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La Vie Des Gens Mariez

LA VIE DES GENS MARIEZ.

LA VIE
DES
GENS MARIEZ,
ou
LES OBLIGATIONS
DE CEUX QUI S'ENGAGENT
DANS LE MARIAGE,
Prouvées par l'Ecriture, par les saints Peres,
& par les Conciles.

Par Mr Girard de Ville-Thierry,
Prêtre.

Nouvelle Edition, revûe, corrigée & augmentée. Fleuron. A PARIS,
Chez Antoine Damonneville, Quay
des Augustins, proche la rue Gille-Cœur,
à l'Image S. Estienne.
Filet simple.
M. DCC. XXI.
Avec Privilege et Approbation.

Bandeau à motif floral. PREFACE.

Lettrine "I".
IL n'y a point d'état plus commun que celui du Mariage : car toutes sortes de personnes, les riches & les pauvres, les jeunes & les vieux, les Princes & les peuples se marient : mais on peut dire qu'il n'y en a point aussi dont on ignore davantage les devoirs & les obligations. On s'y engage la plûpart du tems1 tres - temerairement, & sans y faire aucune réflexion ; ou si on en fait quelqu'une, ce n'est que par rapport aux biens de la terre & aux avantages temporels. On ne pense point à s'y préparer par les pratiques de pieté dont parlent les saints Peres & les Conciles ; on ne les connoît pas même; on se presente au pied des Autels avec un esprit dissipé & plein de trouble pour y recevoir la benediction du Prêtre : on s'abandonne assez souvent à des excès honteux le jour même qu'on se marie ; & on se prive ainsi des graces que ce Sacrement auguste de la Loi nouvelle a coutume de conferer.
On se conduit ordinairement dans le Mariage, comme on y est entré, c'est à-dire, d'une maniere toute humaine. On s'imagine qu'il donne droit de vivre dans la molesse & dans le relâchement ; qu'on peut y contenter impunément ses passions, & qu'on a la liberté d'y suivre tous les desirs & tous les mouvemens de l'homme charnel & animal.
La paix ne regne pas long-tems entre des gens qui n'ont point consulté Dieu sur l'alliance qu'ils vouloient contracter, & qui ne se sont unis que par des motifs d'interêt, d'ambition, ou de sensualité ; & bien loin de conserver entr'eux une sainte union, ils se chagrinent les uns les autres par leurs mauvaises humeurs & par leurs impatiences ; ils deviennent même ennemis en plusieurs rencontres, & ils se persecutent avec toute sorte d'animosité.
La plûpart des gens mariez étant prévenus de l'esprit du monde, il arrive tous les jours qu'ils commettent une infinité d'injustices dans la dispensation de leurs biens ; tantôt ils les aiment avec excès, & tombent dans l'avarice ; tantôt ils les dépensent avec profusion, & les font servir à leurs débauches ; & l'on en voit plusieurs qui excitent le trouble & la division dans leurs familles, par le partage inégal qu'ils en font entre leurs héritiers.
Ils négligent presque toûjours de s'appliquer à l'éducation de leurs enfans, & plusieurs d'entr'eux leur en donnent une toute païenne, & entierement op posée à l'esprit de l'Evangile ; & par ce moyen ils se rendent coupables de la plûpart des abus qui se commettent dans les differentes conditions, soit Ecclesiastiques, ou seculieres : car les enfans qu'ils élevent mal, remplissent, lorsqu'ils sont parvenus à l'âge viril, les charges & les emplois de l'Eglise & de la République, & ils y portent ordinairement les passions & les mauvaises inclinations dans lesquelles ils les ont entretenus pendant leur jeunesse.
C'est pour prévenir tous ces maux différens, & pour en garantir les Fideles, que j'ai entrepris ce Traité. Je leur parle d'abord de la grandeur & de l'excellence du Mariage, afin de leur faire concevoir qu'ils sont obligez de s'y préparer avec beaucoup de soin, & qu'ils ne doivent y entrer qu'avec des dispositions saintes & chrétiennes. Je leur explique ensuite leurs obligations communes, & puis je descens aux devoirs parti culiers des maris & des femmes. Je leur enseigne des moyens tres‑efficaces pour entretenir entr'eux une union parfaite. Je leur propose des regles tres-certaines dont ils peuvent se servir dans l'éducation de leurs enfans ; & je leur marque dans le détail tout ce qu'ils doivent faire pour se sanctifier dans cet état.
Et afin de leur ôter tout prétexte de dire que je porte trop loin les choses, & que j'exige d'eux une trop grande perfection, je n'avance aucune maxime importante, que je ne la confirme par les oracles de l'Ecriture, & par les témoignages des saints Peres, & j'y joins tres-souvent les Decrets des Papes, & les décisions des Conciles. Ainsi ils ne sçauroient se plaindre de moi, ni m'accuser d'être trop severe ; ou bien il faut qu'ils s'en prennent à tout ce qu'il y a de plus saint & de plus venerable dans nôtre Religion.
L'état du Mariage étant tres‑ commun, comme on l'a déja observé, il s'ensuit que ce Livre qui traite des obligations qu'il impose à ceux qui s'y engagent, regarde un tres-grand nombre de personnes.
Ceux qui sont déja mariez en tireront plusieurs avantages tres‑considerables : car ils y verront les dangers & les écueils qu'ils doivent éviter : ils y apprendront leurs devoirs les plus importans, & comment il faut qu'ils se conduisent pour se rendre agréables à la divine Majesté, & ils y trouveront une infinité d'instructions & de veritez qui serviront à soûtenir leur foiblesse, & qui les fortifieront contre les mauvais exemples de la plûpart des gens du monde, qui deshonorent la sainteté du Mariage par leurs déreglemens, & par leur vie toute payenne.
Les veuves & tous ceux qui sont rentrez dans leur premiere liberté par la mort des personnes qu'ils avoient épousées, ne laisseront pas d'en profiter : car en y lisant l'obligation des gens mariez, ils reconnoîtront les fautes qu'ils ont commises pendant leur Mariage ; les connoissant, ils en demanderont pardon à Dieu, & ils auront soin de les effacer par leurs larmes, & de s'en purifier par les travaux de la penitence.
Les Vierges en pourront aussi être édifiées ; car la connoissance qu'elles y puiseront des grandes obligations qu'impose le Mariage, & des difficultez qu'on y éprouve par rapport au salut, les portera à benir sans cesse Dieu de les en avoir éloignées, & elles en estimeront de plus en plus la virginité qui les met à l'abri d'un si grand nombre de dangers, & qui leur fournit en même tems plusieurs moyens differens pour se sanctifier & pour tendre à la perfection.
Les jeunes gens qui ne se sont pas encore soumis au joug de la vie conjugale, mais qui desirent de se pourvoir, pourront s'y instruire des devoirs de cette condition, avant que de l'embrasser, & s'ils reconnoissent qu'ils sont audessus de leurs forces, & qu'ils ne pourroient pas s'en aquiter, ils feront tres-sagement de s'en priver, & d'y renoncer pour toûjours ; & ils demeureront d'accord qu'on leur aura rendu un tres-bon office, en ne permettant pas qu'ils entrassent dans un état, sans sçavoir à quoi il les obligeroit, ni comment il faut y vivre pour y operer son salut.
L'on peut même dire que la lecture de cet Ouvrage ne sera pas entierement inutile à plusieurs Ecclesiastiques, qui n'ayant pas toûjours le tems & la commodité de puiser dans les sources, les maximes qui doivent servir à regler les mœurs & la conduite de ceux qui vivent dans le Mariage, seront bien-aises de les trouver recueillies dans ce petit volume : car les ayant presentes à leur esprit, ils pourront les appliquer selon qu'ils le jugeront à propos pour le bien des Fideles ; & comme ils sont pleins de prudence & de discernement, ils ne manqueront pas de les proportionner à la portée de ceux qu'ils instruiront. Ils suppléeront même à nôtre peu de capacité ; ils fortifieront par leurs prieres les veritez que nous avons proposées ; ils les mettront en une plus grande évidence par la force de leurs discours, & par la solidité de leurs raisonnemens : ils les insinueront adroitement dans l'esprit & dans le cœur de ceux qui seront soumis à leur direction.
Nous avons dit plusieurs fois dans la suite de ce Traité, que nous ne voulons pas donner de vains scrupules aux Fideles qui le liront, & que nous ne condamnions point ceux qui n'ont pas suivi toutes les maximes que nous avons expliquées, soit faute d'instruction, ou parcequ'ils n'en ont pas eu le mouvement. Nous réiterons cette pro testation en ce lieu ; & nous reconnoissons que toutes les regles que nous proposons, ne sont pas d'une necessité absolue, & qu'il y en a plusieurs qui ne sont que de simples conseils. Mais comme nous avions entrepris d'écrire pour tous ceux qui s'engagent dans le Mariage, il falloit leur parler, non seulement de ce qu'ils ne sçauroient omettre, sans se rendre criminels aux yeux de Dieu, mais aussi de ce qui peut les conduire à une plus grande perfection : car les Chrétiens ne doivent point mettre de bornes à leur justice ; & les Pasteurs & les Prêtres du Seigneur sont obligez de leur expliquer tout ce qui est capable de contribuer à leur avancement spirituel, à l'exemple du grand Apôtre, qui disoit aux Fideles qu'il étoit pur & innocent de leur sang, parcequ'il leur avoit annoncé tous les desseins & toutes les volontez de Dieu, & qu'il ne cesseroit point de les exhorter & de leur prêcher les veritez du sa lut jusqu'à ce qu'il les eût conduit à l'état de perfection.
Nous esperons de la divine misericorde, que plusieurs de ceux qui vivent dans le Mariage, auront soin de profiter des saintes maximes que nous leur avons expliquées, après les avoir nous-mêmes apprises des Livres sacrez & des saints Peres de l'Eglise, & qu'ils s'exerceront avec joye dans toutes les pratiques de pieté que nous leur avons proposées. Nous croïons même que ceux qui n'auront pas assez de force & de zele pour s'y soumettre maintenant, ne laisseront pas d'en tirer quelque avantage, parceque lorsqu'ils considereront qu'ils sont si éloignez de la perfection qui convient à l'état du Mariage parmi les Chrétiens, ils s'en humilieront à leurs propres yeux, & en gémiront devant Dieu. Il pourra même arriver dans la suite que ces veritez, comme une divine semence, produiront des fruits tres-abondans dans la terre de leur cœur, & qu'ils embrasseront avec une sainte allegresse, les instructions qu'ils auront d'abord rejettées, ou au moins negligées, parcequ'ils s'imaginoient qu'elles étoient trop fortes, & peu proportionnées à leur foiblesse. Voilà la fin que nous nous sommes proposée, lorsque nous avons entrepris ce Traité ; & nous nous estimerons tres-heureux, si nôtre Seigneur daigne s'en servir pour l'édification des Fideles.
Cul de lampe à motif floral.

Bandeau à motif floral. TABLE DES CHAPITRES. Filet gras. CHAPITRE PREMIER.

DE la grandeur & de l'excellence du Mariage. pag. 1
Chap. II. Qu'il n'y a rien de plus malheureux que l'état de ceux qui entrent mal dans le Mariage, & qui ne s'y conduisent pas par les regles de la charité & de la pieté chrétienne. 19
Chap. III. Quelles sont les fins que les Chrétiens doivent se proposer, lorsqu'ils s'engagent dans le Mariage. 26
Chap. IV. Que les Fideles qui se marient doivent avoir soin de ne s'allier qu'avec des personnes de probité, & qui vivent d'une maniere chrétienne. 38
Chap. V. Que les saints Peres condamnent ceux qui voulant s'engager dans le Mariage, ne se mettent en peine que de trouver des partis riches, & qui leur plaisent, ne pensent nullement à la bonne éducation que peuvent avoir eu les per-
sonnes qu'ils recherchent, & n'examinent ni leurs mœurs, ni leur conduite. 54
Chap. VI. Que selon les saints Peres, il seroit à souhaiter qu'il y eût égalité, soit pour l'âge, pour les biens & pour la naissance, entre ceux qui contractent mariage. 66
Chap. VII. Dans quelles dispositions il faut être pour entrer saintement dans le Mariage ; & comment il faut s'y preparer. 75
Chap. VIII. Qu'il est honteux aux Chrétiens de passer le jour qu'ils se marient dans des divertissements mondains & prophanes, & encore plus dans la débauche & dans la dissolution. 84
Chap. IX. Comment ceux qui ont la crainte de Dieu devant les yeux peuvent se comporter le jour qu'ils se marient, afin de ne rien faire d'indigne de la sainteté du Sacrement. 91
Chap. X. Que ceux qui s'engagent dans le Mariage, doivent y vivre honnêtement, & n'y point rechercher le plaisir. 100
Chap. XI. Qu'il faut que les gens mariez ne s'aiment que d'un amour saint & bien reglé, & qu'il y a plusieurs défauts qu'ils doivent éviter dans l'amour qu'ils ont les uns pour les autres. 109
Chap. XII. Que les maris & les femmes doivent s'exercer à la pieté, & se san-
ctifier les uns les autres. 122
Chap. XIII. De la paix & de l'union qui doit regner entre les maris & les femmes. Ce qu'il faut qu'ils fassent pour s'y maintenir. 137
Chap. XIV. Que ceux qui s'engagent dans le Mariage ne sont plus maîtres de leurs corps. Quelles consequences il faut tirer de ce principe. 146
Chap. XV. Du peché d'adultere ; qu'il est tres-énorme ; qu'il empêche ceux qui l'ont commis de se marier ensemble ; que l'un des deux, du mari ou de la femme, ne peut pas s'y abandonner, même du consentement de l'autre ; qu'il est défendu aussi-bien aux hommes qu'aux femmes : sçavoir si les maris qui y tombent sont aussi, ou moins coupables que les femmes qui y succombent. 155
Chap. XVI. Qu'il faut conseiller aux gens mariez de garder la continence les jours qu'ils doivent approcher de la sainte Eucharistie. Que cette pratique est autorisée par l'Ecriture sainte, par la docrtine des saints Peres, par les Canons de l'Eglise, & par l'exemple des Saints, & des personnes de pieté. 168
Chap. XVII. Qu'il faut aussi conseiller aux gens mariez de garder la continence les jours de jeûne & de penitence. Que cela doit neanmoins se faire d'un commun consentement. 185
Chap. XVIII. Qu'il est naturel aux gens mariez de desirer d'avoir des enfans ; qu'il faut qu'ils reconnoissent qu'ils sont un don du Ciel. Pour quelle fin ils doivent desirer d'en avoir. Que les maris & les femmes qui souhaittent qu'il n'en naisse point de leur Mariage, sont coupables aux yeux de Dieu. Que ceux qui éteignent le fruit qui est conçû, & qui procurent des avortemens, sont des homicides. 202
Chap. XIX. Du soin que les peres & les meres doivent avoir de faire baptiser leurs enfans nouveaux nez ; qu'ils sont obligez de choisir d'honnêtes gens pour être leurs parrains & marraines ; qu'il faut qu'ils leur donnent des noms par des sentimens de pieté & de religion, & non point par caprice, ni pour des raisons humaines. 209
Chap. XX. Qu'il n'y a rien qui soit plus recommandé aux peres & aux meres dans l'Ecriture, par les saints Peres, & par les Conciles, que de donner une bonne éducation à leurs enfans. 220
Chap. XXI. Suite de la même matiere. L'on prouve par les principes de S. Jean Chrysostome, que l'éducation chrétienne des enfans est la plus grande & la plus essentielle des obligations des Fideles qui vivent dans le Mariage. 243
Chap. XXII. De quelle maniere il faut
élever les enfans pour leur donner une éducation chrétienne. 258
Chap. XXIII. Comment il faut que les peres & les meres conduisent leurs enfans lorsqu'ils sont grands ; qu'ils doivent les aimer d'un amour non seulement naturel, mais saint & chrétien ; qu'ils sont obligez de consentir qu'ils les quittent, & qu'ils se separent d'eux pour servir Dieu, & pour travailler à leur salut. 276
Chap. XXIV. Que les peres & les meres sont obligez d'avoir soin de pourvoir leurs enfans, & de les marier, lorsqu'ils sont portez au Mariage. Mais qu'ils ne doivent jamais les forcer, ni les contraindre dans le choix d'une condition. 298
Chap. XXV. Que les peres & les meres sont obligez de garder l'égalité entre leurs enfans autant que cela leur est possible. 309
Chap. XXVI. Que les peres & les meres doivent bien prendre garde de ne pas tomber dans l'avarice à l'occasion de leurs enfants ; & que l'amour qu'ils leur portent ne justifie & n'excuse point leur avidité pour les biens de la terre. 322
Chap. XXVII. Comment les gens mariez sont obligez de se conduire dans leurs familles, & à l'égard de leurs domestiques. 339
Chap. XXVIII. Les devoirs & les obligations des maris envers leurs femmes ; qu'ils doivent les aimer, les défendre, & les proteger; leur témoigner de la douceur & de la bonté, & qu'il leur est défendu de les traiter d'une maniere imperieuse, & de leur faire aucune violence. 357
Chap. XXIX. Suite de la même matiere : Que les maris sont obligez de préceder leurs femmes dans le chemin de la vertu; qu'ils doivent pourvoir à leurs besoins corporels & spirituels, & reprimer leurs passions ; qu'il leur est défendu de les mépriser ; qu'ils doivent se familiariser avec elles, & prendre garde neanmoins de ne se laisser pas conduire & dominer par elles. 369
Chap. XXX. Les devoirs et les obligations des femmes envers leurs maris. Elles sont obligées de les honorer & de les respecter ; elles doivent leur obéir & leur être soumises, quand même ils seroient fâcheux & de mauvaise humeur. 382
Chap. XXXI. Suite de la même matiere. Les femmes doivent porter leurs maris à la pieté, & les gagner à Dieu par leurs discours, & encore plus par leur sagesse & par l'exemple de leur vie sainte & édifiante ; elles ne sçauroient faire des aumônes considerables, ni disposer de leurs biens sans leur consentement. 397
Chap. XXXII. Comment les femmes mariées doivent être vêtues ; sçavoir si les ornemens du monde leur sont permis. 408
Chap. XXXIII. Qu'il y a beaucoup de femmes qui se servent du prétexte de leurs maris, & qui abusent de leur nom pour couvrir leur vanité, & pour excuser leur luxe ; qu'elles doivent chercher à leur plaire, plûtôt par leurs mœurs & par leur vertu, que par leurs habits, & par leurs ornemens exterieurs. 419
Chap. XXXIV. Que les femmes sont obligées de se conserver pendant leur grossesse ; qu'il faut qu'elles regardent les douleurs de l'enfantement comme une partie de leur penitence. Quelles pensées elles doivent avoir, lorsqu'elles se presentent à l'Eglise pour être purifiées après leurs couches. 428
Chap. XXXV. Que les meres qui n'ont point d'empêchement legitime, doivent nourrir leurs enfans de leur propre lait; que les saints Peres blâment celles qui s'en exemptent par de vains prétextes, & par des raisons qui ne sont fondées que sur leur amour propre. 436
Chap. XXXVI. Des tribulations qui accompagnent presque toujours le Mariage ; & de l'usage que les gens mariez en doivent faire. 452
Chap. XXXVII. Pour quelles causes il peut être permis aux gens mariez de se
separer & de faire divorce. 457
Chap. XXXVIII. Qu'il y a une espece de separation qui est tres-sainte, parce qu'elle se fait par pieté, & pour tendre à la perfection. 469
Chap. XXXIX. Que les maris & les femmes ne doivent point trop s'affliger à la mort les uns des autres. Par quels moyens ils peuvent faire connoître que l'amour qu'ils ont eu les uns pour les autres étoit sincere & legitime. 476
Chap. XL. Regles de conduite pour les gens mariez, tirées de tout ce qu'on leur a representé dans cet Ouvrage. 487
Fin de la Table.
Cul de lampe.

Bandeau décoratif. LA VIE DES GENS MARIEZ, ou LES OBLIGATIONS DE CEUX QUI S'ENGAGENT DANS LE MARIAGE, Prouvées par l'Ecriture, par les saints Peres, & par les Conciles. Filet simple.

CHAPITRE PREMIER.

De la grandeur de l'excellence du Mariage.
Lettrine "I" encadré, ornée de deux plantes.
I L s'est autrefois élevé plusieurs Héresies differentes au sujet du Mariage.  Marcion & ses Sectateurs vouloient absolument l'abolir, & faisoient tous leurs efforts pour en détourner les hommes : ce qui donna lieu à Tertullien de les comparer 2 à Pharaon : en effet, ils étoient presque aussi criminels que ce Prince réprouvé ; parcequ'encore qu'ils ne trempassent pas comme lui leurs mains dans le sang Lib. I advers. Marc. c. 29. des enfans nouveaux-nez, ils les empêchoient au moins de venir au monde ; ce qui causoit un égal préjudice au genre humain. Les Manichéens soûtenoient que ceux qui avoient été baptisez ne Aug. lib. de Morib. Manich. c. 35. pouvoient plus user du Mariage, ni des biens de la terre.  Saint Augustin parle de plusieurs autres Hérétiques qui en témoignoient une extrême aversion parcequ'Adam s'en étoit abstenu pendant l'é Lib. Aug. de Hæres. 25.31.40. tat d'innocence, & n'en avoit usé qu'aprés le peché ; il dit qu'ils le comparoient même à la fornication.
Le Moine Jovinien tomba dans une erreur toute opposée ; car il éleva tellement le Mariage, qu'il osa l'égaler à la Virginité : il enseigna publiquement que les Vierges les plus pures n'ont pas plus de mérite dans leur état que les femmes Hier. lib. I. advers. Jovinien. Aug. lib. de Hæres. Hæres. 82. & lib. 2. retract. c. 22. mariées qui se conduisent avec honneur dans le Mariage ; il séduisit par ses faux raisonnemens plusieurs saintes filles dans la Ville de Rome, & les porta à se marrier : ce qui lui attira l'indignation de tous les fideles, & obligea saint Jerôme & saint Augustin à le refuter comme un Héretique tres-pernicieux.
L'Eglise Catholique s'est toûjours é 3 loignée avec beaucoup de soin de la doctrine corrompue de ces differens Héretiques : car elle a soutenu d'un côté que le Mariage est inferieur en gloire & en mérite à la Virginité ; & de l'autre elle a declaré qu'il est bon & permis, & même tres-saint, si on le considere en lui-même, & qu'on en separe les défauts que les gens charnels ont coûtume d'y mêler.  Et l'on voit que les saints Peres, même les plus austeres, ont également témoigné leur zele, lorsqu'il a été question de publier les louanges de la Virginité, & de défendre l'honneur & la gloire du Mariage.
Ce sont deux erreurs, dit saint Augustin ; d'égaler le Mariage à la Virgi Lib. de Virg. c. 19. nité, ou de le condamner comme quelque chose de mauvais: car nous sommes certains par l'évidence de la raison & par l'autorité des saintes Ecritures, que les nôces ne sont point un peché, & qu'elles ne doivent pas être mises en parallele avec la Virginté, ni même avec la Viduité.
Les regles de la doctrine Apostolique, Epist. ad Celanc. c. dit un autre Pere de l'Eglise, n'égalent point, comme fait l'Heretique Jovinien, le Mariage à la continence : mais elles ne le condamnent pas aussi avec l'Héretique Manichéen. Saint Paul ce Vase d'élection, le Maître des Gentils,  4 marche & tient le juste milieu entre ces deux extrémitez ; car d'une part il accorde un remede à ceux qui ne sont pas en état de garder la continence, & de l'autre il porte les hommes à cette vertu par l'esperance de la récompense qu'il promet à ceux qui l'embrasseront.
Ainsi comme j'ai employé les premiers Chapitres du Traité de la Vie des Vierges, que j'ai ci-devant donné au public, à expliquer la grandeur & l'excellence de la Virginité, afin de faire comprendre aux Vierges Chrétiennes qu'elles sont obligées de mener une vie tressublime & tres parfaite, si elles veulent répondre à la sainteté de leur vocation : je croi2 qu'il est à propos de faire maintenant la même chose en faveur du Mariage, & de prouver aux Fideles que cet état est non seulement honnête & permis, mais saint & d'un grand mérite devant Dieu, lorsqu'on s'y conduit selon les maximes de l'Evangile, afin que ceux qui s'y engagent, ne puissent pas se plaindre de moi dans la suite, ni m'accuser d'être trop severe, lorsque je leur parlerai de la grandeur de leurs obligations.
Si l'antiquité & l'origine d'une chose sert à la rendre recommandable, il est certain que le mariage doit être dans une grande véneration ; car il a commencé avec le monde, comme on le voit dans 5 l'Ecriture ; & c'est Dieu même qui en est l'Auteur, puisqu'il a donné Eve à Adam pour lui servir d'aide, & pour le secourir, & qu'il a voulu qu'ils fussent deux dans une seule chair : ce qui marque, disent les saints Peres, l'union & la societé du mariage.
Si de l'état de la nature l'on passe à la Loi écrite, l'on comprendra encore plus parfaitement qu'il faut que sa dignité soit bien grande, puisque Dieu s'est appliqué à y marquer & à y regler tout ce qui le concerne, qu'il l'a comblé de plusieurs benedictions differentes, qu'il a fait des promesses magnifiques à ceux qui y vivroient saintement, & qu'il a menacé au contraire de supplices fort grands ceux qui le soüilleroient & le deshonoreroient par leur vie impure.
Mais c'est principalement sous la Loi Evangelique que le Mariage est monté au comble de grandeur & de gloire où nous le voyons maintenant : car JESUS‑CHRIST  l'a honoré de sa présence, s'étant trouvé aux nôces de Cana ; il y a fait un grand miracle, afin de marquer qu'il l'aprouvoit ; il l'a élevé à la dignité de Sacrement de son Eglise, & il a voulu qu'il fût une source de graces Eph 5.37. pour tous ceux qui s'en approcheroient avec les dispositions necessaires. Et aussi S. Paul n'en parle qu'en termes tres‑ 6 honorables ; il nous assure qu'il est le Sacrement & le signe de l'union sacrée qui Heb. 13. 4. subsiste entre JESUS-CHRIST & son Eglise ; il soûtient qu'il est saint, & qu'il doit être traité avec toute sorte d'honneur & de respect.
Les saints Peres qui étoient instruits des maximes & des veritez de l'Ecriture, n'ont pas manqué de nous expliquer fort au long toutes les prérogatives de cet état, & de nous en faire des descriptions tres-amples & tres-propres à nous donner une tres-haute idée de sa grandeur & son excellence.
Tertullien défendant la cause de l'Eglise contre l'Hérétique Marcion qui condamnoit le Mariage, comme on l'a déja observé, dit qu'à la verité les nôces Lib.I.adversus Marc. c. 9. sont inférieures à la Virginité ; mais qu'elles ne laissent pas d'être bonnes par elles-mêmes, & dignes de toutes sortes de loüanges ; qu'on ne doit pas s'imaginer qu'on ne les reçoive, & qu'on ne les tolere que comme un moindre mal en comparaison de la fornication & de l'adultere qui sont de grands crimes ; & qu'il faut bien prendre garde de ne les pas improuver, sous prétexte qu'il y a des gens qui en font un mauvais usage, & qui s'en servent pour contenter leurs passions : comme on n'a pas droit de condamner, ni de rejetter les alimens 7 que l'on prend, & les habits que l'on porte, parcequ'il y a des personnes déreglées qui les font servir à leur sensualité, à leur vanité & à leur ambition.
Saint Augustin dit aussi que le Mariage est un bien absolument parlant, & en le considerant en lui-même, & non pas seulement en le comparant à l'impureté; il ajoûte avec Tertullien qu'il y auroit Lib. de bono conjug. c. 8 de l'injustice à le condamner, à cause qu'il se trouve des gens qui le deshonorent par leur conduite peu reglée, & qui ne demeurent pas dans les bornes que l'honnêteté prescrit ; qu'on doit en ces rencontres distinguer la sainteté de l'état, de la corruption de ceux qui en abusent ; qu'il faut reconnoître qu'il ne laisse pas d'être saint, quoiqu'il y ait des personnes qui s'y perdent; & qu'en juger autrement, ce seroit confondre l'innocent avec le coupable, & faire tomber sur le juste la punition que merite le pecheur.
Ce saint Docteur passe encore plus avant; car il enseigne que le Mariage est si grand & si excellent, que bien loin de mériter d'être condamné à cause du mauvais usage que les hommes en peuvent faire, il devient pour eux un remede sa Lib. 9. de Genes.ad. Litter. c. 7. lutaire ; qu'il guerit leurs passions, qu'il modere leur concupiscence, qu'il la contient dans le devoir, qu'il la rend en 8 quelque maniere honnête & loüable, en l'obligeant de ne servir qu'à la naissance légitime des enfans ; & qu'il est pour eux Lib. de bono conjug. c. 3. Ep. 287. un lieu d'azile & un port assuré, où ils sont à l'abri des attaques de l'incontinence, & où ils peuvent mener une vie paisible & tranquille.
Saint Jerôme demeurant aussi d'accord Lib. I. advers. Jovin. qu'il est inferieur à la Virginité, dit ingenieusement qu'il en est neanmoins le pere, parceque c'est dans son sein que les Vierges prennent naissance : ce qui contribue merveilleusement à sa gloire.
Saint Augustin dit qu'au même tems Lib. 9. de Genes. ad Litt. c.7. qu'il reprime l'incontinence, il releve, il orne, il sanctifie la fecondité de la nature ; parcequ'il en tire des creatures intellectuelles qui louent & qui benissent le Createur de l'Univers.
Tertullien ajoûte que c'est lui qui fait Lib. I. ad uxor. c. 2. subsister le genre humain, & que sans lui il périroit.
Saint Basile nous assure qu'il rend, Lib. de Virg. pour ainsi dire, à chaque homme en particulier l'immortalité qu'il avoit perdue en se révoltant contre Dieu ; parcequ'en lui donnant des enfans, il le fait survivre à lui-même, & qu'il lui fournit le moien de rendre en quelque maniere son nom éternel, & de garantir son être de la corruption dans laquelle il devoit tomber pour peine du peché.
9
Mais les saints Peres nous parlent de trois biens, & de trois grands avantages qui accompagnent le Mariage, & qui servent de fondement à la plûpart des loüanges qu'ils lui donnent.  Il y a, dit Lib.9. de Genes. ad Litter. c. 5. & lib. de bono conjug. c. 24. saint Augustin, trois choses excellentes dans les nôces, qui contribuent à leur gloire, & qui font leur plus grand bonheur.  La foi que le mari & la femme se gardent réciproquement; les enfans qu'ils mettent au monde, & l'union sainte qu'ils contractent ensemble.
Les gens mariez sont obligez de se rendre mutuellement le devoir, d'observer de certaines regles dans l'usage du Mariage, & de ne rien faire au préjudice de la fidelité qu'ils se promettent.
Il faut qu'ils aient un grand amour pour leurs enfans, afin de les suporter dans leurs premieres foiblesses ; & lorsqu'ils ne sont presque distinguez des autres animaux, que par l'esperance de ce qu'ils doivent être un jour à venir; qu'ils soient pleins de douceur & de patience, afin de les élever chrétiennement, & de ne se pas rebuter des peines infinies qui sont comme une suite necessaire de leur éducation ; & qu'ils s'appliquent de tout leur pouvoir à les porter à honorer & à servir Dieu pendant toute leur vie.
Il est enfin necessaire qu'ils soient unis ensemble par un lien indissoluble, afin 10 que leurs enfans ne soient pas exposez à manquer de conduite, & à être abandonnez, sur-tout dans leur premiere jeunesse ; & qu'ils soient eux-mêmes obligez de se consoler, & de s'assister les uns les autres dans les disgraces, dans les tribulations & dans les maladies qui leur surviennent, & principalement dans la vieillesse, qui est la plus grande de toutes les infirmitez.
Voilà, à proprement parler, en quoi consiste la veritable grandeur & l'excellence du Mariage. Il donne une sainte liberté à ceux qui le contractent, mais il ne veut pas qu'ils en abusent: il leur permet de se désalterer dans le torrent des eaux qui coulent dans le monde ; mais il leur défend de les troubler par leur conduite déréglée : il leur marque jusques où peut s'étendre la condescendance dont on use à leur égard ; mais il ne les approuve pas lorsqu'ils la portent trop loin ; il condamne au contraire tout ce qu'ils font au-delà des bornes qui leur sont prescrites.
Il leur donne des enfans; mais c'est à condition qu'ils les donneront eux-mêmes à Dieu, & qu'ils auront soin de les élever d'une maniere chrétienne, & de les former à la vertu.
Il les unit par la plus étroite & la plus inviolable de toutes les unions; mais c'est 11 afin qu'ils soient indispensablement engagez à se secourir & à se servir les uns les autres, & qu'ils entrent en partage aussi-bien de leur mauvaise que de leur bonne fortune.
Et parcequ'ils ne seroient pas en état par eux mêmes de satisfaire à tous ces devoirs differens, il attire sur eux les graces & les benedictions du Ciel, qui les soûtiennent ; qui moderent l'ardeur de leur concupiscence, & qui leur donnent la force de résister à leurs passions, & de les surmonter.
Les saints Peres ne se sont pas contentez de nous expliquer la grandeur & les prérogatives du Mariage ; mais ils ont réfuté ceux qui pour le faire moins estimer qu'il ne merite, affectoient de le representer comme un état dangereux pour le salut, & qui en éloigne la plûpart de ceux qui s'y engagent. C'est pourquoi saint Augustin déclare que ce seroit abuser des termes de l'Ecriture sainte, que de se servir de ce qu'elle dit en l'honneur des Vierges, pour blâmer le Mariage, & pour en diminuer le mérite. Lib. de bono conjug. c.11. Quoique l'Apôtre, écrit-il, ait dit qu'- une Vierge & celle qui n'est point mariée s'occupe du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps & d'es 1. Cor. c. 34. prit; il ne faut pas conclure qu'une femme mariée qui garde la chasteté conju  12 gale, ne soit pointe sainte de corps: car c'est à tous les fideles qu'il est dit : Ne 1. Cor. c. 19. sçavez-vous pas que vos corps sont le Temple du Saint Esprit, qui reside en vous, & qui vous a été donné de Dieu? Les corps de gens mariez qui se gardent la foi l'un à l'autre, & qui rendent à Dieu ce qui lui est dû, sont donc saints & venerables. L'infidelité même de l'un d'eux n'empêche point que l'autre ne soit saint : le même Apôtre nous apprend au contraire que la sainteté de la femme devient souvent utile à son mari infidele, & que la sainteté du mari sert aussi à sa femme qui est infidele ; 1. Cor. c. 74. car il est dit, que le mari infidele est sanctifié par la femme fidele, & que la femme infidele est sanctifiée par le mari fidele. Ainsi il faut demeurer d'accord que cette parole de saint Paul marque seulement que la sainteté des Vierges est plus grande que celle des femmes mariées ; mais il ne s'ensuit point que celles-ci ne soient pas saintes, & on auroit tort de prétendre qu'elles ne s'occupent jamais des choses du Seigneur, sous prétexte qu'elles ne sont pas en état de le faire aussi souvent que les Vierges.
Saint Jean Chrysostome parle de Lib. de Vir. c. 10. cette matiere avec beaucoup plus d'étendue que les autres Peres ; c'est pourquoi il est bon d'expliquer en particulier 13 sa doctrine. Il dit que le Mariage est le port de la continence pour ceux qui en veulent bien user, & qu'il empêche que nôtre nature ne devienne toute farouche & toute sauvage.
Il rapporte en une de ses homelies sur l'Ecriture sainte ces paroles du Chapitre V.  de la Genèse, selon la version des Septante : Henoch ayant vêcu cent soi Vers. 21. 22. 23. 24. xante & cinq ans engendra Mathusalem: or Henoch plut à Dieu ; & après avoir engendré Mathusalem, il vêcut deux cens ans, & il engendra des fils & des filles. Tout le tems qu'Henoch vêcut fut de trois cens soixante & cinq ans, & Henoch plut à Dieu, & il ne parut plus, parceque Dieu le transporta ailleurs; & ensuite il parle ainsi: Que les hommes & les fem Homil. 21. 2. Genes. mes écoutent ce que dit l'Ecriture de la grande vertu de cet homme juste, & qu'ils ne s'imaginent pas aprés cela que le Mariage empêche ceux qui s'y engagent, de plaire à Dieu ; car le texte sacré dit par deux fois qu'il plut à Dieu aprés avoir engendré Mathusalem, & plusieurs autres enfans, afin d'ôter tout prétexte de croire que le Mariage détourne de la vertu. En effet, si nous veillons exactement sur nous‑mêmes, ni l'éducation des enfans, ni le Mariage, ni rien autre chose, ne pourra nous faire encourir la disgrace  14 de Dieu. Cet homme étoit de même nature que nous, il n'avoit point lû la loi, parce qu'elle n'étoit pas encore promulguée ; il n'avoit point été instruit par les Ecritures, puisqu'elles n'ont été données aux hommes que tres-long tems aprés lui ; & il n'avoit point reçû plusieurs autres secours semblables, qui auroient pû lui inspirer le desir & l'amour de la vertu & de la sagesse: mais il s'y est porté comme de lui-même, & par son propre choix; & il s'est tellement rendu agréable à Dieu qu'il vît encore, & qu'il n'a point jusqu'à present été soûmis à l'empire de la mort.
Si le Mariage, mes chers freres, ajoûte ce saint Docteur, & l'éducation des enfans étoient un obstacle à la vertu, Dieu n'auroit point voulu que les hommes se mariassent ; au contraire il les en auroit détournez, afin de les garantir du préjudice qu'ils auroient pû recevoir de la vie conjugale qui les engage indispensablement à tant de devoirs differens. Mais bien-loin que le Mariage nous empêche de penser à Dieu, & de le servir, il nous procure de tres-grands avantages, lorsque nous usons de violence sur nous-mêmes ; car en réprimant l'impetuosité de nôtre nature, il nous empêche d'ê 15 tre troublez par nos passions comme une mer orageuse, & il nous fait arriver heureusement au port : c'est pour cela que Dieu n'en a pas voulu priver le genre-humain, & qu'il le lui a accordé pour lui servir de consolation au milieu des maux qui l'accablent de toutes parts. La vie de cet homme juste rend témoignage à la verité de tout ce que je dis ; car l'Ecriture marque qu'il a plû à Dieu aprés même avoir engendré Mathusalem; & ce qui est tres-considerable, elle ajoûte qu'il n'a pas seulement marché pendant peu de tems dans le chemin de la vertu ; mais qu'il y a perseveré tout le reste de sa vie, qui a encore duré deux cens ans.
Saint Chrysostome combat encore tres‑fortement dans une autre de ses Homelies ceux qui s'imaginent que le Mariage rend le Salut impossible, ou au moins tres-difficile; & qui disent, lorsqu'on les presse de bien vivre, & de regler leurs mœurs, qu'ils ne le peuvent faire à moins qu'ils ne se separent de leurs femmes, qu'ils n'abandonnent leurs enfans, & qu'ils ne renoncent à toutes sortes d'affaires. Il leur represente, pour les détromper de cette erreur, que plusieurs grands personnages ayant été engagez dans la vie conjugale, sont cependant montez au plus haut degré de la sainteté & de la 16 perfection Evangelique. Qu'Isaïe a été Homil 4 de verb. Isaia, Vid. Domin. marié, & que cependant cela ne l'a point empêché d'être Prophete, & de recevoir la plenitude de l'esprit de Dieu ; que Moïse ayant aussi été marié n'a pas laissé d'operer de grands miracles, de fraper le rocher, & d'en faire sortir de l'eau, d'obscurcir l'air & le remplir de tenebres, de parler familierement avec Dieu, & d'arrêter le cours de sa colere : qu'Abraham ayant une femme est neanmoins devenu le pere de tous les fideles, & de l'Eglise même ; qu'Issac a été en même tems le fruit de son mariage, & la matiere de son admirable sacrifice; & qu'on a vû en sa personne qu'il n'est pas impossible d'avoir un grand amour, & pour Dieu & pour ses enfans ; que la mere des Machabées, quoique mariée, s'est élevée au dessus de son sexe, qu'elle a eu le courage d'exhorter ses enfans au Martyre ; qu'elle l'a souffert sept fois en leur personne par la generosité de son zele, & par la ferveur de sa charité; & qu'elle a ellemême ensuite versé son sang pour la défense de la loi de son Dieu ; que S. Pierre aprés avoir eu une femme, a été choisi par J.C. pour conduire son Eglise, & pour en être le Chef; & que Philippe qui avoit aussi été marié, puisqu'il est parlé dans l'Ecriture de ses quatre filles, fut jugé digne par les Apôtres d'être élevé 17 à la dignité de Diacre, de prêcher l'E Act. 21. 9. vangile, & de porter avec eux une partie des travaux du ministere apostolique. Ce saint Docteur enseigne même, en Hom. 20. in Epist. ad Eph. expliquant l'Epitre aux Ephesiens, que non seulement le Mariage n'est point contraire à la pieté; mais que ceux qui y entrent avec des dispositions chrétiennes, & qui y vivent avec la chasteté & la retenue que demande un état si saint, ne sont pas beaucoup inférieurs aux Moines, ni à ceux qui passent toute leur vie dans le célibat.
C'est sans doute beaucoup dire, & relever merveilleusement le bonheur des gens mariez. J'espere neanmoins que les lecteurs qui considereront avec attention tout ce que je dois representer dans la suite de ce Traité, demeureront d'accord que ce Pere n'a pas poussé les choses trop loin, & qu'il n'a rien dit qui ne soit conforme à la verité : car la grandeur & la sainteté du Mariage impose de grandes obligations ; & quiconque s'en acquittera avec fidelité, méritera certainement beaucoup de louanges, & pourra en quelque maniere être comparé, non seulement aux Moines & aux Solitaires ; mais aussi aux plus saints personnages de l'antiquité, qui ont sçû allier la vie conjugale avec une pieté exemplaire & éminente.
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S'il m'étoit permis d'ajoûter à ces autoritez de l'Ecriture sainte & des Peres de l'Eglise le témoignage des loix civiles, je dirois qu'elles nous fournissent encore des preuves de la grandeur & de l'excel Lib.11.ff. de divortiis & repud. l. 2. ff. de actione rerum amotar. L. 2. cod. rerum amotar. lence du Mariage : car elles veulent qu'- on le respecte tellement, & qu'on lui porte tant d'honneur, que pendant qu'il dure, on ne permette pas à un mari d'accuser sa femme d'adultere, ni d'intenter contre elle aucune action capitale, & qui emporte infamie ; elles décident que celui qui la veut poursuivre extraordinairement, doit auparavant la répudier, & que s'il ne l'a pas fait, l'accusation qu'il forme contre elle, emporte avec soi la répudiation, & la tire de sa puissance.
Ces décisions célebres font voir que les anciens Romains avoient conçû une haute opinion du Mariage, qui n'étoit neanmoins parmi eux qu'une union naturelle & civile.  Que dire donc de celui des Chrétiens qui est saint, qui confere la grace, & qui appartient à un ordre surnaturel ? Il est certain qu'il est digne de toute sorte de respect & de veneration, & que ceux qui le deshonorent & le traitent avec mépris, sont tres-coupables, & meritent une punition tres-severe.
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CHAPITRE II.

Qu'il n'y a rien de plus malheureux que l'état de ceux qui entrent mal dans le Mariage, & qui ne s'y conduisent pas par les regles de la charité, & de la pieté chrétienne.
A Utant que le Mariage consideré en lui-même,est grand & excellent, comme on vient de le voir dans le Chapitre precedent, autant est grand & déplorable le malheur de ceux qui s'y engagent par de mauvais motifs, qui le prophanent par leur vie dereglée, & qui ne s'y conduisent que par le mouvement de leurs passions. Pour en être convaincu il n'y a qu'à écouter le Sage sur ce sujet.
Il nous assure qu'il n'y a point d'état plus rude ni plus fâcheux que celui d'un mari & d'une femme qui ne s'accordent pas ensemble, & qui vivent dans la discorde. La femme méchante, dit-il, est avec Eccl. 26. 10. 11. son mari, comme un joug de bœufs qui se battent ensemble : celui qui la tient avec lui est comme un homme qui prend un Scorpion. La femme sujette au vin sera la colere & la honte de son mari, & son infamie ne sera point cachée. La malignité de la fem Chap.25. 17 22. me est une malice consommée : il n'y a point de tête plus méchante que la tête du Serpent, 20 ni de colere plus aigre que la colere de la Prov. 21. 9. 19. femme. Il vaudroit mieux demeurer en un coin sur le haut d'un logis, & dans une terre deserte, que d'habiter dans une maison commune avec une femme querelleuse, & Prov.27. 13. colere. La femme querelleuse est semblable à un toît, d'où l'eau dégoute sans cesse pendant l'hiver.  Il est plus avantageux, dit-il encore, de demeurer avec un lion & avec un dragon, que d'habiter avec une Eccli. 25. 23. 31. & 32. méchante femme.  Elle est l'affliction du cœur, la tristesse du visage, & la playe mortelle de son mari, l'affoiblissement de ses mains, & la debilité de ses genou ; c'est‑à-dire, qu'elle l'accable d'affliction, & que la tristesse qu'elle lui cause, ruine sa Cap. 7. 27. santé, & le jette dans la langueur. C'est pourquoi il prononce qu'une telle femme est plus amere & plus difficile à supporter que la mort même, & qu'elle ne doit être le partage que des méchans & Cap. 25. 26. des pecheurs, afin de les punir & de les tourmenter.
A la verité il n'est parlé dans ces lieux de l'Ecriture que de la malice & du déreglement des femmes : mais il est visible que la mauvaise humeur & les vices des maris ne sont pas moins à craindre, ni moins propres à troubler l'union qui doit regner entre des personnes si proches ; & par consequent il faut leur appliquer tout ce que le S.Esprit dit contre l'empor- 21 tement de leurs femmes, & conclure de toutes ces sentences du Sage, qu'un Mariage où ne regne pas la paix, est un veritable supplice, & une espece d'enfer pour ceux qui s'y trouvent engagez.
Et aussi les saints Peres soûtiennent que le démon qui avoit dépoüillé Job de tous ses biens, & lui avoit enlevé ses enfans, ne lui laissa sa femme, qui étoit une impie, que pour contribuer à le tourmenter & à le persecuter. Satan, dit saint Tract. 6. in. Epist. Jean. Augustin, conserva à Job sa femme, non pas pour le consoler, mais pour le tenter.  Il s'en servit comme d'un instrument funeste, dit aussi saint Ambroi Libelle de arbor interd. Lib. 23. moral 6. 1. se, pour contenter sa rage contre lui. Saint Gregoire Pape déclare que ce malin esprit ne crut pas que ce fut assez l'affliger que de faire perir ses troupeaux, de lui enlever ses serviteurs, d'ensevelir ses enfans sous la ruine d'une maison, & de frapper tout son corps d'une playe horrible; mais qu'il lui reserva sa femme afin qu'elle mît le comble à ses maux, & qu'elle lui suscitât la plus grande de toutes les persecutions.
En effet, ce saint homme souffrit en paix toutes les disgraces qui lui arriverent: il n'en fut point ébranlé, il n'en fit aucune plainte : mais il ne put garder le silence, lorsqu'il entendit les discours impies de sa femme qui lui insultoi t, & qui 22 vouloit le porter à maudir Dieu ; il lui dit, avec un zele plein de religion, mais qui témoignoit assez combien étoit Job. 2. 10. grand l'outrage qu'elle lui faisoit : Vous parlez comme une femme folle & insensée : si nous avons reçû les biens que Dieu nous a donnez, pourquoi ne recevrions-nous pas aussi les maux qu'il nous envoye ?
C'est en suivant ces maximes de l'Ecriture que saint Jean Chrysostome enseigne, que le mariage devient une source de malheurs pour ceux qui en usent Hom. de libello repudii. mal. Comme il arrive souvent, dit-il, que la femme qui a été créée pour aider & secourir l'homme, lui dresse des pieges, & lui cause du préjudice ; ainsi le Mariage qui devroit servir à plusieurs de ports pour les mettre à couvert de la tempête, les y précipite assez souvent, non par sa nature ; mais par le mauvais usage qu'ils en font.
Ceux qui s'y conduisent d'une maniere sainte & légitime, ajoûte ce Pere, trouvent dans la retraite de leurs maisons & dans la compagnie de leurs femmes de quoi se consoler des maux & des disgraces qu'ils éprouvent dans le public & dans l'agitation du siecle. Mais lorsqu'on s'y engage témerairement, & sans consulter la volonté de Dieu, on a beau joüir au dehors d'un grand repos & d'une tranquillité par- 23 faite, on n'éprouve dans sa propre maison que des rochers & des écueils.
Il ne faut pas s'étonner que ce saint Docteur parle ainsi, ni qu'il use de termes si forts ; puisqu'il soûtient dans son Hom. 10. Commentaire sur l'Epitre aux Colossiens, qu'il n'y a rien de plus fâcheux, ni de plus difficile à supporter que les differends qui surviennent entre les maris & les femmes : parceque devant être unis par un amour pur & sincere, ils se portent aux derniers excès, lorsqu'ils viennent à se diviser, & à concevoir de l'animosité les uns contre les autres.
Mais il n'est pas necessaire de chercher d'autres preuves dans l'Ecriture & dans les saints Peres du malheur de ceux qui entrent mal dans le Mariage, & qui n'y vivent pas dans la crainte du Seigneur ; car on n'en fait tous les jours que trop de funestes experiences.  L'on voit des maris & des femmes qui se deshonorent, & qui se décrient dans le public ; qui se persecutent de la maniere la plus outrageuse, & qui attentent quelquefois à la vie les uns des autres.
Et lorsqu'ils ne se portent pas à ces extrémitez, soit parcequ'ils ne sont pas assez corrompus pour s'abandonner encore à de tels crimes, ou qu'ils veuillent ménager leur réputation, & éviter la severité des loix qui punissent ces sortes 24 d'attentats, ils se chagrinent, ils se fatiguent par leurs mauvaises humeurs, ils n'ont point de déference les uns pour les autres ; il suffit que l'un desire une chose pour que l'autre s'y oppose ; ils prétendent chacun que leur volonté l'emporte, & ils aiment mieux tout ruiner & tout renverser dans leur ménage, que de se ceder mutuellement en quoi que ce soit.  Leurs passions se trouvant presque toûjours opposées, & étant resolus de les suivre, ils tombent dans des égaremens déplorables ; ils se regardent les uns les autres comme leurs plus cruels ennemis ; ils ne cherchent qu'à se faire de la peine, & à se venger par toutes sortes de moiens.
Ne trouvant point de paix dans leur domestique, il se répandent dans les compagnies du siecle ; il se plaisent à converser avec des étrangers, ils lient avec d'autres personnes des amitiez qui leur deviennent dans la suite tres-funestes.  De-là naissent les jeux immoderés, les divertissemens mondains, les spectacles, les dépenses superflues, les froideurs, les soupçons, les jalousies, les adulteres, & les autres désordres qui ne sont que trop publics.
Ceux qui connoissent le monde & qui le frequentent, en sçavent encore plus sur cette matiere que je n'en puis dire. 25 Ainsi sans s'y arrester davantage, il faut finir ce Chapitre par ces paroles de Salomon : Un peu de pain avec la joie vaut Prov.17. 1. mieux qu'une maison pleine de victimes avec des querelles ; c'est-à dire, que quelques riches que soient les gens mariez, & quelques avantages qu'ils puissent posseder sur la terre, s'ils n'ont pas la paix entr'eux, & s'ils se laissent aller à des querelles & à des divisions frequentes, leurs dignitez, leurs richesses & toutes leurs commoditez temporelles ne leur servent presque de rien, & ne sçauroient être mises en parallele avec les peines & les chagrins qu'ils éprouvent dans leurs familles, & qu'ainsi elles n'empêchent point qu'ils ne soient tres-malheureux : car le même Salomon dit que la tristesse 1.Prov. 15. 13. & cap 17. 21. & cap. 25. 20. de l'ame abbat l'esprit, & desseiche les os ; & que comme le ver mange le vêtement, & la pourriture le bois, de même la tristesse de l'homme lui ronge le cœur. Au contraire lorsqu'ils vivent en paix & dans l'union, & qu'ils se consolent & s'assistent les uns les autres, ils peuvent goûter une joie sincere & veritable, & être par consequent heureux, quand même ils seroient tres-pauvres; parce que Prov. 15. 13. 15. & cap. 17. 22. le Sage nous apprend encore que la joie du cœur & de l'esprit se répand sur le vi sage, & rend le corps plein de vigueur, & que l'ame tranquille est comme un festin continuel.
26 Bandeau.

CHAPITRE III.

