Le mariage sous L'Ancien Régime
LE
MARIAGE,
SES
AGRÉEMENS
ET
SES CHAGRINS.
DEDIÉ AUX FILLES.
Tome troiſiéme & dernier.
Vignette fleurie.
A PARIS,AU PALAIS,
Chez MICHEL BRUNET, à l'entrée
de la Salle Neuve, au Mercure Galant.
Filet simple.
M. DC. XCIV.
Avec Privilege du Roy.
Bandeau, cupidon au centre.
AUX
Lettrine, "M" blanc sur fond foncé, fleuri.
AUX
FILLES.
Lettrine, "M" blanc sur fond foncé, fleuri.
MESDEMOISELLES,
Aprés avoir dedié le
premier tome des Agrée-
mens & des Chagrins du
Mariage aux Femmes,
& le ſecond aux Marys,
je crois être obligé de vous
offrir le troiſieme, puiſ-
eux contribuer aux plai-
ſirs & aux peines du
Mariage. Auſsi-tôt qu'un
homme approche de l'une
de vous, dans la penſée
du Sacrement, & de de-
venir ſon époux, elle com-
mence à ſe démonter, &
à ſe faire voir toute au-
tre qu'elle n'eſt ; elle luy pa-
roît douce, honnête, &
ennemie des plaiſirs, de la
galanterie & de la vani-
té : la bonne duppe donne
dans le paneau, ſe croit
tres-heureux de pouvoir la
cluſion. Eſt-elle devenuë
ſon épouſe ? elle reprend ſon
naturel : ce mal-heureux
commence à reconnoître ſa
faute ; il s'apperçoit bien-
tôt au travers de la pu-
deur qu'elle affecte les pre-
miers jours, & des artifices
qu'elle jouë pour donner
bonne opinion de ſa vie
paſſée, qu'elle a laiſſé uſur-
per le plus ſouvent des
droits & des privileges re-
ſervés aux ſeuls Marys ;
qu'elle eſt imperieuſe, em-
portée, aimant les plaiſirs
ſomptueuſe, vaine, &
ne trouvant point de li-
queurs & de mets aſſez
delicieux, d'étoffes &
d'ajustemens aſſez beaux
& aſſez riches pour conten-
ter ſes ſens & ſa vanité ;
& voila ce qui bannit les
agréemens du Mariage,
pour y mettre en leur place
les chagrins & les peines.
Voulés-vous m'en croire,
MESDEMOISELLES ? pa-
roiſſés aux yeux de vos
Amans au naturel, &
ſans déguiſement : s'ils ne
n'en ſeréz pas plus mal-
heureuſes, & s'ils vous
épouſent, à la bonne-heu-
re ; ils vous auront veuës
telles que vous êtes, ils ne
pourront vous reprocher
que vous les avés trompés ;
& s'il y a des plaiſirs à eſ-
perer dans le Mariage,
vous en aurés la meilleure
part, que je voudrois vous
procurer, comme étant,
premier tome des Agrée-
mens & des Chagrins du
Mariage aux Femmes,
& le ſecond aux Marys,
je crois être obligé de vous
offrir le troiſieme, puiſ-
ã ij
AUX FILLES.
que vous pouvez commeeux contribuer aux plai-
ſirs & aux peines du
Mariage. Auſsi-tôt qu'un
homme approche de l'une
de vous, dans la penſée
du Sacrement, & de de-
venir ſon époux, elle com-
mence à ſe démonter, &
à ſe faire voir toute au-
tre qu'elle n'eſt ; elle luy pa-
roît douce, honnête, &
ennemie des plaiſirs, de la
galanterie & de la vani-
té : la bonne duppe donne
dans le paneau, ſe croit
tres-heureux de pouvoir la
AUX FILLES.
poſſeder, & preſſe la con-cluſion. Eſt-elle devenuë
ſon épouſe ? elle reprend ſon
naturel : ce mal-heureux
commence à reconnoître ſa
faute ; il s'apperçoit bien-
tôt au travers de la pu-
deur qu'elle affecte les pre-
miers jours, & des artifices
qu'elle jouë pour donner
bonne opinion de ſa vie
paſſée, qu'elle a laiſſé uſur-
per le plus ſouvent des
droits & des privileges re-
ſervés aux ſeuls Marys ;
qu'elle eſt imperieuſe, em-
portée, aimant les plaiſirs
AUX FILLES.
juſqu'à la debauche, pre-ſomptueuſe, vaine, &
ne trouvant point de li-
queurs & de mets aſſez
delicieux, d'étoffes &
d'ajustemens aſſez beaux
& aſſez riches pour conten-
ter ſes ſens & ſa vanité ;
& voila ce qui bannit les
agréemens du Mariage,
pour y mettre en leur place
les chagrins & les peines.
Voulés-vous m'en croire,
MESDEMOISELLES ? pa-
roiſſés aux yeux de vos
Amans au naturel, &
ſans déguiſement : s'ils ne
AUX FILLES.
vous épouſent pas, vousn'en ſeréz pas plus mal-
heureuſes, & s'ils vous
épouſent, à la bonne-heu-
re ; ils vous auront veuës
telles que vous êtes, ils ne
pourront vous reprocher
que vous les avés trompés ;
& s'il y a des plaiſirs à eſ-
perer dans le Mariage,
vous en aurés la meilleure
part, que je voudrois vous
procurer, comme étant,
MESDEMOISELLES,
Vôtre tres-obéïſſant
ſerviteur,
J. D. D. C.
Vôtre tres-obéïſſant
ſerviteur,
J. D. D. C.
Bandeau.
Extrait du Privilege du Roy.
PAr Lettres de Privilege de ſa Majeſté,
données à Verſailles le 19. Juin 1960.
Signées BOUCOT, & ſcellées du grand
Sceau de cire jaune. Il eſt permis au Sieur
J. D. D. C. de faire imprimer, vendre &
debiter un Livre intitulé, Philogame &
Antigame, ou les Agrémens & les Chagrins
du Mariage : avec deffenſes à tous Impri-
meurs, Libraires, & autres perſonnes, d'im-
primer, vendre ny debiter ledit Livre, &
ce durant l'eſpace de ſix années, à compter
du jour qu'il ſera achevé d'imprimer, ſur
les peines y contenuës.
données à Verſailles le 19. Juin 1960.
Signées BOUCOT, & ſcellées du grand
Sceau de cire jaune. Il eſt permis au Sieur
J. D. D. C. de faire imprimer, vendre &
debiter un Livre intitulé, Philogame &
Antigame, ou les Agrémens & les Chagrins
du Mariage : avec deffenſes à tous Impri-
meurs, Libraires, & autres perſonnes, d'im-
primer, vendre ny debiter ledit Livre, &
ce durant l'eſpace de ſix années, à compter
du jour qu'il ſera achevé d'imprimer, ſur
les peines y contenuës.
Regiſtré ſur le Livre des Libraires & Im-
primeurs de Paris le 20 Octobre 1691.
Signé, P. AVBOBYN, Syndic.
primeurs de Paris le 20 Octobre 1691.
Signé, P. AVBOBYN, Syndic.
Les Exemplaires ont été fournis.
Achevé d'imprimer le 26. Ianvier 1694.
Achevé d'imprimer le 26. Ianvier 1694.
PHILO-
Bandeau fleuri.
PHILOGAME
ET
ANTIGAME,
OU
LES AGRÉEMENS
ET
LES CHAGRINS
DU MARIAGE.
Cinquiéme Partie.
Lettrine, "P" blanc sur fond décoratif.
PHILOGAME
ſortant du logis
de l'Abbé So-
phin avec Antigame, luy
me faire entendre cet
Abbé en me conſeillant
de m'en tenir au premier
rapport, & de croire que
la Lettre que j'ay inter-
ceptée eſt fauſſe, & n'eſt
point de Fraudeliſe ?
Quelle a été ſa penſée,
interrompit Antigame,
quand il m'a dit que j'al-
laſſe chercher le brin
d'olivier1 avec Lesbie, &
que je le trouverois ?
Aprés ce qu'ont dit les
Experts peut-on croire,
Lettre ſoit de Fraudeliſe ?
Aprés le Rubis trouvé
dans mon cabinet, repar-
tit Antigame, peut-on
ſoupçonner que Lesbie
l'ait donné à Cleante, &
l'accuſer d'infidelité ? que
dites-vous du jugement
de l'Abbé ? continua-t-il.
J'en ſuis tres - mal ſatis-
fait, reprit Philogame, &
il me ſembloit d'enten-
dre un catechiſte. Dans
le temps qu'ils s'entrete-
noient ainſi, le Cheva-
jour precedent chez la
Marquiſe de Seliny, paſ-
ſant auprés d'eux, & leur
voyant un air inquiet &
chagrin les aborda, en
leur diſant qu'il les pren-
droit pour des Plaideurs
qui venoient de perdre
leur procés. Vous ne vous
y trompez pas, repartit
Antigame, nous venons
d'être condamnez tous
deux. Contre qui plai-
diez vous ? dit le Cheva-
lier : l'un contre l'autre,
j'en appelle, continua‑
t-il : & moy auſſi, inter-
rompit Philogame. Vous
plaidiez l'un contre l'au-
tre, reprit le Chevalier,
& vous avez tous deux
perdu vôtre procez ; voila
qui eſt extraordinaire :
J'ay bien oüi dire, con-
tinua-t-il, qu'il y avoit
eu autrefois un Preſident
qui n'avoit pas de plus
grand plaiſir que de pou-
voir condamner l'une &
l'autre partie ; en ſeroit-il
Mais quelle étoit, ajoûta‑
t-il, la matiere de vôtre
procez, & dans quel Tri-
bunal plaidiez-vous ? Il
s'agiſſoit de ſçavoir, re-
partit Antigame, s'il y a
plus d'agréemens dans le
Mariage que de chagrins,
& nôtre Juge étoit l'Ab-
bé Sophin. Vous vous
ruïnerez en frais, inter-
rompit le Chevalier en
ſoûriant, ſi vous conti-
nuez à plaider ainſi : Mais
où aviez vous pris ce
n'eſt point de la compe-
tance d'un Abbé : A la
bonne heure ſi c'étoit une
queſtion de l'Ecole, & de
Philoſophie. Quel Juge
auriez-vous donc pris ?
répondit Philogame :
Des gens, repliqua le
Chevalier, conſommez
dans les affaires du mon-
de, qui ſçavent tout ce
qui ſe paſſe de plus parti-
culier entre le mary & la
femme, le pere & les
enfans ; d'habiles Avocats
jours leurs plaintes, &
qui ne s'étudient qu'à
leur donner de bons avis.
Enſuite le Chevalier leur
dit qu'il en devoit con-
ſulter ce jour là deux des
plus celebres ſur une af-
faire fâcheuſe qu'on lui
avoit faite ; que l'un étoit
marié, & que l'autre ne
l'étoit point ; qu'il leur
donneroit à dîner aprés
la conſultation ; que s'ils
vouloient être du repas
ils luy feroient plaiſir ;
dre pour Juges, & qu'ils
en étoient plus capables
que l'Abbé Sophin & que
tous autres, par les con-
noiſſances qu'ils avoient
du monde, & de l'un &
de l'autre état. Ils accep-
terent le party avec plai-
ſir, & demanderent au
Chevalier quelle étoit
l'affaire qu'on luy avoit
faite. Il leur apprit que le
Baron de Lupane avoit
formé une accuſation d'a-
dultere contre luy avec ſa
pit Philogame, où ſont
expoſés les gens à bonne
fortune ; nous vous ſervi-
rons, continua-t-il, mais
il faut, s'il vous plaît,
que vous nous inſtruiſiez
de vôtre affaire, afin que
nous puiſſions ſolliciter
vos Juges. Le Chevalier
luy repartit, que dans
ſes Caravanes il n'avoit
point appris à parler
procez ; que la Baronne
de Lupane l'attendoit au
Palais pour la conſulta-
& que s'ils vouloient y
venir ils auroient du plai-
ſir de la connoître, & de
l'entendre raiſonner ſur
cette matiere. Ils l'y ſui-
virent ; le Chevalier les
preſenta à la Baronne,
luy dit qu'ils étoient ſes
meilleurs amys, qu'ils
étoient parens, ou alliez
des Officiers de Robbe
dans les premieres Char-
ges, qu'ils pouvoient leur
rendre de tres-grands ſer-
vices, & qu'elle devoit
tiere en leur probité. A
ces dernieres paroles, il
les quitta, & s'en alla
avertir les Avocats pour
la conſultation.
ſortant du logis
de l'Abbé So-
phin avec Antigame, luy
A
Cinquiéme Partie.
2
Les Agréemens & les
dit en s'arrêtant, que veutme faire entendre cet
Abbé en me conſeillant
de m'en tenir au premier
rapport, & de croire que
la Lettre que j'ay inter-
ceptée eſt fauſſe, & n'eſt
point de Fraudeliſe ?
Quelle a été ſa penſée,
interrompit Antigame,
quand il m'a dit que j'al-
laſſe chercher le brin
d'olivier1 avec Lesbie, &
que je le trouverois ?
Aprés ce qu'ont dit les
Experts peut-on croire,
3
Chagrins du Mariage.
reprit Philogame, que laLettre ſoit de Fraudeliſe ?
Aprés le Rubis trouvé
dans mon cabinet, repar-
tit Antigame, peut-on
ſoupçonner que Lesbie
l'ait donné à Cleante, &
l'accuſer d'infidelité ? que
dites-vous du jugement
de l'Abbé ? continua-t-il.
J'en ſuis tres - mal ſatis-
fait, reprit Philogame, &
il me ſembloit d'enten-
dre un catechiſte. Dans
le temps qu'ils s'entrete-
noient ainſi, le Cheva-
A ij
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Les Agréemens & les
lier qu'ils avoient veu lejour precedent chez la
Marquiſe de Seliny, paſ-
ſant auprés d'eux, & leur
voyant un air inquiet &
chagrin les aborda, en
leur diſant qu'il les pren-
droit pour des Plaideurs
qui venoient de perdre
leur procés. Vous ne vous
y trompez pas, repartit
Antigame, nous venons
d'être condamnez tous
deux. Contre qui plai-
diez vous ? dit le Cheva-
lier : l'un contre l'autre,
5
Chagrins du Mariage.
reprit Antigame ; maisj'en appelle, continua‑
t-il : & moy auſſi, inter-
rompit Philogame. Vous
plaidiez l'un contre l'au-
tre, reprit le Chevalier,
& vous avez tous deux
perdu vôtre procez ; voila
qui eſt extraordinaire :
J'ay bien oüi dire, con-
tinua-t-il, qu'il y avoit
eu autrefois un Preſident
qui n'avoit pas de plus
grand plaiſir que de pou-
voir condamner l'une &
l'autre partie ; en ſeroit-il
A iij
6
Les Agréemens & les
de même de vos Juges ?Mais quelle étoit, ajoûta‑
t-il, la matiere de vôtre
procez, & dans quel Tri-
bunal plaidiez-vous ? Il
s'agiſſoit de ſçavoir, re-
partit Antigame, s'il y a
plus d'agréemens dans le
Mariage que de chagrins,
& nôtre Juge étoit l'Ab-
bé Sophin. Vous vous
ruïnerez en frais, inter-
rompit le Chevalier en
ſoûriant, ſi vous conti-
nuez à plaider ainſi : Mais
où aviez vous pris ce
7
Chagrins du Mariage.
beau Juge ? la matieren'eſt point de la compe-
tance d'un Abbé : A la
bonne heure ſi c'étoit une
queſtion de l'Ecole, & de
Philoſophie. Quel Juge
auriez-vous donc pris ?
répondit Philogame :
Des gens, repliqua le
Chevalier, conſommez
dans les affaires du mon-
de, qui ſçavent tout ce
qui ſe paſſe de plus parti-
culier entre le mary & la
femme, le pere & les
enfans ; d'habiles Avocats
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Les Agréemens & les
qui écoutent tous lesjours leurs plaintes, &
qui ne s'étudient qu'à
leur donner de bons avis.
Enſuite le Chevalier leur
dit qu'il en devoit con-
ſulter ce jour là deux des
plus celebres ſur une af-
faire fâcheuſe qu'on lui
avoit faite ; que l'un étoit
marié, & que l'autre ne
l'étoit point ; qu'il leur
donneroit à dîner aprés
la conſultation ; que s'ils
vouloient être du repas
ils luy feroient plaiſir ;
9
Chagrins du Mariage.
qu'ils pouroient les pren-dre pour Juges, & qu'ils
en étoient plus capables
que l'Abbé Sophin & que
tous autres, par les con-
noiſſances qu'ils avoient
du monde, & de l'un &
de l'autre état. Ils accep-
terent le party avec plai-
ſir, & demanderent au
Chevalier quelle étoit
l'affaire qu'on luy avoit
faite. Il leur apprit que le
Baron de Lupane avoit
formé une accuſation d'a-
dultere contre luy avec ſa
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Les Agréemens & les
femme. Voila, interrom-pit Philogame, où ſont
expoſés les gens à bonne
fortune ; nous vous ſervi-
rons, continua-t-il, mais
il faut, s'il vous plaît,
que vous nous inſtruiſiez
de vôtre affaire, afin que
nous puiſſions ſolliciter
vos Juges. Le Chevalier
luy repartit, que dans
ſes Caravanes il n'avoit
point appris à parler
procez ; que la Baronne
de Lupane l'attendoit au
Palais pour la conſulta-
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Chagrins du Mariage.
tion qu'ils devoient faire,& que s'ils vouloient y
venir ils auroient du plai-
ſir de la connoître, & de
l'entendre raiſonner ſur
cette matiere. Ils l'y ſui-
virent ; le Chevalier les
preſenta à la Baronne,
luy dit qu'ils étoient ſes
meilleurs amys, qu'ils
étoient parens, ou alliez
des Officiers de Robbe
dans les premieres Char-
ges, qu'ils pouvoient leur
rendre de tres-grands ſer-
vices, & qu'elle devoit
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Les Agréemens & les
avoir une confiance en-tiere en leur probité. A
ces dernieres paroles, il
les quitta, & s'en alla
avertir les Avocats pour
la conſultation.
Antigame dit mille
choſes obligeantes à la
Baronne, la loüa ſur ſon
merite & ſur ſa beauté,
& luy demanda quel étoit
le ſujet de ſon procez.
La Baronne commença
par luy dire qu'elle n'a-
voit pas encore ſeize ans
lors qu'elle fut mariée
qu'il avoit alors plus de
trente ans : j'ay comme
vous voyez, dit elle avec
un petit faucet, en ajuſ-
tant ſes coëffes2, & en
reſſerrant ſes lévres, la
bouche petite, les yeux
gros, le nez grand & bien
tiré, le teint blanc, &
l'air doux, enjoüé & tou-
chant. Monſieur le Baron
de Lupane au contraire,
a la bouche grande, les
yeux petits, le nez court
& écraſé, le teint jaune,
Vous jugez bien, qu'avec
tant de contrarietez nous
ne pouvions pas bien vi-
vre enſemble. Voicy bien
d'autres ſujets de haine
& de diviſion ; j'aime la
Comedie, l'Opera, le jeu,
la bonne chere, la dé-
penſe, & ſur tout à chan-
ger ſouvent de bas de
ſoye & de ſouliers, parce
que j'ay la jambe bien
faite, & le pied fait au
tour ; & Monſieur le
Chevalier m'a avoüé
avoit jamais veu de ſem-
blables : Cependant de
tout l'hyver Monſieur le
Baron de Lupane ne m'a
mené que quatre fois à
la Comedie & à l'Opera ;
nous n'avons donné à
manger que trois fois ;
j'ay manqué ſouvent
d'argent, de ſorte que je
n'ay pû joüer auſſi gros
jeu que les autres fem-
mes ; & ce qui eſt de plus
cruel pour moy, c'eſt qu'il
a fallu que j'aye porté
ſouliers des quinze jours
entiers, pendant que ce
malheureux mary em-
ployoit vilainement ſon
argent à bâtir dans ſes
maiſons & dans ſes fer-
mes, & à faire façonner
ſes terres. Elle finit en di-
ſant que ſa vertu n'ayant
pû tenir contre un pro-
cedé ſi malhonnête & ſi
dur, elle s'en étoit plaint
à Monſieur le Chevalier,
par le conſeil duquel elle
avoit demandé en Juſtice
& degoutant mary ; que
luy de ſon côté l'avoit
accuſée d'adultere avec
Monſieur le Chevalier,
& avoit fait faire une
groſſe information con-
tr'eux. Bon bon ! repartit
Antigame on va cher-
cher des temoins dans
ces ſortes de rencontres.
Deux coquins, reprit la
Baronne, ont dépoſé des
fauſſetez qui nous emba-
raſſent ; ſur quoy, elle
dit qu'elle étoit venuë au
ſeil. Elle ſe deffendit au
commencement de luy
dire ce qu'ils avoient de-
poſé : Mais il la tourna
de tant de côtez, & il
luy fit tant de proteſta-
tions d'amitié, & tant
d'offres de ſervices qu'elle
ne put s'en deffendre. Ces
deux témoins, dit-elle,
dépoſent qu'un jour du
Printems, ils m'ont veu
promener avec Monſieur
le Chevalier dans une
allée du jardin de Ram-
remarqué que nous par-
lions tous deux avec
beaucoup de chaleur &
d'émotion ; & que cu-
rieux de ſçavoir ce que
nous diſions, ils s'étoient
approchez derriere nous,
& avoient entendu que
je luy diſois, ha ! mon
cœur, mon cher cœur,
ha ! Monſieur le Cheva-
lier, vous ne m'aimez
gueres, vous n'aimez
que vôtre plaiſir, puiſque
vous voulez ainſi m'ex-
continua la Baronne, la
malice de ces deux te-
moins ; & ce qu'ils veu-
lent faire penſer de Mon-
ſieur le Chevalier, (luy
qui eſt l'homme du mon-
de le plus diſcret & le
plus reſpectueux auprés
des Dames.) Vous la de-
couvrirez mieux dans la
ſuite de leur dépoſition.
Ils diſent qu'environ une
heure aprés, comme ils
marchoient pour ſortir
de Ramboüillet par une
auprés d'une touffe d'ar-
bres, qui formoit un ca-
binet ruſtique fort épais,
ils y avoient entendu ma
voix ſans qu'ils euſſent
pû me voir, ny avec qui
j'étois, à cauſe de l'épaiſ-
ſeur & du nombre des pe-
tits arbres qui formoint
ce cabinet, & que je di-
ſois, arrête-toy donc,
donne-moi un peu de re-
pos, quel baiſeur, quel
baiſeur ! ne veux tu pas
finir ? & qu'entendant du
ſurpris en écoutant, ils
s'étoient retirez. Comme
elle parloit ainſi, le Che-
valier vint l'avertir que
les Avocats l'attendoient ;
ce qui fit qu'elle le ſuivit
aprés avoir ſalué Anti-
game & Philogame, &
aprés leur avoir promis
de venir leur dire ce que
porteroit la conſulta-
tion.
choſes obligeantes à la
Baronne, la loüa ſur ſon
merite & ſur ſa beauté,
& luy demanda quel étoit
le ſujet de ſon procez.
La Baronne commença
par luy dire qu'elle n'a-
voit pas encore ſeize ans
lors qu'elle fut mariée
13
Chagrins du Mariage.
avec le Baron de Lupane,qu'il avoit alors plus de
trente ans : j'ay comme
vous voyez, dit elle avec
un petit faucet, en ajuſ-
tant ſes coëffes2, & en
reſſerrant ſes lévres, la
bouche petite, les yeux
gros, le nez grand & bien
tiré, le teint blanc, &
l'air doux, enjoüé & tou-
chant. Monſieur le Baron
de Lupane au contraire,
a la bouche grande, les
yeux petits, le nez court
& écraſé, le teint jaune,
14
Les Agréemens & les
& l'air chagrin & rude :Vous jugez bien, qu'avec
tant de contrarietez nous
ne pouvions pas bien vi-
vre enſemble. Voicy bien
d'autres ſujets de haine
& de diviſion ; j'aime la
Comedie, l'Opera, le jeu,
la bonne chere, la dé-
penſe, & ſur tout à chan-
ger ſouvent de bas de
ſoye & de ſouliers, parce
que j'ay la jambe bien
faite, & le pied fait au
tour ; & Monſieur le
Chevalier m'a avoüé
15
Chagrins du Mariage.
vingt fois, qu'li n'en avoit jamais veu de ſem-
blables : Cependant de
tout l'hyver Monſieur le
Baron de Lupane ne m'a
mené que quatre fois à
la Comedie & à l'Opera ;
nous n'avons donné à
manger que trois fois ;
j'ay manqué ſouvent
d'argent, de ſorte que je
n'ay pû joüer auſſi gros
jeu que les autres fem-
mes ; & ce qui eſt de plus
cruel pour moy, c'eſt qu'il
a fallu que j'aye porté
16
Les Agréemens & les
mes bas de ſoye & mesſouliers des quinze jours
entiers, pendant que ce
malheureux mary em-
ployoit vilainement ſon
argent à bâtir dans ſes
maiſons & dans ſes fer-
mes, & à faire façonner
ſes terres. Elle finit en di-
ſant que ſa vertu n'ayant
pû tenir contre un pro-
cedé ſi malhonnête & ſi
dur, elle s'en étoit plaint
à Monſieur le Chevalier,
par le conſeil duquel elle
avoit demandé en Juſtice
d'être
17
Chagrins du Mariage.
d'être ſeparée de ce vilain & degoutant mary ; que
luy de ſon côté l'avoit
accuſée d'adultere avec
Monſieur le Chevalier,
& avoit fait faire une
groſſe information con-
tr'eux. Bon bon ! repartit
Antigame on va cher-
cher des temoins dans
ces ſortes de rencontres.
Deux coquins, reprit la
Baronne, ont dépoſé des
fauſſetez qui nous emba-
raſſent ; ſur quoy, elle
dit qu'elle étoit venuë au
B
Cinquiéme Partie.
18
Les Agréemens & les
Palais pour prendre con-ſeil. Elle ſe deffendit au
commencement de luy
dire ce qu'ils avoient de-
poſé : Mais il la tourna
de tant de côtez, & il
luy fit tant de proteſta-
tions d'amitié, & tant
d'offres de ſervices qu'elle
ne put s'en deffendre. Ces
deux témoins, dit-elle,
dépoſent qu'un jour du
Printems, ils m'ont veu
promener avec Monſieur
le Chevalier dans une
allée du jardin de Ram-
19
Chagrins du Mariage.
boüillet ; qu'ils avoientremarqué que nous par-
lions tous deux avec
beaucoup de chaleur &
d'émotion ; & que cu-
rieux de ſçavoir ce que
nous diſions, ils s'étoient
approchez derriere nous,
& avoient entendu que
je luy diſois, ha ! mon
cœur, mon cher cœur,
ha ! Monſieur le Cheva-
lier, vous ne m'aimez
gueres, vous n'aimez
que vôtre plaiſir, puiſque
vous voulez ainſi m'ex-
B ij
20
Les Agréemens & les
poſer. Vous voyez bien,continua la Baronne, la
malice de ces deux te-
moins ; & ce qu'ils veu-
lent faire penſer de Mon-
ſieur le Chevalier, (luy
qui eſt l'homme du mon-
de le plus diſcret & le
plus reſpectueux auprés
des Dames.) Vous la de-
couvrirez mieux dans la
ſuite de leur dépoſition.
