
vie, ſa brieveté, la mort
ſubite de ma tante, & ſur
blables, je pris la reſolu-
tion de quitter le monde
& de me faire Religieuſe,
& je n'attendois que l'ar-
rivée de mon pere & de
ma mere de Dijon pour
l'executer. Voicy com-
ment je vivois ; je paſſois
les journées entieres à lire
la vie des Anacoretes, &
des Peres du Deſert, char-
mée de cette lecture, &
dans une forte envie de
les imiter ; j'avois renon-
cé à toute ſorte d'ajuſte-
que pour aller à l'Egliſe;
je n'avois de l'attache-
ment pour aucune choſe
du monde, & je ne goû-
tois d'autres plaiſirs que
ceux que mon petit Chien,
& mon Perroquet me
donnoient ; encore m'en
fis-je par la ſuitte un ſcru-
pule à cauſe de la main
dont je les tenois, & pris
la reſolution de les ren-
voyer à Philabel, ce que
j'executay : ha ! que mon
petit cœur bondît, & ſouf-
porter ; il me ſembloit
voir de la douleur dans
les yeux de ces deuxs pau-
vres petits animaux en
me quittant, & j'eus be-
ſoin de toute la force de
mon eſprit pour n'en être
pas tout à fait attendrie.
Il n'y avoit pas un quart
d'heure que la perſonne
qui les portoit étoit ſortie,
lors que je vis entrer dans
ma chambre Philabel,
& ſe jetter à mes pieds, le
teint pâle & abattu, les
le deſeſpoir peint ſur le
viſage, & dans un état ſi
touchant, & ſi penetré
de douleur, qu'il n'y a
point de cœur aſſez dur
pour l'y voir ſans émo-
tion. Il me dit qu'il étoit
un perfide, un ſcelerat,
un brutal indigne de pa-
roître devant moy ; qu'il
venoit me demander par-
don, & laver dans ſon
ſang l'offenſe & l'injure
qu'il m'avoit faite. Dans
ce moment il tire du fou-
ſon côté, & levant le bras
il alloit ſe la plonger dans
le ſein, ſi je ne l'euſſe re-
tenu. Enfin il falloit luy
pardonner ou le voir
mourir : Je le fis, parce
que, diſois-je, le pardon
des injures eſt une grande
vertu. Pour témoignage
d'un entier pardon, je fus
contrainte de reprendre le
petit Chien, & le Perro-
quet : ce fut avec peu de
violence, comme vous
pouvez juger; je luy fis
j'avois priſe de renoncer
au monde, & de me faire
Religieuſe ; je l'invitay à
m'imiter; il fit ce qu'il
pût pour m'en détourner,
& comme je luy parûs
ferme, il me témoigna
qu'il prendroit le même
party, puiſque ſans moy
le monde luy ſeroit à
charge, & inſuportable.
Enfin nous nous quitta-
mes avec des adieux tou-
chans de part & d'autre;
je tiray parole de luy qu'il
ſite, puiſque ſe veuë étoit
contraire à mes deſſeins; il
en tira auſſi une de moy,
qu'au cas que je changeaſſe
de reſolution, & que je
reſtaſſe dans le monde je
n'aimerois autre que luy,
& que je ne ſerois que
pour luy. Ma reſolution
me paroiſſoit ſi forte d'être
Religieuſe, que je crûs de
ne rien riſquer par cette
promeſſe ; cependant vous
verrez par la ſuitte que
mon malheur d'aujour-
prudente parole.
m'enfermay ſeule dans ma
chambre, où refléchiſſant
ſur la vie douce & tran-
quile que j'avois menée
dans le Convent; ſur les
agitations, & les inquie-
tudes que j'avois reſſenties
depuis que j'en étois ſor-
tie, les tromperies & les
infidelités que l'on m'a-
voit faites, le peu de du-
rée des plaiſirs de cette
vie, ſa brieveté, la mort
ſubite de ma tante, & ſur
58
Les Agréemens & les
mille autres choſes ſem-blables, je pris la reſolu-
tion de quitter le monde
& de me faire Religieuſe,
& je n'attendois que l'ar-
rivée de mon pere & de
ma mere de Dijon pour
l'executer. Voicy com-
ment je vivois ; je paſſois
les journées entieres à lire
la vie des Anacoretes, &
des Peres du Deſert, char-
mée de cette lecture, &
dans une forte envie de
les imiter ; j'avois renon-
cé à toute ſorte d'ajuſte-
59
Chagrins du Mariage.
mens, & je ne ſortoisque pour aller à l'Egliſe;
je n'avois de l'attache-
ment pour aucune choſe
du monde, & je ne goû-
tois d'autres plaiſirs que
ceux que mon petit Chien,
& mon Perroquet me
donnoient ; encore m'en
fis-je par la ſuitte un ſcru-
pule à cauſe de la main
dont je les tenois, & pris
la reſolution de les ren-
voyer à Philabel, ce que
j'executay : ha ! que mon
petit cœur bondît, & ſouf-
60
Les Agréemens & les
frît quand je les vis em-porter ; il me ſembloit
voir de la douleur dans
les yeux de ces deuxs pau-
vres petits animaux en
me quittant, & j'eus be-
ſoin de toute la force de
mon eſprit pour n'en être
pas tout à fait attendrie.
Il n'y avoit pas un quart
d'heure que la perſonne
qui les portoit étoit ſortie,
lors que je vis entrer dans
ma chambre Philabel,
& ſe jetter à mes pieds, le
teint pâle & abattu, les
61
Chagrins du Mariage.
yeux baignez de larmes,le deſeſpoir peint ſur le
viſage, & dans un état ſi
touchant, & ſi penetré
de douleur, qu'il n'y a
point de cœur aſſez dur
pour l'y voir ſans émo-
tion. Il me dit qu'il étoit
un perfide, un ſcelerat,
un brutal indigne de pa-
roître devant moy ; qu'il
venoit me demander par-
don, & laver dans ſon
ſang l'offenſe & l'injure
qu'il m'avoit faite. Dans
ce moment il tire du fou-
62
Les Agréemens & les
reau l'épée qu'il avoit à ſon côté, & levant le bras
il alloit ſe la plonger dans
le ſein, ſi je ne l'euſſe re-
tenu. Enfin il falloit luy
pardonner ou le voir
mourir : Je le fis, parce
que, diſois-je, le pardon
des injures eſt une grande
vertu. Pour témoignage
d'un entier pardon, je fus
contrainte de reprendre le
petit Chien, & le Perro-
quet : ce fut avec peu de
violence, comme vous
pouvez juger; je luy fis
63
Chagrins du Mariage.
ſçavoir la reſolution quej'avois priſe de renoncer
au monde, & de me faire
Religieuſe ; je l'invitay à
m'imiter; il fit ce qu'il
pût pour m'en détourner,
& comme je luy parûs
ferme, il me témoigna
qu'il prendroit le même
party, puiſque ſans moy
le monde luy ſeroit à
charge, & inſuportable.
Enfin nous nous quitta-
mes avec des adieux tou-
chans de part & d'autre;
je tiray parole de luy qu'il
64
Les Agréemens & les
ne me rendroit plus de vi-ſite, puiſque ſe veuë étoit
contraire à mes deſſeins; il
en tira auſſi une de moy,
qu'au cas que je changeaſſe
de reſolution, & que je
reſtaſſe dans le monde je
n'aimerois autre que luy,
& que je ne ſerois que
pour luy. Ma reſolution
me paroiſſoit ſi forte d'être
Religieuſe, que je crûs de
ne rien riſquer par cette
promeſſe ; cependant vous
verrez par la ſuitte que
mon malheur d'aujour-
d'huy
65
Chagrins du Mariage.
d'huy vient de cette im-prudente parole.
Je continuay donc à
vivre de la maniere que
je viens de vous dire ; je
ne ſortois point, je ne
voyois perſonne, je paſ-
ſois les journées entieres
ſeule, & ſans parure ; u-
niquement occupée à lire,
à mediter, ou à prier Dieu
dans ma chambre, encore
l'avois-je tournée d'une
ſorte qu'on l'auroit priſe
pour une celule de Reli-
gieuſe. Un jour comme
que je viens de vous dire,
ma mere qui arrivoit de
Dijon, & un homme qui
luy donnoit la main m'y
ſuprirent : quel étonne-
ment de part & d'autre!
moy d'avoir été ainſi trou-
vée par elle, & par cet
homme, dans le temps
que je la croyois encore
pour long-temps à Dijon;
& elle de me voir en cet
état : la pauvre femme en
fut ſenſiblement touchée,
ſa premiere penſée fut que
produit cet effet : elle me
jetta les bras au col &
m'embraſſa tendrement,
ſans pouvoir me parler;
de mon côté je fondois en
larmes entre ſes bras, &
à peine pouvois-je reſ-
pirer. Aprés ces premiers
mouvemens, faiſant un
effort ſur moy, je me
jettay à ſes pieds, & luy
embraſſant les genoux, je
luy demanday ſon agrée-
ment pour entrer dans un
Convent, & pour y être
moy d'enfant, elle m'aime
beaucoup, jugez de ſes
ſentimens : elle ne s'ouvrit
point, & ſans témoigner
de repugnance à mes deſ-
ſeins, elle me releva, &
me tenant embraſſée, elle
me dit qu'elle ne com-
battroit point ma reſolu-
tion ſi elle venoit du ciel;
mais qu'auparavant il fa-
loit la reconnoître, & ne
prendre pas le change; que
quelques-fois nôtre jeu-
neſſe, nôtre inégalité, &
du monde y avoient le
plus de part; que cepen-
dant ces ſortes d'engage-
mens étoient de tres-gran-
de conſequence, étant
pour toute nôtre vie ; que
par cette raiſon il falloit y
bien penſer, puiſqu'il n'y
avoit plus de retour. Elle
ajoûta que j'étois encore
bien jeune pour faire un
juſte diſcernement du
monde, & de la Reli-
gion ; qu'il n'y avoit rien
que preſsât, que je devois
me une fille de mon âge
& de ma qualité, & ne
point me diſtinguer avec
des manieres ſingulieres
& extraordinaires ; que ſi
par la ſuitte cette penſée
continuoit, elle apporte-
roit toutes les facilités poſ-
ſibles à ſon execution : elle
me preſenta l'homme qui
luy donnoit la main, en
me diſant que c'étoit le
meilleur amy de la famille,
& tres-capable de me don-
ner de bons conſeils ; en-
cet homme, & me laiſſa
ſeule dans ma chambre,
où je fis beaucoup de re-
flexions ſur tout ce qui
m'étoit arrivé, & ſur tout
ce qui m'avoit été dit.
vivre de la maniere que
je viens de vous dire ; je
ne ſortois point, je ne
voyois perſonne, je paſ-
ſois les journées entieres
ſeule, & ſans parure ; u-
niquement occupée à lire,
à mediter, ou à prier Dieu
dans ma chambre, encore
l'avois-je tournée d'une
ſorte qu'on l'auroit priſe
pour une celule de Reli-
gieuſe. Un jour comme
F
Troiſiéme Partie.
66
Les Agréemens & les
j'y étois dans l'occupationque je viens de vous dire,
ma mere qui arrivoit de
Dijon, & un homme qui
luy donnoit la main m'y
ſuprirent : quel étonne-
ment de part & d'autre!
moy d'avoir été ainſi trou-
vée par elle, & par cet
homme, dans le temps
que je la croyois encore
pour long-temps à Dijon;
& elle de me voir en cet
état : la pauvre femme en
fut ſenſiblement touchée,
ſa premiere penſée fut que
67
Chagrins du Mariage.
la mort de ma tante avoit produit cet effet : elle me
jetta les bras au col &
m'embraſſa tendrement,
ſans pouvoir me parler;
de mon côté je fondois en
larmes entre ſes bras, &
à peine pouvois-je reſ-
pirer. Aprés ces premiers
mouvemens, faiſant un
effort ſur moy, je me
jettay à ſes pieds, & luy
embraſſant les genoux, je
luy demanday ſon agrée-
ment pour entrer dans un
Convent, & pour y être
F ij
68
Les Agréemens & les
Religieuſe ; elle n'a quemoy d'enfant, elle m'aime
beaucoup, jugez de ſes
ſentimens : elle ne s'ouvrit
point, & ſans témoigner
de repugnance à mes deſ-
ſeins, elle me releva, &
me tenant embraſſée, elle
me dit qu'elle ne com-
battroit point ma reſolu-
tion ſi elle venoit du ciel;
mais qu'auparavant il fa-
loit la reconnoître, & ne
prendre pas le change; que
quelques-fois nôtre jeu-
neſſe, nôtre inégalité, &
69
Chagrins du Mariage.
quelque dégoùt paſſagerdu monde y avoient le
plus de part; que cepen-
dant ces ſortes d'engage-
mens étoient de tres-gran-
de conſequence, étant
pour toute nôtre vie ; que
par cette raiſon il falloit y
bien penſer, puiſqu'il n'y
avoit plus de retour. Elle
ajoûta que j'étois encore
bien jeune pour faire un
juſte diſcernement du
monde, & de la Reli-
gion ; qu'il n'y avoit rien
que preſsât, que je devois
F iij
70
Les Agréemens & les
m'habiller & vivre com-me une fille de mon âge
& de ma qualité, & ne
point me diſtinguer avec
des manieres ſingulieres
& extraordinaires ; que ſi
par la ſuitte cette penſée
continuoit, elle apporte-
roit toutes les facilités poſ-
ſibles à ſon execution : elle
me preſenta l'homme qui
luy donnoit la main, en
me diſant que c'étoit le
meilleur amy de la famille,
& tres-capable de me don-
ner de bons conſeils ; en-
71
Chagrins du Mariage.
ſuite elle ſe retira aveccet homme, & me laiſſa
ſeule dans ma chambre,
où je fis beaucoup de re-
flexions ſur tout ce qui
m'étoit arrivé, & ſur tout
ce qui m'avoit été dit.
Finiſſons, ma chere
Leſbie, je ſens que je me
laiſſerois aller à un recit
qui m'attendriroit de ſor-
te que je ne ſerois plus en
état de me ſervir des avis
que j'attens de vôtre ami-
tié. Enfin cet homme que
ma mere m'avoit donné
game ; c'étoit contre ſon
pere que nous plaidions,
ce procés coûtoit déja
plus de cent mille écus, il
s'agiſſoit de la legitime de
mon biſayeul, du comte
de tutelle de mon ayeule,
& de deux ſucceſſions de
mes oncles, c'eſt à dire
que ce procés devoit nous
ruïner ſans jamais finir ;
par bon-heur il étoit au
rapport d'un Conſeiller
des plus éclairez, & des
plus deſ-intereſſez de ce
expliqua avec les parties,
leur fit comprendre que
ny leurs biens, ny leurs
vies ne pouroient le ter-
miner ; & par une bonté
qui n'eſt pas ordinaire aux
Juges qui ne veulent que
juger, il voulut s'inſtruire
de l'état des familles des
parties, & apprenant que
le pere de Philogame
l'une des parties n'avoit
que luy de fils & d'heri-
tier, & que mon pere
l'autre partie n'avoit que
tiere ; que nos âges & nos
qualités étoient aſſortiſ-
ſans : il propoſa pour finir
ce procés le mariage de
Philogame, & de moy,
ce qui fut agreé, ſi bien
que s'étant rendu maître
abſolu de l'affaire, au lieu
d'Arreſt il nous donna des
Articles de mariage, com-
prenant une tranſaction
& une donnation à nôtre
profit de tout ce qui étoit
conteſté, qui fut ſignée a-
vec plaiſir.
Leſbie, je ſens que je me
laiſſerois aller à un recit
qui m'attendriroit de ſor-
te que je ne ſerois plus en
état de me ſervir des avis
que j'attens de vôtre ami-
tié. Enfin cet homme que
ma mere m'avoit donné
72
Les Agréemens & les
pour conſeil étoit Philo-game ; c'étoit contre ſon
pere que nous plaidions,
ce procés coûtoit déja
plus de cent mille écus, il
s'agiſſoit de la legitime de
mon biſayeul, du comte
de tutelle de mon ayeule,
& de deux ſucceſſions de
mes oncles, c'eſt à dire
que ce procés devoit nous
ruïner ſans jamais finir ;
par bon-heur il étoit au
rapport d'un Conſeiller
des plus éclairez, & des
plus deſ-intereſſez de ce
Parlement,
73
Chagrins du Mariage.
Parlement : ce Juge s'enexpliqua avec les parties,
leur fit comprendre que
ny leurs biens, ny leurs
vies ne pouroient le ter-
miner ; & par une bonté
qui n'eſt pas ordinaire aux
Juges qui ne veulent que
juger, il voulut s'inſtruire
de l'état des familles des
parties, & apprenant que
le pere de Philogame
l'une des parties n'avoit
que luy de fils & d'heri-
tier, & que mon pere
l'autre partie n'avoit que
G
Troiſiéme Partie.
74
Les Agréemens & les
moy de fille, & d'heri-tiere ; que nos âges & nos
qualités étoient aſſortiſ-
ſans : il propoſa pour finir
ce procés le mariage de
Philogame, & de moy,
ce qui fut agreé, ſi bien
que s'étant rendu maître
abſolu de l'affaire, au lieu
d'Arreſt il nous donna des
Articles de mariage, com-
prenant une tranſaction
& une donnation à nôtre
profit de tout ce qui étoit
conteſté, qui fut ſignée a-
vec plaiſir.
75
Chagrins du Mariage.
Enfin les parties recon-
ciliées vinrent à Paris pour
conclure le Mariage, dans
le temps que ma mere &
Philogame me ſurprirent
(comme je viens de vous
dire) ils ne trouverent
pas à propos de me dire
cette nouvelle juſques à
ce que mon eſprit fut
dans une autre aſſiette.
Philogame venoit me voir
ſouvent dans ma chambre;
au commencement je le
regardois comme amy de
la maiſon, & comme un
voit donné.
ciliées vinrent à Paris pour
conclure le Mariage, dans
le temps que ma mere &
Philogame me ſurprirent
(comme je viens de vous
dire) ils ne trouverent
pas à propos de me dire
cette nouvelle juſques à
ce que mon eſprit fut
dans une autre aſſiette.
Philogame venoit me voir
ſouvent dans ma chambre;
au commencement je le
regardois comme amy de
la maiſon, & comme un
G ij
76
Les Agréemens & les
conſeil que ma mere m'a-voit donné.
Ha ! qu'il eſt difficile,
ma chere Leſbie, de ne
ſuivre pas les conſeils d'un
homme fait comme Phi-
logame, quand ils ont une
fin telle que celle qu'ils a-
voient ! je ne ſçay ſi vous
l'avez veu ; c'eſt l'homme
de Paris le mieux fait, &
le plus agreable ; un air
de qualité, ouvert & ſin-
cere ; les manieres gran-
des, honnêtes, & tou-
chantes ; l'eſprit fin & de-
ſionné, & également ca-
pable de prendre de gran-
des paſſions, comme d'en
donner : auſſi l'éprouvai-
je par la ſuitte ; je n'avois
l'eſprit, & le cœur rem-
ply que de luy, je ne dor-
mois ny le jour ny la nuit,
& je m'occupois unique-
ment à découvrir quel
ſentiment il avoit pour
moy ; manquoit-il un jour
à venir me voir, ou ve-
noit-il plus tard, ou ſe re-
tiroit-il plutôt, j'en étois
toujours dans les ſenti-
mens de la Religion, non
pas tant par le dégoût que
j'avois du monde, que par
l'éloignement, que je vo-
yois à pouvoir être à Phi-
logame. Je ne compre-
nois rien à ſes ſentimens;
en certain temps je cro-
yois qu'il avoit de la diſ-
poſition à me vouloir du
bien ; en d'autres qu'il ſe
moquoit de mes foibleſſes
& de moy ; en d'autres
qu'il étoit amy de la fa-
mere, & travailloit à me
ranger à ſes volontez.
Un jour qu'il étoit plus
rêveur qu'à l'ordinaire,
& que je luy en faiſois la
guerre, il m'apprit ce que
je ſouhaitois tant de ſça-
voir ; & tenant une de
mes mains ſerrée dans les
ſiennes, avec un tranſport
plus tendre, & plus paſ-
ſionné qu'à ſon ordinaire,
il m'avoüa que je luy é-
tois promiſe par des arti-
cles de mariage : il me de-
fait ſans mon aveu, & du
miſtére qu'il m'en avoit
fait ; il m'apprit de quelle
maniere les choſes avoient
été terminées, & com-
ment par là nôtre grand
procés étoit finy ; il me
jura enſuite que jamais
homme n'avoit tant aimé
qu'il m'aimoit ; que je ſe-
rois toûjours la maîtreſſe
de ſa deſtinée ; qu'il ne
pretendoit pas contraindre
mes volontez, & qu'il
preferoit le bon-heur de
mon époux. Jamais fille
ne fut plus ſoûmiſe aux
volontez de ſes parens que
je la parus ; je luy dis que
je n'étois point fâchée que
le ciel m'eut choiſie pour
un ſujet qui devoit finir
un procés ſi pernicieux à
nos familles, & que je n'y
aporterois jamais d'obſ-
tacle. Helas ! ma chere
Leſbie, quel reproche o-
bligeant ne me fit-il point
dans ce moment ! Je n'a-
vois diſoit-il, pour luy
me, & de reconnoiſſance ;
je n'étois point touchée de
ſa paſſion ; je n'agiſſois
que par conſidération ; &
enfin de la maniere dont
il m'aimoit, ſi mon cœur
ne changeoit, il ne devien-
droit pas plus heureux en
m'épouſant. Cette con-
verſation fut interrompuë
par la preſence de ma
mere qui entra dans ma
chambre, & nous trouva
tous deux fort déconcer-
tez. Philogame ſe retira
enſemble : je rendis com-
te à ma mere de la con-
verſation, & de ce que
Philogame m'avoit dit ;
elle me le confirma, &
me témoigna que ſi je
voulois luy plaire, je ne
tarderois pas à l'épouſer.
Je luy témoignay beau-
coup de reſpect & de ſoû-
miſſion à ſes volontez ;
enſuite elle ſe retira fort
ſatisfaite, & me laiſſa
ſeule dans ma chambre.