Quelles sont les fins que les Chrétiens doivent se proposer, lorsqu'ils s'engagent dans le Mariage.
PUISQUE j'ai resolu d'expliquer dans ce Traité les obligations des gens mariez, afin de contribuer autant que j'en seray capable à leur sanctification & à leur salut éternel, je croi qu'il faut d'abord leur marquer quelle est la fin légitime qu'ils peuvent se proposer en s'engageant dans le Mariage ; car quelque saint que soit un état, on s'y perd, & on s'y damne, lorsqu'on y entre par de mauvais motifs, & qu'on s'en sert pour contenter ses desirs illicites. Or l'Ecriture & les saints Peres nous apprennent qu'il y a deux fins pour lesquelles les hommes peuvent se porter au Mariage : l'une pour entretenir la succession du genre humain, & pour avoir des enfans qui benissent & qui servent le Seigneur ; l'autre pour mettre leur pureté à couvert, & pour arréter l'impetuosité de leurs passions. La premiere est la principale & la plus légitime ; ainsi c'est par elle que je commencerai ce Chapitre.
Nous lisons dans l'Histoire sainte, qu'après que Dieu eut formé la femme, 27 & qu'il l'eut donnée à Adam pour être sa compagne, il les benit l'un & l'autre, & qu'il leur dit: Croissez, multipliez, & Gen. 1. 28. remplissez la terre. Ce qui prouve que le Mariage dans sa premiere origine, a été institué pour la génération légitime des enfans ; & que c'est la fin principale que doivent avoir en vûe ceux qui desirent suivre l'institution de Dieu, & se conduire par son esprit, lorsqu'ils s'y engagent.
Les Patriarches & tous les Justes de l'ancien Testament3 en étoient tres fortement persuadez ; car les saints Peres remarquent qu'ils ne se marioient que dans le dessein d'avoir des enfans, & pour obéir à la Loi écrite, qui vouloit que chacun contribuât à augmenter le nombre des serviteurs du grand Dieu vivant, & de ceux qui devoient avoir part à son Lib. de bono viduitatis. c. 7. alliance. Afin, dit saint Augustin, que le peuple de Dieu s'étendît & se multipliât, la Loi prononçoit malédiction contre tous ceux qui ne suscitoient point des enfans dans Israël. C'est pourquoi les saintes femmes de ce tems-là se marioient, non pour suivre les desirs & les mouvemens de la chair, mais afin d'avoir des enfans;& il y a tout lieu de croire que si elles avoient pû en avoir d'une autre maniere, elles n'auroient jamais pensé à user du Mariage.  28 C'est pour cette même raison qu'il étoit alors permis aux hommes d'avoir plusieurs femmes.
Les saints personnages de l'ancien Lib. de bono conjug. c.20. Testament, dit encore ce Pere, ne cherchoient en se mariant qu'à avoir des enfans, & ils ne desiroient en avoir que par rapport à Jesus-Christ, lequel ils prophetisoient par leurs Mariages, ou qu'ils esperoient en pouvoir naître ; ainsi nos Vierges bien loin de les mépriser, doivent croire qu'elles leur sont tres-inferieures.
Mais entre tous les Justes4 qui ont paru avant nôtre Seigneur, Tobie est celui qui a fait connoître plus clairement que le desir seul de donner naissance à des enfans qui adoreroient le vrai Dieu, le déterminoit à entrer dans le Mariage : c'est pourquoi il faut rapporter en particulier ce que l'on voit dans l'Ecriture touchant sa conduite. Ayant appris que la jeune Sara fille de Raguel, avoit déja eu sept maris, qui avoient tous été tuez par le démon, il fit difficulté de l'épouser, de crainte qu'il ne lui en arrivât autant. Mais l'Ange Raphaël qui l'accompagnoit & le conduisoit, lui déclara que le démon n'a du pouvoir que sur ceux qui s'engagent par sensualité dans le Mariage, & que pour lui, s'il n'avoit dessein en prenant Sara pour sa femme, que 29 d'avoir des enfans, il ne devoit point apprehender la cruauté de cet esprit infernal.  Ecoutez-moi, lui dit-il, & je Tob. 6. 1. 17. 18. 22. vous apprendrai qui sont ceux sur qui le démon a du pouvoir. Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le Mariage, qu'ils bannissent Dieu de leur cœur & de leur esprit, & qu'ils ne pensent qu'à satisfaire leur brutalité, comme les chevaux & les mulets qui sont sans raison, le démon a pouvoir sur eux.  Mais pour vous, après que vous aurez épousé cette fille, étant entré dans la chambre, vivez avec elle en continence pendant trois jours, & ne pensez à autre chose qu'à prier Dieu avec elle. La troisiéme nuit étant passée, vous prendrez cette fille dans la crainte du Seigneur, & dans le desir d'avoir des enfans, & non point par aucun mouvement de passion, afin que vous puissiez avoir part à la benediction de Dieu, ayant des enfans de la race d'Abraham.
Il suivit le conseil de l'Ange ; car le Texte sacré porte qu'il dit à sa femme la premiere nuit de leurs nôces : Sara Cap, 8. 4. 5. & sequens. levez-vous, & prions Dieu aujourd'huy, & demain & après demain, parceque durant ces trois nuits nous devons nous unir à Dieu ; & après la troisiéme nuit nous vivrons dans notre Mariage, car nous sommes les enfans des Saints ; & nous ne devons par nous marier comme les Payens 30 qui ne connoissent point Dieu. Que s'étant levez tous deux, ils prierent Dieu avec grande instance, afin qu'il lui plût de les conserver en santé ; & qu'il fit cette admirable priere qui attira sur lui tant de bénédictions. Seigneur Dieu de nos Peres, que le Ciel & la Terre, la Mer, les Fontaines & les Fleuves, avec toutes vos creatures qu'ils renferment, vous benissent. Vous avez fait Adam d'un peu de terre & de boue, & vous lui avez donné Eve pour le secourir.  Vous sçavez, Seigneur, que ce n'est point pour satisfaire ma passion que je prens ma sœur pour être ma femme, mais dans le desir seul de laisser des enfans, par lesquels vôtre nom soit beni dans tous les siecles.
Les saints Peres qui avoient toûjours devant les yeux les exemples des Patriarches & des grands personnages dont il est si souvent parlé dans l'Ecriture, ont crû être obligez d'enseigner à tous les Fideles qui vivent dans le siecle, que le desir d'avoir des enfans, est la premiere fin qu'ils doivent se proposer dans les Mariages qu'ils contractent.
Saint Ambroise expliquant cet endroit de l'Evangile, où il est marqué que sainte Elisabeth ayant conçû son fils après plusieurs années de sterilité, dit que Dieu l'avoit regardée avec des yeux L. c.I.25. de misericorde, en la tirant de l'opprobre 31 où elle étoit devant les hommes, ajoûte qu'en effet c'est une espece d'opprobre pour les femmes de ne voir point leur Mariage honoré & récompensé par la In cap. 2. Luc. naissance des enfans, puisque c'est pour cela seul qu'elles doivent se marier. Pudor est enim fœminis nuptiarum præmia non habere, quibus hæc sola est causa nubendi.
Saint Augustin dit aussi dans son Li Lib. de sancta Virg. c.7. vre de la Virginité, que les femmes vertueuses qui vivent dans la piété, ne prennent des maris que pour avoir des enfans, & qu'elles n'en desirent que pour les porter et les donner à Jesus‑Christ.
Il déclare dans un autre de ses Livres, que la génération des enfans est la pre Lib.2.de adulterinis conjug. c.21. miere fin, la fin naturelle, la fin legitime du Mariage : Propagatio filiorum ipsa est prima, & naturalis, & legitima causa nuptiarum.
Et lorsqu'il combat les Manichéens qui interdisoient l'usage du Mariage aux Lib. 19. contra Faustum Manich. c. 26. & lib. 30. c. 6. Chrétiens après leur Baptême, & qui étoient ainsi cause qu'ils se portoient à des adulteres & à d'autres desordres tres-criminels, il leur dit : Vous n'empêchez pas par vôtre doctrine corrompue, qu'ils ne se précipitent dans l'impureté, mais vous les détournez seulement du Mariage ; & par conséquent 32 c'est à la naissance des enfans que vous vous opposez : car c'est la volupté seule qu'on recherche dans les conjonctions illicites, mais on ne se marie que pour avoir des enfans : cela est si vrai, qu'on ne regarde qu'eux seuls dans la plûpart des précautions qu'on prend, lorsqu'on passe des Contrats en ces rencontres.
Le Catechisme Romain parle en ces termes de cette fin que doivent se proposer ceux qui se marient. Le Maria De Sacramento matrim. § ge, dit-il, est appellé ainsi selon la signification du terme Latin, Matrimonium, parcequ'une femme ne doit principalement se marier que pour devenir mere ; & que les devoirs d'une mere sont de concevoir, de mettre au monde, & de nourrir des enfans. C'est‑Ibid. 5. là la véritable fin pour laquelle Dieu a institué le Mariage dès le commencement du monde.
Quoique cette doctrine soit tres-constante, il est neanmoins vrai de dire, qu'il y a une fin seconde & moins principale qui peut porter les Fideles à se marier. C'est lorsqu'ils ne sont pas capables de la continence ; car le Maria I. Cor.7. I. 2. & sequent. ge devient pour eux un remede, & il leur sert à réprimer & à moderer leurs passions. Je ne crains pas de le dire, puisque saint Paul leur conseille d'en user ainsi. Quant aux choses, dit-il aux Corin- 33 thiens, dont vous m'avez écrit,  je vous dirai qu'il est bon que l'homme ne touche aucune femme. Neanmoins pour éviter la fornication, que chaque homme vive avec sa femme, & chaque femme avec son mari. Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, & la femme ce qu'elle doit à son mari. Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est d'un consentement mutuel pour un tems, afin de vous appliquer à la priere ; & ensuite vivez ensemble comme auparavant, de peur que le démon ne prenne sujet de vôtre incontinence de vous tenter. Ce que je vous dis comme une chose qu'on vous pardonne, & non pas qu'on vous commande: car je voudrois que tous les hommes fussent en l'état où je suis moi‑même; mais chacun a son don particulier; selon qu'il le reçoit de Dieu, l'un d'une maniere, l'autre d'une autre.  Puis il ajoûte : Pour ce qui est de ceux qui ne sont point mariez & des veuves,  je leur déclare qu'il leur est bon de demeurer en cet état, comme j'y demeure moi-même ; que s'ils sont trop foibles pour garder la continence, qu'ils se marient : car il vaut mieux se marier que brûler.
Ces paroles du grand Apôtre justifient clairement que ceux qui se sentent foibles, & qui croient n'avoir pas assez de force pour passer leur vie dans la continence, peuvent se réfugier dans le Ma 34 riage, comme dans un port assuré pour se garantir du naufrage dont ils étoient menacez. C'est à leur égard qu'a lieu cette maxime de saintAugustin : Le Ma Lib. de bono viduit. c. 8. riage étoit autrefois parmi le peuple de Dieu un acte d'obéïssance à la Loi ; mais il est maintenant un remede à l'infirmité : In populo Dei fuit aliquando legis obsequium, nunc est infirmitaris remedium : parceque les Juifs se marioient pour obeïr à la Loi écrite, & pour suivre son esprit ; au lieu que les Chrétiens se marient maintenant à cause de leur foiblesse, & de l'infirmité de leur chair.
Il faut même observer que ce saint Lib. de sancta Virg.c. 9. & lib. 2. de adult. conjugis. 6. 12. Docteur a quelquefois dit, que c'est là la principale raison qui doit porter les Chrétiens à se marier : que les Juifs pouvoient s'engager dans le Mariage pour avoir des enfans ; parcequ'il falloit contribuer à la propagation du peuple de Dieu, & à la naissance du Messie. Mais que les Fideles étant maintenant appellez au Roïaume de Dieu de toutes les parties du monde, & de toutes les nations de la terre, il n'est plus necessaire de desirer d'avoir des enfans ; que tous ceux qui sont capables de la virginité doivent l'embrasser ; & que le Mariage n'est à proprement parler, que pour ceux qui ne sont pas en état de garder la continence.
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Cette pensée qui paroît un peu forte, prouve sans doute que ce Pere avoit un tres-grand zele pour la virginité, puisqu'il vouloit y porter toutes sortes de personnes ; mais elle justifie aussi qu'il a crû que les Fideles qui reconnoissent leur foiblesse peuvent avoir recours au Mariage, comme à un remede salutaire destiné de Dieu pour guerir leurs passions.
Cette fin est aussi autorisée par le Cate De Sacram. Matrim. c. 3. chisme Romain. Le troisiéme motif, dit-il, qui peut porter à se marier, & qui n'a eu lieu que depuis le peché du premier homme, est de chercher dans le Mariage un remede contre les desirs de la chair, qui se revolte contre l'esprit & la raison, depuis la perte de la justice dans laquelle l'homme avoit été créé. Ainsi celui qui connoist sa foiblesse, & qui ne veut pas entreprendre de combattre sa chair, doit avoir recours au Mariage comme à un remede pour s'empêcher de tomber dans le peché de l'impureté.   D'où vient que saint Paul donne cet avis aux Corinthiens : Que chaque homme vive avec sa femme, & que chaque femme vive avec son mari pour éviter la fornication.  Et ensuite après leur avoir dit, qu'il est bon de s'abstenir quelquefois de l'usage du Mariage, pour s'exercer à l'oraison, il ajoûte aussi-tost : mais ensuite vivez ensemble com-  36 me auparavant, de peur que le démon ne prenne sujet de vôtre incontinence de vous tenter.
Voilà les deux fins pour lesquelles il est permis, selon l'Ecriture & les saints Peres de contracter mariage.  Le Concile de Cologne de l'an 1536. a jugé qu'il est Part. 7. cap. 41. absolument necessaire que tous ceux qui veulent s'y engager en soient instruits. C'est pourquoi il ordonne aux Prêtres & aux Pasteurs de les leur expliquer, & de leur faire comprendre que s'ils s'en proposent d'autres, il pechent griévement, & prophanent un Sacrement vénérable de la Loi nouvelle5.
Il faut donc que les Fidelles ne se marient que dans la vûë de l'une ou de l'autre de ces deux fins, s'ils desirent entrer dans cet état avec des intentions droites & legitimes, & qui soient dignes de ceux qui ont l'honneur d'être les enfans des Ss6.
Comme cette matiere est tres-importante, je ne veux rien omettre de ce qui peut servir à l'éclaircir : ainsi je reconnois avec les Theologiens, qu'il y a de certains avantages qui accompagnent souvent le Mariage, & qui contribuënt à rendre heureux ceux qui en joüissent ; & je ne disconviens pas qu'il ne soit permis de les rechercher, pourvû qu'on n'en fasse pas son unique fin.  On peut, par exemple, desirer en se mariant, de trouver 37 un mari ou une femme qui soit noble, riche, sociable, & de bonne humur, qui ait de l'esprit, de la sagesse & du discernement, & dont on puisse esperer d'être secouru & assisté dans ses besoins & dans sa vieillesse. Le Catechisme Romain l'enseigne expressément : car après avoir marqué les fins principales qu'il faut se proposer en s'engageant dans le Mariage, il ajoûte : outre ces motifs, un homme peut encore être porté à faire choix d'une femme, & à la preferer à une autre pour d'autres considerations, comme peuvent être l'esperance d'en avoir des enfans plûtôt que d'une autre, ou ses richesses, sa beauté, sa noblesse, & la conformité de son humeur avec la sienne. Car toutes ces vûes ne De Sacram. matri. §. sont point blâmables, puisqu'elles ne sont point contraires à la sainteté & à la fin du Mariage. Et nous ne voyons point que l'Ecriture sainte condamne le Patriarche Jacob, de ce que touché de la beauté de Rachel, il la prefera à Lia.
Mais ces differentes considerations supposent qu'on s'est déterminé à embrasser la vie conjugale par des motifs plus nobles & plus puissans, & qui ayent plus de rapport à l'institution du Mariage : car ces sortes de biens & d'avantages ne sont pas assez considerables par eux 38 mêmes, pour servir de fin à des Chrétiens dans une action de si grande consequence, & qui peut tant contribuer à In lib. 4. sentent. distinct. 30. §. 9. leur salut éternel ; & le sçavant Estius enseigne, qu'encore que ceux qui se marient puissent les considerer, ils ne sont pas neanmoins la fin du Mariage.
Je puis donc conclure qu'il n'y a proprement que les deux motifs qu'on a marquez cy-dessus, qui doivent déterminer les Chrétiens à entrer dans cet état ; & que ceux qui s'y engagent par des raisons purement temporelles, comme pour devenir riches, pour monter aux dignitez du siecle, & pour faire fortune, s'éloignent de la pureté des maximes de l'Ecriture sainte, & des Peres de l'Eglise : on en sera encore plus persuadé lorsqu'on aura consideré ce que je dois representer dans les Chapitres suivans.
Bandeau.

CHAPITRE IV.

Que les Fideles qui se marient doivent avoir soin de ne s'allier qu'avec des personnes de probité, & qui vivent d'une maniere chrétienne.
IL seroit fort inutile de se proposer une fin droite & legitime en se mariant, si on faisoit ensuite un mauvais choix, & si on s'allioit à une personne 39 qui ne fût pas de bonnes mœurs, & qui n'eût pas les qualitez qui sont necessaires pour concourir à rendre un Mariage heureux & chrétien. On peut même dire qui si on choisissoit volontairement un tel parti, on n'auroit qu'une intention corrompuë, & qu'il seroit impossible qu'on se proposast en cette rencontre une bonne fin. C'est pourquoi il est tres-important de faire comprendre aux Fideles qu'ils sont obligez, lorsqu'ils croient être destinez à cet état, de n'épouser que des personnes de vertu & de pieté, avec qui ils puissent se sanctifier, & vivre en paix, & dans la crainte du Seigneur.
L'Ecriture le marque expressement lorsqu'elle dit, Avez-vous une fille, mariez-la, & donnez-la à un homme de grand sens: homini sensato da illam. Elle ne dit pas à un homme de grands biens, à un homme qui ait une grande charge, mais un homme de grand sens, qui est une qualité inseparable de la crainte de Dieu, & de la solide pieté, selon la même Ecriture.  Elle nous apprend qu'Abraham défendit à son fils Isaac de se marier avec aucune des filles des Chananéens, qui étoient idolâtres & corrompus dans leurs mœurs; qu'il lui ordonna d'aller dans son païs, & de s'y choisir une femme dans sa propre famille ; & qu'il obligea même son serviteur de lui 40 promettre avec serment, qu'il auroit soin de suivre exactement sa volonté, car il se reposoit sur lui de tout ce qui concernoit le Mariage de son fils. Met Gen. 24. 2. 3. 4. tez vôtre main sur ma cuisse, lui dit-il, & jurez-moi par le Seigneur le Dieu du Ciel & de la Terre, que vous ne prendrez aucune des filles des Chananéns parmi lesquels j'habite, pour la faire épouser à mon fils ; mais que vous irez au pays où sont mes parens, afin d'y prendre une femme pour mon fils Isaac. Ce saint Patriarche crut être obligé d'empêcher absolument que son fils n'entrât dans l'alliance des impies & des infideles ; & il aima mieux qu'il allât chercher bien loin une femme, & même dans le païs qu'il avoit quitté par l'ordre de Dieu.
Cela fut ponctuellement executé : car ce fidele serviteur conduisit Isaac dans la Mesopotamie, & lui fit épouser la chaste Rebecca ; & ce Mariage fut beni du Ciel, & accompagné de toutes sortes de prosperitez.
C'est une preuve éclatante de l'obligation qu'ont tous ceux qui craignent Dieu, d'éviter de s'allier avec des impies, & de ne se marier au contraire que dans des familles dont la pieté soit constante & bien établie.
Dieu en fit dans la suite une loi, & il défendit aux Juifs avant même qu'ils 41 fussent arrivez à la terre promise, de choisir des maris & des femmes pour leurs enfans parmi les peuples infideles qui habitoient ces Régions. Vous ne ferez Exod, 34. 15. 16. point d'alliance, leur dit-il, avec les habitans de ce pays-là, de peur que lorsqu'ils se seront corrompus avec leurs Dieux, & qu'ils auront adoré leurs statues, quelqu'un d'entr'eux ne vous invite à manger avec lui des viandes qu'il leur aura immolées. Vous ne ferez point épouser à vos fils des filles de ce pays-là, de peur qu'après qu'elles se seront corrompues elles-mêmes avec leurs Dieux, elles ne portent vos fils à se corrompre aussi comme elles. Vous ne contracterez Deut. 7. 3. 4. point de Mariage avec eux ; vous ne donnerez point vos filles à leurs fils, & vos fils n'épouseront points leurs filles; parceque leurs filles seduiront vos fils, & leur persuaderont de m'abandonner, & d'adorer au lieu de moi, des Dieux étrangers. Ainsi la fureur du Seigneur s'allumera contre vous, & vous exterminera dans peu de tems.
Ce fut en vertu de cette loi, & de peur de la transgresser, que le pere & la mere de Samson, qui étoient de vrais Israelites, ne voulurent pas d'abord lui permettre d'épouser une Philistine N'y Judic. 14. 3. a-t-il point, lui dirent-ils, de femmes parmi toutes les filles de vos freres, & parmi tout vôtre peuple, pour vouloir prendre une 42 femme d'entre les Philistins qui sont incirconcis ? L'Ecriture marque qu'ils lui parlerent ainsi, & qu'ils s'opposerent à son Mariage parcequ'ils ne sçavoient pas qu'il ne s'y portoit que par l'ordre de vers. 4. Dieu, qui vouloit perdre les Philistins, & qui avoit dessein de se servir de lui pour les punir. En effet n'étant pas informez de ce mystere, ils avoient raison de rejetter cette alliance que leur fils leur proposoit de faire ; ils étoient même obligez d'emploier toute l'autorité qu'ils avoient sur lui pour l'en détourner ; & les Interpretes remarquent qu'ils n'y consentirent que parceque Dieu leur en donna le mouvement par une inspiration secrette, ou qu'il leur fit connoître par quelque signe exterieur qu'il le vouloit ainsi.
Que l'on considere avec attention la conduite de tous les Patriarches, & l'on reconnoîtra qu'ils ont toujours eu soin de suivre cette loi, & qu'ils se sont fait un point de religion, de ne contracter ni alliance, ni mariage avec les infideles. Tobie desirant se marier, épousa Anne Tob.I. 9. qui adoroit le vrai Dieu, & qui étoit de c. 7. sa même Tribu. Son fils le jeune Tobie ne voulut point prendre pour femme aucune des filles de Ninive où il étoit captif ; & profitant des conseils de l'Ange qui le conduisoit pendant son voyage, 43 il se maria avec Sara qui craignoit le Seigneur, & qui étoit aussi de sa Tribu. Tous les autres Justes de l'ancien Testament7 n'ont pas moins témoigné de zele pour l'observation de cette même loi.
On en peut juger par ce qui arriva après que les Juifs furent sortis de Babylone, & retournez en Judée.  Esdras 3. Esdr. 9. 10. ayant esté averti par les Princes du peuple, qu'un grand nombre d'entr'eux s'étoient mariez pendant leur éxil à des femmes étrangeres & infideles, déchira aussi-tôt ses vétemens, s'arracha la barbe & les cheveux, & se laissa aller à une extrême douleur, dans la vûë d'une telle prévarication. Il en demanda publiquement pardon à Dieu ; & il obligea tous ceux qui avoient contracté ces sortes de Mariages, de se separer de leurs femmes, & de chasser de leurs maisons les enfans qu'ils en avoient eus.
Les Chrétiens ne sont pas moins obligez que les Juifs, d'éviter l'alliance des infideles, c'est-à-dire, de ceux qui vivent dans le desordre & dans la corruption, & de ne se marier qu'à des personnes de probité, qui craignent & qui servent le Seigneur : il est facile de le justifier par saint Paul. Il dit aux Corinthiens: 2. Cor. 6. 14. 15. Ne contractez point d'alliance avec les Infideles pour porter le joug avec eux : car quelle union peut-il y avoir entre la justi 44 ce & l'iniquité ? Quel commerce entre la lumiere & les tenebres ? Quel accord entre JESUS-CHRIST & Belial ? Quelle societé entre le fidele & l'infidele ? Quel rapport entre le Temple de Dieu & les Idoles?
Et lorsqu'il parle des veuves qui veu I. Cor. 7. 39. lent se marier, il dit : La femme est liée à la loi du Mariage, tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, il lui est libre de se marier à qui elle voudra, pourvû que ce soit selon le Seigneur : c'est-à-dire, comme le remarquent plusieurs Interpretes, pourvû qu'elle épouse un homme fidele, & qui soit membre de l'Eglise.
C'est sur ce fondement que les Canons8 Concil. Calced. can. 14. Iv. part. 8. c. 24. Grat. 28. q. I. c. 6. &.17. condamnent les Mariages entre les Catholiques & les Heretiques ou les Infideles, à moins que ceux-ci ne se convertissent, & n'embrassent la vraye foi, ou ne promettent de le faire au plûtôt.
Mais rien ne prouve mieux qu'il est tres-important, & même necessaire, de ne s'allier qu'avec d'honnêtes gens, que les inconveniens & les malheurs qui naissent ordinairement des Mariages contractez avec des impies & avec des infideles.
L'Ecriture nous en fournit plusieurs exemples funestes. Les descendans de Seth qui avoient toujours gardé la justice, & vêcu dans la pieté, n'eurent pas 45 plûtôt pris des femmes parmi les enfans de Caïn, qui étoient des impies, qu'ils se pervertirent & se corrompirent jusqu'à un tel point, que toute la terre se trouva en peu de tems couverte de crimes & d'abominations ; ce qui provoqua la colere de Dieu, attira le déluge, & causa la perte du genre humain. Les enfans de Seth, dit saint Liv. 15. de Civ. Dei, c. 22. Augustin, qui avoient été jusqu'alors la race des Saints, & qui avoient mérité par leur attachement à Dieu, que l'Ecriture les appellât les enfans de Dieu, se mêlerent par une alliance tres‑indigne d'eux, avec la posterité malheureuse de Caïn. Ils imiterent bien-tôt l'impieté de ces filles nées impies d'une race impie, ausquelles une passion violente les avoit assujettis ; & ils effacerent de leur cœur tous les sentimens de religion & de vertu qu'ils avoient appris de l'exemple & de l'instruction de leur pere.
Saint Cyrille remarque que par un effet digne de la justice de Dieu, les enfans qui nâquirent de cette alliance détestable, furent des monstres effroyables, non seulement par leur difformité exterieure, mais par la dépravation de leurs mœurs. Après que les enfans de Lib. 3. in Gen. Seth, dit ce Pere, eurent choisi des femmes de la race de Caïn, & imité  46 leurs sacrilèges & leurs desordres honteux, il sortit de ces Mariages criminels non des hommes, mais des monstres : car ces Geants nez de l'alliance de ces deux races qui n'auroient jamais dû se mêler ensemble, étoient des monstres horribles, non seulement par la laideur de leur corps, mais encore plus par l'excès de leur orgueil, de leur inhumanité & de leur corruption.
Saint Ambroise & plusieurs autres Ambr. Epist. 24. Peres, soûtiennent que Dalila, que Samson épousa après la Philistine, dont on a déja parlé, étoit aussi infidele : ils disent que l'on peut juger par cet exemple, combien ces sortes de Mariages sont capables d'irriter la colere de Dieu: car cette malheureuse femme ayant séduit l'esprit, & corrompu le cœur de son mary, le livra entre les mains de ses Jud. 16. ennemis, & fut cause qu'il périt miserablement.
Ce qui arriva à Salomon paroît encore plus déplorable : car ce Prince qui étoit le plus sage de tous les hommes, & qui avoit toujours paru si zelé pour la gloire du vray Dieu, ayant épousé des femmes étrangeres & infideles, tomba dans une idolâtrie honteuse, & fut frappé d'un tel aveuglement qu'il fléchit les genoux devant les Idoles de ses femmes, qu'il leur presenta de l'en 47 cens, & qu'il leur bâtit des Temples. Voici comme l'Ecriture parle de sa chûte & de son infidelité.   Le Roy Salo 3. Reg.12. I. 2. & sequens. mon aima passionnément plusieurs femmes étrangeres, entr'autres la fille de Pharaon, des femmes de MoabMoab & d'Ammon, des femmes d'Idümée, des Sidoniennes9, & du pays des Hethéens10,qui étoient toutes des nations dont le Seigneur avoit dit aux enfans d'Israël : Vous ne prendrez point pour vous de ces femmes, & vos filles n'épouseront point des hommes de ce pays-là : car ces nations vous pervertiront le cœur tres-certainement pour vous faire adorer leurs Dieux.  Salomon s'attacha donc à ces femmes avec une passion tres-ardente; & lorsqu'il étoit déja vieux, les femmes lui corrompirent le cœur pour lui faire suivre des Dieux étrangers ; & son cœur n'étoit point parfait devant le Seigneur son Dieu,comme avoit été le cœur de David son pere.
Après toutes ces autoritez tirées de l'Ecriture, il faut écouter Tertullien, lorsqu'il parle des Mariages que des Chrétiens contractent avec des Payens. Il dit que la femme qui épouse un Infi Lib. 2. ad uxor. dele, se met en danger de l'imiter dans son infidelité, & qu'elle est souvent comme forcée de prendre part à ses voluptez & à ses plaisirs criminels; qu'elle lui devient suspecte quand elle veut se cacher de lui dans ses dévotions ; & 48 qu'elle l'irrite lorsqu'elle les pratique en sa presence ; qu'étant à table avec lui, elle n'a pas la liberté de parler de Dieu, d'invoquer JESUS-CHRIST, de nourrir la foi pour la lecture des Livres sacrez, & de louer le Seigneur qui lui fournit les alimens qu'elle prend : & qu'au contraire tout ce qu'elle voit, & tout ce qu'elle entend pendant les repas est indigne d'elle, contraire au salut, & capable de lui faire encourir la damnation éternelle ; qu'elle est exposée à ses railleries, lorsqu'elle fait le signe de la Croix sur elle & sur son lit ; qu'elle ne peut se relever aussi souvent qu'elle voudroit pendant la nuit pour prier; & qu'il l'accuse de magie, lorsqu'il voit qu'elle a soin de prendre à jeun, & avant toute sorte de nourriture, le Corps de JESUS-CHRIST.
A la verité ce Pere ne parle dans le Texte qu'on vient de rapporter, que de celles qui contractent Mariage avec des Infideles.  Mais il est visible que tout ce qu'il dit, fait voir avec évidence qu'il n'est point permis aux Chrétiens de s'allier avec des personnes dont la vie & les mœurs ne soient pas bien reglées ; & que s'ils en usent autrement, ils se mettent en danger de déchoir insensiblement de la vertu dont ils faisoient profession, & même d'imiter les dé 49 fauts & les passions de ceux qu'ils épousent.  Par exemple, si une fille sage & modeste, & qui a toujours vêcu avec beaucoup de retenue, vient à être mariée à un homme qui aime la joie & les plaisirs & qui s'abandonne à la dissolution, elle ne peut presque plus vaquer à ses exercices ordinaires de pieté ; & il est fort à craindre qu'elle ne se relâche & ne se pervertisse dans la suite, car il ne lui donne pas le tems de prier : il s'oppose à ses jeûnes & à ses mortifications ; il la contraint de porter sur elle des marques du luxe & de la vanité du siecle ; il ne lui parle que de choses vaines & inutiles, pour ne pas dire criminelles ; il l'oblige de voir des compagnies dangereuses pour le salut ; il ne lui donne que de mauvais exemples; & souvent même il veut qu'elle assiste à ses divertissemens prophanes. Il est certain que c'est-là pour elle une tres‑grande tentation ; & si elle s'y expose volontairement, elle ne doit pas esperer que Dieu fasse des miracles pour l'empêcher d'y succomber.
Les maris étant ordinairement les maîtres dans leurs familles, & ayant d'ailleurs plus de force d'esprit que leurs femmes, il sembleroit qu'il n'y auroit pas pour eux beaucoup de danger à en prendre qui soient sujettes à quel 50 ques passions extraordinaires, parcequ'ils peuvent facilement les réprimer, & s'en garantir. Mais néanmoins il est vrai de dire qu'ils sont des témeraires, lorsqu'ils choisissent de telles femmes: car qui est-ce qui leur a dit qu'ils auront assez de fermeté pour les contredire, & pour leur résister ?  Qu'au lieu de les instruire & de les reprendre, ils ne demeureront point dans le silence par une vaine complaisance pour elles ; qu'ils ne se laisseront pas gagner par leurs discours pleins d'affectation, & par leurs assiduitez ; & qu'ils ne se porteront point enfin à les imiter ?  L'exemple d'Adam qui viola la Loi de Dieu par complaisance pour sa femme, & de peur de la contrister, doit leur servir d'instruction, & leur apprendre qu'il y a toujours du danger pour des maris qui sont obligez de vivre & de converser continuellement avec des femmes peu reglées, parceque leur sexe les rend adroites à s'insinuer dans les esprits, & leur donne des charmes propres à gagner & à captiver le cœurs.
Comme les contraires ne paroissent jamais avec plus d'éclat que lorsqu'ils Ibid. sont opposez à leurs contraires.  Tertullien décrit ensuite le bonheur d'un Mariage contracté entre deux Fideles ; & la description qu'il en fait, prouve 51 que tous ceux qui pensent serieusement à se sauver, doivent avoir soin de n'épouser que des personnes de probité. Il dit qu'il n'y a rien de plus tranquille, de plus heureux, ni de plus accompli qu'une telle alliance, parceque le mari & la femme ont les mêmes pensées & les mêmes desirs ; parcequ'ils gardent la même regle & la même discipline dans la conduite de leur vie ; parcequ'ils servent & qu'ils reconnoissent le même Maître ; parcequ'ils sont veritablement freres, ayant JESUS-CHRIST pour pere ; parcequ'ils prient & qu'ils jeûnent ensemble ; qu'ils offrent le même sacrifice ; qu'ils font leurs aumônes en commun, & qu'ils prennent le même tems pour visiter les pauvres & les malades ; parcequ'ils adorent Dieu, & qu'ils s'acquittent librement en presence l'un de l'autre de tout ce qui regarde son culte ; parcequ'ils ne rougissent point de faire le signe de la Croix, & de benir les viandes avant que de s'en nourrir ; parcequ'ils ne sont point obligez de se cacher, & d'user de dissimulation dans la plûpart de leurs exercices de pieté ; parcequ'enfin ils sont unis de l'union la plus intime & la plus parfaite que l'on puisse desirer, puisque non seulement ils ne sont plus qu'une même chair, mais qu'ils n'ont qu'un 52 seul & même esprit.
La doctrine de S. Ambroise est aussi tres-importante sur ce sujet : il faut l'expliquer aux Lecteurs. Il dit que la conduite qu'Abraham tint dans le Mariage de son fils Isaac, apprend à tous les Chrétiens qu'ils doivent craindre de s'allier avec des personnes dont la réputation n'est pas bien établie. Il déclare qu'étant écrit : Vous serez saint avec les Lib. I de Abrach. 6. 9. saints, & vous deviendrez méchant avec les méchans ; cela se trouve encore plus veritable, & arrive plus facilement dans le Mariage, que dans les autres états où l'on peut entrer, parceque le mari & la femme n'ont plus qu'une chair & un esprit.  Il soûtient qu'il ne peut y avoir d'amour veritable & sincere entre ceux qui ont une foi differente ; & que la chasteté & la fidelité qui sont les loix fondamentales du Mariage, ne sçauroient se trouver parmi ceux qui adorent les faux Dieux dont on raconte les impuretez & les adulteres, & qui renoncent à JESUS-CHRIST qui prêche la pureté, & qui la doit récompenser.  Il ajoûte que Salomon enseigne que c'est le Seigneur qui donne à l'homme une Prov. 19. 24. femme sage ; mais que celui qui en prend une infidele, ne peut pas croire qu'il la reçoive des mains de Dieu ; & qu'il y a même grand sujet de craindre 53 qu'elle ne le pervertisse, parceque souvent les femmes corrompent & font tomber les hommes qui paroissent les plus forts & les plus affermis dans la vertu. Il conclut que pour profiter de l'exemple d'Abraham & des autres Patriaches, il faut n'avoir égard en se mariant qu'à la vertu & aux bonnes qualitez, & non point aux richesses ni aux avantages temporels.
Cette maxime surprendra peut-être les Fideles, & leur paroîtra trop forte. Mais il ne faut pas qu'ils la condamnent, & qu'ils la rejettent, puisqu'elle est fondée sur l'autorité d'un Pere si considerable, & je leur expliquerai dans la suite en quel sens elle doit être prise, & de quelle maniere les autres saints Peres l'ont entenduë, lorsqu'ils ont traité de cette matiere.
Petit fleuron
54 Bandeau.

CHAPITRE V.

Que les saints Peres condamnent ceux qui voulant s'engager dans le Mariage, ne se mettent en peine que de trouver des partis riches, & qui leur plaisent ; ne pensent nullement à la bonne éducation que peuvent avoir eu les personnes qu'ils recherchent, & n'examinent ni leurs mœurs, ni leur conduite.
CE que je dois representer dans ce Chapitre, servira à confirmer ce que j'ai dit dans le précedent : car si les saints Peres condamnent ceux qui n'ont égard qu'aux biens & aux avantages temporels dans les Mariages qu'ils contractent, & qui negligent d'examiner les mœurs & la pieté des personnes qu'ils recherchent, il s'ensuit qu'ils ont crû que les fideles ne doivent s'allier que dans des familles d'honneur, & où la pieté soit comme hereditaire.
Tertullien soûtient qu'une fille Chré Lib. 2. ad uxor. t. 8. tienne doit préferer, lorsqu'elle prend un mari, un homme pauvre, mais vertueux, à celui qui étant riche, neglige la vertu, & n'a pas soin de s'acquitter des devoirs de la Religion : il dit que si elle en use de la sorte, elle sera toûjours riche & heureuse avec un tel ma 55 ri, parceque le Royaume des Cieux est pour les pauvres, & qu'elle pourra même participer dès cette vie à toutes les bonnes qualitez de son époux. Ainsi il est évident qu'il improuve les Mariages où on considere moins la vertu que la fortune.
Saint Ambroise censure tres-severement ceux qui ne prennent des femmes que pour leur seule beauté, sans considerer si elles possedent les qualitez qui font les veritables Chrétiennes. Pourquoi, dit-il, recherchez-vous plûtôt, Lib. de Instit. Virgin. c. 4. en prenant une femme, la beauté du corps, que celle des mœurs ? Choisissez une épouse qui vous plaise, non par l'éclat de son visage, mais par la sagesse de ses mœurs & de sa conduite ; préferez à toute autre celle qui a soin d'imiter Sara par la sainteté de sa vie. Ce n'est pas un defaut à une femme de n'être pas née belle, ni agreable, mais c'en est un pour un homme de desirer de trouver dans la femme qu'il épouse, une vaine beauté qui lui devient souvent un sujet de tentation, & qui met quelquefois sa vie en danger.  On ne doit pas à la verité condamner la beauté exterieure, puisqu'elle est un don de Dieu, & l'ouvrage de ses mains : mais il faut dire à ceux qui la considerent uniquement dans les Mariages qu'ils  56 contractent, qu'ils devraient beaucoup plus estimer celle de l'ame, qui a été faite à la ressemblance de Dieu, & qui porte son image.
C'est aussi le sentiment de S. Jerôme, In cap.2. Malach. qu'il est honteux à un Chrétien de se déterminer à prendre une femme par la seule consideration de son exterieur qui paroît agreable.  Il dit qu'on ne recherche ordinairement la beauté que dans les femmes prostituées ; mais que pour celles qui sont legitimes, on les considere à cause de leur vertu & de leurs autres bonnes qualitez. Il soûtient même qu'il est souvent avantageux d'en choisir Lib. I. Jovin. advers. qui soient destituées de beauté, & des autres agrémens extérieurs, parcequ'on évite par là les soupçons, les jalousies, les impuretez, & plusieurs autres inconveniens qui troublent la paix & la concorde des Mariages.
Ce saint Docteur se plaint encore des femmes & des filles Chrétiennes qui n'épousent des maris qu'à cause de leurs richesses & de leur fortune : il dit qu'elles estiment moins la pureté, que des biens vils & perissables ; il les accuse d'imiter en quelque maniere les femmes débauchées qui prostituënt leurs corps pour un peu d'argent : il rapporte pour les confondre par un exemple sensible, Epist. 16. la conduite que la celebre Marcelle tint 57 en un occasion semblable. Etant demeurée veuve tres-jeune, le Consul Cerealis, illustre par sa naissance & par ses grands Emplois, la rechercha en Mariage ; & parcequ'il étoit fort âgé, il promit de lui donner tous ses biens, comme si elle eût été sa propre fille. Albine sa mere souhaitoit fort qu'elle écoutât cette proposition, & qu'elle conclût ce Mariage qu'elle lui jugeoit tres-avantageux.  Mais elle rejetta genereusement, & elle lui fit cette réponse pleine de sagesse & de discernement: Si je n'avois pas resolu de garder la continence le reste de mes jours, & si je voulois me marier, je chercherois un mari, & non pas une succession.
Mais sans nous arrêter davantage aux autres Peres de l'Eglise, il faut passer au grand S. Chrysostome; car il n'y en a point qui se soient élevez avec plus de zele contre ceux qui ne pensent dans les Mariages qu'ils contractent, qu'à la beauté, aux richesses, & à des choses de cette nature.
Il observe en expliquant la Genese, qu'Abraham, comme on l'a déja remar Hom. 18. in Gen. qué, ne voulut pas permettre à son fils Isaac de prendre pour femme une des filles de Cananéens, qui étoient riches & opulens, mais plongez dans l'idolatrie, & qu'il lui ordonna d'en aller 58 chercher une dans son païs & dans sa famille : il dit que cet exemple apprend aux Chrétiens qu'ils doivent considerer, lorsqu'ils se marient, non les richesses & les avantages temporels, mais la vertu & les bonnes mœurs de ceux avec qui ils ont dessein de contracter alliance.
Il exhorte tous les fideles à faire une attention particuliere à la conduite du Patriarche Jacob, qui épousa les deux filles de Laban, Lia & Rachel, sans faire aucune paction pour leur dot, ni s'informer de ce qu'on leur donneroit en Mariage. Voyez, dit-il, combien les Hom. 57. in Gen. mœurs de ces saints personnages étoient pures & bien reglées : ils ne parloient point des troupeaux qu'on leur donneroit ; ils ne faisoient point de contrats, & ils ne prenoient point toutes les précautions qui sont si ordinaires aux gens du monde ; ils ne disoient point comme eux : Si telle & telle chose arrive, si nous avons des enfans, ou si nous n'en avons point : ils ne faisoient pas consister leur prudence à prévoir tous les cas qui pouvoient arriver dans la suite des tems.
Il condamne aussi-bien que S. Jerôme, Hom.20. in Epist. ad Eph. ceux qui ne prennent des femmes que pour leur beauté : il dit qu'ils sont bien aveuglez de rechercher avec tant d'empressement une chose si vaine, & qui ne 59 dure qu'un tres-peu de tems, qui est sujette à être détruite & corrompuë par mille accidens differens; qui les expose à former contre leurs femmes des jugemens tres-desavantageux à leur conduite ; qui leur devient tres - souvent une source de troubles & de discordes, & qui leur attire quelquefois des tres-grands malheurs.
Il declare que celui qui n'entre dans Ibid. le Mariage que pour s'enrichir des biens de sa femme, & pour faire fortune, se deshonore lui-même, parcequ'il dépend de celle qui lui est inferieure en toutes manieres; & que contre l'ordre de la nature il reçoit se grandeur11, & tient son élevation de celle dont il devroit lui‑même faire toute la gloire.
Il enseigne qu'un pere qui voulant ma Hom. 12. in Epist. ad Coloss. rier sa fille, ne pense qu'à lui procurer un parti riche & puissant, cherche à lui donner un maître & un tyran, & non pas un mari; parceque cet homme riche & opulent ne l'a pas plûtôt épousée, qu'il la neglige, qu'il la méprise, qu'il la domine, & qu'il la traite comme une servante & une esclave.
Il accuse de prophaner le Mariage, tous ceux qui s'y engagent par des vûës purement temporelles, & qui n'ont point d'égard à la vertu & à la pieté de ceux avec qui ils veulent s'allier. Et de 60 peur qu'on ne me soupçonne d'exagerer dans une matiere si importante, & de representer ses sentimens autrement qu'ils ne sont, je rapporterai ses propres paroles, afin que les Lecteurs en puissent eux mêmes juger. Qui est le jeune hom Hom. 73. in Matth. me, dit il, qui ayant dessein de se marier, se met en peine d'examiner, quelle est la femme qu'il va prendre ; comment elle a été élevée ; si ses mœurs sont reglées ; si sa vie est sans reproches? tous ses soins se terminent à sçavoir ce qu'elle a de bien, & quels sont ses fonds de terre, ou ses meubles. Il semble qu'il achete une femme ; l'on donne même au Mariage le nom de contrat. J'en vois plusieurs aujourd'hui qui disent: Un tel a contracté avec une telle, pour dire qu'il l'a épousée.  On deshore ainsi le don de Dieu, & on traite un Sacrement si saint comme un trafic, où l'on se vend, & où l'on s'achette. Il faut même dans ces contrats être extrémement sur ses gardes ; parcequ'- on tâche encore plus d'y surprendre que dans tous les autres.
Voici, mes freres, comment on se marioit autrefois parmi les Chrétiens: on n'avoit point d'égard au bien, ni aux avantages temporels. On cherchoit une fille qui eût été bien élevée, qui eût de la sagesse & de la vertu, dont la vie fût  61 reglée & honnête.  Quand on l'avoit trouvée, le Mariage étoit conclu : on n'avoit pas besoin ni de contrat, ni d'articles, ni de Notaires.  On ne dépendoit ni de l'encre, ni des écritures. On ne vouloit point d'autre sûreté que la vertu & la pieté de l'un & de l'autre.
C'est pourquoi je vous conjure, mes freres, de ne vous arrêter point à ces vûës si basses, lorsque vous vous marierez; mais de ne vous mettre en peine que de trouver des filles sages, reglées, honnêtes & vertueuses; & elles vous seront plus précieuses que tous les trésors du monde. Si vous ne cherchez que Dieu dans le Mariage, il aura soin de vous y faire trouver avantageusement tout le reste. Mais si vous n'y cherchez que les biens du monde, sans vous mettre en peine de ceux qui doivent être les plus chers à un Chrétien, vous n'y trouverez ni les uns ni les autres.
Enfin ce saint Docteur prédit à ceux qui en se mariant, ne pensent qu'à trouver des femmes riches, que les richesses qu'ils desirent avec tant d'ardeur, ne leur serviront de rien, si leurs femmes ne sont pas sages ni bien reglées, parcequ'elles les dissiperont en peu de tems, Homil. 8. in Matt. & les reduiront ensuite eux mêmes à une honteuse pauvreté.  A quoi sert, leur 62 dit-il, cette grande dot qu'une femme apporte, lorsque son luxe & ses profusions dissipent tout; ou lorsqu'elle se plaît à être vûë & a être aimée? Si elle est portée à la dépense & à la bonne chere, elle a beau être riche,elle ruinera bien-tôt son mari. Après tous ces raisonnemens il établit cette grande & importante maxime, que ce n'est point le bien d'une femme, mais sa vertu qui enrichit son mari & sa maison.
Il est donc constant que les saints Peres condamnent les Chrétiens, qui en se mariant, ne considerent point la vertu, & ne pensent qu'à la beauté, à la fortune & à des choses temporelles.  Mais il ne faut pas inferer de leur doctrine, qu'il ne soit point permis en ces rencontres d'avoir quelque égard aux biens: car ce seroit porter les choses trop loin, & tomber dans un excès blâmable. En effet le Mariage unissant pour toûjours ceux qui s'y soumettent, & les obligeant à se secourir mutuellement, & à pourvoir à l'éducation & à la subsistance des enfans que Dieu leur donne, il est juste qu'ils examinent avant que de s'y engager, s'ils pourront en soutenir les charges, & qu'ils prennent les mesures necessaires pour se mettre en état de satisfaire aux obligations qu'il leur impose ; & comme les bien temporels sont un 63 des moyens ordinaires dont la divine Providence a coûtume de se servir pour faire subsister ceux qui vivent dans le siecle, on n'a pas droit de leur en interdire la possession, ni de les empêcher d'y penser, & de les considerer lorsqu'ils entrent dans le Mariage, pourvû qu'ils ne fassent rien d'illegitime, & qu'ils ne s'en occupent pas uniquement.
Ainsi les Fideles ne meritent aucun blâme, lorsqu'ils recherchent des partis qui ayent du bien, & qui puissent contribuer à la subsistance de leurs familles ; mais ils doivent avant toutes choses, examiner leurs mœurs & leur pieté, & tâcher de découvrir si leurs possessions ne sont point un fruit de leur injustice, ou de celle de leurs ancêtres : & s'ils en trouvent de riches & de puissans, mais dont la conduite ne soit pas bien reglée ni édifiante, ils doivent les rejetter, & se déterminer à en prendre de moins considerables, qui ayent la crainte de Dieu devant les yeux, & qui se conduisent par les regles & par les maximes de l'Évangile.  Car puisqu'il est écrit: Cherchez premierement le royau Matth.6. 11. me & la justice de Dieu, & toutes les autres choses vous seront données par surcroît ; ils sont obligez de se soumettre à cet oracle, aussi-bien dans leurs Mariages, que dans toutes les autres actions impor 64 tantes de leur vie ; & s'ils y manquent, & qu'ils preferent quelques avantages temporels à une alliance honnête & chrétienne, on a droit de juger qu'ils n'ont pas une pieté solide, & que la parole de JESUS-CHRIST qui est une parole de verité & de sainteté, n'habite pas en eux avec plenitude, comme l'ordonne S. Paul dans son Epître aux Colossiens.
L'on méprise tres-souvent ces saintes Cap. 3. 16. maximes, pour se conformer au genie du siecle ; l'on marie l'argent à l'argent, & non la personne avec la personne ; & l'on prefere une fille riche qui a peu de sens naturel, beaucoup d'inclination pour le monde, & en laquelle il ne paroît aucune trace de l'esprit de Dieu ; & l'on en rejette une autre qui a de l'esprit & de la pieté, & qui donne lieu de former de grandes esperances de ses bonnes dispositions. Et aussi on ne voit autre chose que des desordres qui naissent de ces Mariages, plus digne de Payens, que de Chrétiens.
De là vient, dit un Auteur celebre, que l'on voit si souvent des hommes, qui ayant épousé une fille avec de grands biens, ont épousé en même tems des chagrins mortels, & des maux sans ressource & sans remede ; qui se sentent liez pour toute la vie à une personne 65 hautaine & legere, qui n'aïant nulle crainte de Dieu tâche de prendre l'empire sur celui à qui Dieu l'a soumise par une obligation indispensable; qui est idolâtre d'elle-même, qui s'emporte dans la fureur du jeu, d'où naît souvent la ruine des maisons les mieux établies, & qui croit au-dessous d'elle d'avoir le moindre soin, où de l'éducation de ses enfans, ou du reglement de sa famille.
De là vient encore que l'on voit d'autre part des filles asservies à un joug de fer, dont la seule mort les peut délivrer ; qui sont obligées de détester la vie criminelle, & de souffrir les emportemens & les mépris outrageans de celui à qui elles doivent un respect tres-sincere; qui sont traitées comme des esclaves ; qui voyent perir à leurs yeux leurs enfans, par l'exemple & par les discours libertins & insensez d'un pere qui se hâte de leur inspirer le mal avant même qu'ils le connoissent ; & ces personnes si dignes de compassion ne peuvent s'empêcher d'accuser quelquefois en secret, ou un pere ou un mere qui les ont sacrifiez ou à leur ambition, ou à leur avarice, sans se mettre en peine de leur procurer un établissement solide & chrétien, qui pût les rendre vraiment heureuses.
66 Bandeau.

CHAPITRE VI.

Que selon les saints Peres, il seroit à souhaiter qu'il y eût égalité, soit pour l'âge, pour les biens & pour la naissance, entre ceux qui contractent Mariage.
AFIN de ne troubler pas mal à propos les Fideles, & de ne leur donner point de vains scrupules, je declare dès le commencement de ce Chapitre, que ce que je me propose d'y expliquer de l'égalité entre ceux qui se marient, n'est pas d'une necessité absoluë, mais que c'est un conseil tres-utile, & qui peut beaucoup contribuer à la paix & à l'union qui doit regner entre les gens mariez ; j'espere que ceux qui considereront attentivement les preuves que j'en donnerai, en demeureront facilement d'accord.
Il faut d'abord observer que la plûpart des Auteurs qui traitent de l'amitié, disent qu'il doit y avoir une espece d'égalité entre les amis ; que sans cela elle ne peut subsister long-tems, & qu'elle degenere tres-souvent en une vaine flaterie, ou en une injuste domination : c'est ce que l'on voit arriver tous les jours.
Le pauvre qui a un ami riche, lui rend mille assiduitez basses & interessées; il 67 rampe devant lui, & il s'humilie avec excès en sa presence ; il n'a point d'autre application, que d'étudier toutes ses inclinations pour s'y conformer, & il n'en contredit aucunes, quand même elles ne seroient pas legitimes ; il lui applaudit au contraire en toutes rencontres ; il exagere ses bonnes qualitez ; il dissimule ses vices, & quelquefois même il les excuse & les justifie.  En un mot il ne pense qu'à lui plaire, & à captiver ses bonnes graces ; & au lieu d'agir avec lui aussi librement que doit faire un veritable ami, il suit aveuglément toutes ses volontez, & se rend, pour ainsi dire, son esclave.
Celui au contraire qui est beaucoup élevé au dessus de ses amis, s'en fait facilement accroire; voyant qu'ils lui sont soumis, il éxige d'eux des déferences qui ne lui sont point dûës ; il veut que ses sentimens prévalent toûjours à leurs pensées : il trouve même mauvais qu'ils en ayent de differentes des siennes ; il s'accoûtume à les traiter avec empire; il s'imagine qu'ils ne sont au monde que pour lui ; s'il les assiste, c'est par amour propre, & pour les attacher de plus en plus à sa personne ; il leur vend presque toûjours ses bienfaits au prix de leur liberté.
Cette maxime qui a été enseignée aussi‑ 68 bien par les saints Peres de l'Eglise, que par les Philosopes, pourroit suffire toute seule, pour prouver qu'il est tres-utile qu'il y ait de l'égalité entre ceux qui se marient ensemble ; parceque c'est un moyen tres - propre pour prévenir les troubles & les differends qui les pouroient diviser, pour rendre leur amitié ferme & constante, & pour empêcher qu'elle ne soit alterée, ni corrompuë par des vûës d'interests ou d'ambition. Mais il faut entrer dans un plus grand détail sur cette matiere, & expliquer en particulier les inconveniens qui sont à craindre de la trop grande inégalité entre ceux qui s'unissent par le Mariage.
Il est certain qu'à moins que la grace n'agisse fortement sur le cœur d'un mari & d'une femme, il est bien difficile qu'ils vivent dans une grande union, & dans une paix parfaite, quand il y a entr'eux trop de disproportion d'âge : car alors ils ont des inclinations differentes; & ce qui convient à l'un, est à charge à l'autre, & le fatigue.  Ceux, par exemple, qui sont jeunes, aiment la joie & les plaisirs, sont ennemis du repos & de la vie tranquille,& se plaisent dans le trouble & dans l'agitation. Ils ont des mouvemens violens qui les portent à former de grands desseins, & qui les rendent curieux & entreprenans.  Ils regardent 69 le luxe & la vanité du siecle, comme des choses permises aux gens de leur âge, & qu'on n'a pas droit de leur interdire ; ils s'imaginent que leurs biens ne sont destinez qu'à satisfaire leurs passions; & qu'en user autrement, c'est tomber dans l'avarice, & ne sçavoir pas vivre.  C'est pourquoi ils sont ordinairement prodigues, & ne veulent point entendre parler d'épargner, ni de reserver rien pour les besoins à venir.
Mais ceux qui sont vieux, se trouvent presque toûjours dans des dispositions toutes opposées. Leurs corps étant usez & leurs forces diminuées, ils ont de l'aversion pour la joye & pour les plaisirs; ils fuyent le trouble & le tumulte; ils aiment le repos & la tranquilité. Leurs passions étant amorties, ils ne forment pas facilement de nouvelles entreprises; & tout ce qui pourroit leur coûter de la peine & les fatiguer, les rebute, & leur semble insupportable.  N'étant plus propre pour le monde, le luxe & les vains ornemens leur paroissent ridicules : il ne sçauroient concevoir comment on peut se resoudre à s'en parer. Et par un effet de l'aveuglement que le peché a répandu sur le genre humain, il n'arrive que trop souvent que moins ils ont de tems à vivre, plus ils sont attachez à leurs richesses ; & que la défail 70 lance où ils sont prêts de tomber, leur inspire un amour desordonné pour les biens de la terre.
On peut juger après cela s'il y a lieu de se promettre qu'un mari & une femme qui sont d'un âge fort different, & dont l'un est jeune & l'autre est vieux, passent leurs jours dans une grande union; & si au contraire, on ne doit pas craindre que cette inégalité ne les précipite en une infinité de querelles & de contestations.
Il peut même en naître plusieurs desordres par rapport à la pureté : car le plus jeune, s'il n'est fort sage, & penetré de la crainte de Dieu, ne regardera qu'avec mépris celui qui est fort âgé ; il fuira sa conversation ; il se dégoûtera facilement de sa personne ; & peut-être qu'ensuite il s'abandonnera à l'impetuosité de ses passions, & qu'il tombera dans l'impureté. Il n'est pas besoin d'en dire davantage sur ce sujet: car ceux qui ont quelque experience de ce qui se passe dans le siecle, sçavent fort bien que cela n'arrive que trop souvent.
Ce fut pour prévenir & pour empêcher tous ces desordres qui deshonorent le Mariage, & qui en troublent la paix & l'union, que les Peres du Concile de Friuli de l'an 791. témoignerent qu'ils jugeoient à propos qu'on ne mariât 71 ensemble que des personnes qui fussent à peu près de même âge: car, disent-ils, Gan. 90 lorsqu'il y a une trop grande inégalité, cela cause souvent la perte des ames, & produit de grandes impuretez.
Il faut neanmoins ajoûter que ce que je viens de dire de l'égalité de l'âge entre ceux qui contractent mariage, n'empêche pas que le mari ne puisse & ne doive même avoir quelques années plus que sa femme; car cela lui est en quelque maniere necessaire pour la conduire, pour s'en faire respecter, & pour maintenir l'autorité qu'il doit avoir dans sa famille & dans son domestique.  J'ai seulement eu intention de faire voir qu'à en juger par les regles ordinaires, il n'est pas expedient que ceux qui sont encore jeunes se marient avec des personnes fort âgées, à cause des mauvais effets que de telles alliances produisent tres-souvent.
L'inégalité des biens & de la naissance peut aussi avoir des suites tres fâcheuses ; pour en être convaincu, il n'y a qu'à écouter saint Jean Chrysostome lorsqu'il parle du Mariage ; car il explique avec beaucoup d'étenduë tous les inconveniens qu'il y a à épouser un parti plus riche & plus puissant que soi.  Il represente dans son Livre de la Virginité que si la femme a plus 72 de bien que son mari, elle devient insolente, emportée & insuportable, & Cap. 53. 54. 55. qu'au contraire si c'est le mari qui est le plus riche & le plus puissant, sa femme est dans sa maison comme une esclave; qu'elle n'oseroit parler ni manifester ses sentimens ; qu'il ne faut pas qu'elle prenne la liberté de commander rien aux domestiques, ni de les reprendre ; qu'elle n'a ni la force, ni le courage de se plaindre des débauches de son mari, & de s'y opposer, & que si elle l'entreprend, il la chasse du logis, & la réduit à la mendicité.
Celui, dit-il ailleurs, qui épouse Hom 73. in Matt. une femme plus riche que soi, prend plutôt une maîtresse qu'une femme. En effet si les femmes ne sont déja que trop remplies d'orgueil, & susceptibles de l'amour de la vanité, quand même elles ne sont pas riches, comment celles qui ont l'avantage des richesses, pourroient-elles être supportables aux hommes qui sont obligez de vivre avec elles ?
Il ajoûte ensuite que lorsqu'un homme prend une femme qui n'a pas plus de bien que lui, il trouve en sa personne un puissant secours & une fidele compagne, & que par ce moyen il fait entrer en sa maison tous les biens imaginables ; parceque la consideration 73 de son état l'empêche d'exciter des querelles & des disputes, & la porte à servir & à respecter son mari, à lui ceder, & à se soumettre en toutes choses à sa volonté.
Saint Ambroise témoigne aussi n'aprouver pas que les femmes soient plus riches & plus nobles que leurs maris, parcequ'elles en prennent souvent occasion de les mépriser, & d'en concevoir de la vanité.  Il dit au contraire qu'elles les respectent, & qu'elles leur sont beaucoup plus affectionnées, lorsqu'elles ne les surpassent ni en bien, ni en qualité.  Pour le prouver il rapporte l'exemple de Sara, qui n'ayant Lib. I. de Abraham. c. 20. pas plus de bien qu'Abraham son mari, & n'étant pas issuë d'une race plus illustre que la sienne, l'aima tres-tendrement, le regarda toûjours comme son maître & son Seigneur, le suivit dans tous ses voyages, s'exposa aux mêmes perils que lui, & voulut bien même, allant en une terre étrangere, cacher sa qualité de femme legitime, & ne prendre par excès de bonté & de tendresse que celle de sa sœur, afin de contribuer par là à sa sûreté.
Les anciens Romains ont aussi été dans cette pensée, qu'il est en quelque maniere necessaire pour le bien de la paix, qu'il y ait de l'égalité & de la 74 proportion entre ceux qui se marient. C'est pourquoi ils avoient fait des loix par lesquelles il étoit défendu aux Senateurs & à ceux qui étoient revêtus des premieres dignitez, d'épouser des femmes d'une condition vile & abjecte ; & ces loix ont long-tems subsisté, comme on le voit dans le Code & dans Cod. de Incert. nuptiis Novell. 1. 6. c.6. les Novelles de Justinien, qui les ont interpretées, & y ont ensuite apporté quelque temperament.
Je finirai ce Chapitre comme je l'ai commencé : c'est-à-dire, en avertissant les lecteurs que tout ce que j'y ai dit de l'égalité entre ceux qui se marient, n'est qu'un conseil de prudence qui n'oblige pas absolument. Car je reconnois qu'il y a plusieurs Mariages où cette proportion n'est pas gardée, & qui ne laissent pas neanmoins d'être heureux & fort accomplis; nôtre Histoire de France nous en fournit même plusieurs exemples. Mais comme j'ai entrepris de proposer aux fideles qui s'engagent dans la vie conjugale, tout ce qui peut contribuer à leur sanctification; & leur faire éviter les peines & les chagrins qui tourmentent & qui affligent tant de maris & de femmes, & qui causent quelquefois même leur damnation éternelle, j'ai crû qu'il étoit nécessaire de leur expliquer les sentimens des saints Peres sur ce sujet, 75 afin qu'ils puissent en profiter, & qu'ils ne contractent pas inconsiderément des Mariages inégaux qui pourroient les jetter dans le trouble & dans l'affliction. Car quoiqu'il y en ait quelques-uns qui réüssissent, il s'en trouve d'autres qui sont tres-infortunez; cela seul suffit pour justifier que j'ai raison de leur conseiller de s'en abstenir.
Bandeau.