Ils diſent qu'environ une
heure aprés, comme ils
marchoient pour ſortir
de Ramboüillet par une
21
Chagrins du Mariage.
porte derobée, paſſantauprés d'une touffe d'ar-
bres, qui formoit un ca-
binet ruſtique fort épais,
ils y avoient entendu ma
voix ſans qu'ils euſſent
pû me voir, ny avec qui
j'étois, à cauſe de l'épaiſ-
ſeur & du nombre des pe-
tits arbres qui formoint
ce cabinet, & que je di-
ſois, arrête-toy donc,
donne-moi un peu de re-
pos, quel baiſeur, quel
baiſeur ! ne veux tu pas
finir ? & qu'entendant du
B iij
22
Les Agréemens & les
bruit, de craint d'êtreſurpris en écoutant, ils
s'étoient retirez. Comme
elle parloit ainſi, le Che-
valier vint l'avertir que
les Avocats l'attendoient ;
ce qui fit qu'elle le ſuivit
aprés avoir ſalué Anti-
game & Philogame, &
aprés leur avoir promis
de venir leur dire ce que
porteroit la conſulta-
tion.
Avec tout nôtre credit
& nos ſollicitations, dit
Philogame à Antigame,
prendre le chemin des
Madelonnettes, & le
Chevalier celuy de Mal-
the ; car les voila tous
deux engagez dans une
tres-fâcheuſe affaire. Ce
que je viens d'entendre,
reprit Antigame en ſou-
riant, me fait prendre la
reſolution de me marier
pour avoir une ſembla-
ble femme, & pour faire
parler de moy dans le
monde. En verité, con-
tinua-t-il, le Baron de
ſonnable d'avoir la bou-
che grande, les yeux pe-
tits, le nez court & écra-
ſé, le teint jaune, &
l'air chagrin & rude ; &
d'avoir épouſé une fem-
me qui a la bouche peti-
te, les yeux gros, le nez
grand & bien tiré, le teint
blanc & l'air doux, en-
joüé, & touchant ; com-
ment cet étourdi, ce
malhonnête homme de
mari pouvoit-il eſperer
de bien vivre avec cette
bles contrarietez ? ce vi-
lain mary qui employe
ſon argent à faire bâtir
dans ſes maiſons, & dans
ſes fermes, & à faire fa-
çonner ſes terres, &
au lieu de l'employer à faire
changer ſouvent de bas
de ſoye & de ſouliers à
cette belle jambe, & à
ce joly petit pied, dont
Monſieur le Chevalier eſt
charmé. Pendant tout ce
diſcours, Philogame ne
diſoit mot, & liſoit atten-
étoit contre un pillier de
la ſalle du Palais. Anti-
game eut curioſité de la
lire ; c'étoit un Ecrivain
qui avoit fait afficher
qu'il étoit tres - habile
dans le fait des écritures
& des verifications : Vou-
lez vous faire voir à cet
Expert, dit Antigame à
Philogame, la lettre que
vous avez interceptée,
& que vous avez cruë
de la main de Fraudeliſe.
Philogame luy témoigna
allerent, & malheureu-
ſement pour elle, c'é-
toit juſtement l'Ecrivain
qui avoit imité ſa lettre,
& pour comble de diſ-
graces, il laiſſa voir ſans
y penſer, en cherchant
dans ſon porte-feüille ſon
verre optique, la coppie
de la lettre de Fraudeliſe
ſur laquelle il avoit imité
celle que Philogame
avoit interceptée, &
qu'elle luy avoit impru-
demment laiſſée. Cet Ex-
vous faire revenir des
impreſſions que vous
aviez receuës d'elle.
Voilà, pourſuivit-il, cette
fille ſincere, & dans
l'ame de laquelle brillent
mille vertus, & mille
qualités : cette fille que
Philabel a aimée juſqu'à
la folie, & qu'elle a chaſſé
de ſon logis à cauſe de ſes
manieres libres, & de ſes
diſcours à double ſens,
qui faiſoient rougir ſi ſou-
vent ce pauvre enfant :
s'imaginer qu'il y eût des
femmes capables de faire
des infidelitez à leurs ma-
rys, & à qui la pudeur & la
modeſtie ne permettoient
pas de vous donner des
marques de toute la ten-
dreſſe & de tout l'amour
qu'elle a pour vous. Ha !
que vous allez mener a-
vec une ſemblable fem-
me, pourſuivit-il en
raillant, une vie tran-
quille, heureuſe, & éloi-
gnée de toute ſorte d'in
paſſeray mal-heureuſe-
ment la mienne avec
Leſbie, c'eſt-à-dire avec
une fille infidelle, ſans
foy, que je ne puis eſti-
mer par ſa fidelité, &
qui ne peut me faire goû-
ter les veritables plaiſirs
de l'amour : mais ſeule-
ment ceux de la debau-
che où les ſens trouvent
ſeuls du plaiſir ſans que
l'ame y participe.
& nos ſollicitations, dit
Philogame à Antigame,
23
Chagrins du Mariage.
cette femme pouroit bienprendre le chemin des
Madelonnettes, & le
Chevalier celuy de Mal-
the ; car les voila tous
deux engagez dans une
tres-fâcheuſe affaire. Ce
que je viens d'entendre,
reprit Antigame en ſou-
riant, me fait prendre la
reſolution de me marier
pour avoir une ſembla-
ble femme, & pour faire
parler de moy dans le
monde. En verité, con-
tinua-t-il, le Baron de
24
Les Agréemens & les
Lupane eſt bien dérai-ſonnable d'avoir la bou-
che grande, les yeux pe-
tits, le nez court & écra-
ſé, le teint jaune, &
l'air chagrin & rude ; &
d'avoir épouſé une fem-
me qui a la bouche peti-
te, les yeux gros, le nez
grand & bien tiré, le teint
blanc & l'air doux, en-
joüé, & touchant ; com-
ment cet étourdi, ce
malhonnête homme de
mari pouvoit-il eſperer
de bien vivre avec cette
femme
25
Chagrins du Mariage.
femme aprés de ſembla-bles contrarietez ? ce vi-
lain mary qui employe
ſon argent à faire bâtir
dans ſes maiſons, & dans
ſes fermes, & à faire fa-
çonner ſes terres, &
au lieu de l'employer à faire
changer ſouvent de bas
de ſoye & de ſouliers à
cette belle jambe, & à
ce joly petit pied, dont
Monſieur le Chevalier eſt
charmé. Pendant tout ce
diſcours, Philogame ne
diſoit mot, & liſoit atten-
C
Cinquiéme Partie.
26
Les Agréemens & les
tivement une affiche quiétoit contre un pillier de
la ſalle du Palais. Anti-
game eut curioſité de la
lire ; c'étoit un Ecrivain
qui avoit fait afficher
qu'il étoit tres - habile
dans le fait des écritures
& des verifications : Vou-
lez vous faire voir à cet
Expert, dit Antigame à
Philogame, la lettre que
vous avez interceptée,
& que vous avez cruë
de la main de Fraudeliſe.
Philogame luy témoigna
27
Chagrins du Mariage.
qu'il en avoit envie : ils yallerent, & malheureu-
ſement pour elle, c'é-
toit juſtement l'Ecrivain
qui avoit imité ſa lettre,
& pour comble de diſ-
graces, il laiſſa voir ſans
y penſer, en cherchant
dans ſon porte-feüille ſon
verre optique, la coppie
de la lettre de Fraudeliſe
ſur laquelle il avoit imité
celle que Philogame
avoit interceptée, &
qu'elle luy avoit impru-
demment laiſſée. Cet Ex-
C ij
3
30
Les Agréemens & les
écrit à Philabel, & devous faire revenir des
impreſſions que vous
aviez receuës d'elle.
Voilà, pourſuivit-il, cette
fille ſincere, & dans
l'ame de laquelle brillent
mille vertus, & mille
qualités : cette fille que
Philabel a aimée juſqu'à
la folie, & qu'elle a chaſſé
de ſon logis à cauſe de ſes
manieres libres, & de ſes
diſcours à double ſens,
qui faiſoient rougir ſi ſou-
vent ce pauvre enfant :
31
Chagrins du Mariage.
cette fille qui ne pouvoits'imaginer qu'il y eût des
femmes capables de faire
des infidelitez à leurs ma-
rys, & à qui la pudeur & la
modeſtie ne permettoient
pas de vous donner des
marques de toute la ten-
dreſſe & de tout l'amour
qu'elle a pour vous. Ha !
que vous allez mener a-
vec une ſemblable fem-
me, pourſuivit-il en
raillant, une vie tran-
quille, heureuſe, & éloi-
gnée de toute ſorte d'in
C iiij
32
Les Agréemens & les
fidelités, pendant que jepaſſeray mal-heureuſe-
ment la mienne avec
Leſbie, c'eſt-à-dire avec
une fille infidelle, ſans
foy, que je ne puis eſti-
mer par ſa fidelité, &
qui ne peut me faire goû-
ter les veritables plaiſirs
de l'amour : mais ſeule-
ment ceux de la debau-
che où les ſens trouvent
ſeuls du plaiſir ſans que
l'ame y participe.
Non, non, interrom-
pit bruſquement Philo-
rien, & je n'épouſeray de
ma vie Fraudeliſe. Juſte-
Ciel ! reprit-il en ſoûpi-
rant, qui n'auroit pas
été trompé avec cet
air modeſte & reſervé ;
cette pudeur étudiée,
cette feinte devotion,
cette chambre tournée en
forme de cellule de Reli-
gieuſe, ces têtes de morts,
ces Hiſtoires des Anacho-
retes & des Peres du de-
ſert, & avec ces mépris
& ces dégoûts affectés
repartit Antigame, qu'el-
le étoit alors broüilliée
avec Philabel, & que ce
n'étoit qu'un dépit amou-
reux qui la faiſoit agir ainſi.
pit bruſquement Philo-
33
Chagrins du Mariage.
game, il n'en ſera jamaisrien, & je n'épouſeray de
ma vie Fraudeliſe. Juſte-
Ciel ! reprit-il en ſoûpi-
rant, qui n'auroit pas
été trompé avec cet
air modeſte & reſervé ;
cette pudeur étudiée,
cette feinte devotion,
cette chambre tournée en
forme de cellule de Reli-
gieuſe, ces têtes de morts,
ces Hiſtoires des Anacho-
retes & des Peres du de-
ſert, & avec ces mépris
& ces dégoûts affectés
34
Les Agréemens & les
du monde ? Vous verrez,repartit Antigame, qu'el-
le étoit alors broüilliée
avec Philabel, & que ce
n'étoit qu'un dépit amou-
reux qui la faiſoit agir ainſi.
Cette converſation fut
interrompuë par l'arrivée
de la Baronne de Lupane,
qui en les abordant en
riant & avec beaucoup
d'enjouëment, com-
mença à crier, Victoire,
Victoire ; j'ay gagné mon
procés, ou peu s'en faut.
Ha ! la belle choſe, con-
nation d'un Avocat bien
payé ! ha ! la jolie loi, ha
la jolie loi que je viens
d'apprendre ! elle veut
qu'une femme qui a été
accuſée par ſon mary
d'adultere, qui ne peut
la convaincre, ſoit ſepa-
rée de luy, & qu'elle re-
prenne tout le bien qu'il
en a receu : mon mary,
reprit-elle, m'a accuſée
d'adultere, il luy eſt im-
poſſible de trouver des
preuves. Ainſi me voilà
heureuſe, s'ecria-t-elle ;
je ſeray maîtreſſe de mes
actions ; je ne feray que
ce que je voudray, je ne
recevray chez moy que
les perſonnes qui me plai-
ront ; & je ſeray delivrée
de la veuë & de la pre-
ſence de mon deſagreable
& bouru mary. Au moins
Meſſieurs, reprit-elle, a-
prés avoir rêvé un mo-
ment, & d'un air modeſte
& ſerieux, ce n'étoit point
avec Monſieur le Cheva-
le cabinet ruſtique de
Ramboüillet, lorſque les
deux témoins m'enten-
dirent parler ; j'étois avec
mon petit chien qui me
careſſoit, qui me baiſoit,
& à qui, en joüant,
je diſois de me donner du
repos ; ſuis-je la ſeule fem-
me qui parle à ſon chien ?
quel mal y-a-t-il, conti-
nua-t-elle en ſe radouciſ-
ſant d'un air ſimple &
innocent, de careſſer ce
petit animal qui eſt ſi
ce-là un ſujet pour me
faire mon procés ?
interrompuë par l'arrivée
de la Baronne de Lupane,
qui en les abordant en
riant & avec beaucoup
d'enjouëment, com-
mença à crier, Victoire,
Victoire ; j'ay gagné mon
procés, ou peu s'en faut.
Ha ! la belle choſe, con-
35
Chagrins du Mariage.
tinua-t-elle, que l'imagi-nation d'un Avocat bien
payé ! ha ! la jolie loi, ha
la jolie loi que je viens
d'apprendre ! elle veut
qu'une femme qui a été
accuſée par ſon mary
d'adultere, qui ne peut
la convaincre, ſoit ſepa-
rée de luy, & qu'elle re-
prenne tout le bien qu'il
en a receu : mon mary,
reprit-elle, m'a accuſée
d'adultere, il luy eſt im-
poſſible de trouver des
preuves. Ainſi me voilà
36
Les Agréemens & les
ſeparée. Ha ! que je ſerayheureuſe, s'ecria-t-elle ;
je ſeray maîtreſſe de mes
actions ; je ne feray que
ce que je voudray, je ne
recevray chez moy que
les perſonnes qui me plai-
ront ; & je ſeray delivrée
de la veuë & de la pre-
ſence de mon deſagreable
& bouru mary. Au moins
Meſſieurs, reprit-elle, a-
prés avoir rêvé un mo-
ment, & d'un air modeſte
& ſerieux, ce n'étoit point
avec Monſieur le Cheva-
37
Chagrins du Mariage.
lier avec qui j'étois dansle cabinet ruſtique de
Ramboüillet, lorſque les
deux témoins m'enten-
dirent parler ; j'étois avec
mon petit chien qui me
careſſoit, qui me baiſoit,
& à qui, en joüant,
je diſois de me donner du
repos ; ſuis-je la ſeule fem-
me qui parle à ſon chien ?
quel mal y-a-t-il, conti-
nua-t-elle en ſe radouciſ-
ſant d'un air ſimple &
innocent, de careſſer ce
petit animal qui eſt ſi
38
Les Agréemens & les
flateur & ſi doux : & eſt‑ce-là un ſujet pour me
faire mon procés ?
Antigame prenant la pa-
role luy dit, Madame, de
quelle eſpece eſt vôtre
chien, eſt-ce un bichon,
une levrette, un doguin,
ou un épagneul ? Je ne crois
pas, repartit-elle toute
embaraſſée, que de quel-
que eſpece qu'il ſoit, cela
faſſe rien à mon procés ;
& enſuite elle les quitta,
& tourna ſes pas du côté
du Pillier des Conſulta-
penſerent, que ce qu'elle
venoit de leur dire de
ſon petit chien, étoit
un Conſeil des Avocats
qu'elle venoit de conſul-
ter, à cauſe de ce qu'elle
leur avoit dit que c'étoit
une belle choſe que l'i-
magination d'un Avocat
bien payé, & ce qui fit
qu'ils la ſuivirẽt. Ils la trou-
verent placée derriere l'un
de ces Avocats, qui par-
loit alors à une fille qui ſe
cachoit avec un grand
Philogame obſerva at-
tentivement cette fille ;
il luy ſembla que c'étoit
Leſbie : il s'approcha
d'Antigame pour l'en a-
vertir, mais cette fille
s'étant apperçûë de l'ac-
tion de Philogame, quitta
promptement cet Avo-
cat, & s'étant miſe dans
la foule des gens qui é-
toient au Palais, diſparut
bientôt aux yeux de
Philogame, qui n'avoit
pû la faire voir que par
à Antigame, qui convint
que cette fille avoit une
taille à peu-prés ſembla-
ble à celle de Leſbie, &
étoit vétuë de même ; &
qui ſoûtint au ſurplus
que ce n'étoit point
Leſbie, & qu'il l'avoit
laiſſée tellement malade
& dans un état ſi abattu
& ſi voible, qu'il luy étoit
impoſſible de pouvoir
ſortir de la chambre de
long-temps.
role luy dit, Madame, de
quelle eſpece eſt vôtre
chien, eſt-ce un bichon,
une levrette, un doguin,
ou un épagneul ? Je ne crois
pas, repartit-elle toute
embaraſſée, que de quel-
que eſpece qu'il ſoit, cela
faſſe rien à mon procés ;
& enſuite elle les quitta,
& tourna ſes pas du côté
du Pillier des Conſulta-
39
Chagrins du Mariage.
tions ; ce qui fit qu'ils penſerent, que ce qu'elle
venoit de leur dire de
ſon petit chien, étoit
un Conſeil des Avocats
qu'elle venoit de conſul-
ter, à cauſe de ce qu'elle
leur avoit dit que c'étoit
une belle choſe que l'i-
magination d'un Avocat
bien payé, & ce qui fit
qu'ils la ſuivirẽt. Ils la trou-
verent placée derriere l'un
de ces Avocats, qui par-
loit alors à une fille qui ſe
cachoit avec un grand
40
Les Agréemens & les
ſoin dans ſes coëffes.Philogame obſerva at-
tentivement cette fille ;
il luy ſembla que c'étoit
Leſbie : il s'approcha
d'Antigame pour l'en a-
vertir, mais cette fille
s'étant apperçûë de l'ac-
tion de Philogame, quitta
promptement cet Avo-
cat, & s'étant miſe dans
la foule des gens qui é-
toient au Palais, diſparut
bientôt aux yeux de
Philogame, qui n'avoit
pû la faire voir que par
derriere
41
Chagrins du Mariage.
derriere, & de fort loinà Antigame, qui convint
que cette fille avoit une
taille à peu-prés ſembla-
ble à celle de Leſbie, &
étoit vétuë de même ; &
qui ſoûtint au ſurplus
que ce n'étoit point
Leſbie, & qu'il l'avoit
laiſſée tellement malade
& dans un état ſi abattu
& ſi voible, qu'il luy étoit
impoſſible de pouvoir
ſortir de la chambre de
long-temps.
Dans le temps de
ſuivoient cette fille dans
la foule du Palais, &
raiſonnoient enſemble
ſur ſon chapitre ; ils ren-
contrerent le Cheva-
lier qui les cherchoit
pour les mener dîner.
Hé bien ! luy dit Anti-
game en ſouriant, de quel-
le eſpece de chiens eſt
celuy qui baiſoit Madame
la Baronne dans le cabi-
net de verdure ? Male peſte 4
ſoit des chiens & des
Avocats, repartit le Che-
voir jamais finir : mais
comme il ſe faiſoit tard
la converſation ceſſa,
& le Chevalier condui-
ſit Philogame & Anti-
game dans le lieu où il
devoit leur donner à dî-
ner ; un moment aprés
les Avocats s'y trouve-
rent, & le Chevalier y
fit ſervir un grand repas.
Philogame & Anti-
game étoient dans l'ad-
miration de voir ſi bien
manger ces deux Avo-
devorent pas avec plus
d'appetit. Le Chevalier
ſe ſeroit fait un grand
ſcrupule de les interrom-
pre, & ne s'ocuppoit
qu'à les ſervir ; comme il
vit dans la ſuite qu'ils ſe
rendoient, il fit apporter
le fruict, & s'étant fait
donner du vin, il voulut
chanter une chanſon à
boire. Il ne s'agit point de
chanter, dit Antigame,
mais de juger, continua‑
t-il, la conteſtation que
moy : il faut, dit le plus
ancien Avocat, paſſer un
compromis, & y mettre
une peine ; il n'eſt pas ne-
ceſſaire, reprit le Cheva-
lier en riant : ces Meſ-
ſieurs ſont honnêtes gens,
ils s'en tiendront ſûre-
ment à vôtre jugement,
& quand vous ſçaurez
de quoy il s'agit, vous en
conviendrez.
D
Cinquiéme Partie.
42
Les Agréemens & les
Philogame & Antigameſuivoient cette fille dans
la foule du Palais, &
raiſonnoient enſemble
ſur ſon chapitre ; ils ren-
contrerent le Cheva-
lier qui les cherchoit
pour les mener dîner.
Hé bien ! luy dit Anti-
game en ſouriant, de quel-
le eſpece de chiens eſt
celuy qui baiſoit Madame
la Baronne dans le cabi-
net de verdure ? Male peſte 4
ſoit des chiens & des
Avocats, repartit le Che-
43
Chagrins du Mariage.
valier ; je croiois de ne voir jamais finir : mais
comme il ſe faiſoit tard
la converſation ceſſa,
& le Chevalier condui-
ſit Philogame & Anti-
game dans le lieu où il
devoit leur donner à dî-
ner ; un moment aprés
les Avocats s'y trouve-
rent, & le Chevalier y
fit ſervir un grand repas.
Philogame & Anti-
game étoient dans l'ad-
miration de voir ſi bien
manger ces deux Avo-
D ij
44
Les Agréemens & les
cats : des Chaſſeurs nedevorent pas avec plus
d'appetit. Le Chevalier
ſe ſeroit fait un grand
ſcrupule de les interrom-
pre, & ne s'ocuppoit
qu'à les ſervir ; comme il
vit dans la ſuite qu'ils ſe
rendoient, il fit apporter
le fruict, & s'étant fait
donner du vin, il voulut
chanter une chanſon à
boire. Il ne s'agit point de
chanter, dit Antigame,
mais de juger, continua‑
t-il, la conteſtation que
45
Chagrins du Mariage.
nous avons Philogame &moy : il faut, dit le plus
ancien Avocat, paſſer un
compromis, & y mettre
une peine ; il n'eſt pas ne-
ceſſaire, reprit le Cheva-
lier en riant : ces Meſ-
ſieurs ſont honnêtes gens,
ils s'en tiendront ſûre-
ment à vôtre jugement,
& quand vous ſçaurez
de quoy il s'agit, vous en
conviendrez.
L'état de la conteſta-
tion, continua-t-il, eſt de
ſçavoir s'il eſt avantageux
Philogame eſt pour le
mariage, & Antigame
ſoûtient le party con-
traire. Voilà, Meſſieurs, ce
que vous avez à juger,
dit le Chevalier en levant
gravement ſon chapeau,
& en ſaluant ces Avocats,
de la même maniere qu'il
avoit vû faire à celui qui
avoit raporté ſon affaire
dans la Chambre des
Conſultations.
tion, continua-t-il, eſt de
ſçavoir s'il eſt avantageux
D iiij
46
Les Agréemens & les
à un homme de ſe marier :Philogame eſt pour le
mariage, & Antigame
ſoûtient le party con-
traire. Voilà, Meſſieurs, ce
que vous avez à juger,
dit le Chevalier en levant
gravement ſon chapeau,
& en ſaluant ces Avocats,
de la même maniere qu'il
avoit vû faire à celui qui
avoit raporté ſon affaire
dans la Chambre des
Conſultations.
Cette Queſtion eſt
traitée, dit le plus ancien
point marié, dans Rabe-
lais ; & ſa déciſion eſt,
que mariez-vous, ne
vous mariez point, de l'un
& de l'autre vous vous
repentirez 5
traitée, dit le plus ancien
47
Chagrins du Mariage.
des Avocats, qui n'étoitpoint marié, dans Rabe-
lais ; & ſa déciſion eſt,
que mariez-vous, ne
vous mariez point, de l'un
& de l'autre vous vous
repentirez 5
Pour moy, continua‑
t-il, j'ay voulu trop rai-
ſonner & trop rafiner
ſur le mariage ; c'eſt ce
qui a fait que je ne me
ſuis point marié : mais je
ne ſuis pas à m'en repen-
tir, & ſi j'étois dans l'âge
competant je le ferois.
mal-heureuſe mene un
homme avancé en age
qui n'eſt point marié ? s'il
a du penchant pour le
Sexe, il eſt à tout mo-
ment expoſé à ſes infide-
litez, & à ſes trahiſons,
& nonobſtant l'habilité
de ſon Chirurgien, il por-
tera juſqu'au tombeau
les bleſſures qu'il en aura
receuës ; il a toutes les
plus mêchantes ſervantes
de Paris qui ne penſent
qu'à le voler, il eſt la
ſans ſocieté dans ſa mai-
ſon, ou environnné de
flateurs intereſſez qui
couchent en veuë ſa
ſucceſſion, ou d'eſcrocs
affamez qui ne le ſuivent
que pour avoir de bons
repas. Il n'a pas le plaiſir
& la conſolation, en
amaſſant du bien, de pen-
ſer, comme font les pe-
res de famille, qu'il le
laiſſera à des enfans qu'il
aime, & qui font une
partie de lui-même ; mais
grin & la douleur de
voir que ce bien paſſera
à des collateraux, qui
murmurent tous les jours
contre la longueur de ſa
vie, & qui commettent
tres-ſouvent dans le
fond de leurs cœurs des
aſſaſſinats de ſa perſonne.
Dans ſa grande vieilleſſe,
il n'a point d'enfans pour
le divertir, pour le con
ſoler, & dans leſquels il
puiſſe ſe flatter de revi-
vre aprés ſa mort : au
meſtiques infideles qui ne
penſent qu'à le voler
impunément, ou à tirer
de lui des diſpoſitions en
leur faveur ; des parens
de divers côtez & lignes
qui l'environnent, qui
conſultent à tout mo-
ment ſes yeux & l'état
où il eſt, avec une cu-
rioſité avare, & qui ſur
le premier avis qu'il ne
peut en revenir, & qu'il
a perdu connoiſſance, ſe
ſaiſiſſent de ſes clefs,
par avance leurs preten-
dus droits dans la ſuc-
ceſſion d'un homme vi-
vant, & ſont reſolus, au
cas que leurs intereſts
ayent receu la moindre
atteinte par quelque diſ-
poſition, de dechirer ſa
vie & ſa memoire dans
les plus fameux Tribu-
naux : ce ſont, Meſ-
ſieurs, ces conſidera-
tions qui m'obligent à
me declarer en faveur du
mariage.
t-il, j'ay voulu trop rai-
ſonner & trop rafiner
ſur le mariage ; c'eſt ce
qui a fait que je ne me
ſuis point marié : mais je
ne ſuis pas à m'en repen-
tir, & ſi j'étois dans l'âge
competant je le ferois.
48
Les Agréemens & les
Quelle vie chagrine &mal-heureuſe mene un
homme avancé en age
qui n'eſt point marié ? s'il
a du penchant pour le
Sexe, il eſt à tout mo-
ment expoſé à ſes infide-
litez, & à ſes trahiſons,
& nonobſtant l'habilité
de ſon Chirurgien, il por-
tera juſqu'au tombeau
les bleſſures qu'il en aura
receuës ; il a toutes les
plus mêchantes ſervantes
de Paris qui ne penſent
qu'à le voler, il eſt la
plûpart
49
Chagrins du Mariage.
plûpart du temps ſeul &ſans ſocieté dans ſa mai-
ſon, ou environnné de
flateurs intereſſez qui
couchent en veuë ſa
ſucceſſion, ou d'eſcrocs
affamez qui ne le ſuivent
que pour avoir de bons
repas. Il n'a pas le plaiſir
& la conſolation, en
amaſſant du bien, de pen-
ſer, comme font les pe-
res de famille, qu'il le
laiſſera à des enfans qu'il
aime, & qui font une
partie de lui-même ; mais
E
Cinquiéme Partie.