C'eſt icy, ma mere Leſ-
expliquer l'état où je me
trouvay dans ce moment :
Je me formois des plaiſirs
imaginaires, en me repre-
ſentant l'avantage de faire
finir un ſi grand procés ;
la gloire & le bon-heur
d'être à Philogame ; l'hon-
nêteté qu'il avoit de ne
vouloir me tenir que de
moy-même ; cette ſoû-
miſſion de me rendre maî-
treſſe abſoluë de ſa deſ-
tinée ; cette delicateſſe de
ſentimens, de ſouhaiter
moy, que de devenir mon
époux. Ouy, ouy, il eſt
impoſſible de concevoir
les tranſports de ſatisfac-
tion & de joye que je
reſſentis ; mais le ciel nous
vend toûjours bien cher
les plaiſirs que nous goû-
tons dans cette vie, &
ſur tout à moy qui ſuis
la plus mal-heureuſe fille
du monde, comme vous
allez voir. Dans ce même
moment, Philabel qui a-
voit appris l'attachement
& qu'il étoit ſur le point
de m'épouſer, pouſſé de
deſeſpoir, & de fureur,
m'écrivait une Lettre par
laquelle il me prioit de
me reſſouvenir de la pa-
role que je luy avois don-
née, de n'être à d'autre
qu'à luy, & me menaçoit
ſi j'y manquois de faire
voir mes Lettres à Philo-
game, de les publier dans
le monde, & de me per-
dre de reputation, ne ſe
croyant pas obligé de gar-
qui luy manquoit la pre-
miere. Ha ! quelle chûte
de bon-heur à la lecture
de cette Lettre ! quelle
inquietude ! quelle dou-
leur ! que faire ? Il me ſem-
bloit déja voir mes Lettres
courre dans le monde, &
dans les mains de Philo-
game ; comment arrêter
un ſemblable coup, à qui
recourir ? il falloit bien
par neceſſité m'adreſſer à
ma gouvernante, à cauſe
de la liaiſon qu'elle avoit
fait, me dit-elle, une trés-
grande faute d'avoir pro-
mis à Philabel que vous
ne ſeriez à d'autre qu'à
luy ; & vous devriez pour
vous juſtifier, luy faire
entendre que vous l'ai-
mez, que vous n'aimez
point Philogame, que
vous ne l'épouſez que
pour obéir aux ordres
d'un pere ſevere, & que
vous n'en ſerez pas moins
à luy. Je l'ay fait par la
Lettre que je luy ai écrite
bée entre les mains de Phi-
logame, & qui me rend
la plus malheureuſe per-
ſonne du monde, ſi vous
n'avez pitié de moy, &
ne m'aſſiſtez de vos con-
ſeils.
ma chere Leſbie, de ne
ſuivre pas les conſeils d'un
homme fait comme Phi-
logame, quand ils ont une
fin telle que celle qu'ils a-
voient ! je ne ſçay ſi vous
l'avez veu ; c'eſt l'homme
de Paris le mieux fait, &
le plus agreable ; un air
de qualité, ouvert & ſin-
cere ; les manieres gran-
des, honnêtes, & tou-
chantes ; l'eſprit fin & de-
77
Chagrins du Mariage.
licat ; le cœur tendre, paſ-ſionné, & également ca-
pable de prendre de gran-
des paſſions, comme d'en
donner : auſſi l'éprouvai-
je par la ſuitte ; je n'avois
l'eſprit, & le cœur rem-
ply que de luy, je ne dor-
mois ny le jour ny la nuit,
& je m'occupois unique-
ment à découvrir quel
ſentiment il avoit pour
moy ; manquoit-il un jour
à venir me voir, ou ve-
noit-il plus tard, ou ſe re-
tiroit-il plutôt, j'en étois
G iij
78
Les Agréemens & les
aux allarmes. Je perſiſtoistoujours dans les ſenti-
mens de la Religion, non
pas tant par le dégoût que
j'avois du monde, que par
l'éloignement, que je vo-
yois à pouvoir être à Phi-
logame. Je ne compre-
nois rien à ſes ſentimens;
en certain temps je cro-
yois qu'il avoit de la diſ-
poſition à me vouloir du
bien ; en d'autres qu'il ſe
moquoit de mes foibleſſes
& de moy ; en d'autres
qu'il étoit amy de la fa-
79
Chagrins du Mariage.
mille, qu'il ſervoit ma mere, & travailloit à me
ranger à ſes volontez.
Un jour qu'il étoit plus
rêveur qu'à l'ordinaire,
& que je luy en faiſois la
guerre, il m'apprit ce que
je ſouhaitois tant de ſça-
voir ; & tenant une de
mes mains ſerrée dans les
ſiennes, avec un tranſport
plus tendre, & plus paſ-
ſionné qu'à ſon ordinaire,
il m'avoüa que je luy é-
tois promiſe par des arti-
cles de mariage : il me de-
G iiij
80
Les Agréemens & les
manda pardon de l'avoirfait ſans mon aveu, & du
miſtére qu'il m'en avoit
fait ; il m'apprit de quelle
maniere les choſes avoient
été terminées, & com-
ment par là nôtre grand
procés étoit finy ; il me
jura enſuite que jamais
homme n'avoit tant aimé
qu'il m'aimoit ; que je ſe-
rois toûjours la maîtreſſe
de ſa deſtinée ; qu'il ne
pretendoit pas contraindre
mes volontez, & qu'il
preferoit le bon-heur de
81
Chagrins du Mariage.
me plaire, à celuy d'êtremon époux. Jamais fille
ne fut plus ſoûmiſe aux
volontez de ſes parens que
je la parus ; je luy dis que
je n'étois point fâchée que
le ciel m'eut choiſie pour
un ſujet qui devoit finir
un procés ſi pernicieux à
nos familles, & que je n'y
aporterois jamais d'obſ-
tacle. Helas ! ma chere
Leſbie, quel reproche o-
bligeant ne me fit-il point
dans ce moment ! Je n'a-
vois diſoit-il, pour luy
82
Les Agréemens & les
que des ſentiments d'eſti-me, & de reconnoiſſance ;
je n'étois point touchée de
ſa paſſion ; je n'agiſſois
que par conſidération ; &
enfin de la maniere dont
il m'aimoit, ſi mon cœur
ne changeoit, il ne devien-
droit pas plus heureux en
m'épouſant. Cette con-
verſation fut interrompuë
par la preſence de ma
mere qui entra dans ma
chambre, & nous trouva
tous deux fort déconcer-
tez. Philogame ſe retira
83
Chagrins du Mariage.
par reſpect, & nous laiſſaenſemble : je rendis com-
te à ma mere de la con-
verſation, & de ce que
Philogame m'avoit dit ;
elle me le confirma, &
me témoigna que ſi je
voulois luy plaire, je ne
tarderois pas à l'épouſer.
Je luy témoignay beau-
coup de reſpect & de ſoû-
miſſion à ſes volontez ;
enſuite elle ſe retira fort
ſatisfaite, & me laiſſa
ſeule dans ma chambre.
C'eſt icy, ma mere Leſ-
84
Les Agréemens & les
bie, que je ne puis vousexpliquer l'état où je me
trouvay dans ce moment :
Je me formois des plaiſirs
imaginaires, en me repre-
ſentant l'avantage de faire
finir un ſi grand procés ;
la gloire & le bon-heur
d'être à Philogame ; l'hon-
nêteté qu'il avoit de ne
vouloir me tenir que de
moy-même ; cette ſoû-
miſſion de me rendre maî-
treſſe abſoluë de ſa deſ-
tinée ; cette delicateſſe de
ſentimens, de ſouhaiter
85
Chagrins du Mariage.
plûtoſt d'être aimé de moy, que de devenir mon
époux. Ouy, ouy, il eſt
impoſſible de concevoir
les tranſports de ſatisfac-
tion & de joye que je
reſſentis ; mais le ciel nous
vend toûjours bien cher
les plaiſirs que nous goû-
tons dans cette vie, &
ſur tout à moy qui ſuis
la plus mal-heureuſe fille
du monde, comme vous
allez voir. Dans ce même
moment, Philabel qui a-
voit appris l'attachement
86
Les Agréemens & les
de Philogame pour moy,& qu'il étoit ſur le point
de m'épouſer, pouſſé de
deſeſpoir, & de fureur,
m'écrivait une Lettre par
laquelle il me prioit de
me reſſouvenir de la pa-
role que je luy avois don-
née, de n'être à d'autre
qu'à luy, & me menaçoit
ſi j'y manquois de faire
voir mes Lettres à Philo-
game, de les publier dans
le monde, & de me per-
dre de reputation, ne ſe
croyant pas obligé de gar-
87
Chagrins du Mariage.
der la foy à une infidellequi luy manquoit la pre-
miere. Ha ! quelle chûte
de bon-heur à la lecture
de cette Lettre ! quelle
inquietude ! quelle dou-
leur ! que faire ? Il me ſem-
bloit déja voir mes Lettres
courre dans le monde, &
dans les mains de Philo-
game ; comment arrêter
un ſemblable coup, à qui
recourir ? il falloit bien
par neceſſité m'adreſſer à
ma gouvernante, à cauſe
de la liaiſon qu'elle avoit
88
Les Agréemens & les
avec Philabel : Vous avezfait, me dit-elle, une trés-
grande faute d'avoir pro-
mis à Philabel que vous
ne ſeriez à d'autre qu'à
luy ; & vous devriez pour
vous juſtifier, luy faire
entendre que vous l'ai-
mez, que vous n'aimez
point Philogame, que
vous ne l'épouſez que
pour obéir aux ordres
d'un pere ſevere, & que
vous n'en ſerez pas moins
à luy. Je l'ay fait par la
Lettre que je luy ai écrite
aujourd'huy,
89
Chagrins du Mariage.
aujourd'huy, qui eſt tom-bée entre les mains de Phi-
logame, & qui me rend
la plus malheureuſe per-
ſonne du monde, ſi vous
n'avez pitié de moy, &
ne m'aſſiſtez de vos con-
ſeils.
Fraudeliſe ayant ceſſé
de parler, cette Marchan-
de la raſſura, & luy dit
qu'il n'étoit pas ſi difficile
qu'elle s'imaginoit de ſe
tirer de ce pas ; qu'il faloit
s'armer de réſolution, &
ſoutenir hardiment à Phi-
mais été capable d'écrire
de pareilles Lettres. Mais
comment ? reprit Fraude-
liſe, puiſqu'il connoît
mon écriture, & qu'il en
a pluſieurs autres Lettres,
avec leſquelles il luy ſera
aiſé de confronter cette
derniere, & de me con-
fondre. Cette Marchan-
de la pria de ſuivre ſa
penſée, & de ſe laiſſer
conduire, & luy deman-
da ſi elle avoit une copie
de cette même Lettre ?
champ cette copie de ſa
Caſſette ; cette veuve la
luy fit copier ſur du pa-
pier ſemblable à celuy de
la Lettre qu'elle avoit en-
voyée, avec la même
plume & la même ancre :
La Lettre achevée, cette
Marchande luy dit qu'elle
la feroit imiter par un
homme qui avoit la main
ſi admirable pour contre-
faire les écritures, qu'il
n'y avoit que les habiles
qui n'y fuſſent point
il ne ſeroit pas fort diffi-
cile de ſurprendre Philo-
game, pour peu qu'elle
joüât adroitement ſon rôl-
le ; qu'elle prit bien garde
quand Philogame vien-
droit luy reprocher ſon
infidelité, & pour la con-
vaincre, luy repreſenter
ſa veritable Lettre, de la
prendre ; & ſous pretexte
de s'approcher de la fenê-
tre, & de chercher le
grand jour pour en exa-
miner le caractere, de ſe
côté, & dans le temps
qu'il ne pourroit voir ſes
mains, en profiter pour
ſerrer la veritable Lettre
dans ſa poche, & ſubſti-
tuer en ſa place la contre-
faite : Enſuite revenir à
Philogame, luy remettre
la contrefaite, ſoûtenir de
n'avoir point écrit la Let-
tre, & témoigner beau-
coup d'indignation & de
colere de ce procedé. Cette
veuve ajoûta, que s'il reſ-
toit encore quelque dou-
dans l'eſprit de Philoga-
me, il ne manqueroit
point d'en communiquer
avec des Experts qui l'aſ-
ſeureroient que la Lettre
eſt fauſſe, & n'eſt point
d'elle ; qu'alors il ne pour-
roit penſer autre choſe ſi-
non que c'étoit un tour
de Philabel, pour empê-
cher qu'il ne l'épouſât ; &
que ſi dans la ſuite Phila-
bel repreſentoit les autres
Lettres qu'il avoit à elle,
ces Lettres deviendroient
game, & l'obligeroient
d'avancer ſon mariage, de
venir luy demander par-
don, luy faire confidence
de tout ce qui s'eſt paſſé,
& de luy rendre ſa pre-
miere eſtime & ſa pre-
miere tendreſſe.
Cette Marchande n'eût
pas plutoſt achevé de par-
ler, que Fraudeliſe en-
trant avec plaiſir dans ſa
penſée, & goûtant ſon
conſeil, luy en rendit
mille graces, & promit de
Leſbie qui n'étoit pas
moins embaraſſée que
Fraudeliſe, & qui avoit
goûté le conſeil de cette
femme, fut bien-aiſe de
s'en ſervir à ſon tour ; ce
qui fit qu'aprés luy avoir
dit, qu'elle étoit engagée
dans une affaire plus fâ-
cheuſe que celle de Frau-
deliſe, elle la pria de l'ay-
der de ſes avis. Enſuite
Leſbie luy apprit qu'elle
étoit aimée d'Antigame ;
qu'il luy avoit promis de
une Promeſſe écrite &
ſignée de ſon ſang ; qu'à‑
preſent il ne vouloit plus
l'éxecuter ; que par reſ-
ſentiment contre luy, elle
avoit pris la reſolution de
l'abandonner, de luy em-
porter deux mille Louïs3
d'or pour ſe dédommager
de ſa Promeſſe de ma-
riage, & de ſuivre Cleante,
qui l'aimoit depuis long‑
temps, & qui vouloit
l'épouſer ; qu'elle avoit fait
preſent à Cleante d'un
avoit donné ; que pour
empêcher Antigame d'en
ſoupçonner quelque cho-
ſe, & luy perſuader que
ce Rubis étoit tombé du
chaton4, & s'étoit perdu,
elle n'avoit donné à Cle-
ante que le Rubis, & avoit
gardé la bague, c'eſt à dire
l'anneau ; mais que par
mal-heur, Antigame avoit
appris une partie de tout
ce qui s'étoit paſsé, &
qu'il s'agiſſoit de ſçavoir
comment elle pouroit le
mauvaiſes impreſſions
qu'il avoit priſes de ſa con-
duite, & regagner ſa con-
fidence & ſon cœur. Cette
Marchande luy repreſenta
que tout ce qu'elle venoit
de leur dire n'étoit pas
aſſez circonſtancié, &
qu'il falloit qu'elle entrât
dans un détail plus parti-
culier de tout ce qui s'é-
toit paſsé, ſi elle vouloit
qu'elle pût l'aider de ſes
avis : à quoy Fraudeliſe
ajoûta, qu'aprés la ma-
elle leur avoit raconté ſa
vie, Leſbie n'auroit pas
de raiſon de leur faire
miſtere d'aucune choſe;
ce qui engagea Leſbie de
parler ainſi.
Fin de la troiſiéme Partie.
Cul de lampe.
de parler, cette Marchan-
de la raſſura, & luy dit
qu'il n'étoit pas ſi difficile
qu'elle s'imaginoit de ſe
tirer de ce pas ; qu'il faloit
s'armer de réſolution, &
ſoutenir hardiment à Phi-
H
Troiſiéme Partie.
90
Les Agréemens & les
logame, qu'elle n'avoit ja-mais été capable d'écrire
de pareilles Lettres. Mais
comment ? reprit Fraude-
liſe, puiſqu'il connoît
mon écriture, & qu'il en
a pluſieurs autres Lettres,
avec leſquelles il luy ſera
aiſé de confronter cette
derniere, & de me con-
fondre. Cette Marchan-
de la pria de ſuivre ſa
penſée, & de ſe laiſſer
conduire, & luy deman-
da ſi elle avoit une copie
de cette même Lettre ?
91
Chagrins du Mariage.
Fraudeliſe tira ſur lechamp cette copie de ſa
Caſſette ; cette veuve la
luy fit copier ſur du pa-
pier ſemblable à celuy de
la Lettre qu'elle avoit en-
voyée, avec la même
plume & la même ancre :
La Lettre achevée, cette
Marchande luy dit qu'elle
la feroit imiter par un
homme qui avoit la main
ſi admirable pour contre-
faire les écritures, qu'il
n'y avoit que les habiles
qui n'y fuſſent point
H ij
92
Les Agréemens & les
trompez ; qu'aprés celail ne ſeroit pas fort diffi-
cile de ſurprendre Philo-
game, pour peu qu'elle
joüât adroitement ſon rôl-
le ; qu'elle prit bien garde
quand Philogame vien-
droit luy reprocher ſon
infidelité, & pour la con-
vaincre, luy repreſenter
ſa veritable Lettre, de la
prendre ; & ſous pretexte
de s'approcher de la fenê-
tre, & de chercher le
grand jour pour en exa-
miner le caractere, de ſe
93
Chagrins du Mariage.
tourner adroitement decôté, & dans le temps
qu'il ne pourroit voir ſes
mains, en profiter pour
ſerrer la veritable Lettre
dans ſa poche, & ſubſti-
tuer en ſa place la contre-
faite : Enſuite revenir à
Philogame, luy remettre
la contrefaite, ſoûtenir de
n'avoir point écrit la Let-
tre, & témoigner beau-
coup d'indignation & de
colere de ce procedé. Cette
veuve ajoûta, que s'il reſ-
toit encore quelque dou-
H iij
94
Les Agréemens & les
te, & quelque ſoupçondans l'eſprit de Philoga-
me, il ne manqueroit
point d'en communiquer
avec des Experts qui l'aſ-
ſeureroient que la Lettre
eſt fauſſe, & n'eſt point
d'elle ; qu'alors il ne pour-
roit penſer autre choſe ſi-
non que c'étoit un tour
de Philabel, pour empê-
cher qu'il ne l'épouſât ; &
que ſi dans la ſuite Phila-
bel repreſentoit les autres
Lettres qu'il avoit à elle,
ces Lettres deviendroient
95
Chagrins du Mariage.
par la ſuſpectes à Philo-game, & l'obligeroient
d'avancer ſon mariage, de
venir luy demander par-
don, luy faire confidence
de tout ce qui s'eſt paſſé,
& de luy rendre ſa pre-
miere eſtime & ſa pre-
miere tendreſſe.
Cette Marchande n'eût
pas plutoſt achevé de par-
ler, que Fraudeliſe en-
trant avec plaiſir dans ſa
penſée, & goûtant ſon
conſeil, luy en rendit
mille graces, & promit de
96
Les Agréemens & les
luy faire un preſent.Leſbie qui n'étoit pas
moins embaraſſée que
Fraudeliſe, & qui avoit
goûté le conſeil de cette
femme, fut bien-aiſe de
s'en ſervir à ſon tour ; ce
qui fit qu'aprés luy avoir
dit, qu'elle étoit engagée
dans une affaire plus fâ-
cheuſe que celle de Frau-
deliſe, elle la pria de l'ay-
der de ſes avis. Enſuite
Leſbie luy apprit qu'elle
étoit aimée d'Antigame ;
qu'il luy avoit promis de
l'épouſer,
97
Chagrins du Mariage.
l'épouſer, qu'elle en avoitune Promeſſe écrite &
ſignée de ſon ſang ; qu'à‑
preſent il ne vouloit plus
l'éxecuter ; que par reſ-
ſentiment contre luy, elle
avoit pris la reſolution de
l'abandonner, de luy em-
porter deux mille Louïs3
d'or pour ſe dédommager
de ſa Promeſſe de ma-
riage, & de ſuivre Cleante,
qui l'aimoit depuis long‑
temps, & qui vouloit
l'épouſer ; qu'elle avoit fait
preſent à Cleante d'un
I
Troiſiéme Partie.
98
Les Agréemens & les
Rubis, qu'Antigame luyavoit donné ; que pour
empêcher Antigame d'en
ſoupçonner quelque cho-
ſe, & luy perſuader que
ce Rubis étoit tombé du
chaton4, & s'étoit perdu,
elle n'avoit donné à Cle-
ante que le Rubis, & avoit
gardé la bague, c'eſt à dire
l'anneau ; mais que par
mal-heur, Antigame avoit
appris une partie de tout
ce qui s'étoit paſsé, &
qu'il s'agiſſoit de ſçavoir
comment elle pouroit le
99
Chagrins du Mariage.
faire revenir de toutes lesmauvaiſes impreſſions
qu'il avoit priſes de ſa con-
duite, & regagner ſa con-
fidence & ſon cœur. Cette
Marchande luy repreſenta
que tout ce qu'elle venoit
de leur dire n'étoit pas
aſſez circonſtancié, &
qu'il falloit qu'elle entrât
dans un détail plus parti-
culier de tout ce qui s'é-
toit paſsé, ſi elle vouloit
qu'elle pût l'aider de ſes
avis : à quoy Fraudeliſe
ajoûta, qu'aprés la ma-
I ij
100
Les Agréemens & les
niere ſincere avec laquelleelle leur avoit raconté ſa
vie, Leſbie n'auroit pas
de raiſon de leur faire
miſtere d'aucune choſe;
ce qui engagea Leſbie de
parler ainſi.
Fin de la troiſiéme Partie.
Bandeau.
101
Chagrins du Mariage.
PHILOGAME
ET
ANTIGAME.
OU
LES AGRÉEMENS
ET
LES CHAGRINS
DU MARIAGE.
Quatriéme Partie.
HISTOIRE DE LESBIE.
Lettrine, "M" bordée de rubans dans un cadre.