CHAPITRE VII.

Dans quelles dispositions il faut être pour entrer saintement dans le Mariage; & comment il faut s'y preparer.
IL me semble important de marquer aux fideles dans quelles dispositions ils doivent être lorsqu'ils s'engagent dans le Mariage ; car ils ne sont pas toûjours assez instruits sur ce sujet, ce qui est souvent cause qu'ils ne se presentent pas à ce Sacrement avec toute la pieté & toute l'humilité qu'on auroit droit d'exiger d'eux, & qu'ils pechent même, comme dit le troisiéme Concile de Milan, dans cette ceremonie auguste, qui est si sainte par elle-même, & à laquelle ils ne devroient se porter que par un esprit de pieté.  J'expliquerai d'abord les dispositions qui regardent l'esprit, parce qu'elles sont les plus importantes, & 76 qu'elles doivent servir de fondement à toutes les autres.
1º. Les saints Peres disent souvent que les Patriarches qui se sont signalez par leur éminente pieté du tems de l'ancien Testament, se marioient, non pour suivre les mouvemens de la chair, mais par obéïssance à la loi, qui vouloit que tout le monde se mît en état de con Chap. 3. tribuer à la propagation du peuple de Dieu, comme on l'a déja observé. C'est pourquoi ils enseignent qu'ils étoient plus chastes & plus parfaits que nos Vierges les plus pures.
Il faut que les fideles qui se marient maintenant soient dans une pareille disposition d'obéïssance, & qu'ils ayent dessein de se soûmettre, non à la loi écrite qui ne subsiste plus, mais aux ordres de la divine Providence qui veille sur eux, & qui les conduit. Il faut qu'aprés s'être examiné serieusement devant Dieu, & avoir fait tout ce qui étoit nécessaire pour connoître s'il les appelle à cet état, ils y entrent avec respect, & pour honorer sa sagesse infinie qui dispose de ses creatures comme il lui plaît, & qui leur marque la voie qu'elles doivent tenir pour aller à lui. Il faut qu'ils fassent du Mariage un acte de Religion, en ne s'y engageant que pour lui plaire, le servir, & suivre sa volonté.
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2º. Ils doivent s'y presenter avec une profonde humilité, dans la vûë de leur foiblesse qui ne leur permet pas de garder la continence, ni d'embrasser la sainte virginité. Ils doivent se croire inferieurs aux vierges & aux veuves, leur ceder en toutes rencontres, & leur rendre toutes sortes d'honneurs & de déferences ; ils doivent témoigner par leur conduite sage & modeste qu'ils sont aneantis à leurs propres yeux, & qu'ils se souviennent qu'ils n'ont pas été dignes de se donner tout entiers à Dieu, c'est-à-dire, de ne s'occuper que de lui, de ne servir que lui seul, & de lui consacrer non seulement leur esprit, mais aussi leur corps, ce qui est le propre & l'appanage des vierges chrétiennes.
3º. Il faut qu'ils aiment tellement la justice & la sincerité qu'ils ne se servent d'aucun artifice pour surprendre & pour tromper ceux avec qui ils veulent s'allier. Les gens du monde ne font point de scrupule d'user de déguisement en ces rencontres ; ils dissimulent les défauts corporels qu'ils peuvent avoir : ils cachent tout ce qu'il y a de peu honorable dans leur famille ; ils representent leurs biens comme beaucoup plus grands & plus considerables qu'ils ne sont effectivement ; & ils s'imaginent que c'est une adresse digne de loüanges, de parvenir 78 par ces sortes de moïens à des Mariages qu'ils ne pouroient pas esperer de faire réüssir, si ceux avec qui ils traitent, étoient informez de l'état de leurs affaires.
Mais les justes & tous ceux qui cherchent veritablement Dieu, doivent se conduire d'une maniere toute opposée. Il faut qu'ils ne blessent jamais la verité, qu'ils disent toutes choses dans la derniere exactitude, & qu'ils ne cachent rien à ceux qu'ils recherchent, de tout ce qu'ils ont interêt de sçavoir, avant que de se déterminer dans une affaire de cette importance.  Saint Ambroise dit qu'ils doivent imiter la sincerité & la bonne foi de Raguel, qui sçachant que sa fille Sara avoit déja eu sept maris que le démon avoit tous tuez la premiere nuit de leurs nôces, craignoit de tromper le jeune Tobie qui la recherchoit en Mariage, s'il la lui donnoit pour femme ; & ne la lui accorda qu'aprés que l'Ange lui eut assuré qu'ils étoient informez de ce qui s'étoit passé, & qu'il ne devoit point douter de la marier à Tobie, parcequ'il avoit la crainte de Dieu devant les yeux, & que le malin esprit ne pourroit par Lib. I. de offic. cap. 14. consequent lui donner la mort, ni lui causer aucun préjudice.
4º. Ils doivent sçavoir non seulement les principaux Mysteres de nôtre Religion, comme sont ceux de la Trinité, de 79 la chute de l'homme, & de l'Incarnation, mais aussi les Sacremens, & ce qui regarde en particulier les obligations des personnes mariées ; il est si necessaire qu'ils en soient instruits, que la plûpart des Rituels obligent les Pasteurs de les interroger pour s'en assurer ; & saint Charles défend expressement aux Cu Concil. Mediol 5. de Matr. rez de donner la Benediction nuptiale à ceux qu'ils reconnoîtront être dans une ignorance grossiere à l'égard de leurs dévoirs, & des points de la Foi les plus importans.
Voilà les principales dispositions par rapport à l'esprit, où doivent être ceux qui veulent se marier chrétiennement. Pour ce qui est de celles du corps, les saints Peres les reduisent à un seul point, qui est que le mari & la femme entrent, autant que cela se peut, dans le mariage avec un grande pureté exterieure, & qu'ils ne soient point auparavant soüillez par aucune dissolution. Puisque vous avec dessein de vous marier, dit saint Serm. 132. Augustin en s'adressant à un jeune hom me, conservez-vous pur pour la femme que vous prendrez, & aïez soin de vous donner à elle au même état que vous desirez qu'elle se donne à vous.  Vous voulez en trouver une dont la vie soit sans tache ; faites donc en sorte que la vôtre soit aussi innocente. Vous en cher 80 chez une qui soit chaste, abstenez vous par consequent de toute sorte d'impureté.
Saint Jean Chrysostome enseigne aussi Hom. 79. in Matt. qu'il est tres-important pour l'honneur du Mariage, de s'y presenter avec un corps chaste, & il fait de grandes plaintes contre ceux qui ne s'y engagent qu'aprés avoir mené une vie dissoluë, & s'être abandonnez au torrent de leurs passions. On ne veut pas neanmoins conclure de ce que disent ces deux grand Docteurs de l'Eglise, que ceux qui sont tombez dans quelqu'impureté, ne doivent point ensuite penser à se marier ; car ce seroit abuser de leur doctrine, & la prendre à contre-sens: mais on soûtient avec eux que les fideles qui sont bien persuadez de la grandeur & de l'excellence du Mariage, doivent s'y préparer par une vie chaste & pure ; & que s'ils tiennent une autre conduite, ils ne témoignent pas respecter assez ce Sacrement auguste.
Il ne suffit pas d'être dans toutes ces dispositions tant de l'esprit que du corps pour recevoir saintement & avec fruit la Benediction nuptiale ; il faut outre cela s'y preparer par les pratiques particulieres dont il est parlé dans les Peres & dans les Conciles.
S. Jean Chrysostome veut que les fideles s'appliquent beaucoup à la priere im- 81 médiatement avant que de se marier, afin d'attirer sur eux les graces du Ciel, & de meriter par leur pieté que Dieu benisse leur Mariage.  Lorsque vous voulez Tom. 5. Ser. 28. choisir une femme, dit-il, ne vous adressez point aux hommes, & ne consultez pas ces femmes qui font commerce de la misere des autres, & qui n'ont point d'autre dessein que de recevoir le salaire de leur entremise; mais aïez recours à Dieu.  Il n'aura pas de honte d'être lui-même l'entremetteur de vôtre Mariage, puisqu'il a dit : Cherchez le Royaume des Cieux,& toutes les autres choses vous seront données par surcroît.
Il y a aussi plusieurs Conciles qui or Concil. Colon. part. 7. c. 41. Synod. August. c. 21. Concil. Medial. 5. de Matr. & Conc. 6. Med. ibid. donnent à ceux qui ont dessein de se marier, de vaquer à la priere, & d'en faire leur occupation plusieurs jours avant que de venir à l'Eglise pour y recevoir la Benediction du Prêtre, & qui en joignent aux Pasteurs de les avertir de s'acquitter de ce devoir de pieté.
Comme la penitence fortifie la priere, & qu'elle lui donne, pour ainsi dire, des aîles aussi bien que l'aumône, afin qu'elle puisse s'élever jusqu'aux pieds du Trône de Dieu, les Conciles qui enjoignent aux fideles de se preparer au Mariage par la priere, disent aussi qu'ils doivent s'y disposer par une abstinence de plu 82 sieurs jours, par des jeûnes, & par d'autres mortifications.
Et afin qu'ils soient plus en état de participer aux graces que Dieu a attachées à ce Sacrement, l'Eglise leur ordonne d'avoir soin de confesser leurs pechez à leur propre Prêtre avant que de le recevoir, comme on le peut voir dans les Statuts de Guillaume ancien Evêque de Paris, & dans le Concile Provincial In Decr. Morum. c. 29. Sess. 23. de Refor. c. 39. de Sens de l'an 1528.  Le S. Concile de Trente passe même plus avant; car il les exhorte, non seulement à confesser leurs pechez, mais aussi à s'approcher de la sainte Eucharistie deux ou trois jours avant la celebration, ou la consommation de leur Mariage.
Que dire après cela de ceux qui ne prennent aucun tems avant que d'être mariez pour vaquer à la priere, & pour se purifier par la penitence, & qui au contraire se laissent aller à la dissipation; qui n'ont l'esprit occupé que des vanitez du siecle, & de la somptuosité de leurs meubles & de leurs habits ; qui passent dans les festins & dans la bonne chere les jours qui précedent immediatement leur Mariage, & qui au sortir du jeu, du Bal, ou de la Comedie, ne font point de scrupule de se presenter aux pied des Autels pour y recevoir la Benediction nuptiale? Il est certain qu'ils 83 n'honorent par la sainteté du Mariage comme ils devroient, & qu'ils se privent de plusieurs graces qui leur seroient conferées par ce Sacrement, s'ils y apportoient les dispositions necessaires, & s'ils avoient soin de s'y preparer comme les saints Peres & les Conciles l'ordonnent.
La plûpart à la verité ne s'y presentent qu'après s'être confessez, & avoir reçû la sainte Eucharistie ; mais c'est souvent par pure ceremonie, & seulement parceque les Pasteurs y tiennent la main, & ne leur permettroient pas sans cela de se marier : car au même tems qu'ils semblent vouloir attirer sur eux par ces exercices de pieté les benedictions du Ciel, ils s'en rendent indignes par leurs dissolutions & par leurs déreglemens.  Il arrive de là qu'ils ne tirent presque point de fruit de ces Consessions & de ces Communions qu'ils ne font que par contrainte, & qu'ils entrent dans le Mariage d'une maniere toute payenne, & entierement opposée à l'esprit du Christianisme, qui veut qu'on traite saintement les choses saintes, & qu'on ne s'en approche qu'avec respect & beaucoup de preparation.
84 Bandeau.

CHAPITRE VIII.

Qu'il est honteux aux Chrétiens de passer le jour qu'ils se marient dans des divertissemens mondains & prophanes, & encore plus dans la débauche & dans la dissolution.
A Considerer de quelle maniere la plûpart des Chrétiens se conduisent le premier jour de leurs nôces, on auroit peine à se persuader qu'ils croient que le Mariage soit un Sacrement de la Loi nouvelle12, ou bien on auroit droit de les regarder comme des impies, qui meprisent la Religion, & qui ne font aucun état de tout ce qu'elle a de plus saint & de plus venerable: car ils ne parlent que de plaisirs & de voluptez ; ils passent d'un divertissement à un autre ; ils ne gardent aucune mesure dans leurs repas ; ils proferent des paroles deshonnêtes & contraires à la pureté ; & ils s'emportent quelquefois à de tres‑grands excès. C'est un desordre qui doit faire gemir tous ceux qui ont quelque pieté, & qui aiment la beauté de la Maison du Seigneur. Les saints Peres l'ont condamné dans leurs écrits, & les Conciles dans leurs Canons ; & c'est par leurs maximes & par leurs ordonnances 85 que je prétens les combattre dans ce Chapitre.
Saint Cyprien se plaint hautement des Vierges qui ont la temerité d'assister à des nôces, & ce qu'il leur allegue pour les en détourner, prouve qu'il croit que tous ceux qui font du jour de leur Mariage un jour d'intemperance & de débauche, sont tres-criminels. Il y a, dit il, des Lib. de discip. & habitii. Virg. Vierges qui n'ont pas de honte de se trouver dans les assemblées que font ceux qui se marient, de se mêler dans leurs entretiens impures & lascifs, de prêter l'oreil aux discours dissolus & criminels qu'ils tiennent & de prendre place à leurs festins, où les regles de la sobrieté sont presque toujours violées, où la concupiscence est excitée & fortifiée de plus en plus, & où la nouvelle épouse voit tant de dissolutions qu'on diroit qu'on auroit dessein de la prepa rer à souffrir toutes sortes d'impuretez.
Saint Jean Chrysostome parlant du Hom. 48. in Gen. Mariage d'Isaac, observe que l'Ecriture porte qu'ayant rencontré Rebecca dans un champ qui venoit le trouver, il l'introduisit dans la maison ou dans la tente de Sara sa mere, & qu'il la prit pour sa femme ; mais qu'elle ne marque point qu'on ait joüé en cette rencontre d'aucuns instrumens, qu'on n'y ait vû aucune pompe mondaine, ni qu'on y ait fait pa 86 roître quelque dissolution dans les festins.  Il ajoûte ensuite que les femmes doivent imiter la modestie & la retenuë de Rebecca, & les maris suivre l'exemple de ce saint Patriarche, lorsqu'ils reçoivent leurs épouses dans leurs maisons; puis s'adressant à ceux qui s'abandonnent le jour de leurs nôces à la debauche & à l'intemperance, il leur dit: Pourquoi souffrez-vous que les oreilles des jeunes filles que vous avez épousées, soient soüillées dès le premier jour de vôtre Mariage par des chansons impures, & que leur esprit soit rempli d'une pompe seculiere que vous exposez à leurs yeux ? Ne sçavez-vous pas que la jeunesse n'est déja que trop portée au mal & à la corruption ?  & pourquoi deshonorez-vous ainsi le Mariage qui est si saint & si recommandable ? Vous devriez bannir tous ces desordres de vôtre maison, & vous appliquer de bonne heure à instruire vos épouses des regles de la pudeur & de l'honnêteté. Il faudroit sur-tout appeller chez vous les Prêtres du Seigneur & les engager à demander à Dieu par des prieres ferventes que la paix regne dans vos familles, que vous aimiez chastement vos épouses, & qu'elles suivent la vertu & vous soient fideles.
Le même Saint considerant que lors 87 que l'Ecriture parle du Mariage de JaGen. 29. cob avec Rachel, elle se contente de dire que Laban son beau-pere fit les nôces, ayant invité au festin ses amis qui étoient en fort grand nombre, remarque encore qu'il n'y eut en ce Mariage ni danses, ni concerts de Musiques, & que tout s'y passa avec beaucoup d'honnêteté & de moderation ; il prend de là occa Hem. 56. in Gen. sion de parler contre ceux qui le jour de leurs nôces s'abandonnent au luxe & à la vanité, proferent des paroles impures, & prennent des libertez qui blessent la bienséance. Il dit que c'est le démon qui les porte à tous ces excès, afin de les corrompre, d'exciter leurs passions, & d'empêcher qu'ils ne vivent en paix, & qu'ils ne s'entr'aiment comme ils y sont obligez.
Il ajoûte qu'on n'en fait tous les jours que trop de funestes experiences; que les maris aprés avoir goûté tant de plaisirs differens, & vû une infinité d'objets qui les attirent, & qui plaisent à leurs sens, n'ont plus que de l'indifference, & même du mépris pour leurs femmes, & que celles-ci au milieu des spectacles & des festins dissolus ausquels on les contraint d'assister, s'accoûtument à prendre des libertez qui les rendent suspectes à leurs maris, & produisent ensuite des divorces & des répudiations. Il prévient ceux 88 qui pourroient dire que c'est la coutume de prendre ces sortes de divertissemens lorsqu'on se marie ; & il leur répond qu'il faut combattre cette mauvaise coutume par l'exemple si loüable des anciens Patriarches, qui faisoient paroître tant de sagesse & de moderation dans leurs Mariages. Il dit enfin que c'est une honte à des Chrétiens d'avoir en ces rencontres moins de modestie & de retenuë que n'en témoigna Laban qui étoit un Payen, lorsqu'il maria sa fille Rachel.
Ce saint Docteur parle encore tres‑Hom. 12. fortement contre ce desordre dans son Commentaire sur la premiere Epître aux Corinthiens. Il dit que les maris qui deshonorent la solemnité de leurs nôces par les dissolutions dont on vient de parler, corrompent eux-mêmes leurs femmes, les portent au luxe & à la vanité, les font en quelque maniere renoncer à la pudeur qui est si convenable aux personnes de leur sexe, leur apprennent à être hardies & impudentes,& sont par ce moyen cause qu'elles ne peuvent plus se conduire comme de bonnes meres de famille, & qu'elles tombent quelquefois dans de grands desordres, qui ruinent leur fortune, & les deshonorent devant les hommes.
Les Conciles se sont aussi expliquez sur ce sujet, & n'ont pas manqué de blâmer 89 ceux qui profanent la sainteté du Mariage par leur immodestie & par leurs débauches. Celui de Laodicée défend aux fideles qui se trouvent aux nôces, de dan Cap. 53. ser, & de rien faire qui puisse blesser la gravité qui convient à des Chrétiens. Celui de Mayence qui fut tenu l'an 1549. Cap. 38. défend aussi, non seulement les danses, mais toutes sortes d'intemperances, soit dans le boire ou dans le manger.
Comme il se trouve quelquefois des gens qui portent leur insolence jusqu'à commettre des irréverences même dans les Eglises, lorsqu'on celebre les Mariages, les Conciles ont eu soin de s'opposer à leur temerité, & de la reprimer par leurs Decrets. Ainsi les Peres qui tinrent celui de Sens l'an 1528. firent cette Ordonnance celebre: Puisqu'il est certain In decretis mor. c. 39. que le Mariage a été institué par le Createur universel de toutes choses dans le Paradis Terrestre pendant l'état d'innocence, & que l'Apôtre nous assure qu'il est un Sacrement, il est indubitable qu'on ne doit en approcher qu'avec beaucoup de réverence & de devotion, afin de recevoir la grace qu'il confere aussi - bien que les autres Sacremens. C'est pourquoi nous défendons expressément à tous les fideles de rire, de faire des railleries, de proferer des paroles ridicules, & de commettre au 90 cunes immodesties pendant qu'on fait les fiançailles, ou qu'on donne la benediction nuptiale. Il faut au contraire avertir ceux que l'on fiance qu'ils sont obligez de ne se presenter à ce Sacrement qu'avec respect, étant à jeun, & après avoir conçu une veritable contrition de leurs pechez, & s'en être confessez.
Le Concile de Mayence de l'an 1549. défend de tirer & de pousser le marié Cap. 38. dans l'Eglise, & de faire d'autres choses de cette nature qui procedent d'une grande legereté d'esprit, & qui sont contraires au respect qui est dû à la sainteté du Sacrement.
Il s'étoit introduit un autre abus en Ita Qua ad Sacram. matrim. pertin. lie.  On buvoit dans l'Eglise lorsqu'on faisoit un Mariage, & on cassoit ensuite les verres. Le premier Concile de Milan sous saint Charles le corrigea, & défendit de rien faire de semblable.
Le second Concile tenu au même lieu Titul. 1. decret.38. & par le même Prelat enjoint aux Curez d'empêcher qu'on ne jouë d'aucun instrument de Musique dans l'Eglise pendant qu'on se marie, & de refuser la Benediction nuptiale à ceux qui ne voudront pas faire retirer ceux qu'ils avoient fait venir pour les coucher.
L'on peut juger après cela que j'ai eu raison de dire qu'il est honteux à des 91 Chrétiens de se laisser aller à des joyes immoderées, & de s'abandonner à la débauche le jour même qu'ils se marient; qu'ils se rendent coupables de la prophanation d'un Sacrement tres-auguste, lorsqu'ils tombent en de semblables déreglemens ; qu'ils ne sçauroient s'excuser ni se justifier par la coûtume des gens du monde, parcequ'elle est abusive, & contraire aux bonnes mœurs, & qu'on ne peut prescrire contre l'honnêteté & la vertu.
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CHAPITRE IX.

Comment ceux qui ont la crainte de Dieu devant les yeux peuvent se comporter le jour qu'ils se marient, afin de ne rien faire d'indigne de la saintete du Sacrement.
APrés avoir expliqué les défauts & les abus que les fideles sont obligez d'éviter lorsqu'ils se marient, il est juste de leur marquer en particulier comment ils doivent se conduire le premier jour de leurs nôces, afin de le passer d'une maniere sainte, & de ne pas profaner un sacrement si auguste.
Il faut d'abord leur dire qu'ils sont obligez de s'abstenir ce jour-là de toute sorte de vanité, & de se vêtir avec beau 92 coup de modestie. Car devant paroître au pied des Autels pour y assister au saint Sacrifice, & pour y contracter une alliance sainte, il n'est nullement convenable qu'ils s'y presentent avec des marques du luxe & des pompes du siecle, qui ne sont propres qu'à irriter Dieu, & qui pourroient l'empêcher de donner sa benediction à leur Mariage.
J'ai fait voir au Chapitre septiéme que saint Jean Chrysostome & les Conciles veulent que ceux qui ont dessein de s'engager dans le Mariage, s'y préparent par de frequentes prieres, afin d'attirer sur eux les graces du Ciel, & de se disposer à les recevoir. J'ajoûte maintenant que la consideraton des graces qui leur sont communiquées par la benediction du Prêtre & par la vertu du Sacrement, doit les porter à prier beaucoup le premier jour de leur mariage, & à prendre quelque tems pour s'appliquer à des lectures de pieté qui regardent leur état pour s'affermir dans les bonnes resolutions qu'ils ont formées, pour remercier Dieu des misericordes qu'il a répanduës sur eux, & pour lui demander les forces qui leur sont necessaires pour s'acquiter dignement de leurs devoirs & de leurs obligations.
Cependant la plûpart des fideles negligent ces exercices de pieté le jour 93 qu'ils sont mariez, & il n'y en a presque point qui pense alors à prier ; c'est ce qui justifie qu'ils manquent de lumieres, & qu'ils n'ont pas une assez haute idée du Mariage. Ils demeurent d'accord qu'il faut prier, pratiquer de bonnes œuvres, & vivre dans le recueillement le jour qu'on participe aux autres Sacremens, & ils ont raison. Mais pourquoi ne font - ils pas la même chose le jour qu'ils contractent Mariage au pied des Autels, puisqu'ils reçoivent un Sacrement qui est tres-saint, & qui confere la grace ? & d'où vient qu'ils mettent cette difference entre des Sacremens qui ont été également instituez par nôtre-Seigneur JESUS-CHRIST, & qui ont tous la force de sanctifier ceux qui en approchent avec les dispositions necessaires ?
J'ai aussi prouvé dans le Chapitre precedent qu'il est honteux à des Chrétiens de s'abandonner à la joie & à la débauche le jour de leur Mariage. Mais il ne faut pas conclure de ce que j'y ai representé, qu'il ne soit point permis de se réjoüir, ni de faire aucun festin en cette rencontre ; car ce n'est pas là ma pensée, & les Peres & les Conciles que j'ai citez ne le défendent point.
En effet on ne sçauroit blâmer ceux qui invitent leurs parens & leurs amis à 94 la ceremonie de leurs nôces, & qui se réjoüissent avec eux d'une maniere honnête & chrétienne, puisque l'Ecriture marque expressement qu'il y eut un Gen. 24. 54. festin lorsqu'Isaac épousa Rebecca ; que Laban en fit aussi un où il convia un grand nombre de ses amis pour cele Gen. 29. 22. brer le Mariage de sa fille Rachel avec le Patriarche Jacob ; que les nôces du 12.& cap. 12. 21. jeune Tobie furent aussi accompagnées d'un festin, & que son pere le vieux Tobie traita ses parens & ses amis pendant sept jours à l'occassion de son Ma Joan. 2. riage ; que JESUS-CHRIST a bien voulu assister au festin des nôces de Cana, & qu'il y a même fait un miracle celebre en faveur des mariez.  Mais il faut se souvenir que ces sortes de réjoüissances doivent se passer avec beaucoup de modestie & de retenuë, comme l'ordonne le Concile de Mayence dont j'ai déjà parlé, afin d'être agreables aux yeux de Dieu; & ceux qui s'y trouvent, doivent imiter les parens & les amis de Tobie, qui assistant au festin de ses nôces, eurent soin, dit l'Ecriture, de s'y conduire Tob. 12. avec la crainte du Seigneur : Cum timore Domini nuptiarum convivium exercebant.
Ce que je viens de dire des festins, peut être appliqué aux promenades & aux recreations.  On n'a pas droit de les interdire à ceux qui se marient ; mais il 95 faut qu'ils s'y comportent avec la gravité & la retenuë qui convient au Sacrement qu'ils ont reçû.
Il est sur-tout tres-important d'avertir les nouveaux époux de veiller en ce jour avec beaucoup d'exactitude sur euxmêmes, & d'être fort appliquez à la garde de leurs sens & de leur ame, de peur que le démon ne les surprenne, & ne les engage à rien faire qui soit indigne de ce Sacrement.  Car il se sert souvent du déreglement & de la dissolution de ceux qui assistent à leurs nôces, pour les corrompre & pour les porter à prendre entre-eux des libertez indécentes, & qui ne conviennent pas à la sainteté du Mariage.
Il leur sera tres-avantageux de penser alors à la retenuë & à la pudeur de Rebecca, qui se voyant sur le point de paroître pour la premiere fois en presence d'Isaac son mari, se voila aussitôt, & baissa la vûë en terre par un sentiment de modestie : car l'exemple de cette sainte femme, s'ils y font une reflexion serieuse, leur inspirera de l'éloignement de tout ce qui n'est pas assez modeste, & leur apprendra qu'ils ne doivent en ce jour se regarder qu'avec des yeux chastes & purs, & qu'ils sont obligez de respecter leurs corps, & de ne les pas deshonorer par aucune chose 96 qui puisse ressentir l'impureté, ou même y disposer.
L'Ecriture marque que l'Ange qui conduisoit Tobie dans son voyage, l'instruit de tout ce qu'il devoit faire, & qu'il lui conseilla entr'autres choses, de garder la continence les premiers jours Tob. 6. 18. de son Mariage. Après que vous aurez épousé Sara, lui dit-il, vivez avec elle pendant trois jours, & ne pensez à autre chose qu'à prier Dieu avec elle. Ce jeune au chap. 3. homme, comme on l'a déja observé, fut tres-exact à suivre son conseil : car l'on voit dans le Texte sacré qu'il a dit à sa femme la premiere nuit de leurs nôces : Sara, levez-vous, & prions Dieu aujourd'huy & demain, & après demain, parceque durant ces trois jours nous devons nous unir à Dieu ; & après la troisiéme nuit nous vivrons dans nôtre Mariage. C'est encore là un exemple memorable de ce que pourroient faire les gens mariez pour attirer sur eux les graces du Ciel, & pour honorer la grandeur & la sainteté du Mariage.  Il est même bon d'observer qu'il y a des Canons qui ordonnent aux fideles d'imiter cette conduite de Tobie.
Le quatriéme Concile de Carthage Cap. 13. veut qu'ils gardent la continence la premiere nuit de leurs nôces. Il faut, dit-il, que l'époux & l'épouse qui doivent être  97 benis par le Prêtre lui soient presentez par leurs parens, ou par ceux qui ont soin d'eux. Et après qu'il les aura benis, ils passeront la nuit suivante dans la pureté & dans la continence, afin de témoigner qu'ils respectent & qu'ils honorent la Benediction nuptiale qu'ils ont reçûë.
L'Ordonnance de ce Concile a été jugée si importante dans la Morale Distinct. 23. c. 3330. q. 5. c. 5. Chrétienne, qu'elle a été inserée dans le corps du Droit Canonique ; & l'on voit dans les fragmens qui nous restent d'un Concile de Valence tenu au sixiéme siecle, qu'elle y fut renouvellée, & qu'on l'y avoit inserée sans y rien changer.
Les Capitulaires de Charlemagne Lib. 7. c. 463. portent les choses encore plus loin, car ils veulent que les nouveaux époux vaquent à la priere, & gardent la continence pendant les deux ou trois premiers jours de leur Mariage.
Herald Archevêque de Tours, ordonne la même chose dans ses Capitulaires. Et il ne faut pas s'en étonner, >c. 89. car cette pratique a toujours été en usage dans la France ; & l'Auteur de la Vie Surius die 27. Aug. c. 29. de saint Cesaire d'Arles rapporte, qu'il fit un Statut exprès pour obliger les nouveaux mariez à garder la continence les trois premiers jours de leurs nôces.
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Balsamon témoigne que cette disci ad Can. 4. Carth. pline s'observoit aussi parmi le Grecs, & qu'ils décernoient des peines contre ceux qui ne passoient pas dans la continence le premier jour de leur Mariage.
Enfin le cinquiéme Concile de Milan tenu sous saint Charles, marque expressément que les Pasteurs doivent avertir les fideles de ne consommer leur Mariage que trois jours après qu'ils ont reçû la Benediction nuptiale. Voici son Que ad Mapertim. Decret : Que le Curé avant que de publier comme l'ordonne le Concile de Trente, les trois bans de ceux qui veulent se marier, ne manque pas de les avertir & de les exhorter de tout son pouvoir, de s'y preparer par des jeûnes & par des prieres ; d'avoir encore soin de vaquer à la priere, après qu'ils auront reçû la Benediction nuptiale de la main de leur propre Pasteur, & de garder la continence pendant trois jours de suite par respect pour ce Sacrement.
Quoique cette discipline soit tres‑sainte, & qu'il fût fort à souhaiter que tout le monde l'observât : je ne prétens pas neanmoins condamner ceux qui ont tenu une autre conduite en se mariant ; soit faute d'instruction, ou parcequ'ils n'en ont pas eû le movement ; je ne dis point non plus qu'on soit ab- 99 solument obligé d'embrasser cette pratique : car mon intention n'est par de gêner en ce point les fideles, ni de leur faire entendre que tous ceux qui en usent autrement fassent mal : mais j'ai crû qu'il étoit bon de leur representer la doctrine des Conciles sur ce sujet, afin qu'ils sçachent au moins ce qui est d'une plus grande perfection ; & que ceux d'entr'eux qu ne sont pas encore mariez, puissent s'y soumettre, s'ils s'y sentent portez interieurement de part & d'autre.
Voilà en general ce que j'avois à leur dire, pour leur marquer comment ils peuvent se comporter le jour de leur Mariage, afin de le passer chrétiennement, & de le sanctifier. Mais s'ils sont fideles à Dieu, & si leur cœur est penetré de la grandeur & de la sainteté de nos Mysteres, ils n'en demeureront pas là ; & au lieu de s'abandonner à la joie & à la dissolution comme la plûpart des gens du monde, ils trouveront plusieurs autres pratiques spirituelles qui contribuëront à les édifier, & à les porter à la pieté.  Ainsi je ne m'étendrai pas davantage sur cette matiere, afin de continuer l'explication de leurs devoirs.
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CHAPITRE X.

Que ceux qui s'engagent dans le Mariage doivent y vivre honnêtement, & n'y point rechercher le plaisir.
Tout ce que j'ai jusqu'à present representé, regarde la preparation & les dispositions au Mariage.  Je vas maintenant parler des obligations essentielles de ceux qui y sont déja engagez, & j'expliquerai desormais comment ils doivent se conduire, s'ils veulent suivre les veritables maximes de l'Évangile.  Or je croi qu'il n'y a rien de plus important, que de leur faire comprendre qu'ils sont obligez d'y vivre d'une maniere pure & honnête, & qu'il ne leur est point permis d'y rechercher le plaisir; c'est ce qu'il me sera tres-facile de leur prouver par l'Ecriture & par les saints Peres.
Tobie qui peut servir de modele à tous les gens mariez, dit à Sara sa femme la premiere nuit de leurs nôces : Nous sommes les enfans des Saints, & nous ne de- Tob. 8. 5. & 9. vons pas nous marier comme les Payens qui ne connoissent point Dieu.  Il fit ensuite cette admirable priere : Vous sçavez, Seigneur, que ce n'est point pour satisfaire ma passion que je prens ma sœur pour être ma femme, mais que je m'y porte par le 101 seul desir de laisser des enfans qui benissent vôtre Nom dans tous les siecles.
Saint Paul dans son Epître aux He Cap. 13. 4. breux, prononce cette Sentence celebre, Que le Mariage soit traité de tous avec honnêteté, & que le lit nuptial soit sans tache.  Et lorsqu'il écrit aux Thessaloniciens, il leur dit, selon l'interpretation de S. Augustin, & de plusieurs autres Peres : La volonté de Dieu est que vous 1. Thess. 4. 4. soyez saints & purs, que vous vous absteniez de la fornication, & que chacun de Lib. 1. de nupt. & concupisc. c. 8. vous sçache se conduire envers sa femme avec sainteté & avec respect.
Saint Pierre dit aux Maris : Vivez sagement avec vos femmes, afin que vos 1. Pet. 3. 7. prieres ne soient point interrompues.
Ce sont là sans doute autant de preuves éclatantes qui justifient qu'il faut respecter le Mariage ;  & que ceux-là s'éloignent de l'esprit & de la conduite des Saints, qui ne se proposent point d'autre fin, lorsqu'ils s'y engagent, que de contenter leurs passions. Mais écoutons les Peres de l'Eglise sur ce sujet : car ils l'ont traité avec beaucoup de soin, & ils l'ont regardé comme une des points les plus importans de la Morale Chrétienne.
Tertullien voulant détourner les fem Lib. 2. ad uxor. c. 3. mes chrétiennes d'épouser des hommes infideles, leur représente qu'ils les porteront à plusieurs choses qui les soüille 102 ront, & qui deshonoreront leurs corps, & qu'ils ne leur permettront pas de vivre dans le Mariage comme doivent faire les Saints, c'est-à-dire les fideles, qui n'en usent qu'avec beaucoup de modestie & de retenue, & seulement pour obéir aux necessitez de la nature, & qui s'y conduisent en toutes rencontres comme des personnes qui pensent continuellement à Dieu, & qui se tiennent toujours en sa presence. Ce Pere marque ainsi en peu de paroles, comment ceux qui travaillent serieusement à operer leur salut, doivent se comporter dans le Mariage. Bien loin de se laisser aller à aucune dissolution, ils aiment la pudeur ; ils ne font rien que de sage & de bien reglé ; ils n'en usent que pour suivre l'ordre de la nature ; ils s'acquittent de ce devoir avec toute sorte de modestie, parcequ'ils sçavent que Dieu les voit, & qu'il sera le Juge de leur conduite.
Saint Clement Alexandrin instruisant les gens mariez, les avertit qu'ils ne doivent pas s'imaginer que les tenebres de la nuit soient pour couvrir & pour cacher leur immodestie & leur intemperance ; qu'il faut au contraire que la pudeur qui est comme une étincelle de Lib. 2. padag. cap. 10. la raison, leur serve alors de flambeau pour les conduire, & pour leur faire éviter les précipices où l'incontinence 103 pourroit les faire tomber.
Et parceque ce sont ordinairement les hommes qui ne gardent pas les regles de l'honnêteté dans l'usage du Mariage, & qui se portent à des excès condamnables, il leur represente, qu'étant les superieurs de leurs femmes, ils doivent leur apprendre, par leur exemple, la retenue & la modestie chrétienne dans le commerce conjugal. S'il ne vous est ja Ibid. mais permis, dit-il, en s'adressant à un mari, de rien faire contre l'honnêteté, à plus forte raison êtes-vous obligé de donner à vôtre épouse des exemples de pudeur, & d'éviter toute sorte de turpitude dans le commerce que vous avez avec elle. Il faut que ce qui se passe dans vôtre propre maison, lui soit un témoignage que vous vivez chastement avec les autres. Et soyez persuadé qu'elle aura peine à croire que vous vous conduisiez bien, & que vous soyez chaste, si dans les plaisirs que vous prenez avec elle, vous lui donnez des marques de vôtre incontinence.
Il déclare ensuite à ceux qui vivent dans le Mariage, que pour y suivre les regles que la nature prescrit, il faut s'accoutumer de bonne heure à dompter ses passions ; que la raison est un tres-bon moyen pour surmonter l'impureté; mais que la vie sobre est le meilleur remede 104 dont on puisse se servir pour terrasser entierement ce vice ; parceque c'est ordinairement la bonne chair qui irrite la concupiscence, & qui inspire l'amour du plaisir.
C'est en suivant ce même esprit, que Lib. de contin. c. saint Augustin dit que le Mariage a été institué, non pour donner toute sorte de liberté à la concupiscence, mais pour l'empêcher de se porter à des excès, pour la regler, pour la contenir en de certaines bornes, & pour la faire servir à une fin honnête & legitime ; que les Lib. de bono conjug. c. 20. Patriarches & les saintes femmes qui vivoient sous l'ancien Testament, se marioient, non par sensualité comme on l'a déja remarqué, mais pour obéir à la Loi écrite, & pour se mettre en état de donner naissance au Messie; que les Justes13 Lib. 2. de nupt. & concupis. c. 31. qui ne recherchent point de plaisir dans le Mariage, s'affligent & gemissent de ne pouvoir en user sans en ressentir, & regardent cela comme un tres-grand supplice ; & que s'engager dans cet état, non pour avoir des enfans, mais pour & Lib. 1. eodem Tit. c. 4. suivre les mouvemens de la chair, c'est imiter le bêtes, & se reduire, pour ainsi dire, à leur condition.
On peut encore juger combien ce Pere étoit éloigné de croire qu'on puisse s'engager dans le Mariage pour contenter ses passions, puisqu'il enseigne en une 105 infinité d'endroits de ses Ouvages, que ceux qui en usent dans la seule vûe du plaisir, commettent toujours quelque peché, non pas à la verité mortel, mais au moins veniel, & qu'ils ont besoin que Dieu leur pardonue ces sortes de fautes & d'imperfections.
Enfin ce saint Docteur déclare que les Lib. 2. contra Julian. c. 7. gens mariez sont absolument obligez de garder plusieurs regles dans l'usage du Mariage ; & que s'ils y manquent, non seulement ils pechent, mais ils se rendent indignes de porter la qualité de maris & de femmes.  Il prononce même après S. Ambroise, qu'un homme qui vit avec incontinence dans le Mariage, devient en quelque maniere l'adultere de sa propre femme.  Cette expression est tres remarquable, & elle justifie clairement que ces deux grands Docteurs de l'Eglise n'ont pas regardé le Mariage comme un voile destiné à cacher & à couvrir les dissolutions de ceux qui s'y engagent.
Il faut encore rapporter en ce lieu, ce que le même S. Augustin dit pour combattre les Manichéens, qui vouloient que les maris ne s'approchassent de leurs femmes que lorsqu'ils croyoient qu'elles n'étoient pas en état de concevoir. Ils les regarde comme des gens sensuels qui n'ont point d'autre intention que de sa 106 tisfaire leurs cupiditez.  Il les accuse de deshonorer le Mariage par cette conduite brutale.  Il soutient qu'ils traitent leurs Lib. morib. Manich. c. 18. femmes comme des concubines, qu'on ne recherche que pour le plaisir, & pour contenter ses passions, & non pour en avoir des enfans.
L'on peut ajouter qu'on vit en Espagne sur la fin du sixéme siecle, un exemple encore plus funeste, des excès ausquels se portent ceux qui ne pensent qu'à satisfaire leur sensualité dans le Mariage : car il se trouva des gens qui tuoient leurs propres enfans après leur naissance, & qui trempoient leurs mains parricides dans leur sang. Les Peres du troisiéme Concile de Tolede avertis d'une telle inhumanité, prirent toutes les précautions necessaires pour l'arrêter ; & pour préChap. 27. venir tant de crimes détestables, ils engagerent le Roy Reccareda qui gouvernoit alors les Espagnes, à employer son autorité souveraine pour réprimer cette barbarie monstrueuse.
La Doctrine du Catechisme du Concile de Trente est trop importante sur ce sujet, pour être obmise. Il faut, dit-il, Dasacramento matrim. §. 7. avertir les Fideles, qu'ils ne doivent point user du Mariage pour satisfaire leur sensualité, mais pour les fins que nous avons ci-devant marquées, pour lesquelles Dieu l'a institué.  Car ils doi-  107 vent se souvenir continuellement de ce que dit l'Apôtre : Que ceux qui ont des femmes, soient comme n'en ayant point; & de ce que dit S. Jerôme, qu'afin qu'un homme sage soit le maître de sa sensualité dans l'usage du Mariage, ce doit être la raison, & non sa passion, qui regle l'amour qu'il a pour sa femme; n'y ayant rien de plus honteux que d'aimer sa femme avec autant de passion & de déreglement qu'on feroit une adultere.
Je croi que les lecteurs demeureront maintenant d'accord, qu'il n'est point permis de rechercher le plaisir, ni de suivre les mouvemens de la chair dans l'usage du Mariage ; & qu'on est au contraire obligé de s'y conduire avec beaucoup de retenue & de modestie. Je prévois neanmoins que quelques-uns pourront dire que cela est tres-difficile; que les hommes sont foibles ; qu'ils n'ont pas toujours la force de se surmonter ; & que souvent ils sont emportez par l'impétuosité de leurs passions. Mais je leur répondrai que ce qui paroît difficile, & même impossible aux hommes mondains & charnels, leur deviendra doux & facile, s'ils ont soin de s'éloigner de la corruption du siecle, s'ils se mortifient, s'ils font penitence, s'ils se chargent de la Croix de JESUS-CHRIST, 108 & s'ils ont souvent recours à la priere. Car ces saints exercices fortifieront leur homme interieur, & les mettront en état de resister à leurs passions ; lorsqu'elles entreprendront de les porter à quelques excès qui pourroient deshonorer leurs corps, & blesser l'honneur du Mariage.
C'est le conseil que saint Cesaire d'Arles donnoit autrefois aux gens mariez, qui prétendoient ne pouvoir garder les regles de la continence qu'il leur prescrivoit. Vous alleguez, leur disoit‑il, qu'il vous est impossible d'observer serm. 88. ce que je vous ordonne ; mais ne vous y trompez pas, cela vient de ce que vous mangez avec excès ; que vous vous remplissez de vin; que vous donnez trop de liberté à vos pensées, & que vous vous accoutumez à proferer des paroles sales & deshonnêtes. Abstenez vous de toutes ces choses; veillez la nuit, mortifiez-vous, priez, donnez l'aumône, pardonnez à vos ennemis ; & ensuite vous n'aurez pas de peine à vous soumettre à tout ce que je vous dis de la maniere dont il faut se conduire dans le Mariage.
Et avant lui saint Augustin avoit dit, Lib. 3. contra Julian. c. 21. en parlant de cette matiere, que la continence conjugale est obligée de soutenir plusieurs combats aussi-bien que la vir- 109 ginité, parcequ'elle doit se défendre d'une infinité d'ennemis qui l'attaquent de toutes parts, & qui veulent lui persuader de passer les bornes qui lui ont été marquées.
Ainsi on peut conclure sans craindre de se tromper, qu'il faut que tous les Fideles se conduisent d'une maniere sage & honnête dans le Mariage, & qu'ils ne doivent point y rechercher le plaisir ; mais que pour être capables d'y vivre avec la regularité que je viens d'expliquer, il est absolument necessaire qu'ils s'abstiennent des plaisirs & des voluptez du siecle ; qu'ils se soumettent aux austeritez & aux mortifications de la penitence, & qu'ils adressent à Dieu de frequentes prieres, afin d'obtenir de son infinie misericorde, tous les secours dont ils ont besoin, pour ne rien faire d'indigne de la sainteté de leur état.
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CHAPITRE XI.