50
Les Agréemens & les
au contraire il a le cha-grin & la douleur de
voir que ce bien paſſera
à des collateraux, qui
murmurent tous les jours
contre la longueur de ſa
vie, & qui commettent
tres-ſouvent dans le
fond de leurs cœurs des
aſſaſſinats de ſa perſonne.
Dans ſa grande vieilleſſe,
il n'a point d'enfans pour
le divertir, pour le con
ſoler, & dans leſquels il
puiſſe ſe flatter de revi-
vre aprés ſa mort : au
51
Chagrins du Mariage.
contraire ce ſont des do-meſtiques infideles qui ne
penſent qu'à le voler
impunément, ou à tirer
de lui des diſpoſitions en
leur faveur ; des parens
de divers côtez & lignes
qui l'environnent, qui
conſultent à tout mo-
ment ſes yeux & l'état
où il eſt, avec une cu-
rioſité avare, & qui ſur
le premier avis qu'il ne
peut en revenir, & qu'il
a perdu connoiſſance, ſe
ſaiſiſſent de ſes clefs,
E ij
52
Les Agréemens & les
commencent à conteſterpar avance leurs preten-
dus droits dans la ſuc-
ceſſion d'un homme vi-
vant, & ſont reſolus, au
cas que leurs intereſts
ayent receu la moindre
atteinte par quelque diſ-
poſition, de dechirer ſa
vie & ſa memoire dans
les plus fameux Tribu-
naux : ce ſont, Meſ-
ſieurs, ces conſidera-
tions qui m'obligent à
me declarer en faveur du
mariage.
53
Chagrins du Mariage.
Pour moy, dit le plus
jeune Avocat, quoique
j'aye tous les ſujets du
monde de me loüer de
ma femme, de mes en-
fans & de mon mariage,
je ne laiſſe pas d'être
d'avis, qu'un homme qui
veut vivre heureux ne
doit point ſe marier. Oüi
je poſe en fait, conti-
nua-t-il en s'adreſſant à
ſon confrere, qu'il y a
des ſuites & des incon-
veniens plus fâcheux
dans le mariage, que
dire ; & que la condition
d'un homme avancé en
âge & qui n'eſt point ma-
rié, eſt beaucoup moins
malheureuſe que celle
d'un homme âgé qui eſt
marié : & je pretends
vous le faire voir, dit-il,
par l'experience & par
les reflexions que je fais
vous faire faire ſur les
affaires que nous avons
euës enſemble.
jeune Avocat, quoique
j'aye tous les ſujets du
monde de me loüer de
ma femme, de mes en-
fans & de mon mariage,
je ne laiſſe pas d'être
d'avis, qu'un homme qui
veut vivre heureux ne
doit point ſe marier. Oüi
je poſe en fait, conti-
nua-t-il en s'adreſſant à
ſon confrere, qu'il y a
des ſuites & des incon-
veniens plus fâcheux
dans le mariage, que
E iij
54
Les Agréemens & les
ceux que vous venez dedire ; & que la condition
d'un homme avancé en
âge & qui n'eſt point ma-
rié, eſt beaucoup moins
malheureuſe que celle
d'un homme âgé qui eſt
marié : & je pretends
vous le faire voir, dit-il,
par l'experience & par
les reflexions que je fais
vous faire faire ſur les
affaires que nous avons
euës enſemble.
Vous dites qu'un hom-
me avancé en âge, qui
aime les femmes, eſt ex-
poſé tous les jours à leurs
infidelitez, à leurs trahi-
ſons & à des ſuites tres-
fâcheuſes. Un homme
qui a ces ſortes d'incli-
nations & qui eſt marié,
n'en eſt pas plus à cou-
vert avec ſa femme : ils
ne ſentent rien de doux
& d'agreable l'un pour
l'autre ; leurs longues
frequentations, & la par-
faite connoiſſance qu'ils
ont de leurs defauts &
donnent à tous deux un
ſi grand mépris & un
ſi grand dégoût, qu'ils
ne ſe ſouffrent que par
bien - ſeance & par poli-
tique. La femme eſt-elle
vieille ou laide ? elle eſt
jalouſe, inquiette, &
inceſſamment occupée à
épier les actions de ſon
mary, à qui elle ne don-
ne ni repos ni tréve, &
à qui elle ôte la liberté
de pouvoir entretenir
une inclination raiſon-
nable : ſi bien que s'il ne
ſera reduit à quelque
malheureuſe, chez qui
l'intereſt ſeul tiendra lieu
de merite, & avec la-
quelle ſa ſanté ſera tous
les jours en peril ; enfin
il aura peut-être même
le chagrin de voir que ſa
femme par reſſentiment
ou par droit de repreſail-
les, ſe ſervira de quelque
malheureux domeſtique,
qu'elle comblera de bien-
faits & de preſens.
me avancé en âge, qui
55
Chagrins du Mariage.
n'eſt point maré & quiaime les femmes, eſt ex-
poſé tous les jours à leurs
infidelitez, à leurs trahi-
ſons & à des ſuites tres-
fâcheuſes. Un homme
qui a ces ſortes d'incli-
nations & qui eſt marié,
n'en eſt pas plus à cou-
vert avec ſa femme : ils
ne ſentent rien de doux
& d'agreable l'un pour
l'autre ; leurs longues
frequentations, & la par-
faite connoiſſance qu'ils
ont de leurs defauts &
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56
Les Agréemens & les
de leurs infirmitez, leurdonnent à tous deux un
ſi grand mépris & un
ſi grand dégoût, qu'ils
ne ſe ſouffrent que par
bien - ſeance & par poli-
tique. La femme eſt-elle
vieille ou laide ? elle eſt
jalouſe, inquiette, &
inceſſamment occupée à
épier les actions de ſon
mary, à qui elle ne don-
ne ni repos ni tréve, &
à qui elle ôte la liberté
de pouvoir entretenir
une inclination raiſon-
nable : ſi bien que s'il ne
57
Chagrins du Mariage.
peut ſe paſſer du ſexe, ilſera reduit à quelque
malheureuſe, chez qui
l'intereſt ſeul tiendra lieu
de merite, & avec la-
quelle ſa ſanté ſera tous
les jours en peril ; enfin
il aura peut-être même
le chagrin de voir que ſa
femme par reſſentiment
ou par droit de repreſail-
les, ſe ſervira de quelque
malheureux domeſtique,
qu'elle comblera de bien-
faits & de preſens.
Jamais ſervante n'a
maniere ſi avide & ſi ou-
trée, que font les fem-
mes de ce temps pour
faire leur bource, pour
entretenir leurs galans,
ou pour fournin aux de-
penſes exceſſives de leur
jeu & de leurs habits
magnifiques : Elles ga-
gnent ſur tout, ſur la
table, ſur les habits, ſur
les proviſions, ſur les
fournitures de la maiſon,
ſur les meubles, ſur les
fermiers, & ſur les do-
n'eſt pas ſuffiſant, elles
vendent tout ce qu'elles
peuvent dans la maiſon
à vil prix, & dans la
ſuite elles l'achettent fort
chérement aux depens
du mary, ſous pretexte
de ſe mettre à la mode ;
& voila ce qui ruïne la
plûpart des maiſons :
Temoin le mauvais mé-
nage de la femme d'un
de nos Confreres ; il
avoit du bien, il a beau-
coup gagné au Palais, &
hors d'état de pouvoir
ſubſtiſter commodément.
58
Les Agréemens & les
pillé ſon maître d'unemaniere ſi avide & ſi ou-
trée, que font les fem-
mes de ce temps pour
faire leur bource, pour
entretenir leurs galans,
ou pour fournin aux de-
penſes exceſſives de leur
jeu & de leurs habits
magnifiques : Elles ga-
gnent ſur tout, ſur la
table, ſur les habits, ſur
les proviſions, ſur les
fournitures de la maiſon,
ſur les meubles, ſur les
fermiers, & ſur les do-
59
Chagrins du Mariage.
meſtiques ; & ſi ce gainn'eſt pas ſuffiſant, elles
vendent tout ce qu'elles
peuvent dans la maiſon
à vil prix, & dans la
ſuite elles l'achettent fort
chérement aux depens
du mary, ſous pretexte
de ſe mettre à la mode ;
& voila ce qui ruïne la
plûpart des maiſons :
Temoin le mauvais mé-
nage de la femme d'un
de nos Confreres ; il
avoit du bien, il a beau-
coup gagné au Palais, &
60
Les Agréemens & les
cependant il ſe trouvehors d'état de pouvoir
ſubſtiſter commodément.
A l'égard de ce que
vous dites, continua-t-il,
qu'un homme qui n'eſt
point marié eſt ſeul &
ſans ſocieté dans ſa mai-
ſon, ou environné de pa-
rens & de flateurs qu
couchent en veuë ſa ſuc-
ceſſion, ha ! quelle com-
pagnie que celle d'une
femme, quelle compa-
gnie que celle des enfans !
une femme bouruë, in-
trariant, qui ſe plaint,
qui gronde, qui crie à
tout moment, qui n'a
d'autre veuë dans tout
ce qu'elle fait que l'inte-
reſt & l'avarice, & qui
ne medite que les moïens
de tirer de l'argent de ſon
mary. Quelle compagnie
grand Dieu, que celle de
vos enfans ! s'ils ſont jeu-
nes, & en petit nombre,
les infirmitez & les ma-
ladies dont leur enfance
eſt ſouvent atteinte, &
de ne pouvoir les élever
à cauſe de vôtre vieilleſſe,
ou à cauſe de la foibleſſe
de leur temperament,
vous donnent mille en-
nuis & mille peines. Sont‑
ils formez & en âge d'être
établis dans le monde ?
ce ſont bien d'autres plus
grandes inquietudes, &
d'autres plus ſenſibles
chagrins qui vous atten-
dent. Il faut penſer à les
établir, dites-vous, vôtre
fils aîné eſt un libertin &
donne au jeu & à la de-
bauche ; il faut l'en tirer
prompetement avec une
charge & avec une fem-
me, autrement il ſe per-
dra. Ce fils de famille vô-
tre voiſin, qui eſt ſans
charge & ſans femme,
pendant que ſon pere
étoit à la campagne, a
vendu ſa vaiſſelle d'ar-
gent, ſa tapiſſerie & ſes
meubles les plus pré-
cieux ; cet autre a forcé
le cofre fort de ſon pere,
gent ; cet autre emprun-
te de tout part, & eſt à
la veille de finir ſes jours
dans une priſon, ſi ſon
pere ne compoſe avec ſes
creanciers ; & cet autre
ne frequente que des
gens de mauvaiſe vie, &
ſe broüille tous les jours
avec la Juſtice. Vôtre fille
aînée eſt coquette, vous
dit-on ; elle aime la com-
pagnie des hommes, elle
en reçoit ſouvent des
billets doux, elle y ré-
ſouvent où elle va ; on
l'a vûë dans un caroſſe,
dans un jardin, ou ailleurs,
avec un avanturier qui
la ſuit par tout : prenez-y
garde, veillez-y ; il y a
des exemples fâcheux
dans les plus illuſtres fa-
milles. Combien un pau-
vre pere ſoufre-t-il dans
cette occaſion ? ſon cœur
ne lui donne ni repos ni
tréve ſur le chapitre de
ſes enfans : Je dois, dit‑
il, les établir avantageu-
que j'ay de bien au mon-
de pour cela, & m'ex-
poſer à mourir dans la
neceſſité. Voicy un autre
nouveau ſoin pour le
choix des perſonnes avec
qui il les placera. Il faut
qu'elles ayent du bien,
qu'elles ſoient de famille,
& qu'elles ſoient ſages :
où les trouver ? Paris le
plus ſouvent eſt trop pe-
tit, ſi on veut les exami-
ner de bien prés. Cepen-
dant il faut le faire ; com-
le bien de leurs femmes,
& les ont reduites dans
la derniere neceſſité ? &
combien de femmes ont
perdu leurs maris de re-
putation, & les ont fait
paſſer dans le monde pour
des ridicules & des ori-
ginaux ? Mais ſi vôtre for-
tune eſt mediocre & ne
peut ſeconder vôtre va-
nité & vôtre ambition,
que faire, quel parti pren-
dre ? laiſſerez-vous vieil-
lir vos fils ſans charges,
Vous ſçavez une voye
pour les établir avanta-
geuſement : elle eſt à la
verité mal-honnête, &
vôtre honneur repugne
à la ſuivre ; mais un ſi
grand nombre de gens &
des plus qualifiez de la
robe, l'ont ſi bien frayée,
que ce pere de famille s'y
engage, & leve le maſ-
que comme ils ont fait :
Il commence par em-
ployer toutes ſortes d'ar-
tifices pour ſe faire paſſer
homme riche ; il emprun-
te de toutes parts, & in-
tereſſe à cet effet les No-
taires ; il achete enſuitte
des charges à ſes enfans,
& les marie avec de groſ-
ſes dotes, aux depens de
ſes creanciers. Voit-il
ſon credit épuiſé ? il ne
leur paye plus leurs arre-
rages ; eſt-il à la veille
d'en être pourſuivi ? avec
une feinte ſeparation de
biens d'avec ſa femme,
avec un decret fait à la
ſimulé ſur ſes biens, avec
le bail judiciaire qu'il en
prend ſous le nom d'un
tiers, avec de pretendus
creanciers dont il fait re-
naître les anciennes det-
tes de ſa famille aquitées,
& avec mille autres chi-
canes il impoſe la loy à
ſes malheureux crean-
ciers, qui ſont contraints
de luy relâcher ſa vie du-
rant, la jouiſſance de ſes
biens, ſur la bonne foy
d'un contrat frauduleux
proprieté. Cette condui-
te luy paroît malhonnête
& blâmable ; ſon cœur en
murmure de temps en
temps, & luy en fait des
reproches ; il travaille à
s'en conſoler ; il ſe flatte
que l'honneur & la gloi-
re des grandes charges
dans leſquelles il a placé
ſes enfans, lavent ſa hon-
te & ſon infamie : il fait
bien plus, il va chercher
dans leurs cœurs de la
conſolation ; il s'y trouve
miers à inſulter à ſa dou-
leur & à ſa honte ; ils en
parlent comme d'un diſ-
ſipateur, & ne le ména-
gent qu'autant qu'ils en
attendent quelque choſe.
Aprés toutes ces conſide-
rations ne vaut-il pas
bien mieux, mon cher
confrére, être ſeul, ſans
ſocieté, & en repos, que
d'avoir de ſemblables
compagnies, & que d'être
expoſé à ces ſortes de
peines & de chagrins ?
continua-t-il, de ce fils
de famille qui nous avoit
pris pour Juges des diffe-
rens qu'il avoit avec ſon
pere, & de l'emporte-
ment avec lequel il
vint m'embraſſer au Pa-
lais, aprés que ſon pere
fut mort, en me diſant,
réjouïſſance, réjouïſſan-
ce il eſt mort, nous n'au-
rons plus de guerre ? Pour
moy, continua cet Avo-
cat en riant, je crûs qu'il
parloit de la mort du
vous reſſouvenez-vous
pas auſſi de l'ingenuité
de cette femme qui en
nous demandant ce qu'-
elle avoit à faire pour la
conſervation de ſes droits
aprés la mort de ſon ma-
ry qui étoit alors dange-
reuſement malade, nous
dit les larmes aux yeux
en nous quittant, qu'elle
apprehendoit, tant elle
étoit malheureuſe, que
nos avis luy fuſſent inuti-
les, & que ſon mary n'en
qui ne pouvant joüir des
revenus de ſon bien à
cauſe que ſon mary étoit
détenu priſonnier pour
quelque crime dont il
étoit accuſé, nous avoüa
franchement qu'elle ai-
meroit mieux que les Ju-
ges le fiſſent mourir tout
d'un coup, que de tirer
plus long-temps l'affaire
en longueur ? & enfin de
cette autre artificieuſe
ſeparée en Juſtice de ſon
mary, qui ſe voyant
à couvert des ſuites fâ-
cheuſes de ſa proſtitu-
tion, ſuſcita à ſon mary
une calomnie tres-noire,
& le fit mettre dans une
priſon d'où elle ne le laiſ-
ſa ſortir que lorſqu'elle
fut accouchée ? Aprés ce-
la, finit le jeune Avocat,
avoüez mon cher confre-
re, bõne foy du Palais, que
les femmes & les enfans
ſont la plûpart d'un tres‑
méchant naturel, don-
nent mille fois plus de
que de plaiſirs, & que
c'eſt prendre le mauvais
party pour vivre heu-
reux que de ſe marier.
Toutes les femmes &
tous les enfans n'ont pas
le cœur ſi dénaturé que
vous dites, répondit
l'ancien Avocat ; & ſu-
poſé que cela fût, les
raiſons de bienſeance,
d'honneur & d'intereſt
qui les engagent, & qui
les lient avec leurs ma-
ris & leurs peres, ſont
les retiennent plus for-
tement dans leur de-
voir, que celles d'une ſim-
ple amitié, & d'une paſ-
ſion amoureuſe : Chez
les gens mariez & dans
les familles, l'honneur
de l'un fait l'honneur
de l'autre ; leurs inte-
reſts ſont ſi unis & ſi
communs, que c'eſt à
peu prés la même choſe,
& qu'il neſt pas même
en leur pouvoir d'y re-
noncer : à la difference
ſimple amitié &
d'une paſſion amoureuſe dans
leſquels auſſitôt que l'un
ſe dégoûte, il a la liber-
té de ſe dégager de l'au-
tre, de rompre les liens
qui le retiennent, & de
ſe pourvoir ailleurs ſelon
ſon panchant & ſon in-
clination volage, ſans
que l'autre ſoit en droit
de le retenir ; ce qui fait
que ces ſortes d'attache-
mens ſont paſſagers &
durent tres-peu de temps.
fille qui nous eſt venu
conſulter ſur la promeſſe
de mariage que ſon
amant luy a faite ; qui
ne voit pas qu'à preſent
elle en eſt dégoûtée,
qu'il y en a un nouveau
ſur les rangs qui luy plaît
davantage, & que ſon
intention n'eſt autre que
de tirer une ſomme con-
ſiderable de ce premier,
pour épouſer le nouveau
venu ? Si cette fille avoit
été mariée avec ſon pre-
elle n'auroit jamais con-
çu la penſée de le quit-
ter pour un autre ; elle
l'auroit éloignée, & ſe
ſeroit uniquement atta-
chée à ſon mary ſans au-
cune diverſion, & ſans
penſer à le vouloir chan-
ger. Elle eſt revenuë
vous parler, repartit le
jeune Avocat, aprés nous
avoir quitté ; que vous
a-t-elle dit, & quel con-
ſeil luy avez-vous don-
né ? De ſe retirer, repli-
maiſon religieuſe, & de
citer ſon amant à l'Offi-
cialité6, pour l'execution
de ſa promeſſe de maria-
ge. Je luy ay fait conce-
voir que s'il étoit vray,
comme elle me diſoit,
que ſon amant refuſât de
l'épouſer, l'Official de-
clareroit la promeſſe de
mariage nulle, & ren-
voiroit les parties parde-
vant le Juge ſeculier pour
la condamnation des
dommages & intereſts,
tres - conſiderable contre
l'amant. Lorſqu'il a ſigné
la promeſſe de mariage,
repliqua le jeune Avo-
cat, il étoit mineur ; ainſi
la condamnation ſera
modique. Oüi interrom-
pit l'ancien, ſi cet hom-
me n'avoit point été
émancipé & maître de
ſes droits par le mariage
d'une premier femme ;
ſi la fille n'avoit pas été
dans une grande jeuneſſe
lors du pretendu rapt de
point d'une qualité diſ-
tinguée & du moins é-
gale à la ſienne, ſi l'hom-
me dans les commence-
mens ne l'avoit pas veuë
dans la penſée du maria-
ge, & enfin ſi dans ſa
majorité il n'avoit pas
aprouvé par diverſes let-
tres qu'il luy a écrites la
promeſſe de mariage.
Pour moy, finit l'ancien
avocat, ma penſée eſt
qu'à peine le bien de
l'homme pourra ſuffire
ges & intereſts ; & c'eſt
nôtre dernier Juriſpru-
dence, de condamner les
hommes à des ſommes ſi
conſiderables qu'ils ſoient
obligez d'épouſer les fil-
les.
vous dites, continua-t-il,
qu'un homme qui n'eſt
point marié eſt ſeul &
ſans ſocieté dans ſa mai-
ſon, ou environné de pa-
rens & de flateurs qu
couchent en veuë ſa ſuc-
ceſſion, ha ! quelle com-
pagnie que celle d'une
femme, quelle compa-
gnie que celle des enfans !
une femme bouruë, in-
61
Chagrins du Mariage.
quiette, d'un eſprit con-trariant, qui ſe plaint,
qui gronde, qui crie à
tout moment, qui n'a
d'autre veuë dans tout
ce qu'elle fait que l'inte-
reſt & l'avarice, & qui
ne medite que les moïens
de tirer de l'argent de ſon
mary. Quelle compagnie
grand Dieu, que celle de
vos enfans ! s'ils ſont jeu-
nes, & en petit nombre,
les infirmitez & les ma-
ladies dont leur enfance
eſt ſouvent atteinte, &
62
Les Agréemens & les
la crainte de les perdre &de ne pouvoir les élever
à cauſe de vôtre vieilleſſe,
ou à cauſe de la foibleſſe
de leur temperament,
vous donnent mille en-
nuis & mille peines. Sont‑
ils formez & en âge d'être
établis dans le monde ?
ce ſont bien d'autres plus
grandes inquietudes, &
d'autres plus ſenſibles
chagrins qui vous atten-
dent. Il faut penſer à les
établir, dites-vous, vôtre
fils aîné eſt un libertin &
63
Chagrins du Mariage.
un faineant, qui s'a-donne au jeu & à la de-
bauche ; il faut l'en tirer
prompetement avec une
charge & avec une fem-
me, autrement il ſe per-
dra. Ce fils de famille vô-
tre voiſin, qui eſt ſans
charge & ſans femme,
pendant que ſon pere
étoit à la campagne, a
vendu ſa vaiſſelle d'ar-
gent, ſa tapiſſerie & ſes
meubles les plus pré-
cieux ; cet autre a forcé
le cofre fort de ſon pere,
64
Les Agréemens & les
& a enlevé tout ſon ar-gent ; cet autre emprun-
te de tout part, & eſt à
la veille de finir ſes jours
dans une priſon, ſi ſon
pere ne compoſe avec ſes
creanciers ; & cet autre
ne frequente que des
gens de mauvaiſe vie, &
ſe broüille tous les jours
avec la Juſtice. Vôtre fille
aînée eſt coquette, vous
dit-on ; elle aime la com-
pagnie des hommes, elle
en reçoit ſouvent des
billets doux, elle y ré-
pond ;
65
Chagrins du Mariage.
pond ; l'on ne ſçait le plusſouvent où elle va ; on
l'a vûë dans un caroſſe,
dans un jardin, ou ailleurs,
avec un avanturier qui
la ſuit par tout : prenez-y
garde, veillez-y ; il y a
des exemples fâcheux
dans les plus illuſtres fa-
milles. Combien un pau-
vre pere ſoufre-t-il dans
cette occaſion ? ſon cœur
ne lui donne ni repos ni
tréve ſur le chapitre de
ſes enfans : Je dois, dit‑
il, les établir avantageu-
F
Cinquiéme Partie.
66
Les Agréemens & les
ſement, ſacrifier tout ceque j'ay de bien au mon-
de pour cela, & m'ex-
poſer à mourir dans la
neceſſité. Voicy un autre
nouveau ſoin pour le
choix des perſonnes avec
qui il les placera. Il faut
qu'elles ayent du bien,
qu'elles ſoient de famille,
& qu'elles ſoient ſages :
où les trouver ? Paris le
plus ſouvent eſt trop pe-
tit, ſi on veut les exami-
ner de bien prés. Cepen-
dant il faut le faire ; com-
67
Chagrins du Mariage.
bien de maris ont mangéle bien de leurs femmes,
& les ont reduites dans
la derniere neceſſité ? &
combien de femmes ont
perdu leurs maris de re-
putation, & les ont fait
paſſer dans le monde pour
des ridicules & des ori-
ginaux ? Mais ſi vôtre for-
tune eſt mediocre & ne
peut ſeconder vôtre va-
nité & vôtre ambition,
que faire, quel parti pren-
dre ? laiſſerez-vous vieil-
lir vos fils ſans charges,
F ij
68
Les Agréemens & les
& vos filles ſans marys ?Vous ſçavez une voye
pour les établir avanta-
geuſement : elle eſt à la
verité mal-honnête, &
vôtre honneur repugne
à la ſuivre ; mais un ſi
grand nombre de gens &
des plus qualifiez de la
robe, l'ont ſi bien frayée,
que ce pere de famille s'y
engage, & leve le maſ-
que comme ils ont fait :
Il commence par em-
ployer toutes ſortes d'ar-
tifices pour ſe faire paſſer
69
Chagrins du Mariage.
dans le monde pour unhomme riche ; il emprun-
te de toutes parts, & in-
tereſſe à cet effet les No-
taires ; il achete enſuitte
des charges à ſes enfans,
& les marie avec de groſ-
ſes dotes, aux depens de
ſes creanciers. Voit-il
ſon credit épuiſé ? il ne
leur paye plus leurs arre-
rages ; eſt-il à la veille
d'en être pourſuivi ? avec
une feinte ſeparation de
biens d'avec ſa femme,
avec un decret fait à la
F iij
70
Les Agréemens & les
requête d'un creancier ſimulé ſur ſes biens, avec
le bail judiciaire qu'il en
prend ſous le nom d'un
tiers, avec de pretendus
creanciers dont il fait re-
naître les anciennes det-
tes de ſa famille aquitées,
& avec mille autres chi-
canes il impoſe la loy à
ſes malheureux crean-
ciers, qui ſont contraints
de luy relâcher ſa vie du-
rant, la jouiſſance de ſes
biens, ſur la bonne foy
d'un contrat frauduleux
71
Chagrins du Mariage.
qui leur en abandonne laproprieté. Cette condui-
te luy paroît malhonnête
& blâmable ; ſon cœur en
murmure de temps en
temps, & luy en fait des
reproches ; il travaille à
s'en conſoler ; il ſe flatte
que l'honneur & la gloi-
re des grandes charges
dans leſquelles il a placé
ſes enfans, lavent ſa hon-
te & ſon infamie : il fait
bien plus, il va chercher
dans leurs cœurs de la
conſolation ; il s'y trouve
72
Les Agréemens & les
trompé, ce ſont les pre-miers à inſulter à ſa dou-
leur & à ſa honte ; ils en
parlent comme d'un diſ-
ſipateur, & ne le ména-
gent qu'autant qu'ils en
attendent quelque choſe.
Aprés toutes ces conſide-
rations ne vaut-il pas
bien mieux, mon cher
confrére, être ſeul, ſans
ſocieté, & en repos, que
d'avoir de ſemblables
compagnies, & que d'être
expoſé à ces ſortes de
peines & de chagrins ?
Vous
73
Chagrins du Mariage.
Vous reſſouvenez-vous,continua-t-il, de ce fils
de famille qui nous avoit
pris pour Juges des diffe-
rens qu'il avoit avec ſon
pere, & de l'emporte-
ment avec lequel il
vint m'embraſſer au Pa-
lais, aprés que ſon pere
fut mort, en me diſant,
réjouïſſance, réjouïſſan-
ce il eſt mort, nous n'au-
rons plus de guerre ? Pour
moy, continua cet Avo-
cat en riant, je crûs qu'il
parloit de la mort du
G
Cinquiéme Partie.