MON pere avoit
employé dans le
ſervice tout ſon
bien, & une partie de
tendoit recompenſe de la
Cour, lors qu'il fut tué
malheureuſement dans la
bataille de Senef. Ma mere
pour remettre ſes affaires
ſe retira dans une Maiſon
Religieuſe pour y vivre
ſans dépenſe, & avec une
penſion modique, & m'a-
voit miſe dans le Convent
où commença nôtre con-
noiſſance. Ouy, ſi j'ay
goûté quelque douceur
dans la vie, c'eſt dans ce
lieu là. La Religieuſe com-
prit de l'inclination pour
moy, & n'avoit pas de
plus grand plaiſir que de
me tenir dans ſa chambre
enfermée, & de me faire
des leçons que le cœur
dictoit autant que l'eſ-
prit : c'étoit pour m'aver-
tir, comme par une eſpece
de Prophetie, de ce qui
devoit m'arriver ; que les
hommes étoient des trom-
peurs, & des infideles, à
qui je ne devois point me
fier ; que ſi j'étois ſage &
ſeroit ſenſible à mes prie-
res, & me prendroit ſous
ſa protection ; que je priſſe
bien garde de ne tomber
dans aucun déreglement ;
& au cas que je fuſſe aſ-
ſez mal-heureuſe que d'y
tomber, elle me faiſoit
entendre que je devois tra-
vailler à en ſortir promp-
tement, ſi je ne voulois
attirer ſur moy le mépris
du monde, & la colére
du ciel. Je vous dis de
belles leçons, ma chere
rez par la ſuitte combien
j'en eus beſoin. Le cal-
me, & le repos dont
nous jouïſſons ma mere
& moy, fut interrompu
par une diſgrace cruelle
qui nous obligea de quit-
ter nôtre ſolitude : c'étoit
pour aller ſolliciter un
procés au Parlement de
Roüen, dans lequel il s'a-
giſſoit de toute nôtre for-
tune. A nôtre arrivée dans
cette ville, nous fimes
connoiſſance avec un vieil-
paſſoit pour un homme
de qualité & de merite :
ce qui nous ſurprit au
commencement, fut la
paſſion & le zele avec leſ-
quels il agiſſoit dans nôtre
affaire ; mais quand nous
apprîmes que nôtre partie
adverſe venoit de le faire
condamner dans un procés
qu'il avoit contre luy,
nous jugeames que la ven-
geance avoit au moins au-
tant de part dans ce qu'il
faiſoit pour nous, que ſon
tereſts : quoy qu'il en ſoit
nous en tirames de trés‑
grands ſervices.
employé dans le
ſervice tout ſon
bien, & une partie de
I iij
102
Les Agréemens & les
celuy de ma mere ; il at-tendoit recompenſe de la
Cour, lors qu'il fut tué
malheureuſement dans la
bataille de Senef. Ma mere
pour remettre ſes affaires
ſe retira dans une Maiſon
Religieuſe pour y vivre
ſans dépenſe, & avec une
penſion modique, & m'a-
voit miſe dans le Convent
où commença nôtre con-
noiſſance. Ouy, ſi j'ay
goûté quelque douceur
dans la vie, c'eſt dans ce
lieu là. La Religieuſe com-
103
Chagrins du Mariage.
miſe à nôtre éducationprit de l'inclination pour
moy, & n'avoit pas de
plus grand plaiſir que de
me tenir dans ſa chambre
enfermée, & de me faire
des leçons que le cœur
dictoit autant que l'eſ-
prit : c'étoit pour m'aver-
tir, comme par une eſpece
de Prophetie, de ce qui
devoit m'arriver ; que les
hommes étoient des trom-
peurs, & des infideles, à
qui je ne devois point me
fier ; que ſi j'étois ſage &
I iiij
104
Les Agréemens & les
vertueuſe, la Providenceſeroit ſenſible à mes prie-
res, & me prendroit ſous
ſa protection ; que je priſſe
bien garde de ne tomber
dans aucun déreglement ;
& au cas que je fuſſe aſ-
ſez mal-heureuſe que d'y
tomber, elle me faiſoit
entendre que je devois tra-
vailler à en ſortir promp-
tement, ſi je ne voulois
attirer ſur moy le mépris
du monde, & la colére
du ciel. Je vous dis de
belles leçons, ma chere
105
Chagrins du Mariage.
Fraudeliſe; mais vous ver-rez par la ſuitte combien
j'en eus beſoin. Le cal-
me, & le repos dont
nous jouïſſons ma mere
& moy, fut interrompu
par une diſgrace cruelle
qui nous obligea de quit-
ter nôtre ſolitude : c'étoit
pour aller ſolliciter un
procés au Parlement de
Roüen, dans lequel il s'a-
giſſoit de toute nôtre for-
tune. A nôtre arrivée dans
cette ville, nous fimes
connoiſſance avec un vieil-
106
Les Agréemens & les
lard nommé Cleon ; ilpaſſoit pour un homme
de qualité & de merite :
ce qui nous ſurprit au
commencement, fut la
paſſion & le zele avec leſ-
quels il agiſſoit dans nôtre
affaire ; mais quand nous
apprîmes que nôtre partie
adverſe venoit de le faire
condamner dans un procés
qu'il avoit contre luy,
nous jugeames que la ven-
geance avoit au moins au-
tant de part dans ce qu'il
faiſoit pour nous, que ſon
107
Chagrins du Mariage.
attachement pour nos in-tereſts : quoy qu'il en ſoit
nous en tirames de trés‑
grands ſervices.
Un jour comme nous
étions fort gayes, & que
tout le monde nous fla-
toit d'un ſuccés heureux
dans nôtre procés, Cleon
nous amena ſon neveu
Cleante ; c'étoit par une
pure civilité, à ce qu'il nous
diſoit : ha ! que ne ſe paſſa‑
t-il point dans mon cœur
à cette premiere veuë !
que ne ſe paſſa-t-il point
nous rougiſmes, nous pa-
liſmes ; & nous fûmes ſi
émeus, & ſi hors de nous
mêmes, qu'il ne nous fut
pas poſſible de nous dire
un ſeul mot. Il y a des
cœurs qui ſont faits les
uns pour les autres. La
vanité, l'effronterie, &
l'artifice des hommes ;
leur ſotte envie de vou-
loir plaire ; de paroître
beaux, agréables, bel eſ-
prit ; leur penchant à la
débauche, & les leçons
ent donné tant de dégoût
pour eux, que je ne pou-
vois les ſouffrir. Mais il
n'en fût pas de même pour
Cleante : je ne luy trou-
vois aucun de ces defauts;
il me parut humble, mo-
deſte, ſincere, l'eſprit na-
turel & ſans affectation;
enfin je vis autant de ſa-
geſſe & de vertu dans ſes
actions, que je voyois
de libertinage & de dére-
glement dans celles des
autres. Mais admirez, je
mité d'inclination : Cle-
ante ne pouvoit ſouffrir
les femmes par les mêmes
raiſons, & pour les mê-
mes defauts que je haïſ-
ſois les hommes; ce qui
fit que nous prîmes l'un
pour l'autre une inclina-
tion trés-violente. Elle ne
fut combattuë, ny par
ſon oncle, qui le regar-
doit comme ſon ſeul he-
ritier, ny par ma mere,
leur deſſein étant de nous
marier aprés le gain de
heureux procés que nous
regardions comme gagné,
voicy ſa deſtinée. Nôtre
partie fit ſignifier fort tard
la veille du jugement, un
papier ; il me ſemble que
nôtre Procureur appelloit
cela une production nou-
velle : & le lendemain de
grand matin, elle le fit
juger, & nous le fit per-
dre, à cauſe de ce maudit
papier de la veille ; & ce
qui étoit de plus cruel
pour nous, eſt que ma
tous les dépens, qui mon-
toient à une ſomme trés‑
conſiderable.
étions fort gayes, & que
tout le monde nous fla-
toit d'un ſuccés heureux
dans nôtre procés, Cleon
nous amena ſon neveu
Cleante ; c'étoit par une
pure civilité, à ce qu'il nous
diſoit : ha ! que ne ſe paſſa‑
t-il point dans mon cœur
à cette premiere veuë !
que ne ſe paſſa-t-il point
108
Les Agréemens & les
dans celuy de Cleante !nous rougiſmes, nous pa-
liſmes ; & nous fûmes ſi
émeus, & ſi hors de nous
mêmes, qu'il ne nous fut
pas poſſible de nous dire
un ſeul mot. Il y a des
cœurs qui ſont faits les
uns pour les autres. La
vanité, l'effronterie, &
l'artifice des hommes ;
leur ſotte envie de vou-
loir plaire ; de paroître
beaux, agréables, bel eſ-
prit ; leur penchant à la
débauche, & les leçons
109
Chagrins du Mariage.
de ma Religieuſe m'avoi-ent donné tant de dégoût
pour eux, que je ne pou-
vois les ſouffrir. Mais il
n'en fût pas de même pour
Cleante : je ne luy trou-
vois aucun de ces defauts;
il me parut humble, mo-
deſte, ſincere, l'eſprit na-
turel & ſans affectation;
enfin je vis autant de ſa-
geſſe & de vertu dans ſes
actions, que je voyois
de libertinage & de dére-
glement dans celles des
autres. Mais admirez, je
110
Les Agréemens & les
vous prie, cette confor-mité d'inclination : Cle-
ante ne pouvoit ſouffrir
les femmes par les mêmes
raiſons, & pour les mê-
mes defauts que je haïſ-
ſois les hommes; ce qui
fit que nous prîmes l'un
pour l'autre une inclina-
tion trés-violente. Elle ne
fut combattuë, ny par
ſon oncle, qui le regar-
doit comme ſon ſeul he-
ritier, ny par ma mere,
leur deſſein étant de nous
marier aprés le gain de
111
Chagrins du Mariage.
nôtre procés : ha ! ce mal-heureux procés que nous
regardions comme gagné,
voicy ſa deſtinée. Nôtre
partie fit ſignifier fort tard
la veille du jugement, un
papier ; il me ſemble que
nôtre Procureur appelloit
cela une production nou-
velle : & le lendemain de
grand matin, elle le fit
juger, & nous le fit per-
dre, à cauſe de ce maudit
papier de la veille ; & ce
qui étoit de plus cruel
pour nous, eſt que ma
112
Les Agréemens & les
mere fut condamnée à tous les dépens, qui mon-
toient à une ſomme trés‑
conſiderable.
Vous pouvez juger
combien nous reſſentîmes
vivement, ma mere &
moy, cette perte, s'il
vous reſſouvient qu'il s'a-
giſſoit de toute nôtre for-
tune. Ce qui augmentoit
ma deouleur, ç'étoit l'état
malheureux où je m'ima-
ginois de voir le pauvre
Cleante : ouy, luy ſeul
me touchoit plus que tout
penſois uniquement à le
conſoler. Je ne ſçavois
pas encore tous mes mal-
heurs ; je ne vîs plus Cle-
ante : ma mere envoya
pluſieurs fois chez Cleon,
moy chez Cleante ; les
portes de la maiſon étoi-
ent ſi bien gardées, que
nous tentâmes inutile-
ment d'y entrer, ce qui
fit que nous ne pûmes les
voir. Ma mere prit de la
défiance ſur le chapitre de
Cleon; ce procés dont il
perdu ; ce ſoin de nous é-
viter, en furent les rai-
ſons. D'abord je juſtifiois
l'un & l'autre dans l'eſprit
de ma mere, prevenuë
qu'il y avoit du mal en-
tendu : mais aprés m'être
flattée long-temps, je pen-
ſay que Cleante ne m'a-
voit aimée que par inte-
reſt ; & que la perte de
nôtre procés qui me laiſ-
ſoit ſans bien, étoit le ſu-
jet de ſon procedé, & de
ſon changement. Je con-
& tant d'indignation con-
tre Cleante, que je pris
la reſolution non-ſeule-
ment de ne le voir de ma
vie, mais encore de ne
reſter pas d'avantage dans
une Ville où il y avoit
un auſſi grand ſcelerat : je
propoſay à ma mere de
ſortir de Roüen, & d'al-
ler chercher des conſeils
à Paris ; elle y conſentit,
& nous partîmes l'une &
l'autre dans nôtre Caroſſe,
l'eſprit rempli de tout ce
dans un profond chagrin.
combien nous reſſentîmes
vivement, ma mere &
moy, cette perte, s'il
vous reſſouvient qu'il s'a-
giſſoit de toute nôtre for-
tune. Ce qui augmentoit
ma deouleur, ç'étoit l'état
malheureux où je m'ima-
ginois de voir le pauvre
Cleante : ouy, luy ſeul
me touchoit plus que tout
le
113
Chagrins du Mariage.
le reſte enſemble ; & jepenſois uniquement à le
conſoler. Je ne ſçavois
pas encore tous mes mal-
heurs ; je ne vîs plus Cle-
ante : ma mere envoya
pluſieurs fois chez Cleon,
moy chez Cleante ; les
portes de la maiſon étoi-
ent ſi bien gardées, que
nous tentâmes inutile-
ment d'y entrer, ce qui
fit que nous ne pûmes les
voir. Ma mere prit de la
défiance ſur le chapitre de
Cleon; ce procés dont il
K
Troiſiéme Partie.
114
Les Agréemens & les
garantiſſoit le gain, ainſiperdu ; ce ſoin de nous é-
viter, en furent les rai-
ſons. D'abord je juſtifiois
l'un & l'autre dans l'eſprit
de ma mere, prevenuë
qu'il y avoit du mal en-
tendu : mais aprés m'être
flattée long-temps, je pen-
ſay que Cleante ne m'a-
voit aimée que par inte-
reſt ; & que la perte de
nôtre procés qui me laiſ-
ſoit ſans bien, étoit le ſu-
jet de ſon procedé, & de
ſon changement. Je con-
115
Chagrins du Mariage.
ceus alors tant de mépris & tant d'indignation con-
tre Cleante, que je pris
la reſolution non-ſeule-
ment de ne le voir de ma
vie, mais encore de ne
reſter pas d'avantage dans
une Ville où il y avoit
un auſſi grand ſcelerat : je
propoſay à ma mere de
ſortir de Roüen, & d'al-
ler chercher des conſeils
à Paris ; elle y conſentit,
& nous partîmes l'une &
l'autre dans nôtre Caroſſe,
l'eſprit rempli de tout ce
K ij
116
Les Agréemens & les
qui nous étoit arrivé, &dans un profond chagrin.
A peine avions-nous
marché, une heure ou
deux, qu'un Cerf privé
d'une grandeur prodigi-
euſe, ſortant d'un Châ-
teau, vint à la teſte de nos
Chevaux ; ce qui fit que
s'éfarouchant & prenant
le mort aux Dents, ſans
tenir de chemin, ils cou-
rurent au mlieu de la
Campagne, firent verſer
le Caroſſe, & nous traiſ-
nerent ainſi quelque tems.
Château qui en ſortoit,
voyant nôtre diſgrace,
vint à nôtre ſecours avec
pluſieurs de ſes domeſti-
ques, & nous tira de ce
peril : elle trouva ma mere
bleſſée en pluſieurs en-
droits de la tête. Pour
moy j'étois évanouïe, &
l'on voyoit ſeulement
quelques picqures d'épi-
nes & de ronces ſur ma
gorge & ſur mes bras,
L'on mit ma mere dans
une Chambre, & moy
me je reſtois toûjours é-
vanouïe, l'on me désha-
billa ; l'on me coucha
dans un lit, l'on en-
voya de toute part les va-
lets querir des Medecins
& des Chirurgiens ; &
l'on me laiſſa un moment
ſeule dans la Chambre.
Dans ce même inſtant le
fils de la Dame du Châ-
teau qui revenoit de la
Chaſſe, & qui n'avoit
point appris nôtre acci-
dent, entra dans la
chée, & me trouva en
cet état : aprés être reve-
nu de ſa premiere ſurpri-
ſe, il me prit la main, &
me tâta le pouls. Dans
ce moment je revins de
mon évanouïſſement ; ju-
gez de ma ſurpriſe & de
mon effroy, de me voir
la gorge & les bras nuds,
& une de mes mains dans
celle d'un jeune homme
que je n'avois jamais veu;
de me voir couchée dans
un lit & dans une cham-
point, moy qui croyois
de me retrouver dans un
Caroſſe. Je vous avouë
que je fus quelque temps
à douter ſi je veillois, ou
ſi c'étoit un ſonge ; mais
enfin revenant à moy, je
retiray ma main de celle
de cet homme, & me
couvris toute entiere de
ma couverture. Cet hom-
me étoit auſſi ſurpris que
moy, quand ſa mere en-
trant dans la chambre é-
claircit nôtre avanture,
nous nous étions trouvez
ainſi : Cet homme étoit
Antigame; il commença
dés ce temps-là à m'ai-
mer, & à me perſecuter
d'une paſſion, qui me rend
la plus malheureuſe per-
ſonne du monde.
marché, une heure ou
deux, qu'un Cerf privé
d'une grandeur prodigi-
euſe, ſortant d'un Châ-
teau, vint à la teſte de nos
Chevaux ; ce qui fit que
s'éfarouchant & prenant
le mort aux Dents, ſans
tenir de chemin, ils cou-
rurent au mlieu de la
Campagne, firent verſer
le Caroſſe, & nous traiſ-
nerent ainſi quelque tems.
117
Chagrins du Mariage.
Par bonheur la Dame duChâteau qui en ſortoit,
voyant nôtre diſgrace,
vint à nôtre ſecours avec
pluſieurs de ſes domeſti-
ques, & nous tira de ce
peril : elle trouva ma mere
bleſſée en pluſieurs en-
droits de la tête. Pour
moy j'étois évanouïe, &
l'on voyoit ſeulement
quelques picqures d'épi-
nes & de ronces ſur ma
gorge & ſur mes bras,
L'on mit ma mere dans
une Chambre, & moy
K iij
118
Les Agréemens & les
dans une autre : Et com-me je reſtois toûjours é-
vanouïe, l'on me désha-
billa ; l'on me coucha
dans un lit, l'on en-
voya de toute part les va-
lets querir des Medecins
& des Chirurgiens ; &
l'on me laiſſa un moment
ſeule dans la Chambre.
Dans ce même inſtant le
fils de la Dame du Châ-
teau qui revenoit de la
Chaſſe, & qui n'avoit
point appris nôtre acci-
dent, entra dans la
119
Chagrins du Mariage.
Chambre où j'étois cou-chée, & me trouva en
cet état : aprés être reve-
nu de ſa premiere ſurpri-
ſe, il me prit la main, &
me tâta le pouls. Dans
ce moment je revins de
mon évanouïſſement ; ju-
gez de ma ſurpriſe & de
mon effroy, de me voir
la gorge & les bras nuds,
& une de mes mains dans
celle d'un jeune homme
que je n'avois jamais veu;
de me voir couchée dans
un lit & dans une cham-
120
Les Agréemens & les
bre que je ne connoiſſoispoint, moy qui croyois
de me retrouver dans un
Caroſſe. Je vous avouë
que je fus quelque temps
à douter ſi je veillois, ou
ſi c'étoit un ſonge ; mais
enfin revenant à moy, je
retiray ma main de celle
de cet homme, & me
couvris toute entiere de
ma couverture. Cet hom-
me étoit auſſi ſurpris que
moy, quand ſa mere en-
trant dans la chambre é-
claircit nôtre avanture,
&
121
Chagrins du Mariage.
& nous apprit pourquoynous nous étions trouvez
ainſi : Cet homme étoit
Antigame; il commença
dés ce temps-là à m'ai-
mer, & à me perſecuter
d'une paſſion, qui me rend
la plus malheureuſe per-
ſonne du monde.
Ma mere & moy é-
tant entierement réta-
blies, nous remerciames
nous bienfaicteurs, pri-
mes congé d'eux, & ſui-
vimes le chemin de Paris:
nous n'avions pas encore
vîmes venir au galop An-5
game ; c'étoit pour nous
offrir de la part de ſa mere
un appartement dans une
grande maiſon qu'elle a-
voit à Paris. Nous accep-
tames ſes offres ; il prit
place dans nôtre Caroſſe,
renvoya ſes Chevaux, &
nous conduiſit. Je n'ay ja-
mais veu un homme plus
empreſsé de plaire ; il fai-
ſoit le bel eſprit ; à tout
moment la petite hiſto-
riette, le quolibet, ou la
clair & doucereux ; il ne
parloit que de la tendreſſe
de ſon cœur, & de la dé-
licateſſe de ſes ſentimens.
Je vis bien qu'il vouloit
ſe faire aimer : à d'autres,
à d'autres, diſois-je en
moi-même ; Cleante m'a
trop appris à connoître
les hommes pour jamais
les regarder qu'avec mé-
pris.
tant entierement réta-
blies, nous remerciames
nous bienfaicteurs, pri-
mes congé d'eux, & ſui-
vimes le chemin de Paris:
nous n'avions pas encore
L
Troiſiéme Partie.
122
Les Agréemens & les
fait une lieuë que nousvîmes venir au galop An-5
game ; c'étoit pour nous
offrir de la part de ſa mere
un appartement dans une
grande maiſon qu'elle a-
voit à Paris. Nous accep-
tames ſes offres ; il prit
place dans nôtre Caroſſe,
renvoya ſes Chevaux, &
nous conduiſit. Je n'ay ja-
mais veu un homme plus
empreſsé de plaire ; il fai-
ſoit le bel eſprit ; à tout
moment la petite hiſto-
riette, le quolibet, ou la
123
Chagrins du Mariage.
chanſon, avec le faucetclair & doucereux ; il ne
parloit que de la tendreſſe
de ſon cœur, & de la dé-
licateſſe de ſes ſentimens.
Je vis bien qu'il vouloit
ſe faire aimer : à d'autres,
à d'autres, diſois-je en
moi-même ; Cleante m'a
trop appris à connoître
les hommes pour jamais
les regarder qu'avec mé-
pris.
Le voyage finy ſans
autre explication : à nôtre
arrivée à Paris Antigame
partemens magnifiques ;
j'eus pour moi une cham-
bre ornée de Peintures
d'Italie tres-belles ; il nous
laiſſa en repos les premiers
jours, & nous ne le voïons
que fort rarement. Dans
ce même temps nous ap-
prîmes que nôtre partie
faiſoit taxer les dépens, &
ſe vantoit de faire vendre
nos biens, & même de
faire empriſonner ma
mere; ce qui faiſoit que
nous paſſions les jours &
tice du ciel, & à pleurer:
pour moy j'étois plus fer-
me, & plus reſoluë que
ma mere ; je luy diſois que
la Providence étoit juſte ;
que nous n'avions jamais
merité par nôtre conduite
la honte, ny l'infamie, &
que recourant avec con-
fiance à ſa bonté, elle
ne nous abandonneroit
point, & nous tireroit de
ce pas malheureux ; & ſur
la bonne foy des leçons
de ma Religieuſe, je par-
& de force, que je con-
ſolois ma mere, & la fai-
ſois revenir de ſes cha-
grins & de ſes craintes.