Qu'il faut que les gens mariez ne s'aiment que d'un amour saint & bien reglé, & qu'il y a plusieurs defauts qu'ils doivent éviter dans l'amour qu'ils ont les uns pour les autres.
Je ne m'arrêterai pas ici à prouver aux maris & aux femmes qu'ils sont obli- 110 gez de s'entr'aimer, car la nature les y porte assez : ils n'en sont eux - mêmes que trop convaincus ; & dans la suite de ce Traité j'aurai lieu de parler en particulier de l'amour que le mari doit avoir pour sa femme, & la femme pour son mari.  Mais il me semble necessaire de leur faire comprendre, avant que d'entrer davantage en matiere, que leur amour doit être saint & bien reglé ; & qu'il est absolument necessaire qu'ils évitent plusieurs defauts qui s'y glissent tres-souvent, & qui le défigurent & le corrompent.
Qu'il faille que leur amour soit saint, Eph. 5. 82. qui en pourroit douter ? puisque S. Paul dit que le Mariage est un grand Sacrement en JESUS-CHRIST & en l'Eglise, c'est-à-dire que l'union du mari & de la femme est destinée à representer celle de JESUS-CHRIST avec son Eglise. Or ce divin Sauveur aime l'Eglise d'un amour saint & spirituel ; & qui ne tend qu'à la sanctifier & à la perfectionner ; cette chaste Epouse a aussi pour lui un amour saint & spirituel, qui fait qu'elle l'adore en esprit & en verité ; qu'elle lui est soumise ; qu'elle lui obéit, & qu'elle met en lui toute son esperance.  Par consequent les gens mariez sont obligez de ne s'aimer que dans la vue de Dieu, & d'un amour qui ne soit fondé que sur 111 la pieté.  C'est ce que ce saint Apôtre ordonne expressément aux Ephesiens : Comme l'Eglise, leur dit-il, est soumise à Jesus-Christ, les femmes doivent aussi être soumises en tout à leurs maris ; & vous maris, aimez vos femmes comme Jesus‑Christ a aimé l'Eglise, & s'est livré lui‑même à la mort pour elle, afin de la santifier, & de la faire paroître devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable ; mais étant sainte & irrepréhensible.
Les saints Peres ont parlé conformément aux principes de ce saint Docteur des nations, lorsqu'ils ont traité du Mariage.  Saint Jerôme enseigne que In Epist. ad Ephes. c. 5. v. 24. l'union entre le mari & la femme doit être sainte & tres pure, & ne tenir rien de la chair & du sang.  Saint Augustin declare qu'il ne suffit pas aux maris de ne point concevoir de desirs illicites Lib. 21. de Civit. Dei c.26. pour des femmes étrangeres, mais qu'ils ne doivent aimer les leurs propres que d'une amour saint, & conforme aux maximes les plus pures de l'Evangile ; & que s'ils y mêlent quelque chose de charnel, ils ont besoin de passer par le feu des tribulations & des afflictions de la penitence, dont parle saint Paul, afin d'être purifiez de ces sortes de ta 1. Cor. 3. 15. ches, & de pouvoir ensuite entrer dans le Royaume des Cieux.   Et le Cate- 112 chisme Romain dit que la fidelité con De Sacram. Matri. §. 5. jugale oblige le mari & la femme à s'aimer, non en la maniere que s'aiment les adulteres, mais d'un amour pur, saint, & comme J. C. aime l'Eglise, parceque l'Apôtre ne leur prescrit point d'autre regle de leur amour, que celui que ce divin Sauveur a eu pour sa sainte & chaste Epouse.
A l'égard des défauts qu'ils doivent éviter, on peut les reduire à quatre principaux.
1. L'on voit souvent des gens mariez qui se laissant dominer par l'amour qu'ils ont les uns pour les autres, s'éloignent du service de Dieu, violent sa loy, & tombent dans de grands desordres.
Il y a des maris qui sous prétexte qu'ils aiment leurs femmes, tolerent leurs passions & les fomentent ; qui souffrent qu'elles s'adonnent au jeu avec excès ; qui les laissent vivre d'une maniere trop libre ; qui les entretiennent dans la vanité du siecle ; & qui de peur de les contrister, ne les contredisent en rien, & ne resistent à aucune de leurs volontez, quelques déreglées qu'elles puissent être.
Il se trouve aussi des femmes, qui ayant un faux amour pour leurs maris, approuvent leur vie licentieuse, prennent part à leurs égaremens, & leur 113 obéissent en plusieurs choses qui bessent l'honneur de Dieu, & leur propre conscience.
Les saints Peres regardent cela comme un grand desordre : cependant ils disent que c'est un malheur dont il est tres difficile que les maris & les femmes se garantissent, à moins qu'ils ne veillent exactement sur eux-mêmes, & qu'ils n'ayent soin de purifier leur amour & de le sanctifier par la meditation de la Loy de Dieu.  Ils observent même qu'Adam & Salomon succomberent à cette tentation: ils soutiennent qu'ils ne pecherent que parcequ'ils n'eurent pas la force de s'élever au dessus des fausses persuasions de leurs femmes. Est-il Lib. 11. de Gen. ad Lit. o. 41. croyable, dit saint Augustin, que Salomon, cet homme si sage & si éclairé, ait été persuadé qu'il y eût quelque avantage à adorer les Idoles ?  Il n'y a point sans doute d'apparence ; mais sa chute vint de ce qu'il ne put se défendre de l'amour de ses femmes qui lui proposoient d'adorer leurs faux Dieux : la crainte de les contrister l'emporta dans son esprit sur la consideration de son devoir, & lui fit faire ce qu'il sçavoit être illégitime. Tout de même Adam ne mangea du fruit défendu, que de peur de contrister sa femme qui avoit été seduite par le demon, & qui le lui  114 presentoit. Ce ne fut point la révolte de sa chair, ni de sa partie inferieure contre la loy de son esprit qui le fit tomber : car il n'en avoit encore senti aucune ; mais il pecha par une trop grande facilité, & par une certaine amitié mal rereglée qui fait qu'on aime mieux offenser Dieu, que d'encourir la haine & l'inimitié des hommes.
Il faut que les Fideles qui vivent dans le Mariage, fassent tous leurs efforts pour ne pas tomber dans ce précipice. Ils doivent à la veritê s'entr'aimer ; mais l'amour qu'ils ont les uns pour les autres, doit être soûmis à celui de Dieu, & s'y rapporter. Il faut qu'ils fassent reflexion que JESUS-CHRIST a dit dans l'Evangile : Si quelqu'un vient à moi, & ne hait pas son pere & sa mere, sa femme, ses enfans, ses freres & ses sœurs, & même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Car cette parole apprend aux maris, que bien loin que l'amour de leurs femmes doivent les détourner de la pieté & du service de Dieu, ils sont au contraire obligez de ne les pas écouter, & de les haïr toutes les fois qu'elles les portent au relâchement, & qu'elles les mettent quelque obstacle à leur salut.
Il faut dire la même chose aux femmes Chrétiennes.  Elles sont obligées 115 d'aimer leurs maris ; mais si l'amour qu'elles ont pour eux, se trouve en concurrence avec celui qu'elles doivent à Dieu, il n'y a point à douter ; il faut qu'elles conçoivent pour eux une sainte haine, & qu'elles prennent la resolution de leur resister, & de s'éloigner de leurs mauvais exemples, afin de suivre les maximes saintes de l'Evangile, & de marcher avec sûreté dans la voie du salut. C'est en cette rencontre qu'a lieu cette autre parole du Sauveur du monde : L'homme aura pour ennemis ceux de sa Matth. 10. 36. propre maison : car les Fideles sont obligez de garder comme leurs veritables ennemis, tous ceux qui les détournent de la vertu, quand même ils seroient leurs parens les plus proches, & qu'ils leur seroient unis par la qualité de maris & de femmes.
2. Il arrive quelquefois que ce ne sont ni les femmes, ni les enfans qui sollicitent leurs maris & leurs peres de faire quelque choise d'illégitime, mais que ceux-ci s'y portent d'eux-mêmes, par la tendresse naturelle qu'ils ont pour leurs femmes & pour leurs enfans.  Ils s'occupent de ce qui pourra leur arriver après leur mort ; ils craignent de les laisser sans biens & sans appui ; ils s'imaginent les voir déja réduits à la derniere misere : ce qui est souvent 116 cause qu'ils commettent des injustices, & qu'ils violent la Loy de Dieu pour leur amasser des richesses, & pour leur procurer un établissement avantageux. C'est-là une autre espece de tentation à laquelle il faut que les Fideles resistent genereusement.  Ils doivent pour la surmonter, considerer que l'amour qu'ils sont obligez d'avoir pour leurs femmes & pour leurs enfans, doit être saint & chrêtien ; & que par consequent il ne faut pas qu'il leur soit une occasion de blesser les regles de la justice.
Il sera même bon qu'ils fassent reflexion que Dieu a promis dans les Ecritures de proteger les veuves & les orphelins, & de pourvoir à leur subsistance : car cette pensée, que leurs femmes & leurs enfans ne seront pas abandonnez après leur mort, & que la divine Providence aura soin d'eux, & leur fournira tout ce qui leur sera necessaire, les empêchera d'avoir recours à des moyens illicites pour les tirer de la misere, & pour assurer leur fortune.
3. Il y a des maris & des femmes qui font dégenerer l'amour qu'ils se portent à une attache ridicule ; qui ne sçauroient se passer de se voir, qui veulent être toujours ensemble, qui se témoignent en toutes rencontres de vaines complaisances, & qui s'applaudis- 117 sent les uns aux autres dans tout ce qu'ils font, & même dans les choses les plus indifferentes.
Seneque, au rapport de saint Jerô Lib. 1. adversus Jovintam me, parle même d'un homme de qualité, qui ne pouvoit se resoudre à faire un seul pas, sans être accompagné de sa femme; qui l'attachoit à sa ceinture avec un cordon, lorsqu'il sortoit dans les rues, qui vouloit toujours l'avoir sous ses yeux, qui ne beuvoit jamais qu'elle n'eut touché du bout de ses levres au verre & à la coupe où il devoit boire.
Ce défaut procede d'une affection mal reglée, & qui mérite pluôt le nom de cupidité que celui d'amour. Ceux qui se conduisent par les lumieres de la droite raison, & qui craignent veritablement Dieu, n'en sont point susceptibles. Ils se voient quand il est necessaire & que l'occasion s'en presente ; mais ils s'en passent aussi tres‑volontiers pour vacquer à leurs affaires & à leurs emplois ordinaires : ils se tiennent compagnie, lorsque la societé civile, & les devoirs de la vie conjugale les y obligent ; mais cela ne les détourne point de leurs occupations serieuses. Ils ont de l'estime les uns pour les autres, mais ils ne la témoignent pas en toutes rencontres ; & ils n'affectent 118 point de se donner des louanges à contre‑temps, & par pure complaisance.  Ils s'assistent, & se secourent dans leurs veritables besoins, mais ils ne les exagerent pas ; & ils n'entreprennent point de les faire paroître plus grands qu'ils ne sont effectivement.  Ils agissent serieusement ensemble ; ils évitent les amusemens, & ne se laissent point aller à la bagatelle. Ils se donnent les uns aux autres une honnête liberté ; ils communiquent avec le monde ; ils sortent selon que leurs affaires le demandent ; & l'amour qu'ils se portent, ne les rend point esclaves.
Les Fideles qui sont mariez doivent faire une attention serieuse à ceci, afin que l'amour qu'ils ont les uns pour les autres, soit pur & digne de l'union sainte qu'ils ont contractée.  Ils sont obligez de s'aimer, on l'avoue ; mais il faut que leur amour soit fondé sur la charité, & n'ait point d'autre mouvement que celui qu'elle lui donne. Or cette vertu ne souffre point que ceux qu'elle unit tombent dans de telles foiblesses ; qu'ils suivent leur sensualité sous prétexte de s'aimer, ni qu'ils se conduisent d'une maniere toute humaine les uns envers les autres.  Elle veut au contraire, qu'ils ne pensent point à contenter leur amour propre ; 119 qu'ils soient détachez de toutes choses; qu'ils mortifient leurs sens ; qu'ils fassent une guerre continuelle à leur vieil homme, & qu'ils ne s'aiment que dans la vûe de plaire à Dieu, & de le servir. C'est ce que saint Paul appelle avoir c. Corint. 7. 29. une femme, comme si on n'en avoit point, c'est-à-dire, vivre dans le Mariage presqu'avec autant de pureté & de détachement que si on n'étoit point marié.
4. Le défaut dont on vient de parler en produit souvent un autre, qui précipite les gens mariez dans une infinité de malheurs & de disgraces.  Car lorsqu'ils s'aiment avec trop d'empressement & d'attache, ils tombent facilement dans la jalousie ; ils sont sujets à mille soupçons mal fondez ; ils se défient continuellement de la conduite les uns des autres.
Si le mari voit sortir sa femme, il croit qu'elle va à un rendez-vous ; si elle parle à un homme, il se figure qu'elle veut lui être infidele ; si elle se mêle de la moindre affaire, il s'imagine qu'elle conduit une intrigue pour couvrir ses impuretez ; sous ce prétexte il la tient captive: il n'a pour elle que de l'aigreur & de la dureté, & souvent même il la maltraite, & lui fait de grandes violences.
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Si la femme de son côté remarque que son mari regarde une fille ou une femme, elle dit aussi-tôt qu'il a de mauvais desirs ; qu'il la méprise, & qu'il a placé autre part son cœur & ses affections ; & ne pouvant l'outrager en sa personne, elle le chagrine par ses paroles aigres & piquantes ; elle ne lui témoigne que de la mauvaise humeur ; elle affecte de lui faire comprendre que son amitié lui est indifferente ; & elle agit avec lui d'une maniere qui n'est propre qu'à l'irriter, & à l'indisposer contre elle.
L'on peut juger après cela, s'il est possible qu'il y ait du repos & de la tranquillité dans une telle famille ; & si la condition d'un mari & d'une femme qui se trouvent dans cet état, n'est pas tres - malheureuse, puisque tout contribue à les tourmenter, même les choses les plus innocentes, & qui ne font pas la moindre peine à ceux qui ne sont pas prévenus d'une telle passion.
Et aussi le Sage met la jalousie au rang de plus grands maux qu'un homme puisse souffrir de la part de sa fem Ecel. 26. 6. & seq. me. Mon cœur, dit-il, a aprehendé trois choses ; & la quatriéme fait pâlir mon visage. La haine injuste de toute une Ville, l'émotion seditieuse d'un peuple & la calomnie inventée faussement, sont trois choses 121 plus insuportables que la mort.  Mais la femme jalouse est la douleur & l'affliction du cœur. La langue de la femme est perçante, & elle se plaint sans cesse à tous ceux qu'elle rencontre.
Il faut donc que ceux qui s'engagent dans le Mariage, se conduisent avec tant de sagesse, de modestie & de reretenue, qu'ils ne se donnent pas lieu les uns aux autres de concevoir de la jalousie, & qu'ils n'en soient pas non plus susceptibles. Il faut qu'ils évitent avec soin tout ce qui pourroit donner quelque soupçon à ceux avec qui ils sont unis, & qu'ils n'entreprennent pas eux-mêmes de juger témerairement de leurs actions exterieures, & encore moins de leurs intentions les plus secretes. Il faut qu'ils agissent avec bonté & avec simplicité les uns avec les autres ; qu'ils ne se laissent point prévenir mal à propos, & qu'ils soient toujours plus disposez à excuser qu'à condamner ce qui se passe dans leur domestique ; & par ce moyen ils éviteront les troubles & les agitations, qui sont les suites ordinaires de la jalousie : ils vivront dans la paix & dans l'union ; & ils pourront jouir du bonheur & des benedictions qui accompagnent les Mariages Chrétiens.
122 Bandeau.

CHAPITRE XII.

Que les maris & les femmes doivent s'exercer à la pieté, & se sanctifier les uns les autres.
On ne doit pas être surpris que je prétende que les Fideles qui vivent dans le Mariage, sont obligez de s'exercer à la pieté, & de travailler mutuellement à se sanctifier : car c'est une suite de ce que j'ai dit dans le Chapitre précedent, qu'ils ne doivent s'aimer que d'un amour saint & chrétien.  Et d'ailleurs cette maxime est tres-indubitable; & l'on trouve dans les saints Peres une infinité de témoignages qui servent à la prouver, & qui la mettent dans la derniere évidence.
Tertullien dit que les Fideles de la primitive Eglise, même ceux qui contractoient Mariage, étoient si fervens, & si appliquez à la priere, qu'ils se relevoient au milieu de la nuit pour réciter des Pseaumes, & pour vaquer à la contemplation des biens éternels.  Ce Pere se servoit en plusieurs rencontres Lib. 2. ad uxor. c. 5. de cette consideration pour détourner les femmes chrétiennes d'épouser des hommes infideles ; & il leur representoit, comme on l'a déja observé, que si elles s'engageoient dans ces sortes de 123 Mariages, elles n'auroient plus la liberté de passer une partie de la nuit en prieres; que leurs maris s'y opposeroient, & les troubleroient dans la pratique de plusieurs autres bonnes œuvres qu'elles devoient embrasser pour se sanctifier dans leur état.
Ainsi l'on peut dire que bien loin de croire que le mariage soit une occasion aux Fideles de se relâcher de leurs pratiques de pieté, il étoit au contraire tres‑persuadé qu'ils devoient y perseverer avec fidelité, puisqu'il ne vouloit pas qu'ils contractassent des alliances qui auroient pû les en détourner.
Le conseil qu'un ancien Pere donne à Celancie14 de prendre toûjours quelque tems pour penser à elle-même, & de se separer souvent des occupations exterieures, pour vaquer en secret à la priere & aux affaires de son salut, convient à tous les gens mariez ; ainsi il faut le leur proposer en ce lieu,afin qu'ils puissent en être édifiez, & en profiter. Epist. 14. inter Ep. Hier. c. 15. Le soin que vous prendrez de vôtre maison, dit cet Auteur à cette Dame celebre, ne vous occupera pas de telle sorte, que vous ne puissiez aussi prendre du tems pour penser à vous.  Vous devez choisir un lieu un peu éloigné du bruit importun de vôtre famille, afin de vous y retirer quelquefois du milieu de  124 l'agitation de ses soins, & de ces distractions domestiques,comme dans un port favorable qui puisse calmer par sa tranquilité, l'agitation que la tempête des occupations du monde aura excité dans vos pensées. Là vous vous appliquerez avec tant de ferveur à la lecture des Livres saints ; vous l'entremêlerez si souvent de prieres & d'élevations de vôtre cœur à Dieu ; & vôtre esprit s'occupera avec tant d'attention à mediter l'avenir, que cet exercice salutaire récompensera facilement tout le tems que vous aurez employé aux affaires exterieures.  Ce n'est pas que je veuille par là vous retirer du soin de vôtre famille ; mais au contraire je desire que vous y pensiez dans cette retraite, & que vous y appreniez la maniere dont vous devez vous conduire avec tous ceux de vôtre famille.
Il n'y a rien aussi de plus édifiant que la conduite que saint Jean Chrystome veut que tiennent les maris pour établir la pieté dans leurs familles.  Il leur ordonne de lire souvent les saintes Ecritures en presence de leurs femmes & de leurs enfans, & de leur repeter à la maison les instructions que les Prêtres & les Pasteurs ont prononcées dans l'Eglise : il leur conseille de ne s'appliquer pas aux affaires du mon- 125 de immédiatement après qu'ils ont assisté a la prédication de l'Évangile, mais de prendre quelque tems pour s'occu Homil. 5. in Matt. per devant Dieu des veritez qu'on leur a annoncées. Il n'est point à propos, leur dit-il, qu'au sortir de l'Eglise vous vous entreteniez de choses disproportionnées à ce que vous y avez entendu. Vous devriez au contraire, lorsque vous retournez chez vous, prendre le livre des saintes Ecritures, & assembler vos femmes & vos enfans, pour repeter ensemble ce qu'on vous a dit; & après cela vous pourriez reprendre le soin de vos occupations temporelles.  Si vous évitez de vous trouver dans des lieux d'affaires en sortant du bain, de peur d'en empêcher l'effet par une trop grande application: combien cette précaution vous est-elle plus necessaire, lorsque vous sortez de l'Eglise pour aller chez vous? Mais nous faisons tout le contraire, & nous perdons ainsi tout le fruit de cette divine semence (c'est-à-dire de la parole de Dieu:) car avant qu'elle ait eu le temps de prendre racine dans notre ame, un torrent d'affaires l'emporte, & l'arrache de nôtre cœur. Afin donc que cela n'arrive plus, ne croyez rien de plus important, lorsque vous vous retirez chez vous après que cette assemblée est finie, que de me  126 diter en vôtre particulier ce que vous y avec appris.
Homil. 2. in Genes.
Ce saint Docteur dit encore en expliquant la Genese, qu'après que la Prédication est finie, & que les Fideles sont retournez dans leurs maisons, le mari doit faire une récapitulation de ce qu'on y a dit de plus important en presence de sa femme, de ses enfans & de ses domestiques, afin de leur en rafraîchir la memoire.
Il veut même qu'il fasse dans son logis des questions à sa femme sur les veritez que les Pasteurs ont expliquées devant le peuple, & que la femme en fasse aussi à son mari, afin de se les rendre plus familieres: il ajoûte que s'ils en usent ainsi, leurs maisons particulieres deviendront des Temples & des Eglises.
Le même saint Chrysostome soutient en plusieurs de ses Homelies, que la principale obligation des gens mariez consiste à se sanctifier les uns les autres, & à procurer mutuellement leur salut: il fait de grandes plaintes contre les maris & les femmes qui n'ont pas soin de se porter à Dieu, & de s'avertir Homil. 73. in Matt. de leurs défauts. Quelle femme, dit‑il, s'efforce aujourd'hui de retirer son mari de ses excès, & de le rendre un veritable Chrétien ? Qui est l'homme  127 qui s'efforce de rendre sa femme aussi reglée & aussi vertueuse qu'elle le doit être? Ces soins & ces empressemens de charité sont maintenant inconnus au monde.Les femmes s'occupent de leurs ameublemens, de leurs habits, & de tout ce qui contribue aux delices & au luxe, & elles souhaitent pour cela d'être plus riches.  Les hommes s'occupent aussi de ces mêmes bagatelles, & de mille choses semblables, qui ne regardent toutes que l'accroissement de leur bien, & les commoditez de la vie.
Et pour leur faire mieux compren Hom. in illud Ps. 48. Noti timero eum. & c. dre qu'ils sont obligez de s'appliquer d'un commun consentement à la pratique des bonnes œuvres, il leur represente qu'Abraham & Sara travaillerent également pour bien recevoir les hôtes qui vinrent loger chez eux ; qu'Abraham alla lui - même à ses troupeaux pour y choisir quelque piece de bétail digne de leur être presentée ; & que sa femme eut soin de pétrir du pain pour leur en servir ; qu'ayant trois cens dix‑huit serviteurs, ils ne se déchargerent point sur eux du soin de traiter leurs hôtes, & qu'ils regarderent comme un honneur de les pouvoir servir eux-mêmes.
Il ajoûte que cette conduite d'Abraham & de Sara est un exemple illustre 128 du zele avec lequel les maris & les femmes doivent se porter à la vertu & aux œuvres de charité.  Il veut qu'ils ayent soin de l'imiter en toutes rencontres. Il leur ordonne de penser souvent à la pieté & à la charité ardente de ces deux personnes qui ont vécu dans le Mariage, afin d'exciter leur ferveur, lorsqu'il s'agit de pratiquer la charité : il dit qu'ils doivent apprendre de cette Histoire que le Mariage qui rend communs entr'eux tous les avantages temporels, les oblige à plus forte raison à contracter une sainte communauté de vertus, & à s'animer les uns les autres à la perfection chrétienne par leurs paroles, & encore plus par leurs actions.
On dira peut - être que ce genre de vie ne convient pas à des gens mariez ; qu'on n'a pas raison de prétendre qu'ils soient obligez de s'exercer continuellement à la pieté, & que cette regularité regarde plutôt les Religieux & les Ecclesiastiques, que les personnes qui sont engagées dans le monde, & qui sont chargées du soin & de la conduite d'une famille. Mais il me sera facile de répondre à cette objection, & & de faire voir qu'on ne doit point l'écouter, ni s'y arrêter, car les saints Peres l'ont refutée dans leurs Ecrits ; & je n'ai qu'à me servir de leurs raisonnemens 129 pour convaincre les lecteurs de son peu de solidité.
Saint Jean Chrysostome après avoir prouvé dans son Commentaire sur saint Matthieu, que les gens du monde, & ceux mêmes qui contractent mariage, sont obligez d'être chastes, de s'abstenir des spectacles & des divertissemens illicites, & de mener une vie reglée & conforme aux maximes de l'Évangile, se propose cette même objection de la part de ses auditeurs ; & leur ayant fait dire : Que voulez-vous donc que nous Homil 7. in Matt. fassions ? Irons-nous sur les montagnes pour nous faire Moines ? Il leur répond en des termes qui justifient, qu'excepté quelques observances regulieres, il ne fait aucune distinction entre les gens mariez & les solitaires, lorsqu'il s'agit d'observer les Commandemens de Dieu, & de pratiquer les vertus qui sont essentielles au Christianisme. C'est cela même, leur dit - il, que je déplore, que vous vous imaginiez qu'il faille être solitaire pour être chaste. Les loix que JESUS-CHRIST a établies sont communes à tous les hommes, lorsqu'il dit : Si quelqu'un voit Matt. 5. 28. une femme avec un mauvais desir, il ne le dit pas à un solitaire, mais à celui qui est engagé dans le mariage, puisque la montagne où il donnoit ces divines  130 loix, n'étoit pleine alors que de personnes mariées. Considerez par les yeux de la foy ce qui se passe sur les theatres, & renoncez pour toujours à ces spectacles diaboliques. N'accusez point la severité de mes paroles.  Je ne vous interdis point le Mariage ; je ne vous empêche point de vous divertir, mais je souhaite seulement que ce soit avec modestie, & non d'une maniere brutale & honteuse.  Je ne vous oblige point de vous retirer dans les deserts, ni sur les montages, mais d'être modestes, bien reglez, humbles & charitables au milieu des Villes.  Tous les préceptes de l'Évangile nous sont communs avec les Religieux, excepté le mariage ; & en ce point même S. Paul veut vous égaler à eux, lorsqu'il dit, Que ceux qui ont des femmes soient comme s'il15 n'en avoient point.
Ce saint Docteur combat encore dans 1. Cor. 7. 29. un autre de ses Ouvrages, ceux qui prétendent qu'il n'y ait que les Moines qui doivent se soumettre aux maximes de l'Evangile, s'exercer à la pieté, & s'étudier à la perfection ; & que les gens mariez peuvent s'en dispenser, & mener une vie mondaine et relâchée. Vous vous trompez vous même, dit-il, en s'adressant à ceux qui vivent dans le sie Lib. 3. cle, si vous vous imaginez que les Moi-  131 nes ayent des obligations differentes de advers. vituperant. vit. Monas.c. 12. celles des gens du monde : car il n'y a que cette difference entr'eux, que ceux‑ci se soumettent aux liens du Mariage, & que les autres en sont exempts; mais dans tout le reste ils sont obligez de vivre de même maniere, & les fautes qu'ils commettent, meritent les mêmes peines. En effet, qu'un Moine, ou qu'un seculier se mette en colere sans sujet contre son frere, c'est toujours le même peché : & quiconque regarde une femme avec un mauvais desir, sera puni comme un adultere, en quelque état qu'il soit, & quelque genre de vie qu'il professe. Tout de même tous ceux qui jurent pour un sujet ou pour un autre, seront également punis: car lorsque JESUS-CHRIST instruisoit les Disciples sur la matiere du jurement, & qu'il publioit ses loix, il n'a point fait de distinction, & il n'a point dit : Si celui qui jure est Moine, son jurement est un mal ; & s'il n'est point Moine, ce n'en est point un ; mais il Matt. 5. 34. Luc. 6. 25. dit absolument : Et moi je vous dis que vous ne juriez en aucune maniere. Lorsaussi qu'il a dit: Malheur à vous qui riez: il n'a point adressé son discours aux seuls Moines, mais il a parlé generalement à tous les hommes.
Il en a usé de même dans tous les  132 autres Commandemens qu'il a faits : Matth. 5. v 3. & seq. car quand il a dit : Heureux les pauvres d'esprit ; heureux ceux qui pleurent ; heureux ceux qui sont doux; heureux ceux qui sont affamez & alterez de la justice; heureux ceux qui sont misericordieux ; heureux ceux qui sont pacifiques ; heureux ceux qui souffrent persecution pour la justice ! il n'a point nommé les Moines ni les seculiers, & il a parlé en general. Et au fond la distinction qu'on fait ordinairement entre les Moines & les seculiers, ne vient que du caprice des hommes ; les saintes Ecritures ne la reconnoissent point ; & elles veulent que tous les Fideles, même ceux qui sont mariez, vivent aussi regulierement que les Moines.
Ecoutez aussi, ajoute ce Pere, comment parle saint Paul, lorsqu'il écrit aux Fideles qui sont mariez, & qui ont des enfans à nourrir : il éxige d'eux qu'ils se conduisent d'une maniere aussi exacte & aussi reguliere que les Moines : car il leur interdit non seulement les delices & les voluptez en ce qui regarde la nourriture & les alimens, 1. Tim. 2 9. ib. c. 5. 6. Ibid c. 6, 8. mais toute sorte de pompe & de somptuosité, par rapport aux vêtemens & aux habits. Que les femmes, dit-il, soient vêtues comme l'honnêteté le demande : qu'elles se parent de modestie & de chas- 133 teté, & non avec des cheveux frisez, ni des ornemens d'or, ni des perles, ni des habits somptueux. Celle, ajoute t-il, qui vit dans les delices est morte, quoiqu'elle paroisse vivante.  Ayant, dit-il encore de quoi nous nourrir & de quoi nous couvrir, nous devons être contens. Pourroit on éxiger des Moines mêmes quelque chose de plus parfait ?
Ce saint Docteur parle ensuite des vertus chrétiennes les plus éminentes ; il fait voir que l'Ecriture oblige ceux qui vivent dans le siecle à s'y exercer comme les Moines ; & qu'elle demande qu'ils soient aussi reservez dans leurs paroles, aussi vigilans pour étouffer tous les mouvemens de la colere, aussi éloignez de la vengeance, aussi appliquez aux exercices de la charité, que le peuvent être tous les Solitaires : puis il conclut que la corruption du siecle, & le relâchement qui regne parmi les Fideles, ne vient que de ce qu'on s'imagine qu'il faut que les Moines soient exacts & circonspects en toutes choses ; & que les gens du monde au contraire, peuvent vivre dans la negligence, & ne sont pas obligez de veiller sur eux-mêmes, ni de se contraindre en aucune chose.
Cette morale n'est pas particuliere à Lib. de abdicat. rerum. saint Jean Chrysostome ; saint Basile la suit aussi : car il enseigne dans plu- 134 sieurs de ses Traitez, qu'il faut que les gens mariez obéissent aussi exactement à l'Évangile que les Moines, parcequ'il a été écrit également pour les uns & pour les autres, & que c'est une loy qui doit regler les mœurs de tous les Fideles.  Il s'éleve avec force contre les Homil. in ditescentes. peres & les meres qui se servent de la consideration des enfans dont ils sont chargez, comme d'une excuse legitime pour s'exempter de faire l'aumône, & qui alleguent les prétendues necessitez de leurs familles pour justifier leurs épargnes, qui ne sont qu'un effet de leur cupidité: il leur demande s'ils peuvent se figurer que les préceptes de l'Évangile qui condamnent l'avarice, ne les regardent point, & qu'ils n'ayent été faits que pour les Moines & les Solitaires.
Il dit même que ceux qui vivent Lib. de abdicat. rerum. dans le monde doivent s'observer, & veiller sur eux - mêmes avec plus de soin & plus d'exactitude que les Solitaires ; parceque le lieu qu'ils ont choisi pour leur demeure se trouve au milieu des piéges, & dans l'empire des puissances infernales qui se sont revoltées contre Dieu ; qu'ils ont continuellement devant les yeux les amorces de toutes sortes de pechez ; & que des objets pernicieux excitent jour & 135 nuit tous leurs sens, troublent leur imagination & leur inspirent une infinité de mauvais desirs.
Il est donc constant que les personnes mariées sont obligées de s'exercer à la pieté, & de s'appliquer à la pratique des bonnes œuvres, & qu'ils doivent se porter mutuellement à Dieu, & cooperer au salut les uns des autres. Il faut neanmoins ajoûter, que cette obligation qui leur est commune, regarde les femmes d'une maniere encore plus particuliere, parcequ'elles ont plus de tems & de repos, & qu'elles ne sont pas destinées à des affaires fort importantes, & qui occupent beaucoup l'esprit. Un homme, dit saint Jean Homil. 60. in Joan. Chrysostome, qui est obligé de paroître dans le barreau, & devant les tribunaux des Juges, est environné du trouble & du tumulte du dehors, comme d'autant de flots differens.  Mais une femme qui est assise paisiblement dans sa maison comme dans une école de Philosophie, & qui fait une reflexion serieuse sur elle-même, peut s'appliquer à la prière, à la lecture, & à tous les autres exercises de la pieté chrétienne. Comme les Solitaires qui habitent les deserts n'ont personne qui les trouble, ainsi une femme gardant toujours la maison, peut jouir d'une  136 tranquillité continuelle ; & quand même elle est obligée de sortir, c'est pour des occasions qui ne lui donnent pas d'inquietude ; & par consequent elle est toujours en état de vaquer aux œuvres de pieté, & de cultiver la vertu.
Il faut donc que les femmes chrétiennes regardent le repos dont elles joüissent, comme un moyen que Dieu leur donne pour travailler à leur propre sanctification avec plus de soin & d'exactitude que ne peuvent faire leurs maris, qui vivent presque toujours dans l'embarras, & qui sont redevables à une infinité de personnes.  Il faut qu'elles fassent de frequentes prieres; qu'elles adorent Dieu tres - souvent ; qu'elles se mortifient en toutes rencontres ; qu'elles s'appliquent à des lectures spirituelles; qu'elles entendent assiduement la parole de Dieu ; qu'elles élevent leurs mains vers le Ciel, pendant que leurs maris vaquent à leurs occupations exterieures, & qu'elles donnent à la pieté & à la Religion, tout le tems qui leur reste après qu'elles ont satisfait à leurs devoirs ; & qu'elles soient d'autant plus serventes dans le service de Dieu, qu'elles sont moins chargées d'affaires, & plus éloignées du tumulte du monde.
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CHAPITRE XIII.

De la paix & de l'union, qui doit regner entre les maris & les femmes. Ce qu'il faut qu'ils fassent pour s'y maintenir.
Trois choses, dit le Sage, plaisent à Eccl. 25. 1. 2. mon esprit, qui sont approuvées de Dieu & des hommes : l'union des freres ; l'amour du prochain; un mari & une femme qui s'accordent bien ensemble.  C'est de cette paix & de cette bonne intelligence entre les personnes mariées, que j'ai dessein de parler dans ce Chapitre ; je me propose de leur prouver, qu'il n'y a rien qui leur soit plus necessaire, & qui puisse davantage contribuer à leur veritable bonheur.
Un mari & une femme qui vivent dans l'union, s'assistent & se consolent mutuellement, ils se parlent à cœur ouvert, & ne se cachent rien de ce qui les concerne; ils entrent dans les peines & dans les afflictions les uns des autres; ils y compatissent; & par ce moyen ils les diminuent, & les rendent plus legeres & plus faciles à supporter. Ils s'appliquent ensemble, dit saint Jean Chysostome, à donner une éducation chrétienne à leurs enfans ; ils veillent sur leurs domestiques, & les maintien- 138 nent dans le devoir ; ils édifient leurs parens, leurs amis & leurs voisins, par leur sage conduite ; ils répandent par tout la bonne odeur de JESUS-CHRIST.
Mais au contraire, lorsque la discorde regne entr'eux, ils usent de reserve & de dissimulation les uns envers les autres; ils vivent dans une continuelle défiance; ils ne cherchent qu'à se faire de la peine, & à se desobliger ; ils ne pensent ni à leurs enfans, ni à leurs domestiques ; ils n'écoutent & ne consultent que leurs passions dans tout ce qu'ils entreprennent ; ils scandalisent tout le monde par leurs querelles & par leurs emportemens. C'est pourquoi on ne sçauroit rien faire de plus avantageux pour eux & pour leurs familles, que de leur marquer en particulier, quels sont les moyens par lesquels ils peuvent se maintenir dans la paix & dans l'union.
Il faut premierement qu'ils n'ayent point d'attache à leur propre volonté, & qu'ils soient toujours prêts d'y renoncer, pour suivre celle de leurs époux. Si une femme, par exemple, desire de faire une chose, & qu'elle remarque que son mari n'en soit pas d'avis, & qu'il y ait de la repugnance, elle doit s'en priver & s'en abstenir, afin de lui plaire.  Si le mari de son côté a des inclinations 139 qui soient contraires à celles de sa femme, il faut qu'il y renonce pour le bien de la paix, & afin de s'accommoder à son humeur.
Ils ne doivent point dire qu'étant libres, ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent, & qu'ils ne sont pas obligez de mortifier ainsi leurs volontez, lorsqu'elles sont legitimes en elles-mêmes, & qu'elles ne les portent à rien de mauvais: car ce ne sont pas là des pensées dignes de Chrétiens : ils doivent, pour obéir à l'Evangile, se faire une violence continuelle, reconcer à euxmêmes, & acheter la paix au dépens de leur humeur, de leurs inclinations, de leur propre volonté, & de tout ce qu'ils ont de plus cher & de plus précieux.
2. Ils doivent n'avoir point d'autre intention que de concourir au bien de leur famille ; n'agir que pour leurs interests communs, & ne travailler que pour leur utilité reciproque. Car c'estlà un moyen tres-efficace pour entretenir entr'eux une paix veritable, & une union sincere. On en peut juger par l'état où se trouvoient les premiers Chrétiens; n'ayant rien en leur particulier, & possedant tout en commun, ils vivoient dans une union si parfaite ; que l'Ecri- Act. 4. 32. ture dit qu'ils n'avoient qu'un cœur & une ame.
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Mais au contraire, s'ils viennent à se proposer des fins differentes ; s'ils n'ont plus les mêmes interests, & s'ils ne pensent qu'à s'enrichir chacun de leur côté, & à faire des reserves au préjudice de leur famille, & pour en profiter en leur particulier ; il est impossible qu'il y ait entr'eux une paix solide & durable, parcequ'ils n'auront point de confiance les uns pur les autres ; qu'ils tomberont tous les jours dans de nouveaux soupçons; qu'ils ne s'appliqueront qu'à se surprendre & à se tromper ; & qu'ils n'agiront jamais ensemble avec la sincerité & la simplicité qui sont necessaires à tous ceux qui desirent vivre dans la paix & dans l'union.
3. Lorsque l'un des deux est en colere, & prévenu de quelque passion, il faut que l'autre évite de le contredire, & de lui resister ouvertement, de peur de l'irriter encore davantage, & de n'être cause qu'il s'emporte à quelque extrémité fâcheuse.  Il faut qu'il garde un silence respectueux, ou qu'il ne parle qu'avec beaucoup de prudence, en sorte qu'il ne condescende point à sa passion, & qu'il ne l'augmente pas aussi par une resistance à contre tems. Il faut en ces rencontres donner lieu à la colere, c'est-à-dire, selon les saints 141 Peres , attendre qu'elle soit amortie, S. Basil. Hom. 10. & parvar. regul.quast. 244. ou même entierement passée, avant que de rien dire, ni de faire aucune remontrance. Quand on voit qu'elle est appaisée, que le calme a succedé à la tempête, & que la raison s'est élevée au dessus de la passion qui l'avoit troublée, on peut expliquer ses intentions, justifier sa conduite, & tâcher de faire rentrer en lui même, celui qui étoit tombé dans l'emportement. Mais prévenir ce tems, c'est en user, dit saint Basile, comme un homme qui voudroit s'opposer à l'impetuosité d'un torrent, & qui Ibid. par ce moyen se mettroit en un danger évident d'en être submergé.
4. Non seulement ils ne doivent pas resister à celui d'entr'eux qui est en colere, comme on vient de le dire, mais ils sont obligez de moderer la leur propre, de se contenir, & de ne rien faire d'extraordinaire toutes les fois qu'ils se sentent émus & agitez de quelque passion.  Car alors ils ne sont pas maîtres d'eux-mêmes, ils ne jugent pas sainement des choses ; & tout ce qui leur déplaît, & qui contrarie tant soit peu leur volonté, les offense, les irrite & Homil. 26. in Matth. les porte à la vengeance. Quand nous sommes en colere, dit saint Jean Chy sostome, les moindres choses nous impatientent ; & ce qui est le moins inju-  142 rieux se grossit à nos yeux, & nous paroît un outrage sanglant. Comme lorsque nous aimons quelqu'un, les choses les plus insuportables nous semblent legeres ; de même lorsque nous haïssons une personne, les choses les plus legeres nous paroissent insuportables : quoiqu'une parole soit dite sans aucun dessein, nous nous imaginons qu'elle part d'un cœur envenimé contre nous. Il nous arrive alors ce que nous voyons arriver au feu.  Tant qu'une étincelle demeure petite elle ne consume jamais le bois; mais si elle se change en flamme, elle dévore non seulement le bois, mais les pierres mêmes; elle reduit en cendre tout ce qu'elle rencontre ; & l'eau qui éteint ordinairement le feu, ne sert qu'à l'allumer davantage, & lui donne une nouvelle activité.  C'est ce qui se voit dans la colere ; quoiqu'on nous puisse dire en cet état, nous en abusons, & nôtre passion se nourrit de ce qui auroit dû l'éteindre.
Ainsi lorsque les maris ou les femmes sentent de l'émotion dans leur cœur, & qu'ils s'apperçoivent que quelque mouvement de colere s'éleve dans leur ame, il faut qu'ils veillent sur euxmêmes avec beaucoup de soin, de peur que la passion ne les domine, & ne les fasse tomber dans quelque excès: il faut 143 qu'ils demeurent en repos, & sans rien entreprendre, de crainte de passer les bornes de la moderation, & de blesser la justice.  Il faut qu'à l'exemple du Prophete, ils prient Dieu de mettre un Ps. 140. 3. frein à leur langue, & de tenir leur bouche fermée, afin qu'ils ne proferent aucune parole indiscrette ; il faut qu'ils attendent pour former quelque resolution, & pour se déterminer à agir, que leur colere soit amortie, & leur raison affranchie des passions qui l'obscurcissoient, & qui la jettoient dans le trouble.
5. Il est sur-tout necessaire qu'ils ayent soin de suivre en toutes rencontres, l'esprit & les maximes de la charité ; qu'ils ne fassent rien dans leur domestique sans l'avoir auparavant consultée, & qu'ils ne s'entr'aiment que dans la vûe de plaire à Dieu, qui est la charité même.
Or s'ils se conduisent par les regles de cette divine vertu,ils auront de grands égards les uns pour les autres; ils se traiteront mutuellement avec beaucoup de bonté ; ils se préviendront par des témoignages respectifs d'honneur & de déference ; ils auront une patience infatigable, quand il s'agira de s'entresupporter ; ils dissimuleront mille choses differentes qui arrivent dans les familles 144 les plus unies, & qui ne laisseroient pas de les troubler si on s'y arrêtoit trop ; ils se parleront avec douceur ; ils éviteront de s'aigrir & de s'offenser les uns les autres, & ils n'auront point d'autre intention que de conserver ent'eux une paix inviolable.
6. S'il arrive pendant qu'un des deux, du mari ou de la femme, se conduit selon les regles & les maximes qu'on vient de proposer, que l'autre se laisse aller à sa mauvaise humeur, & même qu'il tombe dans le déreglement, & qu'il s'emporte à quelques excès ; il faut que celui qui est innocent, reçoive cela en esprit de penitence, & qu'il s'en fasse un sujet de merite. Il faut qu'il soit persuadé que Dieu veut l'éprouver par là, & qu'il se sert de la malice & des passions de l'autre, comme d'un remede salutaire pour le purifier de ses propres pechez, & pour le perfectionner dans la vertu. In Ps.34. Il faut, dit saint Jean Chrysostome, qu'un pere qui se voit des enfans desobéissans & rebelles à ses volontez, regarde leur revolte comme une peine du peché qu'il a lui - même commis, en se revoltant contre Dieu.  Il faut qu'un mari qui a une femme fâcheuse & incommode, considere qu'il a peutêtre autrefois abusé de son pouvoir 145 contre d'autres femmes, & qu'il est juste que la sienne l'exerce & l'afflige à son tour.  Il faut que tous ceux qui éprouvent des peines & des afflictions dans leurs propres familles, fassent reflexion qu'ils ont peut - être excité du trouble & de la division dans celles de leurs freres, & qu'ils meritent d'en être punis, & de souffrir ce qu'ils ont euxmêmes fait souffrir aux autres.
Voilà de quelle maniere les gens mariez sont obligez de se conduire pour entretenir entr'eux l'union & la concorde; voilà aussi l'usage qu'ils doivent faire des disgraces & des tribulations qui les affligent dans le secret de leurs familles. S'ils sont fideles à Dieu, & s'ils ont un desir sincere de se sauver, rien de tout cela ne leur paroîtra difficile. Ils éviteront tout ce qui pourroit indisposer & offenser les autres : ils souffriront euxmêmes avec humilité, & en esprit de penitence, toutes les peines & toutes les mortifications qu'ils éprouveront de la part de ceux pour qui ils ont tant d'égards, & qu'ils épargnent avec tant de soin. Et par consequent ils seront toûjours dans la paix, & rien ne sera capable de troubler leur union.
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CHAPITRE XIV.

Que ceux qui s'engagent dans le Mariage ne sont plus maîtres de leurs corps. Quelles consequences il faut tirer de ce principe.
Que les gens mariez ne soient plus maîtres de leurs corps, & qu'il ne leur soit pas permis d'en disposer selon leur volonté, c'est ce qu'il paroîtra évident à tous ceux qui seront instruits de la nature & de l'essence du Mariage : car elle consiste dans le droit que ceux qui entrent dans cet état, se donnent les uns aux autres sur leurs propres corps : c'est pourquoi S. Paul nous assure que 1. Cor. 7. 4. le corps de la femme n'est point en sa puissance, mais en celle du mari ; & que le corps du mari n'est point en sa puissance, mais en celle de la femme.  Cette maxime étant constante, & n'ayant pas besoin d'être prouvée après l'autorité du grand Apôtre, il n'est pas necessaire de s'y arrêter davantage: il faut seulement examiner quelles sont les conclusions qu'on en doit tirer.
Il s'enfuit 1. Que la femme qui est soumise & inferieure à son mari dans l'administration du bien, dans la conduite des affaires, & dans tout ce qui concerne la vie civile, lui devient égale, 147 lorsqu'il s'agit de l'usage du Mariage, c'est-à-dire, qu'elle a autant de droit sur le corps de son mari, qu'il en a sur Hom. 19. in 1. ad Cor. le sien.  Saint Jean Chrysostome parlant de cette matiere, observe que l'Ecriture, soit dans l'ancien, ou dans le nouveau Testament, marque expressément que dans tout le reste, le mari est le maître & le superieur ; que Dieu dit à la femme dans la Genese : Vous serez Cap.3.16. sous la puissance de vôtre mari, & il vous dominera ; que saint Paul ordonne aux femmes d'être soumises à leurs maris comme au Seigneur, qu'il dit que le mari est le chef de la femme, comme JESUS-CHRIST est le chef de l'É Ephes. 5. 22. & sequent. 6. glise ; qu'ainsi que l'Eglise est soumise à JESUS-CHRIST, les femmes doivent être soumises en tout à leurs maris ; qu'il veut que le mari aime sa femme comme lui - même, & que la femme craigne & respecte son mari. Mais il ajoute que dans ce qui regarde le Mariage l'on voit dans le même Apôtre, que la femme est égale à son mari, & qu'elle est maîtresse du corps de son époux, comme il est maître de celui de son épouse.  Il conclut qu'on peut dire qu'elle est en même tems la maîtresse & la servante de son mari : la maîtresse, puisqu'elle a pouvoir sur son corps, & qu'elle en peut disposer : 148 la servante, parcequ'elle doit lui obéir dans tout ce qui concerne la conduite de sa vie.
Lib. 22. contra Faustum Manich. c. 31.
Saint Augustin reconnoît aussi cette égalité entre le mari & la femme, par rapport au Mariage, & se sert de ce principe, pour prouver que Sara ne fit rien d'illégitime, lorsqu'elle porta Abraham à épouser Agar sa servante.  Il dit même qu'elle le lui commanda, & qu'elle n'exceda point en cela son pouvoir, parcequ'ayant droit sur le corps de son mari, elle pouvoit, se voyant sterile, l'obliger à prendre une seconde femme, selon l'usage de ce tems-là, & conformément à la dispense que Dieu avoit accordée à son peuple au sujet de la poligamie, afin de donner naissance à des enfans, & d'augmenter le nombre de ceux qui adoroient le vrai Dieu.
2.  Le mari & la femme n'étant plus maîtres de leurs corps, ils sont obligez de se rendre une déference reciproque, & de se soumettre à la volonté l'un de l'autre dans l'usage du Mariage. C'est ce que S. Paul veut nous marquer. 1. Cor. 7. 3. lorsqu'il dit : Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, & la femme ce qu'elle doit à son mari.  Sur quoi il Lib. de Virg. c. 48. & in Ps . 50. faut observer avec saint Jean Chrysostome, que l'Apôtre appelle cela une dette, afin de nous faire comprendre 149 que celui du mari ou de la femme qui resiste à l'autre dans ce point, lorsqu'il n'a pas de raison legitime qui le dispense de lui obéir, commet une injustice visible envers lui, se rend coupable des plaintes, des impatiences & des murmures où il tombe, & répond devant Dieu des adulteres & des autres impuretez ausquelles il s'abandonne dans la suite.
3.  Il ne leur est point permis de s'absenter, ni d'entreprendre des voyages, sans un mutuel consentement, parcequ'ils ne peuvent plus disposer d'euxmêmes ; qu'ils sont soumis l'un à l'autre dans ce qui est une suite du Mariage; & qu'ils ne doivent pas se priver du droit que l'Apôtre nomme une dette, comme on vient de le dire.
4.  Il ne faut pas qu'ils se laissent éblouir par un faux prétexte de pieté, ni qu'ils s'imaginent pouvoir s'engager en aucune maniere à garder la continence sans un consentement réciproque : car les saints Peres declarent que toutes les promesses qu'ils peuvent faire à cet égard, sont nulles & illicites, à moins que les uns & les autres n'en soient d'accord. Il se trouva une femme du tems de S. Augustin, qui fit vœu de continence sans la participation de son mari.  Ce Pere l'en reprit, & lui 150 declara qu'elle avoit manqué en cette rencontre, & qu'elle n'avoit pû s'engager à cela que par la permission de Epist. 262. son mari. Si votre époux, lui dit-il, avoit voulu garder la continence, & que vous n'y eussiez pas consenti, il auroit été obligé de vous rendre le devoir, & il auroit eu devant Dieu le merite de la continence, s'il avoit usé ensuite du Mariage, non pour suivre les mouvemens de sa concupiscence, mais pour s'accommoder à vôtre foiblesse, & pour vous empêcher de tomber dans l'adultere.  A plus forte raison êtiezvous obligée, vous qui avez la soumission pour partage, de lui obéir dans ce qui regarde l'usage du Mariage, de peur que le démon ne le portât à commettre adultere ; & Dieu qui auroit vû que vous desiriez de garder la continence, & que la pensée seule de procurer le salut de vôtre ami, vous en auroit détournée, auroit accepté vôtre bonne volonté, & vous auroit récompensée, comme si vous l'aviez effectivement gardée.
Ce saint Docteur fit encore connoître en une autre occasion, combien il improuvoit la conduite des personnes mariées qui s'engagent sans le consentement les uns des autres à garder la continence. Ayant été averti qu'un mari 151 & une femme avoient fait vœu de ne Ep. 127. plus user du Mariage, il leur écrivit pour les fortifier dans cette sainte resolution, il leur representa que cette promesse qu'ils avoient faite à Dieu, leur lioit absolument les mains ; qu'ils ne pouvoient plus vivre ensemble comme autrefois ; & que ce qui leur avoit été auparavant permis & licite, leur seroit desormais interdit.  S'adressant ensuite au mari, il le congratula de ce qu'il s'étoit ainsi imposé une heureuse necessité qui l'obligeroit à être meilleur, & à suivre la perfection ; & il lui dit qu'il ne devoit plus penser qu'à accomplir le vœu que son cœur avoit formé, & que ses levres avoient prononcé en presence du Seigneur.
Il ajouta neanmoins à la fin de sa Lettre une clause tres-importante, & qui regarde la matiere dont nous parlons. Il ne pourroit y avoir, dit-il à ce mari, qu'une seule raison qui m'empêcheroit de vous porter à executer ce vœu, & qui me détermineroit même à vous en détourner.  Ce seroit, si vôtre femme n'en étoit pas d'avis, & n'avoit pas voulu s'y soumettre, parcequ'elle se sentoit foible & infirme. Car ces sortes de vœux ne se doivent faire par les gens mariez que d'un commun consentement; & s'ils s'y portent incon 152 siderément, & sans l'avis l'un de l'autre, bien loin qu'ils soient obligez de les accomplir, il faut s'y opposer, & arrêter leur temerité indiscrete, parce que Dieu défend d'usurper le bien d'autrui, & qu'il ne veut pas qu'on execute les vœux qu'on a faits d'une chose dont on n'est pas maître ; & l'on sçait que selon l'Apôtre, les corps des maris & des femmes ne sont pas en leur puissance.
Le Pape Alexandre II. établit la même maxime dans la réponse qu'il fit à un mari, qui avoit forcé sa femme en la menaçant de la mort, à consentir qu'il 33. q. 5. c. 2. se retirât dans un Monastere.  Car il l'obligea de retourner avec elle, & il lui déclara qu'il n'avoit pû la quitter sans son consentement, & qu'il n'avoit pas dû l'extorquer par des menaces & par violence.
Mais on ne peut rien desirer de plus fort, ni de plus précis, que ce qu'un ancien Pere écrivit à Celancie16 pour l'instruire sur ce sujet. J'ai appris, lui Ep. 14. in Ep. Hier. c.8. dit-il, que depuis quelques années l'ardeur admirable & toute extraordinaire de vôtre foy vous avoit portée à prendre resolution de garder la continence, & à consacrer le reste de vos jours à la pureté. Ce dessein marque la grandeur  153 de vôtre esprit, & l'excellence de vôtre vertu, puisque vous avez la force de renoncer tout d'un coup aux voluptez que vous avez éprouvées, & d'étouffer les flammes dont la jeunesse est ordinairement embrasée. Mais j'ai appris en même tems, non sans beaucoup de peine & de déplaisir, que vous avez commencé d'executer ce grand dessein sans le consentement de vôtre mari, & contre la défense expresse de l'Apôtre, qui en cela soumet non seulement la femme à la volonté de son mari, mais aussi le mari à celle de sa femme, lorsqu'il dit : Le corps de la femme n'est point 1. Cor. 7. 4. en sa puissance, mais en celle de son mari; & le corps du mari n'est point en sa puissance, mais en celle de sa femme. Pour vous, comme si vous aviez oublié les loix & les promesses du Mariage, & que vous eussiez entierement perdu la memoire de ses droits & de ses devoirs, vous avez fait vœu à Dieu de garder la chasteté sans l'avis & le consentement de vôtre mari. Certes l'on fait une promesse bien témeraire & bien dangereuse quand on promet ce qui est encore au pouvoir d'autrui ; & un present ne peut être fort agreable, lorsqu'une seule personne offre une chose qui est à deux. Aussi avons nous appris & reconnu avec beaucoup de regret, que plusieurs Ma 154 riages ont été troublez par cette ignorance, & que cette chasteté inconsiderée a fait commettre des adulteres; parceque durant que l'un des deux s'abstient des choses qui sont permises, l'autre se porte à celles qui sont défenduës.  Or je ne sçai pas qui est le plus coupable en cette rencontre, ou le mari qui étant rejetté de sa femme, tombe dans l'adultere, ou la femme qui en l'éloignant d'elle, le porte en quelque façon à le commettre.
5. Puisque ceux qui se marient ne sont plus maîtres de leurs corps, il est évident qu'ils pechent fort griévement, & qu'ils se rendent tres criminels, toutes les fois qu'ils s'approchent d'une personne étrangere, & qu'ils commettent adultere, parcequ'ils manquent à la fidelité qu'ils se sont promise ; qu'ils disposent de ce qui n'est plus à eux, & qu'ils violent ouvertement la justice.  Mais comme cette matiere est d'une fort grande étendue, & qu'elle ne peut pas être éclaircie en peu de paroles, il en faut faire un Chapitre particulier.
Cul de lampe.
155 Bandeau.

CHAPITRE XV.