74
Les Agréemens & les
Prince d'Orange. Nevous reſſouvenez-vous
pas auſſi de l'ingenuité
de cette femme qui en
nous demandant ce qu'-
elle avoit à faire pour la
conſervation de ſes droits
aprés la mort de ſon ma-
ry qui étoit alors dange-
reuſement malade, nous
dit les larmes aux yeux
en nous quittant, qu'elle
apprehendoit, tant elle
étoit malheureuſe, que
nos avis luy fuſſent inuti-
les, & que ſon mary n'en
75
Chagrins du Mariage.
réchapât ? de cette autrequi ne pouvant joüir des
revenus de ſon bien à
cauſe que ſon mary étoit
détenu priſonnier pour
quelque crime dont il
étoit accuſé, nous avoüa
franchement qu'elle ai-
meroit mieux que les Ju-
ges le fiſſent mourir tout
d'un coup, que de tirer
plus long-temps l'affaire
en longueur ? & enfin de
cette autre artificieuſe
ſeparée en Juſtice de ſon
mary, qui ſe voyant
G ij
76
Les Agréemens & les
groſſe, pour ſe mettreà couvert des ſuites fâ-
cheuſes de ſa proſtitu-
tion, ſuſcita à ſon mary
une calomnie tres-noire,
& le fit mettre dans une
priſon d'où elle ne le laiſ-
ſa ſortir que lorſqu'elle
fut accouchée ? Aprés ce-
la, finit le jeune Avocat,
avoüez mon cher confre-
re, bõne foy du Palais, que
les femmes & les enfans
ſont la plûpart d'un tres‑
méchant naturel, don-
nent mille fois plus de
77
Chagrins du Mariage.
chagrins & de peinesque de plaiſirs, & que
c'eſt prendre le mauvais
party pour vivre heu-
reux que de ſe marier.
Toutes les femmes &
tous les enfans n'ont pas
le cœur ſi dénaturé que
vous dites, répondit
l'ancien Avocat ; & ſu-
poſé que cela fût, les
raiſons de bienſeance,
d'honneur & d'intereſt
qui les engagent, & qui
les lient avec leurs ma-
ris & leurs peres, ſont
G iij
78
Les Agréemens & les
bien plus preſſantes &les retiennent plus for-
tement dans leur de-
voir, que celles d'une ſim-
ple amitié, & d'une paſ-
ſion amoureuſe : Chez
les gens mariez & dans
les familles, l'honneur
de l'un fait l'honneur
de l'autre ; leurs inte-
reſts ſont ſi unis & ſi
communs, que c'eſt à
peu prés la même choſe,
& qu'il neſt pas même
en leur pouvoir d'y re-
noncer : à la difference
79
Chagrins du Mariage.
des engagemens d'uneſimple amitié &
d'une paſſion amoureuſe dans
leſquels auſſitôt que l'un
ſe dégoûte, il a la liber-
té de ſe dégager de l'au-
tre, de rompre les liens
qui le retiennent, & de
ſe pourvoir ailleurs ſelon
ſon panchant & ſon in-
clination volage, ſans
que l'autre ſoit en droit
de le retenir ; ce qui fait
que ces ſortes d'attache-
mens ſont paſſagers &
durent tres-peu de temps.
G iiij
80
Les Agréemens & les
Par Exemple, cette joliefille qui nous eſt venu
conſulter ſur la promeſſe
de mariage que ſon
amant luy a faite ; qui
ne voit pas qu'à preſent
elle en eſt dégoûtée,
qu'il y en a un nouveau
ſur les rangs qui luy plaît
davantage, & que ſon
intention n'eſt autre que
de tirer une ſomme con-
ſiderable de ce premier,
pour épouſer le nouveau
venu ? Si cette fille avoit
été mariée avec ſon pre-
81
Chagrins du Mariage.
mier amant, reprit-il,elle n'auroit jamais con-
çu la penſée de le quit-
ter pour un autre ; elle
l'auroit éloignée, & ſe
ſeroit uniquement atta-
chée à ſon mary ſans au-
cune diverſion, & ſans
penſer à le vouloir chan-
ger. Elle eſt revenuë
vous parler, repartit le
jeune Avocat, aprés nous
avoir quitté ; que vous
a-t-elle dit, & quel con-
ſeil luy avez-vous don-
né ? De ſe retirer, repli-
82
Les Agréemens & les
qua l'ancien, dans unemaiſon religieuſe, & de
citer ſon amant à l'Offi-
cialité6, pour l'execution
de ſa promeſſe de maria-
ge. Je luy ay fait conce-
voir que s'il étoit vray,
comme elle me diſoit,
que ſon amant refuſât de
l'épouſer, l'Official de-
clareroit la promeſſe de
mariage nulle, & ren-
voiroit les parties parde-
vant le Juge ſeculier pour
la condamnation des
dommages & intereſts,
83
Chagrins du Mariage.
qui iroient à une ſommetres - conſiderable contre
l'amant. Lorſqu'il a ſigné
la promeſſe de mariage,
repliqua le jeune Avo-
cat, il étoit mineur ; ainſi
la condamnation ſera
modique. Oüi interrom-
pit l'ancien, ſi cet hom-
me n'avoit point été
émancipé & maître de
ſes droits par le mariage
d'une premier femme ;
ſi la fille n'avoit pas été
dans une grande jeuneſſe
lors du pretendu rapt de
84
Les Agréemens & les
ſeduction, ſi elle n'étoitpoint d'une qualité diſ-
tinguée & du moins é-
gale à la ſienne, ſi l'hom-
me dans les commence-
mens ne l'avoit pas veuë
dans la penſée du maria-
ge, & enfin ſi dans ſa
majorité il n'avoit pas
aprouvé par diverſes let-
tres qu'il luy a écrites la
promeſſe de mariage.
Pour moy, finit l'ancien
avocat, ma penſée eſt
qu'à peine le bien de
l'homme pourra ſuffire
85
Chagrins du Mariage.
pour payer les domma-ges & intereſts ; & c'eſt
nôtre dernier Juriſpru-
dence, de condamner les
hommes à des ſommes ſi
conſiderables qu'ils ſoient
obligez d'épouſer les fil-
les.
Philogame ſe reſou-
venant d'avoir vû une
fille de taille de Leſbie,
veſtuë comme elle, &
de ſon air, parler à cet
ancien avocat, & de l'a-
voir veuë ſe ſauver dans
la foulle du Palais, lorſ-
l'obſerver, ne douta
point que cette fille dont
parloient ces Avocats ne
fût Lesbie. Il regardoit
de moment en moment
Antigame, pour luy fai-
re entendre ſa penſée ;
ce qui les jettoit tous
deux dans des inquietu-
des & dans des chagrins
qui ſe decouvroient ai-
ſément ſur leurs viſages.
Le Chevalier s'en étant
aperceu le premier, & ne
pouvant en penetrer la
verſation, & les renvo-
yer en liberté chez eux ;
& pour cet effet il pria
ces deux Avocats de ju-
ger leur conteſtation. Ils
luy repreſenterent, qu'ils
ne le pouvoient pas faire ;
qu'ils étoient partagez,
& que dans ces ſortes de
rencontres, l'ordre étoit
de nommer un tiers par
l'avis duquel ils paſſoient.
Le Chevalier s'impatien-
tant de retenir plus long‑
temps Philogame & An-
étoient, pria ces Avocats
d'en convenir prompte-
ment, & ſur tout que
ce ne fût point de quel-
que vieux radoteur, qui
à cauſe de ſa grande
vieilleſſe pût avoir ou-
blié les plaiſirs & les cha-
grins qu'il avoit eus dans
le mariage. Ces Avocats
le luy promirent. Il n'y
a rien de ſi plaiſant que
les difficultez qu'ils firent
là-deſſus, les moiens bizar-
res de recuſation qu'ils al-
roient pas été pardonna-
bles ailleurs qu'à la table.
L'ancien commenca par
propoſer Monſieur A * *.
ou M. B. * *. Monſieur
A * *. dit le jeune, n'eſt
qu'un novice dans le ma-
riage & dans le Palais ;
& pour Monſieur B * *.
Il ne connoît que ſes li-
vres & ſon cabinet, &
les femmes ſont des ter-
res inconnuës pour luy.
Le jeune à ſon tour nom-
ma Monſieur C * *. ou
me du premier, dit l'an-
cien le chagrine & le
deſeſpere avec ſes con-
troverſes & ſes opinia-
ſtrez ; & celle du ſe-
cond avec ſon gros jeu
& ſa dépenſe, ce qui
peut les avoir prevenus
contre le mariage. Le
jeune propoſa enſuite
Meſſieurs F * *. G * *.
H * *. qui furent éga-
lement ſuſpects à l'ancien,
parce que la femme de
l'un eſt dégoutante &
me du ſecond eſt folle à
lier ; & celle du dernier
eſt une bigote qui le fait
mourir de faim & tou-
te ſa maiſon. Meſſieurs
L * * *. M * * *. R * * *.
S * * *. furent auſſi recu-
ſés par l'ancien à cauſe de
leurs femmes ; parce que
celle de Monſieur L * *.
le deſole avec ſa méchan-
te humeur & ſon ava-
rice ; celle de Monſieur
M * *. avec ſa coquette-
rie & ſa vanité ; celle de
luy a rien apporté en ma-
riage & qu'il n'a point
été payé de ſa dot ; &
celle de Monſieur S * *.
parce qu'elle ſe pique
d'être belle, bien faite &
ſpirituelle, & le mépriſe
par ſa petite taille, ſa
mine baſſe & ſon air pe-
dant. Enfin l'ancien pre-
ſenta Monſieur P * * *. qu'il
diſoit que ſon confrere
devoit accepter, puiſque
n'étant point marié, il y
avoit bien des preſomp-
le mariage ; Le jeune le
recuſa en diſant que s'il
ne l'étoit point, ce n'é-
toit pas à cauſe qu'il n'ai-
moit pas le mariage ;
mais parce que ſon ava-
rice & ſon libertinage
l'avoient tellement dé-
crié dans le monde, qu'il
n'y avoit pû trouver de
femme. Pour concluſion,
l'on ne peut imaginer des
moyens plus ſinguliers
& plus extravagans, que
ceux que dirent ces deux
d'un tiers ; ils paſſerent
en reveuë tous les Avo-
cats : & comme le Che-
valier les preſſoit fort de
finir, ils en nommerent
enfin un qui avoit été
marié, & qui étoit alors
veuf, en diſant qu'il étoit
fort habile, de bon ſens
qu'il avoit gouté de l'un
& de l'autre état, &
qu'il pouvoit en parter
un jugement plus ſolide
que tout autre ; & ils
prirent une heure de la
faire regler. Le Cheva-
lier ſe chargea de retirer
le jugement, & de le re-
mettre à Philogame & à
Antigame : Enſuite ces
Avocats ſe retirerent dans
leurs cabinets ; le Che-
valier alla chercher la Ba-
rone de Lupane pour tra-
vailler à leur affaire ; &
Philogame s'en alla dans
ſon logis & y conduiſit
avec luy Antigame pour
y raiſonner enſemble ſur
tout ce qu'ils venoient
reſoudre ce qu'ils a-
voient à faire.
Cul de lampe, tête ailée couronnée de fleurs.
venant d'avoir vû une
fille de taille de Leſbie,
veſtuë comme elle, &
de ſon air, parler à cet
ancien avocat, & de l'a-
voir veuë ſe ſauver dans
la foulle du Palais, lorſ-
86
Les Agréemens & les
qu'il avoit commencé àl'obſerver, ne douta
point que cette fille dont
parloient ces Avocats ne
fût Lesbie. Il regardoit
de moment en moment
Antigame, pour luy fai-
re entendre ſa penſée ;
ce qui les jettoit tous
deux dans des inquietu-
des & dans des chagrins
qui ſe decouvroient ai-
ſément ſur leurs viſages.
Le Chevalier s'en étant
aperceu le premier, & ne
pouvant en penetrer la
87
Chagrins du Mariage.
cauſe, voulut finir la con-verſation, & les renvo-
yer en liberté chez eux ;
& pour cet effet il pria
ces deux Avocats de ju-
ger leur conteſtation. Ils
luy repreſenterent, qu'ils
ne le pouvoient pas faire ;
qu'ils étoient partagez,
& que dans ces ſortes de
rencontres, l'ordre étoit
de nommer un tiers par
l'avis duquel ils paſſoient.
Le Chevalier s'impatien-
tant de retenir plus long‑
temps Philogame & An-
88
Les Agréemens & les
tigame en l'état où ilsétoient, pria ces Avocats
d'en convenir prompte-
ment, & ſur tout que
ce ne fût point de quel-
que vieux radoteur, qui
à cauſe de ſa grande
vieilleſſe pût avoir ou-
blié les plaiſirs & les cha-
grins qu'il avoit eus dans
le mariage. Ces Avocats
le luy promirent. Il n'y
a rien de ſi plaiſant que
les difficultez qu'ils firent
là-deſſus, les moiens bizar-
res de recuſation qu'ils al-
leguerent,
89
Chagrins du Mariage.
leguerent, & qui n'au-roient pas été pardonna-
bles ailleurs qu'à la table.
L'ancien commenca par
propoſer Monſieur A * *.
ou M. B. * *. Monſieur
A * *. dit le jeune, n'eſt
qu'un novice dans le ma-
riage & dans le Palais ;
& pour Monſieur B * *.
Il ne connoît que ſes li-
vres & ſon cabinet, &
les femmes ſont des ter-
res inconnuës pour luy.
Le jeune à ſon tour nom-
ma Monſieur C * *. ou
H
Cinquiéme Partie.
90
Les Agréemens & les
Monſieur D * *. La fem-me du premier, dit l'an-
cien le chagrine & le
deſeſpere avec ſes con-
troverſes & ſes opinia-
ſtrez ; & celle du ſe-
cond avec ſon gros jeu
& ſa dépenſe, ce qui
peut les avoir prevenus
contre le mariage. Le
jeune propoſa enſuite
Meſſieurs F * *. G * *.
H * *. qui furent éga-
lement ſuſpects à l'ancien,
parce que la femme de
l'un eſt dégoutante &
91
Chagrins du Mariage.
laide à faire peur ; la fem-me du ſecond eſt folle à
lier ; & celle du dernier
eſt une bigote qui le fait
mourir de faim & tou-
te ſa maiſon. Meſſieurs
L * * *. M * * *. R * * *.
S * * *. furent auſſi recu-
ſés par l'ancien à cauſe de
leurs femmes ; parce que
celle de Monſieur L * *.
le deſole avec ſa méchan-
te humeur & ſon ava-
rice ; celle de Monſieur
M * *. avec ſa coquette-
rie & ſa vanité ; celle de
H ij
92
Les Agréemens & les
R * *. à cauſe qu'elle neluy a rien apporté en ma-
riage & qu'il n'a point
été payé de ſa dot ; &
celle de Monſieur S * *.
parce qu'elle ſe pique
d'être belle, bien faite &
ſpirituelle, & le mépriſe
par ſa petite taille, ſa
mine baſſe & ſon air pe-
dant. Enfin l'ancien pre-
ſenta Monſieur P * * *. qu'il
diſoit que ſon confrere
devoit accepter, puiſque
n'étant point marié, il y
avoit bien des preſomp-
93
Chagrins du Mariage.
tions qu'il étoit contrele mariage ; Le jeune le
recuſa en diſant que s'il
ne l'étoit point, ce n'é-
toit pas à cauſe qu'il n'ai-
moit pas le mariage ;
mais parce que ſon ava-
rice & ſon libertinage
l'avoient tellement dé-
crié dans le monde, qu'il
n'y avoit pû trouver de
femme. Pour concluſion,
l'on ne peut imaginer des
moyens plus ſinguliers
& plus extravagans, que
ceux que dirent ces deux
H iij
94
Les Agréemens & les
Avocats, pour convenird'un tiers ; ils paſſerent
en reveuë tous les Avo-
cats : & comme le Che-
valier les preſſoit fort de
finir, ils en nommerent
enfin un qui avoit été
marié, & qui étoit alors
veuf, en diſant qu'il étoit
fort habile, de bon ſens
qu'il avoit gouté de l'un
& de l'autre état, &
qu'il pouvoit en parter
un jugement plus ſolide
que tout autre ; & ils
prirent une heure de la
95
Chagrins du Mariage.
même journée pour ſefaire regler. Le Cheva-
lier ſe chargea de retirer
le jugement, & de le re-
mettre à Philogame & à
Antigame : Enſuite ces
Avocats ſe retirerent dans
leurs cabinets ; le Che-
valier alla chercher la Ba-
rone de Lupane pour tra-
vailler à leur affaire ; &
Philogame s'en alla dans
ſon logis & y conduiſit
avec luy Antigame pour
y raiſonner enſemble ſur
tout ce qu'ils venoient
96
Les Agréemens & les
d'apprendre, & pour yreſoudre ce qu'ils a-
voient à faire.
PHILOGAME
97
Bandeau.
PHILOGAME
ET
ANTIGAME.
OU
LES AGRÉEMENS
ET
LES CHAGRINS
DU MARIAGE.
Sixiéme & derniere Partie.
Lettrine, "P" en blanc sur fond fleuri.
PHILOGAME
ne fut pas ſi-tôt ar-
rivé dans ſon logis
avec Antigame, qu'ils
ler avec plus de liberté
de Fraudeliſe & de Leſ-
bie, & pour y prendre
enſemble les reſolutions
qu'ils avoient à executer
ſur leur chapitre.
ne fut pas ſi-tôt ar-
rivé dans ſon logis
avec Antigame, qu'ils
I
Sixiéme Partie.
98
Les Agréemens & les
s'enfermerent pour par-ler avec plus de liberté
de Fraudeliſe & de Leſ-
bie, & pour y prendre
enſemble les reſolutions
qu'ils avoient à executer
ſur leur chapitre.
Il faut avoüer, dit Phi-
logame en ſoûpirant, que
nous ſommes bien mal-
heureux d'avoir eû à
faire à des cœurs ſi
ingrats & ſi infideles.
Tout beau ! tout beau !
repartit Antigame, ne
condamnez point ſi legere-
faire qu'une jolie fille, de
la taille de Leſbie, & vé-
tuë de la même maniere,
ait demandé avis à ces
deux Avocats comment
elle devoit ſe prendre
pour faire executer à un
homme une promeſſe de
mariage qu'il luy a faite,
ſans qu'il s'enſuive que ce
ſoit Lesbie. Combien y-
a-t-il de filles à Paris,
qui en ſont reduites-là ?
Ce ne ſuffit pas pour
condamner Leſbie ; il faut
fort & de plus convin-
cant. Vous vous flatez,
repartit Philogame ; c'eſt
ſurement de Leſbie &
de vous dont ces deux Avo-
cats ont voulu parler :
Avez-vous pris garde,
continua-t-il, à ce que
l'un a dit, que l'homme
avoit été marié, que ſa
femme étoit morte, qu'il
étoit Maître de ſes droits,
que la fille étoit dans une
grande jeuneſſe, d'une
qualité égale à la ſienne,
ſent majeur, &qu'il avoit
approuvé par diverſes
Lettres la promeſſe de
mariage. Joignez & raſ-
ſemblez toutes ces cir-
conſtances enſemble, &
vous verrez, mon cher
Antigame, que ce ne
peut être d'autre que de
vous & de Lesbie dont
ces deux Avocats ont
voulu parler. Que ré-
pondez-vous, repartit
Antigame, à ce que j'ay
laiſſé ce matin Lesbie
groſſe fiévre & dange-
reuſement malade ? d'où
auroit pû venir une gue-
riſon ſi prompte, & ſi
impreveuë ? Lesbie ne
ſort jamais de mon logis,
elle ne voit perſonne, &
n'a de commerce avec
qui que ce ſoit ; comment
auroit elle pû prendre
des meſures avec un
homme pour l'épouſer ?
Non ! vous dis-je, conti-
nua-t-il, ces Avocats ont
voulu ſurement parler de
haite, repartit Philoga-
me avec un air ſerieux ;
mais j'apprehende fort le
contraire : Que cet hom-
me ne ſoit ce Cleante
que nous avons rencon-
tré dans ce Cabaret ;
que la fille qui devoit lui
donner les deux mille
loüis ne ſoit Lesbie ; &
qu'aprés avoir appris que
vous aviez decouvert ſes
intentions, elle n'ait re-
tiré le rubis qu'elle lui
avoit donné, pour vous
tre cabinet. Ha ! que
vous connoiſſez mal Les-
bie. Ha ! que vous con-
noiſſez mal les ſentimens
qu'elle a pour moi, in-
terrompit bruſquement
Antigame, & avec un
ton d'aigreur, quand
vous la croïez capable de
tous ces artifices & de
toutes ces infidelitez. J'ai
eû auſſi bonne opinion
de Fraudeliſe, reprit Phi-
logame, que vous pou-
vez l'avoir de Lesbie :
ay été trompé ; prenez
garde à vous, & que
vous n'ayez la même
deſtinée que moi. A quoi
vous determinez vous,
repartit Antigame, ſur le
chapitre de Fraudeliſe,
voulez vous encore l'é-
pouſer ? Dieu m'en gar-
de, repliqua Philogame ?
quoi paſſer ma vie avec
cette infidelle, avec cette
artificieuſe qui m'a trai-
té ſi indignement ! plû-
tôt la mort mille fois :
nua-t-il, quel repos, quel-
le confiance pourrois-je
avoir avec une ſembla-
ble femme, aprés un tel
procedé ? Vous avez rai-
ſon, repartit Antigame,
quelque prévention a-
vantageuſe que nous
puiſſions avoir en faveur
d'une fille en l'épouſant,
elle nous en fait tant voir
dans le ſuite du mariage,
qu'il faut en revenir.
Vous jugez bien, conti-
nua-t-il, que le retour
fâcheux, ſi avant que de
l'épouſer nous l'avions
convaincuë d'infidelité,
& de perfidie. De quelle
maniere, reprit-il, pre-
tendez vous rompre avec
elle ? Si vous l'aimez,
croyez-moi, elle vous
fera revenir à elle, &
vous trompera avec tant
d'adreſſe qu'elle regagne-
ra vôtre eſtime, & vôtre
tendreſſe, tant il eſt aiſé
de nous perſuader ce que
nous ſouhaitons. Philo-
qu'il ne pretendoit point
s'expoſer à un ſemblable
peril, qu'il étoit reſolu
de ne voir de ſa vie Frau-
deliſe, & qu'il alloit ſur
le champ, (en lui ren-
voyant la copie de la Let-
tre qu'elle avoit écrite à
Philabel & qu'elle avoit
oubliée chez le Maître
Ecrivain7) lui écrire une
Lettre d'une ſtile ſi fort
& ſi irrité, qu'elle per-
droit toute ſorte d'eſpe-
rance de pouvoir jamais
& enſuite prenant du pa-
pier & une plume il luy
écrivit en ces termes.
logame en ſoûpirant, que
nous ſommes bien mal-
heureux d'avoir eû à
faire à des cœurs ſi
ingrats & ſi infideles.
Tout beau ! tout beau !
repartit Antigame, ne
condamnez point ſi legere-
99
Chagrins du Mariage.
ment Leſbie : il ſe peutfaire qu'une jolie fille, de
la taille de Leſbie, & vé-
tuë de la même maniere,
ait demandé avis à ces
deux Avocats comment
elle devoit ſe prendre
pour faire executer à un
homme une promeſſe de
mariage qu'il luy a faite,
ſans qu'il s'enſuive que ce
ſoit Lesbie. Combien y-
a-t-il de filles à Paris,
qui en ſont reduites-là ?
Ce ne ſuffit pas pour
condamner Leſbie ; il faut
I ij
100
Les Agréemens & les
quelque choſe de plusfort & de plus convin-
cant. Vous vous flatez,
repartit Philogame ; c'eſt
ſurement de Leſbie &
de vous dont ces deux Avo-
cats ont voulu parler :
Avez-vous pris garde,
continua-t-il, à ce que
l'un a dit, que l'homme
avoit été marié, que ſa
femme étoit morte, qu'il
étoit Maître de ſes droits,
que la fille étoit dans une
grande jeuneſſe, d'une
qualité égale à la ſienne,
101
Chagrins du Mariage.
que l'homme étoit à pré-ſent majeur, &qu'il avoit
approuvé par diverſes
Lettres la promeſſe de
mariage. Joignez & raſ-
ſemblez toutes ces cir-
conſtances enſemble, &
vous verrez, mon cher
Antigame, que ce ne
peut être d'autre que de
vous & de Lesbie dont
ces deux Avocats ont
voulu parler. Que ré-
pondez-vous, repartit
Antigame, à ce que j'ay
laiſſé ce matin Lesbie
I iij
102
Les Agréemens & les
dans ſon lit avec unegroſſe fiévre & dange-
reuſement malade ? d'où
auroit pû venir une gue-
riſon ſi prompte, & ſi
impreveuë ? Lesbie ne
ſort jamais de mon logis,
elle ne voit perſonne, &
n'a de commerce avec
qui que ce ſoit ; comment
auroit elle pû prendre
des meſures avec un
homme pour l'épouſer ?
Non ! vous dis-je, conti-
nua-t-il, ces Avocats ont
voulu ſurement parler de
103
Chagrins du Mariage.
quelqu'autre. Je le ſou-haite, repartit Philoga-
me avec un air ſerieux ;
mais j'apprehende fort le
contraire : Que cet hom-
me ne ſoit ce Cleante
que nous avons rencon-
tré dans ce Cabaret ;
que la fille qui devoit lui
donner les deux mille
loüis ne ſoit Lesbie ; &
qu'aprés avoir appris que
vous aviez decouvert ſes
intentions, elle n'ait re-
tiré le rubis qu'elle lui
avoit donné, pour vous
I iiij
104
Les Agréemens & les
le faire trouver dans vô-tre cabinet. Ha ! que
vous connoiſſez mal Les-
bie. Ha ! que vous con-
noiſſez mal les ſentimens
qu'elle a pour moi, in-
terrompit bruſquement
Antigame, & avec un
ton d'aigreur, quand
vous la croïez capable de
tous ces artifices & de
toutes ces infidelitez. J'ai
eû auſſi bonne opinion
de Fraudeliſe, reprit Phi-
logame, que vous pou-
vez l'avoir de Lesbie :
105
Chagrins du Mariage.
vous voyez comment j'yay été trompé ; prenez
garde à vous, & que
vous n'ayez la même
deſtinée que moi. A quoi
vous determinez vous,
repartit Antigame, ſur le
chapitre de Fraudeliſe,
voulez vous encore l'é-
pouſer ? Dieu m'en gar-
de, repliqua Philogame ?
quoi paſſer ma vie avec
cette infidelle, avec cette
artificieuſe qui m'a trai-
té ſi indignement ! plû-
tôt la mort mille fois :
106
Les Agréemens & les
quelle douceur, conti-nua-t-il, quel repos, quel-
le confiance pourrois-je
avoir avec une ſembla-
ble femme, aprés un tel
procedé ? Vous avez rai-
ſon, repartit Antigame,
quelque prévention a-
vantageuſe que nous
puiſſions avoir en faveur
d'une fille en l'épouſant,
elle nous en fait tant voir
dans le ſuite du mariage,
qu'il faut en revenir.