Un jour, jugez de ma
ſurpriſe, étant ſeule dans
ma chambre, je vis entrer
Antigame, qui ſe jettant à
mes pieds les larmes aux
yeux, me pria d'avoir
pitié du malheureux état
où je l'avois reduit ; &
me dit qu'aprés la mort
de ſa femme il avoit pris
la reſolution de ne ſe
n'avoit pû tenir contre
moy, tant je luy avois
paru aimable ; que plus
il avoit travaillé à vaincre
cette paſſion, plus elle s'é-
toit augmentée ; & qu'en-
fin il falloit, ou qu'il me
vid ſa femme, ou que je
viſſe ſa mort. Je vous a-
vouë que j'eus quelque
joye d'apprendre cette
nouvelle, non pas tant à
cauſe de la qualité, &
de la groſſe fortune d'Anti-
game, que parce que Cle-
riage conçevroit une plus
grande eſtime pour moy,
ſe reprocheroit ſon ingra-
titude, & auroit du cha-
grin de m'avoir perdu. Je
renvoyay cependant An-
tigame à ma mere, ſans
luy donner aucune ré-
ponſe. Il luy en parla ;
elle vouloit le conſente-
ment de ſa mere : il luy
fit entendre qu'elle avoit
deſſein de le marier à la
fille d'une de ſes amies,
ce qui feroit qu'elle luy
temporiſant il pouroit l'y
faire conſentir, ou qu'elle
viendroit à mourir, étant
dans un âge fort avancé,
& toûjours malade. Ma
mere qui aux dépens de
ſa vie auroit voulu me
marier avantageuſement,
ménagea cet homme ; &
me fit entendre qu'en l'é-
tat où étoit ma fortune,
je ne devois point perdre
cette occaſion. Je ſui-
vis ſon conſeil, j'écoutois
tranquilement tout ce
pour concluſion, ſa penſée
étoit de m'épouſer ſecret-
tement : nous ne pûmes
point trouver de Prêtre ;
il me dit que le conſente-
ment ſeul des parties fai-
ſoit le Mariage ; il me
donna une promeſſe de
m'épouſer ſignée de ſon
ſang ; il me mena aux
pieds des Autels ; il m jura
qu'il me prenoit pour ſa
femme ; je fis le ſerment
de mon côté : le voilà le
plus heureux des mortels;
rompu quand il voulut
ſe mettre en état de jouïr
du privilege des marys ;
je le rebutay, je le mal-
traitay, je m'emportay;
broüillerie entre nous, re-
conciliation : raiſons de ſa
part pour établir ſon droit
de mary, & pour s'en
mettre en poſſeſſion ; in-
flexibilité de la mienne :
pleurs, deſeſpoirs, ne
vouloir point manger,
vouloir mourir ; c'eſt de-
quoy j'avois l'eſprit fati-
à tout moment ; cepen-
dant je perſiſtois toûjours
à vouloir auparavant les
formes, & le Curé.
autre explication : à nôtre
arrivée à Paris Antigame
L ij
124
Les Agréemens & les
nous logea dans des ap-partemens magnifiques ;
j'eus pour moi une cham-
bre ornée de Peintures
d'Italie tres-belles ; il nous
laiſſa en repos les premiers
jours, & nous ne le voïons
que fort rarement. Dans
ce même temps nous ap-
prîmes que nôtre partie
faiſoit taxer les dépens, &
ſe vantoit de faire vendre
nos biens, & même de
faire empriſonner ma
mere; ce qui faiſoit que
nous paſſions les jours &
125
Chagrins du Mariage.
les nuits à implorer la juſ-tice du ciel, & à pleurer:
pour moy j'étois plus fer-
me, & plus reſoluë que
ma mere ; je luy diſois que
la Providence étoit juſte ;
que nous n'avions jamais
merité par nôtre conduite
la honte, ny l'infamie, &
que recourant avec con-
fiance à ſa bonté, elle
ne nous abandonneroit
point, & nous tireroit de
ce pas malheureux ; & ſur
la bonne foy des leçons
de ma Religieuſe, je par-
L iij
126
Les Agréemens & les
lois avec tant d'aſſeurance& de force, que je con-
ſolois ma mere, & la fai-
ſois revenir de ſes cha-
grins & de ſes craintes.
Un jour, jugez de ma
ſurpriſe, étant ſeule dans
ma chambre, je vis entrer
Antigame, qui ſe jettant à
mes pieds les larmes aux
yeux, me pria d'avoir
pitié du malheureux état
où je l'avois reduit ; &
me dit qu'aprés la mort
de ſa femme il avoit pris
la reſolution de ne ſe
127
Chagrins du Mariage.
remarier jamais ; qu'ellen'avoit pû tenir contre
moy, tant je luy avois
paru aimable ; que plus
il avoit travaillé à vaincre
cette paſſion, plus elle s'é-
toit augmentée ; & qu'en-
fin il falloit, ou qu'il me
vid ſa femme, ou que je
viſſe ſa mort. Je vous a-
vouë que j'eus quelque
joye d'apprendre cette
nouvelle, non pas tant à
cauſe de la qualité, &
de la groſſe fortune d'Anti-
game, que parce que Cle-
L iiij
128
Les Agréemens & les
ante apprenant ce ma-riage conçevroit une plus
grande eſtime pour moy,
ſe reprocheroit ſon ingra-
titude, & auroit du cha-
grin de m'avoir perdu. Je
renvoyay cependant An-
tigame à ma mere, ſans
luy donner aucune ré-
ponſe. Il luy en parla ;
elle vouloit le conſente-
ment de ſa mere : il luy
fit entendre qu'elle avoit
deſſein de le marier à la
fille d'une de ſes amies,
ce qui feroit qu'elle luy
129
Chagrins du Mariage.
ſeroit contraire ; qu'entemporiſant il pouroit l'y
faire conſentir, ou qu'elle
viendroit à mourir, étant
dans un âge fort avancé,
& toûjours malade. Ma
mere qui aux dépens de
ſa vie auroit voulu me
marier avantageuſement,
ménagea cet homme ; &
me fit entendre qu'en l'é-
tat où étoit ma fortune,
je ne devois point perdre
cette occaſion. Je ſui-
vis ſon conſeil, j'écoutois
tranquilement tout ce
130
Les Agréemens & les
qu'il vouloit me dire ;pour concluſion, ſa penſée
étoit de m'épouſer ſecret-
tement : nous ne pûmes
point trouver de Prêtre ;
il me dit que le conſente-
ment ſeul des parties fai-
ſoit le Mariage ; il me
donna une promeſſe de
m'épouſer ſignée de ſon
ſang ; il me mena aux
pieds des Autels ; il m jura
qu'il me prenoit pour ſa
femme ; je fis le ſerment
de mon côté : le voilà le
plus heureux des mortels;
131
Chagrins du Mariage.
ſon bon-heur fut inter-rompu quand il voulut
ſe mettre en état de jouïr
du privilege des marys ;
je le rebutay, je le mal-
traitay, je m'emportay;
broüillerie entre nous, re-
conciliation : raiſons de ſa
part pour établir ſon droit
de mary, & pour s'en
mettre en poſſeſſion ; in-
flexibilité de la mienne :
pleurs, deſeſpoirs, ne
vouloir point manger,
vouloir mourir ; c'eſt de-
quoy j'avois l'eſprit fati-
132
Les Agréemens & les
gué & les oreilles battuësà tout moment ; cepen-
dant je perſiſtois toûjours
à vouloir auparavant les
formes, & le Curé.
Dans ces entrefaites, la
partie adverſe de ma mere
luy fit faire un comman-
dement de payer les dé-
pens : le lendemain faute
d'argent elle devoit être
miſe en priſon, & ſes biens
devoient être ſaiſis. Il me
ſembla que cette nouvelle
ne touchoit point aſſez
Antigame : je m'en plai-
ponſe que ſi je voulois le
reconnaître pour mary,
& vivre en femme avec
luy, il auroit les ſentimens
de gendre pour ma mere,
la reconnoîtroit en cette
qualité, & chercheroit les
moyens de la tirer d'affai-
res; que je me conſultaſſe
là deſſus, qu'il verroit en
cette occaſion ſi j'avois du
naturel ; qu'il reviendroit
dans peu recevoir ma ré-
ponſe, & ſe retira ainſi.
Ha ! quand je me vis en
j'eus de differentes pen-
ſées ! combien je ſentis de
divers mouvemens ! d'un
côté je me repreſentois
ma mere traînée honteu-
ſement dans une priſon,
& tous ſes biens ſaiſis par
mon aveu, & de mon
conſentement ; d'un au-
tre côté je voyois que nô-
tre pretendu mariage ne
me permettoit pas d'ac-
corder à Antigame ce
qu'il demandoit de moy;
& que ſi je le faiſois, je
plus précieux, & tombe-
rois dans un abîme de
mal-heur & d'infamie.
Je me reſſouvins alors
d'avoir ouy dire à ma Re-
ligieuſe, que le Ciel eſt re-
connoiſſant de ce que l'on
fait pour luy ; qu'il ne re-
fuſe point à une fille ſage
& vertueuſe ce qu'elle
luy demande, & qu'il la
prend ſous ſa protection ;
ce qui me conſoloit &
me determinoit à m'y
confier : d'un autre côté
dence m'avoit fait du gain
de nôtre Procés ſi juſte
& ſi raiſonnable, & que
je luy avois demandé a-
vec des prieres ſi ardentes,
& le malheureux état où
nous étions, & qu'il me
ſembloit que nous avions
ſi peu merité, me don-
noient de la défiance de
cette même Providence,
en ſorte que je ne voulois
point m'abandonner en-
tierement à ſes heureux
ſoins. En cet état inquiet,
les yeux ſur des Tableaux
de ma chambre : une fu-
neſte curioſité m'engagea
à tirer le rideau de deſſus
un qui étoit caché ; ç'é-
toit une nudité qui re-
preſentoit Venus dans le
bras de Mars, & leur
jouïſſance dans le temps
que Vulcain les fit ſurpren-
dre par les Dieux : que
d'appas ! que d'agréemens !
que de beautez frapperent
ma veuë ! je ne les vis
point comme des peintu-
les mêmes mouvemens,
qu'auroient fait des beau-
tez véritables & réelles.
Dans cet inſtant je ſentis
de l'émotion, mon cœur
en ſoûpira, une langueur
ſe répandit dans mes vei-
nes, j'en fremis d'une
douce horreur qui m'é-
toit juſqu'alors inconnuë :
ha ! ma chere Fraudeliſe,
que nôtre ſexe eſt mal-
heureux, de ne pouvoir
ſe défendre dans certains
inſtans de ces ſortes de
partie adverſe de ma mere
luy fit faire un comman-
dement de payer les dé-
pens : le lendemain faute
d'argent elle devoit être
miſe en priſon, & ſes biens
devoient être ſaiſis. Il me
ſembla que cette nouvelle
ne touchoit point aſſez
Antigame : je m'en plai-
133
Chagrins du Mariage.
gnis à luy, il me fit ré-ponſe que ſi je voulois le
reconnaître pour mary,
& vivre en femme avec
luy, il auroit les ſentimens
de gendre pour ma mere,
la reconnoîtroit en cette
qualité, & chercheroit les
moyens de la tirer d'affai-
res; que je me conſultaſſe
là deſſus, qu'il verroit en
cette occaſion ſi j'avois du
naturel ; qu'il reviendroit
dans peu recevoir ma ré-
ponſe, & ſe retira ainſi.
Ha ! quand je me vis en
134
Les Agréemens & les
cet état violent, combienj'eus de differentes pen-
ſées ! combien je ſentis de
divers mouvemens ! d'un
côté je me repreſentois
ma mere traînée honteu-
ſement dans une priſon,
& tous ſes biens ſaiſis par
mon aveu, & de mon
conſentement ; d'un au-
tre côté je voyois que nô-
tre pretendu mariage ne
me permettoit pas d'ac-
corder à Antigame ce
qu'il demandoit de moy;
& que ſi je le faiſois, je
135
Chagrins du Mariage.
perdrois ce que j'avois deplus précieux, & tombe-
rois dans un abîme de
mal-heur & d'infamie.
Je me reſſouvins alors
d'avoir ouy dire à ma Re-
ligieuſe, que le Ciel eſt re-
connoiſſant de ce que l'on
fait pour luy ; qu'il ne re-
fuſe point à une fille ſage
& vertueuſe ce qu'elle
luy demande, & qu'il la
prend ſous ſa protection ;
ce qui me conſoloit &
me determinoit à m'y
confier : d'un autre côté
136
Les Agréemens & les
le refus que cette Provi-dence m'avoit fait du gain
de nôtre Procés ſi juſte
& ſi raiſonnable, & que
je luy avois demandé a-
vec des prieres ſi ardentes,
& le malheureux état où
nous étions, & qu'il me
ſembloit que nous avions
ſi peu merité, me don-
noient de la défiance de
cette même Providence,
en ſorte que je ne voulois
point m'abandonner en-
tierement à ſes heureux
ſoins. En cet état inquiet,
&
137
Chagrins du Mariage.
& malheureux, je jettayles yeux ſur des Tableaux
de ma chambre : une fu-
neſte curioſité m'engagea
à tirer le rideau de deſſus
un qui étoit caché ; ç'é-
toit une nudité qui re-
preſentoit Venus dans le
bras de Mars, & leur
jouïſſance dans le temps
que Vulcain les fit ſurpren-
dre par les Dieux : que
d'appas ! que d'agréemens !
que de beautez frapperent
ma veuë ! je ne les vis
point comme des peintu-
M
Troiſiéme Partie.
138
Les Agréemens & les
tures ; elles me donnerentles mêmes mouvemens,
qu'auroient fait des beau-
tez véritables & réelles.
Dans cet inſtant je ſentis
de l'émotion, mon cœur
en ſoûpira, une langueur
ſe répandit dans mes vei-
nes, j'en fremis d'une
douce horreur qui m'é-
toit juſqu'alors inconnuë :
ha ! ma chere Fraudeliſe,
que nôtre ſexe eſt mal-
heureux, de ne pouvoir
ſe défendre dans certains
inſtans de ces ſortes de
139
Chagrins du Mariage.
foibleſſes !Malheureuſement dans
ce fatal moment Antiga-
me entra dans ma Cham-
bre, pour apprendre ma
reſolution : il s'aperçeut
de l'état où j'étois ; il l'in-
terpreta à ſon avantage ;
il en profita, & me preſ-
ſa d'une maniere ſi vive,
que je perdis toute con-
noiſſance, & que je ne
ſçavois plus ce que je fai-
ſois. Je me reſſouviens
ſeulement, que ma raiſon
élevoit dans mon cœur
des mouvements d'indi-
gnation & de colere con-
tre Antigame ; qu'enſuitte
cette même raiſon ſur-
priſe & enchantée par
mes ſens, & de concert
avec eux à me tromper,
me faiſoit entendre que
je ſauvois une mere de
priſon, & que je m'enga-
geois par là un époux.
Dans cet inſtant mal-heu-
reux & funeſte, Cleon
qui arrivoit de Rouën,
& qui venoit nous voir,
vant une clef dans la ſer-
rure de la Chambre où
j'étois avec Antigame,
ouvrit la porte ſans heur-
ter, & y entra ſubite-
ment. Il fut frappé ſi ter-
riblement de me voir en
cet état, qu'il ſortit bruſ-
quement, referma la por-
te, & ſe retira : ha ! que
ne ſentis-je point quand
je vins à penſer que Cle-
ante ſcachant ma conduite
s'applaudiroit de m'avoir
abandonnée ! non, je ne
lée, ſans la penſée qu'il
ſçauroit dans la ſuitte
mon mariage avec Anti-
game. Pour ſoulager mon
chagrin, & me raſſeurer
davantage cet époux, je
le careſſay, je l'appellay
vingt fois mon cher mary,
mon cher cœur ; & le
priay de penſer à ſa belle
mere, & à luy chercher
des moyens pour la tirer
d'affaire. Antigame ne fut
plus ſi ſenſible à mes ca-
reſſes ; il me parut froid
qu'un mineur comme luy
ne pourroit point trouver
d'argent ; que ma mere
n'avoit qu'à faire une ven-
te ſimulée de ſes biens, &
ſe retirer dans un Con-
vent. A ce diſcours je me
chagrinay, je pleuray &
je me plaignis de luy ; il
ſortit bruſquement de ma
Chambre & me quitta ;
Je cours aprés luy, il fuit
devant moy. Dans ce
même moment, un La-
quais ſe trouva devant
me donner une Lettre
que je reconnus être de
la main de Cleante : elle
portoit qu'il étoit au com-
ble de ſes felicitez, puiſ-
qu'il alloit devenir mon
époux ; que Cleon ſon
oncle étoit parti pour Pa-
ris, pour porter de l'argent
à ma mere pour payer les
dépens auſquels nous a-
vions eſté condamnez, &
dans la penſée de me ra-
mener avec elle à Rouën
pour faire nôtre mariage;
il ne nous avoit point
veuës avant nôtre départ,
à ſon égard c'étoit parce
que la nouvelle de la perte
de nôtre Procés l'avoit
touché d'une maniere qu'il
en étoit tombé malade,
qu'il avoit perdu toute
connoiſſance, & que les
Medecins avoient défen-
du à ſes gens de le laiſſer
voir à perſonne : & à l'é-
gard de ſon oncle qu'a-
nimé par la part qu'il pre-
noit dans nos intereſts, il
poſte pour Calais où il
avoit été chercher une
piece qui juſtifioit la fauſ-
ſeté de celle qui nous a-
voit fait perdre nôtre Pro-
cés ; qu'il l'avoit apportée,
& que ce n'étoit plus une
affaire de revenir contre
l'Arreſt qui étoit contre
nous & de gagner nôtre
Procés. Ce pauvre gar-
çon quoiqu'il ne fût pas
entierement gueri faiſoit
tout ce qu'il pouvoit dans
cette Lettre pour me faire
& combien il avoit d'em-
preſſement de me poſ-
ſeder.
ce fatal moment Antiga-
me entra dans ma Cham-
bre, pour apprendre ma
reſolution : il s'aperçeut
de l'état où j'étois ; il l'in-
terpreta à ſon avantage ;
il en profita, & me preſ-
ſa d'une maniere ſi vive,
que je perdis toute con-
noiſſance, & que je ne
ſçavois plus ce que je fai-
ſois. Je me reſſouviens
ſeulement, que ma raiſon
élevoit dans mon cœur
M ij
140
Les Agréemens & les
de moment en moment,des mouvements d'indi-
gnation & de colere con-
tre Antigame ; qu'enſuitte
cette même raiſon ſur-
priſe & enchantée par
mes ſens, & de concert
avec eux à me tromper,
me faiſoit entendre que
je ſauvois une mere de
priſon, & que je m'enga-
geois par là un époux.
Dans cet inſtant mal-heu-
reux & funeſte, Cleon
qui arrivoit de Rouën,
& qui venoit nous voir,
141
Chagrins du Mariage.
ma mere & moy, trou-vant une clef dans la ſer-
rure de la Chambre où
j'étois avec Antigame,
ouvrit la porte ſans heur-
ter, & y entra ſubite-
ment. Il fut frappé ſi ter-
riblement de me voir en
cet état, qu'il ſortit bruſ-
quement, referma la por-
te, & ſe retira : ha ! que
ne ſentis-je point quand
je vins à penſer que Cle-
ante ſcachant ma conduite
s'applaudiroit de m'avoir
abandonnée ! non, je ne
M iij
142
Les Agréemens & les
m'en ſerois jamais conſo-lée, ſans la penſée qu'il
ſçauroit dans la ſuitte
mon mariage avec Anti-
game. Pour ſoulager mon
chagrin, & me raſſeurer
davantage cet époux, je
le careſſay, je l'appellay
vingt fois mon cher mary,
mon cher cœur ; & le
priay de penſer à ſa belle
mere, & à luy chercher
des moyens pour la tirer
d'affaire. Antigame ne fut
plus ſi ſenſible à mes ca-
reſſes ; il me parut froid
143
Chagrins du Mariage.
& indolent ; & me ditqu'un mineur comme luy
ne pourroit point trouver
d'argent ; que ma mere
n'avoit qu'à faire une ven-
te ſimulée de ſes biens, &
ſe retirer dans un Con-
vent. A ce diſcours je me
chagrinay, je pleuray &
je me plaignis de luy ; il
ſortit bruſquement de ma
Chambre & me quitta ;
Je cours aprés luy, il fuit
devant moy. Dans ce
même moment, un La-
quais ſe trouva devant
144
Les Agréemens & les
moy, & m'arreſta pourme donner une Lettre
que je reconnus être de
la main de Cleante : elle
portoit qu'il étoit au com-
ble de ſes felicitez, puiſ-
qu'il alloit devenir mon
époux ; que Cleon ſon
oncle étoit parti pour Pa-
ris, pour porter de l'argent
à ma mere pour payer les
dépens auſquels nous a-
vions eſté condamnez, &
dans la penſée de me ra-
mener avec elle à Rouën
pour faire nôtre mariage;
que
145
Chagrins du Mariage.
que la raiſon pour laquelleil ne nous avoit point
veuës avant nôtre départ,
à ſon égard c'étoit parce
que la nouvelle de la perte
de nôtre Procés l'avoit
touché d'une maniere qu'il
en étoit tombé malade,
qu'il avoit perdu toute
connoiſſance, & que les
Medecins avoient défen-
du à ſes gens de le laiſſer
voir à perſonne : & à l'é-
gard de ſon oncle qu'a-
nimé par la part qu'il pre-
noit dans nos intereſts, il
N
Troiſiéme Partie.
146
Les Agréemens & les
avoit pris ſecretement lapoſte pour Calais où il
avoit été chercher une
piece qui juſtifioit la fauſ-
ſeté de celle qui nous a-
voit fait perdre nôtre Pro-
cés ; qu'il l'avoit apportée,
& que ce n'étoit plus une
affaire de revenir contre
l'Arreſt qui étoit contre
nous & de gagner nôtre
Procés. Ce pauvre gar-
çon quoiqu'il ne fût pas
entierement gueri faiſoit
tout ce qu'il pouvoit dans
cette Lettre pour me faire
147
Chagrins du Mariage.
voir combien il m'aimoit,& combien il avoit d'em-
preſſement de me poſ-
ſeder.
Ha ! que cette Lettre
porta un cruel coup de
poignard dans mon cœur.