Du peché d'adultere; qu'il est tres-énorme; qu'il empêche ceux qui l'ont commis de se marier ensemble; que l'un des deux, du mari ou de la femme, ne peut pas s'y abandonner, même du consentement de l'autre ; qu'il est défendu aussi-bien aux hommes qu'aux femmes : sçavoir si les maris qui y tombent sont aussi, ou moins coupables que les femmes qui y succombent.
Tous ceux qui feront une reflexion serieuse aux considerations suivantes, demeureront d'accord de l'énormité du peché d'adultere.
Il est directement opposé à la promesse solemnelle que se font ceux qui se marient, de se garder une fidelité inviolable.
Il combat l'ordre de la justice, qui veut qu'on ne dépouille personne du droit qui lui est acquis.  Or on a vû au Chapitre précedent, que le corps du mari n'est plus en sa puissance, mais en celle de sa femme, & que celui de la femme est aussi en la puissance de son mari ; & par consequent ils violent cette vertu, lorsqu'ils les prostituent à des personnes étrangeres, parcequ'ils disposent d'une 156 chose dont ils ne sont plus les maîtres, & qui appartient à autrui.
Il fait injure aux enfans, parcequ'il rend leur naissance incertaine.
Il remplit les familles de trouble & de confusion, parcequ'il y introduit des personnes qui n'en sont pas, & qu'il est cause qu'ils recueillent des successions qui ne devroient point leur appartenir.
Il met la mesintelligence entre les maris & les femmes ; il les rend ennemis mortels ; & souvent même il les engage à se porter aux dernieres extrémitez.
Qu'on lise après cela les saintes Ecritures, on y trouvera par tout des preuves de son énormité. L'Ecclesiastique dit qu'il produit la plûpart des desordres qu'on vient de marquer. Car après avoir parlé de la punition d'un homme qui tombe dans ce crime, il ajoute.
Ainsi perira encore toute femme qui aban Eccl. 23. 32. seq. donne son mari, & qui lui donne pour heritier celui d'un autre: car premierement elle a desobéi à la Loi du tres-Haut.  Secondement elle a peché contre son mari. Troisiémement elle a commis un adultere ; & elle s'est donnée des enfans d'un autre que de son mari.
Il décrit ensuite comment tout le monde s'élevera contre elle : il nous assure que ses enfans seront marquez d'une note perpetuelle d'infamie, & qu'ils ne 157 prospereront jamais. Cette femme, dit-il, sera amenée dans l'assemblée, & on examinera l'état de ses enfans. Ils ne prendront point racine, & ses branches ne porteront point de fruit. Sa memoire sera en malediction, & son infamie ne s'effacera jamais.
Le Prophete Malachie déclare que ce peché irrite Dieu, l'oblige de détourner sa face de dessus les hommes,& le porte à rejetter leurs offrandes & leurs sacrifices. Vous avez, dit Dieu aux Juifs par la bouche de ce Prophete, couvert l'Autel du Seigneur de larmes & de pleurs ; vous Malac. 2. 13. 4. 15. l'avez fait retenir de cris : c'est pourquoi je ne regarderai plus vos sacrifices;& quoique vous fassiez pour m'appaiser, je ne recevrai point de present de vôtre main. Et pourquoi, me direz-vous, nous traiterezvous de la sorte ? Parceque le Seigneur a été le témoin de l'union que vous avez contractée avec la femme que vous avez épousée dans vôtre jeunesse, & qu'après cela vous l'avez méprisée, quoiqu'elle fût vôtre compagne & vôtre femme legitime par le contrat que vous aviez fait avec elle. N'estelle pas l'ouvrage du même Dieu ; & n'estce pas son souffle qui l'a animée comme vous ? Et que demande cet Auteur unique de l'un & de l'autre, sinon qu'il sorte de vous une race d'enfans de Dieu? Conservez donc vôtre esprit pur & ne méprisez pas la femme que vous avez prise dans vôtre jeunesse.
158
La Loy écrite punissoit même de mort les adulteres.  Si quelqu'un, dit Moïse Cap. 20. 10. dans le Levitique, abuse de la femme d'un autre, & commet adultere avec la femme de son prochain, que l'homme adultere & la femme adultere meurent tous deux.
L'Evangile qui est une Loy de grace, Matth.5. 32. ne prononce pas à la verité la peine de mort contre ceux qui sont coupables de ce peché ; mais JESUS-CHRIST nous enseigne qu'il est une cause suffisante de séparation & de divorce entre un mari & une femme. Sur quoi saint Augustin dit que l'adultere est un si Lib. 1. de serm. dom. in monte. c, 16. grand mal, qu'encore qu'il n'y ait rien au monde de si indissoluble que le Mariage, il en cause neanmoins la dissolution. (Ce qui ne s'entend que d'une dissolution exterieure : car le lien demeure toujours, & n'est rompu que par la mort de l'une ou de l'autre des parties. )
Enfin S. Paul nous assure que les adul 3. Cor. c. 10. teres ne seront point heritiers du royaume de Dieu.
Le Seigneur nous a assez marqué par les châtimens qu'il a pris de David, que ce peché est tres-grand & tres-grief : car après avoir touché ce Prince d'un repentir tres-sincere, il vengea neanmoins l'injure qu'il avoit faite à Urie, par une infinité de plaies dont il le frappa, & 159 dans sa personne, & dans celle de ses enfans, jusqu'à le mettre dans un extrême peril de perdre tout ensemble & la couronne & la vie.
Les peines que l'Eglise veut que l'on impose à ceux qui commettent ce crime, justifient encore qu'on a toujours crû qu'il est tres-énorme : car il y a des Canons qui ordonnent qu'on les metConc. Ancir. c. 20. tent en penitence pendant sept ans, & quelquefois davantage ; & même dans les premiers siecles on leur refusoit absolument la grace de la reconciliation, Albas sp. observ. l. 2. observ, 17. & on les traitoit avec la même séverité que les homicides & les idolâtres, c'est-àdire, ceux qui ayant renoncé à la foy sacrifioient aux Idoles.
L'on voit même par les Loix Romaines, que ce crime a toujours été consideré comme un des plus griefs & des plus dangereux à la societé civile, & qu'on ne vouloit point qu'on fist aucune grace à ceux qui en étoient coupables. Car il Cod. de transact. l. 18. n'étoit point permis d'en transiger ; & les Empereurs ayant coutume de faire élargir les Prisonniers à la solemnité de Pâque17, ils en exceptoient les adulteres, & les jugeoient indignes d'être mis en Cod.de. Episcop. aud. l. 3. liberté aux approches de cette grande Fête, parcequ'ils la deshonoroient par leur persidie & par leur impureté.
C'a aussi été pour inspirer aux hom- 160 mes de l'horreur de ce crime, que les loix tant civiles qu'Ecclesiastiques, ont L Claud. Seluc. ff. de his qua ut indign. défendu à ceux qui y étoient tombez, de se marier ensemble. Le celebre Jurisconsulte Papinien, consulté à l'occasion d'un homme qui ayant été condamné comme adultere, épousa ensuite la femme qu'il avoit corrompue, & lui laissa même tous ses biens par son testament, répondit que ce Mariage avoit été nul & illégitime, & qu'il falloit priver cette femme de la succession du défunt, & l'appliquer au Fisc. L'on trouve dans Gratien plu3. q, I. c. 1. & e. Ibid c. 4. sieurs Decrets qui interdisent le Mariage à ceux qui se sont abandonnez à ce crime. Et quoique cette défense ait été dans la suite restrainte à ceux & à celles qui Cap. Laudab. de conv. infidel. ont conspiré contre la vie de leurs époux pour se marier avec leurs adulteres, ou qui se sont engagez par serment à les épouser ; il est toujours vrai de dire que ces anciennes Constitutions prouvent que ce peché est tres-énorme en lui-même.
La description que Saint Hilaire fait d'un homme qui s'y abandonne, le justifie encore. Combien, dit-il, celui qui se laisse dominer par ses passions, & qui suit aveuglément les mouvemens de sa concupiscence, ne se deshonore-t il point lui-même? Il est toujours attentif à trouver des occasions de commettre 161 des adulteres,& il ne cherche qu'à pouvoir assouvir en secret, & comme à la In. Ph? 25. dérobée, sa brutalité. Ses yeux ne s'occupent qu'à découvrir des lieux de prostitution ; son esprit ne pense à rien autre chose ; & il y abandonne son corps sans aucune reserve. Entendant continuellement parler des loix que les hommes ont faites contre ceux qui commettent des adulteres, & les voyant affichées dans les places publiques, il en prend occasion de penser a des impuretez & à des adulteres.  Il craint au milieu des crimes qu'il commet, & cependant il n'a pas soin d'éviter ce qu'il craint.
L'on a dit ci-dessus qu'une des circonstances qui aggrave le plus ce crime, c'est que celui du mari ou de la femme qui le commet, fait injure à l'autre, & viole la justice à son égard, usant de son corps contre sa volonté.  Il ne faut pas neanmoins s'imaginer que quand l'un des deux y consentiroit, l'autre puisse s'abandonner à une personne étrangere: car si alors celui qui donneroit son consentement ne recevoit point d'injure, suivant cette maxime commune, volenti non fit injuria, on n'est point censé faire injure à celui qui consent à ce que l'on execute ; l'autre qui se prostitueroit ne laisseroit pas de pecher, & de se deshonorer 162 lui-même: car saint Paul nous assure que 1. Cor. 6. 28. celui qui commet fornication, & qui suit l'impureté, peche contre son propre corps, & viole le Temple du saint Esprit: outre cela il feroit tort & injure aux enfans qui pourroient naître d'une telle conjonction.
C'est pourquoi saint Augustin enseigne qu'il n'est point permis à une fem Lib. 22. contra Faust. c. 3. & Lill.1. de serm. Dom. in monte c. 16.serm. 392. me de se prostituer à un homme, quand même son mari y consentiroit, & que le mari ne doit pas non plus s'approcher d'une autre femme, même avec la permission de la sienne. Il soutient au contraire que les femmes sont obligées de resister à leurs maris en ces rencontres, & de faire tout leur possible pour les détourner de l'impureté ; qu'elles ne doivent chercher à être loüées d'eux, ni à leur plaire en dissimulant, & en souffrant leurs débauches, parcequ'une telle patience est indigne des Chrétiens ; qu'il faut qu'elles soient jalouses de leurs maris, non par des motifs humains & charnels, mais par le desir de procurer leur bien spirituel, & parcequ'elles sçavent qu'ils ne peuvent s'abandonner au libertinage, sans mettre leur salut en danger ; que dans tout le reste elles doivent leur être soumises, leur obéir exactement, se regarder comme leurs servantes, & souffrir leurs mauvaises humeurs 163 & leurs emportemens ; mais que lorsqu'elles voyent qu'ils deshonorent leur Mariage par des commerces illicites, elles sont obligées d'en gémir, de s'en plaindre, de soutenir leurs droits, & de s'opposer à leur vie licentieuse.
Il y a eu quelques Auteurs prophanes qui ont dit que l'adultere n'est défendu qu'aux femmes. Mais ce qu'on vient de representer de saint Augustin justifie assez le contraire ; il seroit facile de rapporter plusieurs autres passages de ce saint Docteur, où il dit en termes précis, qu'il n'est permis ni aux hommes ni aux femmes de commettre des adulteres.
Lactance qui a défendu nôtre Religion contre les infideles, remarque qu'il ne faut pas s'arrêter à leurs loix, qui n'étoient fondées que sur une politique corrompue, & qu'on doit s'en tenir à la loy de Dieu, qui n'a mis aucune difference en ce point entre le mari & la femme. Après, dit-il, qu'un homme Lib. 6. divin. Instit. cap. 20. est marié, il est obligé de garder la fidelité à son épouse, & il ne lui est point permis de frequenter aucune autre femme, de quelque condition qu'elle puisse être, libre ou esclave. Car il ne faut pas avoir égard à cette loy prophane & politique, qui condamne une femme d'adultere, lorsqu'elle s'aban- 164 donne à d'autres qu'à son mari; & qui ne regarde pas comme un adultere, un mari qui se corrompt avec plusieurs femmes.  En effet, puisque la loy de Dieu unit le mari & la femme par le lien du Mariage, & qu'elle fait qu'ils ne sont plus qu'un seul & même corps, il est certain que celui-là est adultere qui rompt cette sainte union par son impudicité.
La Doctrine de S. Jerôme sert encore Epist.30. à refuser cette erreur. Parmi-nous, ditil, & dans notre sainte Religion, ce qui est défendu aux femmes, l'est aussi aux hommes; & en ce qui regarde la pureté, les uns & les autres ont les mêmes obligations.
Saint Gregoire de Nazianze & saint Ambroise se sont aussi élevez contre les maris qui prétendent avoir droit d'obliger leurs femmes à leur garder la fideliOrat. 31. té, pendant qu'ils leur sont eux mêmes infideles. Avec quel front, leur dit le premier, éxigez-vous la pureté de vos épouses, puisque vous ne la gardez pas vous-même? Que personne ne se flatte, dit S. Ambroise, & ne se croye en assu Lib. 1. de Amb. c. 4. rance, sous prétexte qu'il y a des loix humaines trop favorables aux maris. Le commerce qu'ils ont avec d'autres femmes, est un veritable adultere : ce qui est défendu à la femme, ne peut  165 être permis au mari, il est obligé à la même pureté qu'elle.
Mais il seroit inutile de chercher d'autres autoritez sur ce sujet : car l'on a vû ci-dessus, que la Loy écrite condamnoit à la mort, non seulement la femme adultere, mais aussi l'homme qui s'abandonnoit à ce crime.  Le Sage avant que de décrire la punition de la femme adultere, parle de celle du mari qui commet ce même peché.  L'homme, dit-il, qui viole la foy du lit conjugal, méprise son ame. Il sera puni dans les places publiques. Eccli. 1. 23. 25. 30. 31. Il sera mis en fuite comme le poulain de la cavale ; & il sera pris lorsqu'il s'y attendoit le moins. Il sera deshonoré devant tout le monde, parcequ'il n'a pas compris ce que c'étoit que de craindre le Seigneur.  Et S. Paul prononce que le corps de la femme n'est pas en sa puissance, mais en celle de son mari ; & que de même le corps du mari n'est pas en sa puissance, mais en celle de sa femme. Ainsi il est certain que l'adultere est également défendu au mari & à la femme ; & qu'un homme qui s'abandonne à l'impureté, peche tres-griévement, & viole la loy de Dieu, puisqu'il fait un mauvais usage de son corps, & qu'il en dispose au préjudice de celle à qui il appartient.
Quant à la question que l'on propose ordinairement, sçavoir lequel des deux, 166 du mari ou de la femme qui commet adultere, est le plus criminel, on pourroit dire que la consideration des enfans dont la naissance est incertaine, lorsque la femme a commerce avec plusieurs hommes, aggrave son peché : car on ne peut pas discerner quel est le pere des enfans qu'elle met au monde, ce qui est un inconvenient tres-considerable, & qui trouble la societé civile. Mais neanmoins il faut répondre avec les saints Peres, que le mari qui tombe dans l'impureté, est plus coupable que la femme qui commet le même peché ; parcequ'ayant plus de force d'esprit, il doit être plus maître de ses passions ; parceque connoissant plus parfaitement la difformité du peché, il lui est plus honteux d'y succomber ; parcequ'étant le chef de sa femme, il doit la préceder dans le chemin de la vertu, & lui en donner l'exemple, comme le déclarent les saints Docteurs de l'Eglise. Les maLib. 2. de adulter. conjug. c. 8. ris dit S. Augustin, s'indignent contre nous, lorsque nous leur disons qu'ils seront punis de la même maniere que les femmes, s'ils commettent adultere. Ils prétendent que leur étant superieurs ils ne doivent pas être soumis aux mêmes peines qu'elles dans cette rencontre : comme si leur état & leur condition ne les obligeoit pas encore plus que 167 les femmes à réprimer leurs passions, à ne se pas laisser dominer par leur chair, & à marcher dans les voies de la justice ? Ainsi bien loin de trouver mauvais qu'on les avertissent qu'ils souffriront les mêmes peines que les femmes, s'ils s'abandonnent à l'adultere, ils doivent sçavoir qu'ils en méritent de bien plus griéves qu'elles, parcequ'ils sont obligez de les surpasser en vertu, & de les conduire par l'exemple de leur vie & de leur actions innocentes. Tantò graviùs eos puniri oportet, quantò magis ad eos pertinet, & virtute vincere, & exemplo regere fœminas.
Mais sans s'arrêter davantage à cette question, il faut conclure en finissant ce Chapitre, que l'adultere est tres-criminel ; que tous les Fideles doivent s'en éloigner comme d'un tres-grand peché, & que les hommes y sont obligez aussibien que les femmes, parceque la loy de Dieu est generale, & ne souffre point d'exception : que cette parole, non mœchaberis, Vous ne commettez point d'aExod. 20. 14. Matth.5. 27. Heb. 15. 4. dultere, regarde tout le monde ; & que S. Paul déclare que Dieu condamnera à son Jugement dernier tous les fornicateurs & tous les adulteres.
168 Bandeau.

CHAPITRE XVI.

Qu'il faut conseiller aux gens mariez de garder la continence les jours qu'ils doivent approcher de la sainte Eucharistie. Que cette pratique est autorisée par L'Ecriture sainte, par la doctrine des saints Peres, par les Canons de l'Eglise, & par l'exemple des Saints, & des personnes de pieté.
CE que je dois representer dans ce Chapitre, regarde à la verité tous les Sacremens de l'Eglise, car ils sont tous tres-saints, & il n'y en a aucun qui ne merite qu'on y apporte une tres-grande préparation. Mais neanmoins comme il y en a deux ausquels nous participons plus souvent qu'à tous les autres, c'est à eux particulierement qu'il faut s'arrêter, lorsqu'on traite de la continence conjugale, & qu'on a dessein d'instruire les gens du monde de la pureté qui leur convient, & qu'ils doivent garder dans l'état du Mariage.  Les saints Peres en ont usé de cette maniere ; & l'on reconnoît, en lisant leurs Ouvrages, que c'est presque toujours par rapport à l'Eucharistie & à la Penitence qu'ils parlent, lorsqu'ils enseignent que pour se préparer à la reception des Sacremens, il faut 169 redoubler son affection pour la pureté, & s'abstenir pendant quelques jours de l'usage du Mariage.
Je rapporterai dans le Chapitre suivant ce qu'ils ont dit de la Penitence ; ainsi je me contenterai d'expliquer dans celui - ci ce qui regarde la sainte Eucharistie.
L'Ecriture nous apprend, que lorsque Dieu voulut donner la Loy écrite aux Juifs, il leur commanda de se purifier auparavant pendant plusieurs jours. Allez trouver le peuple, dit-il à Moïse, puExod. 19. 10. rifiez & sanctifiez - les aujourd'hui, & demain qu'ils lavent leurs vêtemens. Ce saint Prophete qui étoit porteur des ordres de Dieu, leur marqua en particulier, que c'étoit par la continence qu'ils devoient se preparer à recevoir cette insigne faveur du Ciel.  Soyez prêts pour le troisiéme jour, leur dit - il, & ne vous approchez point de vos femmes. En effet, il n'y a rien qui soit plus capable d'attirer sur nous les graces de Dieu que la pureté, & qui nous mette plus en état de les recevoir, & d'en profiter.
Mais il faut passer à quelque chose qui ait plus de rapport à la sainte Eucharistie. Tout le monde sçait que les Pains de proposition18 en étoient la figure. Or il falloit avoit gardé la continence pendant plusieurs jours avant que d'en man 170 ger.  Ce qui arriva à David en est une c. Reg.21. preuve certaine.  Ce Prince ayant été obligé de prendre la fuite, pour éviter la colere injuste de Saül, se retira dans la Ville de Nobé ; & se sentant pressé de la faim, il demanda au Prêtre Achimelech s'il n'avoit rien qu'il pût lui donner à manger. Celui - ci lui répondit qu'il n'avoit point de pains communs qui pussent être mangez par le peuple ; qu'il ne lui en restoit que de saints qui avoient été presentez au Seigneur ; mais que pour en manger, il falloit être pur, & ne s'être approché d'aucune femme depuis plusieurs jours. Et David lui ayant assuré qu'il y avoit trois jours qu'il n'avoit eu la compagnie d'aucune femme, il lui donna de ces Pains de proposition19.
L'on voit encore dans les Livres de Num. 9. Moïse, que ceux qui avoient quelque impureté legale, ne pouvoient pas manger l'Agneau Pascal20 avec les autres Israëlites ; & qu'on leur remettoit la Pâque21 à un autre tems, afin qu'ils eussent le loisir de se purifier, & de s'y preparer.
S'il falloit tant de pureté pour manger des Pains & un Agneau, qui n'étoient que la figure de l'Echaristie ; que l'on juge s'il n'est pas convenable que ceux qui veulent se presenter à l'Autel sacré qui porte l'Agneau sans tache, & participer à la veritable Pâque22, soient tres- 171 purs, & qu'ils ayent gardé la continence pendant quelques jours.
Il n'est pas même besoin d'avoir recours à cette comparaison des Pains de proposition23 & de l'Agneau Pascal24, pour prouver cette verité, puisque S. Paul l'établit en termes clairs & précis. Que 1. Cor. 7. 3. 5. le mari, dit-il, rende à sa femme ce qu'il lui doit; & la femme ce qu'elle doit à son mari. Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est d'un commun consentement, afin de vous exercer à l'oraison ; vivez ensuite ensemble comme auparavant, de peur que le démon ne prenne sujet de vôtre incontinence de vous tenter.
Cet oracle prononcé par ce grand Apôtre, oblige sans doute les gens mariez à garder la continence, lorsqu'ils ont desein d'approcher des choses saintes, & particulierement du Sacrement auguste de nos Autels, qui est le Saint des Saints, & que les Peres de l'Eglise soutiennent que ce Docteur des Nations a voulu désigner, quand il a parlé de vaquer à la priere : parcequ'en effet l'Eucharistie est consacrée par une priere toute mysterieuse; qu'il faut faire beaucoup de prieres avant que d'y participer; & qu'elle est elle-même une priere tres - efficace, puisqu'elle contient le Corps, l'Ame & la Divinité de celui qui est toujours vivant pour interceder en notre faveur.
172
Pour ce qui est des saints Peres, l'on trouve dans les Ecrits qu'ils nous ont laissez, une infinité de témoignages, qui prouvent avec évidence, qu'ils ont conseillé aux Fideles de se purifier avec beaucoup de soin, & de garder la continence, avant que de se presenter à la sainte Table.
Saint Clement Alexandrin, dans les Instructions qu'il a dressées pour tous les Pedag. Lib. 2. c. 10. Fideles, marque expressément qu'il faut se priver de l'usage du Mariage pendant les tems de la priere, de la lecture, & des bonnes œuvres.
Saint Jean Chrysostome observe qu'encore que les Juifs fussent charnels & grossiers, ils s'abstinrent neanmoins par ordre de Moïse, ou plutôt de Dieu mêLib. de Virginit. c. 30. 31. 32. me, de tout commerce conjugal pendant plusieurs jours, pour se préparer à recevoir la loy, comme on l'a vû ci dessus : il dit aux Fideles, que cela leur apprend, que puisqu'ils sont appellez à une plus grande perfection que cet ancien peuple, ils doivent à plus forte raison vivre dans la continence toutes les fois qu'ils veulent participer aux saints Mysteres.
Ce saint Docteur rapporte même qu'il y avoit de son tems plusieurs personnes qui n'osoient entrer dans les Eglises après avoir usé du Mariage: il se sert de l'exemple de leur pieté & de leur retenue, pour 173 combattre la témerité de ceux qui ne craignent point de se presenter à Dieu dans la priere, après avoir prophané leurs langues par des médisances & des blasphêmes, & souillé leurs mains par des actions criminelles. Vous n'osez venir, Homil.5. in Matt. leur dit-il, dans nos Eglises pour y prier Dieu après l'usage d'un legitime Mariage, encore qu'en cela vous ne commettiez aucun peché ; & vous avez la hardiesse de lever vos mains au Ciel, après être tombez dans de noires médisances, & des calomnies qui vous font mériter l'enfer ?  Comment ne tremblez-vous pas de crainte ? N'entendez-vous pas Saint Paul qui vous dit que le lit nuptial est pur, & que le Ma riage est honorable ? Que si vous n'osez neanmoins en sortant de ce lit pur & de cette couche honorable, lever vos mains vers Dieu : Comment en sortant du lit des démons, osez-vous prononcer ce nom adorable qui est également saint & terrible ? Car le démon se plaît dans les médisances & dans les outrages ; c'est comme un lit delicieux où il se repose.
Saint Jerôme dit aussi que plusieurs Fideles n'entroient point par respect dans les Eglises, & ne visitoient pas les tombeaux des Martyrs les jours qu'ils avoient usé du Mariage ; mais il s'en trouvoit 174 quelques-uns parmi eux, qui en ces mêmes jours ne faisoient point de difficulté de manger en secret l'Eucharistie dans leurs maisons (car en ce tems là les Chrétiens emportoient chez eux ce Pain sacré, pour s'en nourrir dans leurs besoins particuliers. )  Ce saint Docteur s'éleva fortement contre eux: il leur dit que s'ils croyoient qu'il ne leur fût par permis en ces rencontres d'entrer dans les Eglises, ils devoient encore moins entreprendre de manger la sainte Eucharistie.  Il leur demanda si le Corps de JESUS-CHRIST qu'ils prenoient dans leurs maisons, étoit In Apol. pro libris uis . seu Epist.50. autre que celui qu'on recevoit dans les Eglises, & s'il méritoit moins de respect. Il leur repeta plusieurs fois qu'ils ne devoient pas faire dans le secret ce qui leur étoit interdit dans le public. An alius in publico, alius in domo Christus est? quod in Ecclesia non licet, nec domi licet.
Lib. 12. Epist. indict. 7. Epist. 31.
Le Pape S. Gregoire rend pareillement témoignage que c'étoit un ancienne coutume parmi les Romains, de s'abstenir de l'entrée de l'Eglise, après même l'usage legitime du Mariage, de se laver & de se purifier dans de l'eau avant que de s'y presenter. Bien loin de blâmer ceux qui se conduisoient ainsi, il les loue, & il en parle comme des gens pleins de pieté, qui avoient un grand respect pour tout ce qui regarde la Religion.
175
Mon intention n'est pas, lorsque je rapporte cet exemple, d'obliger tous ceux qui usent maintenant du Mariage, de se priver de l'entrée de nos Temples, & de s'en éloigner: car je reconnois qu'il ne faut pas faire une loy generale d'une simple pratique de pieté, qui a été autrefois embrassée par quelques Fideles, dont le zele & la ferveur étoient extraordinaires. Mais je suis persuadé qu'on peut au moins conclure de cette ancienne coutume, qu'il faut se préparer à la sainte Communion par la continence; & que ceux qui ne la veulent pas garder pendant quelques jours pour s'y disposer, ne portent pas assez de respect au Sacrement auguste de nos Autels. C'est ce qui paroîtra encore avec plus d'évidence, si l'on considere attentivement ce que les autres saints Peres de l'Eglise ont dit sur ce sujet.
Saint Gregoire de Nazianze instruisant des Adultes qui se préparoient au Baptême, ne manque pas de leur dire qu'ils seront obligez de passer dans la continence les tems destinez à la priere, c'est-àdire, de se separer d'un commun consentement, lorsqu'ils voudront approcher de nos saints Mysteres.
J'ai déja parlé du sentiment de saint Jerôme ; il faut ajoûter à ce que j'en ai rapporté, que lorsqu'il explique ces pa 176 roles du Sage, Il y a un tems d'embrasEccl. 35. In Eccl. ser, & un tems de s'éloigner des embrassemens.  Il prétend que ce tems de s'éloigner des embrassemens, est celui de l'oraison & de la participation des choses saintes dont parle S. Paul quand il dit : 1. Cor. 7. 5. Ne vous refusez point l'un à l'autre le devoir, si ce n'est d'un commun consentement, afin de vous exercer à l'oraison.
Saint Ambroise disoit publiquement dans ses Sermons, aux Fideles qui étoient soumis à sa conduite, qu'ils devoient garder la continence avec leurs propres Serm.26. de Temp. femmes, avant que de se presenter à l'Autel du Seigneur pour s'y nourrir du pain des Anges ; & que la veritable disposition qu'il faut apporter à l'Eucharistie, est d'en approcher avec un cœur pur & un corps chaste.
L'illustre Archevêque d'Arles saint Cesaire, a aussi en plusieurs rencontres, rendu témoignage à cette verité de morale. Il enseigne que les Catechumenes Serm. 68. sont obligez de se préparer au Baptême par des mortifications, par des jeûnes, & par d'autres œuvres de pieté ; & qu'il faut sur-tout qu'ils passent plusieurs jours dans la continence avant que de se présenter à ce Sacrement, & après l'avoir reçu. Or s'il exige une si grande pureté de ceux qui doivent être baptisez, n'estil pas juste de prescrire la même chose 177 à ceux qui veulent approcher de l'Eucharistie, qui est le plus saint & le plus auguste de nos Sacremens. Mais ce saint Docteur s'en est expliqué en des termes tres-clairs & tres précis. Ainsi il n'est pas necessaire de raisonner pour nous assurer de son sentiment. Toutes les fois, dit il à ses Auditeurs dans un de ses Sermons, qu'on celebre le jour de la Naissance du Sauveur, ou quelque autre Fête, ayez soin, comme je vous ai déja souvent avertis, non seulement de vous séparer des concubines que vous frequentez, ce qui est un commerce criminel, mais de vous abstenir de vos propres femmes pendant plusieurs jours.  Lorsque vous venez à l'Eglise à l'occasion de quelque solemnité, leur dit-il encore, & que vous voulez participer aux Sacremens que JESUS-CHRIST a instituez, ne manquez pas de vous y préparer en gar dant la continence pendant plusieurs jours, afin que vous puissiez ensuite vous presenter avec confiance à l'Autel du Seigneur. Observez la même chose durant tout le Carême, & jusqu'aux derniers jours de l'Octave de Pâque, afin de celebrer ce grand Mystere avec un corps pur & chaste.
Saint Eloy Evêque de Noyon, enseiSerm. 163. gne aussi à ses peuples, qu'ils doivent garder la continence pendant quelques 178 jours avant les Fêtes & les Dimanches, afin d'assister à la Messe avec un cœur pur & un corps chaste, & de recevoir avec respect le Corps & le Sang de nôtre Seigneur.
Le Pape saint Gregoire après avoir expliqué cette ancienne coutume des Romains, dont on a déja parlé, de Ep. l. 12. indict. 7. Ep. 31. s'abstenir de l'entrée de l'Eglise après avoir usé du Mariage, ajoute que si les Juifs furent obligez de vivre en continence avec leurs propres femmes, pour se preparer à recevoir la Loy, les Chrétiens doivent à plus forte raison s'exercer à la pureté pendant plusieurs jours, lorsqu'ils veulent manger la sainte EuLib. 1. dial 6. 10. charistie. Pour en convaincre les Fideles, & pour les y engager, il rapporte l'histoire d'une jeune femme, qui ayant eu la témerité d'assister à la Dedicace d'une Eglise de saint Sebastien après avoir usé du Mariage avec son mari la nuit précedente, en fut punie sur le champ, parceque dès que les Reliques de ce saint Martyr arriverent, le démon s'empara de son corps, & la posseda.
Saint Gregoire de Tours ayant parlé Lib. 2. de Mirac. de la maniere miraculeuse dont un enfant avoit été gueri d'un mal tres-dangereux, ajoute que ses parens reconnurent avec larmes, que leur incontinence lui avoit attiré cette infirmité, parce- 179 qu'il avoit été conçu la nuit d'un Dimanche. Ce saint Prélat prend de là occasion d'exhorter les Fideles de s'abstenir du commerce conjugal les jours de Fêtes, & de les passer uniquement dans la priere, dans la pratique des bonnes œuvres,25
J'ai reservé en ce lieu à parler de saint Augustin, parcequ'il passe encore plus avant que tous les autres Peres dont j'ai déjà rapporté les autoritez. Il ne se contente pas d'avancer que les Gens Mariez sont obligez de garder la continence pour vaquer à la priere; mais Lib de bono conjug. c.10. il semble dire qu'ils pechent mortellement, lorsqu'ils usent si frequemment du Mariage, qu'ils ne laissent jamais aucuns jours de libres ausquels ils puissent prier, & participer aux saints Mysteres.
L'on trouve aussi dans les Conciles & dans les Epîtres des Papes, plusieurs Decrets qui justifient que ç'a toujours été l'esprit de l'Eglise, que ceux qui vivent dans le Mariage s'en abstiennent, avant que de participer à la sainte Eucharistie.
Comme les Dimanches sont des jours Conc. 13. de Communion, le Concile de Frioul de l'an 791. ordonne que les gens mariez passent la nuit qui les précede dans la continence.
Le Pape Leon IV. veut que les PrêIn Ep. tres & les Pasteurs déclarent aux peuples, qu'ils sont obligez de communier 180 quatre fois l'année ; sçavoir, à Noёl, le Jeudy Saint, à Pâque & à la Pentecôte ; & qu'ils exhortent ceux qui sont mariez à garder la continence pendant certains jours. Ce sont sans doute ceux ausquels ils devoient recevoir le Corps de notre Seigneur JESUS-CHRIST.
Les Bulgares nouvellement convertis In resp. ad consult. Bulgar.c.60. à la Foy, ayant consulté le Pape Nicolas I. sur ce sujet, & sur plusieurs autres points importants ; ce saint Pontise leur répondit que les Fideles étant obligez de s'abstenir les Dimanches de toutes sortes d'œuvres serviles, ils doivent à plus forte raison s'éloigner du commerce conjugal en ces saints jours, afin de les donner tout entier à la prière & au service de Dieu.
Theodulphe Evêque d'Orleans, dit c. 44 expressément dans ses Instructions Pastorales, qu'il faut avertir les Fideles de ne s'approcher pas avec indifference du Sacrement du Corps & du Sang de JESUS-CHRIST, & aussi de ne s'en éloigner pas trop long-tems, & d'avoir soin de s'abstenir de l'usage du Mariage aux jours qu'ils veulent y participer.
C'est dans ce même esprit que le second Concile d'Aix-la-Chapelle, celui de Salingestat de l'an 1022. & plusieurs c. 17. c. 3. autres, défendent aux Fideles de se marier les Dimanches, qui sont des jours 181 destinez à la prière & à la continence.
Gratien rapporte plusieurs témoigna33. q. 43. ges de Papes & de Peres de l'Eglise , qui parlent tous de la continence conjugale, comme d'une disposition tres-convenaTit. 7. ? 20. ble à la sainte Communion.
Antonius Augustinus a publié un Penitentiel Romain qui est tres-rigoureux à cet égard : car il condamne à jeûner au pain & à l'eau pendant vingt jours, ceux qui n'ont pas passé dans la pureté & dans la continence, les cinq ou sept jours qui ont précedé immédiatement celui de leur Communion.
On peut encore confirmer cette verité par les Rituels de presque toutes les Eglises, qui enjoignent aux Pasteurs de déclarer à ceux qui s'engagent dans le Mariage, qu'ils sont obligez de s'abstenir de tems en tems du commerce conjugal, afin de vaquer à la priere, & de participer aux Sacremens.
Cette matiere se trouve aussi traitée dans saint Thomas. Ayant demandé sur le quatriéme Livre des Sentences, s'il est permis de demander le devoir conjugal In 4. Sen. tent. dict. 32. art. 5. les jours de Fêtes ; il répond qu'encore que cette action ne soit pas un peché par elle-même, elle rend neanmoins l'homme moins propre aux choses spirituelles; & qu'ainsi il est à propos de s'en abstenir en ces saints jours, ausquels on ne doit 182 s'appliquer qu'aux exercices de pieté. Il reconnoît neanmoins au même lieu, que celui du mari ou de la femme qui veut user de son droit en ces jours, ne peche par mortellement, parceque la circonstance du tems ne change pas l'espece du peché, & ne l'aggrave pas à l'infini.
Ce Saint Docteur décide encore dans 3.p. q. 80. art. 7. ad 2. sa Somme, qu'on ne doit pas recevoir la sainte Eucharistie le jour qu'on a usé du Mariage, parceque le commerce conjugal, lors même qu'il est sans peché, ne laisse pas neanmoins de causer quelque impureté dans le corps, & des distractions dans l'esprit.
Saint Charles déclare que la dignité du Sacrement de l'Eucharistie demande In actis instructio. Euchar. que les gens mariez s'abstiennent pendant quelques jours de l'usage du Mariage, pour se mettre en état d'en approcher, à l'exemple de David, qui avant de recevoir les Pains de proposition26 de la main du grand Prêtre, lui déclara qu'il y avoit trois jours que lui & ceux de sa compagnie n'avoient approché d'aucunes femmes.
Ce grand Cardinal confirme encore Ca. omnis homo de cons. dist. 3. cette verité par l'autorité d'un Canon, qui porte que toutes sortes de personnes doivent avant que de communier, vivre dans la continence pendant trois, quatre ou huit jours.
183
Enfin le Catechisme du Concile de Trente veut que les Gens Mariez gardent la continence au moins trois jours avant que de communier. Le second avis dit il, qu'il faut donner aux Fideles qui se marient, est que comme on n'obtient de Dieu les graces dont on a besoin, que par de saintes prieres, il faut qu'ils se privent de tems en tems de l'usage du Mariage pour vaquer à ce saint De Sacram. Matr. §. 7. exercice, & particulierement qu'ils s'en abstiennent au moins trois jours avant que de s'approcher de l'Eucharistie, & même encore plus souvent pendant le tems solemnel du Carême, ainsi que l'ont sagement & saintement ordonné les saints Peres. Car par ce moyen ils verront augmenter de jours en jours dans leur famille les biens du Mariage; Dieu les comblera de graces & de benedictions ; & non seulement ils meneront une vie paisible & tranquille, mais encore ils auront cette ferme & veritable esperance ce qui ne trompe point, d'obtenir de la misericorde de Dieu la vie éternelle & bienheureuse.
Il faut ajouter que cette coutume de garder la continence les jours de communion, a été suivie dans tous les siecles par les plus grands Saints, & par une infinité de personnes de pieté, comme on le peut voir dans les histoires; & 184 sans en faire une longue énumeration, je me contenterai de proposer aux lecteurs l'exemple de saint Loüis Roy de France. Ce grand Prince n'approchoit point de la Communion, qu'il n'eût Du Chêne tome 5. p. 148. vêcu dans la continence plusieurs jours auparavant, & il la gardoit encore plusieurs jours après, afin d'honorer ce Sacrement auguste qui contient le Corps d'un Dieu, qui est la pureté même, & qui par consequent ne doit être reçu que par des ames chastes & pures.
Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet, parcequ'il seroit inutile d'alleguer d'autres preuves à ceux qui ne se rendront pas à celles que j'ai expliquées dans ce chapitre: car elles sont si claires & si évidentes, qu'on peut regarder tous ceux qui n'en seront pas convaincus, comme des aveugles volontaires, qui se plaisent dans les tenebres, & qui détournent leurs yeux de peur d'appercevoir les lumieres de la verité qui se présente à eux pour les éclairer & pour les instruire.
Cul de lampe.
185 Bandeau.

CHAPITRE XVII.

Qu'il faut aussi conseiller aux gens mariez de garder la continence les jours de jeûne & de penitence. Que cela doit neanmoins se faire d'un commun consentement.
Les Fideles qui auront une juste idée  du jeûne & de la penitence, demeureront facilement d'accord de la verité de cette proposition, qu'il est tresà propos de passer dans la continence, les jours ausquels on s'applique à ces saints exercices ; car jeûner & faire penitence, n'est autre chose que s'éloigner des plaisirs & des voluptez, mortifier sa chair, crucifier son vieil homme, gémir de ses pechez dans le secret de son cœur, en sentir le poids & l'énormité; les effacer par des larmes frequentes & abondantes, & les punir avec severité. Or il est visible que tout cela ne s'accorde pas avec l'usage du Mariage ; & par consequent il est vrai de dire que tous ceux qui sont veritablement penitens, doivent s'en abstenir au moins pendant quelque tems, & sur-tout aux jours qu'ils travaillent plus particulierement à fléchir la Justice divine.
Aussi voyons - nous que lorsque l'Ecriture parle du jeûne & de la peniten- 186 ce, elle y joint presque toûjours la conJoël 2. 12. 13. & sequent. tinence conjugale. Convertissez - vous à moi de tout vôtre cœur, dit le Seigneur, dans les jeûnes, dans les larmes & dans les gémissemens. A quoi le Prophete ajoute : Déchirez vos cœurs, & non pas vos vêtemens. Faites retenir la trompette dans Sion ; ordonnez un jeûne saint ; publiez une assemblée solemnelle ; faites venir tout le peuple ; avertissez - le qu'il se purifie ; assemblez les vieillards, amenez même les enfans, & ceux qui sont encore à la mamelle.
Voilà sans doute un grand appareil de penitence ; mais ce n'est pas tout, car le Prophete dit ensuite: Que l'époux sorte de sa couche, & l'épouse de son lit nuptial : marquant par là que les gens mariez doivent vivre dans la continence, lorsqu'ils veulent appaiser la colere de Dieu par leurs larmes & par leurs mortifications.
Saint Paul dans le passage qu'on a déja allegué au chapitre précedent, dit aux gens mariez, selon le Texte Grec27: Ne I. Cor. 7. ? vous refusez point l'un à l'autre le devoir, si ce n'est d'un commun consentement, pour un tems, afin de vous exercer au jeûne & à l'oraison.  Ainsi il leur ordonne également de garder la continence aux jours qui sont destinez au jeûne & à la priere.
Lorsque les saints Peres expliquent 187 les devoirs & les obligations des penitens, ils suivent ces maximes de l'Ecriture, & disent toûjours que ceux qui sont engagez dans le mariage, doivent s'éloigner du commerce conjugal pendant le tems de la sainte Quarantaine28, & aux jours qui sont consacrez aux larmes & à la penitence.
Origene parlant de la maniere dont il faut passer le Carême, dit que la contiHomil. I in Lc. vit. nence doit accompagner le jeûne, & que pour être en état de garder la continence, il faut observer le jeûne.
Ce qui nous fait comprendre que le jeûne & la continence sont deux vertus qui se soutiennent & se fortifient réciproquement ; que la premiere étant separée de la seconde, perd beaucoup de son mérite ; & que l'autre sans le secours de la premiere, ne sçauroit subsister long-tems.
Saint Epiphane enseigne aussi que le jeûne a besoin d'être fortifié par plusieurs exercices de pieté ; & sans nous arrêter à les décrire en particulier : il suffit de dire qu'il y comprend la contiHares. 75. n. 31. nence, & qu'il enseigne que ceux qui pour jeûner, croyent être obligez de se retrancher quelques alimens, doivent à plus forte raison s'abstenir de l'usage du Mariage.
Saint Jean Chrysostome observe que 188 ceux qui se disposent à paroître devant leur Prince pour lui demander quelque grace, & que les criminels qui se voyent sur le point d'être presentez aux pieds de leurs Juges, sont continuellement dans la crainte & dans le tremblement ; qu'ils se privent de toutes sortes de plaisirs & de voluptez ; qu'ils vivent dans les larmes Lib. de Virg. c. 30.31.32. & dans la tristesse : il dit que c'est ainsi que sont obligez de se conduire ceux qui pensent à faire penitence. Qu'ils ont offensé une souveraine Majesté ; que le Juge devant qui ils doivent être presentez, est plein de severité ; qu'ils ont une faveur bien extraordinaire à lui demander ; que s'il les traitoit selon leurs mérites, ils ne pourroient supporter le poids de sa colere ; qu'il auroit droit de les rejetter pour toujours, sans qu'ils pussent s'en plaindre ; qu'ils n'ont que des larmes & des gemissemens à lui présenter ; que ce n'est qu'en s'affligeant & en s'humiliant, qu'ils peuvent trouver grace en sa presence ; & que par consequent ils doivent s'abstenir d'une infinité de choses qui pourroient leur être permises en un autre tems ; qu'il n'est pas à propos qu'ils usent alors du Mariage ; & que la continence qui n'est qu'un simple conseil pour les autres, leur devient d'une obligation tres-étroite, jusqu'à ce qu'ils ayent effacé leurs pechez par leurs 189 larmes, & satifait à la justice de Dieu.
Le grand Saint Ambroise dit à ses peuSerm.26. de temps. ples, qu'il est de son devoir de les avertir de garder la continence pendant tout le Carême, & jusqu'à la fin de la solemnité de Pâque, afin qu'ils puissent à cette grande Fête se presenter à JESUSCHRIST, ornez de pureté & de bonnes œuvres.
Saint Jerôme enseigne aussi que les penitens sont obligez de s'abstenir de l'usage du Mariage, & le prouve par ces paroles du Prophete Zacharie : En ce tems-là il y aura un grand deuil dans Cap. 12. 11. 12. & seq. Jerusalem : tout le pays sera dans les larmes ; une famille à part, & une autre à part ; les familles de la maison de David à part, & leurs femmes à part ;  les familles de la maison de Nathan à part, & leurs femmes à part ; & toutes les autres familles chacune à part, & leurs femmes à part.  Ces paroles, dit ce Pere, Tout le In hun? locum. pays sera dans les larmes ; une famille à part, & une autre à part ; les familles de la maison de David à part, & leurs femmes à part,  signifient que dans les tems de tribulations & d'afflictions il ne faut pas user du Mariage.  C'est pourquoi les Juifs étant sur le point d'être menez en captivité, le Prophete Joël leur dit de la part de Dieu : Que l'époux sorte de sa Cap. 2. 16. couche, & l'épouse de son lit nuptial. Et 190 l'on voit dans un autre lieu de l'Ecriture, qu'aux approches du déluge, Dieu fit ce commandement à Noé : Entrez Genes. 7. dans l'arche, vous & vos fils, vôtre femme, & les femmes de vos fils ; & qu'au contraire il lui dit, lorsque le déluge fut fini, Sortez de l'arche, vous & vôtre femme, vos fils & les femmes de vos Ibid. 8. 16. fils.  Ce qui fait connoître que tant que le danger dura, les maris & les femmes garderent la continence dans l'arche, & qu'ils n'userent du Mariage qu'après en être sortis, & s'être répandus dans le monde.
Ce saint Docteur expliquant ces paroles du Prophete Joël, qu'on a déja In cap. 2. Joëlis. citées plusieurs fois ;  Faites retenir la trompette dans Sion; ordonnez un jeûne saint ; que l'époux sorte de sa couche, & l'épouse de son lit nuptial, déclare encore à tous les Fideles que pour faire penitence, il ne leur suffit pas de se punir dans le boire & dans le manger, de jeûner & de donner l'aumône, mais qu'ils doivent garder la continence, & s'abstenir de leurs propres femmes.
Saint Augustin après avoir prouvé par l'Ecriture que les Chrétiens doivent se mortifier, se faire violence, & porter la croix durant tout le cours de leur vie, dit qu'il est certain qu'ils y sont encore plus obligez pendant le Ca- 191 rême, qui est particulierement consacré à la penitence ; puis il ajoûte, en s'adressant à ses auditeurs: En un autre tems on se contente quelquefois de vous dire, Prenez garde à vous, de peur que Serm. 205. Luc. 24. 31. vos cœurs ne s'appesantissent par l'excès des viandes & du vin : mais en celuicy, c'est-à-dire, pendant le Carême, il faut que vous jeûniez ; en autre tems il vous suffit d'éviter les adulteres, les fornications, & les autres impuretez ; mais en celui-ci vous devez vous abstenir de vos propres femmes. Ajoûtez à vos aumônes ordinaires, ce que vous vous retranchez par le jeûne ; & donnez à la priere le tems que vous aviez coûtume d'employer aux devoirs du Mariage.
Ce saint Pere dit encore plusieurs Serm. 210. fois dans un autre de ses Sermons, que les Fideles doivent garder la continence pendant tout le Carême ; il leur parle de cette pratique comme d'une chose tres constante, & dont personne ne doutoit en son siecle.
On peut ajoûter qu'il n'avoit garde Lib. de fide & operibus cap. 6. d'exempter les penitens de la continence, puisqu'il témoigne qu'on y obligeoit même ceux qui se disposoient au Baptême, & qu'on ne leur administroit ce Sacrement, qu'après qu'ils s'y étoient preparez pendant plusieurs jours par des 192 jeûnes, par des prieres, par des aumônes, & sur tout en se separant de leurs femmes.
Saint Cesaire parle aussi de l'obligaSerm. 6. tion qu'avoient ceux qui aspiroient au Baptême, de s'abstenir du commerce conjugal avant que de s'y presenter, & après l'avoir reçû. Et lorsqu'il instruit ses peuples dans le quatriéme de ses Sermons, de la maniere dont ils devoient passer la penitence du Carême, il tient le même langage que les autres saints Peres ; car les deux avis les plus importans qu'il leur donne, regardent la priere & la pureté.   A l'égard de la priere il leur dit : Je vous conseille, mes freres, & je vous prie de tout mon cœur de vous lever plus matin que de coûtume, afin d'assister aux Vigiles, ( c'est-à-dire aux Matines, ) & de vous rendre exactement aux Heures de Tierce, de Sexte & de None29. Et pour ce qui est de la pureté, il leur recommande de garder la continence avec leurs propres femmes pendant tout le Carême, & jusqu'à la fin de la solemnité de Pâque.
Il témoigne dans un autre de ses HoHom. 2. melies, que les Fideles de son Diocese étoient si exacts à passer dans la continence tout le Carême, & les autres jours de jeûne, qu'il croyoit inutile de 193 les y exhorter ; & que s'il leur en parloit, c'étoit seulement par occasion, & pour les fortifier de plus en plus dans cette sainte coutume.
Le celebre Evêque de Noyon saint Nom. 16. Eloy portoit même si loin cette obligation de la continence durant le Carême, qu'il disoit après un ancien Auteur Ecclesiastique, qu'il y avoit presque autant de mal à user du Mariage, qu'à manger de la chair pendant ce saint tems.
J'avoue que cette expression est un peu forte, & je ne voudrois pas m'en servir dans la conduite ordinaire des Fideles; & pour juger de la grandeur de leurs fautes, & de la qualité des penitences qu'il est à propos de leur imposer. Mais elle prouve au moins qu'on étoit trespersuadé dans les premiers siecles de l'Eglise, de la maxime que j'explique dans ce chapitre, & qu'on ne croyoit pas que refuser de s'y soumettre, fût une faute peu considerable.
Ratherius Evêque de Veronne, qui Spicilog. tom. 2. vivoit au dixiéme siecle, publia une Lettre Synodique, dans laquelle il marquoit que les gens mariez devoient s'abstenir de l'usage du Mariage pendant l'Avent, le Carême, les Octaves de Pâques & de la Pentecôte, dans les tems des prieres publiques,les veilles de toutes les Fêtes tous les Vendredis . & les Dimanches.
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Theodulphe Evêque d'Orleans, dont on a déja parlé dans le Chapitre précedent, exhorte aussi ses peuples à passer le Carême dans la continence. Il déclare Cap. 41. même dans ses Instructions Pastorales, que le jeûne perd beaucoup de sa force, lorsqu'on ne s'abstient point de l'œuvre du Mariage, & qu'on n'a pas soin de l'accompagner de prieres, de veilles & d'aumônes.
Herard Archevêque de Tours, ordonInst. Syn. Cap. 62. ne aussi aux Fideles de son Diocese, de passer dans la pureté & dans l'éloignement du commerce conjugal, les jours de jeûne & de penitence.
Le Pape Nicolas I. instruisant les BulAd consult a Bulgaror. c. 9. gares, leur represente que si les gens mariez qui ont de la pieté, s'abstiennent en plusieurs rencontres de l'usage du Mariage, afin de vaquer plus particulierement à la priere ; ils sont à plus forte raison obligez de garder la continence pendant le Carême, qui est un tems auquel on se retranche plusieurs choses qui seroient permises en un autre, & que l'on doit regarder comme une dixme30 de mortification que l'on offre à Dieu pour tout le reste de l'année.  Il passe même Cap. 48 plus avant dans la suite : car il leur déclare qu'il ne faut point celebrer de Mariages, ni faire de festins pendant ces saints jours.
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L'on peut juger que ces peuples étoient tres-exacts à observer cette sainte discipline, puisque s'étant trouvé parmi eux Cap. 54. un homme qui avoit eu la témerité d'habiter avec sa femme pendant le cours de la sainte Quarantaine31, ils s'éleverent contre lui, & consulterent ce grand Pape touchant la penitence qu'il falloit lui imposer.  Mais ce saint Pontife ne voulant rien déterminer là dessus, les renvoya à leur Evêque, & à leurs Pasteurs ordinaires, qui connoissant la condition, l'âge & le temperament de cet homme & de sa femme, étoient plus en état de juger de la faute qu'ils avoient commise, & de la penitence qu'ils méritoient.
Il y a une infinité de Decrets qui défendent de celebrer des Mariages pendant l'Avent & le Carême. On peut dire que ce sont autant de témoignages qui justifient que ç'a toujours été l'intention de l'Eglise de porter les Fideles à garder la continence aux jours de jeûne : car comme dit le Concile de Tolede de l'an 1473. cette sainte Epouse de JESUSCHRIST, en faisant ces sortes de défenses, n'a pas tant eu dessein d'interdire la solemnité des Nôces & du Mariage, que d'empêcher, ou plutôt de suspendre pendant quelque tems le commerce conjugal.
Estienne Poncher Evêque de Paris 196 s'est expliqué fort nettement sur ce suDe Sacram ento Matr im jet dans les Statuts Synodaux qu'il publia au commencement du seiziéme siecle : car il y exhorte tous les maris de n'approcher point de leurs femmes aux jours de jeûne, de Fêtes, & de processions solemnelles, afin dit-il, que leurs prieres soient plus agreables à Dieu, & plus facilement exaucées de sa souveraine Majesté.
Le cinquiéme Concile de Milan maintint aussi cette discipline : car saint Charles y déclara qu'il faut sanctifier le Carême par plusieurs pratiques de pieté, telles que sont l'abstinence de la viande, les jeûnes, l'aumône, la priere & la continence.
Il ne faut pas obmettre l'exemple du Roy saint Louis, dont on a déja parlé au chapitre précedent à l'occasion de la sainte Eucharistie.  Ses Historiens Du Chesne Tom. S. p. 448. nous apprennent qu'il gardoit la continence avec la Reine Marguerite sa femme pendant tout l'Avent & le Carême, & même qu'il choisissoit quelques jours chaque semaine pour les consacrer à la pureté.
L'on peut ajouter à l'exemple de ce Concil. Remens. an.1092. grand Roy, celui de Robert Comte de Flandres32, qui se retiroit tous les ans pendant le Carême dans le Monastere de saint Bertin, afin d'y passer ce saint 197 tems dans la priere & dans la continence.
L'on sçait enfin qu'autrefois on obligeoit ceux qu'on soumettoit a la penitence publique, de se séparer de leurs femmes, & de vivre dans la continence jusqu'à ce qu'ils eussent satisfait à la Justice divine pour leurs pechez. C'est encore là une nouvelle preuve de ce que je viens d'établir par tant d'autoritez differentes : car si on ordonnoit aux premiers Fideles de s'abstenir du commerce conjugal pendant le cours de leur penitence, pourquoi n'exigeroit-on pas maintenant la même chose de ceux qui ont besoin de se laver dans la Piscine sacrée de l'Eglise pour se purifier de leurs fautes? Et quelle raison auroit-on de les dispenser de cette sainte pratique pendant le Carême,qui est le tems de la penitence generale de tous les Fideles? La cendre dont on couvre leurs têtes ; l'abstinence des viandes qu'on leur prescrit; la parole de Dieu qu'on leur annonce tres-souvent ; les prieres extraordinaires qu'on leur fait reciter ; les longues veilles qu'on leur conseille ; les aumônes abondantes qu'on les oblige de faire ; la fuite des plaisirs & des divertissemens mondains qu'on leur recommande ; la vigilance chrétienne dans laquelle on s'efforce de les mainte 198 nir ; la Fête de la Resurrection triomphante de JESUS-CHRIST, qu'ils doivent bien-tôt celebrer ; le Corps & le Sang33 de ce divin Sauveur dont ils seront nourris & rassasiez à cette grande solemnité : tout cela, dis-je, ne demande-t-il pas qu'ils gardent la continence, afin d'assister, comme disent les saints Peres, avec un cœur pur & un corps chaste à nos saints & redoutables Mysteres.
Avant que de finir ce chapitre, il faut avertir les lecteurs de deux choses importantes. La premiere, que les saints Peres de l'Eglise conseillent encore en quelques autres occasions aux gens mariez de garder la continence.  On ne les marquera pas en particulier dans cet Ouvrage, parceque la délicatesse de notre langue ne permet pas d'entrer dans un si grand détail, lorsque l'on traite de ces sortes de questions.  Mais si l'on garde le silence sur ce sujet, on croit au moins être obligé de conseiller aux Fideles de s'instruire de leurs devoirs par rapport à cette matiere ; soit en lisant les saints Peres de l'Eglise, & les Auteurs qui en ont traité ; soit en consultant leur Directeurs, & de pieux & sçavans Ecclesiastiques, qui leur marqueront ce qu'ils doivent éviter pour vivre saintement dans le Mariage.
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La seconde chose dont il est necessaire d'avertir ceux qui liront ce Traité, c'est que tout ce qu'on a representé dans ce chapitre & dans le précedent, pour porter les Fideles à passer dans la continence les jours de jeûne & de communion, n'a lieu que lorsque les deux parties qui y ont interest, y consentent.  Le respect qui est dû au Sacrement auguste de nos Autels, & l'esprit de penitence, demandent que les gens mariez gardent la continence lorsqu'ils ont dessein de communier, ou qu'ils jeûnent ; mais il faut que le mari & la femme s'y soumettent chacun de leur côté, & qu'ils veuillent bien embrasser cette sainte pratique ; sans cela il n'y a point d'obligation, & tout ce qu'on vient d'expliquer ne doit point être observé.
Quand je parle ainsi, je ne fais que suivre S. Paul & l'esprit de l'Eglise : car ce grand Apôtre ordonnant aux maris & aux femmes de ne pas user du Mariage aux jours de jeûne & de priere, leur marque en même tems que cela se doit faire d'un commun consentement.  Ne vous refusez point l'un à l'autre, leur-dit1. Cor. 7. 5. il, le devoir, si ce n'est d'un commun consentement, afin de vous exercer au jeûne & à l'Oraison.
Saint Gregoire de Nazianze dit conOrat. 40. formément à cette décision de S. Paul, 200 qu'encore qu'il soit tres-à-propos que les gens mariez vivent dans la continence, lorsqu'ils veulent prier & communier, ils ne doivent pas neanmoins l'entreprendre, à moins qu'ils n'en soient d'accord de part & d'autre. C'est pourquoi il leur dit que cette abstinence qu'il leur propose, n'est pas une loy indispensable, mais un conseil qu'il leur donne pour leur utilité commune.
Le Pape Nicolas I. ordonnant aux Bulgares de garder la continence aux jours de priere & pendant le Carême, leur déclare qu'il ne faut pourtant pas que les maris & les femmes s'y engagent témerairement, & sans un consentement mutuel.
Les Historiens de S. Louis qui parlent Du Chesne Tom. S.p. 448. de sa continence pendant le Carême, observent que la Reine son épouse y consentoit, & s'y portoit elle-même par un sentiment de pieté & de penitence.
Ainsi quoique cette pratique soit tressainte, & qu'il faille la conseiller autant qu'on le peut aux Fideles qui vivent dans le Mariage : on doit neanmoins les avertir qu'ils ont besoin du consentement les uns des autres pour l'observer ; que si l'un des deux y résiste, l'autre en est dispensé, & peut legitiment lui rendre le devoir ; & que cela ne doit pas l'empêcher d'approcher des choses saintes, & 201 ne le prive point du mérite de son jeûne, parceque Dieu qui voit sa disposition & les desirs de son cœur, se contente alors de sa bonne volonté, & le regarde comme s'il vivoit effectivement dans la continence. L'on peut, dit S. BonaventuLib 4. Dist. 32. Art. 3.q. 2. re, sans commettre aucun peché, rendre le devoir en ces jours, c'est-à-dire, pendant les jeûnes & les Fêtes, pourvû que celui qui le rend en ait de la peine & de la douleur. Ce saint Docteur blâme à la verité ceux qui en ces rencontres, veulent se servir de leur droit, & refusent de garder la continence ; mais il excuse, & il justifie ceux qui n'usent du Mariage que par obéissance : il soutient qu'ils sont exempts de toute sorte de faute.
Voilà ce que j'ai cru devoir representer aux gens mariez, pour leur faire comprendre que le respect qu'ils doivent à la sainte Eucharistie, & que les regles de la penitence les engagent à vivre dans la pureté, & à garder la continence aux jours de jeûne & de communion. Je n'ai fait que leur exposer les veritez de l'Ecriture, & les sentimens des saints Peres : c'est pourquoi j'espere qu'ils recevront avec docilité tout ce qui[sic] je leur ai dit, & qu'ils auront soin d'en profiter.
202 Bandeau.

CHAPITRE XVIII.