Vous jugez bien, conti-
nua-t-il, que le retour
107
Chagrins du Mariage.
ſeroit plus prompt & plusfâcheux, ſi avant que de
l'épouſer nous l'avions
convaincuë d'infidelité,
& de perfidie. De quelle
maniere, reprit-il, pre-
tendez vous rompre avec
elle ? Si vous l'aimez,
croyez-moi, elle vous
fera revenir à elle, &
vous trompera avec tant
d'adreſſe qu'elle regagne-
ra vôtre eſtime, & vôtre
tendreſſe, tant il eſt aiſé
de nous perſuader ce que
nous ſouhaitons. Philo-
108
Les Agréemens & les
game dit à Antigame,qu'il ne pretendoit point
s'expoſer à un ſemblable
peril, qu'il étoit reſolu
de ne voir de ſa vie Frau-
deliſe, & qu'il alloit ſur
le champ, (en lui ren-
voyant la copie de la Let-
tre qu'elle avoit écrite à
Philabel & qu'elle avoit
oubliée chez le Maître
Ecrivain7) lui écrire une
Lettre d'une ſtile ſi fort
& ſi irrité, qu'elle per-
droit toute ſorte d'eſpe-
rance de pouvoir jamais
109
Chagrins du Mariage.
ſe racommoder avec lui ;& enſuite prenant du pa-
pier & une plume il luy
écrivit en ces termes.
PHILOGAME
A
FRAUDELISE.
LIſez, ingrate, liſez
cette copie où ſont
tracez les caracteres de la
plus noire des infidelitez
dont vôtre ſexe ſoit capa-
ble ; quelque fecond que
ſoit vôtre eſprit en artifi-
dre dans cette occaſion,
m'empêcher de rompre pour
jamais les nœuds qui nous
lioient enſemble, ny de
renoncer à toute la ten-
dreſſe que j'ay euë pour
vous. Vivez heureuſe
avec Philabel ; vos cœurs
ſont d'une même trempe :
pour moy qui en ay un
d'une autre delicateſſe que
les vôtres, je vous quitte
pour toûjours. Je ſçay bien
que je n'y ſurvivray pas ;
mais que m'importe de
ne puis jamais paſſer avec
vous, & que vous m'avez
renduë odieuſe par vôtre
ingratitude, & par vos
trahiſons ?
cette copie où ſont
tracez les caracteres de la
plus noire des infidelitez
dont vôtre ſexe ſoit capa-
ble ; quelque fecond que
ſoit vôtre eſprit en artifi-
110
Les Agréemens & les
ces, il ne peut vous défen-dre dans cette occaſion,
m'empêcher de rompre pour
jamais les nœuds qui nous
lioient enſemble, ny de
renoncer à toute la ten-
dreſſe que j'ay euë pour
vous. Vivez heureuſe
avec Philabel ; vos cœurs
ſont d'une même trempe :
pour moy qui en ay un
d'une autre delicateſſe que
les vôtres, je vous quitte
pour toûjours. Je ſçay bien
que je n'y ſurvivray pas ;
mais que m'importe de
111
Chagrins du Mariage.
conſerver une vie que jene puis jamais paſſer avec
vous, & que vous m'avez
renduë odieuſe par vôtre
ingratitude, & par vos
trahiſons ?
Philogame cacheta
cette Lettre aprés avoir
mis dedans la copie que
Fraudeliſe avoit oubliée
chez le Maître Ecrivain8 ;
& la lui envoya porter
par ſon laquais avec or-
dre de la lui remettre en
main propre. Elle n'eût
qu'elle s'évanouït, &
reſta immobile dans les
bras de ſa Gouvernante
qui étoit auprés d'elle.
Ce laquais vint le rap-
porter à ſon Maître, qui
le querella de ce qu'il
n'étoit pas reſté auprés
d'elle pour lui rendre ſes
ſervices : Il vouloit le ren-
voyer ſur ſes pas pour al-
ler en apprendre des nou-
velles, lors qu'Antigame
lui dit, qu'il voyoit bien
qu'il n'étoit pas encore
avoit pour Fraudeliſe,
puiſqu'il s'intereſſoit ſi
fortement dans ſa ſanté ;
qu'il devoit oublier cette
perfide, & ne penſer à
elle que pour exciter dans
ſon cœur des mouve-
mens de mépris & d'in-
dignation contre ſa con-
duite ; & que ſi Lesbie
lui en avoit autant fait, il
ne penſeroit à elle que
pour la haïr & pour de-
teſter ſon reſſouvenir.
cette Lettre aprés avoir
mis dedans la copie que
Fraudeliſe avoit oubliée
chez le Maître Ecrivain8 ;
& la lui envoya porter
par ſon laquais avec or-
dre de la lui remettre en
main propre. Elle n'eût
112
Les Agréemens & les
pas ſi-tôt lû cette Lettrequ'elle s'évanouït, &
reſta immobile dans les
bras de ſa Gouvernante
qui étoit auprés d'elle.
Ce laquais vint le rap-
porter à ſon Maître, qui
le querella de ce qu'il
n'étoit pas reſté auprés
d'elle pour lui rendre ſes
ſervices : Il vouloit le ren-
voyer ſur ſes pas pour al-
ler en apprendre des nou-
velles, lors qu'Antigame
lui dit, qu'il voyoit bien
qu'il n'étoit pas encore
gueri
113
Chagrins du Mariage.
gueri de la paſſion qu'ilavoit pour Fraudeliſe,
puiſqu'il s'intereſſoit ſi
fortement dans ſa ſanté ;
qu'il devoit oublier cette
perfide, & ne penſer à
elle que pour exciter dans
ſon cœur des mouve-
mens de mépris & d'in-
dignation contre ſa con-
duite ; & que ſi Lesbie
lui en avoit autant fait, il
ne penſeroit à elle que
pour la haïr & pour de-
teſter ſon reſſouvenir.
Dans le temps qu'An-
laquais vint lui dire que
Lesbie étoit ſortie de ſon
logis, & s'étoit retirée
dans un Couvent, où elle
avoit fait porter tout ce
qu'elle avoit chez lui, &
que peu de temps aprés
un homme, figure
d'Huiſſier, lui avoit ap-
porté un papier qu'il re-
mit dans le même mo-
ment à Antigame : il le
lut, & vit que c'étoit une
citation que Lesbie lui
faiſoit donner à l'Offi-
de la Promeſſe de maria-
ge qu'il lui avoit faite. Le
laquais retiré, Philogame
dit à Antigame qu'il avoit
eû raiſon lors qu'il lui
avoit ſoûtenu que c'étoit
Lesbie qu'il avoit vûë au
Palais, & que c'étoit
d'elle & de lui que ces
deux Avocats avoient
voulu parler. Vous allez
donc, continua-t-il, haïr
Lesbie, & deteſter ſon
reſſouvenir ? Ha ! que je
ſuis malheureux, s'écria
ſuis à plaindre : Non Cle-
ante, reprit-il, tu n'é-
pouſeras pas Lesbie, non
tu ne l'épouſeras pas. Il
n'y a cependant, inter-
rompit Philogame, qu'un
ſeul moyen pour l'en
empêcher, que je ſuis
bien ſeur que vous ne
ſuivrez pas, qui eſt de
l'épouſer vous - même ;
Que ſçai-je, repartit An-
tigame, ce que je feray
en l'état où je ſuis, pou-
ray-je voir, continua‑
dans une fameuſe Au-
dience de l'amour que
j'ay eû pour Lesbie ? pou-
rai-je ſoûtenir avec aſ-
ſurance la lecture de la
Promeſſe de mariage que
je luy ay faite, & des Let-
tres que je luy ay écrites,
& les plaiſirs que le pu-
blic ſe donnera ſur mon
chapitre ? Enfin pourai-je
voir Cleante maître ab-
ſolu de la perſonne & du
cœur de Lesbie, la poſ-
ſeder toute entiere, &
douce & commode à mes
depens, puiſqu'il eſt vray,
comme a dit cet Avocat,
& comme je n'en doute
point, que les dommages
& intereſts abſorboient
la meilleure partie de
mon bien ? ainſi donc,
vous voyez, mon cher
Philogame, continua An-
tigame, que le meilleur
party que je puiſſe ſuivre
dans cette fâcheuſe con-
joncture eſt d'épouſer
Lesbie. Hé quel chan-
changement ! s'écria Phi-
logame, vous cet hom-
me ſi delicat ſur le point
de l'honneur, cet enne-
my declaré du mariage,
qui déclamiez ſi forte-
ment contre les femmes,
contre leurs artifices &
leurs infidelitez ; vous
qui ne pouviez conce-
voir qu'un homme de
bon ſens pût ſe marier ;
vous qui avez refuſé d'é-
pouſer Lesbie dans le
temps qu'elle vous en
& que vous la croyiez
fidelle ; vous même
vous pouvez vous reſou-
dre d'épouſer cette même
Lesbie, aujourd'huy que
vous apprenez qu'elle
vous fait une infidelité,
qu'elle eſt ſortie de vôtre
logis ſans vôtre aveu, &
qu'elle vous a fait un pro-
cez pour tirer de l'argent
de vous, afin de le donner
à un autre pour l'épou-
ſer ; quel fondement pou-
vez vous faire à l'avenir
aſſurera qu'étant vôtre
femme elle vous ſera plus
fidele, & ſera inſenſible à
la paſſion de celui qu'elle
a choiſi pour ſon époux ?
Que ſont-ils devenus,
continua-t-il, ces ſenti-
mens ſi delicats & ſi fiers
ſur cette matiere, & d'où
vient qu'ils ſont ſi-tôt
changez ? Si j'épouſe Les-
bie, repartit Antigame,
je ne dois rien craindre
de ſa vertu, & de ſa fi-
delité ; elle aime trop ſon
dé que ce ne ſont que les
remors de ſa conſcience
qui l'ont engagée à me
faire un procés, à me
quitter, & à épouſer Cleã-
te. Il faut ſe faire juſtice,
continua-t-il ; je n'ay rien
obtenu de Lesbie que ſur
la bonne foy de la Pro-
meſſe de mariage que je
luy ay donnée, & de
mes ſermens mille fois
reïterés de l'épouſer. Oüy
je l'ay vû ſouvent à mes
pieds les larmes aux yeux,
pouſer, ou la liberté de
ſe renfermer dans un
Convent pour y paſſer
le reſte de ſa vie, en me
diſant qu'elle ne pouvoit
plus tenir contre les bou-
relemens de ſon honneur
& de ſa conſcience.
K
Sixiéme Partie.
114
Les Agréemens & les
tigame parloit ainſi, ſonlaquais vint lui dire que
Lesbie étoit ſortie de ſon
logis, & s'étoit retirée
dans un Couvent, où elle
avoit fait porter tout ce
qu'elle avoit chez lui, &
que peu de temps aprés
un homme, figure
d'Huiſſier, lui avoit ap-
porté un papier qu'il re-
mit dans le même mo-
ment à Antigame : il le
lut, & vit que c'étoit une
citation que Lesbie lui
faiſoit donner à l'Offi-
115
Chagrins du Mariage.
cialité9 pour l'éxecution de la Promeſſe de maria-
ge qu'il lui avoit faite. Le
laquais retiré, Philogame
dit à Antigame qu'il avoit
eû raiſon lors qu'il lui
avoit ſoûtenu que c'étoit
Lesbie qu'il avoit vûë au
Palais, & que c'étoit
d'elle & de lui que ces
deux Avocats avoient
voulu parler. Vous allez
donc, continua-t-il, haïr
Lesbie, & deteſter ſon
reſſouvenir ? Ha ! que je
ſuis malheureux, s'écria
K ij
116
Les Agréemens & les
Antigame ; ha ! que jeſuis à plaindre : Non Cle-
ante, reprit-il, tu n'é-
pouſeras pas Lesbie, non
tu ne l'épouſeras pas. Il
n'y a cependant, inter-
rompit Philogame, qu'un
ſeul moyen pour l'en
empêcher, que je ſuis
bien ſeur que vous ne
ſuivrez pas, qui eſt de
l'épouſer vous - même ;
Que ſçai-je, repartit An-
tigame, ce que je feray
en l'état où je ſuis, pou-
ray-je voir, continua‑
117
Chagrins du Mariage.
t-il, des Avocats ſe joüerdans une fameuſe Au-
dience de l'amour que
j'ay eû pour Lesbie ? pou-
rai-je ſoûtenir avec aſ-
ſurance la lecture de la
Promeſſe de mariage que
je luy ay faite, & des Let-
tres que je luy ay écrites,
& les plaiſirs que le pu-
blic ſe donnera ſur mon
chapitre ? Enfin pourai-je
voir Cleante maître ab-
ſolu de la perſonne & du
cœur de Lesbie, la poſ-
ſeder toute entiere, &
K iij
118
Les Agréemens & les
mener avec elle une viedouce & commode à mes
depens, puiſqu'il eſt vray,
comme a dit cet Avocat,
& comme je n'en doute
point, que les dommages
& intereſts abſorboient
la meilleure partie de
mon bien ? ainſi donc,
vous voyez, mon cher
Philogame, continua An-
tigame, que le meilleur
party que je puiſſe ſuivre
dans cette fâcheuſe con-
joncture eſt d'épouſer
Lesbie. Hé quel chan-
119
Chagrins du Mariage.
gement, quel ſurprenant changement ! s'écria Phi-
logame, vous cet hom-
me ſi delicat ſur le point
de l'honneur, cet enne-
my declaré du mariage,
qui déclamiez ſi forte-
ment contre les femmes,
contre leurs artifices &
leurs infidelitez ; vous
qui ne pouviez conce-
voir qu'un homme de
bon ſens pût ſe marier ;
vous qui avez refuſé d'é-
pouſer Lesbie dans le
temps qu'elle vous en
120
Les Agréemens & les
prioit les larmes aux yeux,& que vous la croyiez
fidelle ; vous même
vous pouvez vous reſou-
dre d'épouſer cette même
Lesbie, aujourd'huy que
vous apprenez qu'elle
vous fait une infidelité,
qu'elle eſt ſortie de vôtre
logis ſans vôtre aveu, &
qu'elle vous a fait un pro-
cez pour tirer de l'argent
de vous, afin de le donner
à un autre pour l'épou-
ſer ; quel fondement pou-
vez vous faire à l'avenir
ſur
121
Chagrins du Mariage.
ſur ſa fidelité, & qui vousaſſurera qu'étant vôtre
femme elle vous ſera plus
fidele, & ſera inſenſible à
la paſſion de celui qu'elle
a choiſi pour ſon époux ?
Que ſont-ils devenus,
continua-t-il, ces ſenti-
mens ſi delicats & ſi fiers
ſur cette matiere, & d'où
vient qu'ils ſont ſi-tôt
changez ? Si j'épouſe Les-
bie, repartit Antigame,
je ne dois rien craindre
de ſa vertu, & de ſa fi-
delité ; elle aime trop ſon
L
Sixiéme Partie.
122
Les Agréemens & les
devoir, & je ne ſuis perſua-dé que ce ne ſont que les
remors de ſa conſcience
qui l'ont engagée à me
faire un procés, à me
quitter, & à épouſer Cleã-
te. Il faut ſe faire juſtice,
continua-t-il ; je n'ay rien
obtenu de Lesbie que ſur
la bonne foy de la Pro-
meſſe de mariage que je
luy ay donnée, & de
mes ſermens mille fois
reïterés de l'épouſer. Oüy
je l'ay vû ſouvent à mes
pieds les larmes aux yeux,
123
Chagrins du Mariage.
me demander ou de l'é-pouſer, ou la liberté de
ſe renfermer dans un
Convent pour y paſſer
le reſte de ſa vie, en me
diſant qu'elle ne pouvoit
plus tenir contre les bou-
relemens de ſon honneur
& de ſa conſcience.
Antigame dit enſuite
à Philogame, que la re-
pugnance & l'antipathie
qu'il avoit euë contre le
mariage, l'avoient rendu
inſenſible aux prieres de
Lesbie & l'avoient empê-
ne doutoit point que ce
ne fût ce qui l'avoit re-
butée de luy, & qui luy
avoit fait prendre le par-
ty de le pourſuivre en Ju-
ſtice pour l'execution de
ſa Promeſſe de mariage :
& aprés luy avoir dit
quantité d'autres raiſons
pour luy faire approuver
ſon mariage avec Lesbie,
il le quitta & alla dans
ſon logis où il écrivit à
Lesbie une Lettre con-
çeuë en ces termes.
à Philogame, que la re-
pugnance & l'antipathie
qu'il avoit euë contre le
mariage, l'avoient rendu
inſenſible aux prieres de
Lesbie & l'avoient empê-
L ij
124
Les Agréemens & les
ché de l'epouſer, & qu'ilne doutoit point que ce
ne fût ce qui l'avoit re-
butée de luy, & qui luy
avoit fait prendre le par-
ty de le pourſuivre en Ju-
ſtice pour l'execution de
ſa Promeſſe de mariage :
& aprés luy avoir dit
quantité d'autres raiſons
pour luy faire approuver
ſon mariage avec Lesbie,
il le quitta & alla dans
ſon logis où il écrivit à
Lesbie une Lettre con-
çeuë en ces termes.
125
Chagrins du Mariage.
ANTIGAME
A
LESBIE.
IL n'eſt pas beſoin, ai-
mable Leſbie, de la
Sentence de l'Official10, pour
m'obliger à vous épouſer ;
l'amour qui eſt un Juge
plus puiſſant ſur moy me
l'a ordonné dés que j'ay
commencé à vous con-
noître ; je ne refuſeray
jamais d'executer ſon Ju-
gement, puiſqu'il me ren-
les hommes.
mable Leſbie, de la
Sentence de l'Official10, pour
m'obliger à vous épouſer ;
l'amour qui eſt un Juge
plus puiſſant ſur moy me
l'a ordonné dés que j'ay
commencé à vous con-
noître ; je ne refuſeray
jamais d'executer ſon Ju-
gement, puiſqu'il me ren-
L iij
126
Les Agréemens & les
dra le plus heureux de tousles hommes.
Antigame envoya por-
ter cette Lettre à Lesbie,
dans le Convent où elle
s'étoit retirée, par un
laquais qui luy raporta
qu'il l'avoit trouvée avec
Cleante.
ter cette Lettre à Lesbie,
dans le Convent où elle
s'étoit retirée, par un
laquais qui luy raporta
qu'il l'avoit trouvée avec
Cleante.
Ce raport donna de la
jalouſie & du chagrin à
Antigame. Il ne pouvoit
concevoir de quelle ma-
niere Lesbie qui ne voïoit
perſonne & qui ne ſor-
avoit pû connoître Clean-
te, & avoit pû entretenir
avec lui un cõmerce qui
étoit allé ſi avant : & s'il
avoit ſuivi ſon premier
mouvement il auroit été
en tirer l'éclairciſſement
de la bouche de Cleante.
Il ne fut pas long-temps
dans cette inquietude ;
car Cleante qui avoit vû
la Lettre qu'Antigame
avoit écrite à Lesbie, par
laquelle il luy témoignoit
qu'il vouloit l'épouſer,
& debuta en luy diſant :
qu'il connoiſſoit & qu'il
aimoit Lesbie long-temps
avant luy, & que ſans
une maladie qui luy étoit
ſurvenuë à Roüen, elle
ſeroit à preſent ſa femme.
Il luy fit connoître qu'il
avoit bien veu par la Let-
tre qu'il avoit écrite à
Lesbie, qu'il alloit l'épou-
ſer & la luy ravir ; qu'il ne
pouroit ſurvivre à une
ſemblable perte ; qu'il
vouloit ſe batre contre
le choix du lieu du com-
bat, de l'heure, & des
armes. Antigame luy té-
moigna qu'il n'accaptoit
point d'appel ; qu'il ſça-
voit les deffenſes ſeveres
ſur les duels : & nean-
moins il luy fit entendre
que ce même jour il de-
voit aller à certaine heu-
re à la ruë de Tournon.
Cleante comprit bien que
la groſſe fortune d'Anti-
game l'empêchoit d'ac-
cepter un appel qui pour-
cheuſes, & que ſon in-
tention étoit qu'il l'atta-
quât au lieu qu'il luy
avoit marqué ; ce qui fit
qu'il s'y rendit à la même
heure : En l'y voyant ar-
river, il alla au-devant de
luy l'épée à la main. An-
tigame le pria de ſe re-
tirer, & aprés quelques
eptites façons pour ſe
ſauver des formes, ils ſe
battirent tous deux avec
beaucoup de courage &
de vigueur. Cleãte ſ11 ſen
ler ſon ſang, fît une paſſe
ſur Antigame, le deſar-
ma, & luy tenant la poin-
te de ſon épée contre le
cœur, luy rendit la ſienne
en luy diſant : va, je te
donne la vie que tu m'as
ôtée ; mais ſouviens-toy
que c'eſt à condition que
tu ne la paſſeras point
avec Leſbie, & que tu
ne l'épouſeras pas. Les
forces diminuãt à Clean-
te, Antigame le condui-
ſit chez un Chirurgien,
mier appareil, ce qui fit
beaucoup apprehender
de ſa bleſſure : Enſuite
Antigame aprés y avoir
donné les ordres neceſ-
ſaires pour le faire bien
traiter, ſe retira dans le
Luxembourg12, de crainte
d'être arreſté par les Of-
ficiers de Juſtice. Peu de
temps aprés, Cleante é-
tant revenu de ſon éva-
nouiſſement, fît une de-
claration par laquelle il
reconnoiſſoit qu'il avoit
qu'il ne vouloit pas que
l'on fît de pourſuitte en
Juſtice contre lui au cas
qu'il vînt à mourir, &
la lui envoya porter.
jalouſie & du chagrin à
Antigame. Il ne pouvoit
concevoir de quelle ma-
niere Lesbie qui ne voïoit
perſonne & qui ne ſor-
127
Chagrins du Mariage.
toit jamais de ſon logisavoit pû connoître Clean-
te, & avoit pû entretenir
avec lui un cõmerce qui
étoit allé ſi avant : & s'il
avoit ſuivi ſon premier
mouvement il auroit été
en tirer l'éclairciſſement
de la bouche de Cleante.
Il ne fut pas long-temps
dans cette inquietude ;
car Cleante qui avoit vû
la Lettre qu'Antigame
avoit écrite à Lesbie, par
laquelle il luy témoignoit
qu'il vouloit l'épouſer,
L iiij
128
Les Agréemens & les
vint trouver Antigame,& debuta en luy diſant :
qu'il connoiſſoit & qu'il
aimoit Lesbie long-temps
avant luy, & que ſans
une maladie qui luy étoit
ſurvenuë à Roüen, elle
ſeroit à preſent ſa femme.
Il luy fit connoître qu'il
avoit bien veu par la Let-
tre qu'il avoit écrite à
Lesbie, qu'il alloit l'épou-
ſer & la luy ravir ; qu'il ne
pouroit ſurvivre à une
ſemblable perte ; qu'il
vouloit ſe batre contre
129
Chagrins du Mariage.
luy, & qu'il luy donnoitle choix du lieu du com-
bat, de l'heure, & des
armes. Antigame luy té-
moigna qu'il n'accaptoit
point d'appel ; qu'il ſça-
voit les deffenſes ſeveres
ſur les duels : & nean-
moins il luy fit entendre
que ce même jour il de-
voit aller à certaine heu-
re à la ruë de Tournon.
Cleante comprit bien que
la groſſe fortune d'Anti-
game l'empêchoit d'ac-
cepter un appel qui pour-
130
Les Agréemens & les
roit avoir des ſuites fâ-cheuſes, & que ſon in-
tention étoit qu'il l'atta-
quât au lieu qu'il luy
avoit marqué ; ce qui fit
qu'il s'y rendit à la même
heure : En l'y voyant ar-
river, il alla au-devant de
luy l'épée à la main. An-
tigame le pria de ſe re-
tirer, & aprés quelques
eptites façons pour ſe
ſauver des formes, ils ſe
battirent tous deux avec
beaucoup de courage &
de vigueur. Cleãte ſ11 ſen
131
Chagrins du Mariage.
tant bleſſé & voyant cou-ler ſon ſang, fît une paſſe
ſur Antigame, le deſar-
ma, & luy tenant la poin-
te de ſon épée contre le
cœur, luy rendit la ſienne
en luy diſant : va, je te
donne la vie que tu m'as
ôtée ; mais ſouviens-toy
que c'eſt à condition que
tu ne la paſſeras point
avec Leſbie, & que tu
ne l'épouſeras pas. Les
forces diminuãt à Clean-
te, Antigame le condui-
ſit chez un Chirurgien,
132
Les Agréemens & les
où il s'évanouït au pre-mier appareil, ce qui fit
beaucoup apprehender
de ſa bleſſure : Enſuite
Antigame aprés y avoir
donné les ordres neceſ-
ſaires pour le faire bien
traiter, ſe retira dans le
Luxembourg12, de crainte
d'être arreſté par les Of-
ficiers de Juſtice. Peu de
temps aprés, Cleante é-
tant revenu de ſon éva-
nouiſſement, fît une de-
claration par laquelle il
reconnoiſſoit qu'il avoit
133
Chagrins du Mariage.
attaqué Antigame, &qu'il ne vouloit pas que
l'on fît de pourſuitte en
Juſtice contre lui au cas
qu'il vînt à mourir, &
la lui envoya porter.
Cette derniere action
de Cleante toucha plus
ſenſiblement Antigame
que toutes les autres : il
le regardoit comme un
homme à qui il avoit
donné la mort, & qui
non ſeulement avoit eu
dans le même temps la
generoſité de lui donner
avoit prevenu les ſuittes
fâcheuſes que ſa mort
pouvoit lui attirer. D'un
autre côté il le regardoit
comme un rival barbare
& cruel, qui ne lui avoit
donné la vie que pour le
faire ſoufrir davantage, &
ſous une condition hon-
teuſe & mille fois plus
cruelle que la mort. Il
ne pouvoit ſe ſoufrir lui-
même ; il ſe haïſſoit, il ſe
regardoit comme un lâ-
che, perdu de reputation
l'eſprit de Leſbie ; il ſe
repentoit d'avoir receu
la vie ſous une ſemblable
condition, & d'avoir ſa-
crificé ſa Maîtreſſe pour
conſerver la vie ; il vou-
loit ſe tuer ou aller ren-
dre à Cleante la vie qu'il
lui avoit donnée ; enfin
il étoit agité de tant de
troubles, qu'il eſt com-
me impoſſible de pou-
voir bien les exprimer.
de Cleante toucha plus
ſenſiblement Antigame
que toutes les autres : il
le regardoit comme un
homme à qui il avoit
donné la mort, & qui
non ſeulement avoit eu
dans le même temps la
generoſité de lui donner
134
Les Agréemens & les
la vie, mais encore quiavoit prevenu les ſuittes
fâcheuſes que ſa mort
pouvoit lui attirer. D'un
autre côté il le regardoit
comme un rival barbare
& cruel, qui ne lui avoit
donné la vie que pour le
faire ſoufrir davantage, &
ſous une condition hon-
teuſe & mille fois plus
cruelle que la mort. Il
ne pouvoit ſe ſoufrir lui-
même ; il ſe haïſſoit, il ſe
regardoit comme un lâ-
che, perdu de reputation
135
Chagrins du Mariage.
dans le monde & dansl'eſprit de Leſbie ; il ſe
repentoit d'avoir receu
la vie ſous une ſemblable
condition, & d'avoir ſa-
crificé ſa Maîtreſſe pour
conſerver la vie ; il vou-
loit ſe tuer ou aller ren-
dre à Cleante la vie qu'il
lui avoit donnée ; enfin
il étoit agité de tant de
troubles, qu'il eſt com-
me impoſſible de pou-
voir bien les exprimer.