Quoy, diſois-je, en moy-
même, Antigame eſt un
inégal, un ingrat, un in-
fidele, & j'ay tout fait
pour luy : tu m'aimes
toûjours malheureux Cle-
ante, tu m'es fidelle, &
tu veux m'épouſer ; ce-
pendant je t'abandonne,
ton oncle vient tirer ma
mere de priſon, ton oncle
veut nôtre mariage : Dis‑
moy, reprenois-je, ces
ſentimens pouront-ils te-
nir contre ce qu'il a veu;
& toy pouras-tu reſiſter
contre ce qu'il te dira ?
pouras-tu encore m'ai-
mer ; ou plûtoſt pouras‑
tu t'empêcher de me re-
garder comme une miſe-
rable, & de me haïr mor-
tellement ? C'eſt moy à
preſent, continuois-je,
tiens priſonniere, & qui
ſuis cauſe que tes mal-
heurs ne finiront jamais :
juſte ciel ! m'écriay-je en
ſoûpirant, je n'ay point
voulu attendre le ſecours
de cette main favorable
prête à me ſecourir ; je
m'en ſuis défiée, & me
voila mal-heureuſe pour
le reſte de ma vie.
porta un cruel coup de
poignard dans mon cœur.
Quoy, diſois-je, en moy-
même, Antigame eſt un
inégal, un ingrat, un in-
fidele, & j'ay tout fait
pour luy : tu m'aimes
toûjours malheureux Cle-
ante, tu m'es fidelle, &
tu veux m'épouſer ; ce-
pendant je t'abandonne,
N ij
148
Les Agréemens & les
je te trahis honteuſement;ton oncle vient tirer ma
mere de priſon, ton oncle
veut nôtre mariage : Dis‑
moy, reprenois-je, ces
ſentimens pouront-ils te-
nir contre ce qu'il a veu;
& toy pouras-tu reſiſter
contre ce qu'il te dira ?
pouras-tu encore m'ai-
mer ; ou plûtoſt pouras‑
tu t'empêcher de me re-
garder comme une miſe-
rable, & de me haïr mor-
tellement ? C'eſt moy à
preſent, continuois-je,
149
Chagrins du Mariage.
mere infortunée, qui tetiens priſonniere, & qui
ſuis cauſe que tes mal-
heurs ne finiront jamais :
juſte ciel ! m'écriay-je en
ſoûpirant, je n'ay point
voulu attendre le ſecours
de cette main favorable
prête à me ſecourir ; je
m'en ſuis défiée, & me
voila mal-heureuſe pour
le reſte de ma vie.
Je penſay & dis quan-
tité d'autres choſes qu'il
ſeroit difficile de vous rap-
porter. Pour concluſion,
mon eſprit, & la profon-
de douleur que je reſſen-
tis, fit une ſi ſurprenante
revolution ſur mes ſens,
que je tombay dangereu-
ſement malade : ma mere
ne pût reſiſter à ce dernier
malheur ; elle s'étoit reti-
rée dans un Convent, où
elle mourut de langueur.
Courage, courage, diſois‑
je : fortune, redouble tes
coups; je me faiſois une
eſpece de plaiſir de me voir
dans le comble des adver-
finir par ma mort ; mais
mon heure n'étoit pas en-
core arrivée, elle me rap-
pelloit à la vie pour d'au-
tres chagrins.
tité d'autres choſes qu'il
ſeroit difficile de vous rap-
porter. Pour concluſion,
N iij
150
Les Agréemens & les
l'agitation violente demon eſprit, & la profon-
de douleur que je reſſen-
tis, fit une ſi ſurprenante
revolution ſur mes ſens,
que je tombay dangereu-
ſement malade : ma mere
ne pût reſiſter à ce dernier
malheur ; elle s'étoit reti-
rée dans un Convent, où
elle mourut de langueur.
Courage, courage, diſois‑
je : fortune, redouble tes
coups; je me faiſois une
eſpece de plaiſir de me voir
dans le comble des adver-
151
Chagrins du Mariage.
ſitez, croyant de les voirfinir par ma mort ; mais
mon heure n'étoit pas en-
core arrivée, elle me rap-
pelloit à la vie pour d'au-
tres chagrins.
Antigame prit le deüil
peu de temps aprés la
mort de ma mere : je m'i-
maginay que c'étoit de ſa
belle mere, c'eſt à dire
qu'il me regardoit comme
ſa femme ; je n'avois pas
encore aſſez ſouffert pour
mes pechez : me voila
hors de danger ; je ne ſçay
de me voir femme d'An-
tigame, n'y contribua pas
beaucoup. Cependant les
impreſſions du mal étoient
trop violentes pour me
guerir ſi-toſt ; je ne dor-
mois pas, j'avois des
inquietudes effroyables ;
trois & quatre fois par
jour un garçon Apoti-
quaire m'aportoit des Si-
rops preparez, & des Ju-
leps. Un jour comme les
rideaux de mon lit étoient
fermez, & que je me
chambre, l'eſprit unique-
ment rempli de Cleante,
il m'échappa de pronon-
cer ces mots : Ha ! mal-
heureux Cleante ! Dans
ce même inſtant je vis ti-
rer les rideaux de mon lit,
& le garçon Apotiquaire
qui aportoit mes Sirops,
ſe jetter à genoux devant
le lit, en me diſant les
yeux baignez de larmes,
& le cœur plein de ſan-
glots & de ſoûpirs : Oüy,
aimable Leſbie, oüy-il
vous ne pouvez conce-
voir. Je jettay les yeux
ſur ce garçon; une Per-
ruque qu'il avoit priſe,
l'habillement qu'il por-
toit, l'abattement & la
maigreur qui paroiſſoient
ſur ſon viſage, m'emba-
raſſerent quelque temps :
enfin je reconnus Cleante;
nous étions ſi troublez
l'un & l'autre, que nous
fûmes long-temps ſans
pouvoir nous parler, que
par des regards & des ſoû-
oncle étant revenu à
Roüen luy avoit parlé de
moy trés-deſavantageuſe-
ment; qu'il luy avoit dit
que j'étois une fille ſans
honneur & ſans vertu, &
qu'il luy avoit ordonné de
ne me plus voir, ny de
penſer jamais à moy. Il
ajoûta que comme il me
connoiſſoit, & l'inclina-
tion intereſſé & avare
de ſon oncle, bien loin
d'avoir pû penſer une ſem-
blable choſe, il avoit crû
ayant jugé que nôtre af-
faire n'étoit point bonne,
& que nous ne pouvions
revenir contre l'Arreſt ;
ſon oncle s'étoit aviſé de
cet artifice pour le dé-
gouter de moy, & pour
l'empêcher de m'épouſer,
n'ayant eû en veuë dans
nôtre Mariage que le gain
de ce Procés, & de tirer
vengeance de nôtre par-
tie. Cleante ajoûta, que
dans cette penſée il avoit
fait des reproches fâcheux
nous manquoit de parole;
& luy avoit dit qu'il étoit
honnête homme, qu'il
tiendroit la ſienne, &
n'auroit point d'autre
femme que moy : que
cette réponſe avoit telle-
ment irrité ſon oncle, qu'il
n'avoit plus voulu le voir,
& qu'il s'étoit marié à
une jeune femme à qui il
avoit donné tout ſon bien;
que quoyqu'une ſembla-
ble perte eût dû le tou-
cher ſenſiblement, l'in
point de mes nouvelles
luy avoit fait oublier ce
chagrin, & l'avoit déter-
miné à venir à Paris pour
en apprendre ; qu'il y a-
voit ſçeu mon indiſpoſi-
tion avec beaucoup de
douleur, & que ſe voyant
hors d'état de pouvoir me
voir, il s'étoit aviſé de ſe
mettre chez l'Apotiquaire
qui me ſervoit, ſous pre-
texte d'apprendre la Pro-
feſſion; qu'il ſe trouvoit
bien recompenſé de cet
qu'il avoit pû me rendre
quelque petit ſervice pen-
dant ma maladie ; qu'il
pouvoit me jurer à pre-
ſent, que bien loin que ſa
paſſion fût diminuée par
le temps & par les rap-
ports injuſtes qu'on luy
avoit faits de moy, elle
étoit devenuë ſi violente,
& étoit montée à un ex-
cés ſi grand qu'il ne pou-
voit plus vivre ſans me
voir ; enfin qu'il venoit
ſçavoir ſa deſtinée de ma
toit entre mes mains.
peu de temps aprés la
mort de ma mere : je m'i-
maginay que c'étoit de ſa
belle mere, c'eſt à dire
qu'il me regardoit comme
ſa femme ; je n'avois pas
encore aſſez ſouffert pour
mes pechez : me voila
hors de danger ; je ne ſçay
N iiij
152
Les Agréemens & les
ſi la joye ſecrete que j'eusde me voir femme d'An-
tigame, n'y contribua pas
beaucoup. Cependant les
impreſſions du mal étoient
trop violentes pour me
guerir ſi-toſt ; je ne dor-
mois pas, j'avois des
inquietudes effroyables ;
trois & quatre fois par
jour un garçon Apoti-
quaire m'aportoit des Si-
rops preparez, & des Ju-
leps. Un jour comme les
rideaux de mon lit étoient
fermez, & que je me
153
Chagrins du Mariage.
croïois ſeule dans machambre, l'eſprit unique-
ment rempli de Cleante,
il m'échappa de pronon-
cer ces mots : Ha ! mal-
heureux Cleante ! Dans
ce même inſtant je vis ti-
rer les rideaux de mon lit,
& le garçon Apotiquaire
qui aportoit mes Sirops,
ſe jetter à genoux devant
le lit, en me diſant les
yeux baignez de larmes,
& le cœur plein de ſan-
glots & de ſoûpirs : Oüy,
aimable Leſbie, oüy-il
154
Les Agréemens & les
eſt plus malheureux quevous ne pouvez conce-
voir. Je jettay les yeux
ſur ce garçon; une Per-
ruque qu'il avoit priſe,
l'habillement qu'il por-
toit, l'abattement & la
maigreur qui paroiſſoient
ſur ſon viſage, m'emba-
raſſerent quelque temps :
enfin je reconnus Cleante;
nous étions ſi troublez
l'un & l'autre, que nous
fûmes long-temps ſans
pouvoir nous parler, que
par des regards & des ſoû-
155
Chagrins du Mariage.
pirs. Il me dit que ſononcle étant revenu à
Roüen luy avoit parlé de
moy trés-deſavantageuſe-
ment; qu'il luy avoit dit
que j'étois une fille ſans
honneur & ſans vertu, &
qu'il luy avoit ordonné de
ne me plus voir, ny de
penſer jamais à moy. Il
ajoûta que comme il me
connoiſſoit, & l'inclina-
tion intereſſé & avare
de ſon oncle, bien loin
d'avoir pû penſer une ſem-
blable choſe, il avoit crû
156
Les Agréemens & les
que les conſeils de Parisayant jugé que nôtre af-
faire n'étoit point bonne,
& que nous ne pouvions
revenir contre l'Arreſt ;
ſon oncle s'étoit aviſé de
cet artifice pour le dé-
gouter de moy, & pour
l'empêcher de m'épouſer,
n'ayant eû en veuë dans
nôtre Mariage que le gain
de ce Procés, & de tirer
vengeance de nôtre par-
tie. Cleante ajoûta, que
dans cette penſée il avoit
fait des reproches fâcheux
157
Chagrins du Mariage.
à ſon oncle, de ce qu'ilnous manquoit de parole;
& luy avoit dit qu'il étoit
honnête homme, qu'il
tiendroit la ſienne, &
n'auroit point d'autre
femme que moy : que
cette réponſe avoit telle-
ment irrité ſon oncle, qu'il
n'avoit plus voulu le voir,
& qu'il s'étoit marié à
une jeune femme à qui il
avoit donné tout ſon bien;
que quoyqu'une ſembla-
ble perte eût dû le tou-
cher ſenſiblement, l'in
158
Les Agréemens & les
quietude de n'entendre point de mes nouvelles
luy avoit fait oublier ce
chagrin, & l'avoit déter-
miné à venir à Paris pour
en apprendre ; qu'il y a-
voit ſçeu mon indiſpoſi-
tion avec beaucoup de
douleur, & que ſe voyant
hors d'état de pouvoir me
voir, il s'étoit aviſé de ſe
mettre chez l'Apotiquaire
qui me ſervoit, ſous pre-
texte d'apprendre la Pro-
feſſion; qu'il ſe trouvoit
bien recompenſé de cet
159
Chagrins du Mariage.
innocent artifice, puiſ-qu'il avoit pû me rendre
quelque petit ſervice pen-
dant ma maladie ; qu'il
pouvoit me jurer à pre-
ſent, que bien loin que ſa
paſſion fût diminuée par
le temps & par les rap-
ports injuſtes qu'on luy
avoit faits de moy, elle
étoit devenuë ſi violente,
& étoit montée à un ex-
cés ſi grand qu'il ne pou-
voit plus vivre ſans me
voir ; enfin qu'il venoit
ſçavoir ſa deſtinée de ma
160
Les Agréemens & les
bouche, & que ſa vie é-toit entre mes mains.
Qui n'auroit pas été
touchée, ma chere Frau-
deliſe, d'un prcedé ſi
tendre, & ſi fidelle ? auſſi
la fus-je tres-ſenſiblement:
cela n'empêcha pas que je
ne luy repreſentaſſe, que
quoi-que mon plus grand
bon-heur fût de me voir
à luy, nous ne devions
point y penſer ; que nous
n'avions pas de biens, ny
l'un ny l'autre ; qu'il en
falloit indiſpenſablement
ne vouloit y être mal-
heureux : Je luy avoüay
que je l'avois crû infidele
apres la perte de nôtre
Procés, n'apprenant point
de ſes nouvelles ; que j'en
avois été ſenſiblement
touchée, & que peu de
temps aprés, ma mere
m'avoit promiſe à Anti-
game ; qu'à cauſe de ſa
pretenduë infidelité j'y a-
vois conſentie, qu'Anti-
game n'attendoit que la
mort de ſa mere fort in-
qu'il s'étoit même expli-
qué de ſes ſentimens, en
prenant le deüil de ma
mere aprés ſa mort. Il me
repartit les larmes aux
yeux, que la paſſion qu'il
avoit pour moy étoit ſi
deſ-intereſſée & ſi atta-
chée à mes intereſts, qu'il
conſentiroit à devenir l'eſ-
clave du Corſaire le plus
dur pour me faire Reine,
pourvû que je luy en tinſſe
compte dans le fond de
mon cœur : mais que
qu'Antigame ne m'épou-
ſeroit point ; que ſes ſen-
timens étoient trop éloi-
gnés du Mariage ; qu'il
ne demandoit qu'à me
tromper, & que le deüil
qu'il avoit pris étoit de ſa
mere décedée peu de jours
aprés la mienne.
touchée, ma chere Frau-
deliſe, d'un prcedé ſi
tendre, & ſi fidelle ? auſſi
la fus-je tres-ſenſiblement:
cela n'empêcha pas que je
ne luy repreſentaſſe, que
quoi-que mon plus grand
bon-heur fût de me voir
à luy, nous ne devions
point y penſer ; que nous
n'avions pas de biens, ny
l'un ny l'autre ; qu'il en
falloit indiſpenſablement
dans
161
Chagrins du Mariage.
dans le Mariage, ſi l'onne vouloit y être mal-
heureux : Je luy avoüay
que je l'avois crû infidele
apres la perte de nôtre
Procés, n'apprenant point
de ſes nouvelles ; que j'en
avois été ſenſiblement
touchée, & que peu de
temps aprés, ma mere
m'avoit promiſe à Anti-
game ; qu'à cauſe de ſa
pretenduë infidelité j'y a-
vois conſentie, qu'Anti-
game n'attendoit que la
mort de ſa mere fort in-
O
Troiſiéme Partie.
162
Les Agréemens & les
firme pour m'épouſer ; & qu'il s'étoit même expli-
qué de ſes ſentimens, en
prenant le deüil de ma
mere aprés ſa mort. Il me
repartit les larmes aux
yeux, que la paſſion qu'il
avoit pour moy étoit ſi
deſ-intereſſée & ſi atta-
chée à mes intereſts, qu'il
conſentiroit à devenir l'eſ-
clave du Corſaire le plus
dur pour me faire Reine,
pourvû que je luy en tinſſe
compte dans le fond de
mon cœur : mais que
163
Chagrins du Mariage.
je devois être perſuadéequ'Antigame ne m'épou-
ſeroit point ; que ſes ſen-
timens étoient trop éloi-
gnés du Mariage ; qu'il
ne demandoit qu'à me
tromper, & que le deüil
qu'il avoit pris étoit de ſa
mere décedée peu de jours
aprés la mienne.
Dans le temps qu'il me
parloit ainſi, nous enten-
dîmes ſur l'eſcalier ma
garde qui m'aportoit un
boüillon, & qui raiſon-
noit avec le Medecin : ce
promptement, & s'en al-
la, de crainte de décou-
vrir quelque choſe par
l'embarras & le trouble
où nous étions. La con-
ſolation que je reſſentis
de le voir & de le trou-
ver tendre & fidelle, fit
un effet ſi prompt ſur mes
ſens & ſur mon eſprit,
qu'en peu de temps je me
vis guerie ; l'on me flat-
toit que cette maladie
m'avoit embellie ; j'en
crûs quelque choſe, quand
game beaucoup augmen-
tée pour moy : jamais
tant d'aſſiduité, ny de
complaiſance ; ſon unique
occupation étoit de me
chercher des nippes &
des bijoux, & de me don-
ner des plaiſirs ; il vouloit
que j'euſſe ſa bourſe, il
m'avoit donné à garder
deux mille Louis d'or6 ;
j'étois maîtreſſe de tout,
il ne m'appelloit jamais
autrement que ſa chere
femme. Pour concluſion
avec un mary, flattée que
dés que l'année du deüil
de ſa mere ſeroit paſſée,
il m'épouſeroit publique-
ment, & me reconnoî-
troit pour ſa femme : ce-
pendant vous ne pouvez
concevoir combien j'ay
ſouffert dans cette attente.
parloit ainſi, nous enten-
dîmes ſur l'eſcalier ma
garde qui m'aportoit un
boüillon, & qui raiſon-
noit avec le Medecin : ce
O ij
164
Les Agréemens & les
qui fit que Cleante ſe levapromptement, & s'en al-
la, de crainte de décou-
vrir quelque choſe par
l'embarras & le trouble
où nous étions. La con-
ſolation que je reſſentis
de le voir & de le trou-
ver tendre & fidelle, fit
un effet ſi prompt ſur mes
ſens & ſur mon eſprit,
qu'en peu de temps je me
vis guerie ; l'on me flat-
toit que cette maladie
m'avoit embellie ; j'en
crûs quelque choſe, quand
165
Chagrins du Mariage.
je vis la paſſion d'Anti-game beaucoup augmen-
tée pour moy : jamais
tant d'aſſiduité, ny de
complaiſance ; ſon unique
occupation étoit de me
chercher des nippes &
des bijoux, & de me don-
ner des plaiſirs ; il vouloit
que j'euſſe ſa bourſe, il
m'avoit donné à garder
deux mille Louis d'or6 ;
j'étois maîtreſſe de tout,
il ne m'appelloit jamais
autrement que ſa chere
femme. Pour concluſion
O iij
166
Les Agréemens & les
je vivois avec luy commeavec un mary, flattée que
dés que l'année du deüil
de ſa mere ſeroit paſſée,
il m'épouſeroit publique-
ment, & me reconnoî-
troit pour ſa femme : ce-
pendant vous ne pouvez
concevoir combien j'ay
ſouffert dans cette attente.
Ha ! que les plaiſirs qui
ne ſont point legitimes
ſont differens des autres,
& qu'une fille eſt mal-
heureuſe quand elle eſt
tombée dans cette hon-
ſe paroître dans le mon-
de ; elle croit que l'on ne
parle que d'elle & de ſon
infamie ; tout lui fait peur,
rien ne la conſole ; ſa vie
ſe paſſe dans des inquié-
tudes, & dans des re-
mords continuels : ſon
amant n'aime en elle que
ſon plaiſir & ſa volupté,
ſans ſonger s'il agrée ou
s'il déplaît ; elle s'en ap-
perçoit bien-toſt : qu'elle
haïſſe le tabac, qu'elle
craigne l'odeur du vin ;
débauchées, que ſes em-
portemens la fatiguent &
la tourmentent, il ne dai-
gne pas y prendre garde;
il faut qu'elle ſouffre, il
faut qu'elle diſſimule,
& qu'elle feigne pour ſe
maintenir, des extaſes &
des raviſſemens d'amour
& de plaiſir. Une femme
ſe fait une vertu de ces
ſortes de choſes auprés de
ſon mary : l'honnête fi-
gure qu'elle fait dans le
monde ! ſa belle famille,
neceſſité indiſpenſable de
vivre & de mourir avec
ce mary, leurs interêts
communs, la ſatisfaction
de faire ſon devoir, le re-
pos de conſcience ; tout
cela joint enſemble dé-
tourne ces ſortes de dé-
goûts, & fournit de nou-
veaux plaiſirs à une fem-
me mariée, qui ſont in-
connus à une fille qui ne
vit point dans les régles.
ne ſont point legitimes
ſont differens des autres,
& qu'une fille eſt mal-
heureuſe quand elle eſt
tombée dans cette hon-
167
Chagrins du Mariage.
teuſe extremité ! Elle n'oſe paroître dans le mon-
de ; elle croit que l'on ne
parle que d'elle & de ſon
infamie ; tout lui fait peur,
rien ne la conſole ; ſa vie
ſe paſſe dans des inquié-
tudes, & dans des re-
mords continuels : ſon
amant n'aime en elle que
ſon plaiſir & ſa volupté,
ſans ſonger s'il agrée ou
s'il déplaît ; elle s'en ap-
perçoit bien-toſt : qu'elle
haïſſe le tabac, qu'elle
craigne l'odeur du vin ;
168
Les Agréemens & les
que ſes manieres libres &débauchées, que ſes em-
portemens la fatiguent &
la tourmentent, il ne dai-
gne pas y prendre garde;
il faut qu'elle ſouffre, il
faut qu'elle diſſimule,
& qu'elle feigne pour ſe
maintenir, des extaſes &
des raviſſemens d'amour
& de plaiſir. Une femme
ſe fait une vertu de ces
ſortes de choſes auprés de
ſon mary : l'honnête fi-
gure qu'elle fait dans le
monde ! ſa belle famille,
ſes
169
Chagrins du Mariage.