Qu'il est naturel aux gens mariez de desirer d'avoir des enfans ; qu'il faut qu'ils reconnoissent qu'ils sont un don du Ciel. Pour quelle fin ils doivent desirer d'en avoir. Que les maris & les femmes qui souhaitent qu'il n'en naisse point de leur Mariage, sont coupables aux yeux de Dieu. Que ceux qui éteignent le fruit qui est conçu, & qui procurent des avortemens, sont des homocides.
On demeurera facilement d'accord qu'il est naturel à ceux qui s'engagent dans la vie conjugale, de desirer d'avoir de la posterité, si l'on considere avec attention pour quelle fin les Fideles doivent principalement contracter Cap. 3. Mariage.  Or on a prouvé ci - dessus, que ce doit être dans la vûe de mettre des enfans au monde, qui benissent & qui servent le Seigneur ; & par consequent ils peuvent, ou plutôt ils doivent en deAugust. lib. I. de Civit. Dei cap. 21. Lib. sirer.  C'est pourquoi bien loin que les saints Peres blâment les gens mariez qui en souhaitent, ils les en louent au contraire, & même ils les y exhortent, lorsqu'ils leur disent que la naissance des enfans fait la gloire principale du Mariage ; qu'on ne se marie que pour avoir des en- 203 ?. q. Ev. uest.49. Lib 4 contra Julian. cap. I. Trait. 13. in Joan. fans qui entretiennent la succession du genre humain ; que ceux qui ont de la pieté n'entrent dans cet état que pour donner des enfans à l'Eglise ; & que ce fut le seul desir d'avoir de la posterité, qui porta Abraham à épouser la servante de sa femme Sara.
Non seulement les Fideles qui se marient doivent desirer des enfans, mais il faut qu'ils reconnoissent qu'ils sont un don de Dieu. Eve notre mere commune, Homil. 18 in Genes. remarque S. Jean Chrysostome, ayant enfanté un fils aîné, n'attribua point sa naissance aux forces de la nature, ni à sa propre fecondité, mais à Dieu seul.  Je possede, dit-elle, un homme par la grace de Dieu.  Les personnes mariées qui se Genes. 4. voyent des enfans, doivent, pour l'imiter, protester qu'ils les tiennent de la seule bonté de Dieu, & dire avec le Ps. 126. 4. Prophete : Ecce hareditas Domini, filii merces fructus ventris; les enfans sont un heritage qui vient du Seigneur, & le fruit des entrailles est une récompense.
S'ils sont bien persuadez que les enfans sont un don de Dieu, ils doivent lorsqu'ils n'en ont point, lui en demander par des prieres humbles & servantes, à l'exemple d'Anne & de Zacharie : car il est marqué dans les Livres des Rois34, 11. Reg. 11. 20. 14. ? que cette sainte femme étant stérile, avoit le cœur plein d'amertume, qu'elle 204 Je pria le Seigneur avec une grand effusion de larmes, & qu'elle fit un vœu, en disant : Seigneur des armées, si vous daignez regarder l'affliction de vôtre servante ; si vous vous souvenez de moi ; si vous n'oubliez point votre servante, & si vous donnez à vôtre esclave un enfant mâle, je vous le donnerai pour tous les jours de sa vie. Luc. 1. L'Evangile porte aussi que Zacharie n'ayant point d'enfans, faisoit des prieres continuelles pour en obtenir du Ciel. Et l'Ecriture nous aprend qu'ils furent l'un & l'autre exaucez ; qu'Anne devint mere de Samuel, & Zacharie pere de S. Jean Baptiste ; & que l'Ange dit à celui- ci, en lui annonçant qu'il auroit un fils, Vôtre priere a été exaucée ; parce qu'en effet la naissance de ce saint Précurseur étoit la récompense de sa pieté,& le fruit de ses prieres. C'est ce qui doit persuader à tous les Fideles que pour avoir des enfans, il faut s'adresser à celui qui est l'Auteur de la nature, & qui peut la rendre feconde, quand il le juge à propos pour sa gloire & pour l'execution de ses divines volontez.
Après qu'on en a obtenu de sa bonté ineffable, on doit avoir soin de lui en rendre graces, & de lui en faire hommage.  Car lui demander des enfans avec empressement, & negliger ensuite de l'en remercier, c'est une tres-grande 205 ingratitude, & une marque infaillible qu'on se recherchoit soi-même, & qu'on ne pensoit qu'à contenter son amour propre.
Il ne suffit pas d'avoir montré qu'il est naturel aux gens mariez de desirer d'avoir des enfans, & qu'ils doivent reconnoître qu'ils sont un present du Ciel. Il faut outre cela leur expliquer quelle est la fin pour laquelle ils peuvent legitimement en desirer.
Ce n'est point certainement par ambition, pour faire parler d'eux, pour perpetuer la memoire de leur nom, & pour Tert. lib. de exhort. castit. c. 12. Hier. l. 1. adv. Jovinian. avoir des heritiers de leurs biens, qu'ils doivent en souhaiter, & en demander à Dieu : car toutes ces fins n'étant que temporelles, ne méritent pas que des Chrétiens se les proposent, ni qu'ils s'y arrêtent. Et aussi Tertullien & S. Jerôme blâment ceux qui ne se déterminent à se marier que par des motifs de cette nature.
Mais ils doivent en desirer, afin que Dieu en soit beni & honoré, & qu'il Tob. 8. s'en serve dans la suite pour procurer le bien de son Eglise, & même de la patrie.  Tobie étoit dans cette disposition, lorsqu'il disoit à Dieu : Vous sçavez, Seigneur, que je prens ma sœur pour être ma femme, non pour satisfaire ma passion, mais parceque je desire de laisser des enfans par lesquels vôtre nom soit beni dans 206 tous les siecles.  L'on a vû ci-dessus, que la sainte femme Anne n'avoit point d'autre pensée ni d'autre intention, lorsqu'elle demandoit un fils à Dieu, puisqu'elle fit en même tems vœu de le lui consacrer pour toujours. En effet, elle le presenta au Prêtre Heli, afin qu'il servît sous lui dans le Tabernacle ; cela attira 1. Reg. 2. 21. sur elle de nouvelles benedictions, car le Ciel lui donna encore trois fils & deux filles.
C'est pour faire entrer les Fideles dans Lib.1. de nupt. & concup. c. 17. de pareils sentimens, que S. Augustin leur dit, qu'ils ne doivent desirer de donner naissance à des enfans, qu'afin de les faire renaître dans les eaux saluLib. de sancta virg. c.7. taires du Baptême, que les femmes vertueuses ne prennent des maris, & n'usent du Mariage que pour avoir des enfans ; & qu'elles n'en souhaitent que pour les offrir à Dieu, & pour les consacrer à J. C.
Voilà la veritable fin pour laquelle on peut desirer d'avoir des enfans. Toutes les autres ne conviennent pas à des Chrétiens qui ayant renoncé au monde, & s'y regardant comme des étrangers, doivent n'avoir plus de complaisance pour lui, & ne point rechercher par consequent à y perpetuer leur nom, & à y laisser des heritiers de leurs richesses & de leurs dignitez.
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Après avoir expliqué la fin que doivent se proposer les gens mariez qui desirent des enfans, il faut maintenant parler de ceux qui craignent d'en avoir, & qui voudroient pouvoir user du Mariage, sans devenir peres & meres. Il est certain qu'ils pechent griévement, & qu'ils sont tres-criminels devant Dieu : Lib. 4. Conf.c.16 Lib.2. de mor. Manic. c. 18. Lib. 2. de adult. conjug. c. 12. Gen. 38. Lib. 15. contra Faust. Man. c. 7. Lib. 1. de nupt. & concup. c. 15. il est facile de le prouver.
Saint Augustin dit que ce n'est que dans le concubinage & dans les conjonctions illicites que l'on craint d'avoir des enfans. Il enseigne que les maris qui approchant de leurs femmes, voudroient n'en avoir point de posterité, les traitent, pour ainsi dire, comme des prostituées. Il déclare que ceuxlà usent du Mariage d'une maniere illicite & honteuse, qui évitent la conception des enfans. Il les accuse d'imiter le peché d'Ona fils de Juda, que Dieu frappa de mort. Il prétend qu'ils deviennent en quelque maniere des adulteres; & qu'à juger des choses selon les regles & les intentions de la nature, ils ne doivent plus être considerez comme des maris & des femmes.
Saint Jerôme dit la même chose dans son Epître 22.La plûpart des autres Peres soutiennent aussi que ceux-là pechent, qui vivant dans le commerce conjugal, desirent qu'il n'en naisse point d'en- 208 fans. Mais il n'est pas necessaire de rapporter en particulier leurs autoritez: car il est évident que ces sortes de personnes sont tres-coupables aux yeux de Dieu, puisqu'elles s'opposent à la fin pour laquelle il a institué le Mariage, & qu'elles resistent aux desirs & aux inclinations de la nature, qui veut se servir des gens mariez pour faire subsister le genre humain.
A l'égard de ceux qui procurent des avortemens, qui attentent contre la vie des enfans qui sont encore dans le sein de leurs meres, & qui non seulement les empêchent de voir le jour, mais les priLib. 2. pedag. c. 20. vent des biens éternels, S. Clement Alexandrin dit qu'ils se dépoüillent de tous les sentimens de l'humanité; S. Augustin Lib. 1. de. nupt. & concup. c. 15. les accuse d'homocide ; les autres SS.Peres enseignent qu'ils commettent un crime détestable, & qu'ils sont en horreur à tous les hommes. C'est pourquoi leur condamnation est certaine, & on ne s'arrêtera pas davantage à les combattre.
Cul de lampe. 209 Bandeau.

CHAPITRE XIX.

Du soin que les peres & les meres doivent avoir de faire baptiser leurs enfans nouveaux nez ; qu'ils sont obligez de choisir d'honnêtes gens pour être leurs parrains & marraines ; qu'il faut qu'ils leur donnent des noms par des sentimens de pieté & de religion, & non point par caprice, ni pour des raisons humaines.
La Foy nous apprend que nous sommes tous morts en Adam ; que nous participons à son peché ; & que nous sommes tombez avec lui dans la disgrace & dans l'indignation de Dieu. C'est ce que S. Paul veut nous marquer, Ephes. 23 3.  1. Cor. 15. 22. Gal. 3. 27.  2. Cor. 5. 17. 1. Cor. 6. 11. lorsqu'il dit, que nous sommes tous par nôtre nature enfans de colere. Mais la même foy nous enseigne que comme nous sommes tous morts en Adam, nous renaissons aussi tous en JESUS-CHRIST; qu'étant baptisez en JESUS-CHRIST, nous sommes revêtus de JESUS-CHRIST; que nous devenons en lui une nouvelle creature, & que nous sommes lavez & sanctifiez dans les eaux du Baptême.
C'est ce qui doit porter les peres & les meres à presenter le plutôt qu'ils peuvent leurs enfans à cette Piscine sa- 210 crée, afin qu'ils y soient gueris & regenerez.  Et en effet, s'ils ont une pieté solide, ils doivent gémir & ressentir une vive douleur de ce que leurs enfans sont dans la captivité du démon, & de ce que ce malin esprit habite dans leurs corps, comme dans son propre heritage ; ils sont obligez de faire tout ce qu'ils peuvent pour l'en chasser au plutôt, & pour lui enlever ces miserables creatures qu'il tyranise ; & par consequent ils ne doivent point differer leur Baptême, puisque c'est le seul moyen de les affranchir de cette horrible servitude.
Cependant combien y a-t-il de personnes qui negligent de leur faire appliquer ce remede salutaire, qui different leur Baptême pendant un tems considerable, sous prétexte d'attendre des gens de qualité qu'ils veulent leur donner pour parrains & pour marraines, & qui sont quelquefois cause par ce retardement, qu'ils perissent dans la disgrace de Dieu, & qu'ils sont privez de sa vision beatifique.
Ces peres & ces meres sont-ils malades ? ils ont aussi-tôt recours au Medecin ; ils le consultent sur tous leurs maux ; ils ne manquent pas de prendre tous les remedes qu'il leur prescrit, parcequ'ils sont dans l'impatience de guerir, & de recouvrer leur santé.  Le feu 211 prend-il à leurs maisons ? ils travaillent aussi-tôt à l'éteindre, & ils mettent tout en œuvre pour y réussir.  Voyent-ils venir les ennemis ? ils prennent aussi-tôt la fuite, & ils cherchent un lieu de retraite, pour se mettre à couvert de leur fureur. Ont-ils occasion de faire fortune, & de monter aux charges & aux dignitez ? ils s'en réjouissent, ils s'y apliquent, & ils n'y perdent pas un seul moment.
Pourquoi n'ont-ils pas la même activité & le même zele, lorsqu'il s'agit de secourir leurs enfans, dont l'ame est malade, ou plutôt morte aux yeux de Dieu ? Pourquoi negligent-ils d'éteindre le feu du peché qui est allumé dans leur cœur, & qui les dévore ? Pourquoi ne pensent-ils pas à repousser & à chasser l'ennemi infernal qui les domine, & qui les tient captifs ? Pourquoi different - ils de les presenter au Baptême, où ils seront lavez & purifiez de toutes leurs iniquitez, reçus au nombre des enfans de Dieu, ornez des vertus chrétiennes ? Il est certain que cette differente conduite qu'ils tiennent, lorsqu'il s'agit de leurs interêts, ou de la generation de leurs enfans, fait connoître qu'ils n'ont35 presque point de sentiment pour les choses de Dieu, qu'ils sont tout charnels, & qu'ils n'agissent que par amour propre.  Car enfin, s'ils 212 suivoient les lumieres de la foy, & s'ils avoient de la pieté & de la religion, ne penseroient - ils pas autant au salut de ceux à qui ils ont donné la naissance corporelle, qu'à leur propre santé, & à l'avancement de leurs affaires temporelles.  La justice demanderoit sans doute qu'ils en fussent beaucoup plus occupez: mais enfin pour s'accommoder à leur foiblesse, on se contente de les avertir de n'avoir pas moins de soin de la sanctification de leurs enfans, qu'ils n'en ont de ce qui les concerne en leur particulier.
Les loix de l'Eglise & la coutume, veulent que l'on donne des Parrains & des Marraines aux enfans qui sont baptisez.  Cela s'observe par tout fort regulierement, les Pasteurs y tenant la main, & les peuples y étant d'ailleurs assez portez d'eux - mêmes. C'est pourquoi il n'est pas besoin de prouver qu'on doit maintenir cette sainte pratique : il faut seulement marquer aux peres & aux meres, quelles personnes ils sont obligez de choisir pour cette sainte fonction. L'esprit du monde les porte ordinairement à jetter les yeux sur ceux qui sont riches, qui ont du credit, & qui possedent de grands emplois ; ou bien ils prennent de leurs parens & de leurs amis, sans se mettre en peine d'examiner 213 quelles sont leurs mœurs, ni s'ils ont de la pieté & de la religion. C'est un abus qui est tres-commun, & auquel neanmoins peu de gens font reflexion. Ainsi je croi qu'il est important d'en avertir les Fideles afin qu'ils ne s'y laissent point aller, & qu'ils ne suivent point en cela le torrent du siecle.
Tertullien dit que les enfans n'étant Lib. de. Bapt. c. 18. pas encore capables de renoncer à Satan, ni de faire des vœux & des promesses, on leur donne des parrains & des marraines qui y renoncent pour eux, & qui promettent à Dieu & à l'Eglise en leur nom, qu'ils vivront conformément aux regles & aux maximes de l'Évangile.
Saint Augustin appelle les parrains & Ser. 115 Epist. 90. le marraines, tantôt les tuteurs des enfans qu'ils presentent à l'Eglise, & tantôt leurs maîtres & leurs docteurs.
Saint Cesaire Archevêque d'Arles, Serm. 66. & 68. enseigne qu'ils répondent pour eux aux demandes que l'Eglise leur fait, & qu'ils sont leur caution auprès de cette sainte Epouse de JESUS-CHRIST.
D'autres saints Docteurs les regardent comme leurs seconds peres, & disent qu'ils sont chargez de leur instruction & de leur éducation.
C'en est assez pour faire comprendre aux Fideles qu'ils ne doivent point donner pour parrains & pour marraines à 214 leurs enfans, des personnes dont la vie ne soit pas bien reglée, qui ne se conduisent pas selon l'esprit de l'Evangile, qui soient idolâtres du monde, & qui s'abandonnent à des déreglemens considerables.
En effet, quelle apparence de choisir à des enfans pour tuteurs dans la vie spirituelle, des personnes qui sont ellesmêmes foibles, qui ne sçavent pas se conduire, qui croupissent dans le vice, & qui s'abandonnent à la débauche ? Quelle apparence de donner à l'Eglise pour caution de la foy des enfans, des personnes qui y renoncent elles-mêmes par leurs œuvres, & par toute leur conduite exterieure, comme dit le grand Epit.1.16. Apôtre ? Quelle apparence de presenter à nôtre Mere la sainte Eglise, pour faire des vœux & des promesses au nom de ces petits enfans, des personnes qui ont elles - mêmes cent fois violé les vœux & les promesses de leur Baptême, & qui ne se mettent pas encore en peine de les executer ? Quelle apparence lorsqu'il s'agit de renoncer pour des enfans aux pompes du monde, de se servir de personnes qui les aiment, qui les suivent, & qui en sont idolâtres ? Quelle apparence de préposer, pour instruire les enfans des principes de la foy & des veritez de l'Évangile, des personnes qui 215 les ignorent, & qui n'en ont pas le cœur penetré? Quelle apparence enfin que des parens Chrétiens choisissent des personnes mondaines & vicieuses pour tenir leur place auprés de leurs enfans, lorsqu'ils viendront à mourir, & qu'ils veuillent bien se reposer sur eux de leur éducation ? Il est certain que cela repugne à la droite raison ; & l'on peut dire que tous ceux qui feront une attention serieuse aux motifs qui ont déterminé l'Eglise à ordonner qu'on donne aux enfans des Parrains & des Marraines, éviteront avec soin de leur en choisir qui soient sujets à des vices grossiers, & dont l'exemple puisse leur être contagieux.
Si l'on me demande quelles personnes il faut donc prendre pour cette fonction, je répondrai qu'on ne doit point se conduire en ces rencontres par des vûes humaines, ni consulter la chair & le sang ; mais qu'il faut jetter les yeux sur ceux qui peuvent secourir les enfans dans la vie chrétienne, les instruire de leurs devoirs & de leurs obligations, les édifier par leur bonne vie & les faire rentrer en eux - mêmes, s'ils viennent jamais à se détourner des voyes du salut. C'est saint Charles qui me donne cette idée : car il dit dans le premier Concile de Milan, que les Fideles doivent don- 216 ner à leurs enfans des Parrains qui soient plus en état de procurer leur bien spirituel, que de les secourir dans leur pauvreté temporelle : il ordonne aux Curez d'en instruire leurs Paroissiens, & de les avertir de choisir pour ce saint Ministere, des personnes dont la foy & les mœurs sont si éprouvées, qu'on puisse se promettre qu'ils en rempliront toutes les obligations.
Non seulement les parens sont obligez d'avoir égard à la vertu & aux bonnes mœurs, lorsqu'ils donnent des Parrains & des Marraines à leurs enfans ; mais il faut que ceux-ci ne leur imposent des noms que par des sentimens de pieté & de religion ; qu'ils ayent dessein, en leur choisissant un Saint pour patron, de les engager à imiter ses vertus, & à le suivre dans les voyes du salut ; & qu'ils s'efforcent d'obtenir de ce Saint, par leurs prieres, qu'il se rende leur protecteur, & qu'il demande à Dieu pour eux les graces qui leur sont necessaires pour se sanctifier.  Ce sont là les veritables motifs qui doivent déterminer les Fideles à donner des noms aux enfans qu'ils tiennent sur les fonts du Baptême. Tous les autres qu'ils peuvent se proposer, n'étant ordinairement fondez que sur des raisons de famille, & sur des interêts temporels, ne sont pas legitimes, 217 & ne doivent point être considerez dans le Christianisme.
Cette reflexion est fondée sur la doctrine du grand saint Chrysostome, qui remarque que les Justes de l'ancien Testament36 donnoient des noms à leurs enfans, non par caprice, ni par ostentation, mais pour manifester les graces qu'ils avoient reçûes du Ciel, & pour porter les autres à admirer les merveilles que Dieu avoit operées en leur faveur. Ils leur imposoient, dit ce Pere, des Homil. 21. in Genes. noms qui les avertissoient de suivre la vertu; ils ne se conduisoient pas comme l'on fait presentement dans le monde : car pour l'ordinaire l'on donne des noms aux enfans par un pur hazard, & sans en avoir aucune raison legitime, l'on se contente de dire, l'ayeul & le bisayeul se nommoient ainsi, il faut donner le même nom à cet enfant. Mais les anciens n'en usoient pas de la sorte: ils avoient soin d'imposer à leurs enfans des noms qui les portoient à marcher dans les sentiers de la vertu, & qui étoient propres à instruire & à édifier ceux qui devoient vivre dans les siecles futurs.
Ce saint Docteur en donne des exemples tirez de l'Ecriture : car il observe qu'Eve nomma son fils aîné Caïn, pour faire connoître qu'elle le tenoit de la 218 seule grace de Dieu ; que Seth donna le nom d'Enos à son premier né, parcequ'il devoit être un homme extraordinaire ; & que ce fut aussi par mystere, que Lamech nomma Noé son fils aîné.
L'on pourroit ajouter à ces exemples, Gen. 29. & 30. que Lia & Rachel, femmes du Patriarche Jacob, eurent soin de choisir des noms à leurs enfans, par lesquels elles protestoient qu'elles les tenoient de Dieu seul.
L'on sçait encore que le Prophete Osée 1. 4. 6. 4. Osée nomma par l'ordre du Ciel son fils aîné, Jezrahel, pour marquer que dans peu de tems Dieu devoit venger le sang de Jezrahel sur la maison de Jehu ; qu'il appella une de ses filles,  sans misericorde, pour annoncer aux hommes qu'à l'avenir Dieu ne seroit plus touché de misericorde pour la Maison d'Israël ; & qu'il donna à une autre de ses filles ce nom mysterieux, non mon peuple, pour apprendre aux enfans d'Israël, que Dieu les rejetteroit bien-tôt, & qu'ils ne seroient plus son peuple.
Saint Chrysostome conclut ensuite qu'il ne faut pas donner témerairement des noms aux enfans, & seulement parceque leurs ancêtres les ont portez, mais pour les mettre sous la protection de quelques Saints ; pour les engager à suivre leurs vertus, & pour attirer sur eux 219 les graces du Ciel par l'intercession de leurs saints Patrons.
Le Catechisme du Concile de Trente propose les mêmes maximes à ceux qui presentent au Baptême un enfant nouveau né. On lui impose, dit-il, un nom De Sacram. bapt. 6. qui doit être celui de quelqu'un qui ait merité par l'excellence de sa pieté & de sa fidelité pour Dieu, d'être mis au nombre des Saints, afin que par la ressemblance du nom qu'il a avec lui, il puisse être excité davantage à imiter sa vertu & sa sainteté ; qu'en s'efforçant de l'imiter il le prie, & qu'il espere qu'il lui servira de Protecteur & d'Avocat auprès de Dieu pour le salut de son ame & de son corps. Ainsi ceux qui affectent de donner ou de faire donner des noms de Payens ; & particulierement de ceux qui ont été les plus impies, à ceux que l'on baptise, sont fort blâmables.  Car ils font connoître par là le peu d'estime qu'ils font de la pieté chrétienne, puisqu'ils prennent plaisir à renouveller la memoire de ces hommes impies, & qu'ils veulent que les oreilles des Fideles soient continuellement frappées de ces noms prophanes.
Cette remarque ne paroîtra peut être pas fort importante aux gens du monde, qui se laissent ordinairement conduire par la coutume, & qui croyent n'être 220 obligez de faire attention qu'aux choses qui sont absolument mauvaises, & ausquelles on ne pourroit se porter sans se rendre tres-criminel. Mais j'espere que les personnes de pieté n'en jugeront pas ainsi ; car ils sçavent qu'il n'y a rien de petit dans la Religion chrétienne ; que toutes ses ceremonies sont augustes, & renferment tres-souvent des mysteres ; & que l'imposition d'un nom n'est pas peu importante aux enfans, puisqu'il s'agit de ler choisir un Protecteur auprès Dieu, de leur donner un Avocat qui intercede pour eux, & de leur mettre devant les yeux un modele de perfection qu'ils puissent imiter, afin de marquer avec plus de sûreté dans les voyes du salut.
Bandeau.

CHAPITRE XX.

Qu'il n'y a rien qui soit plus recommandé aux peres & aux meres dans l'Ecriture, par les saints Peres, & par les Conciles, que de donner une bonne éducation à leurs enfans.
Comme il n'y a rien de plus important dans la Religion chrétienne que l'éducation des enfans, il faut en parler avec quelque étendue, non seule- 221 ment dans ce chapitre, mais dans les suivans, afin de convaincre ceux qui s'engagent dans le Mariage, qu'ils sont obligez d'y donner tous leurs soins, & de leur marquer en même tems comment ils doivent se conduire pour s'en bien acquitter.
Tobie ayant obtenu un fils du Ciel, crut que la premiere de ses obligations étoit de le former de bonne heure à la vertu, & de lui apprendre dés ses plus tendres années, à craindre & à servir Tob. 1. 9. 10. celui dont il tenoit l'être.  Lorsqu'il fut devenu homme, dit l'Ecriture, il épousa une femme de sa Tribu nommée Anne; il en eut un fils auquel il donna son nom. Et il lui apprit dés son enfance à craindre Dieu, & à s'abstenir de tout peché.
Ce saint homme n'avoit garde de negliger l'éducation de son fils, puisqu'il avoit lui-même toujours vêcu dans la pieté, & que sa premiere jeunesse avoit été consacrée au culte de Dieu. Le Texte sacré témoigne que s'étant ainsi accoutumé de bonne heure à porter le joug du Seigneur, il fut inébranlable au milieu des plus grandes tribulations; & qu'ayant perdu la vûe, il n'en conçut aucune tristesse. Ayant toujours craint Dieu dés son enfance, dit l'Ecriture, & cap. 2. 13. ayant gardé tous ses Commandemens, il ne s'attrista point de ce que Dieu l'avoit 222 frappé par cette playe de l'aveuglement : mais il demeura ferme & immobile dans la crainte du Seigneur, rendant graces à Dieu tous les jours de sa vie.
L'on peut juger que Job avoit aussi été élevé dans la pieté & dans la crainte du Seigneur dés sa premiere enfance, puisqu'il dit en parlant de lui - même : La compassion est crûe avec moi dés mon Job. 31. 28. enfance, & elle est sortie avec moi du sein de ma mere.
Salomon rapporte que David son pere lui avoit donné une tres-bonne éducaProv. 4. 3. 4. & sequent. tion, & qu'il l'avoit instruit de la veritable sagesse & de la Loy de Dieu.  Je suis fils, dit-il, d'un pere qui m'a élevé, & d'une mere qui m'a aimé tendrement, comme si j'eusse été son fils unique. Mon pere m'enseignoit & me disoit, que vôtre cœur reçoive mes paroles; gardez mes préceptes, & vous vivrez ; travaillez à acquerir la sagesse; n'oubliez point les paroles de ma bouche, & ne vous en détournez point; n'abandonnez point la sagesse, & elle vous gardera ; aimez - la, & elle vous conservera. Travaillez à acquerir la sagesse ; travaillez à acquerir la prudence aux dépens de tout ce que vous pouvez posseder. Faites effort pour atteindre jusqu'à elle, & elle vous élevera.  Elle deviendra vôtre gloire lorsque vous l'aurez embrassée, elle mettra sur vôtre tête un accroissement 223 de grace, & elle vous couvrira d'une éclatante couronne.
Le Prophete Ezechiel donne aussi à entendre que ses parens l'avoient instruit de la Loy du Seigneur dés que sa raison Ezech. 4. 14. avoit commencé à se déveloper : car il proteste à Dieu qu'il n'a jamais mangé d'aucue chose impure ;  & que depuis son enfance rien de souillé n'est entré dans sa bouche.
Et saint Paul dit que son Disciple Ti 2. Tim. 3. 15. mothée nourri dés son enfance dans les lettres saintes.
Outre tous ces exemples qui sont tresconsiderables, l'on trouve dans l'Ecriture des préceptes positifs sur l'éducation & sur l'instruction des enfans. Moïse ce grand conducteur du peuple de Dieu, ne se contenta pas d'instruire les Israëlites, & de leur expliquer la Loy de Dieu, mais il leur enjoignit d'en instruire euxmêmes leurs enfans, & toute leur posterité.   N'oubliez point, leur dit-il, les Deut. 4. 9. grandes choses que vos yeux ont vûes, qu'elles ne s'effacent point de vôtre cœur & de votre esprit tous les jours de vôtre vie. Enseignez-les à vos enfans & à vos petits enfans. Gravez mes paroles dans vos cœurs Cap. 11. 18. 19. & dans vos esprits, & tenez-les suspendues comme un signe dans vos mains & sur vôtre front entre vos yeux ; apprenez à vos enfans à les mediter lorsque vous êtes 224 assis en vôtre maison, ou que vous marchez dans le chemin, lorsque vous vous couchez, ou que vous vous levez. Il ajoute que Dieu lui parlant, lui adressa ces paroles :  Faites venir tout le peuple devant moi, afin qu'il entende mes paroles, & qu'il apprenne à me craindre tout le tems qu'il vivra sur la terre, & qu'il apprenne à ses enfans ce que vous lui aurez appris.
L'Ecclesiastique ordonne aussi aux peEccli. 7. 25. res de s'appliquer de tout leur pouvoir à l'instruction & à l'éducation de leurs enfans.   Avez-vous, leur dit-il, des fils, instruisez-les bien, & accoutumez-les au joug dés leur enfance : le cheval qui n'a point été dompté deviendra intraitable, & Ibid. 11. 30. 8. l'enfant abandonné à sa volonté devient insolent.
Ne rendez point vôtre fils maître de luiVers. 11. même dans sa jeunesse, & ne negligez point ce qu'il fait & ce qu'il pense.
Courbez-lui le cou pendant qu'il est jeune, Vers. 12. & châtiez-le de verges pendant qu'il est enfant, de peur qu'il ne s'endurcisse, qu'il ne veille37 plus vous obéir, & que votre ame ne soit percée de douleur.
Instruisez votre fils, travaillez à le forVers. 13. mer, de peur qu'il ne vous deshonore par sa vie honteuse.
Non seulement les peres & les meres sont obligez par la Loy de Dieu de bien élever leurs enfans, mais leurs propres 225 interêts les y engagent : car l'Ecclesiastique enseigne que ceux qui s'y appliqueront sérieusement, en tireront de grands avantages  Celui, dit-il, qui instruit son fils, y trouvera sa joye, & se glorifiera en lui parmi ses proches: celui qui enseigne son fils, rendra son ennemi jaloux de son bonheur, & il se glorifiera en lui parmi ses amis.   Corrigez & instruisez votre fils, dit Vers. 2. & 3. Prov.29. 17. aussi Salomon, & il vous consolera, & deviendra les delices de votre ame.
Nous apprenons au contraire des Livres des Rois, que les peres qui negligent l'éducation de leurs enfans, sont tres - criminels, & qu'ils meritent une tres-grande punition: car ils portent que le Prêtre Heli n'ayant pas bien instruit ses fils, ou ne s'étant pas au moins opposé assez fortement à leurs déreglemens, Reg. 4. Dieu en fut tellement irrité, qu'il permit que les Israëlites fussent taillez en pieces, & que l'Arche d'Alliance tombât entre les mains des Philistins, & qu'il le punit lui - même d'une maniere terrible, & par une mort violente, quoiqu'il fût fort âgé : car à la nouvelle de la prise de l'Arche, il tomba à la renverse; & s'étant cassé la tête, il mourut sur le champ.
Il est certain que saint Paul a crû que 1. Tim. 2. 15. l'éducation des enfans est un des devoirs les plus essentiels des peres & des meres: 226 car dit que les femmes se sauveront par les enfans qu'elles mettront au monde, pourvû qu'elles procurent, en leur donnant une bonne éducation, qu'ils demeurent dans la foy, dans la charité, dans la sainteté, & dans une vie bien reglée.
Il veut qu'on examine si celles qui se Ibid. c.5. 10. presentent pour être reçûes au nombre des veuves que l'Eglise nourrit, & qu'elle employe à de saints Ministeres, ont eu soin de bien élever leurs enfans.
Il défend d'ordonner Evêque celui qui ne gouverne pas bien sa famille, & qui ne donne pas une bonne éducation à ses enfans.  Il faut, dit-il, que l'Evêque gouIbid. c. 3. v. 4. 5. verne bien sa propre famille, & qu'il maintienne ses enfans dans l'obéissance & dans toute sorte d'honnêteté : car si quelqu'un ne sçait pas gouverner sa propre famille, comment pourra-t-il conduire l'Eglise de Dieu ?
Il avertit avant toutes choses le38 peres Eph. 6.4. & les meres de bien élever leurs enfans, en les corrigeant & les instruisant selon le Seigneur.
Il soutient que celui qui n'a pas soin 2 Tim. 5. 8. des siens, & particulierement de ceux de sa maison, renonce à la foy, & qu'il est pire qu'un Infidele.
Prov.22. 6.
Enfin Salomon ayant dit que le jeune homme qui s'accoutume à suivre ses voyes, 227 ne les quittera point même dans sa vieillesse : Il faut conclure qu'il n'y a rien de plus important que de veiller sur les enfans dés leur plus tendre jeunesse, & de leur donner une bonne éducation : car si l'on souffre qu'ils contractent de mauvaises habitudes, il les conservent toute leur vie ; ils demeurent tels qu'ils ont d'abord été ; & on ne doit pas s'attendre qu'ils surmontent dans la suite leurs premieres inclinations, qui ayant crû avec eux, leur sont devenues comme naturelles.
L'on trouve aussi dans les saints Peres de l'Eglise, une infinité d'autoritez qui confirment la verité que nous avons entrepris d'établir.
Le grand saint Basile justifiant sa foy Epist. 77. & ses sentimens contre ceux qui le calomnioient, & qui le décrioient dans le public, dit qu'il a été instruit dans la veritable foy par sa nourrice Macrine, cette femme si illustre, qui lui apprenoit les veritez que le bienheureux Gregoire avoit autrefois enseignées, & qui se conservoient encore par tradition dans plusieurs Eglises. Cela prouve que dans les premiers siecles on avoit un tres-grand soin de bien élever les enfans ; & que dés qu'ils pouvoient parler, leurs meres ou leurs nourrices les instruisoient des dogmes de la Foy, & des maximes de 228 la Morale Chrétienne.
On ne sçauroit douter que S. Jerôme n'ait été tres-persuadé que l'obligation la plus indispensable des peres & meres ne soit de donner une bonne éducation à leurs enfans, puisque voulant instruire Læta39, & la former dans la pieté chrétienne, il composa un Traité exprès, pour lui apprendre comment elle devoit élever la jeune Paule sa fille. Il faut donc voir les avis qu'il lui donne sur ce sujet.
Il lui dit qu'elle doit avoir soin que Ep. 7. les Maîtres qu'elle choisira pour l'instruire, soient de bonnes mœurs, & exempts de defauts, parceque les enfans sont beaucoup plus susceptibles du vice que de la vertu ; qu'ils imitent tresfacilement le mal qu'ils voyent faire, & qu'ils retiennent tres-souvent toute leur vie les mauvaises impressions qu'on leur a données dans leur premiere jeunesse. Il lui allegue à ce propos l'exemple d'Alexandre le Grand, qui étant si puissant, & ayant dompté le monde entier, ne put jamais, au rapport de Plutarque, surmonter les vices qu'il avoit remarquez étant fort jeune dans Leonidas son Precepteur, ni se défaire d'une posture mal séante à laquelle il s'étoit accoutumé, en le voyant marcher.
Il lui conseille même de l'observer de 229 si près, & d'être si attentive à sa conduite, qu'elle soit assurée qu'elle ne voye & qu'elle n'entende jamais rien que d'édifiant. Faites en sorte, lui ditil, qu'elle n'entende et qu'elle ne tienne elle-même que des discours qui lui inspirent la crainte de Dieu ; qu'on ne prononce jamais en sa presence aucunes paroles deshonnêtes ; & qu'on ne lui apprenne point des airs & des chansons du monde. Il faut au contraire, que vous la portiez à reciter des Psaumes & des Cantiques spirituels, & que vous l'éloigniez de la compagnie des autres enfans qui sont ordinairement fort mal élevez.  Vous devez même empêcher les filles & les servantes qui sont autour d'elle, de frequenter des personnes du monde, de peur qu'elles ne lui apprennent le mal qu'elles auront ellesmêmes appris en se répandant dans le siecle.
Et parcequ'elle ne pouvoit pas être toujours avec sa fille, il l'avertit de lui donner une Gouvernante sage & discrette, qui ait toujours l'œil sur elle, qui ne la quitte point, & qui la forme de bonne heure à tous les exercices de la pieté chrétienne. Mettez auprès d'elle, lui dit il, une Vierge déja âgée, dont la foy, la pureté & les mœurs soient éprouvées, qui l'accoutume, & qui lui 230 apprenne par son exemple à se relever Il entend par là les heures de Tierce, de Sexte, & de None, & les Vêpres. la nuit pour prier & pour reciter des Pseaumes, à chanter des Hymnes dés le grand matin, à se presenter dans le champ de bataille comme une genereuse athlete de JESUS-CHRIST, à la troisiéme, à la sixiéme & à la neuviéme heure, & à offrir au Seigneur le sacrifice du soir lorsqu'on allume les lampes40.
Il lui marque qu'il faut qu'elle soit toujours occupée ; qu'elle file de la laine & de l'étaim41 ; qu'elle fasse succeder la lecture à la priere, & la priere à la lecture ; qu'elle s'exerce à la temperance & à la sobrieté ; & qu'elle lise assiduement l'Ecriture sainte, afin qu'elle y apprenne à regler ses mœurs, à mépriser le monde, à pratiquer la patience, & à surmonter ses passions.
Il dit ensuite que c'est à elle à répondre de toutes les démarches de sa fille ; & que si elle est obligée de prendre toutes sortes de précautions pour empêcher qu'elle ne soit piquée par des vipeperes, elle doit avoir encore plus de soin de la garantir des morsures du serpent infernal, & de la détourner de boire dans le calice de Babylone, c'est-àdire, de prendre part aux plaisirs & aux vanitez du siecle.
Il lui déclare enfin que si elle veut être utile à sa fille, & lui donner une 231 bonne éducation, elle doit l'édifier par l'innocence de sa vie, & par la sainteté de sa conduite. Que vôtre fille, lui ditil, ne voye rien dans vous & dans son pere, qu'elle ne puisse imiter sans pecher: soyez persuadez, vous qui êtes ses parens, que vous êtes obligez de l'instruire plutôt par vos exemples que par vos paroles.
Ce saint Docteur enseigne en un autre In cap. 3. Epist. ad Tit. lieu, que les peres & les meres aiment veritablement leurs enfans, lorsqu'ils les instruisent de leurs devoirs, & qu'ils les élevent dans la crainte du Seigneur: mais que s'ils souffrent qu'ils pechent, & qu'ils ne les reprennent pas de leurs défauts, ils n'ont que de la haine pour eux, & qu'ils sont leurs veritables ennemis. En effet il est écrit, Que celui qui épargne Prov. 13. 24. la verge, hait son fils ; mais que celui qui l'aime, s'applique à le corriger.
Saint Ambroise observe que Dieu avoit In cap. 12. Levit. assez fait connoître sous la Loy écrite, qu'il vouloit que les peres & les meres lui offrissent leurs fils dés qu'ils étoient nez, qu'ils les élevassent dans la pieté, & qu'ils eussent soin de leur inspirer de bonne heure des sentimens de Religion, puisqu'il leur avoit ordonné de les faire circoncire le huitiéme jour après leur naissance : car, dit-il, il ne les obligeoit à faire si - tôt cette ceremonie, 232 qu'afin que leurs enfans lui fussent consacrez dés le commencement de leur naissance; que la Religion crût avec eux; & qu'ils fussent accoutumez de bonne heure à la douleur & aux souffrances.
Il faudroit transcrire une grande partie des Confessions de saint Augustin, si l'on vouloit rapporter tout ce qu'il dit contre les parens qui negligent de s'appliquer à l'éducation de leurs enfans, ou qui leur en donnent une mauvaise. Parcequ'il avoit lui-même éprouvé ce malheur dans sa premiere jeunesse, il en gemit, & s'en plaint amoureusement à Dieu par ces paroles si tendres & si édiLib. 1. Conf. c. 9. fiantes. N'ai-je pas sujet, mon Dieu, de déplorer les miseres & les tromperies que j'ai éprouvées en cet âge, puisqu'on ne me proposoit point d'autre regle de bien vivre, que de suivre la conduite & les avertissemens de ceux qui ne travailloient qu'à m'inspirer le desir & l'ambition de paroître un jour avec éclat dans le monde, & d'exceller dans l'art de l'éloquence, qui fait acquerir de l'honneur parmi les hommes, & des richesses fausses & trompeuses.
On m'obligeoit, poursuit-il, de me souvenir des vaines & fabuleuses avantures d'un Prince errant tel qu'étoit Enée, lorsque j'oubliois mes égaremens 233 & mes erreurs. On m'enseignoit à pleuIbid. c.13. rer la mort de Didon, à cause qu'elle s'étoit tuée par un transport violent de son amour, pendant que j'étois si miserable que de regarder d'un œil sec la mort que je me donnois à moi-même, en m'attachant à ces fictions, & en m'éloignant de vous, mon Dieu, qui êtes ma vie. Car y a-t-il une plus grande misere, que d'être miserable sans reconnoître, & sans plaindre soi - même sa propre misere, que de pleurer la mort de Didon, laquelle est venuë de l'excès de son amour pour Enée, & de ne pleurer pas sa propre mort, qui vient du defaut d'amour pour vous ?
Il represente comment au lieu de le détourner de l'amour du monde, on l'y exhortoit, & on l'y portoit par de vains applaudissemens. Je ne vous aimois pas, ô mon Dieu ! vous qui êtes la lumiere de mon cœur, la nourriture interieure de mon esprit, & l'Epoux qui soutenez et fortifiez mon ame.  Je ne vous aimois pas, & j'étois separé de vous par un adultere spirituel; & dans cette fornication j'entendois de tous côtez retentir cette voix à mes oreilles : Courage, courage, car l'amour qu'on a pour le monde est un amour d'adultere qui nous éloigne de vous; & l'on nous crie, courage, courage, afin qu'étant  234 hommes comme les autres, nous ayons honte de n'être pas aussi enchantez de ce fol amour, & aussi perdues que le sont les autres.
Il gemit de ce que son pere qui vouloit bien faire une dépense extraordinaire, pour l'envoyer étudier dans une Ville fort éloignée, ne pensoit point à Ibid. l.2. c. 3. le porter à la pieté, ni à l'y exercer. Il se disposoit, dit-il, à m'envoyer à Carthage, plutôt par un effort de l'ambition qu'il avoit pour moi, que par le pouvoir que son bien lui en donnoit, n'étant qu'un des moindres Bourgeois de Thagaste.  Cependant il ne se mettoit nullement en peine, mon Dieu, que j'avançasse dans vôtre crainte, à mesure que j'avançois en âge, ni que je fusse chaste. Il ne desiroit autre chose sinon, que je devinsse éloquent, & que je sçusse composer un discours fleuri, pendant que j'étois moi-même une terre deserte & infructueuse, & que le champ de mon ame, dont vous êtiez, mon Dieu, le seul maître, & le veritable possesseur, ne recevoit aucune culture de vôtre main, ni aucune influance de vôtre grace.
Il soutient qu'il est de la derniere consequence de corriger les enfans dés qu'ils sont capables de raison, & de les reprendre des défauts qu'on remarque 235 en eux ; parceque si on les dissimule, sous prétexte qu'ils ne paroissent pas considerables, ils croissent dans la suite, & les portent même à de grands crimes. La premiere corruption de leur esprit Ibid. l. 3. c. 13. & de leur cœur, dit-il, passe ensuite dans tout le reste de leur vie. Tels qu'ils ont été à l'égard de leurs Précepteurs & de leurs Maîtres, il le sont à l'égard des Rois & des Magistrats : après avoir commis de petites injustices pour avoir des noix, des balles & des moineaux, ils en commettent de grandes pour amasser de l'argent, pour acquerir de belles maisons, & pour avoir un grand nombre de serviteurs.  Leur déreglement croît avec l'âge, comme les grands supplices que les loix ordonnent, succedent aux legeres peines des enfans.
Il dit qu'il est comme impossible de bien élever des enfans, & de les garantir de la corruption du siecle, à moins qu'on ne les separe de la compagnie des Ibid. l. 3. c. 3. 4. autres enfans qui frequentent le monde; & pour le prouver, il se sert encore de son propre exemple : car il assure qu'il ne se fût jamais porté à voler des fruits, ni à commettre d'autres desordres, s'il n'y eût été engagé par l'exemple des jeunes gens avec qui il se divertissoit, & qui disputoient entr-eux à qui seroit 236 le plus méchant & le plus libertin.
Enfin pour faire voir qu'il est tresimportant de donner une bonne éducation aux enfans, ce saint Pere rapporte que sa mere l'ayant accoutumé dès ses plus tendres années à prononcer & à venerer le Nom de JESUS, ce fut ce Nom adorable qui le détacha & le dégouta dans la suite de sa vie de la lecture de Ciceron; & particulierement de Ibid. l. 3. c. 4. son Livre intitulé, Hortensius.J'étois, dit-il, tout ravi & tout embrasé lorsque je lisois ce Traité : mais ce qui me refroidissoit & rallantissoit mon ardeur, étoit que je ne voyois point le Nom de JESUS écrit dans ce Livre. Car par vôtre misericerde, mon Dieu, ce Nom de mon Sauveur vôtre Fils étoit entré dans mon cœur dés mes plus tendres années avec le lait de ma mere; & il y étoit demeuré gravé si profondément, que tous les discours où je ne trouvois point ce Nom, quelques remplis d'éloquence, de doctrine & de veritez qu'ils pussent être, ne me ravissoient pas entierement.
Saint Gregoire parlant aussi de la maLib. 6. Ep. indict. 15. 23. niere dont il faut élever les enfans, dit qu'il est tres - dangereux de commettre leur éducation à des personnes mal reglées ; parceque leurs actions & leurs discours font de fortes impressions sur 237 leurs esprits, & les infectent tres - souvent comme un poison mortel.
Il observe dans ses Dialogues, qu'un Lib. 4. c. 18. pere ayant souffert que son fils qui n'étoit encore âgé que de cinq ans, s'accoutumât à jurer, cet enfant en contracta une si forte habitude, qu'il ne pouvoit presque plus s'en abstenir, & qu'il blasphemoit en toutes rencontres. Etant un jour fort malade, ajoute-t-il, on remarqua qu'il avoit de grandes frayeurs, & qu'il s'agitoit extraordinairement ; & comme on en étoit surpris, il fit entendre à ceux qui l'environnoient, & à son pere même qui le tenoit dans son sein, qu'il voyoit des spectres & des hommes tout noirs qui vouloient l'emporter ; & un moment aprés ayant redoublé ses blasphêmes, il mourut d'un maniere tres violente : ce qui fit juger à tout le monde que l'esprit malin lui étoit apparu, & étoit venu le troubler au moment même qu'il avoit rendu l'esprit.
Ce saint Pape s'étant servi de l'exemple funeste de cette homme impie, pour intimider les peres & les meres qui negligent d'instruire & de corriger leurs enfans, il leur en allegue un autre tres - édifiant pour fortifier leur zele, & pour les porter à s'appliquer de tout leur pouvoir à procurer leur salut. Car il leur parle dans une de ses Homelies, 238 de l'illustre sainte Felicité, qui anima elle - même ses sept fils au martyre, & qui aima mieux les voir mourir en sa presence dans la confession du Nom de JESUS-CHRIST, que de les laisser en vie après elle dans le danger de renoncer à la Religion, & de faire miserablement Hom. 3. in Ev. naufrage dans la Foy. Elle craignoit autant, dit-il, de laisser en vie après elle ses sept enfans, que les peres charnels craignent ordinairement de voir mourir les leurs avant eux. C'est pourquoi ayant été prise pendant le fort de la persecution, elle les exhorta par des paroles pleines de ferveur, à demeurer fermes dans l'amour de la celeste patrie.  Ainsi elle devint mere selon l'esprit, de ceux dont elle l'étoit déja selon la chair ; & elle les enfanta pour Dieu par ses saintes exhortations, après les avoir déja enfantez pour le monde par les douleurs de la chair. Elle apprehenda, ajoute-t-il, de perdre la lumiere de la verité dans ses enfans, si elle ne les perdoit point.  Elle craignit qu'ils ne demeurassent ici-bas après elle, elle se réjouit au contraire de les voir mourir ; & elle desira avec ardeur de n'en laisser aucun vivant après elle, de peur de ne pas avoir pour compagnon de son martyre celui qui lui survivroit. Elle a aimé ses  239 enfans ; mais l'amour de la celeste patrie l'a fait resoudre à voir mourir en sa presence ceux qu'elle aimoit.
Je puis ajouter que la France nous a autrefois fourni un pareil exemple de zele & de religion : car nos Historiens rapportent, que la Reine Blanche mere de Saint Loüis, avoit coutume de dire aux Princes ses fils : Dieu sçait, mes enfans, combien je vous aime ; mais j'aimerois cent mille fois mieux vous voir porter en terre, que de vous voir commettre un seul peché mortel.
Cette parole sortie de la bouche d'une Reine, doit couvrir de confusion une infinité de Chrétiens, car cette grande Princesse ne travailloit qu'à établir le regne de Dieu dans le cœur de ses enfans ; elle ne pensoit qu'à les rendre vertueux ; elle eût donné mille Royaumes pour procurer leur salut ; & elle les eût conduit avec joye au tombeau, si elle n'avoit point eu d'autre moyen de les garantir du peché.  La plûpart des peres & des meres de ce tems s'empressent au contraire de faire avancer leurs enfans dans la fortune ; ils leur cherchent de tous côtez des établissemens avantageux ; ils ne leur parlent que de grandeurs & de dignitez ; & cependant ils ne s'informent point s'ils s'acquittent des devoirs du Christianis- 240 me ; ils ne les exhortent point à la vertu ; ou s'ils le font, ce n'est que foiblement, & ne témoignent que de l'indifference pour leur salut. Il s'en trouve même qui sont plus contens de les voir riches & puissans, que vertueux ; qui ne se soucient pas qu'ils suivent leurs passions, & qu'ils s'abandonnent à des pechez tres - considerables, lorsque cela peut les faire monter aux honneurs, & les conduire à de grands emplois ; & qui imitant l'ambition de cette mere forcenée de l'antiquité, diroient volontiers, qu'ils tuent leur ame pourvû qu'ils regnent.
Je finirai ce Chapitre par les Decrets de deux Conciles, & par la doctrine du Catechisme, dressé par ordre de celui de Trente.  Le Concile de Gangres de l'an 32442 veut que l'on fulmine les anathêmes de l'Eglise contre ceux qui abandonnent leurs enfans, qui ne se mettent pas en peine de les nourrir, qui ne pensent point à les porter à la pieté, ni à les instruire de la Religion, & qui negligent de s'appliquer à leur éducation, sous prétexte qu'ils sont chargez d'affaires, & qu'ils ont d'autres occupations.
L'on peut juger par ce Canon, que les peres & les meres qui n'ont pas soin d'élever chrétiennement leurs enfans, 241 sont tres - criminels. La peine de l'excommunication dont les Evêques de ce Concile les menacent, le justifie assez : car on ne la fait souffrir qu'à ceux qui sont coupables de grands pechez.
Le troisiéme Concile de Milan, tenu sous saint Charles Boromée, s'explique aussi fort nettement sur ce sujet : car il Titul. de his qua ad Matrim. Sacram. pertinent. déclare que comme un pere de famille qui aura élevé ses enfans, & tous ceux de sa famille dans la crainte & dans l'amour de Dieu, & qui les aura portez à la pratique de la pieté & des autres vertus chrétiennes, recevra une grande récompense de tous ses travaux ; aussi celui qui aura manqué, ou negligé de s'acquitter de ce devoir paternel, doit s'attendre d'éprouver un jugement tresrigoureux au jour du Seigneur.
Le Catechisme du Concile de Trente ne parle pas moins clairement de cette obligation des peres & des meres.  Les enfans, dit-il, qui naissent d'une femme legitime, sont le premier des trois biens qui accompagnent le mariage.  L'Apôtre fait tant d'état de ce bien, qu'il déclare que les femmes se sauveront par les enfans qu'elles mettront au monde. Ce qui se doit entendre non seulement de leur naissance, mais encore de leur éducation, & du soin qu'elles doivent avoir de les élever dans la pieté. Ainsi il ajoute 242 immédiatement après, en procurant qu'ils demeurent dans la foy.  C'est ce que l'Ecriture veut marquer par ces paroles : Avez-vous des enfans ? instruisez-les bien, & accoutumez-les au joug dés leur enfance. L'Apôtre nous enseigne la même chose ; De Sacramento Matrim. §. 5. & l'Ecriture nous fournit dans Tobie, dans Job & dans plusieurs autres peres tres-saints, des exemples tres-excellens d'une sainte éducation.
Ainsi l'autorité de l'Ecriture, celle des saints Peres & des Conciles, & toutes sortes de raisons, obligent les Fideles à s'appliquer serieusement à procurer une bonne éducation à leurs enfans, à les instruire de tous leurs devoirs, & à les porter à la vertu, afin d'être les peres aussi - bien de leur esprit que de leurs corps, comme dit un Auteur celebre de notre siecle ; s'ils y manquent, ils se rendent dignes des censures de l'Eglise, & certainement ils en seront tres - severement punis en l'autre monde.
Cul de lampe. 243 Bandeau.

CHAPITRE XXI.