Pendant qu'Antigame
étoit ainſi ocupé par tou-
& agité ſi cruellement,
Philogame avoit les ſien-
nes qui ne lui donnoient
gueres plus de repos. Il
s'entretenoit ſeul dans ſa
chambre ſur les artifices
& les infidelitez qu'il
pretendoit que Fraude-
liſe lui avoit faites ; il la
deteſtoit dans le fond de
ſon cœur comme une in-
grate, & cõme une per-
fide qu'il ne vouloit voir
de ſa vie ; & il ſe forti-
fioit dans cette reſolu-
amis & parent de Frau-
deliſe, vint le trouver pour
lui dire qu'elle étoit dans
un état à donner de la
compaſſion aux cœurs
les plus inſenſibles & les
plus durs ; qu'elle le de-
mandoit de moment en
moment, & qu'à moins
d'avoir des ſentimẽs ſans
humanité & barbares, il
ne pouvoit ſe diſpenſer
de la voir, & de l'écou-
ter dans ſa juſtification ;
qu'il avoit vû la Lettre
la copie de celle qu'elle
avoit écrite à Philabel ;
que les preſomptions à la
verité étoient tres - vio-
lentes contre Fraudeliſe,
mais qu'il devoit l'enten-
dre & que l'on ne refu-
ſoit pas même aux accu-
ſez des plus grands cri-
mes, de les entendre dans
leur juſtification ; que
Fraudeliſe pretendoit lui
faire voir ſon innocence
plus claire que le jour,
& qu'en l'état où elle é-
ſa profonde douleur avoit
reduit ſa vie, il ne pou-
voit retarder un moment
à la voir, à moins que de
ſe rendre complice de ſa
mort, & de vouloir paſ-
ſer pour le plus dur de
tous les hommes.
étoit ainſi ocupé par tou-
136
Les Agréemens & les
tes ces diverſes avantures, & agité ſi cruellement,
Philogame avoit les ſien-
nes qui ne lui donnoient
gueres plus de repos. Il
s'entretenoit ſeul dans ſa
chambre ſur les artifices
& les infidelitez qu'il
pretendoit que Fraude-
liſe lui avoit faites ; il la
deteſtoit dans le fond de
ſon cœur comme une in-
grate, & cõme une per-
fide qu'il ne vouloit voir
de ſa vie ; & il ſe forti-
fioit dans cette reſolu-
tion,
137
Chagrins du Mariage.
tion, lorſqu'un de ſesamis & parent de Frau-
deliſe, vint le trouver pour
lui dire qu'elle étoit dans
un état à donner de la
compaſſion aux cœurs
les plus inſenſibles & les
plus durs ; qu'elle le de-
mandoit de moment en
moment, & qu'à moins
d'avoir des ſentimẽs ſans
humanité & barbares, il
ne pouvoit ſe diſpenſer
de la voir, & de l'écou-
ter dans ſa juſtification ;
qu'il avoit vû la Lettre
M
Sixiéme Partie.
138
Les Agréemens & les
qu'il lui avoit écrite, &la copie de celle qu'elle
avoit écrite à Philabel ;
que les preſomptions à la
verité étoient tres - vio-
lentes contre Fraudeliſe,
mais qu'il devoit l'enten-
dre & que l'on ne refu-
ſoit pas même aux accu-
ſez des plus grands cri-
mes, de les entendre dans
leur juſtification ; que
Fraudeliſe pretendoit lui
faire voir ſon innocence
plus claire que le jour,
& qu'en l'état où elle é-
139
Chagrins du Mariage.
toit, & dans le peril oùſa profonde douleur avoit
reduit ſa vie, il ne pou-
voit retarder un moment
à la voir, à moins que de
ſe rendre complice de ſa
mort, & de vouloir paſ-
ſer pour le plus dur de
tous les hommes.
Quelque reſolution que
Philogame eût priſe de
ne voir de ſa vie Frau-
deliſe, il ne put reſiſter
aux prieres de ſon amy,
& à l'état où elle étoit &
aux mouvemens de ſon
une fiévre tres-violente.
Tout le monde s'étant
retiré & Fraudeliſe ſe
voïant ſeule avec Philo-
game lui parla ainſi.
Philogame eût priſe de
ne voir de ſa vie Frau-
deliſe, il ne put reſiſter
aux prieres de ſon amy,
& à l'état où elle étoit &
aux mouvemens de ſon
M ij
140
Les Agréemens & les
cœur. Il la trouva dansune fiévre tres-violente.
Tout le monde s'étant
retiré & Fraudeliſe ſe
voïant ſeule avec Philo-
game lui parla ainſi.
Vous me traitez avec
des noms d'ingrate &
d'infidele ; cependant Phi-
logame, jamais fille au
monde n'a jamais merité
ces noms injurieux. Ces
reproches dans la bou-
che d'une fille que Phi-
logame croïoit coupable
& convaincuë de la plus
dies, lui donnerent un
chagrin qu'il ne pût diſ-
ſimuler. Fraudeliſe s'en
aperceut & continua à
lui dire : Oüi, quelque
prevention que vous
puiſſiez avoir contre moy,
& quelque dur que ſoit
vôtre cœur, vous ne
pouvez vous diſpenſer de
m'écouter, puiſque vous
me faites mourir par vos
injuſtices & par vos cru-
autez, & que je ne deman-
de qu'à vous faire voir la
ment elles ſe ſont paſſées.
Aprés quoy elle luy ra-
conta la violente paſſion
que Philabel lui avoit té-
moignée ; de la maniere
qu'il avoit feint d'être
tombé malade pour quel-
ques rigueurs qu'il pretẽ-
doit qu'elle luy avoit fai-
tes ; avec combien d'ar-
tifices ſa gouvernante lui
avoit perſuadé qu'il en
mourroit, ſi elle ne le con-
ſoloit promptement par
ſes Lettres : Enſuite elle
qu'elle lui en avoit écrit
pluſieurs, dont le ſens
étoit qu'elle avoit une
violente paſſion pour lui,
une tres-grande envie de
lui en donner des mar-
ques, & de tout faire
plûtôt que de le voir plus
long-temps malade ; que
c'étoit ſa gouvernante
qui avoit compoſé les
Lettres, & qu'elle ne les
avoit écrites que parce
qu'elle s'étoit imaginé ſo-
tement qu'il s'agiſſoit de
me : enfin elle finit, en
lui diſant comment tout
d'un coup la reſolution
de ſe faire Religieuſe lui
avoit priſe ; comment elle
avoit congedié Philabel,
& le deſeſpoir qu'il en
avoit temoigné ; com-
ment elle lui avoit pro-
mis, qu'au cas que ſa re-
ſolution changeât, elle
n'auroit d'autre époux
que lui ; & comment
Philabel ſachant leur ma-
riage, lui avoit écrit une
& de menaces, qu'elle
remit à Philogame, &
qui étoit conçûë en ces
termes :
des noms d'ingrate &
d'infidele ; cependant Phi-
logame, jamais fille au
monde n'a jamais merité
ces noms injurieux. Ces
reproches dans la bou-
che d'une fille que Phi-
logame croïoit coupable
& convaincuë de la plus
141
Chagrins du Mariage.
noire de toutes les perfi-dies, lui donnerent un
chagrin qu'il ne pût diſ-
ſimuler. Fraudeliſe s'en
aperceut & continua à
lui dire : Oüi, quelque
prevention que vous
puiſſiez avoir contre moy,
& quelque dur que ſoit
vôtre cœur, vous ne
pouvez vous diſpenſer de
m'écouter, puiſque vous
me faites mourir par vos
injuſtices & par vos cru-
autez, & que je ne deman-
de qu'à vous faire voir la
M iij
142
Les Agréemens & les
verité des choſes, & com-ment elles ſe ſont paſſées.
Aprés quoy elle luy ra-
conta la violente paſſion
que Philabel lui avoit té-
moignée ; de la maniere
qu'il avoit feint d'être
tombé malade pour quel-
ques rigueurs qu'il pretẽ-
doit qu'elle luy avoit fai-
tes ; avec combien d'ar-
tifices ſa gouvernante lui
avoit perſuadé qu'il en
mourroit, ſi elle ne le con-
ſoloit promptement par
ſes Lettres : Enſuite elle
143
Chagrins du Mariage.
lui avoüa de bonne foyqu'elle lui en avoit écrit
pluſieurs, dont le ſens
étoit qu'elle avoit une
violente paſſion pour lui,
une tres-grande envie de
lui en donner des mar-
ques, & de tout faire
plûtôt que de le voir plus
long-temps malade ; que
c'étoit ſa gouvernante
qui avoit compoſé les
Lettres, & qu'elle ne les
avoit écrites que parce
qu'elle s'étoit imaginé ſo-
tement qu'il s'agiſſoit de
144
Les Agréemens & les
ſauver la vie à un hom-me : enfin elle finit, en
lui diſant comment tout
d'un coup la reſolution
de ſe faire Religieuſe lui
avoit priſe ; comment elle
avoit congedié Philabel,
& le deſeſpoir qu'il en
avoit temoigné ; com-
ment elle lui avoit pro-
mis, qu'au cas que ſa re-
ſolution changeât, elle
n'auroit d'autre époux
que lui ; & comment
Philabel ſachant leur ma-
riage, lui avoit écrit une
Lettre
145
Chagrins du Mariage.
Lettre pleine de colere& de menaces, qu'elle
remit à Philogame, &
qui étoit conçûë en ces
termes :
PHILABEL
A
FRAUDELISE.
L'On dit que vous al-
lés vous marier avec
Philogame ; ſouvenés-
vous de la parole que vous
m'avés donnée d'être à
moy ſi vous n'étiés point
pas je vous prie, autre-
ment je ferai voir à Phi-
logame les Lettre que
vous m'avés écrites ; je
les publierai dans le mon-
de & je vous y perdrai
entierement de reputation,
ne me croïant pas obligé
de garder le ſecret à une
infidele qui m'auroit man-
qué la premiere.
lés vous marier avec
Philogame ; ſouvenés-
vous de la parole que vous
m'avés donnée d'être à
moy ſi vous n'étiés point
N
Sixiéme Partie.
146
Les Agréemens & les
Religieuſe : n'y manquéspas je vous prie, autre-
ment je ferai voir à Phi-
logame les Lettre que
vous m'avés écrites ; je
les publierai dans le mon-
de & je vous y perdrai
entierement de reputation,
ne me croïant pas obligé
de garder le ſecret à une
infidele qui m'auroit man-
qué la premiere.
La lecture de cette
Lettre ne fit pas entie-
rement changer de ſen-
ſon chagrin continua à
paroître ſur ſon viſage.
Fraudeliſe s'en apperce-
vant voulut continuer
ſon diſcours ; mais ſes
larmes & ſes ſoûpirs lui
couperent pendant cer-
tain temps, la voix & la
parole. Enfin, faiſant un
effort ſur elle-même, el-
le lui dit tendrement :
Regardez-moi du moins,
écoutez-moi ; s'il n'y al-
loit que de mes interêts
propres, je ſoufrirois plus
ces, mais il y va de vô-
tre repos : ainſi écoutez-
moi pour l'amour de
vous-même, ſi vous ne
le voulez faire pour moi
& pour ma propre gloi-
re ; & je ſuis perſuadée
qu'avec toutes les veri-
tez que j'ai à vous dire,
je vous ferai voir mon
innocence. Hé, que ne
le faites-vous ? interrom-
pit Philogame, vous me
rendriez la vie ; mais non,
c'eſt trop me flatter &
Que répondez-vous, con-
tinua-t-il, à la Lettre que
vous avez écrite à Phi-
label, & à la copie que
vous avez fait imiter
pour me ſurprendre &
pour me tromper ? He-
las, reprit Fraudeliſe, ſi
c'eſt là où vous mettez
tout mon crime, il eſt
facile de me juſtifier. En-
ſuite elle lui dit, que la
Lettre de Philabel & les
menaces qui étoient de-
dans, l'avoient tellement
que faire, elle s'étoit a-
dreſſée à ſa gouvernan-
te, qui luy avoit con-
ſeillé d'écrire à Philabel
qu'elle n'aimoit que luy,
qu'elle n'épouſoit Phi-
logame que pour obéïr
aux ordres d'un pere
qu'elle craignoit beau-
coup : que ſa gouver-
nante avoit compoſé la
Lettre, qu'elle n'avoit
fait que la copier, & que
c'étoit cette même Let-
tre qu'il avoit intercep-
lui raconta comment Leſ-
bie ayant apris d'un la-
quais d'Antigame, que
cette Lettre étoit entre
les mains de Philogame,
& comment elle y étoit
paſſée, étoit venu l'en
avertir chez elle ; que
dans ce même temps la
veuve d'un Marchand
Joüaillier s'y étoit trou-
vée, & luy avoit con-
ſeillé de faire imiter cette
même Lettre par un E-
crivain qu'elle connoiſ-
copie contrefaite en la
place de ſa veritable Let-
tre, afin de ne pouvoir
être convaincuë de l'a-
voir écrite.
Lettre ne fit pas entie-
rement changer de ſen-
147
Chagrins du Mariage.
timent à Philogame, &ſon chagrin continua à
paroître ſur ſon viſage.
Fraudeliſe s'en apperce-
vant voulut continuer
ſon diſcours ; mais ſes
larmes & ſes ſoûpirs lui
couperent pendant cer-
tain temps, la voix & la
parole. Enfin, faiſant un
effort ſur elle-même, el-
le lui dit tendrement :
Regardez-moi du moins,
écoutez-moi ; s'il n'y al-
loit que de mes interêts
propres, je ſoufrirois plus
N ij
148
Les Agréemens & les
patiemment vos injuſti-ces, mais il y va de vô-
tre repos : ainſi écoutez-
moi pour l'amour de
vous-même, ſi vous ne
le voulez faire pour moi
& pour ma propre gloi-
re ; & je ſuis perſuadée
qu'avec toutes les veri-
tez que j'ai à vous dire,
je vous ferai voir mon
innocence. Hé, que ne
le faites-vous ? interrom-
pit Philogame, vous me
rendriez la vie ; mais non,
c'eſt trop me flatter &
149
Chagrins du Mariage.
vous ne le pouvez pas :Que répondez-vous, con-
tinua-t-il, à la Lettre que
vous avez écrite à Phi-
label, & à la copie que
vous avez fait imiter
pour me ſurprendre &
pour me tromper ? He-
las, reprit Fraudeliſe, ſi
c'eſt là où vous mettez
tout mon crime, il eſt
facile de me juſtifier. En-
ſuite elle lui dit, que la
Lettre de Philabel & les
menaces qui étoient de-
dans, l'avoient tellement
N iij
150
Les Agréemens & les
effraïée, que ne ſçachantque faire, elle s'étoit a-
dreſſée à ſa gouvernan-
te, qui luy avoit con-
ſeillé d'écrire à Philabel
qu'elle n'aimoit que luy,
qu'elle n'épouſoit Phi-
logame que pour obéïr
aux ordres d'un pere
qu'elle craignoit beau-
coup : que ſa gouver-
nante avoit compoſé la
Lettre, qu'elle n'avoit
fait que la copier, & que
c'étoit cette même Let-
tre qu'il avoit intercep-
151
Chagrins du Mariage.
tée dans ce Cabaret. Ellelui raconta comment Leſ-
bie ayant apris d'un la-
quais d'Antigame, que
cette Lettre étoit entre
les mains de Philogame,
& comment elle y étoit
paſſée, étoit venu l'en
avertir chez elle ; que
dans ce même temps la
veuve d'un Marchand
Joüaillier s'y étoit trou-
vée, & luy avoit con-
ſeillé de faire imiter cette
même Lettre par un E-
crivain qu'elle connoiſ-
N iiij
152
Les Agréemens & les
ſoit, & de ſuppoſer lacopie contrefaite en la
place de ſa veritable Let-
tre, afin de ne pouvoir
être convaincuë de l'a-
voir écrite.
Pendant que Fraude-
liſe parloit ainſi, ſa gou-
vernante qui étoit dans
un cabinet à côté de ſa
chambre, entendant tout
ce qu'elle diſoit à Phi-
logame, vint ſe jetter à
leurs pieds, confirma à
Philogame tout ce que
Fraudeliſe venoit de luy
leur en demanda pardon,
les pria de ne la point
perdre, & leur avoüa que
ſon but n'avoit été que
d'empêcher que Philo-
game n'épousât Fraude-
liſe, & de faire en ſorte
que ce fût Philabel ; par-
ce qu'il luy avoit promis,
au cas qu'elle pût y réüſ-
ſir, de luy faire épouſer
ſon Valet de chambre
qu'elle aimoit, & de
faire leur fortune.
liſe parloit ainſi, ſa gou-
vernante qui étoit dans
un cabinet à côté de ſa
chambre, entendant tout
ce qu'elle diſoit à Phi-
logame, vint ſe jetter à
leurs pieds, confirma à
Philogame tout ce que
Fraudeliſe venoit de luy
153
Chagrins du Mariage.
dire ſur ſon chapitre,leur en demanda pardon,
les pria de ne la point
perdre, & leur avoüa que
ſon but n'avoit été que
d'empêcher que Philo-
game n'épousât Fraude-
liſe, & de faire en ſorte
que ce fût Philabel ; par-
ce qu'il luy avoit promis,
au cas qu'elle pût y réüſ-
ſir, de luy faire épouſer
ſon Valet de chambre
qu'elle aimoit, & de
faire leur fortune.
Cette gouvernante
s'étant retirée, Fraude-
liſe demanda pardon à
Philogame, & convint
de bonne-foy qu'elle n'a-
voit pas eu raiſon de ſui-
vre les méchans conſeils
qu'on luy avoit donnés,
& de luy avoir fait un
ſemblable myſtere. Elle
le pria de ſe reſſouvenir,
que ce qu'elle en avoit
fait, n'avoit été que pour
ſe conſerver ſon eſtime
& ſon cœur ; & dit ces
dernieres paroles d'une
tendre, que Philogame
en fut ſenſiblement tou-
ché.
154
Les Agréemens & les
ayant ceſſé de parler, &s'étant retirée, Fraude-
liſe demanda pardon à
Philogame, & convint
de bonne-foy qu'elle n'a-
voit pas eu raiſon de ſui-
vre les méchans conſeils
qu'on luy avoit donnés,
& de luy avoir fait un
ſemblable myſtere. Elle
le pria de ſe reſſouvenir,
que ce qu'elle en avoit
fait, n'avoit été que pour
ſe conſerver ſon eſtime
& ſon cœur ; & dit ces
dernieres paroles d'une
155
Chagrins du Mariage.
maniere ſi ſincere & ſitendre, que Philogame
en fut ſenſiblement tou-
ché.
Pour concluſion, la
lecture que Philogame
venoit de prendre de la
Lettre de Philabel, l'in-
genuité avec laquelle cet-
te gouvernante luy avoit
parlé, cette quantité de
larmes dont Fraudeliſe
étoit baignée, & toutes
ces manieres naturelles
& veritables, qui per-
ſuadent même les choſes
ſemblance, firent tant
d'effet ſur l'eſprit de Phi-
logame, qu'il fut con-
vaincu de tout ce que
Fraudeliſe venoit de luy
dire : il s'en expliqua a-
vec elle, il l'aſſura qu'il
étoit entierement perſua-
dé de ſon innocence &
de ſa fidelité, luy jura
pluſieurs fois qu'il ne l'a-
voit jamais tant aimée,
luy demanda pardon de
l'injuſtice qu'il luy avoit
faite, & la pria pour un
qu'elle luy pardonnoit,
de reprendre prompte-
ment ſa premiere ſanté,
afin de le rendre en l'é-
pouſant, le plus heureux
de tous les hommes.
Dans le temps que Phi-
logame & Fraudeliſe
s'entretenoient ainſi, le
Medecin ſurvint, qui dé-
fendit à la malade de par-
ler, & qui obligea Phi-
logame de ſe retirer chez
luy.
lecture que Philogame
venoit de prendre de la
Lettre de Philabel, l'in-
genuité avec laquelle cet-
te gouvernante luy avoit
parlé, cette quantité de
larmes dont Fraudeliſe
étoit baignée, & toutes
ces manieres naturelles
& veritables, qui per-
ſuadent même les choſes
156
Les Agréemens & les
qui ont le moins de vrai-ſemblance, firent tant
d'effet ſur l'eſprit de Phi-
logame, qu'il fut con-
vaincu de tout ce que
Fraudeliſe venoit de luy
dire : il s'en expliqua a-
vec elle, il l'aſſura qu'il
étoit entierement perſua-
dé de ſon innocence &
de ſa fidelité, luy jura
pluſieurs fois qu'il ne l'a-
voit jamais tant aimée,
luy demanda pardon de
l'injuſtice qu'il luy avoit
faite, & la pria pour un
157
Chagrins du Mariage.
témoignage aſſuré de cequ'elle luy pardonnoit,
de reprendre prompte-
ment ſa premiere ſanté,
afin de le rendre en l'é-
pouſant, le plus heureux
de tous les hommes.
Dans le temps que Phi-
logame & Fraudeliſe
s'entretenoient ainſi, le
Medecin ſurvint, qui dé-
fendit à la malade de par-
ler, & qui obligea Phi-
logame de ſe retirer chez
luy.
Il eſt impoſſible de
la diverſité des penſées
& des ſentimens de Phi-
logame pendant toute la
nuit : il étoit dans des
raviſſemens de joïe & des
plaiſirs inconcevables,
d'avoir trouvé Fraude-
liſe innocente & fidele,
& de ſe voir reconcilié
avec elle; & dans des
inquietudes & des cha-
grins tres-ſenſibles de
l'injuſtice qu'il luy avoit
faite, des maux qu'il luy
avoit fait ſouffrir, de la
cauſée, & de l'incerti-
tude de ſa gueriſon.
158
Les Agréemens & les
pouvoir bien expliquerla diverſité des penſées
& des ſentimens de Phi-
logame pendant toute la
nuit : il étoit dans des
raviſſemens de joïe & des
plaiſirs inconcevables,
d'avoir trouvé Fraude-
liſe innocente & fidele,
& de ſe voir reconcilié
avec elle; & dans des
inquietudes & des cha-
grins tres-ſenſibles de
l'injuſtice qu'il luy avoit
faite, des maux qu'il luy
avoit fait ſouffrir, de la
159
Chagrins du Mariage.
maladie qu'il luy avoit cauſée, & de l'incerti-
tude de ſa gueriſon.
Le lendemain matin
Philogame envoya ſça-
voir l'état de la ſanté de
Fraudeliſe ; on luy ra-
porta qu'elle ſe portoit
mieux ; & comme il avoit
apris l'affaire qu'Antiga-
me avoit euë avec Clean-
te, & qu'il s'étoit retiré
dans le Luxembourg13,
il alla le voir, & ſceut
juſqu'aux plus petites
particularitez de ce qui
luy exagera ſon mal-
heur, de ne pouvoir ja-
mais épouſer Leſbie, &
le pria de voir de ſa part
Cleante, & de s'infor-
mer en quel état étoit
ſa ſanté. Philogame trou-
va Cleante ſans fiévre,
hors de danger, & dans
d'autres ſentimens que
ceux qu'il avoit eûs la
veille : il dit à Philoga-
me, qu'il ne s'opoſoit
plus à ce qu'Antigame
épousât Leſbie, ſi elle le
ſé qu'il y auroit de la
mal-honnêteté & de la
dureté de ſa part à con-
traindre les volontez de
Leſbie, qu'il la rendroit
maîtreſſe de choiſir ce-
luy qu'elle voudroit, &
qu'il alloit luy écrire ſur
ce choix ; qu'Antigame
en pouvoit faire autant,
& que s'il arrivoit que
Leſbie ſe declarât contre
luy, ſa reſolution étoit
priſe de ſe mettre dans
le ſervice du Roy, &
mort prompte & glo-
rieuſe.
Philogame envoya ſça-
voir l'état de la ſanté de
Fraudeliſe ; on luy ra-
porta qu'elle ſe portoit
mieux ; & comme il avoit
apris l'affaire qu'Antiga-
me avoit euë avec Clean-
te, & qu'il s'étoit retiré
dans le Luxembourg13,
il alla le voir, & ſceut
juſqu'aux plus petites
particularitez de ce qui
160
Les Agréemens & les
s'étoit paſſé. Antigameluy exagera ſon mal-
heur, de ne pouvoir ja-
mais épouſer Leſbie, &
le pria de voir de ſa part
Cleante, & de s'infor-
mer en quel état étoit
ſa ſanté. Philogame trou-
va Cleante ſans fiévre,
hors de danger, & dans
d'autres ſentimens que
ceux qu'il avoit eûs la
veille : il dit à Philoga-
me, qu'il ne s'opoſoit
plus à ce qu'Antigame
épousât Leſbie, ſi elle le
vouloit ;
161
Chagrins du Mariage.
vouloit ; qu'il avoit pen-ſé qu'il y auroit de la
mal-honnêteté & de la
dureté de ſa part à con-
traindre les volontez de
Leſbie, qu'il la rendroit
maîtreſſe de choiſir ce-
luy qu'elle voudroit, &
qu'il alloit luy écrire ſur
ce choix ; qu'Antigame
en pouvoit faire autant,
& que s'il arrivoit que
Leſbie ſe declarât contre
luy, ſa reſolution étoit
priſe de ſe mettre dans
le ſervice du Roy, &
O
Sixiéme Partie.
162
Les Agréemens & les
d'aller y chercher unemort prompte & glo-
rieuſe.
Philogame raporta à
Antigame ce qu'il avoit
veu de la ſanté de Clean-
te, & ce qu'il luy avoit
dit : Que je ſuis mal-heu-
reux, & que je ſuis à
plaindre avec une deſti-
née auſſi ſinguliere &
auſſi bizarre que la mien-
ne ! J'ay été maître ab-
ſolu du cœur & de la
perſonne de Leſbie, j'ay
vingt fois prié les lar-
mes aux yeux : cepen-
dant j'ay toûjours été
inſenſible à ſes prieres &
à ſes larmes ; & à pre-
ſent que j'aprens qu'elle
me veut faire une infi-
delité, & qu'elle prefere
Cleante à moy, je chan-
ge de ſentiment ; ma ja-
louſie excite ma tendreſ-
ſe, & veut que je l'ar-
rache des bras d'un Ri-
val qu'elle aime, pour en
faire me femme ; d'un
par ſa generoſité ; d'un
Rival qui m'a donné la
vie, dans un temps où il
croyoit que je luy avois
arraché la ſienne ; & en-
fin d'un Rival, qui re-
nonçant à tous les avan-
tages qu'il a ſur moy,
remet les choſes dans l'é-
galité, & veut s'en ra-
porter à Lesbie pour diſ-
poſer de nôtre fortune.