ſes beaux enfans, cetteneceſſité indiſpenſable de
vivre & de mourir avec
ce mary, leurs interêts
communs, la ſatisfaction
de faire ſon devoir, le re-
pos de conſcience ; tout
cela joint enſemble dé-
tourne ces ſortes de dé-
goûts, & fournit de nou-
veaux plaiſirs à une fem-
me mariée, qui ſont in-
connus à une fille qui ne
vit point dans les régles.
Ces raiſons me déter-
minerent à faire expliquer
née du deüil ſeroit paſſée,
& au cas qu'il ne voulût
pas m'épouſer, de l'aban-
donner comme un traître
& comme un perfide.
minerent à faire expliquer
P
Troiſiéme Partie.
170
Les Agréemens & les
Antigame, dés que l'an-née du deüil ſeroit paſſée,
& au cas qu'il ne voulût
pas m'épouſer, de l'aban-
donner comme un traître
& comme un perfide.
Cleante étoit ſorti du
logis de ſon Apotiquaire ;
aprés avoir tenté inutile-
ment pluſieurs occaſions
de me parler en particu-
lier, il en trouva une : c'é-
toit pour me dire, qu'An-
tigame de l'humeur & de
l'eſprit dont il étoit, ne
m'épouſeroit jamais; qu'il
pour m'en vanger ; que
quoique le plus grand
malheur qui pût luy arri-
ver au monde,étoit de me
voir entre les bras d'un
autre, le plaiſir de ma for-
tune, de mon élevation,
& la reconnoiſſance que
je luy en tiendrois dans le
fond de mon cœur, ſoula-
geroient beaucoup ſes cha-
grins. Que de ſoupirs, que
de larmes cette conver-
ſation nous coûta ! Enfin
elle finit par la promeſſe
qu'Antigame, aprés l'an-
née du deüil de ſa mere,
ne voulût pas m'épouſer,
je m'abandonnerois à ſes
conſeils. Non, je ne puis
vous expliquer la diver-
ſité des mouvemens qu'il
fit paroître dans ce mo-
ment ; il ſe fait tard, a-
vançons, ma chere Frau-
deliſe.
logis de ſon Apotiquaire ;
aprés avoir tenté inutile-
ment pluſieurs occaſions
de me parler en particu-
lier, il en trouva une : c'é-
toit pour me dire, qu'An-
tigame de l'humeur & de
l'eſprit dont il étoit, ne
m'épouſeroit jamais; qu'il
171
Chagrins du Mariage.
venoit m'offrir ſon braspour m'en vanger ; que
quoique le plus grand
malheur qui pût luy arri-
ver au monde,étoit de me
voir entre les bras d'un
autre, le plaiſir de ma for-
tune, de mon élevation,
& la reconnoiſſance que
je luy en tiendrois dans le
fond de mon cœur, ſoula-
geroient beaucoup ſes cha-
grins. Que de ſoupirs, que
de larmes cette conver-
ſation nous coûta ! Enfin
elle finit par la promeſſe
P ij
172
Les Agréemens & les
que je luy fis, qu'au casqu'Antigame, aprés l'an-
née du deüil de ſa mere,
ne voulût pas m'épouſer,
je m'abandonnerois à ſes
conſeils. Non, je ne puis
vous expliquer la diver-
ſité des mouvemens qu'il
fit paroître dans ce mo-
ment ; il ſe fait tard, a-
vançons, ma chere Frau-
deliſe.
L'année du deüil de la
mere d'Antigame finie,
il ne voulut point m'é-
pouſer ; voicy ſes belles
tions mariez, & que nous
pouvions continuer & vi-
vre de même en ſureté
de conſcience, puiſque le
conſentement ſeul que
nous nous étions donné
faiſoit le Mariage; qu'un
Mariage public, & dans
toutes ſes formes, n'eſt
point ſi agréable, ni ſi vo-
luptueux ; qu'il eſt op-
poſé & contraire à l'a-
mour ; que le cœur ne
s'en accommode point,
qu'il aime ſa liberté & ne
que comme il vouloit
m'aimer toute ſa vie a-
vec la même tendreſſe, &
la même vivacité, il ne
vouloit point m'épouſer
autrement. De mon côté
je luy répondois, que c'é-
toit ſe flatter de croire que
nôtre Mariage fût bon;
que nôtre Religion, &
nos loix le condamnoient;
qu'un Mariage dans les
formes n'étoit point ac-
compagné de mépris &
d'infamie ; qu'il étoit ſans
que l'on n'étoit point o-
bligé d'en cacher honteu-
ſement les fruits ; qu'on
les voïoit avec joye ; que
ces enfans ſur les viſages
deſquels on avoit le plai-
ſir de ſe reconnoître l'un
& l'autre, étoient des liens
qui uniſſoient plus étroi-
tement les peres & les
meres, d'inclination &
d'intereſt ; que ces liens
étoient bien plus forts que
ceux d'une inclination paſ-
ſagere ; qu'un cœur bien
plaiſoit dans ſon devoir,
& ſe faiſoit une douce ha-
bitude de le ſuivre; enfin
je concluois que je voïois
bien qu'il ne m'aimoit
gueres, puis qu'il pou-
voit voir mon inquietude
& ma honte, ſans en être
touché, & refuſoit de
ſubir une loy qui l'obli-
geoit de m'aimer toute
ſa vie.
mere d'Antigame finie,
il ne voulut point m'é-
pouſer ; voicy ſes belles
173
Chagrins du Mariage.
raiſons : c'eſt que nous é-tions mariez, & que nous
pouvions continuer & vi-
vre de même en ſureté
de conſcience, puiſque le
conſentement ſeul que
nous nous étions donné
faiſoit le Mariage; qu'un
Mariage public, & dans
toutes ſes formes, n'eſt
point ſi agréable, ni ſi vo-
luptueux ; qu'il eſt op-
poſé & contraire à l'a-
mour ; que le cœur ne
s'en accommode point,
qu'il aime ſa liberté & ne
P iij
174
Les Agréemens & les
peut agir par devoir ; &que comme il vouloit
m'aimer toute ſa vie a-
vec la même tendreſſe, &
la même vivacité, il ne
vouloit point m'épouſer
autrement. De mon côté
je luy répondois, que c'é-
toit ſe flatter de croire que
nôtre Mariage fût bon;
que nôtre Religion, &
nos loix le condamnoient;
qu'un Mariage dans les
formes n'étoit point ac-
compagné de mépris &
d'infamie ; qu'il étoit ſans
175
Chagrins du Mariage.
crainte, & ſans remords ;que l'on n'étoit point o-
bligé d'en cacher honteu-
ſement les fruits ; qu'on
les voïoit avec joye ; que
ces enfans ſur les viſages
deſquels on avoit le plai-
ſir de ſe reconnoître l'un
& l'autre, étoient des liens
qui uniſſoient plus étroi-
tement les peres & les
meres, d'inclination &
d'intereſt ; que ces liens
étoient bien plus forts que
ceux d'une inclination paſ-
ſagere ; qu'un cœur bien
P iiij
176
Les Agréemens & les
fait, & bien tourné ſeplaiſoit dans ſon devoir,
& ſe faiſoit une douce ha-
bitude de le ſuivre; enfin
je concluois que je voïois
bien qu'il ne m'aimoit
gueres, puis qu'il pou-
voit voir mon inquietude
& ma honte, ſans en être
touché, & refuſoit de
ſubir une loy qui l'obli-
geoit de m'aimer toute
ſa vie.
Ce refus me toucha
d'autant plus ſenſiblement,
que je voïois qu'il m'avoit
écrite & ſignée de ſon
ſang, & dont il pouvoit
ſe faire relever à cauſe de
ſa minorité. Ce fut alors
que je refléchis bien ſé-
rieuſement ſur le peu de
profit que j'avois fait des
leçons de ma Religieuſe :
que j'en eus de douleur,
& de repentir ! Je n'avois
pas oublié de luy avoir
oüi dire, que quand mal-
heureuſement une fille é-
toit tombée dans ce préci-
pice, elle ne devoit point
tirer, ſi elle ne vouloit
tomber dans la derniere
diſgrace, & dans la der-
niere infamie. Cette pen-
ſée me fit prendre la re-
ſolution de quitter Anti-
game, & d'épouſer Cle-
ante : quels reproches ne
me fis-je point ? que ne
ſouffris-je pas quand je
vins à penſer, que je ne
pouvois plus porter dans
le lit d'un amant ſincere
& fidelle, que les reſtes
honteux d'un traître &
j'étois peu digne de l'eſ-
time de Cleante ! non je
ne puis vous expliquer
tout ce qui ſe paſſa dans
le fond de mon cœur.
Enfin je fis avertir Cleante
que je voulois luy parler;
il vint au rendez-vous : je
luy appris qu'Antigame
ne vouloit pas m'épouſer;
nôtre derniere reſolution
fut que je prendrois mon
temps pour ſortir du logis
d'Antigame, & pour en
emporter les deux mille
donnez à garder, & tout
ce que j'avois chez luy;
que dans ce même temps,
ſuivant l'avis qui m'avoit
été donné par un Avocat,
je me retirerois dans un
Convent ; que je ferois un
procés à Antigame pour
l'execution de ſa Promeſſe
de Mariage ; & qu'aprés
le jugement qui ne pou-
roit aller qu'à des dom-
mages & intereſts, à cauſe
de la minorité d'Anti-
game, Cleante m'épou-
parole, je tiray de mon
doigt la bague de prix
dont Antigame m'avoit
fait preſent, & je la don-
nay à Cleante ; mais refle-
chiſſans l'un & l'autre,
qu'Antigame ne me vo-
yant plus cette bague, pou-
roit soupçonner quelque
choſe de ma conduite,
cela me détermina à re-
prendre la bague ; je tiray
le Rubis du chaton8 pour
le donner à Cleante, &
je conſervay l'anneau
montrer à Antigame, &
luy faire accroire que le
Rubis étoit tombé du cha-
ton & s'étoit perdu. Ce
qui me touchoit le plus
ſenſiblement, étoit l'in-
fidelité que je faiſois à
Antigame, en violant la
bonne foy du dépôt des
deux mille Louis d'or9 qu'il
m'avoit donnez à garder:
Mais Cleante me fit en-
tendre par tant de bonnes
raiſons, que nous n'étions
pas obligez de garder la
perfides, que je me rendis
à ſes perſuaſions.
d'autant plus ſenſiblement,
que je voïois qu'il m'avoit
177
Chagrins du Mariage.
trompée avec ſa Promeſſeécrite & ſignée de ſon
ſang, & dont il pouvoit
ſe faire relever à cauſe de
ſa minorité. Ce fut alors
que je refléchis bien ſé-
rieuſement ſur le peu de
profit que j'avois fait des
leçons de ma Religieuſe :
que j'en eus de douleur,
& de repentir ! Je n'avois
pas oublié de luy avoir
oüi dire, que quand mal-
heureuſement une fille é-
toit tombée dans ce préci-
pice, elle ne devoit point
178
Les Agréemens & les
perdre de temps à s'en re-tirer, ſi elle ne vouloit
tomber dans la derniere
diſgrace, & dans la der-
niere infamie. Cette pen-
ſée me fit prendre la re-
ſolution de quitter Anti-
game, & d'épouſer Cle-
ante : quels reproches ne
me fis-je point ? que ne
ſouffris-je pas quand je
vins à penſer, que je ne
pouvois plus porter dans
le lit d'un amant ſincere
& fidelle, que les reſtes
honteux d'un traître &
179
Chagrins du Mariage.
d'un perfide, & combienj'étois peu digne de l'eſ-
time de Cleante ! non je
ne puis vous expliquer
tout ce qui ſe paſſa dans
le fond de mon cœur.
Enfin je fis avertir Cleante
que je voulois luy parler;
il vint au rendez-vous : je
luy appris qu'Antigame
ne vouloit pas m'épouſer;
nôtre derniere reſolution
fut que je prendrois mon
temps pour ſortir du logis
d'Antigame, & pour en
emporter les deux mille
180
Les Agréemens & les
Louis d'or7 qu'il m'avoitdonnez à garder, & tout
ce que j'avois chez luy;
que dans ce même temps,
ſuivant l'avis qui m'avoit
été donné par un Avocat,
je me retirerois dans un
Convent ; que je ferois un
procés à Antigame pour
l'execution de ſa Promeſſe
de Mariage ; & qu'aprés
le jugement qui ne pou-
roit aller qu'à des dom-
mages & intereſts, à cauſe
de la minorité d'Anti-
game, Cleante m'épou-
181
Chagrins du Mariage.
ſeroit. Pour ſeureté de maparole, je tiray de mon
doigt la bague de prix
dont Antigame m'avoit
fait preſent, & je la don-
nay à Cleante ; mais refle-
chiſſans l'un & l'autre,
qu'Antigame ne me vo-
yant plus cette bague, pou-
roit soupçonner quelque
choſe de ma conduite,
cela me détermina à re-
prendre la bague ; je tiray
le Rubis du chaton8 pour
le donner à Cleante, &
je conſervay l'anneau
182
Les Agréemens & les
dans mon doigt pour lemontrer à Antigame, &
luy faire accroire que le
Rubis étoit tombé du cha-
ton & s'étoit perdu. Ce
qui me touchoit le plus
ſenſiblement, étoit l'in-
fidelité que je faiſois à
Antigame, en violant la
bonne foy du dépôt des
deux mille Louis d'or9 qu'il
m'avoit donnez à garder:
Mais Cleante me fit en-
tendre par tant de bonnes
raiſons, que nous n'étions
pas obligez de garder la
183
Chagrins du Mariage.
foy aux traîtres & auxperfides, que je me rendis
à ſes perſuaſions.
Enſuite Leſbie raconta à
Fraudeliſe & à cette Mar-
chande, que comme elle
attendoit qu'Antigame al-
lât à la Chaſſe, & luy
fournît par là une occa-
ſion favorable de le quit-
ter, & d'executer le deſ-
ſein qu'elle avoit formé,
il étoit malheureuſement
arrivé, que ce même jour
le mauvais temps avoit o-
bligé Antigame d'entrer
Cabaret, dans laquelle
Cleante & Philabel diſpu-
toient enſemble ſur la
qualité & ſur le prix du
Rubis qu'elle avoit donné
à Cleante, & dont An-
tigame lui avoit fait pre-
ſent : Que dans cette
Chambre, Antigame s'é-
tant avancé doucement
derriere Cleante dans le
temps qu'il tenoit le Ru-
bis, il avoit veu le Rubis,
& luy avoit trouvé beau-
coup de reſſemblance avec
Leſbie, & que Cleante
s'en étant apperçeu, mal-
gré la pluïe étoit ſorti
promptement avec Phi-
label de ce Cabaret ; que
ce procedé avoit donné
de violens ſoupçons à
Antigame contr'elle ; que
pour s'en éclaircir il avoit
fait interroger adroite-
ment un Laquais de Cle-
ante, qui étoit demeuré
dans ce Cabaret ; que ce
Laquais avoit répondu
qu'une fille dont il ne
fait preſent de ce Rubis à
ſon Maître, & qu'elle
devoit encore luy donner
deux mille Louis10 & l'é-
pouſer ; enfin elle ajoûta
qu'Antigame avoit penſé
que c'étoit d'elle que ce
Laquais avoit voulu par-
ler, ce qui faiſoit qu'elle
ne doutoit point qu'il ne
fût dans une furieuſe co-
lere contr'elle ; qu'elle ne
ſçavoit pas comment elle
pouroit le faire revenir, &
luy faire entendre que c'é-
ce Laquais avoit voulu
parler ; & finiſſant elle dit à
Fraudeliſe & à cette Mar-
chande, qu'elle leur au-
roit les dernieres obliga-
tions ſi elles pouvoient
luy donner des conſeils,
& des moyens pour la
tirer de ce malheureux
pas.
Fraudeliſe & à cette Mar-
chande, que comme elle
attendoit qu'Antigame al-
lât à la Chaſſe, & luy
fournît par là une occa-
ſion favorable de le quit-
ter, & d'executer le deſ-
ſein qu'elle avoit formé,
il étoit malheureuſement
arrivé, que ce même jour
le mauvais temps avoit o-
bligé Antigame d'entrer
184
Les Agréemens & les
dans une Chambre d'unCabaret, dans laquelle
Cleante & Philabel diſpu-
toient enſemble ſur la
qualité & ſur le prix du
Rubis qu'elle avoit donné
à Cleante, & dont An-
tigame lui avoit fait pre-
ſent : Que dans cette
Chambre, Antigame s'é-
tant avancé doucement
derriere Cleante dans le
temps qu'il tenoit le Ru-
bis, il avoit veu le Rubis,
& luy avoit trouvé beau-
coup de reſſemblance avec
celui
185
Chagrins du Mariage.
celui qu'il avoit donné àLeſbie, & que Cleante
s'en étant apperçeu, mal-
gré la pluïe étoit ſorti
promptement avec Phi-
label de ce Cabaret ; que
ce procedé avoit donné
de violens ſoupçons à
Antigame contr'elle ; que
pour s'en éclaircir il avoit
fait interroger adroite-
ment un Laquais de Cle-
ante, qui étoit demeuré
dans ce Cabaret ; que ce
Laquais avoit répondu
qu'une fille dont il ne
Q
Troiſiéme Partie.
186
Les Agréemens & les
ſçavoit pas le nom, avoitfait preſent de ce Rubis à
ſon Maître, & qu'elle
devoit encore luy donner
deux mille Louis10 & l'é-
pouſer ; enfin elle ajoûta
qu'Antigame avoit penſé
que c'étoit d'elle que ce
Laquais avoit voulu par-
ler, ce qui faiſoit qu'elle
ne doutoit point qu'il ne
fût dans une furieuſe co-
lere contr'elle ; qu'elle ne
ſçavoit pas comment elle
pouroit le faire revenir, &
luy faire entendre que c'é-
187
Chagrins du Mariage.
toit d'une autre fille quece Laquais avoit voulu
parler ; & finiſſant elle dit à
Fraudeliſe & à cette Mar-
chande, qu'elle leur au-
roit les dernieres obliga-
tions ſi elles pouvoient
luy donner des conſeils,
& des moyens pour la
tirer de ce malheureux
pas.
Leſbie ayant ceſſé de
parler, cette Marchande
luy témoigna qu'elle a-
voit eû raiſon de luy dire
que ſon affaire étoit plus
cheuſe que celle de Frau-
deliſe ; & enſuite aprés a-
voir rêvé quelque temps,
elle luy demanda ſi Anti-
game ſçavoit ſon hiſtoire
avec Cleante, ou du
moins qu'elle le connût :
à quoy Leſbie répondit,
qu'elle s'étoit ſi bien mé-
nagée là-deſſus, que non‑
ſeulement il n'en avoit
jamais eû aucune connoiſ-
ſance, mais encore qu'il
avoit crû qu'elle ne con-
noiſſoit d'autre homme
point, continua cette
Marchande, avoir le Ru-
bis que vous avez donné
à Cleante ? Ouy. Com-
ment, interrompit Fraude-
liſe, comment voudriez-
vous qu'elle allât rede-
mander à cet homme le
Rubis qu'elle luy a don-
né ? Il en faudra donc a-
chetter un ſemblable, ré-11
prit cette Marchande, &
Alvarés en a de tant de
façons que nous trouve-
rons aiſément chez luy ce
bien, repartit Fraudeliſe,
quand Leſbie auroit un
ſemblable Rubis , qu'en
feroit-elle ; que s'enſui-
vroit-il? Elle le feroit trou-
ver, reprit cette veuve,
dans quelque endroit de la
maiſon, par un domeſti-
que d'Antigame qui iroit
le lui porter : Antigame,
continua-t-elle, voyant
ce Rubis, ignorant que
vous connoiſſez Cleante,
& ne pouvant concevoir
que vous ayez pû appren-
a veu un Rubis entre les
mains de Cleante, & qu'il a
ſoupçonné que c'étoit ce-
lui qu'il vous avoit donné,
s'imaginera ſans doute
qu'il s'eſt trompé, que ce
Rubis n'eſt point celui
qu'il vous a donné, que
le Laquais de Cleante a
voulu parler d'une autre
fille que de vous ; & entre
nous, finit-elle en ſoûriant,
ſi vous jouez bien vôtre
rôlle, comme Antigame
ſuaderez ce que vous vou-
drez ; car il eſt aiſé à une
belle perſonne de faire ac-
croire à un homme qui
l'aime qu'elle luy eſt fi-
delle.
parler, cette Marchande
luy témoigna qu'elle a-
voit eû raiſon de luy dire
que ſon affaire étoit plus
Q ij
188
Les Agréemens & les
embaraſſante & plus fâ-cheuſe que celle de Frau-
deliſe ; & enſuite aprés a-
voir rêvé quelque temps,
elle luy demanda ſi Anti-
game ſçavoit ſon hiſtoire
avec Cleante, ou du
moins qu'elle le connût :
à quoy Leſbie répondit,
qu'elle s'étoit ſi bien mé-
nagée là-deſſus, que non‑
ſeulement il n'en avoit
jamais eû aucune connoiſ-
ſance, mais encore qu'il
avoit crû qu'elle ne con-
noiſſoit d'autre homme
189
Chagrins du Mariage.
que luy. Ne pouriez-vouspoint, continua cette
Marchande, avoir le Ru-
bis que vous avez donné
à Cleante ? Ouy. Com-
ment, interrompit Fraude-
liſe, comment voudriez-
vous qu'elle allât rede-
mander à cet homme le
Rubis qu'elle luy a don-
né ? Il en faudra donc a-
chetter un ſemblable, ré-11
prit cette Marchande, &
Alvarés en a de tant de
façons que nous trouve-
rons aiſément chez luy ce
Q iij
190
Les Agréemens & les
que nous demandons. Hebien, repartit Fraudeliſe,
quand Leſbie auroit un
ſemblable Rubis , qu'en
feroit-elle ; que s'enſui-
vroit-il? Elle le feroit trou-
ver, reprit cette veuve,
dans quelque endroit de la
maiſon, par un domeſti-
que d'Antigame qui iroit
le lui porter : Antigame,
continua-t-elle, voyant
ce Rubis, ignorant que
vous connoiſſez Cleante,
& ne pouvant concevoir
que vous ayez pû appren-
191
Chagrins du Mariage.
dre ce qui s'eſt paſſé, qu'ila veu un Rubis entre les
mains de Cleante, & qu'il a
ſoupçonné que c'étoit ce-
lui qu'il vous avoit donné,
s'imaginera ſans doute
qu'il s'eſt trompé, que ce
Rubis n'eſt point celui
qu'il vous a donné, que
le Laquais de Cleante a
voulu parler d'une autre
fille que de vous ; & entre
nous, finit-elle en ſoûriant,
ſi vous jouez bien vôtre
rôlle, comme Antigame
192
Les Agréemens & les
vous aime, vous luy per-ſuaderez ce que vous vou-
drez ; car il eſt aiſé à une
belle perſonne de faire ac-
croire à un homme qui
l'aime qu'elle luy eſt fi-
delle.