Suite de la même matiere.  L'on prouve par les principes de saint Jean Chrysostome, que l'éducation des enfans est la plus grande & la plus essentielle des obligations des Fideles qui vivent dans le Mariage.
Saint Jean Chrysostome a si souvent parlé de l'éducation chrétienne des enfans, & l'on trouve dans ses differens Ouvrages tant de maximes importantes sur ce sujet, que j'ai crû qu'il étoit à propos d'expliquer ses sentimens aux lecteurs dans un chapitre particulier, afin qu'ils puissent s'en instruire plus facilement, & qu'ils y fassent toutes les reflexions necessaires.
1°. Il enseigne que les enfans appartiennent à Dieu seul, & qu'il est leur veritable Pere & leur Seigneur legitime, Hom. 9. in 1. ad Timoth. puisqu'il leur a donné l'être par sa toutepuissance, & qu'il le leur conserve par les influences continuelles de sa bonté & de sa misericorde : il ajoute que ceux qu'on regarde ordinairement comme leurs parens, n'en sont à proprement parler que les administrateurs & les dépositaires, parcequ'ils ne les ont reçûs que comme un dépôt qu'ils doivent con 244 server avec soin, afin d'en pouvoir rendre un compte fidele à celui qui en a la souveraine disposition, & qui ne l'a mis que pour un tems entre leurs mains.
C'est - là le grand principe dont il se sert, pour prouver que les peres & les meres sont indispensablement obligez de donner une éducation chrétienne à leurs enfans.  Il leur dit souvent qu'ils sont de mauvais administrateurs, s'ils ne les élevent, & ne les conduisent pas selon les intentions de celui qui les leur a confiez : il les accuse de violer la loy du dépôt, lorsqu'ils les portent au luxe & aux vanitez du siecle.
En effet, les tuteurs & les administrateurs doivent être exacts à suivre ce qu'on leur a prescrit, lorsqu 'on les a chargez de cette commisson ; & les dépositaires sont obligez de conserver le dépôt tel qu'ils l'ont reçû, sans l'alterer ni le corrompre ; & s'ils en usent autrement, ils passent pour être de mauvaise foy, & meritent d'être punis.  Or Dieu n'a confié les enfans à leurs parens, & ne les en a rendu les dépositaires, qu'à condition qu'ils les éleveroient dans la pieté ; qu'ils leur apprendroient à le servir ; qu'ils les conserveroient purs & exempts de la corruption du siecle; & par consequent ils pechent, & se rendent cri 245 minels toutes les fois qu'ils negligent de leur donner une bonne éducation ; qu'ils ne leur apprennent pas à craindre, & à servir le Seigneur ; qu'ils fomentent leurs passions, & qu'ils remplissent leur esprit des fausses maximes du siecle. Cela est certain & évident ; & tous ceux qui y feront une attention serieuse, en demeureront facilement d'accord.
Que les gens du monde s'examinent donc par rapport à ce principe de saint Jean Chrysostome, & qu'ils voyent ce qu'ils pourront répondre à Dieu au jour du jugement, lorsqu'il leur demandera compte des enfans dont il leur avoit donné la conduite.  Pourront-ils les lui rendre tels qu'ils les ont reçûs de sa main au sortir des eaux du Baptême, eux qui ne travaillent qu'à effacer de leur esprit le souvenir des promesses qu'ils lui ont faites, & qui ne pensent qu'à leur inspirer l'amour du monde ? N'auront- ils pas au contraire sujet de craindre qu'il ne les accuse d'avoir alteré le dépôt qu'il leur avoit confié, puisqu'ils ne s'àppliquent qu'à pervertir & à corrompre ces jeunes personnes qu'il avoit lavées & purifiées dans le sang de l'Agneau sans tache ? Il est certain que cette pensée doit les effrayer, & les faire trembler, à moins qu'ils n'ayent perdu 246 toute crainte du Siegneur, & qu'ils ne soient déja tombez dans l'aveuglement; ce qui seroit pour eux la derniere des miseres.
2°. Ce saint Docteur expliquant ces I. Tim. 5.3.4. paroles de saint Paul : Honorez - les veuves qui sont vraiment veuves ; & s'il y en a quelqu'une qui ait un des fils, ou des petits fils, qu'elle apprenne avant toutes choses à conduire sa famille, & à rendre à son pere & à sa mere ce qu'elle a reçû d'eux, dit que selon ce grand Apôtre, ceux qui élevent bien leurs enfans, rendent en quelque maniere la pareille à leurs peres, & qu'ils reconnoissent par-là les obligations qu'ils leur ont.  Ils ne peuvent pas à la verité leur donner une bonne éducation, puisqu'au contraire ils l'ont reçûe d'eux ; mais s'ils s'appliquent à instruire leurs propres enfans, & à les porter à la pieté; leurs peres s'en tiennent, pour ainsi dire, obligez, & s'en réjouissent, parcequ'ils reconnoissent qu'ils n'ont pas travaillé en vain, & qu'ils voyent que ceux qu'ils ont instruits, en instruisent eux-mêmes d'autres, & établissent ainsi dans leurs familles une succession de pieté & de Religion.
Ce second motif que propose ce saint Prélat, & qui est fondé sur la gratitude, doit avoir beaucoup de pouvoir sur l'es 247 prit des fideles, pour les porter à s'appliquer serieusement à l'éducation de leurs enfans : car quoi de plus juste & de plus raisonable, que de transmettre aux autres ce qu'ils ont eux-mêmes reçû? d'avoir autant de soin de leurs propres enfans, qu'on en a eu d'eux, lorsqu'ils étoient dans un pariel état, & de reconnoitre les bienfaits que leurs peres ont répandus sur eux, en les communiquant à leurs descendans ?
3°. Cette grande lumiere de l'Eglise represente que ceux qui donnent une bonne éducation à leurs enfans, travaillent non seulement pour eux-mêmes & pour leurs propres familles, mais pour la republique, & pour toute la societé civile, parce que les enfans qu'ils auront bien élevez, en éleveront eux-mêmes d'autres d'une maniere tres chretienne, s'allieront dans des familles où ils porteront la bonne odeur de JESUS-CHRIST, & exerceront un jour à venir, soit dans l'Eglise, ou dans l'Etat, les emplois les plus importans, avec une approbation Ser. 46. Tom. 5. generale. Si vous élevez bien vôtre fils, dit ce saint Docteur à un pere chrétien, il élevera aussi le sien de la même sorte; &son fils s'appliquant à l'éducation de ses enfans en cette maniere toute chrétienne, il se formera comme une chaîne & une suite précieuse de cette bonne  248 conduite dont vous serez le commencement & la racine, &qui vous fera recueillir les fruits du soin que vous aurez pris de bien instruire vos enfans.
Homil.9. in 1. ad Timoth.
Il dit encore à ce propres43 que les meres qui ont soin d'élever chrétiennement leurs filles, procurent par là un tresgrandavantage au public, parceque lorsqu'elles viennent à être mariées, elles sanctifient leurs maris ; elles vivent en paix evec eux, & dans une parfaite intelligence; elles forment leurs enfans pour tous les états & pour toutes les conditions où ils se trouvent dans la suite engagez par les ordres de la divine Providence.
Ibid. Serm.46.
Il ajoute même que que si les peres s'appliquoient exactement à l'éducation de leurs enfans, les loix & les jugements, les punitions,les supplices, & les executions publiques & exemplaires des criminels ne seroient plus necessaires, parceque S. Paul dit que la loy n'est pas établie pour le juste.
Ainsi les peres & les meres qui élevent bien leurs enfans, servent l'Eglise & l'Etat, procurent la tranquillité publique, & sont cause que Dieu est servi & honoré dans tous les état & dans toutes les conditions.
4°. Saint Jean Chrysostome dit que pour travailler utilement à l'éducation des enfans, il faut s'y appliquer de bonne 249 heure, & dès qu'ils commencent d'être susceptibles de quelque raison, parcequ'alors ils sont plus dociles que dans un âge plus avancé ; que leur cœur ressemble à une cire molle, où l'on imprime tout ce que l'on veut ; & qu'ils retiennent plus facilement les avis & les préceptes qu'on leur donne, pendant que leur esprit n'est pas encore préoccupé d'autres pensées, & que leur memoire ne se trouve pas chargées des phantômes, & des imaginations qui troublent ordinairement celles des personnes qui ont déja vêcu quelque tems dans le monde. Aussi le Sage dit, comme on l'a ci-devant remarqué: Avez-vous des fils, instruisez- Eccl.7. 25. les bien, & accoutumez-les au joug dés leur enfance.  Et on a vû dans le chapitre précedent, combien il fut avantageux à saint Augustin d'avoir entendu parler du Nom de JESUS dés ses plus tendres années.
5°. Plus ce grand Archevêque connoît combien il est important de donner une bonne éducation aux enfans, plus sa douleur est grande, quand il considere la negligence de la plûpart des peres & des meres, qui ne pensent presque jamais à s'acquiter de ce devoir, & qui sont neanmoins pleins d'ardeur & d'activité, toutes les fois qu'il s'agit de leurs interêts temporels. Il ne peut alors contenir son zele; il fait de tres-grandes plaintes con 250 tre eux; il les accuse non seulement de paresse, mais de folie & d'inhumanité; il soutient qu'ils estiment moins leurs enfans, que leurs chevaux & que les animaux domestiques qu'ils nourrissent Homil. 59. in Matth. dans leurs maisons. Si ces personnes, dit-il, ont de jeunes chevaux, ils donnent ordre qu'on employe tout l'art possible pour les dresser. Ils apprehendent fort qu'ils ne deviennent vicieux: ils veulent qu'on les accoutume de bonne heure au frein & à l'éperon, afin qu'étant prêts au moindre mouvement, ils répondent à tout ce que l'on demande d'eux. Cependant ils n'ont pas pour leurs enfans le même soin qu'ils ont pour ces bêtes. Ils soussrent qu'étant sans frein, sans loy & sans retenue, ils courent où la fougue de leurs passions les emporte, ou dans des Academies de jeu, ou à la Comedie & aux spectacles, ou dans des lieux détastables.
Nous traitons nos enfans encore plus mal que nos esclaves : car nous corrigeons ceux-ci, & nous negligeons nos enfans, comme s'ils nous étoient plus indifferens que ceux qui ne nous ont couté qu'un peu d'argent; nous les mettons ainsi au dessous de nos esclaves ; nous les rabaissons même au dessous des bêtes. Si vous choisissez un cocher, un  251 valet d'écurie, vous prenez garde qu'il ne soit pas sujet au vin ; qu'il ne soit pas voleur, qu'il sçache bien panser & bienconduire des chevaux. Et si vous voulez donner à vos enfans un Précepteur pour les former & pour les conduire, vous ne vous mettez point en peine de ce choix.  Le premier qui se presente n'est que trop bon: cependant il n'y a point d'employ, ni plus grand, ni plus difficile que celui-là.  Car qu'y a-t-il de plus important que de former l'esprit & le coeur, & de regler toute la conduite d'un jeune homme ? On estime un grand Peintre & un grand Sculpteur ; mais qu'est-ce que leur art au prix de l'excellence de celui qui travaille, non sur la toile au sur le marbre, mais fur les esprits.  Nous negligeons neanmoins toutes ces choses; nous ne nous mettons pas en peine de rendre nos enfans Chrétiens, mais éloquens ; & ce desir même est interessé : car la fin que nous nous proposons, n'est pas simplement qu'ils soient éloquens, mais qu'ils s'enrichissent par leur éloquence.
Hom. 9. in I. ad Timoth.
Il dit encore dans une de ses Homelies, qu'il y a beaucoup de Chrétiens qui ont moins de soin de leurs enfans, que de leurs possessions & de leurs heritages.  Car ont-ils une terre à faire 252 valoir, ils choisissent un fermier qui soit exact & diligent, qui sçache cultiver la terre, & témoigne être affectionné à leur service. Mais ils ne font pas la même chose pour l'éducation de leurs enfans ; ils prennent au hazard une personne pour les élever, ils ne se mettent presque point en peine d'examiner ses moeurs ni sa pieté.
Il passe même plus avant dans les Livres qu'il a composez pour la défense de la vie Monastique : car pour faire voir combien sont coupables ceux qui neglil'éducation de leurs enfans, ou qui leur en donnent une mauvaise, il soutient qu'ils sont plus criminels, que s'ils se servissent du fer & du poison pour Lib.3. advers vituperrant. Vitam, Monaf. tic.6.4 leur ôter la vie. Que l'on ne s'imagine pas, écrit-il, que je me laisse emporter à la colere, si je dis que ces peres sont plus cruels que des parricides. Car les peres qui donnent la mort à leurs enfans, ne font autre chose que de separer leurs ames de leurs corps: mais ces malheureux peres qui negligent l'éducation de leurs enfans, livrent leurs corps & leurs ames au feu de l'enfer. Un enfant qui perd la vie par la cruauté de son propre pere, seroit toujours mort par la loy necessaire & inévitable de la nature : au lieu que celui qui  253 se damne par la negligence de son pere, auroit pû se garantir des supplices éternels, si l'on n'eût pas abandonné le soin de son éducation.  De plus la mort du corps sera détruire en un instant par la gloire de la resurrection : mais la perte de l'ame ne reçoit aucune consolation, puisqu'il n'y a plus d'esperance de salut dans ce malheureux état, & qu'il n'y reste que la seule necessité d'y souffrir des supplices éternels.  Ce n'est donc pas sans raison que nous disons que ces peres sont plus cruels que des parricides, puisque ce n'est pas une si grande cruauté d'armer sa main d'une épée pour la plonger dans le sein de son propre fils, que de perdre & de corrompre son ame.
6°. Comme la plûpart des hommes sont dsposez de telle maniere, que les raisons les plus solides ne font pas toujours beaucoup d'impressions sur leurs esprits ; & que ce qui se passe dans le monde les touche souvent davantage S. Jean Chrysostome propose à ses peuples l'exemple de plusieurs Justes44 qui ont vêcu parmi les Israëlites, & qui avoient soin d'instruire leurs descendants des merveilles que Dieu avoit operées en leur faveur.  Seigneur, dit le prophete, nous pf.43. 2. avons oui de nos oreilles, & nos peres nous ont raconté les actions que vous avez faites 254 dans leur siecle, & dans les siecles passez. Sur quoi ce saint Docteur fait cette re In Ps. 43. flexion : Ecoutez ceci vous tous qui n'avez aucun soin de vos enfans, & qui chantant des chansons diaboliques, negligez & méprisez de vous entretenir des choses de Dieu.  Les anciens d'Iraël n'en usoient pas de la forte : mais ils s'occupoient continuellement à parler des prodiges que Dieu avoit faits pour délivrer & pour défendre leur nation ; ils se les racontoient les uns aux autres, & ils tiroient deux avantages considerables de cette sainte pratique : car ceux qui avoient reçû ces bienfaits, s'édifioient en s'en rafraîchissant la memoire; & leurs defcedans entendant souvent parler de ces merveilles, se les inculquoient dans l'esprit, connoissoient de plus en plus la grandeur de Dieu, & étoient excitez par ce recit, à imiter les vertus de leurs peres.  Ainsi ceux qui les avoient mis au monde leur tenoient lieu de livres, puisqu'ils les instruisoient de tous ces prodiges.
Ce saint Docteur expose encore aux yeux des Fideles de son Diocese, la conduite édifiante de Job, qui offroit continuellement des sacrifices pour ses fils, & les purifioit de leurs pechez, craignant qu'ils n'offensassent Dieu, soit par 255 leurs paroles, ou par leurs pensées. Ce Hom. in Epist. ad Philip. saint homme, ajoûte-t-il, ne disoit point comme font la plupart des hommes : Je laisserai à mes enfans de grandes richesses ; je les rendrai illustres & puissans dans le monde ; je leur acheterai de grands domaines ; je leur ferai avoir des principautez. A quoi aboutissoient donc tous ses soins? je crains, disoit-il, qu'ils n'offensent Dieu, soit par leurs paroles, ou par leurs pensées ? Je m'efforcerai de leur rendre favorable le Roy de tout l'univers, & de les reconcilier avec lui ; je suis assuré qu'ils ne manqueront après cela d'aucune chose.  Et aussi, poursuit ce grand Saint, le Roi Prophete dit : Le Seigneur me conduit & me nourrit, c'est pourquoi je Ps. 21.1. ne manquerai de rien.
L'on a rapporté au chapitre précedent, plusieurs autres exemples tirez de l'Ecriture sainte, qui justifient que les Justes45 ont toujours soin d'élever leurs enfans dans la crainte du Seigneur: mais S. Jean Chrysostome se sert particulierement de ceux de Job & des Israëlites, pour faire comprendre à tous les Fideles qu'ils y sont indispensablement obligez ; ils sont en effet tres-confiderables, & ils meritent qu'on y sasse une attention toute particuliere : car si un homme qui a vecû avant la loy de Moïse, & qui par 256 consequent n'avoit été instruit par aucun des Prophetes, étoit si appliqué à la sanctification de ses fils, & s'il craignoit tant qu'ils n'irritassent la colere de Dieu par quelque peché : si les Juifs, ce peuple imparfait & charnel, avoit tant de soin de publier les merveilles & les grandeurs de Dieu, & d'en instruire leurs enfans, & toute leur posterité, que ne doivent point faire des Chretiens qui ont reçû du Ciel tant de graces differentes? qui sçavent ce que les Prophetes, les Apôtres, & tous les Saints ont dit sur ce sujet, & qui font appellez à une plus grande perfection, que n'a été celle de tous ceux qui ont veçû sous la nature, ou sous la Loy écrite ?
7°. Quoique l'éducation Chrétienne des enfans regarde generalement tous ceux qui s'engagent dans le Mariage, S. Jean Chrysostome enseigne neanmoins que les meres sont plus étroitement obligées que les peres de s'y appliquer; parce qu'elles ont plus de repos qu'eux ; qu'elles sont plus maîtresses de leur tems, & qu'elles ne sont pas détournées par les occupations exterieures qui sont ordinairement le partage des Homil. I. de Anna. hommes. Les femmes, dit-il, y sont d'autant plus obligées, qu'elles sont plus sedentaires dans leurs maisons que leurs maris.  Car les voyages, les  257 sollicitations du barreau, & les affaires de la ville, causent beaucoup de distraction aux hommes. Mais les femmes peuvent d'autant plus s'appliquer à l'éducation de leurs enfans, qu'elles en ont plus de loisir, n'étant nullement distraites par ces embarras exterieurs.
Il observe même que l'Ecriture infinue assez que le soin de bien élever les enfans est particulierement destiné aux I. Tim. 2. 10. femmes, puisque Saint Paul veut qu'en choisissant une veuve pour l'attacher au service de l'Eglise, on examine si elle a bien élevé ses enfans ; qu'il dit que les Ibid. c.2. 15. femmes se sauveront par les enfans qu'elles mettront au monde, pourvû qu'elles procurent qu'ils demeurent dans la foy, dans la charité, dans la sainteté, & dans une vie reglée ; ce qui signifie sans doute que leur salut est attaché à l'éducation de leurs enfans.
L'on peut ajoûter que la nature même semble les avoir destinées à cet emploi, parcequ'elle leur a donné un coeur plus tendre, un esprit plus adroit, un naturel plus insinuant, & une patience plus grande qu'aux hommes, & qu'elle les a rendu plus capables d'entrer dans un certain détail d'actions & de choses, qui pourroient rebuter & fatiguer leurs maris ; & ce sont-là des dispositions qui les rendent tres-propres à un tel ministere.
258
Ce saint Docteur explique en détail dans plusieurs endroits de ses Ouvrages, ce qu'il faut faire pour bien élever les enfans.  Mais comme les autres saints Peres ont aussi traité ce sujet ; & que d'ailleurs ce chapitre n'est déja que trop long, il faut reserver cette matiere pour le suivant.
Bandeau.

CHAPITRE XXII.

De quelle maniere il faut élever les enfans pour leur donner une éducation chrétienne.
Il ne suffit pas d'avoir prouvé aux peres & aux meres qu'ils sont obligez d'élever chrétiennement leurs enfans, & qu'ils se rendent coupables, lorsqu'ils negligent de s'y appliquer ; il faut outre cela leur marquer ce qu'il est à propos qu'ils fassent pour s'acquiter de ce devoir si important.
Homil. 12. in I. ad Cor.
1°. Ils doivent, selon S. Jean Chrysostome, les accoutumer dès leurs plus tendres années à faire le signe de la Croix, afin que ce signe sacré les protege, & leur serve d'armes spirituelles contre la malice du démon, qui ne cherche qu'à leur nuire, & à les perdre.
Il faut aussi, lorsqu'ils commencent à articuler quelques mots, qu'ils leur fassent souvent prononcer le Nom de  259 JESUS, & qu'ils les portent à l'adorer en la maniere qu'ils en sont capables. Ils consacreront par-là leurs langues à Dieu, ils leur feront contracter une sainte habitude pour la pieté, & ils jetteront dans leurs coeurs d'heureuses semences qui germeront un jour à venir, & produiront des fruits en abondance.
2°. Il faut qu'ils ayent de soin de ne leur soussrir aucune mauvaise inclination; & dés qu'ils en découvrent quelqu'une en eux, ils doivent la combattre de tout leur pouvoir, & s'efforcer de la détruire par leurs avis salutaires, & même par des reprimandes accompagnée de severité & de prudence.  Saint Augustin se plaint dans ses Confessions de ce qu'on n'en avoit pas usé de la sorte à son égard dans son bas àge, & de ce qu'on ne s'étoit pas opposé à ses desirs illicites & à ses désordres. Les ronces & les épines Lib. Confes. cap. 3. du peché, dit-il, croissoient dans mon coeur, & s'élevoient pardessus ma tête, sans qu'il se trouvât aucune main favorable pour les arracher: Excesserunt caput meum vepres libidinum, & nulla erat eradicans manus.
C'est-là une des principales obligations des peres & des meres. Ils doivent toujours veiller sur leurs enfans, & observer toutes leurs actions & toutes leurs démarches, afin de juger à quoi se por 260 tent leurs affections, de discerner de quel côté panche leur coeur, & de penetrer quelles pourront être leurs passions, afin d'y apporter remede de bonne heure, & de prévenir le mal avant qu'il puisse jetter de profondes racines dans leur coeur.
S'ils voyent qu'ils soient trop prompts & qu'il y ait à craindre qu'ils ne deviennent dans la suite impatiens, vindicatifs, ils doivent les exercer à la douceur, leur faire pratiquer la patience, les accoûtumer à souffrir, & punir leurs petites revoltes, afin de dompter leur volonté, & de faire en sorte qu'ils n'y ayent point d'attache, lorsqu'ils seront dans un âge plus avancé.
S'ils remarquent en eux quelques commencemens d'orgueil & d'ambition, ils doivent les humilier en differentes manieres : comme par exemple, en leur interdisant ce qui peut les élever & les distinguer des autres, en les appliquant à des ministeres bas & ravalez, & en les obligeant de ceder & de se soumettre aux autres enfans.
S'ils apperçoivent qu'ils ayent du penchant pour la vanité & pour le luxe, il est de leur devoir de réprimer de bonne heure en eux cette inclination corrompue, de les éloigner des pompes du sie 261 cle, & de leur apprendre la modestie chrétienne.
S'ils découvrent enfin qu'ils soient portez à d'autres passions, ils sont obligez de es combattre & de les étouffer pendant qu'elles sont encore foibles, & qu'elles n'ont pas encore eu le tems de se fortifier. Ils peuvent alors facilement les arrêter & les supprimer, comme on éteint sans beaucoup de peine un feu qui n'est pas encore entierement allumé ; mais s'ils soussrent qu'elles croissent, ils n'en seront plus les maîtres ; elles emporteront leurs enfans dans des excés, & dans des précipices, d'où il leur sera peut-être impossible dans la suite de les retirer & de les délivrer.
3°. Les peres & les meres sont obligez d'être circonspects dans toute leur conduite, ne disant & ne faisant jamais rien en presence de leurs enfans, qui puisse les détourner de la vertu, & leur inspirer l'esprit & l'amour du monde. Sans cela tous les soins qu'ils prennent de leur éducation, sont presque toujours inutiles, parcequ'ils détruisent d'un côté ce qu'ils s'efforcent d'édifier de l'autre ; & que leurs paroles & leurs actions ruinent tout le bien qu'ils pourroient esperer d'établir dans leurs familles.
C'est S. Jean Chrysostome qui l'enseigne dans un de ses Traitez.  Il s'y 262 plaint en des termes tres-forts de l'indiscretion des peres qui se flattant d'élelever chrétiennent leurs enfans, ne leur parlent cependant que des biens de la terre, & des avantages temporels ; il les accuse de combatre par leurs propres discours les instructions qu'ils leur donnent ; il soûtient qu'ils sont coupables de leur perte, quoiqu'ils témoignent à l'exterieur souhaiter leur salut. Mais il faut l'entendre parler lui-même sur ce sujet.
Il rapporte d'abord les discours que la plûpart des parens tiennent à leurs en Lib. 3. advers. vituperant.Vitam Monastic. c. 5. fans. Car homme qui étoit de basse naissance, dit l'un de ces Peres, s'étant rendu considerable par son éloquence, a été élevé aux charges les plus illustres, a acquis de grandes richesses; s'est marié à une femme tres - opulente ; a bâti une superbe maison ; il se fait craindre maintenant; il vit dans l'éclat & dans la splendeur. Un autre dit à son fils, un tel pour avoir appris la Langue Latine, s'est rendu illustre dans la Cour de l'Empereur, & la gouverne absolument.  Un autre pere propose quelque autre example à ses enfans. Mais on ne leur donne pour modelle que les personnes qui tiennent un rang considerable dans le monde, & on ne les entretient jamais de ceux qui re 263 gnent dans le Ciel ; ou si quelqu'un entrepend de leur en parler, on le rebute comme s'il vouloit tout gâter.
Ce saint Docteur ajoûte ensuite, que de tels discours empoisonnent presque toujours l'esprit des enfans qui les entendent , & les empêchent de profiter des veritez qu'on leur donne.  Il est visible, dit-il, qu'un jeune homme n'est pas capable de se former lui-même aux exercices de la vertu, sans être secouru d'ailleurs.  Mais quand il auroit déja conçû quelque grand & generaux dessein, les mauvais discours de son propre pere seroient comme une pluye violente qui étousseroit cette semence avant qu'elle produisit aucun fruit. Car comme il est impossible que le corps à qui on refuse les bons alimens, & que l'on ne nourrit que de viandes malsaines subsiste long-tems : ainsi lorsque l'ame d'un jeune homme a été nourrie de cette doctrine corrompue, & remplie des fausses maximes du monde, il est comme impossible qu'elle conçoive rien de grand, ni de genereux. Elle devient au contraire foible & languissante, par la continuelle corruption que la malice cause en elle comme une peste pernicieuse ; & il est à craindre qu'elle ne soit un jour à venir livrée  264 aux supplices l'enfer, & à la damnation éternelle.
Il faut dire la même chose des actions peu regulieres ds peres & des meres; elles font une forte impression sur l'esprit de leurs enfans ; elles corrompent leur coeur ; elles leur rendent inutiles toutes les instructions qu'ils leur donnent. Car ils ont beau leur parler de la vertu, & les y exhorter, s'ils ne la suivent pas eux-mêmes, ils parlent & ils exhortent en vain; & leurs enfans faisant plus d'attention à leurs actions qu'à leurs paroles, méprisent tout ce qu'ils leur disent, ou au moins n'en tiennent aucun compte.
Il arrive même de là que dans la suite de leur vie lis ne sont plus susceptibles des plus saintes veritez de l'Evangile, & qu'ils se revoltent contre ceux qui les leur proposent.  En effet, combien se trouve-t'il de personnes, qui après avoir vû leurs peres & leurs meres passionnez pour les biens de la terre, attachez aux plaisirs sensuels, sujets à la colere, pleins de vengeance, ne sçauroient soussrir qu'on leur parle de la pauvreté Evangelique, de la penitence, de la patience & de la douceur chrétienne ; & qui regardent tout ce qu'on leur en dit, comme des maximes trop austeres ; & qui étant peut-être belles dans la specula 265 tion, sont impossibles dans la pratique.
Ainsi il est absolument necessaire que ceux qui ont des enfans, vivent dans une grande vigilance sur eux-mêmes ; qu'ils ayent soin de les instruire encore plus par leurs actions que par leurs paroles, comme on l'a déja remarqué après S. Jerôme au Chapitre XX.  & qu'ils prennent bien garde que ce qu'ils disent & ce qu'ils font ne puisse leur nuire, & ne leur devienne pas une pierre de scandale, qui les fasse tomber au milieu de leur course.
4. Non seulement ils ne doivent pas Titul. de his qua ad matr. Sacram. pertin. Titul. de scholis. c. 1. donner de mauvais exemples à leurs enfans, mais ils sont obligez de les instruire des principes de la Religion, comme il est ordonné par le troisiéme Concile de Milan, & par celui de Cambray de l'an 1565. de leur donner de bons livres où ils puissent puiser une saine doctrine, & de les porter sur-tout à lire les divines Ecritures, qui leur apprendront leurs devoirs & leurs obligations, & leur fourniront des exemples de toutes les vertus qui leur seront necessaires dans les differens états de la Homil. 21. in Ep. ad Eph. vie civile & politique. Ne vous imaginez pas, dit saint Chrysostome, que l'étude des saintes Ecritures ne regarde que les Solitaires. Elle est en quelque maniere encore plus necessaire aux enfans qui sont sur le point d'entrer dans  266 le monde.  Un homme qui est toujours dans le port, n'a pas tant besoin d'avoir un vaisseau bien équippé, un excellent Pilote, & un grand nombre de Matelots, que celui qui vogue toujours en pleine mer. L'on peut remarquer une pareille difference entre un homme du monde & un Solitaire.  Celui-ci est comme dans un port paisible & tranquille, où il mene une vie dégagée de tout embarras, & nullement exposée aux agitations & aux orages. Mais un homme du monde passe toute sa vie sur une mer orageuse ; il est obligé de combattre continuellement contre les vagues & les tempêtes. Et c'est la consideration du danger où il vit, qui doit l'engager à lire souvent l'Ecriture sainte, afin de s'y fortitier, & d'y trouver des remedes à ses maux.
5. Il est certain qu'il n'y a rien de plus pernicieux pour les enfans, que les mauvaises compagnies, & la frequentation des autres enfans, qui sont soubent portrez au libertinage, & qui y portent les autres par leurs discours & par leurs exemples. C'est pourquoi saint Jerôme conseilloit à Læta de ne point souffrir que sa jeune fille Paule fît amitié avec les enfans des gens du monde, comme on l'a déja observé.46 Il ordon Cap 20. noit aussi à Gaudence d'empêcher que 267 sa fille ne se divertît avec les autres jeunes filles qui suivoient les modes & les coutumes du siecle, de crainte qu'elle ne se portât à les imiter, & ne se corrompît avec elles, comme cela arrive presque toujours47.
On a vû au Chapitre XX. combien S. Augustin reçut de préjudice dans sa jeunesse, de la societé qu'il entretenoit avec d'autres jeunes hommes, qui l'engageoient à voler des fruits, & à commettre plusieurs autres désordres.
Mais on ne sçauroit rien desirer de plus fort sur ce sujet, & qui fasse mieux connoître combien il est dangereux pour des enfans, d'en frequenter d'autres qui ne soient pas élevez & nourris dans la pieté, que ce que dit sainte Therese, lorsqu'elle décrit elle-même comment elle se relâche & se pervertit dans la compagnie de ses jeunes cousins, & d'une autre fille de ses parentes qu'elle voyoit tres-souvent; ainsi il faut rapporter ses propres paroles. Comme mon In sua vita c.2. pere, dit elle, étoit extrément prudent, il ne permettoit l'entrée de sa maison qu'à ses neveux mes cousins germains ; & plût à Dieu qu'il la leur eût refusée aussi-bien qu'aux autres. Car je connois maintenant combien il y a de peril dans un âge où l'on doit commencer à se former à la vertu, de conver  268 ser avec des personnes, qui non feulement ne connoissent point que la vanité du monde est tres méprisable, mais qui portent les autres à l'aimer.  Ces parens dont je parle, étoient presque de mon âge ; ils avoient neanmoins quelques années plus que moi. Nous étions toujours ensemble ; ils m'aimoient extrémement ; mon entretien leur étoit tres-agreable ; ils me parloient du succès de leurs inclinations & de leurs folies; & qui pis est, j'y prenois plaisir, ce qui fut la cause de tout mon mal.
Que si j'avois à donner conseil aux peres & aux meres, ajoûte-t-elle, je les exhorterois à prendre bien garde de ne laisser voir à leurs enfans en cet âge, que ceux dont la compagnie peut leur être utile; rien n'étant plus important à cause que nôtre naturel nous porte plûtot au mal qu'au bien. Je le sçai par ma propre experience.  Car ayant une sœur plus âgée que moi, fort sage & fort vertueuse, je ne profitai point de son exemple ; & je reçus un grand préjudice des mauvaises qualitez d'une de mes parentes qui venoit souvent nous voir. Comme si ma mere qui connoissoit la legereté de son esprit, eût prévû le dommage qu'elle me devoit causer, il n'y a rien qu'elle n'eût vo 269 lontiers fait pour fermer l'entrée de sa maison, mais elle ne le pouvoit à cause du prétexte qu'elle avoit d'y venir.  Je m'affectionnai fort à elle, & je ne me lassois point de l'entretenir, parcequ'elle contribuoit à mes divertissements, & me rendoit compte de toutes les occupations que lui donnoit sa vanité.
Je ne sçaurois, dit elle ensuite, penser sans étonnement, au préjudice qu'apporte une mauvaise compagnie, & je ne le pourrois croire, si je n'en avois fait moi-même une funeste experience, lorsque j'étois dans une si grande jeunesse. Je souhaiterois que mon exemple pût servir aux peres & aux meres, & les portât à veiller attentivement sur leurs enfans. Car il est vrai que la conversade cette parente me changea de telle sorte, que l'on ne reconnoissoit plus en moi aucunes marques des inclinations vertueuses que mon naturel me donnoit ; & qu'elle & une autre qui étoit de son humeur, m'inspirerent leurs mauvaises inclinations. C'est ce qui me fait connoître combien il importe de ne frequenter que de bonnes compagnies ; & je ne doute point que si j'en eusse rencontré à cet âge une telle qu'il eût été à desirer, & que l'on m'eût  270 instruite dans la crainte de Dieu, je me serois entierement portée à la vertu, & que j'aurois surmonté les foiblesses dans lesquelles je suis tombée.
Il est donc du devoir des peres & des meres de séparer autant qu'ils le peuvent, leurs enfans de la compagnie des jeunes gens, qui sont élevez selon les maximes du monde, & dont la conduite n'est pas bien reglée, afin de les garantir de la corruption du siecle, & de les conserver purs & sans tache aux yeux de Dieu.
6. Ils sont obligez d'user de serverité, & d'employer les châtiments, lorsqu'ils voyent que leurs enfans sont indociles, & qu'ils ne profitent pas des instructions qu'ils leur donnent; & s'ils y manquent, ils se rendent eux-mêmes coupables, & répondent de tous les desordres ausquels leurs enfans se portent dans la suite. Tout le monde sçait l'histoire du Prêtre Heli, dont on a déja parlé, qui fut puni de Dieu d'une maniere si terrible, pour avoir negligé ce devoir. Il avoit à la verité repris ses fils de leurs desordres, & leur avoit dit : Pourquoi faites-vous toutes ces choses que j'entens, ces crimes détestables que j'apprens de tout le peuple? ne faites plus cela, mes enfans. Mais parcequ'il ne les corrigea pas avec assez de séverité, & autant que leurs crimes le de 271 mandoient, il perit aussi - bien qu'eux tres-miserablement.
Dieu témoigne lui-même dans l'Ecriture, que ce fut lui, & qu'il priva sa fa 1.Reg.3. 11.12.13 14. mille de la dignité sacerdotale : Je vas faire, dit-il à Samuël, une chose dans Israël, que nul ne pourra entendre sans être frappé d'un profond étonnement.  En ce jour-là je verifierai tout ce que j'ai dit contre Heli & contre sa maison ; je commencerai & j'acheverai. Car je lui ai prédit que je punirois sa maison pour jamais, à cause de son iniquité, parceque sçachant que ses fils se conduisoient d'une maniere indigne, il ne les a point punis. C'est pourquoi j'ai juré à la maison d'Heli, que l'iniquité de cette maison ne sera jamais expiée ni par des victimes, ni par des presens.
C'est la consideration d'un tel châ Hieron. l. 1. dial. Aug.in Ps. 50. Gregor. Pastor. cura part. 2. 1. 6. timent qui porte les saints Docteurs de L'Eglise à dire, que ceux qui ne punissent pas leurs enfans lorsqu'ils commettent des fautes, & qu'ils s'abandonnent au desordre, n'ont pas une veritable douceur, mais une fausse ; qu'ils participent aux pechez qu'ils n'ont pas soin de corriger ; qu'ils attirent la colere de Dieu sur eux-mêmes, & sur ceux qu'ils épargnent mal à propos.
Les Livres de la Sagesse contiennent 272 aussi plusieurs Sentences qui servent à prouver cette obligation des peres & Prov. 13 24. des meres. Celui qui ne châtie pas son fils, dit Salomon, le hait veritablement, & celui qui l'aime ne lui pardonne rien. N'épargnez point la correction à l'enfant: car Cap. 23 13. 14 Cap. 22. 25. Cap. 29 15 si vous le frappez avec la verge, il ne mourra point ? vous le frapperez avec la verge, & vous délivrerez son ame de l'enfer. La folie est liée au coeur de l'enfant, la verge de la discipline l'en chassera. La verge & la correction donnent la sagesse ; mais l'enfant qui est abandonné à sa volonté, couvrira sa mere de confusion.
Celui qui aime son fils, dit aussi l'Ec Eccl. 30 1. 8. & sequent. clesiastique, le châtie souvent, afin qu'il en reçoive de la joye quand il sera grand. Le cheval qui n'a point été dompté, deviendra intraitable, & l'enfant abandonné à sa volonté devient insolent ; flattez vôtre fils, & il vous causera de grandes frayeurs ; jouez avec lui, & il vous attristera: ne vous amusez point à rire avec lui, de peur que vous n'en ayez de la douleur. Ne le rendez point maitre de lui - même dans sa jeunesse, & ne negligez point ce qu'il fait & ce qu'il pense. Courbez-lui le coû pendant qu'il est jeune, & châtiez-le de verges pendant qu'il est enfant, de peur qu'il ne s'endurcisse, qu'il ne veuille plus vous obéir, & que vôtre ame ne soit percée de douleur.
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Il est donc certain par l'Ecriture, que les peres qui dissimulent les desordres de leurs enfans, & qui negligent de les punir lorsqu'ils pechent, les haïssent & font leurs veritables ennemis ; & qu'au contraire ils les aiment, & ils les traitent comme de bons peres, toutes les fois qu'ils les reprennent de leurs fautes, qu'ils ne leur pardonnent rien, & qu'ils leur font porter les peines qu'ils ont justement meritées.
7. Il ne faut pas que les peres & les meres, sous prétexte de les reprendre, lorsqu'ils ont manqué, se laissent aller à leur mauvaise humeur, qu'ils leur parlent toujours en colere, & qu'ils ne leur témoignent que de la rigueur & de la severité.  Un tel procedé rebuteroit leur esprit, les troubleroit, les feroit tomber dans le découragement, & les porteroit même au desespoir : car il n'y a rien de plus capable de les empêcher de faire leur devoir, & de profiter es avis qu'on leur donne, & que d'entendre continuellement des paroles aigres & piquantes, de voir qu'on ne les regarde qu'avec un visage severe & plein d'indignation, & de ne recevoir aucuns commandements qui ne soient accompagnez de menaces.
Et aussi saint Paul défend à tous les Fideles de traiter leurs enfans en cette 274 maniere, & leur interdit cette austerité imperieuse & rebutnate. Vous peres, leur Ephes.6. 4. Coless. 3. 21. dit-il, n'irritez point vos enfans, de peur qu'ils ne tombent dans l'abattement; mais ayez soin de les bien élever en les corrigeant & les instruisant selon le Seigneur. Il veut leur marquer par ces paroles, qu'ils sont à la verité obligez d'instruire leurs enfans, & de les corriger lorsqu'ils manquent; mais qu'ils doivent s'acquiter de cette obligation dans la seule vûe de faire leur devoir, & de plaire au Seigneur ; qu'ils doivent bien prendre garde ne pas irriter leur esprit, parceque cela pourroit les empêcher de tirer aucun fruit de leurs instructions ; & qu'ils doivent se conduire en ces rencontres avec tant de prudence, de sagesse & de moderation, que bien loin de les rebuter, ils les gagnent & les attirent à eux, afin de leur être plus utiles, & de les porter ensuite à Dieu, qui est leur veritable pere & leur souverain Seigneur.
Il faut même ajoûter qu'ils ne doivent pas les punir pour toutes sortes de fautes ; qu'il y en a de legeres qu'ils peuvent passer sous silence, sur-tout lorsqu'elles ne sont pas accompagnées de malice ; & qu'ils sont obligez de n'user des reprimandes que rarement & avec beaucoup de prudence, de peur de les 275 rendre inutiles, en les employant trop souvent & sans une veritable necessité. Car on s'accoutume aux reprehensions & aux corrections, comme à toutes les autres choses de la vie ; & à force de les éprouver continuellement, on n'y pense plus, & on en perd le sentiment. Cela est évident, & on en fait tous les jours l'experience ; les peres qui reprennent & qui querellent incessament leurs enfans, en sont bien moins obéis que les autres, & n'ont presque point de crédit sur leur esprit. C'est pourquoi ceux qui veulent conserver leur autorité, doivent la ménager, & n'avoir recours aux reprimandes & aux peines que dans des occasions importantes, & lorsqu'ils y sont obligez, pour venger la gloire de Dieu que l'on outrage, pour répriprimer les excès qui se commettent dans leurs familles, & pour procurer le bien de leurs enfans.
Ce sont-là les avis que j'ai crû devoir donner aux peres & aux meres touchant l'éducation de leurs enfans.  On pourroit encore en ajoûter plusieurs autres, car cette matiere est tres abondante ; & les saints Peres en ont traité en plusieurs de leurs Ouvrages.
Mais ceux que j'ai expliquez sont les plus importantes, & sussisent pour le commun des Fideles. Ceux qui voudront 276 en sçavoir davantage, pourront consulter plusieurs livres excellens, qui ont été composez pour apprendre aux gens mariez de quelle maniere ils doivent élever & instruire leurs enfans. Ils y trouveront tout ce qu'on peut desirer sur ce sujet, & l'on espere qu'ils en seront édifiez.
Bandeau.

CHAPITRE. XXIII.

Comme il faut que les peres & les meres conduisent leurs enfans lorsqu'ils sont grands ; qu'ils doivent les aimer d'un amour non seulement naturel, mais saint & chrétien ; qu'ils sont obligez de consentir qu'ils les quittent, & qu'ils se separent d'eux pour servir Dieu, & pour travailler à leur salut.
C'Est proprement pendant les premieres années de la vie des enfans, & lorsqu'ils sont encore fort jeunes, que leurs parens sont obligez de veiller sur eux ; qu'ils peuvent les conduire avec une autorité absolue, & qu'ils doivent s'appliquer particulierement à leur donner une bonne éducation ; car alors ils ont plus de pouvoir sur eux, & il leur est plus facile fe de dompter leurs passions, & de leur inspirer des sentiments chré 277 tiens, & conformes aux maximes de l'Evangile. Mais après ce tems-là leurs enfans étant plus raisonnables, & plus maîtres d'eux-mêmes, ils doivent changer de conduite à leur égard, & les traiter d'une maniere proportionnée à leur âge. Il ne faut plus qu'ils exercent sur eux un empire despotique, ni qu'ils les obligent de leur rendre une obéissanre aveugle ; car cela ne convient pas à leur état.  Ils doivent au contraire leur témoigner beaucoup de bonté & de douceur ; s'ouvrir à eux de leurs desseins, leur faire concevoir l'utilité des entreprises qu'ils forment ; les engager par raison à faire leur devoir ; les consulter quelquefois sur les choses qu'ils veulent exiger d'eux ; les porter à s'y soumettre volontairement; & se les rendre affectionnez par des manieres d'agir honnêtes & obligeantes, qui soient propres non seulement à les gagner & à les attirer, mais aussi à les maintenir dans le respect & dans l'obéissance.
Pourquoi les peres n'agiroient-ils pas de la sorte, avec leurs enfans, lorsqu'ils ont déja quelque âge,& qu'ils sont devenus hommes ; puisque Dieu nous ménage, pour ainsi dire, & qu'il a des égards pour nous, quoique nous soyons ses creatures, & que nous dépendions infiniment plus de lui, que les en 278 Sapient. 12. 18. fans ne dépendent de leurs propres peres, Comme vous étes le dominateur souverain, lui dit le Sage, vous êtes lent & tranquille dans vos jugments, & vous nous gouvernez avec une grande reserve.  Tu autem dominator virtutis, cum traquillitate judicas, & cum magna reverentia disponis nos.
Ainsi il faut qu'ils considerent quelles font leurs inclinations afin de les suivre adroitement lorsqu'elles sont justes & legitimes; qu'ils ne les obligent point à des choses ausquelles ils ont trop de repugnance; qu'ils s'abstiennent de leur faire des commandemens absolus, toutes les fois qu'ils ont lieu d'esperer qu'ils se rendront aux avis salutaires qu'ils leur donneront ; qu'ils s'efforcent de supprimer toutes les paroles dures & austeres, Tertull. de orat. c. 2. Aug. de Morib. Eccl.c. 30.l.5 ff. ad leg. Pompeiâ, de Parricidiis. & de n'agir avec eux que par les voies de la douceur & de l'honnêteté ; qu'ils les ménagent autant qu'ils le peuvent, sans neanmoins souffrir qu'ils manquent au respect qui leur est dû, & qu'ils les conduisent plutôt par raison que par autorité. Tertullien, saint Augustin, & les Jurisconsultes mêmes veulent sans doute nous insinuer toutes ces veritez, lorsqu'ils disent que le nom de pere n'est pas moins un nom de bonté que d'auttorité ; que la domination que les peres exercent sur leurs enfans, est une domi 279 nation d'amour ; & que la puissance paternelle doit plutôt se faire sentir & se manifester par des bienfaits & par des témoignages d'amitié, que par des menaces & par la rigueur.
Après avoir parlé aux peres de la maniere dont ils sont obligez de conduire leurs enfans, lorsqu'ils ont passé l'adolescence, & leur avoir fait voir que l'amour est le principal fondement de leur autorité, & qu'il en doit regler l'exercice ; il faut maintenant leur prouver, qu'ils doivent les aimer, non d'un amour humain & charnel, mais saint & chrétien: car c'est en ce point que manquent une infinité des personnes. On en voit tous les jours qui aiment leurs enfans par des raisons charnelles & terrestres; parcequ'ils les trouvent bienfaits, que leur humeur leur revient, qu'ils leur ressemblent; parcequ'ils les croient propres à soutenir la grandeur de leur maison, & à seconder leurs desseins ambitieux; parcequ'ils s'imaginent qu'ils sont adroits & capables de pousser loin leur fortune.
Il y en a d'autres qui font consister leur amour pour leurs enfans, à les élever d'une maniere molle & effeminée ; qui dissimulent leurs défauts, & ne les en reprennent point, de crainte de les contrister ; qui ne pensent qu'à les ren 280 dre riches & puissans sur la terre ; qui sont contens pourvû qu'ils les voyent pleins de santé, & qu'ils remarquent qu'ils soient sages & prudens selon le siecle; & qui ne s'inquiettent, ni de leurs mœurs, ni de leur salut.  Il y en a enfin qui ne les aiment que par amour propre, ou plutôt qui s'aiment eux-mêmes dans leurs enfans, & qui rapportent à leurs propres personnes l'amour qu'ils leur témoignent à l'exterieur.  C'est ce que saint Bernard representoit autrefois à un jeune homme, que ses parens sollicitoient de quitter la solitude & de re P. 35.1 tourner avec eux dans le monde. Ce n'est pas vous, lui-disoit-il, qu'ils aiment, mais ils s'aiment eux-mêmes ; ils cherchent à se satisfaire en vous voyant auprès d'eux, & en vous possedant ; & vous pourriez fort bien, pour les obliger à vous laisser en repos, leur dire ces paroles de JESUS-CHRIST: Si vous m'aimiez veritablement, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vas à mon Pere.
Il est certain qu'un tel amour est tout humain & purement naturel ; car les Heretiques, les Schismatiques48, les Juifs, les Impies, les Payens aiment aussi leurs enfans en cette maniere ; les animaux mêmes témoignent un amour tres-violent pour leurs petits & exposent tres 281 souvent leur propre vie pour les conferver. Les bêtes les plus feroces, dit saint Serm. 349. Augustin, les Aspics, les Tigres, les Lions aiment leurs petits. Il n'y a aucuns de ces animaux qui ne flattent leurs petits, & qui ne leur témoignent quelque humanité par leurs plaintes & par leurs mugissemens qu'ils adoucissent pour les caresser. Ils effrayent les hommes par leur cruauté, mais ils n'ont que de la douceur pour leurs petits. Le Lion rugit dans les fôrets pour en éloigner les passans ; mais vientil à entrer dans la caverne où sont ses lionceaux ? il quitte sa rage et sa ferocité, & paroît doux comme un agneau. On doit par consequent conclure, qu'il seroit absolument indigne des Chrétiens de ne se déterminer à aimer leurs enfans, que par les motifs & par les raisons qu'on vient d'expliquer. En effet ne leur seroit-il pas honteux de n'avoir pour eux qu'un amour semblable à celui des infideles & des impies, & même des animaux les plus sauvages.
Il faut donc qu'ils les aiment d'un amour saint & spirituel, c'est à-dire, dans la vûe de Dieu, par rapport à l'autre vie, & pour leur procurer les biens éternels. Il faut qu'à l'exemple de saint Paul ils les ayent toujours dans leur cœur pour les offrir à Dieu ; qu'ils tra 282 Philip. 1. 7. Ephes. 4. 13. & sequent. vaillent continuellement à les perfectionner & à les faire croître en toutes choses dans JESUS-CHRIST, qui est notre Chef ; & qu'ils ne cessent point de les instruire & de les exhorter, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à cet état d'un homme parfait dont parle le grand Apôtre, & à la mesure de l'âge & de la plenitude selon laquelle JESUS-CHRIST doit être formé en nous.  Il faut qu'ils ayent tant d'ardeur & tant de zele pour Galat.4. 39. leur salut, qu'ils puissent dire auss bien que ce saint Docteur des nations, qu'ils sentent de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que JESUSCHRIST soit formé dans leur cœur. Philip. I. 8.9. & s. Il faut qu'ils ayent toujours presentes à leur esprit ces paroles du même Apôtre, Dieu m'est témoin avec quelle tendresse je vous aime tous dans les entrailles de JESUSCHRIST ; & ce que je lui demande, est que votre charité croisse de plus en plus en lumiere & en intelligence, afin que vous sçachez discerner ce qui est meilleur & plus utile ; que vous soyez purs & sinceres ; que vous marchiez jusqu'au jour de JESUSCHRIST sans que votre course soit interrompue par aucune chute, & que pour la gloire & la louange de Dieu, vous soyez remplis des fruits de Justice par JESUSCHRIST notre Seigneur.   Il faut disje, qu'ils pensent sans cesse à ces admi 283 rables paroles de saint Paul ; car elles leur aprendront qu'ils ne doivent aimer leurs enfans que dans JESUS-CHRIST & pour JESUS-CHRIST ; que ce qu'ils doivent principalement demander à Dieu pour eux, c'est qu'ils ayent une charité pleine de lumiere & d'intelligence, afin qu'ils puissent discerner ce qui leur est veritablement utile par rapport au salut ; qu'ils doivent faire tous leurs efforts pour les garantir des fautes & des chutes qui sont si ordinaires aux autres enfans; qu'ils doivent enfin les exercer dans la pratique des bonnes oeuvres, & aporter tous leurs soins pour en faire de veritables Chrétiens, & de fideles Disciples de JESUS-CHRIST.
Voilà ce qu'on appelle dans la Morale de l' Évangile aimer ses enfans; il n'est pas défendu aux peres & aux meres de penser à leur établissement ; on prouvera au contraire dans la suite qu'ils y sont obligez : mais on prétend que leur amour est illicite & tres mal reglé, lorsqu'ils ne travaillent qu'à leur procurer des biens & des avantages temporels, sans jamais rien faire pour leur salut. L'on soûtient qu'ils doivent d'abord leur inspirer l'amour de la vertu, & les former dans la justice chrétienne; après qu'ils ont satisfait à ce devoir, on leur permet de s'appliquer à les pourvoir & 284 à les établir dans le monde.
Il faut ajouter que s'il arrive que leurs enfans, qu'ils ont ainsi élevez & instruits, témoignent avoir de l'éloignement pour le siecle, & qu'ils desirent se consacrer à Dieu d'une maniere particuliere, soit en embrassant la solitude, ou en entrant dans la Clericature, ils sont obligez d'y consentir, & de seconder leurs bonnes intentions. L'on peut même dire que c'est là le grand moyen de reconnoître s'ils ont pour eux un amour sincere & veritablement chrétien. Car s'ils ne les aiment que dans la vûe de Dieu, pourquoi prétendent-ils les empêcher de se donner à lui ? & pourquoi s'opposent ils à leurs bons desseins ? C'est abuser de l'autorité que Dieu leur a donnée, & s'en servir contre lui-même.  Il les a établis les chefs de leurs familles ; il les a rendu les dépositaires de sa puissance, non pour détourner leurs enfans de son service & de la voye de la perfection, mais pour les y porter & les y engager.   Lorsqu'ils en usent autrement, ils sont des prévaricateurs; ils se rendent criminels à ses yeux ; ils meritent de perdre l'autorité qu'il leur avoit confiée ; & leurs enfans ne sont pas obligez de leur obéir, & de déferer à leurs volontez.  Toutes ces maximes sont constantes, & con 285 formes à l'Ecriture & à la doctrine des saints Peres de l'Eglise, on va le justifier.
Les Lévites sont louez dans le Deuteronome de ce que s'agissant de soutenir la gloire de Dieu, & de venger l'injure que les Israëlites lui avoient faite en adorant le Veau d'or, ils n'eurent aucun égard à leurs parens, ni à leurs amis; qu'- ils s'éleverent genereusement au-dessus Deut. 33. 9. de toutes les considerations humaines ; qu'ils dirent à leurs peres & à leurs meres, nous ne vous connoissons point ; & à leurs freres, nous ne sçavons qui vous étes, & pour executer les ordres qu'il leur avoit donnez par l'entremise de Moyse.
C'est-là un exemple illustre de ce que sont obligez de faire tous ceux qui veulent renoncer au monde, & travailler serieusement à leur salut; ils doivent fermer leurs oreilles à toutes les fausses persuasions de leurs parens, qui s'efforcent de les retenir dans le siecle ; ils doivent leur dire, nous ne vous connoissons plus, & nous ne sçavons qui vous étes : nous cherchons Dieu, & nous sommes resolus de tout sacrifier pour le trouver, pour le servir, & pour nous unir à lui.
Mais il faut passer au nouveau Testament ; car cette verité y est établie d'une 286 maniere encore plus claire & plus évidente. J.C. dit à ses Disciples dans l'Évangile: Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre: je ne suis pas venu y apporter la paix, mais l'épée: car je suis venu separer le fils d'avec le pere, la fille d'avec la mere, & la belle fille d'avec la belle mere ; & l'homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison.  Celui Luc. 14. c.6. qui aime son pere ou sa mere plus que moi, n'est pas digne de moi. Si quelqu'un vient à moi, & ne hait pas son pere & sa mere, sa femme, ses enfans, ses freres & ses soeurs, & même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.Ces paroles sacrées sorties de la bouche de la verité même, prouvent que les peres & les meres sont obligez de consentir que leurs enfans les quittent & s'éloignent d'eux pour tendre à la perfection, & pour s'occuper uniquement de leur salut ; car c'est-là la separation que ce divin Sauveur est venu faire sur la terre. Il Math. c.4. 40. prend l'un, & laisse l'autre, dit l'Évangile ; il attire souvent les enfans à son service, pendant que ceux qui les ont mis au monde, demeurent dans l'embarras & dans le tumulte du siecle. Elles prouvent aussi que les enfans ne sont pas obligez d'avoir égard aux oppositions de leurs parens,qui les détournent d'executer leurs bons desseins ; & 287 que bien loin de les écouter en cette rencontre, ils doivent les regarder comme leurs ennemis, & même les haïr, c'est-à-dire, mépriser tout ce qu'ils leur representent pour les porter à changer de résolution.
Ce divin Sauveur a même assez fait connoître par sa conduite que les enfans ne doivent point considerer les desirs & les inclinations de leurs parens, ni s'y arrêter, lorsqu'il s'agit de la gloire de Dieu, & du service de l'Eglise. Car il se sépara de sa sainte Mere & de saint Joseph dès l'âge de douze ans pour aller instruire dans le Temple de Jerusalem les Docteurs de la loi, en leur proposant des questions pleines de sagesse & Luc. 2. 48. 29. de prudence ; & lorsque la sainte Vierge lui dit ensuite, Mon fils, pourquoi avezvous ainsi agi avec nous? Voilà vôtre pere & moi qui vous cherchions étant tout affligez : Il leur répondit ; Pourqoui est-ce que vous me cherchiez ? Ne sçaviez-vous pas qu'il faut que je sois occupé à ce qui regarde le service de mon Pere? marquant par là que les enfans qui veulent se donner à Dieu, doivent s'élever au dessus des considerations de la chair & du sang, & qu'ils ne sont pas obligez de déserer à toutes les volontez de leurs parens qui s'opposent à leurs saintes résolutions.
Luc. 12. 47. &
En une autre occasion on lui vint dire 288 sequent. pendant qu'il parloit au peuple, & qu'il l'instruisoit: Voilà vôtre mere & vos freres qui sont dehors & qui vous demandent : mais il répondit à la personne qui lui parloit ainsi; Qui est ma mere & qui sont mes freres ? Et étendant sa main sur ses Disciples, il dit : Voici ma mere, & voici mes freres : car quiconque fait la volonté de mon Pere qui est dans le ciel, celuilà est mon frere, ma soeur & ma mere, nous insinuant encore par cette réponse, qu'il ne faut plus reconnoître pour parens tous ceux qui entreprennent de nous détourner du service de Dieu.
Il ne voulut pas même permettre à Matth.8. 22. un jeune homme d'aller ensevelir son pere, & de lui rendre les derniers devoirs ; il lui ordonna de le suivre sur le champ, afin de faire comprendre à tous les hommes qu'il ne faut point differer sa convension, ni la remettre à un autre tems, fous prétexte d'assister ses propres parens, lors principalement qu'il y a d'autres personnes qui peuvent les secourir.
Pour ce qui est des saints Docteurs de l'Eglise, ils ont tant de fois blâmé les peres & les meres qui resistent aux desirs de leurs enfans, lorsqu'ils veulent se consacrer au service de Dieu ; ils ont dit tant de choses pour fortifier les enfans contre les oppositions de leurs pa 289 rens en de sembables rencontres, que si on vouloit rapporter tous les témoignages, ou en pourroit faire un Traité particulier. C'est pourquoi afin d'éviter une trop grande longueur, je me contenterai d'indiquer leurs principales maximes.
Tertullien observe que JESUS CHRIST disant à celui qui lui annonçoit que sa mere & ses freres demandoient à lui Lib. de carne Christi c. 7. parler : Qui est ma mere & qui sont mes freres ? renonçoit en quelque maniere à ses parens les plus proches qui l'interrompoient, lorsqu'il étoit occupé aux fonctions de son ministere, afin de nous aprendre que nous devons renoncer aux nôtres pour nous donner à Dieu, & nous appliquer entierement à son service.
Saint Ambroise examinant ces mê In Cap. 24. Luc. mes paroles de JESUS-CHRIST, dit que ce divin Sauveur, en parlant ainsi, a voulu nous marquer qu'encore que la loy de Dieu & celle de la nature nous ordonnent d'aimer & d'honorer nos parens, nous sommes neanmoins obligez de leur preferer le culte de Dieu, & que nous ne devons faire nulle difficulté de les quitter pour suivre celui qui est notre pere par excellence aussi-bien que In cap. 8. Luc. le leur. Il ajoûte que JESUS-CHRIST a voulu accomplir lui-même le précepte qu'il avoit resolu de donner dans la suite 290 à ses Disciples ; & que devant leur commander un jour à venir de quitter leurs parens pour le suivre, il a refusé de reconnoître les siens, & de leur parler, lorsqu'ils venoient le chercher, afin de continuer les fonctions de son ministere.
Il seroit inutile de s'arrêter à prouver que saint Jerôme a crû que les enfans qui veulent se retirer dans la solitude, ne doivent point avoir d'égard aux oppositions de leurs parens : car tous ses Ouvrages sont pleins des exhortations Epist. 10. vives & animées qu'il faisont à ceux qui étoient dans ce dessein, pour les porter à y perseverer. Ainsi il disoit à la veuve Furia49 : honorez votre pere, & obéissez-lui tant qu'il ne vous détournera point du service de Dieu ; mais s'il met quelque obstacle à votre salut: Souvenez-vous de ces paroles de David, & soyez persuadée qu'elles s'adressent à Ps. 44. 12. Epist 47. vous, Ecoutez ma fille, voyez, & prêtez l'oreille ; oubliez votre peuple, & la maison de votre pere. Ainsi il disoit à une jeune fille : N'écoutez point ceux qui vous blâmeront,&qui vous accuseront de cruauté, si vous quittez votre mere pour entrer dans un Monastere ; car votre prétendue cruauté sera une veritable pieté, puisque vous ne prefererez à vôtre mere que celui que vous devez 291 même preferer à votre ame. Ainsi il exhortoit tous les fideles à se séparer de leurs parens, même les plus proches, lorsqu'ils leur étoient une occasion de chute & de scandale ; & il leur disoit In Cap. 10.Matt. pour les y engager, qu'en ces rencontres la haine qu'on témoigne à ses parens, est un effet du grand amour qu'on a pour Dieu : odium in suos, pietas in Epist. I Deum. Ainsi il disoit à Heliodore, pour l'engager à retourner dans le desert qu'il avoit quitté : Quand même vôtre petit neveu se jetteroit à vôtre col, & vous embrasseroit tendrement; quand même votre mere se presenteroit à vous ses cheveux épars, & qu'elle déchireroit ses vêtements pour vous faire voit le sein dont elle vous a allaitté ; quand même votre pere seroit couché sur le seuil de la porte de votre maison pour vous empêcher d'en sortir ; tout cela ne devroit point être capable de vous retenir dans le siecle.Vous seriez votre pere pour vous enfuïr hors du monde, & pour éviter sa corruption. Il seroit de vôtre devoir de courir avec ardeur vers la Croix, & sans verser au cunes larmes : & vôtre pieté n'eclatteroit jamais davantage, qu'en témoignant de la cruauté en une telle rencontre.
292 In Ps. 44.
Saint Augustin examinant ces paroles du Pseaume 44. O fort invincible, armez-vous de votre épée! dit que la parole de Dieu est cette épée dont parle le Prophete ; qu'elle sépare le fils du pere, la fille de la mere, la bru de la belle mere, comme il est marqué dans l'Evangile ; qu'on voit souvent arriver de ces fortes de séparations & de divisions ; qu'un fils, par exemple, forme le dessein de servir Dieu; mais que son pere s'y oppose ; que celui-ci promet son fils de lui donner de grands biens sur la terre, & de la rendre fort riche dans le monde ; que le fils au contraire soupirant après la Jerusalem celeste, méprise tous ces avantages temporels ; que cela les divise ; que dans cette conjoncture ce pere ne doit pas s'imaginer que son fils lui fasse injure, puisqu'il ne lui prefere que Dieu ; & que l'oppositionqu'il forme à ses saintes resolutions est vaine & inutile, parceque ce glaive spirituel qui opere cette séparation entre le pere & le fils, est plus fort que la nature, & a le pouvoir de séparer des personnes qu'elle avoit si étoitement unies.
In Psal. 127.
Ce saint Docteur dit encore en un autre lieu, que bien loin que des peres chrétiens aient droit de se plaindre de ce que leurs enfans les quittent pour se 293 donner Dieu, ils doivent au contraire se réjouir de ce qu'ils leurs preferent le Createur, & qu'ils se séparent d'eux pour suivre celui dont ils ont reçû l'être, & qui est leur veritable Pere.
Luc. 24 26. Matth.4. 44. Ephes. 5. 25.
L'on a vû ci-devant que JESUSCHRIST dit dans L'Evangile : Si quelqu'un vient à moi, & ne hait pas son pere & sa mere, sa femme, ses enfans, ses freres & ses soeurs, il ne peut pas être mon disciple. Cependant ce divin Sauveur nous ordonne en un autre lieu de L'Evangile d'aimer nos ennemis ; & son Apôtre veut que les maris aiment leurs femmes, comme JESUS-CHRIST a aimé son Eglise. Ces deux preceptes semblent être contraires, & se détruire l'un l'autre ; mais saint Gregoire les concilie, en distinguant dans nos parens ce qui vient de Dieu, & ce qui n'est qu'un effet de leur corruption & de leur aveuglement. Il dit qu'entant qu'ils sont nos parens, Homil 9. 37 in Evangel. & qu'il faut les aime & les honorer sous ce regard. Mais que quand ils nous détournent de la vertu, & qu'ils mettent quelque obstacle à notre salut, ils agissent en pecheurs ; ils sont dans l'aveuglement, ils suivent la corruption de leur coeur ; qu'alors nous corruption de leur coeur ; qu'alors nous sommes obligez de nous déclarer contre eux, 294 & de les haïr ; que c'est même les aimer que de les traiter ainsi ; parce que dans la verité nous aimons nos parens toutes les fois que nous refusons d'écouter les mauvais conseils qu'ils nous donnent, & de suivre les fausses pensées qu'ils tâchent de nous inspirer, & dont ils sont eux-mêmes prévenus.
Ce saint Pape soutient même que l'amour que nous ressentons pour nos parens, ne doit pas être cause que nous nous éloignions tant soit peu de la vertu ; & pour nous le faire mieux comprendre, il rapporte ce qui se passa lorsque les Philistins renvoyerent aux Juifs l'Arche d'Alliance qu'ils avoient prise dans le combat, où les deux fils du Prêtre Heli perirent d'une maniere tres 1. Reg. 6. funeste. Ces infidels la mirent, suivant le conseil de leurs Prêtres, dans un chariot qui étoit trainé par deux vaches, dont les veaux étoient renfermez dans l'étable ; ces vaches marcherent tout droit par le chemin qui conduit à Betsamés50, & evancerent toujours d'un pas égal, en meuglant à la verité, parcequ'elles sentoient leurs veaux, mais sans Lib.7. moral. c. 14. se détourner ni à droit ni à gauche. Il dit que c'est-là figure de la conduite que nous devons tenir lorsque nous cherchinbs Dieu ; que la consideration de nos parens les plus proches ne doit point 295 nous assoiblir, ni nous détourner de nos saintes resolutions ; que nous pouvons à la verité ressentir de la tendresse pour eux ; mais qu'il ne faut pas qu'elle rallentisse notre zele, ni qu'elle nous arrête qu milieu de notre course.
Il y avoit du temps de S.Bernard un jeune homme qui desiroit de se retirer dans la solitude, & qui disseroit toujours d'executer son desin dessein en consideration de sa mere, qu'il aimoit avec beaucoup de tendresse. Ce saint Docteur lui écrivit pour l'exhorter à surmonter cette affection naturelle ;& lui representa qu'encore qu'il y ait ordinairement de l'impieté à mépriser sa mere, c'est neanmoins l'effet d'une tres-grande pieté de la mépriser & de la quitter pour Ep. 104 suivre JESUS-CHRIST. Et si impium est contemnere matrem, contemner tamen propter christum, piissimun est.
Pierre de Blois écrivit aussi à un de ses amis sur le même sujet, & pour le fortifier contre une pareille tentation. Ep. 21. Je sçai, lui dit-il, que vos parens veulent vous faire renoncer à la resolution que vous avez formée d'embrasser un état de vie plus parfait : mais prenez garde que l'affection que vous avez pour eux ne vous trompe, & ne vous fasse tomber dans quelque piege dangereux, en vous portant à differer trop  296 long-tems de suivre la pensée que vous avez de vous convertir entierement à Dieu. Il ne faut pas que vous aimiez votre pere & votre mere dans les choses qui sont contre le service de notre Seigneur JESUS-CHRIST, puisque vous êtes obligé de les haïr pour l'amour de lui. Plusieurs ont malheureusement perdu leurs armes à cause de leurs parens ; car l'amour du monde qui étoit presque éteint dans leur coeur, s'y est rallumé de nouveau à leur occasion. C'est être impie, ajoûte-t-il, que de traiter cruellement son ame pour plaire à son pere & à sa mere ; & il ne sçauroit y avoir une plus grande témerité, que d'aimer mieux se mettre en danger de se perdre, que de contrister ceux que l'on affectionne.
Tant d'autoritez prouvent certainement avec évidence, que les peres & les meres sont obligez de consentir que leurs enfans se séparent d'eux pour servir Dieu dans les differens états ausquels il plaît à sa Providence de les appeller. Je demeure neanmoins d'accord qu'ils ont droit de les examiner, & de les éprouver avant que de leur permettre d'executer leurs desseins, sur-tout s'ils sont encore fort jeunes : car étant leurs tuteurs naturels, & ayant été préposez à leur conduire par le grand Pere de fa 297 mille, ils ne doivent pas souffrir qu'ils fassent rien avec témerité, ni qu'ils embrassent indiscrement un genre de vie qui ne leur convient point, & pour lequel ils n'ont pas reçû les talens d'esprit & de corps qui semblent être necessaires pour y réussir. Il faut qu'ils se conduisent en ces rencontres avec beaucoup de prudence, & par les seules regles de la charité, afin de ne s'opposer pas à ce qui est veritablement utile à leurs enfans, & de ne leur permetre pas aussi d'entrer dans une conditions qui demande des dispositions qu'ils ne remarquent pa en eux.
Jean. 23.
Il faut que suivant le conseil de l'Apôtre S. Jean, ils ne croyent pas à toutes fortes d'esprits, mais qu'ils éprouvent s'ils sont de Dieu, c'est-à-dire, qu'ils examinent sérieusement & sans aucune prévention, s'il y a lieu de croire que le dessein que leurs enfans témoignent avoir de se separer du monde, leur soit inspiré de Dieu, afin de ne pas resister à ses ordres, sous prétexte de maintenir leur autorité ; & de se servir du pouvoir qu'il leur a donné.
Il faut enfin qu'ils se dépoüillent de tout amour propre, & qu'ils ne regardent que ce qui peut contribuer davanrage à la gloire de Dieu, au bien de l'Eglise, & au salut de leurs enfans ; car 298 C'est là l'unique fin qu'ils doivent se proposer.
Bandeau.