Pourquoy, continua-t-il,
ſerai-je moins genereux
que luy, & pourquoy
qu'il a gagné aux dépens
de ſon ſang, & auquel
j'ay renoncé par ma lâ-
cheté, & pour avoir eû
trop d'attachement pour
la vie. Mais comment
pourray-je, belle Lesbie,
reprit-il, vous abandon-
ner à mon Rival, & me
détacher pour jamais des
prétentions que j'ay ſur
vôtre cœur & ſur vôtre
perſonne ? que ce cruel
Rival reprenne plûtôt la
vie qu'il m'a donnée, je
prix-là. Philogame repre-
ſenta à Antigame, qu'il
devoit être plus maître
de luy-même, attendre
le jugement de Lesbie
ſur le choix d'un époux,
& luy en écrire comme
Cleante ; que ſi elle ſe
declaroit pour Cleante,
elle ſeroit obligée de re-
noncer au procez qu'elle
luy avoit fait, & de luy
rendre ſa promeſſe de
mariage ; que l'avantage
qu'il en tireroit ſeroit
n'auroit plus de procez,
qu'il ne luy en coûteroit
rien, qu'il ne perdroit
qu'une fille qui en aimoit
un autre que luy ; qu'il
en ſeroit bien vangé dans
la ſuite ; qu'elle tombe-
roit infailliblement en é-
pouſant Cleante, dans
la neceſſité & dans la
privation des biens ne-
ceſſaires pour ſubſtiſter
dans le monde, & pour
ſoûtenir les charges &
dépenſes du Mariage ;
point de devenir par là
mal-heureuſe, & d'avoir
un repentir éternel de
ſon méchant choix ; &
que ſi au contraire elle
le preferoit à Cleante,
il auroit l'avantage de
connoître qu'elle l'aimoit
plus que luy, & pour-
roit juſtifier par là l'a-
mour qu'il avoit pour elle
& ſa conduite en l'épou-
ſant. Antigame ſe rendit
à ces raiſons, & écrivit à
Lesbie en ces termes :
Antigame ce qu'il avoit
veu de la ſanté de Clean-
te, & ce qu'il luy avoit
dit : Que je ſuis mal-heu-
reux, & que je ſuis à
plaindre avec une deſti-
née auſſi ſinguliere &
auſſi bizarre que la mien-
ne ! J'ay été maître ab-
ſolu du cœur & de la
perſonne de Leſbie, j'ay
163
Chagrins du Mariage.
pû l'épouſer, elle m'en avingt fois prié les lar-
mes aux yeux : cepen-
dant j'ay toûjours été
inſenſible à ſes prieres &
à ſes larmes ; & à pre-
ſent que j'aprens qu'elle
me veut faire une infi-
delité, & qu'elle prefere
Cleante à moy, je chan-
ge de ſentiment ; ma ja-
louſie excite ma tendreſ-
ſe, & veut que je l'ar-
rache des bras d'un Ri-
val qu'elle aime, pour en
faire me femme ; d'un
O ij
164
Les Agréemens & les
Rival que je dois eſtimerpar ſa generoſité ; d'un
Rival qui m'a donné la
vie, dans un temps où il
croyoit que je luy avois
arraché la ſienne ; & en-
fin d'un Rival, qui re-
nonçant à tous les avan-
tages qu'il a ſur moy,
remet les choſes dans l'é-
galité, & veut s'en ra-
porter à Lesbie pour diſ-
poſer de nôtre fortune.
Pourquoy, continua-t-il,
ſerai-je moins genereux
que luy, & pourquoy
165
Chagrins du Mariage.
luy diſputerai-je un bienqu'il a gagné aux dépens
de ſon ſang, & auquel
j'ay renoncé par ma lâ-
cheté, & pour avoir eû
trop d'attachement pour
la vie. Mais comment
pourray-je, belle Lesbie,
reprit-il, vous abandon-
ner à mon Rival, & me
détacher pour jamais des
prétentions que j'ay ſur
vôtre cœur & ſur vôtre
perſonne ? que ce cruel
Rival reprenne plûtôt la
vie qu'il m'a donnée, je
O iij
166
Les Agréemens & les
n'en veux point à ceprix-là. Philogame repre-
ſenta à Antigame, qu'il
devoit être plus maître
de luy-même, attendre
le jugement de Lesbie
ſur le choix d'un époux,
& luy en écrire comme
Cleante ; que ſi elle ſe
declaroit pour Cleante,
elle ſeroit obligée de re-
noncer au procez qu'elle
luy avoit fait, & de luy
rendre ſa promeſſe de
mariage ; que l'avantage
qu'il en tireroit ſeroit
167
Chagrins du Mariage.
conſiderable, puiſqu'iln'auroit plus de procez,
qu'il ne luy en coûteroit
rien, qu'il ne perdroit
qu'une fille qui en aimoit
un autre que luy ; qu'il
en ſeroit bien vangé dans
la ſuite ; qu'elle tombe-
roit infailliblement en é-
pouſant Cleante, dans
la neceſſité & dans la
privation des biens ne-
ceſſaires pour ſubſtiſter
dans le monde, & pour
ſoûtenir les charges &
dépenſes du Mariage ;
168
Les Agréemens & les
qu'elle ne manqueroitpoint de devenir par là
mal-heureuſe, & d'avoir
un repentir éternel de
ſon méchant choix ; &
que ſi au contraire elle
le preferoit à Cleante,
il auroit l'avantage de
connoître qu'elle l'aimoit
plus que luy, & pour-
roit juſtifier par là l'a-
mour qu'il avoit pour elle
& ſa conduite en l'épou-
ſant. Antigame ſe rendit
à ces raiſons, & écrivit à
Lesbie en ces termes :
ANTI -
169
Chagrins du Mariage.
ANTIGAME
A
LESBIE.
JE ne doute point que
vous ne ſçachiez tout
ce qui s'eſt paſſé entre
Cleante & moy, & que
nous vous avons renduë
maîtreſſe abſoluë de nos
destinées : ſi vous ne de-
viez regler votre choix
que par le ſeul merite,
j'aurois tous les ſujets du
monde d'aprehender ; mais
mens reciproques, faits
aux pieds des Autels, &
les avances obligeantes
que vous m'avez faites
en cette conſideration, me
raſſurent de cette crainte,
& me font eſperer, que
puiſque vous ne pouvez,
ſans choquer vôtre de-
voir, vôtre honneur, &
vôtre religion, choiſir un
autre Epoux que moy,
je dois me flater de ce
choix.
vous ne ſçachiez tout
ce qui s'eſt paſſé entre
Cleante & moy, & que
nous vous avons renduë
maîtreſſe abſoluë de nos
destinées : ſi vous ne de-
viez regler votre choix
que par le ſeul merite,
j'aurois tous les ſujets du
monde d'aprehender ; mais
P
Sixiéme Partie.
170
Les Agréemens & les
nos promeſſes & nos ſer-mens reciproques, faits
aux pieds des Autels, &
les avances obligeantes
que vous m'avez faites
en cette conſideration, me
raſſurent de cette crainte,
& me font eſperer, que
puiſque vous ne pouvez,
ſans choquer vôtre de-
voir, vôtre honneur, &
vôtre religion, choiſir un
autre Epoux que moy,
je dois me flater de ce
choix.
171
Chagrins du Mariage.
Antigame fit voir cet-
te Lettre à Philogame,
& l'envoya porter par un
Laquais à Lesbie, dans
le Convent où elle s'é-
toit retirée, avec ordre
d'en demander la répon-
ſe ; & en attendant, il
demanda à Philogame,
en quel état étoient les
ſentimens de ſon cœur,
ſur le chapitre de Frau-
deliſe : Philogame luy
repartit, qu'ils étoient
tels, qu'il l'aimoit plus
qu'il n'avoit jamais fait.
dire le ſujet d'un chan-
gement ſi prompt & ſi
impreveu : Philogame
luy raconta tout ce qui
s'étoit paſſé, & luy dit,
qu'il n'attendoit que le
retour de ſa ſanté pour
l'épouſer.
te Lettre à Philogame,
& l'envoya porter par un
Laquais à Lesbie, dans
le Convent où elle s'é-
toit retirée, avec ordre
d'en demander la répon-
ſe ; & en attendant, il
demanda à Philogame,
en quel état étoient les
ſentimens de ſon cœur,
ſur le chapitre de Frau-
deliſe : Philogame luy
repartit, qu'ils étoient
tels, qu'il l'aimoit plus
qu'il n'avoit jamais fait.
P ij
172
Les Agréemens & les
Antigame le pria de luydire le ſujet d'un chan-
gement ſi prompt & ſi
impreveu : Philogame
luy raconta tout ce qui
s'étoit paſſé, & luy dit,
qu'il n'attendoit que le
retour de ſa ſanté pour
l'épouſer.
Dans le temps que
Philogame parloit ainſi,
la réponſe de Lesbie ar-
riva. Antigame l'ouvrit,
& trouvant dedans la
Promeſſe de Mariage
qu'il luy avoit donnée,
Voicy les termes de cette
réponſe.
Philogame parloit ainſi,
la réponſe de Lesbie ar-
riva. Antigame l'ouvrit,
& trouvant dedans la
Promeſſe de Mariage
qu'il luy avoit donnée,
173
Chagrins du Mariage.
en fremit de crainte :Voicy les termes de cette
réponſe.
LESBIE
A
ANTIGAME.
MOn choix eſt tombé
ſur un autre que ſur
vous, & je n'étois deſti-
née que pour luy ; il ne
me demande pour dot que
mon cœur : il a accordé
à mon repentir & à mes
larmes le pardon des in-
avez fait faire ; & pour-
veu qu'à l'avenir je luy
ſois plus fidele, il m'ai-
mera toûjours égale-
ment, que je ſois laide,
ou belle, vieille ou jeune,
& rien ne le peut faire
changer que le déregle-
ment de mon cœur : vous
voulez bien qu'avec tous
ces avantages je vous le
prefere, & qu'en rom-
pant pour jamais les
nœuds qui nous lioient
enſemble, je vous ren-
Mariage, que je vous
faſſe porter les deux mil
loüis d'or que vous m'a-
vez donné à garder, &
que je vous diſe un éter-
nel adieu.
ſur un autre que ſur
vous, & je n'étois deſti-
née que pour luy ; il ne
me demande pour dot que
mon cœur : il a accordé
à mon repentir & à mes
larmes le pardon des in-
P iij
174
Les Agréemens & les
fidelitez que vous me luyavez fait faire ; & pour-
veu qu'à l'avenir je luy
ſois plus fidele, il m'ai-
mera toûjours égale-
ment, que je ſois laide,
ou belle, vieille ou jeune,
& rien ne le peut faire
changer que le déregle-
ment de mon cœur : vous
voulez bien qu'avec tous
ces avantages je vous le
prefere, & qu'en rom-
pant pour jamais les
nœuds qui nous lioient
enſemble, je vous ren-
175
Chagrins du Mariage.
voye vôtre Promeſſe deMariage, que je vous
faſſe porter les deux mil
loüis d'or que vous m'a-
vez donné à garder, &
que je vous diſe un éter-
nel adieu.
Non, Philogame, s'é-
cria Antigame aprés la
lecture de cette Lettre,
je ne ſuis pas à l'épreuve
de ce dernier coup ; ja-
mais deſeſpoir au mon-
de n'égala le mien, je
n'y puis ſurvivre, & j'en
reux Cleante, continua‑
t-il, que ta deſtinée me
fait d'envie ! pourquoy,
cruel, me donner la vie,
pour me la faire paſſer
d'une maniere ſi mal-
heureuſe ? & pourquoy
ne me l'arrachois-tu
point ? tu n'es qu'un traî-
tre, qu'un bourreau, qui
ne me l'as donnée que
pour me faire ſouffrir
davantage, & pour te
vanger de moy : Re-
prens, barbare, reprens
n'en veux point à ce
prix-là. Philogame luy
repreſenta qu'il pouvoit
bien ſe tromper ; qu'il ſe
pouvoit faire que ce ne
fût point Cleante que
Leſbie eût choiſi pour
époux, & dont elle par-
loit dans ſa Lettre ; car,
diſoit-il, quelle neceſſité
à Lesbie voulant épou-
ſer Cleante, d'aller luy
raporter les faveurs qu'el-
le vous a fiates, pour
luy en demander par-
pas plûtôt enſevelies
dans un éternel oubly ?
Qui luy peut répondre,
continua-t-il, que Clean-
te l'aimera également,
laide ou belle, vieille ou
jeune ? n'a-t-elle pas aſ-
ſez d'eſprit & aſſez d'ex-
perience dans le monde,
pour ſçavoir que cela ne
peut pas être, qu'il n'y
en a pas d'exemple, &
qu'une choſe ſi extraor-
dinaire ne peut arriver
en ſa faveur ? il finit en
y eût quelque choſe de
myſterieux & de caché
dans cette Lettre ; ce
qui fit qu'Antigame le
pria de voir Cleante là‑
deſſus, & d'en tirer adroi-
tement la vérité.
cria Antigame aprés la
lecture de cette Lettre,
je ne ſuis pas à l'épreuve
de ce dernier coup ; ja-
mais deſeſpoir au mon-
de n'égala le mien, je
n'y puis ſurvivre, & j'en
P iiij
176
Les Agréemens & les
mourray : Ha ! trop heu-reux Cleante, continua‑
t-il, que ta deſtinée me
fait d'envie ! pourquoy,
cruel, me donner la vie,
pour me la faire paſſer
d'une maniere ſi mal-
heureuſe ? & pourquoy
ne me l'arrachois-tu
point ? tu n'es qu'un traî-
tre, qu'un bourreau, qui
ne me l'as donnée que
pour me faire ſouffrir
davantage, & pour te
vanger de moy : Re-
prens, barbare, reprens
177
Chagrins du Mariage.
tes funeſtes preſens, jen'en veux point à ce
prix-là. Philogame luy
repreſenta qu'il pouvoit
bien ſe tromper ; qu'il ſe
pouvoit faire que ce ne
fût point Cleante que
Leſbie eût choiſi pour
époux, & dont elle par-
loit dans ſa Lettre ; car,
diſoit-il, quelle neceſſité
à Lesbie voulant épou-
ſer Cleante, d'aller luy
raporter les faveurs qu'el-
le vous a fiates, pour
luy en demander par-
178
Les Agréemens & les
don ? ne les auroit-ellepas plûtôt enſevelies
dans un éternel oubly ?
Qui luy peut répondre,
continua-t-il, que Clean-
te l'aimera également,
laide ou belle, vieille ou
jeune ? n'a-t-elle pas aſ-
ſez d'eſprit & aſſez d'ex-
perience dans le monde,
pour ſçavoir que cela ne
peut pas être, qu'il n'y
en a pas d'exemple, &
qu'une choſe ſi extraor-
dinaire ne peut arriver
en ſa faveur ? il finit en
179
Chagrins du Mariage.
diſant, qu'il faloit qu'ily eût quelque choſe de
myſterieux & de caché
dans cette Lettre ; ce
qui fit qu'Antigame le
pria de voir Cleante là‑
deſſus, & d'en tirer adroi-
tement la vérité.
Philogame trouva
Cleante auſſi deſeſperé
qu'Antigame, à cauſe
d'une Lettre qu'il avoit
receuë de Lesbie, par
laquelle elle luy man-
doit, qu'elle avoit fait
choix d'un autre époux
toit imaginé que le choix
étoit tombé en faveur
d'Antigame ; ce qui fit
qu'il dit à Philogame,
ſi Antigame n'étoit pas
ſatisfait de luy avoir en-
levé Lesbie ? s'il l'en-
voyoit encore pour in-
ſulter à ſa diſgrace & à
ſon mal-heur. Philoga-
me luy repartit, qu'An-
tigame n'étoit point l'é-
poux que Lesbie avoit
choiſi ; qu'il étoit auſſi
mal-heureux & auſſi à
raporta ce que conte-
noit en partie la Lettre
que Lesbie luy avoit é-
crite. Cleante fut ex-
trêmement ſurpris de ce
diſcours ; & comme il
venoit pour découvrir
quel pouvoit être cet é-
poux, Philogame prit
ſon temps pour luy de-
mander à voir la Lettre
que Lesbie luy avoit é-
crite, & luy dit, que
peut-être il pourroit le
reconnoître. Cleante la
ceuë en ces termes :
Cleante auſſi deſeſperé
qu'Antigame, à cauſe
d'une Lettre qu'il avoit
receuë de Lesbie, par
laquelle elle luy man-
doit, qu'elle avoit fait
choix d'un autre époux
180
Les Agréemens & les
que de luy. Cleante s'é-toit imaginé que le choix
étoit tombé en faveur
d'Antigame ; ce qui fit
qu'il dit à Philogame,
ſi Antigame n'étoit pas
ſatisfait de luy avoir en-
levé Lesbie ? s'il l'en-
voyoit encore pour in-
ſulter à ſa diſgrace & à
ſon mal-heur. Philoga-
me luy repartit, qu'An-
tigame n'étoit point l'é-
poux que Lesbie avoit
choiſi ; qu'il étoit auſſi
mal-heureux & auſſi à
181
Chagrins du Mariage.
plaindre que luy, & luyraporta ce que conte-
noit en partie la Lettre
que Lesbie luy avoit é-
crite. Cleante fut ex-
trêmement ſurpris de ce
diſcours ; & comme il
venoit pour découvrir
quel pouvoit être cet é-
poux, Philogame prit
ſon temps pour luy de-
mander à voir la Lettre
que Lesbie luy avoit é-
crite, & luy dit, que
peut-être il pourroit le
reconnoître. Cleante la
182
Les Agréemens & les
luy remit ; elle étoit con-ceuë en ces termes :
LESBIE
A
CLEANTE.
IL eſt vray que vous
étes le premier pour qui
mon cœur a ſenti de l'a-
mour ; mais les mal-heu-
reux engagemens dans
leſquels je ſuis entrée a-
vec Antigame, m'ont ren-
duë indigue d'être vôtre
épouſe ; & vous-même
la paſsion que vous avez
pour moy, vous me ju-
geriez telle, & vous ne
me regarderiez qu'avec
indignation & qu'avec
mépris. Pour me mettre
à couvert de ces fâcheux
inconviens, j'ay trou-
vé à propos de choiſir un
autre époux, avec lequel
je ne puiſſe rien craindre
là-deſſus : Ie l'ay trouvé,
il ne me demande que
mon cœur ; & ma for-
tune & ma felicité ſont
ſont ces ſortes d'avanta-
ges qui m'engagent à vous
quitter & à vous le pre-
ferer. Mais comme je
ſuis cauſe que vous avez
perdu le bien de vôtre
Oncle, agréez que je
vous faſſe part de celuy
qui me reſte, & permet-
tez-moy de vous l'en-
voyer ; apres quoy ne pre-
tendez plus rien de moy
qu'un éternel adieu.
étes le premier pour qui
mon cœur a ſenti de l'a-
mour ; mais les mal-heu-
reux engagemens dans
leſquels je ſuis entrée a-
vec Antigame, m'ont ren-
duë indigue d'être vôtre
épouſe ; & vous-même
183
Chagrins du Mariage.
revenant dans la ſuite dela paſsion que vous avez
pour moy, vous me ju-
geriez telle, & vous ne
me regarderiez qu'avec
indignation & qu'avec
mépris. Pour me mettre
à couvert de ces fâcheux
inconviens, j'ay trou-
vé à propos de choiſir un
autre époux, avec lequel
je ne puiſſe rien craindre
là-deſſus : Ie l'ay trouvé,
il ne me demande que
mon cœur ; & ma for-
tune & ma felicité ſont
184
Les Agréemens & les
certaines avec luy : ceſont ces ſortes d'avanta-
ges qui m'engagent à vous
quitter & à vous le pre-
ferer. Mais comme je
ſuis cauſe que vous avez
perdu le bien de vôtre
Oncle, agréez que je
vous faſſe part de celuy
qui me reſte, & permet-
tez-moy de vous l'en-
voyer ; apres quoy ne pre-
tendez plus rien de moy
qu'un éternel adieu.
Philogame ayant lû
te, qu'il voyoit bien que
l'époux que Lesbie avoit
choiſi, n'étoit ny luy
ny Antigame, & dequel
époux elle vouloit par-
ler. Quel peut être, in-
terrompit Cleante, cet
heureux époux ? ne me
flatez point, je vous en
conjure, & me tirez de
cette mal-heureuſe in-
certitude. Philogame luy
repartit, qu'il n'y avoit
qu'à lire la Lettre de
Lesbie, & en peſer at-
pour voir que ſon inten-
tion étoit de ſe faire Re-
ligieuſe.
cette
185
Chagrins du Mariage.
cette Lettre, dit à Clean-te, qu'il voyoit bien que
l'époux que Lesbie avoit
choiſi, n'étoit ny luy
ny Antigame, & dequel
époux elle vouloit par-
ler. Quel peut être, in-
terrompit Cleante, cet
heureux époux ? ne me
flatez point, je vous en
conjure, & me tirez de
cette mal-heureuſe in-
certitude. Philogame luy
repartit, qu'il n'y avoit
qu'à lire la Lettre de
Lesbie, & en peſer at-
Q
Sixiéme Partie.
186
Les Agréemens & les
tentivement les termes,pour voir que ſon inten-
tion étoit de ſe faire Re-
ligieuſe.
Il eſt impoſſible de
pouvoir exprimer la di-
verſité des mouvemens
dont Cleante fut agité
à ce diſcours. Vous m'a-
vez donc condamné,
dit-il, cruelle Lesbie, à
ne vous voir de ma vie,
dans le temps que je
croïois de devenir vôtre
époux, c'eſt à dire, le
plus heureux de tous les
fidele, me flatter de ce
doux eſpoir, lorſque
vous pretendiés m'aban-
donner pour toûjours ?
gardés, gardés, s'écria‑
t-il, vos funeſtes pre-
ſens, je n'en veux point,
& j'y renonce pour toû-
jours : Helas ! qu'ay-je
beſoin de bien, quand
je ne penſe qu'à finir
une vie mille fois plus
cruelle que la mort ?
Cleante dit quantité
d'autres choſes fort tou-
repreſenta tout ce qu'il
put pour le conſoler :
mais comme il vid que
ſes diſcours ne ſervoient
qu'à aigrir ſa douleur,
il le laiſſa avec un de
ſes parens, qui vint dans
ce même temps le voir,
pour aller trouver Anti-
game, & luy rendre
comte de tout ce qui
s'étoit paſſé.
pouvoir exprimer la di-
verſité des mouvemens
dont Cleante fut agité
à ce diſcours. Vous m'a-
vez donc condamné,
dit-il, cruelle Lesbie, à
ne vous voir de ma vie,
dans le temps que je
croïois de devenir vôtre
époux, c'eſt à dire, le
plus heureux de tous les
187
Chagrins du Mariage.
hommes. Pourquoy, in-fidele, me flatter de ce
doux eſpoir, lorſque
vous pretendiés m'aban-
donner pour toûjours ?
gardés, gardés, s'écria‑
t-il, vos funeſtes pre-
ſens, je n'en veux point,
& j'y renonce pour toû-
jours : Helas ! qu'ay-je
beſoin de bien, quand
je ne penſe qu'à finir
une vie mille fois plus
cruelle que la mort ?
Cleante dit quantité
d'autres choſes fort tou-
Q ij
188
Les Agréemens & les
chantes. Philogame luyrepreſenta tout ce qu'il
put pour le conſoler :
mais comme il vid que
ſes diſcours ne ſervoient
qu'à aigrir ſa douleur,
il le laiſſa avec un de
ſes parens, qui vint dans
ce même temps le voir,
pour aller trouver Anti-
game, & luy rendre
comte de tout ce qui
s'étoit paſſé.
Antigame ne le vid
pas ſi-tôt entrer dans ſa
chambre, qu'il courut
mes & en ſoûpirant,
l'embraſſer en luy di-
ſant : Helas ! je n'ay que
trop conçû le ſens cruel
de la Lettre de Lesbie,
& quel eſt l'époux dont
elle veut parler. Pou-
vez-vous encore douter
à preſent, mon cher Phi-
logame, de ſa vertu,
& n'avoir pas de l'eſti-
me pour elle ? Je ne la
verray plus, continua‑
t-il, je ne la verray plus ;
elle eſt morte au monde ;
Non, non, s'écria-t-il,
je n'en étois pas digne,
& j'en mourray. Aprés
cela il ſe tut ; & puis de
moment en moment,
repetant : elle eſt morte,
je ne la verray plus, il
revint aux ſoûpirs &
aux larmes, comme s'il
avoit entierement perdu
la raiſon. Enſuite ſe re-
mettant de ſes empor-
temens, il ſe mit à ra-
conter à Philogame a-
vec quelle douceur &
ce elle avoit toûjours vê-
cu avec lui ; de quelle
maniere un jour fon-
dant en larmes elle s'é-
toit jettée à ſes pieds, &
lui avoit demandé la li-
berté de ſe retirer dans
un Convent, pour y
pſſer le reſte de ſa vie ;
& comment avec des
ſuppoſitions & des ar-
tifices, il avoit éludé ſa
demande, & l'avoit
trompée ; puis tout d'un
coup tranſporté de fu-
il s'appella vingt fois
perfide, ſcelerat, par-
jure ; ſe reprocha qu'il
avoit perdu Lesbie par
ſa propre faute ; ſe fit
cent reproches, ſe dit
cent injures, & ſe me-
naça de ſe poignarder &
s'arracher la vie.
pas ſi-tôt entrer dans ſa
chambre, qu'il courut
189
Chagrins du Mariage.
les yeux baignés de lar-mes & en ſoûpirant,
l'embraſſer en luy di-
ſant : Helas ! je n'ay que
trop conçû le ſens cruel
de la Lettre de Lesbie,
& quel eſt l'époux dont
elle veut parler. Pou-
vez-vous encore douter
à preſent, mon cher Phi-
logame, de ſa vertu,
& n'avoir pas de l'eſti-
me pour elle ? Je ne la
verray plus, continua‑
t-il, je ne la verray plus ;
elle eſt morte au monde ;
Q iij
190
Les Agréemens & les
elle eſt morte pour moy.Non, non, s'écria-t-il,
je n'en étois pas digne,
& j'en mourray. Aprés
cela il ſe tut ; & puis de
moment en moment,
repetant : elle eſt morte,
je ne la verray plus, il
revint aux ſoûpirs &
aux larmes, comme s'il
avoit entierement perdu
la raiſon. Enſuite ſe re-
mettant de ſes empor-
temens, il ſe mit à ra-
conter à Philogame a-
vec quelle douceur &
191
Chagrins du Mariage.
avec quelle complaiſan-ce elle avoit toûjours vê-
cu avec lui ; de quelle
maniere un jour fon-
dant en larmes elle s'é-
toit jettée à ſes pieds, &
lui avoit demandé la li-
berté de ſe retirer dans
un Convent, pour y
pſſer le reſte de ſa vie ;
& comment avec des
ſuppoſitions & des ar-
tifices, il avoit éludé ſa
demande, & l'avoit
trompée ; puis tout d'un
coup tranſporté de fu-
192
Les Agréemens & les
reur contre lui-même,il s'appella vingt fois
perfide, ſcelerat, par-
jure ; ſe reprocha qu'il
avoit perdu Lesbie par
ſa propre faute ; ſe fit
cent reproches, ſe dit
cent injures, & ſe me-
naça de ſe poignarder &
s'arracher la vie.