Comme cette veuve
parloit ainſi, Leſbie ima-
gina un endroit heureux
pour faire trouver le Ru-
bis, ſi bien que rendant
mille graces à cette veuve
& à Fraudeliſe, elle leur
témoigna qu'elle eſperoit
de pouvoir ſe ſervir uti-
comme il ſe faiſoit tard
elles ſortirent prompte-
ment toutes trois de la
maiſon de Fraudeliſe,
& allerent premierement
chez le copiſte pour luy
faire faire une copie figu-
rée de la Lettre que Frau-
deliſe avoit écrite à Phi-
label ; & pendant que le
copiſte y travailloit, elles
allerent chercher un Ru-
bis ſemblable à celuy qu'-
Antigame avoit donné à
Leſbie. Elles en trouve-
bie l'acheta : elles revin-
rent enſuite vers le copiſte
qui avoit imité ſi bien la
Lettre de Fraudeliſe, qu'el-
les ſe trompoient à la reſ-
ſemblance ; & aprés s'être
embraſſées & baiſées, el-
les ſe quitterent, & Frau-
deliſe & Leſbie allerent
diſpoſer les choſes pour
leur expedition du len-
demain.
parloit ainſi, Leſbie ima-
gina un endroit heureux
pour faire trouver le Ru-
bis, ſi bien que rendant
mille graces à cette veuve
& à Fraudeliſe, elle leur
témoigna qu'elle eſperoit
de pouvoir ſe ſervir uti-
lement
193
Chagrins du Mariage.
lement de leurs avis ; &comme il ſe faiſoit tard
elles ſortirent prompte-
ment toutes trois de la
maiſon de Fraudeliſe,
& allerent premierement
chez le copiſte pour luy
faire faire une copie figu-
rée de la Lettre que Frau-
deliſe avoit écrite à Phi-
label ; & pendant que le
copiſte y travailloit, elles
allerent chercher un Ru-
bis ſemblable à celuy qu'-
Antigame avoit donné à
Leſbie. Elles en trouve-
R
Troiſiéme Partie.
194
Les Agréemens & les
rent un tout pareil, Leſ-bie l'acheta : elles revin-
rent enſuite vers le copiſte
qui avoit imité ſi bien la
Lettre de Fraudeliſe, qu'el-
les ſe trompoient à la reſ-
ſemblance ; & aprés s'être
embraſſées & baiſées, el-
les ſe quitterent, & Frau-
deliſe & Leſbie allerent
diſpoſer les choſes pour
leur expedition du len-
demain.
Fraudeliſe plia & ca-
cheta la Lettre de la mê-
me maniere que le veri-
cachet, la mit dans la
poche d'un petit tablier
qu'elle avoit, & alla ſe
coucher, en meditant
pendant la nuit comment
elle devoit faire réuſſir ſes
deſſeins.
cheta la Lettre de la mê-
me maniere que le veri-
195
Chagrins du Mariage.
table, rompit enſuite lecachet, la mit dans la
poche d'un petit tablier
qu'elle avoit, & alla ſe
coucher, en meditant
pendant la nuit comment
elle devoit faire réuſſir ſes
deſſeins.
Leſbie ſe retira de ſon
côté, & prit en paſſant
chez un Apotiquaire, une
Medecine dont elle fit
charger la doſe d'un Re-
mede violent : & étant
arrivée au logis, comme
elle avoit une clef du ca-
avoit fait faire à ſon inſ-
çû, elle mit dans l'endroit
de ſon bureau où il tenoit
ſes Lettres, le Rubis qu'-
elle avoit acheté, en le
cachant ſous quelqu'une
de ſes Lettres ; parce que
peu de jours auparavant
qu'elle eût donné à Cle-
ante le Rubis, elle avoit
voulu en preſence d'An-
tigame foüiller dans cet
endroit, pour y prendre
une Lettre cachetée de
ſoye, ce qu'il avoit em-
doigts il l'avoit obligé de
la lâcher dans le même
endroit, Leſbie préten-
dant de luy faire penſer
que dans ce temps-là le
Rubis étoit tombé du cha-
ton12, & étoit reſté là ; elle
ferma enſuite le cabinet,
& alla ſe coucher, l'eſprit
uniquement repli de ce
qu'elle devoit executer le
jour ſuivant.
côté, & prit en paſſant
chez un Apotiquaire, une
Medecine dont elle fit
charger la doſe d'un Re-
mede violent : & étant
arrivée au logis, comme
elle avoit une clef du ca-
R ij
196
Les Agréemens & les
binet d'Antigame, qu'elleavoit fait faire à ſon inſ-
çû, elle mit dans l'endroit
de ſon bureau où il tenoit
ſes Lettres, le Rubis qu'-
elle avoit acheté, en le
cachant ſous quelqu'une
de ſes Lettres ; parce que
peu de jours auparavant
qu'elle eût donné à Cle-
ante le Rubis, elle avoit
voulu en preſence d'An-
tigame foüiller dans cet
endroit, pour y prendre
une Lettre cachetée de
ſoye, ce qu'il avoit em-
197
Chagrins du Mariage.
pêché, & luy ſerrant lesdoigts il l'avoit obligé de
la lâcher dans le même
endroit, Leſbie préten-
dant de luy faire penſer
que dans ce temps-là le
Rubis étoit tombé du cha-
ton12, & étoit reſté là ; elle
ferma enſuite le cabinet,
& alla ſe coucher, l'eſprit
uniquement repli de ce
qu'elle devoit executer le
jour ſuivant.
Le lendemain Philo-
game ſe leva plus matin
qu'à ſon ordinaire, dans
avec Fraudeliſe ; il la trou-
va à ſa toilette dans un
lieu de la chambre un
peu obſcur : il s'aſſit au-
prés d'elle avec un air
chagrin & rêveur ; elle
feignit d'en être ſurpriſe,
& luy en demanda la rai-
ſon : vous la verrez, dit-il,
ingrate, dans cette Lettre,
en luy preſentat celle
qu'elle avoit écrite à Phi-
label; elle la prit, & en-
ſuite s'approchant de la
fenêtre, & ſe tournant de
dans la poche de ſon ta-
blier, & en tira la copie
qu'elle avoit fait faire le
ſoir auparavant, mais
d'une maniere ſi adroite
que Philogame n'en eût
pas le moindre ſoupçon ;
enſuite elle examina cette
copie en la preſence de Phi-
logame, avec une atten-
tion feinte, & le regar-
dant de temps en temps,
elle témoigna beaucoup
de ſurpriſe & d'étonne-
ment. Voila infidelle,
quel ſtile vous écrivez à
Philabel ; cet homme que
vous traittiez d'impudent
& d'inſolent, que vous
haïſſiez tant, & que vous
me diſiez avoir chaſſé de
chez vous : il eſt digne de
vous, continua-t-il, &
je ne ſerviray jamais d'ob-
ſtacle à vôtre paſſion. C'eſt
à dire, interrompit bruſ-
quement Fraudeliſe, que
vous croyez que cette
Lettre eſt de ma main,
& que je l'ay écrite à Phi-
mal, continua-t-elle, avec
un air froid & dédaigneux,
ma main & mon cœur,
vous qui vous mélez de
me taxer d'ingratitude &
d'infidelité. Enſuite Frau-
deliſe copia cette même
Lettre ſur du papier en
preſence de Philogame, &
aprés avoir achevé la co-
pie, elle la luy jetta avec
celle qu'elle avoit ſuppo-
ſée, en luy diſant, voyez
combien vous vous trom-
pez ; ne croyez-pas, con-
fier, que ce ſoit par au-
cune pétention que j'aye
ſur vôtre cœur ; j'y re-
nonce pour toute ma vie,
& ce que j'en ay fait n'eſt
que pour ma propre ſatis-
faction & pour ma gloire.
Enſuite elle le quitta bruſ-
quement, & paſſa dans la
chambre de ſa mere ſans
vouloir l'entendre. Phi-
logame prit ces deux co-
pies de Lettre, les exa-
mina, & les confronta ;
tantôt il les crioit toutes
deliſe, & en d'autres temps
de differentes : que faire,
quel party prendre, à qui
s'adreſſer ? aux Maiſtres
Ecrivains ; par leur raport
les Lettres ſont de diffe-
rentes mains, & Fraude-
liſe eſt innocente : l'Abbé
Sophin n'en juge pas tout
à fait ainſi ; ils diſputent
enſemble, ils raiſonnent,
ils s'égarent dans leurs rai-
ſonnemens, & ne ſçavent
à quoy ſe déterminer cer-
tainement là-deſſus.
game ſe leva plus matin
qu'à ſon ordinaire, dans
R iij
198
Les Agréemens & les
l'impatience de s'expliqueravec Fraudeliſe ; il la trou-
va à ſa toilette dans un
lieu de la chambre un
peu obſcur : il s'aſſit au-
prés d'elle avec un air
chagrin & rêveur ; elle
feignit d'en être ſurpriſe,
& luy en demanda la rai-
ſon : vous la verrez, dit-il,
ingrate, dans cette Lettre,
en luy preſentat celle
qu'elle avoit écrite à Phi-
label; elle la prit, & en-
ſuite s'approchant de la
fenêtre, & ſe tournant de
199
Chagrins du Mariage.
côté, elle mit cette Lettredans la poche de ſon ta-
blier, & en tira la copie
qu'elle avoit fait faire le
ſoir auparavant, mais
d'une maniere ſi adroite
que Philogame n'en eût
pas le moindre ſoupçon ;
enſuite elle examina cette
copie en la preſence de Phi-
logame, avec une atten-
tion feinte, & le regar-
dant de temps en temps,
elle témoigna beaucoup
de ſurpriſe & d'étonne-
ment. Voila infidelle,
R iiij
200
Les Agréemens & les
continua Philogame, dequel ſtile vous écrivez à
Philabel ; cet homme que
vous traittiez d'impudent
& d'inſolent, que vous
haïſſiez tant, & que vous
me diſiez avoir chaſſé de
chez vous : il eſt digne de
vous, continua-t-il, &
je ne ſerviray jamais d'ob-
ſtacle à vôtre paſſion. C'eſt
à dire, interrompit bruſ-
quement Fraudeliſe, que
vous croyez que cette
Lettre eſt de ma main,
& que je l'ay écrite à Phi-
201
Chagrins du Mariage.
label : vous connoiſſezmal, continua-t-elle, avec
un air froid & dédaigneux,
ma main & mon cœur,
vous qui vous mélez de
me taxer d'ingratitude &
d'infidelité. Enſuite Frau-
deliſe copia cette même
Lettre ſur du papier en
preſence de Philogame, &
aprés avoir achevé la co-
pie, elle la luy jetta avec
celle qu'elle avoit ſuppo-
ſée, en luy diſant, voyez
combien vous vous trom-
pez ; ne croyez-pas, con-
202
Les Agréemens & les
tinua-t-elle avec un airfier, que ce ſoit par au-
cune pétention que j'aye
ſur vôtre cœur ; j'y re-
nonce pour toute ma vie,
& ce que j'en ay fait n'eſt
que pour ma propre ſatis-
faction & pour ma gloire.
Enſuite elle le quitta bruſ-
quement, & paſſa dans la
chambre de ſa mere ſans
vouloir l'entendre. Phi-
logame prit ces deux co-
pies de Lettre, les exa-
mina, & les confronta ;
tantôt il les crioit toutes
203
Chagrins du Mariage.
deux de la main de Frau-deliſe, & en d'autres temps
de differentes : que faire,
quel party prendre, à qui
s'adreſſer ? aux Maiſtres
Ecrivains ; par leur raport
les Lettres ſont de diffe-
rentes mains, & Fraude-
liſe eſt innocente : l'Abbé
Sophin n'en juge pas tout
à fait ainſi ; ils diſputent
enſemble, ils raiſonnent,
ils s'égarent dans leurs rai-
ſonnemens, & ne ſçavent
à quoy ſe déterminer cer-
tainement là-deſſus.
204
Les Agréemens & les
A l'égard de Leſbie,
dés que le jour paroît elle
prend ſecrettement le Re-
mede preparé, & en at-
tend l'effet ; lors qu'il a-
git violemment, elle en-
voye un Laquais dire à
Antigame de ſa part qu'-
elle ſe mouroit, & qu'elle
demandoit à luy parler.
Je meurs contente, luy
dit-elle, en le voyant ap-
procher de ſon lit, & je
ne regrette point la vie
puiſque vous m'êtes infi-
delle, & que je ne puis
ce même temps elle fei-
gnit de tomber dans une
convulſion ; la violence
du remede, & l'abatte-
ment où il l'avoit jettée,
& qui paroiſſoit ſur ſon
viſage, contribuoit beau-
coup à cacher ſa feinte &
ſon artifice, & à perſua-
der Antigame qu'elle ſe
mouroit. Revenant en-
ſuite de ſa feinte convul-
ſion elle continua à parler
ainſi : Ecoutez-moy, Anti-
game, je n'ay plus gueres
ſont précieux : prenez, re-
prit-elle en ſoûpirant, les
clefs de mon coffre, l'ar-
gent que vous m'avez
donné à garder qui eſt
dedans, & tout ce que
j'ay de plus précieux au
monde. Je vous donne
tout ce que j'ay , & je
voudrois avoir un Sceptre
& une Couronne à vous
offrir en mourant. Vous
verrez aprés ma mort la
difference de la fidelité de
Leſbie, d'avec celle de
ſeray alors au fond de vô-
tre cœur pour vous faire
reſſentir les peines deuës
aux infidelles & par-
jures. Antigame étoit dans
un étonnement & dans
une ſurpriſe que l'on ne
peut concevoir ; & ſon
reſſentiment ne pouvoit
tenir contre l'état dans le-
quel il voyoit Leſbie, ny
contre les témoignages de
tendreſſe & d'amour qu'-
elle luy faiſoit paroître.
Il voulut ſçavoir la cauſe
d'effets ſi extraordinaires,
& ſi prompts, & il pria
inſtamment Leſbie de la
luy apprendre.
dés que le jour paroît elle
prend ſecrettement le Re-
mede preparé, & en at-
tend l'effet ; lors qu'il a-
git violemment, elle en-
voye un Laquais dire à
Antigame de ſa part qu'-
elle ſe mouroit, & qu'elle
demandoit à luy parler.
Je meurs contente, luy
dit-elle, en le voyant ap-
procher de ſon lit, & je
ne regrette point la vie
puiſque vous m'êtes infi-
delle, & que je ne puis
205
Chagrins du Mariage.
être vôtre femme. Dansce même temps elle fei-
gnit de tomber dans une
convulſion ; la violence
du remede, & l'abatte-
ment où il l'avoit jettée,
& qui paroiſſoit ſur ſon
viſage, contribuoit beau-
coup à cacher ſa feinte &
ſon artifice, & à perſua-
der Antigame qu'elle ſe
mouroit. Revenant en-
ſuite de ſa feinte convul-
ſion elle continua à parler
ainſi : Ecoutez-moy, Anti-
game, je n'ay plus gueres
206
Les Agréemens & les
à vivre & les momentsſont précieux : prenez, re-
prit-elle en ſoûpirant, les
clefs de mon coffre, l'ar-
gent que vous m'avez
donné à garder qui eſt
dedans, & tout ce que
j'ay de plus précieux au
monde. Je vous donne
tout ce que j'ay , & je
voudrois avoir un Sceptre
& une Couronne à vous
offrir en mourant. Vous
verrez aprés ma mort la
difference de la fidelité de
Leſbie, d'avec celle de
207
Chagrins du Mariage.
vos autres Maîtreſſes; & jeſeray alors au fond de vô-
tre cœur pour vous faire
reſſentir les peines deuës
aux infidelles & par-
jures. Antigame étoit dans
un étonnement & dans
une ſurpriſe que l'on ne
peut concevoir ; & ſon
reſſentiment ne pouvoit
tenir contre l'état dans le-
quel il voyoit Leſbie, ny
contre les témoignages de
tendreſſe & d'amour qu'-
elle luy faiſoit paroître.
Il voulut ſçavoir la cauſe
208
Les Agréemens & les
d'où pouvoient partir tantd'effets ſi extraordinaires,
& ſi prompts, & il pria
inſtamment Leſbie de la
luy apprendre.
Elle commença en fei-
gnant de prendre de nou-
velles forces, par luy dire
qu'elle n'avoit point dor-
mi toute la nuit ; que
l'horloge l'avertiſſant que
le jour alloit bien-tôt pa-
roître, un leger ſommeil
l'avoit priſe ; qu'à peine en
goûtoit-elle les premieres
douceurs qu'une femme
étoit apparuë, & dont le
reſſouvenir ſeul la faiſoit
encore trembler. Elle ſe
mit à luy en faire le por-
trait, en luy diſant, qu'elle
avoit les jouës creuſes, la
bouche grande, les lévres
noires & épaiſſes, le nez
écraſé, les narines groſſes
& enflées, le teint jaune
& marqué de goutes de
ſang, les yeux hors de la
tête, dont ſortoient de
moment en moment des
étincelles de feu, la tête
des ſerpens qui l'entou-
roient. Elle continua en
diſant, qu'il luy ſembloit
qu'elle avoit diſparuë un
moment aprés, en arra-
chant de ſa tête un Ser-
pent qu'elle luy avoit jet-
té ; que ce Serpent cou-
lant ſur ſa main, étoit
venu s'attacher à la bague
qu'Antigame luy avoit
donnée, & avec ſes dents
en avoit arraché le Rubis;
qu'enſuite il avoit été le
cacher ſur le Bureau
droit où il mettoit ſes
Lettres ; aprés quoy il é-
toit diſparu : Que dans ce
même temps quantité de
Hiboux, de Chats-huans 13,
& de Chauves-Souris, s'é-
toient aſſemblez ſur ſa
tête en forme de Dais, &
avoient fait par leurs cris
un bruit effroyable ; lors
qu'une grande femme
belle, & d'un air extrê-
mement doux, portant à
ſa main un rameau d'Oli-
vier, les avoit chaſſez, &
ſur ſon lit un brin de ſon
rameau ; qu'auſſi toſt elle
s'étoit éveillée ſi perſua-
dée qu'elle devoit trouver
ce brin d'Olivier, qu'el-
le l'avoit cherché long‑
temps, & enfin qu'elle
étoit tombée dans des
convulſions ſi violentes
qu'elle voyoit bien qu'elle
ne devoit plus penſer qu'à
mourir : Que ces Oiſeaux
de mauvais augure étoient
venus l'en avertir, & que
le peu de forces qu'elle ſe
qu'elle n'avoit que peu
d'heures à vivre ; aprés
quoy elle fit comme les
derniers adieux à Antiga-
me, le priant de ſe ſou-
venir toûjours d'elle, &
d'executer la reſolution
qu'il avoit priſe de ne ſe
point marier ; & ſans vou-
loir l'écouter, elle ſe tour-
na de l'autre côté en le
priant de luy laiſſer le
peu de temps qu'elle avoit
pour penſer à elle.
gnant de prendre de nou-
velles forces, par luy dire
qu'elle n'avoit point dor-
mi toute la nuit ; que
l'horloge l'avertiſſant que
le jour alloit bien-tôt pa-
roître, un leger ſommeil
l'avoit priſe ; qu'à peine en
goûtoit-elle les premieres
douceurs qu'une femme
grande
209
Chagrins du Mariage.
grande & effoyable luyétoit apparuë, & dont le
reſſouvenir ſeul la faiſoit
encore trembler. Elle ſe
mit à luy en faire le por-
trait, en luy diſant, qu'elle
avoit les jouës creuſes, la
bouche grande, les lévres
noires & épaiſſes, le nez
écraſé, les narines groſſes
& enflées, le teint jaune
& marqué de goutes de
ſang, les yeux hors de la
tête, dont ſortoient de
moment en moment des
étincelles de feu, la tête
S
Troiſiéme Partie.
210
Les Agréemens & les
élevée, & pour cheveuxdes ſerpens qui l'entou-
roient. Elle continua en
diſant, qu'il luy ſembloit
qu'elle avoit diſparuë un
moment aprés, en arra-
chant de ſa tête un Ser-
pent qu'elle luy avoit jet-
té ; que ce Serpent cou-
lant ſur ſa main, étoit
venu s'attacher à la bague
qu'Antigame luy avoit
donnée, & avec ſes dents
en avoit arraché le Rubis;
qu'enſuite il avoit été le
cacher ſur le Bureau
211
Chagrins du Mariage.
d'Antigame, & dans l'en-droit où il mettoit ſes
Lettres ; aprés quoy il é-
toit diſparu : Que dans ce
même temps quantité de
Hiboux, de Chats-huans 13,
& de Chauves-Souris, s'é-
toient aſſemblez ſur ſa
tête en forme de Dais, &
avoient fait par leurs cris
un bruit effroyable ; lors
qu'une grande femme
belle, & d'un air extrê-
mement doux, portant à
ſa main un rameau d'Oli-
vier, les avoit chaſſez, &
S ij
212
Les Agréemens & les
diſparoiſſant avoit jettéſur ſon lit un brin de ſon
rameau ; qu'auſſi toſt elle
s'étoit éveillée ſi perſua-
dée qu'elle devoit trouver
ce brin d'Olivier, qu'el-
le l'avoit cherché long‑
temps, & enfin qu'elle
étoit tombée dans des
convulſions ſi violentes
qu'elle voyoit bien qu'elle
ne devoit plus penſer qu'à
mourir : Que ces Oiſeaux
de mauvais augure étoient
venus l'en avertir, & que
le peu de forces qu'elle ſe
213
Chagrins du Mariage.
ſentoit, luy faiſoit voirqu'elle n'avoit que peu
d'heures à vivre ; aprés
quoy elle fit comme les
derniers adieux à Antiga-
me, le priant de ſe ſou-
venir toûjours d'elle, &
d'executer la reſolution
qu'il avoit priſe de ne ſe
point marier ; & ſans vou-
loir l'écouter, elle ſe tour-
na de l'autre côté en le
priant de luy laiſſer le
peu de temps qu'elle avoit
pour penſer à elle.