CHAPITRE XXIV.

Que les peres & les meres sont obligez d'avoir soin de pouvoir leurs enfans, & de les marier, lorsqu'ils sont portez au Mariage. Mais qu'ils ne doivent jamais les forcer, ni les contraindre dans le choix d'une condition.
Saint Paul dit à son disciple Timothée, comme on l'a déja plusieurs 1 Tim 5. 8. fois observé : Que si quelqu'un n'a pas soins des siens, & particulierement de ceux de sa maison, il renonce à la foy, & est pire 1. Cor. in 22. qu'un infidelle. Il déclare aux Corinthiens que ce n'est pa aux enfans à amasser des tresors pour leurs peres, mais que c'est aux peres à en amasser pour leurs enfans. Ces deux Oracles justifient clairement la verité de ma premiere proposition, que les peres & les meres sont obligez de pourvoir leurs enfans, & de les marier, lorsqu'ils ont inclination pour le Mariage. Car c'est à cela que doit pricipalement se terminer le soin qu'ils ont de leurs familles. En étant les peres & les chefs, leur devoir les engage à veiller sur tout ce 299 qui s'y passe ; rien ne doit s'y faire sans lerus ordres & sans leur participation ; & c'est à eux à y appliquer chacun à son emploi & à son ministere. Leurs richesses ne snt pas tant à eux qu'à leurs enfans ; c'est en leur consideration que l'Apôtre leur permet d'en acquerir ; & par consequent ils doivent les employer à les pouvoir & à les marier : sans cela leurs épargnes & leurs acquisitions sont suspectes d'avarice, & deviennent criminelles.
cap. 9.
L'on trouve plusieurs Decrets dans les Conciles qui prouvent cette obligation des peres & des meres. Celui de Pavie de l'an 850.se plaint en des termes tresforts de ceux qui ayant des filles nubiles, n'ont pas soin de les marier, & de leur chercher des partis convenable. Il dit qu'il arrive souvent de-là qu'elles se répandent dans le monde ; qu'elles se corrompent, & qu'elles s'abandonnent à des amours illicites. Il ordonne aux Prêtres & aux Pasteurs d'avertit les peres & les meres de les marier de bonne heure, & de prévenir par ce moyen les desordres ausquels l'impetuosité de leur âge les pourroit porter. Il ajoûte, que s'ils neglignent de le faire après en avoir été avertis, & que leurs filles viennent ensuite à se perdre & à se prostituer, il faut leur imposer une severe penitence, 300 pour les punir de n'avoir pas voulu les pourvoir, suivant l'avis de leurs Pasteurs.
Le Concile Provincial de Cologne de l'an 1536. veut aussi que les Curez aient soin de tems en tems d'avertir les peres Cap. 43. & les meres de marier leurs enfans. L'on pourroit encore alleguer d'autres Conciles pour confirmer cette proposition : mais ceux-ci sussisent, & il n'est pas besoin de grossir ce chapitre par de nouvelles citations qui ne diroient que la même chose.
ss. de ritn nupt. l. 19.
Le Droit Civil contient aussi plusieurs dispositions importantes sur ce sujet. Il y a des Loix dans le Digeste qui portent que les peres qui ne veulent, ni marier, ni doter leurs enfans, doivent y être contraints par les Proconsuls & par les Intendans des Provinces ; & ce qui est tres-remarquable, ces Loix ajoûtent que celui-là est censé empêcher ses enfans de se marier, qui ne se met pas en peine de leur chercher des partis convenables. Prohibere antem videtur, & qui conditionem non querit.
Cod. de inossicioso est.l.19.
Nous apprenons du Code de Justinien, qu'il étoit pemis à un pere d'exhereder sa fille qui s'abandonnoit à la débauche, & qui se prostituoit ; mais il ya une Authentique qui déclare que Authent. sed si post. lorsqu'une fille a passé l'âge de vingtcinq ans, si son pere neglige de la ma 301 rier, & qu'elle se prostitue, ou qu'elle contracte quelque mariage sans son consentement, il ne peut plus l'exhereder. Nouvell. 115.c.3. Et l'Empereur Justinien dit dans une de ses Novelles, qu'une telle fille ne doit être ni punie ni exheredée, parce que ses parens sont plus coupables qu'elle même.
Je n'allegue point ces Constitutions Imperiales pour excuser les enfans qui s'abandonnent à la débauche & à la dissolution, mais je m'en sers seulement pour prouver que les peres & les meres sont obligez de les établir & de les marier; & que lorsqu'ils ne s'acquittent pas de ce devoir, ils commettent une faute considerable, qui mérite que les Loix s'arment contre eux, & les privent d'une partie de l'autorité qu'elles avoient donnée.
Homil. 5. in 1. ad. Thess.
Saint Chrysostome passe plus avant : car non content de dire que les parens sont obligez de pouvoir & de marier leurs enfans, il enseigne qu'ils le doivent faire de bonne heure, sur tout à l'égard des garçons dont ils sont chargez, & qu'ils destinent à vivre dans le siecle. Il soutient que c'est-là la précaution la plus sage & la plus prudence qu'ils puissent prendre pour les preserver de la débauche, qui est si ordinaire aux jeunes gens; pour conserver leur pureté, & pour faire 302 en forte qu'ils portent leurs corps vierges à leurs épouses vierges, & qu'ils vivent avec elles dans une union parfaite. Hom. 1. Anna. Il n'y a rien, leur dit-il, qui soit plus capable d'orner cet âge, que la couronne de la chasteté, qui fait qu'un homme entre pur dans le Mariage, sans s'être jamais souillé par la moindre action d'incontinence. C'est ce qui fait que leurs femmes leur font aimables, parceque leur ame n'ayant pas été préocupée de pensées d'impureté, ni souillée par aucune fornication, ils ne connoissent pas d'autres femmes que celle qui leur est donnée en Mariage. Leur amour en est plus ardent, leur bienveillance plus sincere & plus veritable, & leur amitié plus parfaite.
Ce saint Docteur ajoute que les peres qui different trop long-tems de marier leurs fils, sont cause qu'ils s'accoutument à frequenter des femmes débauchées, qui s'efforcent de leur plaire par leur air en-joué, par leurs privautez, & par leurs manieres affectées & étudiées ; & qu'il arrive de là, que lorsque ces jeunes hommes contractent ensuite mariage ils se dégoutent facilement de leurs femmes, qui sont graves & serieuses, & qui ne veulent pas s'abandonner à des 303 joyes ciminelles, & pleines de dissolution.
Il faut maintenant avertir les gens mariez, qu'encore qu'ils soient obligez de pourvoir & de marier leurs enfans, ils n'ont pas neanmoins droit de les forcer, ni de les contraindre dans le choix d'un état & d'une profession. Car il y a bien de la disserence entre dire,qu'ils doivent leur procurer un établissement, & dire qu'ils puissent user d'empire, & employer de la force & les menaces pour les porter à entrer dans une condition plutôt que dans une autre. La premiere de ces choses est un bon office, & un effet de leur bonté & de leur sollicitude paternelle. Mais la seconde dégenereroit en tyrannie, & contribueroit au malheur de leurs enfans, & peut-être même à leur dammation éternelle : parce que comme ils n'auroient embrassé une profession que par contrainte, ils s'en dégouteroient tres-facilement ; & s'ils ne pouvoient plus s'en dégager, ils se laisseroient aller à des extrémitez funestes; qui attireroient sur eux la colere de Dieu en cette vie, & leur feroient sentir en l'autre le poids de sa justice, & la rigueur de ses vengeances.
Ils peuvent leur representer ce qui leur est le plus utile & le plus avantageux ; leur parler souvent du peril & des ten 304 tations que l'on éprouve dans le siecle, & dans la frequentation du grand monde; leur expliquer le bonheur de ceux qui suivent la vertu, & qui se consecrent au service de Dieu ; leur donner des Maîtres & des Precepteurs qui cultivent leur esprit, & les forment à la pieté, leur faire lire de bons livres qui les instruisent de leurs devoirs & de leurs obligations ; prier pour eux, & attirer sur leurs personnes les graces du Ciel, par leurs larmes &par leurs gémissemens, Aug.lib. 3. Conf. 6. 12. comme fit autrefois sainte Monique : car elle pleuroit ameremet les égaremens de son fils, elle demandoit continuellement à Dieu sa conversion ; & un saint Evêque lui prédit qu'il étoit impossible qu'un fils pleuré avec tant de larmes perît jamais.
Mais il faut qu'ils en demeurent là. Ils ne doivent point forcer leurs inclinations, ni se rendre les maîtres & les arbitres souverains de la profession qu'ils doivent embrasser. Il ne leur est point permis de les déterminer par leur autorité absolue, à un genre particulier de vie; & s'ils le font, ils entreprennent sur les droits de Dieu, à qui seul il apprtient d'appliquer les hommes aux differens ministeres ausquels va Providence les destine.
Que dire aprés cela d'une infinité de 305 peres & de meres qui veulent dominer sur l'esprit & sur le coeur de leurs enfans ; qui les sont entrer dans des emplois ausquels ils ne se sentent point portez, & pour lesquels ils ont même de la repugnance, qui en sacrisent quelques-uns à leur ambition, en les releguant dans les Cloîtres, afin d'élever les autres, & de les faire vivre dans l'opulence ; qui obligent les cadets d'embrasser malgré eux l'état de la Clericature, à laquelle ils ne sont point appellez ; qui les chargent de Benefices, afin de s'enrichir eux-mêmes du patrimoine des pauvres, & de s'exempter de les nourir, en les faisant subister aux dépens de l'Eglise, quoiqu'ils ne lui rendent aucun service ; qui enfin disposent comme il leur plaît de leur sort & de leur établissement, & presque toujours par pur caprice, & pour contenter leurs passions.
Ce qui est encore plus déplorable, la plupart d'entr'eux se servent de leur autorité & employent la force & la violence pour obliger à entrer dans l'état Ecclesiastique, ou dans des Monasteres, ceux de leurs enfans qui ont le moins d'esprit, qui sont difformes dans leur taille, & qui ont quelques défauts naturels. Ils déstinent aux monde ceux qui sont les mieux faits, & dans qui on re 306 marque de plus heureuses dispositions ; ils les choisissent pour soutenir leurs familles, & pour être les heritiers de leurs biens & de leurs dignitez. Mais pour ce qui est des autres, qui n'ont pas été avantagez de la nature, ils en font une offrande à Dieu, & ils les consacrent à son service, contre la désence de la loy, qui Deut. 17. I. Malach. I. 14. ne vouloit pas qu'on offrît au Seigneur des victimes qui eussent quelque tache, ou quelque défaut, & qui prononçoit malediction contre ceux qui prenoient ce qu'il y avoit de moindre dans leurs troupeaux pour en faire la matiere de leurs sacrisices. Cet abus n'est que trop ordinaire parmi les gens du monde. Ils affectent, dit le Concile de Bordeaux tenu en notre siecle, de donner à l'Eglise ceux de leurs enfans qui ont quelque difformité exterieure, & qui sont les moins propres pour les affaires du siecle; ils leur procurent des Benefices, pour les faire subsister aux dépens de l'Eglise, & Concil. Burdigal. an.1624. cap 6. de ordin. n. 2. non pas pour les mettre en état de la servir : ils ne considerent nullement si Dieu les appelle aux saints Ministeres, & aux emplois Ecclesiastiques.
Je scai bien qu'il y en a plusieurs, qui pour témoigner à l'exterieur qu'ils ont de la pieté & de la religion, disent hautement qu'ils ne veulent point gêner leurs enfans dans le choix d'un état, & 307 qu'ils seroient tres-fâchez de les obliger de renoncer au monde, & d'entrer dans des Monasteres contre leur volonté. Mais souvent ce n'est là qu'une illusion, & un déguisement artisicieux dont on se sert pour se faire honneur dans le public, & pour couvrir adroitement son avarice & son ambition, car les effets ne répondent pas toujours à ces belles protestations ; & au lieu de les laisser en une pleine liberté, comme on s'en vante, on les force, & on les contraint d'une maniere tyrannique, à faire tout ce qu'on desire d'eux.
Veut-on, par exemple, qu'une fille soit Religieuse ? on ne lui témoigne que du chagrin & de la mauvaise humeur ; on n'approuve rien de tout ce qu'elle fait, & on y trouve toujours quelque chose à redire ; on cherche continuellement des sujets de la quereller & de la contristier ; on l'éloigne des compagnies, & on la relegue dans quelque appartement séparé, pendant que le reste de la famille se divertit ; on lui refuse des habits convenables à sa condition, & on ne lui en donne que de tres communs, non par modestie, ni par éloignement de la vanité, mais pour lui faire de la peine & pour la chagriner ; on la traite avec froideur & avec indifference, au même tems qu'on fait mille caresses aux autres en 308 fans ; on lui donne à entendre que tout ce que qu'elle dit n'est jamais juste ni à propermet pas de parler: en un mot, on la gêne, & on la contraint en toutes choses, & on agit avec elle comme si elle étoit la derniere des servantes de la maison. Tout cela l'afflige, la met hors d'ellemême, & l'oblige à se jetter dans un Cloître, afin de s'épargner tous ces sujets de chargrin & de douleur, & de chercher parmi des étrangers la paix & la douceur qu'elle ne peut trouver dans sa propre famille.
A-t-on aussi dessein de se défaire d'un garçon? on ne le produit point dans le monde ; on ne produit point dans le monde ; on ne l'entretient pas selon sa qualité ; on lui refuse ce qui est necessaire pour voir ses amis & ses parens ; on ne lui donne aucun emploi ; on le laisse languir dans l'oisivité ; on lui cache, comme s'il étoit un étranger, toutes les affaires de la maison ; on lui insinue qu'il n'a rien à esperer du bien de la famille ; on le neglige en toutes rencontres; souvent même on le méprise ; & par ce moyen on le porte contre son inclination, à prendre le parti des armes, ou à se refugier dans quelque des armes, ou à se refugier dans quelque Monastere.
Que Ceux qui agissent de la forte avec leurs enfans, disent tant qu'ils voudront, qu'ils ne les forcent point à se détermi 309 ner à aucun état, & qu'ils leur laissent une entiere liberté de faire tout ce qu'ils desirent, on n'est pas obligé de les en croire ; puisque leurs actions démentent leurs paroles, & que l'on voit des effets tout contraire aux protestations qui sortent de leur bouche.
On peut même dire qu'il n'y a gueres de violance qui soit plus rude, ni plus difficile à suporter, que celle qu'ils leur font, parcequ'elle est continuelle,qu'elle attaque encore plus leur esprit que leur corps, qu'elle les afflige & les tourmente dans tout ce qui leur est le plus cher, & qu'elle se renouvelle chaque jour à la vûe des graces & des faveurs que reçoivent d'autres personnes qui n'avoient pas tant de droit qu'eux d'en esperer.
Bandeau.

CHAPITRE. XXV

Que les peres & les meres sont obligez de garder l'égalité entre leurs enfans autant que cela leur est possible.
Il est certain qu'il n'y a rien à quoi les peres & les meres doivent plus travailler, qu'à établir & à maintenir la paix entre leurs enfans ; & que c'est-là un des plus riches heritages qu'ils puis 310 sent leur laisser : car tant qu'ils demeurent unis,ils se consolent les uns les autres dans les leurs afflictions ; ils se secourent ; ils s'asslistent mutuellement dans leurs besoins ; ils se soutiennent ; ils se désendent contre ceux qui les attaquent; &ils deviennent formidables à tous leurs Prov.18. 19. ennemis.C'est pourquoi le Sage dit, Que le frere qui est aidé par son frere,est comme une Ville forte, & que leurs jugemens sont comme les barres des portes des Villes. Mais au contraire lorsqu'il y a de la mesintelligence entr'eux,& qu'ils sont divisez, ils ne contribuent qu'à se faire de la peine les uns aux autres : ils détruisent leur propre maison ; ils sont exposez en proye à tous ceux qui les haïssent, & qui entreprennent quelque chose contre eux. Et aussi le même Sage nous assure que le Siegneur déteste & a en horreur celui qui seme la division Prov. 6. 16. & sequent. entre les freres. Il y a six choses, dit-il, que le Seigneur hait,&son ame déteste la septiéme ; les yeux altiers ; la langue amie du mensonge ; les mains qui répandent le sang innocent ; le coeur qui forme de noirs desseins ; les peids legers pour courir au mal; le témoin trompeur qui assure des mensonges ; & celui seme des dissentions parmis les freres.
Or entre tous les moyens dont les pe 311 res & les meres peuvent se servir pour faire vivre leurs enfans dans la paix & dans l'union, il n'y en a gueres de plus puissan ni de plus efficaces, que de garder entr'eux l'égalité, & de n'avantager pas les uns plus que les autres : car comme ils sont pour la plûpart interessez & attachez à la terre, il est bien interessez & attachez à la terre, il est bien difficile qu'ils aiment sincerement ceux de leurs freres, ausquels leurs peres témoignent de la prédilection, & qui leur sont préferez dans la distribution des biens de la famille.
Il n'en faut point chercher d'autres preuves, que dans ce qui se passa entre les enfans du Patriache Jacob. Israël, Gen. 37. 3. 4. tous ses autres enfans, parcequ'il l'avoit eu étant déja vieux, & il lui avoit fait faire une robe de plusieurs couleurs. Qu'arriva-t-il de ces marques d'amitié que ce saint homme donna à Joseph ? tous ses freres s'éleverent contre lui, le persecuterent cruellement, & conspirerent même contre sa vie. Ses freres, ajoûte le Text sacré, voyant que leur pere l'aimoit plus que tous ses autres enfans, le haïssoient, & ne pouvaient lui parler sans aigreur.
Jacob avoit lui-même éprouvé des effets d'une pareille prédilection : car Esaü son frere voyant qu'il étoit moins 312 convideré que lui par Isaac leur pare, & par Rebeca leur mere commune, il en avoit conçû une furieuse jalousie, & il l'avoit persecuté en toutes rencontres. C'est ce qui a porté les saints Docteurs de l'Eglise à garder, autant qu'ils le peuvent, l'égalité entre leurs enfans, afin de les maintenir dans la paix & dans l'union, & de prévenir la mesintellingence qui pourroit naître entr'eux, s'ils en aimoient & en favorisoient un plus que Lib. de Joseph. Patria. c.2. les autres, Il arrive fort souvent, dit S. Ambroise, que l'affection des peres & des meres est nuisible à leurs enfans, quand elle ne demeure pas dans les bornes d'une juste moderation. Cela arrive, ou que témoignant plus d'affection aux un qu'aux autres, ils éteignent par cette preference, l'amour fraternel qui les devoit tenir unis. Le plus grand avantage qu'un pere puisse procurer à un de ses freres. Comme les peres & les meres, ajoûte ce saint Prelat, ne sçauroient exercer une plus grand liberalité envers leurs enfans, que de procurer qu'il s'entr'aiment ; aussi les enfans ne sçauroient recevoir de leurs peres & de leurs meres un  313 partage plus riche que cet amour & cette union qu'ils établissent entr'eux. Puisque la nature a rendu les enfans égaux, il est juste que ceux qui leur ont donné l'être, les traitement également,& ne témoignent pas plus de faveur aux uns qu'aux autres.
Ce saint Docteur parlant ensuite de l'Histoire des enfans de Jacob, dit qu'il n'y a pas de quoi s'étonner, s'il s'éleve de si grands disserends entre des freres à l'occasion d'une terre ou d'une maison, puisqu'une seule robe excita une envie si furieuse dans la famille de ce Patriache: il ajoûte neamoins qu'il ne faut pas blâmer ce saint homme, d'avoir preferé un de ses enfans à tous les autres ; parceque s'il l'a fait, & s'il lui a témoigné plus d'amour, ç'a été seulement à cause de la vertu & des grandes qualitez qu'il prévoyoit devoir éclater un jour en lui. Ainsi, dit-il, on ne doit pas tant le regarder comme un pere qui prefere un de ses enfans aux autres, que comme un Prophete qui annonce un mystere qui doit arriver ; c'est avec beaucoup de raison qu'il lui donna une robe de differentes couleurs, parceque c'étoit un pronostique des differentes vertus qui devoient éclater en lui dans la fuite, & le relever au dessus de tous ses freres.
314 Ce saint Pere se sert encore de ce même principe pour justifier la conduite de Rebecca, qui témoigna plus d'amour à Jacob qu'à Esaü, & qui porta son mari Isaac à lui donner sa benediction au pré Lib. 1. de Jacab. c. 2. judice de l'aîné. Elle ne preferoit pas tant, dit-il, un de ses fils a l'autre, que la vertu au vice. Elle avoit plus d'égard dans la préference qu'elle donnoit à Jacob, au mystere qu'il figuroit, qu'à sa personne particuliere ; & elle n'avoit pas tant dessein de l'élever audessus de son frere, que de l'offrir à Dieu, & de le rendre dépositaire d'un don tres précieux, parcequ'elle sçavoit qu'il auroit beaucoup de soin de le conserver. Il avertit en même tems les Fideles qui n'ont pas le don de penétrer dans les myteres futurs comme Isaac & Rebecca, de ne pas entreprendre d'imiter leur conduite en cette rencontre, de peur d'exciter le trouble dans leurs familles, & de se rendre eux-mêmes coupables d'une injuste préference. Il faut, leur dit-il, que les peres & les meres prennent bien garde de ne pas suivre leur exemple & de ne pas commettre cette injustice à l'égard de leurs enfans, que d'en élever un, en rabaissant & en méprisant tous les autres ; car cela nourrit presque toujours des querelles &  315 des ininitiez entr'eux ; & quelquefois un peu de bien qu'on laisse à un en parculier, porte les autres à commettre des crimes & des meurtres. Il faut donc leur témoigner à tous un amour égal ; & s'il arrive que l'humeur douce de quelques-uns, ou que la ressemblance exterieure soit cause qu'on ressente plus d'inclination pour eux, on est neamoins obligé de leur rendre à tous justice.
Ce saint Docteur repete ensuite ce qu'on déja rapporté, que le plus grand bien qu'on puisse procurer à un de ses enfans pour qui on a de la prédilection, c'est de lui concilier l'amour & la bienveillance de ses fres ; & qu'au contraire on ne sçauroit lui faire plus de tort, que de lui attirer l'envie & la haine de toute sa famille, en voulant le préferer à tous les autres.
Enfin ce grand Archevêque dit generalement à tous les peres, qu'ils ne doivent point mettre de distinction en Lib.5 lexam.c 18. tre leurs enfans dans la distribution de leurs biens, puisque la nature leur donne à tous une même naissance, & leur distribuë également les choses qui sont les plus necessaires à la vie.
La Constitution de Justinien est tresconsiderable sur ce sujet. Cet Empereur dit qu'autrefois par de vaines subtili 316 tez, on établissoit une grande difference entre les enfans, dans les successions qui se recueilloient en vertu des Testament, & qu'on y traitoit bien moins favorablement les filles que les garçons. Il en donne plusieurs exemples qu'il n'est pas necessaire d'expliquer en particulier ; il abolit toutes ces differences, comme étant abusives ; Cod. de l. prat. vel. exhered. l. 4. & voici la raison qu'il en donne : ceux, dit-il, qui font ces sont de distinctions,semblent vouloir accuser la nature, & la blâmer de ce qu'elle ne fait pas que tous les enfans qui viennent au monde soient des garçons. Qui tales differentias inducunt, quasi natura accusatores existunt, cur non totos masculos generavit.
On peut dire avec ce grand Empereur, qu'il y a aujourd'hui beaucoup de peres & des meres qui blâment & qui censurent la nature. Ce sont ceux qui pour élever & enrichir quelques uns de leurs enfans, qu'elle a eu tort de leur en donner d'autres que ceux pour qui ils ont de la prédilection ; qu'elle étoit obligée de mettre des bornes à sa secondité ; & qu'elle ne devoit pas les charger d'une si nombreuse famille, afin qu'ils pusse plus facilement con 317 tenter leur ambiton, en établissant puissamment leurs aînez, & en les faisant monter aux premieres dignitez.
J'ajoûterai maintenant avec Salvien, que s'il étoit permis de ne pas garder l'égalité entre les enfans, il faudroit sans doute préferer à tous les autres, ceux qui se donnent à Dieu, & qui ont plus de vertu. En effet, dit ce celebre Ecrivain de notre France, dans une lettre qu'il adresse à toute l'Eglise, qu'y a-t-il de plus juste & de plus raisonnable que la volonté des peres & des meres s'accorde avec celle de JESUS-CHRIST ; qu'ils préferent dans la distribution de leurs biens & de leurs charges, ceux que Dieu a preferez par le choix qu'il en a fait pour les attacher à son service ? Heureux celui qui aime ses enfans par le mouvement de l'amour divin ; qui regle la charité qu'il leur porte par celle qu'il doit à JESUS-CHRIST ; qui dans les liens de la nature qui l'attachenent à ses enfans, regarde Dieu comme leur Pere, qui faisant des sacrifices à Dieu de ce que son amour l'oblige de donner à ses enfans, en titre lui-même un gain & un bonheur éternel ; & qu'il distribuë à ses enfans, se procure à lui même une ré  318 compense éternelle, en leur procurant des commoditez temporelles & passageres.
Mais par un éfet de la cupidité qui regne dans le coeur de la plûpart des gens du siecle, il arrive au contraire, que les peres & les meres font presque toûjours ces fortes de préferences en faveur de ceux de leurs enfans qui ont le moins de vertu, & qui se destinent à vivre dans le monde ; & qu'ils privent de leurs biens ceux qui se consacrent au service de Dieu.
Il y a plus d'onze cens ans que le même Salvien s'est plaint de ceux qui tiennent cette conduite. Les peres & les meres, dit-il, suivent des maximes bien differentes de celles que je viens d'expliquer, ils ne laissent jamais moins de bien, qu'à ceux de leurs enfans à qui ils en devroient donner davantage, en vûë de celui au service duquel ils sont engagez ; & ceux le leur famille dont ils font moins d'état, sont ceux que l'esprit de la Religion leur devroit faire considerer davantage. S'ils offrent à Dieu quelques-uns de leurs enfans, ils les considerent moins que tous les autres. Ils jugent indignes de leur succession, ceux qui ont été trouvez dignes d'être consacrez aux Autels ; & l'on peur  319 dire que leurs enfans ne leur deviennent méprisables, que parce qu'ils ont commencé d'être précieux devant Dieu. Ne devroient-ils pas au contraire, ajoûte cet Auteur, s'attacher à laisser du bien à ceux de leurs enfans qu'ils sçavent être capables d'en faire un meilleur usage? & ne seroitil pas convenable qu'ils préferassent ceux qui n'employeront leurs richesses qu'en des oeuvres de charité, à ceux qui les dissiperont en des dépenses vaines & superluës ?
Quelques plaintes que les Pasteurs & ceux qui ont écrit de la Morale Chrétienne, aient fait d'un abus, on n'a pû le déraciner, & il subsiste encore maintenant : car il n'est que trop ordinaire de voir des peres & des meres qui privent de leurs successions, ceux de leurs enfans qu'ils ont destinez à l'Eglise : ils s'efforcent de leur faire avoir quelques Benefices ; souvent même ils se servent pour y réüssir de moyens tout humains, pour ne pas dire criminels ; ils les obligent ensuite de renoncer à toutes les sortes de prétentions sur leurs biens ; ils leur mettent entre les mains le patrimoine de JESUSCHRIST, afin de les frustrere de celui qui leur étoit déstiné par les loix de la nature ; ils les traitent comme 320 des étrangers dans leurs familles, dés qu'ils deviennent les Ministres de JESUSCHRIST, & qu'ils entrent dans sa milice sacrée.
Que ceux qui font tombez dans ce defaut, en gemissent devant Dieu, & qu'ils s'efforcent de le reparer, en rétablissant autant qu'ils le peuvent, l'égalité entre leurs enfans ; que les autres l'évitent avec soin, & qu'ils soient persuadez qu'ils se rendroient responsables du trouble & de la division qui surviendroit dans leur familles, s'ils se laisfoient aller à des prédilections injustes & sans fondement.
Il faut même leur dire avant que de finir ce Chapitre, que tout ce qu'on vient de leur representer, regarde non seulement le partage des biens, mais aussi la distribution des autres faveurs, c'est-à-dire, que comme il ne leur est pas permis d'enrichir quelques-uns de leurs enfans au préjudice des autres, ils ne doivent pas aussi témoigner plus d'affection & de tendresse aux uns qu'- aux autres ; qu'ils sont obligez de les traiter tous à l'exterieur avec la même bonté & la même ouverture de coeur ; qu'il faut qu'ils évitent de se familiarifier trop avec les uns, pendant qu'ils font paroître beaucoup de reserve & d'austerité à l'égard des autres ; qu'il 321 leur est défendu de fournir aux uns toutes sortes d'ornemens & d'ajustemens, au même temps qu'ils refusent aux autres ce qui leur est necessaire. Car de telles préferences font souvent des playes tres profondes dans le coeur des enfans, & excitent entr'eux des froideurs, des jalousies, & même des inimitiez qui durent quelquefois toute leur vie, & les portent à se plaider & à se persecuter avec toute sorte d'animosité. Les exemples n'en sont que trop fréquent ; & l'on remarque tous les jours dans plusieurs familles, que des petites animositez qu'on a entretenuë entre des enfans par des manieres d'agir inégales & peu circonspectes, croissent en eux avec le tems, & se fortifient tellement, qu'elles dégenerent en des passions tres-grandes & tres funestes, qu'il est impossible de moderer & d'arrêter dans la suite : semblables à ces monstres, qui deviennent terribles & insurmontables, parce qu'on a negligé de les éteindre & de les étouffer lorsqu'ils étoient encore jeunes, & qu'ils commençoient à paroître.
Bandeau. 322

CHAPITRE XXVI.

Que les peres & les meres doivent bien prendre garde de ne pas tomber dans l'avarice à l'occasion de leurs enfans ; & que l'amour qu'ils leur portent ne jusitifie & n'excuse point leur avidité pour les biens de la terre.
Je demeure d'accord que les peres & les meres sont obligez d'établir leurs enfans, comme je l'ai cy-devant prouvé ; & que par consequent ils doivent travailler à leur amasser du bien, afin de leur donner moyen de subsister, & d'entretenir leurs familles. Mais je soûtiens en même temps qu'il faut qu'ils veillent avec beaucoup de soin sur euxmêmes, de peur de se laisser surprendre à leur amour propre, & de tomber dans l'avarice, qui se couvre souvent du nom specieux des enfans, & qui s'efforce de faire passer pour des épargnes justes & raisonnables, des acquisitions qui ne sont que l'effet d'une cupidité desordonnée pour les biens de la terre.
Le Prophete Roy déclare que tous ceux-là sont vains & fols, qui se pei 323 nent & qui se fatiguent continuellement pour amasser des richesses, parce qu'ils ne sçavent pas qui les recueillera Ps. 38. 8 9. 10. & les possedera après eux. Certes, ditil, tout homme vivant est un abîme de vanité. L'homme passe sa vie dans les ombres, & c'est en vain qu'il s'inquiete. Il amasse des tressors, & il ne sçait qui en recueillera le fruit. Ainsi selon ce saint Roy, c'est une chose vaine & ridicule, même à ceux qui ont des enfans, de travailler avec trop d'empressement pour acquerir des richesses temporelles, parce qu'ils ne sçavent pas quels heritiers ils auront, ni si leurs enfans recueilleront leur succession.
Le Prophete Habacuc parle encore plus fortement contre les peres, qui pour enrichir leur famille, se laissent aller l'avarice, qui courent avec trop d'ardeur après les biens de la terre ; & qui pour en amasser, se servent même quelquefois de moyens injustes. Mal- Habc. 5. 9. heur, dit-il, à celui qui amasse du bien par une avarice criminelle pour établir sa maison, & pour mettre son nid les plus haut qu'il pourra, s'imaginant qu'il sera ainsi à couvert de tous les maux. Il déclare ensuite que tous ceux qui tiennent une telle conduite, en seront punis un jour à venir, & que leur avarice & leurs injustices armeront contr'eux la Justice 324 divine. Vos grands deffeins pour v maison, ajoute t-il , en seront la honte ; vous avez ruiné plusieurs peuples, & votre ame s'est plongée dans le peché : mais la pierre criera criera contre vous du milieu de la muraille, & le bois qui sert à lier le bâtiment, rendra témoignage contre vous.
Le Sage enseigne aussi que bien loin que les peres qui ont tant d'avidité pour les biens de la terre, rendent par là leurs enfans plus heureux, ils contribuent au contraire tres-souvent à augmenter leurs peines & leurs inquietu Prov. 15. 27. des : c'est pourquoi il dit, que l'avare met le trouble dans sa propre maison
Mais l'on trouve dans saints Docteurs de l'Eglise, de tres belles instructions sur ce sujet, & qui comprennent même tout ce que l'Ecriture contient de plus fort contre l'avarice des peres & des meres ; ainsi il suffira de les expliquer aux fideles, afin de les fortifier contre ce peché, & de les en détourner de plus en plus.
Homil. 2 1.
Saint Basile represente à ses peuples que la consideration de leurs enfans ne doit point être cause quils se portent à l'avarice; que la pieté est le plus grand tresor qu'ils puissent leur laisser ; qu'il faut qu'ils s'étudient à les bien élever & à les rendre vertueux, & que c'est 325 à le moyen de leur acquerir beaucoup d'amis & de protecteurs ; que s'ils s'appliquent à la pratique des bonnes oeuvres, & s'ils ont soin d'assister les pauvres, & de faire de grandes aumônes, tout le monde sera porté à secourir & à assister leurs enfans lorsqu'ils viendront à mourir. Mais que s'ils sont durs & impitoyables envers ceux qui souffrent la pauvreté, & qui manquent des choses nécessaires, & s'ils commettent des injustices pour augmenter leurs biens, & pour établir leur maison, ils laisseront à leurs enfans la haine du public ; que personne ne se mettra en peine de les défendre & de les proteger ; & qu'au contraire on se réjoüira de leur infortune & on prendra plaisir à les humilier & à les dépoüiller de leurs possessions.
Ne vous servez donc point, leur dit-il ensuite, du pretexte de vos enfans, pour pallier & pour justifier votre avarice & vos iniquitez ; car ils ont un même Pere que vous, & celui qui vous les a donnez aura soin d'eux, & ne manquera pas leur fournir les choses nécessaires à la vie. N'est-ce pas un grand aveuglement de se donner tant de peines & tant d'inquietudes pour acquerir des richesses, sans sçavoir à qui elles ap 326 partiendront un jour à venir? car le Psalmiste dit que les hommes travaillent pour amasser des tresors, & qu'ils ignorent qui en recueillera le fruit. Ceux qui accumulent heritages sur heritages & qui augmentent sans cesse leurs biens & leurs tresors, disent ordinairement qu'ils ne travaillent & qu'ils ne se fatiguent que pour leurs enfans ; mais il n'arrive que trop souvent que les biens qu'ils ont 'amassez avec tant de peine, deviennent la proye des voleurs & des ennemis ; que leurs enfans les consument par leurs dissolutions & par leurs débauches ; ou qu'une famine qui survient les en dépoüille, & les reduit à la mendicité.
Dites-moi, je vous prie, ajoûte -t-il, lorsque vous desiriez d'avoir des enfans & que vous en demandiez à Dieu, ajoûtiez-vous ceci à vos prieres : je vous prie, Seigneur, de me donner des enfans, afin qu'ils me voient une occasion de m'abandonner à l'avarice, & que je sois ensuite que je n'obéïsse point à votre Loi, & que je n'observe plus vos preceptes. Donnez-moi des enfans, afin que je méprise vôtre Evangile. Il est certain que vous n'ajoûtez point cet 327 te condition à vos prieres : mais que vous demandiez à Dieu des enfans pour vous secourir, & vous assister dans les besions de la vie ; c'est aussi pour cela que le Ciel vous en a donné. Instruisez les par vos paroles & encore plus par vos bons exemples, & portez les à servir & à adorer Dieu. Ce sont là les veritables richesses que les peres doivent laisser à leurs enfans ; elles sont sans doute plus pré- cieuses que tout l'or du monde.
Ce saint Archevêque dit encore à ceux qui se mettent tant en peine d'enrichir leurs enfans : Qui est-ce qui vous Hom. in ditescen tes. répondra de leur volonté & de leurs inclinations, & qui vous sera caution qu'ils useront bien des richesses que vous leur laisserez? car elles sont pour plusieurs personnes une occasion de débauche ; & ne sçavez vous pas que l'Ecclesiastique dit: J'ai vû une grande misere & une grande vanité, sçavoir que les richesses deviennent le tournent de ceux qui les conservent ; & encore, je laisse mes biens à un heritier, & qui est-ce qui sçait s'il sera sage ou insensé? Prenez-donc bien garde qu'aprés vous être donné tant de peine, & avoir enduré tant de travaux pour amasser des richesses, vous ne les laissez à des enfans qui s'en  328 servent pour pecher & pour contenter leurs passions; qu'ainsi vous ne soyez doublement puni, & pour les pechez que vous aurez commis, & pour ceux dont vous aurez été la cause. Votre ame ne vous est-elle pas plus chere que tous vos enfans ? donnez-lui donc le premier partage dans votre succession, en vous servant de vos biens pour lui procurer la vie éternelle ; vous leur laisserez de quoi vivre. Il arrive même assez souvent que les enfans qui n'heritent point du bien de leurs peres, en acquierent eux-mêmes, & deviennent fort riches : mais si vous negligez votre ame, qui est-ce qui aura soin & pitié d'elle.
Saint Jean Chrysostome pour détourner les peres & les meres de l'avarice, Hom. 7. in Ep. ad Rom. & pour leur ôter la pensée & le desir d'augmenter à l'infini leurs biens & leurs heritages, leur dit qu'il vaut insiniment mieux laisser ses enfans vertueux que riches ; parce que les richesses ne servent souvent qu'à les précipiter dans la dissolution & dans des vices honteux ; au lieu que la vertu qu'on leur insinuë, les rend amis de Dieu, Hom. 9. in 1. ad. Tim. & leur attire sa protection, Si les enfans sont méchans, ajôute ce Pere, ils  329 ne tirent aucune utilité des biens qu'on leur amasse ; mais s'ils aiment & s'ils pratiquent la vertu, la pauvreté ne sçauroit leur causer aucun préjudice. Voulez-vous laisser votre fils riche, enseignez lui à être vertueux, & à aimer la paix ; car par ce moyen il pourra augmenter ses biens. Quand même il ne seroit pas fort riche, on ne devroit pas pour cela le croire plus malheureux que ceux qui ont de grands biens. Mais au contraire s'il est méchant, toutes les richesses que vous lui amasserez, ne seront pas capables de l'empêcher de se perdre, & il sera beaucoup plus miserable que s'il étoit réduit à une extreme pauvreté. En un mot, lorsque les enfans sont mal élevez, il vaut mieux qu'ils soient pauvres que riches : car la pauvreté arrête leurs passions, les retient dans le devoir, & les empê che de s'emanciper : les richesses au contraire servent souvent d'obstacle à ceux qui veulent bien vivre, & elles ne vous permettent quasi pas de garder la chasteté & la temperance chrétienne, parce qu'elles pervertissent notre coeur, & nous précipitent une infinité de désordres.
Si la plûpart des gens mariez faisoient une réflexion serieuse à la do 330 ctrine de ces deux grands Docteurs de l'Eglise, & s'ils consideroient qu'ils ne sont pas assurez que leurs biens passent à leurs enfans, & que plusieurs accidens imprévûs peuvent les en dépoüiller ; que les richesses sont tresdangereuses pour le salut, & qu'elles contribuent souvent à corrompre & qu'elles contribuent souvent à corrompre & à perdre ceux qui les possedent ; que la pieté est le plus riche heritage qu'ils puissent laisser à leurs enfans, & que pour être peres,ils ne perdent point la qualité de Chrétiens, & qu'ils ne cessent pas d'être obligez de se soumettre aux préceptes de l'Evangile; il est certain qu'ils n'auroient pas tant d'empressement pour les biens de la terre, & que la consideration de leurs enfans ne les porteroit point à faire continuellement de nouvelles acquisitions.
Il n'y a rien aussi qui soit plus propre à réprimer l'avarice des peres & des meres, & à les porter au desinteresse Epist 27. ment, que ce que dit S. Jerôme dans plusieurs de ses Epîtres. Il rapporte que sainte Paule cette Dame si illustre par sa grande naissance, & encore plus par son éminente pieté, ne cessoit point de faire l'aumône à tous ceux étoient dans le besoin, & qu'elle appauvrissoit même ses enfans pour les assister : & que lorsque ses parens lui en faisoient des re 331 proches, elle leur repondoit genereusement, qu'elle ne pouvoit procurer à ses enfans un plus riche heritage que d'attirer sur eux les graces & les misericordes de JESUS-CHRIST. Il ajoûte qu'elle laissa chere fille Eustoquie pauvre des biens de la fortune, mais riche de ceux de la grace.
J'avouë que cette conduite de sainte Paule est peu extraordinaire, & je ne voudrois pas porter tous les gens mariez à l'imiter ; car la prudence chrétienne ne souffre pas qu'on leur conseille de réduire leurs enfans à la pauvreté par leurs aumônes excessives. Et aussi je ne propose pas cet exemple aux fideles comme une loi à laquelle ils soient obligez d'obéïr ; mais j'ai seulement dessein, en l'exposant à leurs yeux, de leur inspirer du mépris pour les richesses temporelles, de les engager à distribuer des aumônes proportionnées à leurs biens & à leurs facultez ; & de leur faire concevoir que Dieu ne leur a pas donné des enfans, pour nourrir & pour fomenter leur avarice.
Voici d'autres pratiques qui sont plus proportionnées à la porte de tout le monde. Une Dame tres-illustre ayant écrit ay même S. Jerôme du fond des 332 Gaules, pour le consulter sur plusieurs difficultez qu'elle trouvoit dans l'Ecriture sainte, ce grand Docteur aprés a Ep. 150. voir répondu à tous ses doutes, lui conseilla de garder une espece d'égalité entr'elle & ses enfans ; d'employer autant de ses biens pour le salut de son ame, qu'elle en destinoit pour pourvoir chacun de ses enfans ; d'adopter JESUS CHRIST au nombre de ses heritiers, & de le rendre le coheritier de ses propres enfans.
Environ le même tems un homme nommé Julien perdit en l'espace de vingt jours sa femme & deux grandes filles qu'il étoit sur le point de marier. Saint Jerôme lui écrivit pour le consoler, & lui manda entr'autres choses, qu'il ne devoit pas exhereder ses deux filles qui venoient de mourir, pour enrichir celle qui lui restoit ; qu'il étoit obligé de leur donner la portion de ses biens qu'elles auroient euë si elles avoient vécu ; qu'il devoit l'employer à nourrir les pauvres ; & que c'étoit là la dot qu'elles lui demandoient. Reservez, lui dit-il, à vos filles qui sont allées à Dieu les biens que vous aviez résolu de