Philogame aïant laiſſé
paſſer ſes premiers mou-
vemens, & le voïant
plus tranquile, profita
de cette occaſion pour
lui dire, que pendant
des bornes, il y étoit en-
tré, & y avoit compâti ;
mais qu'il ne le plaindroit
plus s'il s'abandonnoit
ainſi au deſeſpoir, & s'il
n'étoit plus maître de lui‑
même ; que ſûrement il
n'étoit pas ſi mal-heu-
reux qu'il s'imaginoit ;
que ſi Leſbie étoit reſtée
dans le monde, il auroit
fallu, ou qu'il l'eût épou-
ſée, ou ſoûtenir un pro-
cez qui lui auroit donné
beaucoup de chagrin &
de peine, qui l'auroit fait
dience, & qui auroit en-
tierement ruiné ſa fortu-
ne ; qu'en l'épouſant il ſe
ſeroit engagé à des ſuites
fâcheuſes, puiſqu'elle n'a-
voit pas de bien ; qu'il
auroit été obligé à faire
de groſſes dépenſes, tant
pour ſoûtenir un ména-
ge, que pour élever une
famille ; & que ne rece-
vant aucuns ſecours de la
dot d'une femme, il au-
roit été incommodé &
expoſé à beaucoup de pei-
nes & de fatigues : que
auroit été égale à celle
des autres marys ; que la
tendreſſe & les empreſ-
ſemens qu'il avoit pour
Leſbie, ſe ſeroient ralen-
tis & éteints ; qu'alors il
l'auroit veuë avec d'au-
tres yeux que ceux d'un
Amant, & qu'infaillible-
ment il ſe ſeroit repenti
d'avoir épouſé une fem-
me ſans bien, au lieu d'u-
ne riche qu'il auroit pû
trouver : qu'en l'état où
il étoit, il ne connoiſſoit
pas ſon bon-heur dans
avoit eu le plaiſir de poſ-
ſeder entierement Leſbie,
& ſans partage ; qu'il ne
la perdoit pas pour la voir
paſſer dans les bras d'un
Rival qu'elle luy prefe-
roit, mais dans un Cloî-
tre, & dans des occupa-
tions de pieté & de devo-
tion ; & que meritant par
là ſon eſtime, il conſer-
veroit toute ſa vie ſon
reſſouvenir avec d'autant
plus de conſtance, que
ſes ſentimens n'étant rem-
plis que d'honnêteté &
ni frequentation ni com-
merce des ſens, il étoit
à l'abri des dégoûts & des
mépris qui ſuivent ces
ſortes d'attachemens, &
que par là il pouroit ſe
garantir de tous autres
engagemens, qui ne
pourroient jamais que lui
être funeſtes & mal-heu-
reux. Philogame dit ces
paroles avec tant de fer-
meté & de vigueur,
qu'elles firent une forte
impreſſion dans l'eſprit
& dans le cœur d'Anti-
dirent ſa premiere rai-
ſon.
paſſer ſes premiers mou-
vemens, & le voïant
plus tranquile, profita
de cette occaſion pour
lui dire, que pendant
que
193
Chagrins du Mariage.
que ſa douleur avoit eûdes bornes, il y étoit en-
tré, & y avoit compâti ;
mais qu'il ne le plaindroit
plus s'il s'abandonnoit
ainſi au deſeſpoir, & s'il
n'étoit plus maître de lui‑
même ; que ſûrement il
n'étoit pas ſi mal-heu-
reux qu'il s'imaginoit ;
que ſi Leſbie étoit reſtée
dans le monde, il auroit
fallu, ou qu'il l'eût épou-
ſée, ou ſoûtenir un pro-
cez qui lui auroit donné
beaucoup de chagrin &
de peine, qui l'auroit fait
R
Sixiéme Partie.
194
Les Agréemens & les
timpaniſer dans une Au-dience, & qui auroit en-
tierement ruiné ſa fortu-
ne ; qu'en l'épouſant il ſe
ſeroit engagé à des ſuites
fâcheuſes, puiſqu'elle n'a-
voit pas de bien ; qu'il
auroit été obligé à faire
de groſſes dépenſes, tant
pour ſoûtenir un ména-
ge, que pour élever une
famille ; & que ne rece-
vant aucuns ſecours de la
dot d'une femme, il au-
roit été incommodé &
expoſé à beaucoup de pei-
nes & de fatigues : que
195
Chagrins du Mariage.
dans la ſuite ſa deſtinéeauroit été égale à celle
des autres marys ; que la
tendreſſe & les empreſ-
ſemens qu'il avoit pour
Leſbie, ſe ſeroient ralen-
tis & éteints ; qu'alors il
l'auroit veuë avec d'au-
tres yeux que ceux d'un
Amant, & qu'infaillible-
ment il ſe ſeroit repenti
d'avoir épouſé une fem-
me ſans bien, au lieu d'u-
ne riche qu'il auroit pû
trouver : qu'en l'état où
il étoit, il ne connoiſſoit
pas ſon bon-heur dans
R ij
196
Les Agréemens & les
toute ſon étenduë, qu'ilavoit eu le plaiſir de poſ-
ſeder entierement Leſbie,
& ſans partage ; qu'il ne
la perdoit pas pour la voir
paſſer dans les bras d'un
Rival qu'elle luy prefe-
roit, mais dans un Cloî-
tre, & dans des occupa-
tions de pieté & de devo-
tion ; & que meritant par
là ſon eſtime, il conſer-
veroit toute ſa vie ſon
reſſouvenir avec d'autant
plus de conſtance, que
ſes ſentimens n'étant rem-
plis que d'honnêteté &
197
Chagrins du Mariage.
de vertu, & n'y entrantni frequentation ni com-
merce des ſens, il étoit
à l'abri des dégoûts & des
mépris qui ſuivent ces
ſortes d'attachemens, &
que par là il pouroit ſe
garantir de tous autres
engagemens, qui ne
pourroient jamais que lui
être funeſtes & mal-heu-
reux. Philogame dit ces
paroles avec tant de fer-
meté & de vigueur,
qu'elles firent une forte
impreſſion dans l'eſprit
& dans le cœur d'Anti-
R iij
198
Les Agréemens & les
game, & qu'elles lui ren-dirent ſa premiere rai-
ſon.
Dans le même temps
que Philogame parloit
ainſi, le Chevalier qui
ſçavoit le combat d'An-
tigame & de Cleante, &
qu'Antigame s'étoit re-
tiré dans le Luxembourg14,
vint le voir & lui faire
offre de ſes ſervices. Phi-
logame lui apprit que
Cleante étoit hors de
danger, & qu'il n'y avoit
eû aucune procedure cri-
minelle ; ce qui fit que le
ler, & dit à Philogame,
que ſon procez étoit jugé,
qu'il l'avoit gagné, &
que l'on avoit jugé en fa-
veur du Mariage. Par
quelle raiſon ? ſur quel
motif ? interrompit Anti-
game. Parce que vos Ju-
ges, repartit le Cheva-
lier, pretendant qu'il eſt
neceſſaire de donner une
occupation douce &
honnête au cœur de
l'homme, pour le fixer &
pour l'empêcher de ſe
corrompre & de ſe per-
honteux & illegitimes ;
& que le Mariage ſeul
peut luy donner des en-
fans & une femme, qui
ſont les ſeuls ſujets pro-
pres & convenables pour
nourrir & conſommer
agreablement & avec hõ-
neur toute ſa tendre ſſe :
& parce que quelque re-
ſolution que puiſſe pren-
dre l'homme, de ne point
ſe marier, il eſt ſi foible
ſur cette matiere, que
lorſqu'il tombe dans la
vieilleſſe, il ſe marie le
geuſement, & épouſe une
flateuſe & adroite Co-
quette, qui le perd de re-
putation dans le monde,
& qui lui fait paſſer mal-
heureuſement le reſte de
ſa vie.
que Philogame parloit
ainſi, le Chevalier qui
ſçavoit le combat d'An-
tigame & de Cleante, &
qu'Antigame s'étoit re-
tiré dans le Luxembourg14,
vint le voir & lui faire
offre de ſes ſervices. Phi-
logame lui apprit que
Cleante étoit hors de
danger, & qu'il n'y avoit
eû aucune procedure cri-
minelle ; ce qui fit que le
199
Chagrins du Mariage.
Chevalier ſe mit à rail-ler, & dit à Philogame,
que ſon procez étoit jugé,
qu'il l'avoit gagné, &
que l'on avoit jugé en fa-
veur du Mariage. Par
quelle raiſon ? ſur quel
motif ? interrompit Anti-
game. Parce que vos Ju-
ges, repartit le Cheva-
lier, pretendant qu'il eſt
neceſſaire de donner une
occupation douce &
honnête au cœur de
l'homme, pour le fixer &
pour l'empêcher de ſe
corrompre & de ſe per-
R iiij
200
Les Agréemens & les
dre par des attachemenshonteux & illegitimes ;
& que le Mariage ſeul
peut luy donner des en-
fans & une femme, qui
ſont les ſeuls ſujets pro-
pres & convenables pour
nourrir & conſommer
agreablement & avec hõ-
neur toute ſa tendre ſſe :
& parce que quelque re-
ſolution que puiſſe pren-
dre l'homme, de ne point
ſe marier, il eſt ſi foible
ſur cette matiere, que
lorſqu'il tombe dans la
vieilleſſe, il ſe marie le
201
Chagrins du Mariage.
plus ſouvent deſavanta-geuſement, & épouſe une
flateuſe & adroite Co-
quette, qui le perd de re-
putation dans le monde,
& qui lui fait paſſer mal-
heureuſement le reſte de
ſa vie.
Ce ne ſont pas ces rai-
ſons-là, repartit Antiga-
me, qui ont engagé ces
Avocats à juger en fa-
veur du Mariage, ce ſont
plûtôt des raiſons d'inte-
rêts ſecrets. Quels inte-
rêts, dit Philogame,
pourroient-ils y avoir ?
game, ſans le Mariage,
ils n'auroient pas quanti-
té de grandes affaires ;
ſçavoir les liquidations
des droits des Veuves,
les ſupplémens de legiti-
me des enfans, & les
plaintes contre les teſta-
mens de leurs peres, qu'ils
jugent tous les jours par
arbitrage, & pour leſ-
quelles ils prennent des
ſommes tres-conſidera-
bles qui les enrichiſſent.
Philogame interrompant
Antigame, lui dit en rail-
dans le temps de pouvoir
peſter contre ſes Juges :
puis ſe tournant vers le
Chevalier, il lui deman-
da ſon jugement, puiſ-
qu'il avoit gagné ſon pro-
cez. Le Chevalier lui ré-
pondit, qu'il ne l'avoit
pas levé, parce qu'il y
avoit vingt écus15 d'épices.
Male-peſte 16, vingt écus
d'épices ! reprit Antiga-
me, quelle volerie ! Il
faut que tout le monde
vive, dit le Chevalier ;
Meſſieurs les Avocats le
de Meſſieurs les Conſeil-
lers ; ils ont grandes mai-
ſons, portes cocheres,
riches ameublemẽs, gros
équipages, Laquais,
Clercs, Valets de cham-
bre ; ce ſont la pluſpart
des gens ſans bien, & qui
n'ont que leurs talens ;
comment voudriez-vous
qu'ils pûſſent fournir à
cette dépenſe ſans quel-
que ſecours ? & où vou-
lez-vous qu'ils le pren-
nent, que dans la bourſe
de leurs Cliens, aux in-
quels ils s'abandonnent
aveuglémẽt & ſans raiſon.
Le Chevalier dit quan-
tité d'autres plaiſanteries
ſur ce ſujet ; mais comme
il ſe faiſoit tard, la con-
verſation finit, & chacun
ſe retira chez ſoy.
ſons-là, repartit Antiga-
me, qui ont engagé ces
Avocats à juger en fa-
veur du Mariage, ce ſont
plûtôt des raiſons d'inte-
rêts ſecrets. Quels inte-
rêts, dit Philogame,
pourroient-ils y avoir ?
202
Les Agréemens & les
Parce que, reprit Anti-game, ſans le Mariage,
ils n'auroient pas quanti-
té de grandes affaires ;
ſçavoir les liquidations
des droits des Veuves,
les ſupplémens de legiti-
me des enfans, & les
plaintes contre les teſta-
mens de leurs peres, qu'ils
jugent tous les jours par
arbitrage, & pour leſ-
quelles ils prennent des
ſommes tres-conſidera-
bles qui les enrichiſſent.
Philogame interrompant
Antigame, lui dit en rail-
203
Chagrins du Mariage.
lant, qu'il étoit encoredans le temps de pouvoir
peſter contre ſes Juges :
puis ſe tournant vers le
Chevalier, il lui deman-
da ſon jugement, puiſ-
qu'il avoit gagné ſon pro-
cez. Le Chevalier lui ré-
pondit, qu'il ne l'avoit
pas levé, parce qu'il y
avoit vingt écus15 d'épices.
Male-peſte 16, vingt écus
d'épices ! reprit Antiga-
me, quelle volerie ! Il
faut que tout le monde
vive, dit le Chevalier ;
Meſſieurs les Avocats le
204
Les Agréemens & les
portent à preſent de l'airde Meſſieurs les Conſeil-
lers ; ils ont grandes mai-
ſons, portes cocheres,
riches ameublemẽs, gros
équipages, Laquais,
Clercs, Valets de cham-
bre ; ce ſont la pluſpart
des gens ſans bien, & qui
n'ont que leurs talens ;
comment voudriez-vous
qu'ils pûſſent fournir à
cette dépenſe ſans quel-
que ſecours ? & où vou-
lez-vous qu'ils le pren-
nent, que dans la bourſe
de leurs Cliens, aux in-
205
Chagrins du Mariage.
terêts & aux paſſions deſ-quels ils s'abandonnent
aveuglémẽt & ſans raiſon.
Le Chevalier dit quan-
tité d'autres plaiſanteries
ſur ce ſujet ; mais comme
il ſe faiſoit tard, la con-
verſation finit, & chacun
ſe retira chez ſoy.
Enfin, pour conclu-
ſion, la Barone de Lu-
pane fut déchargée de
l'accuſation d'adultere
formée contr'elle par ſon
mary, & condamnée à
retourner avec lui, & à
ne plus frequenter le Che-
aiſement avec une nou-
velle inclination. Philo-
game épouſa Fraudeliſe,
nonobſtant la malice &
les artifices de Philabel,
qui vid ce Mariage avec
beaucoup de chagrin &
de douleur. Leſbie en-
voya à Antigame les deux
mille loüis qu'il avoit
donné à garder ; fit por-
ter ſes pierreries & ſon
argent comptant à Clean-
te, & s'engagea dans un
Convent de Religieuſes,
où elle paſſa le reſte de ſes
tion & dans la penitence.
Antigame tenta pluſieurs
moyens de la voir & de
lui parler, mais inutile-
ment ; & la ſeule conſo-
lation qui lui reſta, fut de
demeurer inſenſible pen-
dant ſa vie à toute autre
beauté, & de conſer-
ver pour elle une gran-
de eſtime & une grande
inclination. Et à l'égard
de Cleante, il ſe mit dans
la Maiſon du Roy ; y
chercha dans les occa-
ſions les plus perilleuſes
de Lesbie lui avoit ren-
duë ſi odieuſe : & s'étant
heureuſement trouvé dãs
la Bataille de Nervvinde,
& dans l'endroit où le
courage de Monſieur le
Duc de Chartres l'avoit
engagé ſi avant parmi les
ennemis ; il eut l'honneur,
aprés avoir fait de tres-
belles actions, d'y mourir
pour la gloire, & pour la
conſervation de la per-
ſonne de ce genereux
Prince, & en ſa preſence.
ſion, la Barone de Lu-
pane fut déchargée de
l'accuſation d'adultere
formée contr'elle par ſon
mary, & condamnée à
retourner avec lui, & à
ne plus frequenter le Che-
206
Les Agréemens & les
valier, qui s'en conſolaaiſement avec une nou-
velle inclination. Philo-
game épouſa Fraudeliſe,
nonobſtant la malice &
les artifices de Philabel,
qui vid ce Mariage avec
beaucoup de chagrin &
de douleur. Leſbie en-
voya à Antigame les deux
mille loüis qu'il avoit
donné à garder ; fit por-
ter ſes pierreries & ſon
argent comptant à Clean-
te, & s'engagea dans un
Convent de Religieuſes,
où elle paſſa le reſte de ſes
207
Chagrins du Mariage.
jours dans la mortifica-tion & dans la penitence.
Antigame tenta pluſieurs
moyens de la voir & de
lui parler, mais inutile-
ment ; & la ſeule conſo-
lation qui lui reſta, fut de
demeurer inſenſible pen-
dant ſa vie à toute autre
beauté, & de conſer-
ver pour elle une gran-
de eſtime & une grande
inclination. Et à l'égard
de Cleante, il ſe mit dans
la Maiſon du Roy ; y
chercha dans les occa-
ſions les plus perilleuſes
208
Les Agréemens & c.
à finir ſa vie, que la pertede Lesbie lui avoit ren-
duë ſi odieuſe : & s'étant
heureuſement trouvé dãs
la Bataille de Nervvinde,
& dans l'endroit où le
courage de Monſieur le
Duc de Chartres l'avoit
engagé ſi avant parmi les
ennemis ; il eut l'honneur,
aprés avoir fait de tres-
belles actions, d'y mourir
pour la gloire, & pour la
conſervation de la per-
ſonne de ce genereux
Prince, & en ſa preſence.
FIN.
Noms propres
Bataille de Nerwinde
L'an 1693, le 29 juillet, Bataille de Nerwinde, gagnée par le maréchal de Luxembourg contre le prince d'Orange.
Cette bataille fut la plus meurtrière de toutes celles qui furent données pendant la guerre de 1688. Le maréchal de Luxembourg entra deux fois, l'épée à la main, dans le village de Nerwinde. Le duc de Villars fut le premier qui sauta dans les retranchements des ennemis. Deux fois le village fut emporté et repris.
- Noël, François, et Joseph Planche, Éphémérides, politiques, littéraires et religieuses, Paris, Le Normant, H. Nicolle, 1812.
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François Rabelais
(La Devinière v. 1482 - Paris 1553). Écrivain humaniste et médecin français à qui
on doit les romans satiriques Pantagruel (1532), Gargantua (1534), Le Tiers Livre (1546) et Le Quart Livre (1548).
C'est dans Le Tiers Livre où le personnage Panurge discourt longuement sur le mariage, en essayant de décider s'il faut se marier ou
non.
- François Rabelais, Wikipédia l'encyclopédie libre (12 août 2009), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 4 novembre 2009. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rabelais.
- Joukovsky, Françoise, Rabelais François (1483 env.-1553), Encyclopédie Universalis (2009), Paris, Encyclopædia Universalis, Internet, 20 mai 2009.
- Rabelais (François), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Guillaume III d'Orange
Orange, près d'Avignon dans le Vaucluse, devint une principauté au XIIIe siècle. Celle-ci
revint, par le jeu des alliances, à la branche hollandaise de la famille de Nassau
en 1544 qui conserve encore le titre de prince d'Orange. La lutte pour le contrôle
de la principauté entre les Princes d'Orange et Louis XIV commença en 1648 et connut un tournant important en 1673, quand Louis XIV annexa
tout le territoire de la principauté à la France et fit raser le château des princes
d'Orange.
Guillaume III d'Orange (1650-1702), qui devint aussi roi d'Angleterre en 1689, entretint
des relations complexes avec la France, s'alliant parfois avec Louis XIV contre l'Espagne ou et le Saint Empire Romain, parfois en guerre contre lui, par exemple pendant la Guerre de la Ligue d'Augsbourg
en 1688 et 1697. C'est à la mort de Guillaume qu'Orange fut formellement annexée à
la France.
- Orange (province de l'État libre d'), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Orange, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Guillaume III d'Orange-Nassau, Wikipédia l'encyclopédie libre (14 janvier 2017), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 21 janvier 2017. https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_III_d'Orange-Nassau.
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Madelonnettes
MADELONNETTES (ma-de-lo-nè-t') s. f. pl. Sorte de religieuses établies dans le XIVe et le XVe siècles, dont les maisons servaient de retraite aux pécheresses. Aujourd'hui, maison de détention pour les filles de mauvaise vie.
- Madelonnettes, Dictionnaire de la lange française, (1872-7), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 4 novembre 2009.
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Ordre de Malte
L’ordre de Malte est un ordre catholique laïc fondé vers 1080. À l'origine l'ordre
de Saint-Jean de Jérusalem, il avait pour objectif la création d'hôpitaux, d’où l’autre nom d'« Hospitaliers
». L’ordre finit par établir des prieurés et des hôpitaux dans toute l’Europe catholique,
et il assuma rapidement une fonction militaire pour défendre les pèlerins qu'il accueillit
sur les chemins de la Terre Sainte. Il participa activement aux Croisades du Moyen
Âge et devint l'ordre le plus puissant de la chrétienté dès le XIVe siècle. L’ordre
s’installe à Malte en 1530 ; au XVIIe siècle, les chevaliers de Malte sont connus
surtout comme des corsaires qui avaient transformé Malte en magasins d'échanges du
commerce méditerranéen. Sous l’Ancien Régime, il était surtout composé des cadets
des familles nobles qu’il fallait placer soit comme militaires, soit comme religieux.
L’ordre de Malte représentait la convergence de ces deux voies.
De nos jours, son successeur principal est l'ordre souverain militaire hospitalier
de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, fondé en 1961.
- Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Wikipédia, The Free Encyclopedia (20 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_de_Saint-Jean_de_J%C3%A9rusalem.
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Pères du Désert
Représentants du clergé de l'Antiquité tardive (IIIe et IVe siècles) qui vécurent
dans les déserts de l'Égypte, en hermites.
- Pères du désert, Wikipédia l'encyclopédie libre (31 mars 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 22 juin 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8res_du_d%C3%A9sert.
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Ramboüillet
[Commune française], dans la forêt de Rambouillet. Ville résidentielle et touristique animée par quelques industries. [...] Château de Rambouillet. Il fut édifié en 1375 sur des fondations anciennes. Le comte de Toulouse, fils de Louis XIV et de Mme de Montespan, en modifia la structure : deux ailes furent construites, dont une disparut sous Napoléon Ier. Louis XIV érigea la terre en duché-pairie. Louis XVI acheta le château en 1783 et fit construire la ferme (aujourd'hui Ferme nationale) et la laiterie de la Reine. [...] Forêt de Rambouillet, forêt domaniale s'étendant autour de Rambouillet sur 13 000 ha. Parc national de chasse, domaine résidentiel. Chasses à courre.
- Ramboüillet, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Rouen
La ville, à l'époque romaine, s'appelait Rotomagus. Elle fut la capitale des Véliocasses. La fabrication des draps, le commerce avec l'Angleterre se développèrent au Xe s. La Normandie fut longuement et âprement disputée entre les rois de France et d'Angleterre. En 1204, Philippe Auguste s'empara de Rouen. En 1419, la ville tomba aux mains des Anglais : le 30 mais 1431, Jeanne d'Arc y fut brûlée. Les Anglais furent chassés de la ville en 1449. Rouen a beaucoup souffert des guerres de Religion. À l'époque contemporaine, elle a été très atteinte par les bombardements, lors de la Deuxième Guerre mondiale.
- Rouen, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Notes
- Chercher à se réconcilier avec quelqu'un.↑
COEFFE, ou Coiffe. s. f. Espece de couverture de teste qui est de toile, ou de soye &c. Coiffe de nuit, ou de bonnet de nuit. coiffe à dentelle. coiffe de chapeau. coiffe de femme, que portent les femmes.
. Coiffe, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1762), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 4 novembre 2009.↑- Les pages 28 et 29 manquent.↑
- Male peſte :
Imprécation qui emporte une sorte d'étonnement. Malepeste que ce potage est chaud! Il est familier
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Malepeste, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1762), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 29 octobre 2009.↑ - Le célèbre personnage du Tiers Livre de Rabelais, Panurge, demande s'il faut se marier. L'auteur traite des anecdotes désagréables concernant les femmes mais également, il démontre l'influence d'Érasme en reconnaissant que certaines unions entre homme et femme peuvent mener à des progrès spirituels. (François Rabelais, Encyclopédie Universalis (2009), Paris, Encyclopædia Universalis, Internet, 4 novembre 2009.)↑
- L'officialité est le tribunal ecclésiastique chargé de rendre la justice au nom de celui qui exerce le pouvoir judiciaire dans l'Église catholique romaine.Officialité, Wikipédia, The Free Encyclopedia (6 juin 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 28 octobre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Officialit%C3%A9.↑
- Aux XVIe et XVIIe siècles, les maîtres écrivains faisaient leur métier de bien écrire et d'enseigner cet art. Ils étaient regroupés dans des corporations où il fallait qu’ils soient reçus maîtres. Maître écrivain, Wikipédia, The Free Encyclopedia (26 septembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 28 octobre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AEtre_%C3%A9crivain.↑
- Aux XVIe et XVIIe siècles, les maîtres écrivains faisaient leur métier de bien écrire et d'enseigner cet art. Ils étaient regroupés dans des corporations où il fallait qu’ils soient reçus maîtres. Maître écrivain, Wikipédia, The Free Encyclopedia (26 septembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 28 octobre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AEtre_%C3%A9crivain.↑
- L'officialité est le tribunal ecclésiastique chargé de rendre la justice au nom de celui qui exerce le pouvoir judiciaire dans l'Église catholique romaine.Officialité, Wikipédia, The Free Encyclopedia (6 juin 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 28 octobre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Officialit%C3%A9.↑
- L'officialité est le tribunal ecclésiastique chargé de rendre la justice au nom de celui qui exerce le pouvoir judiciaire dans l'Église catholique romaine.Officialité, Wikipédia, The Free Encyclopedia (6 juin 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 28 octobre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Officialit%C3%A9.↑
- se↑
- Il est évident aux p. 171-172 que le Luxembourg dont il s'agit n'est pas le pays du Luxembourg mais plutôt le Palais de Luxembourg dans l'actuel 6e arrondissement de Paris, construit entre 1615-1631 pour Marie de Médicis. Le duel ayant été interdit au début du XVIIe siècle, le palais sert d'asile à Antigame qui doit se cacher des autorités en attendant de savoir si Cléante mourra de sa blessure. Antigame n'aurait pas pu envoyer une lettre à Lesbie et en recevoir la réponse en quelques minutes s'il avait quitté Paris.↑
- Il est évident aux p. 171-172 que le Luxembourg dont il s'agit n'est pas le pays du Luxembourg mais plutôt le Palais de Luxembourg dans l'actuel 6e arrondissement de Paris, construit entre 1615-1631 pour Marie de Médicis. Le duel ayant été interdit au début du XVIIe siècle, le palais sert d'asile à Antigame qui doit se cacher des autorités en attendant de savoir si Cléante mourra de sa blessure. Antigame n'aurait pas pu envoyer une lettre à Lesbie et en recevoir la réponse en quelques minutes s'il avait quitté Paris.↑
- Il est évident aux p. 171-172 que le Luxembourg dont il s'agit n'est pas le pays du Luxembourg mais plutôt le Palais de Luxembourg dans l'actuel 6e arrondissement de Paris, construit entre 1615-1631 pour Marie de Médicis. Le duel ayant été interdit au début du XVIIe siècle, le palais sert d'asile à Antigame qui doit se cacher des autorités en attendant de savoir si Cléante mourra de sa blessure. Antigame n'aurait pas pu envoyer une lettre à Lesbie et en recevoir la réponse en quelques minutes s'il avait quitté Paris.↑
- Une pièce de monnaie d'or ou d'argent. Écu, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1762), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 août 2009.↑
- Male-peſte :
Imprécation qui emporte une sorte d'étonnement. Malepeste que ce potage est chaud! Il est familier
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Malepeste, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1762), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 29 octobre 2009.↑
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