Jamais homme ne ſe
baras qu'Antigame ; il ne
ſçavoit ny que faire ny
que penſer : il cherchoit
la ſolitude, il entra dans
ſon cabinet, il promena
ſes yeux ſur ſon bureau, &
voyant quelques Lettres
dérangées dans l'endroit
où Leſbie avoit ſongé que
le ſerpent avoit mis ſon
Rubis; il eût la curioſité en
remettant ces Lettres dans
leur ordre, de viſiter cet
endroit : ha ! quelle fut ſa
ſurpriſe, quand il y trouva
ſoit plus, il ne ſçavoit où
il en étoit, il s'imaginoit
que c'étoit une illuſion,
& un charme que tout ce
qu'il venoit de voir. En
cet état il courut chez
l'Abbé Sophin, où il
trouva Philogame qui luy
dit que la Lettre n'étoit
point de Fraudeliſe, qu'-
elle étoit innocente, qu'il
l'avoit reconnu, & gene-
ralement tou ce qu'il ſça-
voit ſur ce ſujet.
S iij
214
Les Agréemens & les
vid dans un ſi furieux em-baras qu'Antigame ; il ne
ſçavoit ny que faire ny
que penſer : il cherchoit
la ſolitude, il entra dans
ſon cabinet, il promena
ſes yeux ſur ſon bureau, &
voyant quelques Lettres
dérangées dans l'endroit
où Leſbie avoit ſongé que
le ſerpent avoit mis ſon
Rubis; il eût la curioſité en
remettant ces Lettres dans
leur ordre, de viſiter cet
endroit : ha ! quelle fut ſa
ſurpriſe, quand il y trouva
215
Chagrins du Mariage.
un Rubis ? ils ne ſe connoiſ-ſoit plus, il ne ſçavoit où
il en étoit, il s'imaginoit
que c'étoit une illuſion,
& un charme que tout ce
qu'il venoit de voir. En
cet état il courut chez
l'Abbé Sophin, où il
trouva Philogame qui luy
dit que la Lettre n'étoit
point de Fraudeliſe, qu'-
elle étoit innocente, qu'il
l'avoit reconnu, & gene-
ralement tou ce qu'il ſça-
voit ſur ce ſujet.
Antigame de ſon côté
tout ce qui s'étoit paſsé
ſur le chapitre de Leſbie.
Aprés pluſieurs raiſonne-
mens, les avis de Philo-
game & d'Antigame fu-
rent, que Leſbie étoit in-
nocente auſſi-bien que
Fraudeliſe ; l'Abbé Sophin
ſoupçonnoit qu'il y avoit
de l'artifice caché là deſ-
ſous : ce qui ſurprenoit
au dernier point Philo-
game & Antigame, étoit
le ſonge de Leſbie ; il n'y
avoit rien de ſi divertiſ-
qu'ils luy donnoient, &
les hiſtoires & les raiſon-
nemens qu'ils faiſoient
ſur le chapitre des Son-
ges : cette grande femme
hideuſe qui avoit jetté
ce ſerpent, étoit la Diſ-
corde ; cette femme dou-
ce & belle étoit la Déeſſe
de la Paix, qui avac ſon
rameau d'Olivier avoit
chaſſé les oiſeaux de mau-
vais augure. Ils ſoûte-
noient à l'Abbé Sophin,
qu'il y avoit des genies
vertiſſoient en ſonge de
ce qui devoit nous arriver;
ils rapporterent le ſonge
de Calpurnia, qui l'avoit
avertie de la mort de Jules
Ceſar ſon mary ; celuy de
Créſus qui luy apprit que
ſon fils Atis devoit être
tué d'un Dard ; celuy
d'Aſtyages Roy des Medes,
qui l'avertit que le fils qui
naîtroit de Mandane ſa
fille, ſeroit maître de l'Aſie;
Enfin ils en dirent plu-
ſieurs autres, & leur con-
flexion qu'ils firent, qu'il
ne falloit jamais juger de
rien, puiſque des préſom-
ptions auſſi fortes & auſſi
violentes étoient trom-
peuſes.
216
Les Agréemens & les
raconta à l'un & à l'autretout ce qui s'étoit paſsé
ſur le chapitre de Leſbie.
Aprés pluſieurs raiſonne-
mens, les avis de Philo-
game & d'Antigame fu-
rent, que Leſbie étoit in-
nocente auſſi-bien que
Fraudeliſe ; l'Abbé Sophin
ſoupçonnoit qu'il y avoit
de l'artifice caché là deſ-
ſous : ce qui ſurprenoit
au dernier point Philo-
game & Antigame, étoit
le ſonge de Leſbie ; il n'y
avoit rien de ſi divertiſ-
ſant
217
Chagrins du Mariage.
ſant que l'explication qu'ils luy donnoient, &
les hiſtoires & les raiſon-
nemens qu'ils faiſoient
ſur le chapitre des Son-
ges : cette grande femme
hideuſe qui avoit jetté
ce ſerpent, étoit la Diſ-
corde ; cette femme dou-
ce & belle étoit la Déeſſe
de la Paix, qui avac ſon
rameau d'Olivier avoit
chaſſé les oiſeaux de mau-
vais augure. Ils ſoûte-
noient à l'Abbé Sophin,
qu'il y avoit des genies
T
Troiſiéme Partie.
218
Les Agréemens & les
& des eſprits qui nous a-vertiſſoient en ſonge de
ce qui devoit nous arriver;
ils rapporterent le ſonge
de Calpurnia, qui l'avoit
avertie de la mort de Jules
Ceſar ſon mary ; celuy de
Créſus qui luy apprit que
ſon fils Atis devoit être
tué d'un Dard ; celuy
d'Aſtyages Roy des Medes,
qui l'avertit que le fils qui
naîtroit de Mandane ſa
fille, ſeroit maître de l'Aſie;
Enfin ils en dirent plu-
ſieurs autres, & leur con-
219
Chagrins du Mariage.
verſation finit par une re-flexion qu'ils firent, qu'il
ne falloit jamais juger de
rien, puiſque des préſom-
ptions auſſi fortes & auſſi
violentes étoient trom-
peuſes.
Aprés tous ces diſcours
& tous ces raiſonnemens,
Philogame & Antigame
dirent à l'Abbé Sophin,
qu'ils ne le quitteroient
point qu'il ne les eut jugez
ſur la queſtion de ſçavoir,
s'il eſt plus avantageux de
ſe marier que de vivre
jugé, reprit Philogame, ſur
une piece fauſſe : Vous a-
vez jugé,interrompit An-
tigame, ſur des faits qui
ne ſont point veritables;
Erreur de fait : Ainſi, re-
prirent-ils tous deux, nous
ſommes en droit de re-
venir contre vôtre juge-
ment. Celuy que j'ay à
vous donner à l'un & à
l'autre, reprit l'Abbé,
je le tiens d'un des plus
grands hommes de l'uni-
vers : je ne vous conſeille
en s'adreſſant à Antigame,
ſi vous vous ſentez une
vertu aſſés ferme & aſſés
conſtante pour vous ſan-
tifier14 dans la continence:
je ne vous le défens pas,
continua-t-il en s'adreſſant
à Philogame, s'il vous eſt
neceſſaire pour le bien &
pour le repos de vôtre
conſcience ; mais ſçachez
l'un & l'autre, que pour
ce qui regarde le choix
de la condition du Ma-
riage, comme de toute
enviſager que cette ſeule
conſideration, & relgier
uniquement nôtre con-
duite là-deſſus.
& tous ces raiſonnemens,
Philogame & Antigame
dirent à l'Abbé Sophin,
qu'ils ne le quitteroient
point qu'il ne les eut jugez
ſur la queſtion de ſçavoir,
s'il eſt plus avantageux de
ſe marier que de vivre
T ij
220
Les Agréemens & les
ſans femme. Vous avezjugé, reprit Philogame, ſur
une piece fauſſe : Vous a-
vez jugé,interrompit An-
tigame, ſur des faits qui
ne ſont point veritables;
Erreur de fait : Ainſi, re-
prirent-ils tous deux, nous
ſommes en droit de re-
venir contre vôtre juge-
ment. Celuy que j'ay à
vous donner à l'un & à
l'autre, reprit l'Abbé,
je le tiens d'un des plus
grands hommes de l'uni-
vers : je ne vous conſeille
221
Chagrins du Mariage.
point le mariage, dit-il,en s'adreſſant à Antigame,
ſi vous vous ſentez une
vertu aſſés ferme & aſſés
conſtante pour vous ſan-
tifier14 dans la continence:
je ne vous le défens pas,
continua-t-il en s'adreſſant
à Philogame, s'il vous eſt
neceſſaire pour le bien &
pour le repos de vôtre
conſcience ; mais ſçachez
l'un & l'autre, que pour
ce qui regarde le choix
de la condition du Ma-
riage, comme de toute
T iij
222
Les Agréemens & les
autre, nous ne devonsenviſager que cette ſeule
conſideration, & relgier
uniquement nôtre con-
duite là-deſſus.
Comme Philogame &
Antigame alloient répon-
dre, pluſieurs Abbez de
la premiere qualité vin-
rent voir l'Abbé Sophin,
ce qui obligea Philogame
& Antigame de ſe retirer;
l'Abbé en les accompa-
gnant juſqu'à la porte, les
railla ſur leurs maîtreſſes,
& en les quittant il leur
allaſſent promptement ſe
reconcilier avec elles ; &
s'adreſſant à Philogame il
luy dit en riant, qu'il de-
voit s'en tenir au premier
rapport & croire que la Let-
tre fauſſe ; & à l'égard
d'Antigame, qu'il allaſt
chercher le brin d'Olivier,
& que ſans doute il le
trouveroit. Cette raillerie
de l'Abbé quoiqu'-inno-
cente, ne laiſſa pas de tou-
cher Philogame & Anti-
game, qui ſe retirerent
coliques & fort inquiets
de tout ce qui leur étoit
arrivé.
Antigame alloient répon-
dre, pluſieurs Abbez de
la premiere qualité vin-
rent voir l'Abbé Sophin,
ce qui obligea Philogame
& Antigame de ſe retirer;
l'Abbé en les accompa-
gnant juſqu'à la porte, les
railla ſur leurs maîtreſſes,
& en les quittant il leur
223
Chagrins du Mariage.
dit d'un ton plaiſant,qu'ilsallaſſent promptement ſe
reconcilier avec elles ; &
s'adreſſant à Philogame il
luy dit en riant, qu'il de-
voit s'en tenir au premier
rapport & croire que la Let-
tre fauſſe ; & à l'égard
d'Antigame, qu'il allaſt
chercher le brin d'Olivier,
& que ſans doute il le
trouveroit. Cette raillerie
de l'Abbé quoiqu'-inno-
cente, ne laiſſa pas de tou-
cher Philogame & Anti-
game, qui ſe retirerent
T iiij
224
Les Agréemens & c.
de ſon logis fort melan-coliques & fort inquiets
de tout ce qui leur étoit
arrivé.
FIN.
Imprimé chez P. & M. REBUFFE'
ruë Dauphine, proche le Pont-
neuf, à l'Arche de Noé.
ruë Dauphine, proche le Pont-
neuf, à l'Arche de Noé.
Noms propres
Andromaque (en gr. Andromakê)
- Andromaque : Selon la légende, princesse de Troie, épouse d'Hector et mère d'Astyanax, et l'héroïne de l'Iliade. Par la suite de la prise de Troie, Pyrrhos la prend pour épouse.
- Andromaque : tragédie écrite par le dramaturge grec Euripide (v. - 426).
- Andromaque : tragédie de Jean Racine de 1667 basée sur un passage de l'Iliade.
- Andromaque, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Ariane
- Ariane (en gr. Ariadnê) : fille de Minos, roi de Cnossos, et de Pasiphaé, sœur de Phèdre. Séduite par Thésée, héros venu en Crète pour combattre le Minotaure, elle aide celui-là à fuir le Labyrinthe. Ariane donne à son amoureux un fil qu'il dévide derrière lui afin de trouver la sortie du Labyrinthe après avoir tué le Minotaure. Par la suite, les deux s'enfuient mais Thésée abandonne Ariane à Naxos. Séduit par la beauté d'Ariane, le dieu Dionysos l'épouse.
- Ariane : tragédie écrite par Thomas Corneille en 1672.
- Ariane : en musique, plusieurs compositeurs ont produit des œuvres qui racontent cette histoire ; notamment, Arianna, œuvre dramatique de Monteverdi ; Arianna à Naxos, cantate d'Haydn ; Bacchus et Ariane, ballet d'Albert Roussel et Ariane auf Naxos, opéra de Richard Strauss.
- Ariane, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Astyage (en gr. Astuagês, en iranien Ishtuvegu)
Dernier roi des Mèdes (de -584 à -550). Fils de Cyaxare. Il fut vaincu et déposé par son petit-fils et vassal Cyrus II le Grand.
- Astyage, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Astyage, Wikipédia l'encyclopédie libre (12 mars 2013), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 28 octobre 2013. https://fr.wikipedia.org/wiki/Astyage.
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Bourgogne
Région du centre-est de la France qui se divise en quatre départements : Côte-d'Or,
Saône-et-Loire, Yonne et Nièvre.
- Bourgogne, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
Liens à cette référence dans les documents
Bérenice (en gr. Phérénikê) porteuse de victoire
Bérenice est une tragédie écrite par Jean Racine en 1670. Dans la pièce, il s'agit de la reine
juive Bérénice, emmenée à Rome par l'empereur Titus qui était tombé amoureuse d'elle après le siège de Jérusalem.
- Bérenice, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Calais (en néerlandais Kales, en flamand occidental Cales)
Commune française qui se trouve sur la côte du pas de Calais. Pendant la guerre de
Cent Ans, les Anglais prirent la ville et elle resta sous la domination anglaise durant
plus de deux siècles. En 1558, le Français François de Guise le reprit sous le règne d'Henri II. Au 20e siècle, pendant la Seconde Guerre mondiale, la commune fut détruite ; après,
on le reconstruisit dans le style flamand en brique rouge.
- Calais, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Dijon
Ville qui se trouve dans la région Bourgogne et qui fait partie de la métropole Rhin-Rhône.
C'est une ville très connue pour la gastronomie et pour la moutarde de Dijon, moutarde
forte et acidulée faite à partir de vinaigre, d'acide citrique, de sel et de graines
de moutarde.
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Hector (en gr. Hektôr)
Fils de Priam et d'Hécube ainsi qu'époux d'Andromaque. De ce mariage naquit Astyanax. Pendant la guerre de Troie que raconte Homère dans son Iliade, Hector fut l'un des défenseurs de Troie.
- Hector, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Mars
Dieu romain de la guerre, de la végétation, du printemps et de la jeunesse. Selon
la légende, il est fils de Junon et de Jupiter et le père des jumeaux
Romulus et Remus, qu'il aurait eus de son union avec Rhea Silvia.
Dans la mythologie grecque, il représente toujours le dieu guerrier mais il est renommé
Arès. Fils de Zeus et d’Héra et un des douze Olympiens, il est connu non seulement
pour ses combats mais aussi pour ses nombreuses aventures avec la déesse Aphrodite (Vénus).
- Arès / Mars, Le grenier de Clio (2001-2008), Mythologica.fr, Internet, 16 février 2010. https://mythologica.fr/grec/ares.htm.
- Mars, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
Liens à cette référence dans les documents
- Les Agréemens, Parties 3 et 4
- Le Bon Mariage
- Des maladies des femmes
- La Direction et la consolation des personnes mariées
- Les espines du mariage
- La Forest nuptiale
- Le jour est caché ...
- La Loüange des Cornes
- La loüange du mariage
- La louenge des femmes
- Le misogame
- Satyre Menippée
- Satyre svr les Traverses dv Mariage
- Stances du mariage
Pyrrhos ou Néoptolème (en gr. Purrhos)
Fils d'Achille et de Déidamie. Lors de la mort d'Achille, Pyrrhos participe à la victoire des Grecs
lors de la guerre de Troie. Par la suite, il prend pour épouse la fille d'Hélène, Hermione. Vu que sa femme ne lui donne pas d'enfant, ses trois fils naissent de
son union avec Andromaque, son esclave.
- Pyrrhos, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Pères du Désert
Représentants du clergé de l'Antiquité tardive (IIIe et IVe siècles) qui vécurent
dans les déserts de l'Égypte, en hermites.
- Pères du désert, Wikipédia l'encyclopédie libre (31 mars 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 22 juin 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8res_du_d%C3%A9sert.
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Rouen
La ville, à l'époque romaine, s'appelait Rotomagus. Elle fut la capitale des Véliocasses. La fabrication des draps, le commerce avec l'Angleterre se développèrent au Xe s. La Normandie fut longuement et âprement disputée entre les rois de France et d'Angleterre. En 1204, Philippe Auguste s'empara de Rouen. En 1419, la ville tomba aux mains des Anglais : le 30 mais 1431, Jeanne d'Arc y fut brûlée. Les Anglais furent chassés de la ville en 1449. Rouen a beaucoup souffert des guerres de Religion. À l'époque contemporaine, elle a été très atteinte par les bombardements, lors de la Deuxième Guerre mondiale.
- Rouen, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Thésée (en gr. Thêseus)
Héros d'Attique. Ses histoires ont beaucoup en commun avec celles d'Hercule. Il était le fils de Poséidon (ou d'Égée, dépendant des origines de la légende) et
d'Aethra.
- Thésée, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Titus (en lat. Titus Flavius Sabinus Vespasianus)
Titus (Rome -40 – Aquae Cutilae, Sabine 81 ap. J.-C.) regna comme empereur romain
de 79 à 81. Fils de Vespasien, il mena des campagnes militaires sous son père et conquit Jérusalem ainsi mettant fin à la guerre de Judée (67-70). Pendant la campagne en Galilée (67), Titus rencontra la belle princesse
juive Bérénice et tomba amoureux d'elle. Contre l'approbation de son père et des Romains, il continua
sa liaison avec Bérénice et, en 75, il la reçut dans le palais dans l'espoir de faire
d'elle sa femme. Cependant, lors de la mort de son père, il renonça à Bérénice et
la renvoya en Judée par respect du désir du peuple romain. De ce fait, son avènement
au trône était pacifique. La période de son règne, par contre, était tumultueuse.
L'Italie fut bouleversée par une série de catastrophes parmi lesquelles l'éruption
du Vésuve (79), l'incendie de Rome (80) ainsi que des épidémies mortelles. Pourtant,
c'étaient à cause de ces catastrophes qui manifestèrent les qualités d'un empereur
dévoué et généreux comme démontrée par la consécration de tous ses efforts à faire
parvenir des secours et des réparations aux sinistrés.
L'histoire de Titus et Bérénice fut le sujet de deux tragédies célèbres de 1670, une
créée par Pierre Corneille et l'autre par son rival Jean Racine.
- Titus (empereur romain), Wikipédia l'encyclopédie libre (3 mai 2011), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 12 mai 2011. https://fr.wikipedia.org/wiki/Titus_%28empereur_romain%29.
- Titus en lat. Titus Flavius Sabinus Vespasianus, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
Liens à cette référence dans les documents
Vulcain (en lat. Vulcanus)
Fils de Jupiter et de Junon et l'époux de Vénus, Vulcain fut le dieu romain du feu, dont l’équivalent grec est Héphaïstos, de qui
il obtint ses traits principaux ainsi que ses légendes.
Selon la légende grecque, pour punir l'humanité pour avoir volé le feu du Ciel, Jupiter
ordonna aux autres dieux de créer la première femme, Pandore, qui introduirait les maux, le travail acharné et la maladie dans le monde. C'était
Vulcain qui modela Pandore en argile, lui donnant la forme des déesses.
- Vulcain, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Vulcain (mythologie), Wikipédia l'encyclopédie libre (2 février 2011), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 9 février 2011. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vulcain_%28mythologie%29.
Liens à cette référence dans les documents
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- Le Bon Mariage
- Le contre-mariage
- Des maladies des femmes
- La Direction et la consolation des personnes mariées
- Les espines du mariage
- La Forest nuptiale
- Le jour est caché ...
- La Loüange des Cornes
- La loüange du mariage
- Le misogame
- Satyre Menippée
- Satyre svr les Traverses dv Mariage
- Stances du mariage
Vénus
Déesse romaine de la végétation et des jardins. À partir du -IIe siècle, elle fut
assimilée à Aphrodite grecque acquérant ses attributs de la beauté, de l'amour et
des plaisirs. C'est ainsi que la déesse attira plusieurs amants, parmi lesquels Vulcain, Mars et Jupiter. Comme déesse grecque, Vénus est parfois appelée
Cythérée, surnom accordé à Aphrodite alors qu'elle fut portée à l'île de Cythère après sa naissance.
- Aphrodite / Venus, Le grenier de Clio (2001-2008), Mythologica.fr, Internet, 24 février 2011. https://mythologica.fr/grec/aphrodite.htm
- Vénus, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Vénus, Wikipédia l'encyclopédie libre (12 août 2009), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 1er octobre 2009. https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9nus_%28mythologie%29.
Liens à cette référence dans les documents
- Les Agréemens, Parties 3 et 4
- Le Bon Mariage
- Chanson d'un mary
- Le contre-mariage
- Des maladies des femmes
- La Direction et la consolation des personnes mariées
- Épithalame : Vous voicy arrivez au jour
- Les espines du mariage
- La Forest nuptiale
- Le jour est caché ...
- La Loüange des Cornes
- La loüange du mariage
- La louenge des femmes
- Le misogame
- Satyre Menippée
- Satyre svr les Traverses dv Mariage
- Stances chrestiennes
- Stances du mariage
- Stances du mariage
- La Vie Des Gens Mariez
Notes
Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- "La teste d'une bague, d'un poinçon, dans laquelle une pierre precieuse est enchassée." Chaton, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 octobre 2016.↑
- Antigame. (Erreur de l'imprimeur.)↑
Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- "La teste d'une bague, d'un poinçon, dans laquelle une pierre precieuse est enchassée." Chaton, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 octobre 2016.↑
Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- "Reprit" ailleurs.↑
- "La teste d'une bague, d'un poinçon, dans laquelle une pierre precieuse est enchassée." Chaton, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 octobre 2016.↑
- Chat-Huant :
Oiseau de proie de la famille des Nocturnes dont l'apparence ou le cri rappelle quelque peu le chat
.
Chat-Huant, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (2009), CNRTL, Internet, 3 août 2011.↑ - Sanctifier.↑
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