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La Vie Des Gens Mariez



LA VIE
DES
GENS MARIEZ.




LA VIE
DES
GENS MARIEZ,
ou
LES OBLIGATIONS
DE CEUX QUI S'ENGAGENT
DANS LE MARIAGE,
Prouvées par l'Ecriture, par les ſaints Peres,
& par les Conciles.

Par Mr Girard de Ville-Thierry,
Prêtre.

Nouvelle Edition, revûe, corrigée & augmentée. Fleuron. A PARIS,
Chez Antoine Damonneville, Quay
des Augustins, proche la rue Gille-Cœur,
à l'Image S. Eſtienne.
Filet simple.
M. DCC. XXI.
Avec Privilege et Approbation.


Bandeau à motif floral. PREFACE.

Lettrine "I".
IL n'y a point d'état plus
commun que celui du
Mariage : car toutes ſor-
tes de personnes, les ri-
ches & les pauvres , les jeunes
& les vieux, les Princes & les
peuples ſe marient : mais on peut
dire qu'il n'y en a point aussi
dont on ignore davantage les
devoirs & les obligations. On
s'y engage la plûpart du tems
tres - temerairement , & ſans y
faire aucune réflexion ; ou ſi on
en fait quelqu'une , ce n'eſt que
par rapport aux biens de la terre
& aux avantages temporels. On
ne penſe point à s'y préparer par
les pratiques de pieté dont par-
lent les ſaints Peres & les Con-
ciles ; on ne les connoît pas mê-
me; on ſe preſente au pied des
Autels avec un eſprit diſſipé &
ã iij

PREFACE.
plein de trouble pour y recevoir
la benediction du Prêtre : on s'a-
bandonne assez souvent à des ex-
cès honteux le jour même qu'on
ſe marie ; & on ſe prive ainſi des
graces que ce Sacrement auguſte
de la Loi nouvelle a coutume de
conferer.
On ſe conduit ordinairement
dans le Mariage , comme on y
eſt entré , c'eſt à-dire , d'une ma-
niere toute humaine. On s'ima-
gine qu'il donne droit de vivre
dans la moleſſe & dans le relâ-
chement ; qu'on peut y conten-
ter impunément ſes paſſions , &
qu'on a la liberté d'y ſuivre tous
les deſirs & tous les mouvemens
de l'homme charnel & animal.
La paix ne regne pas long-tems
entre des gens qui n'ont point
conſulté Dieu ſur l'alliance qu'ils
vouloient contracter , & qui ne ſe
sont unis que par des motifs d'in-
terêt , d'ambition, ou de ſenſua-
lité ; & bien loin de conſerver
entr'eux une ſainte union , ils ſe

PREFACE.
chagrinent les uns les autres par
leurs mauvaiſes humeurs & par
leurs impatiences ; ils devien-
nent même ennemis en plu-
ſieurs rencontres , & ils ſe perſe-
cutent avec toute ſorte d'animo-
ſité.
La plûpart des gens mariez
étant prévenus de l'eſprit du
monde, il arrive tous les jours
qu'ils commettent une infinité
d'injuſtices dans la diſpenſation
de leurs biens ; tantôt ils les ai-
ment avec excès , & tombent
dans l'avarice ; tantôt ils les dé-
penſent avec profuſion , & les
font ſervir à leurs débauches ; &
l'on en voit pluſieurs qui exci-
tent le trouble & la diviſion dans
leurs familles , par le partage in-
égal qu'ils en font entre leurs hé-
ritiers.
Ils négligent preſque toûjours
de s'appliquer à l'éducation de
leurs enfans , & pluſieurs d'en-
tr'eux leur en donnent une tou-
te païenne , & entierement op-
ã iiij

PREFACE.
poſée à l'eſprit de l'Evangile ; &
par ce moyen ils ſe rendent cou-
pables de la plûpart des abus qui
ſe commettent dans les differentes
conditions , ſoit Eccleſiaſtiques , ou
ſeculieres : car les enfans qu'ils éle-
vent mal , rempliſſent , lorſqu'ils
ſont parvenus à l'âge viril , les char-
ges & les emplois de l'Egliſe & de
la République , & ils y portent or-
dinairement les paſſions & les mau-
vaiſes inclinations dans leſquelles
ils les ont entretenus pendant leur
jeuneſſe.
C'eſt pour prévenir tous ces
maux différens , & pour en garan-
tir les Fideles , que j'ai entrepris
ce Traité. Je leur parle d'abord
de la grandeur & de l'excellence
du Mariage , afin de leur faire con-
cevoir qu'ils ſont obligez de s'y
préparer avec beaucoup de ſoin,
& qu'ils ne doivent y entrer qu'a-
vec des diſpoſitions ſaintes & chré-
tiennes. Je leur explique enſuite
leurs obligations communes , &
puis je deſcens aux devoirs parti-

PREFACE.
culiers des maris & des femmes.
Je leur enſeigne des moyens tres‑
efficaces pour entretenir entr'eux
une union parfaite. Je leur propo-
ſe des regles tres-certaines dont
ils peuvent ſe ſervir dans l'édu-
cation de leurs enfans ; & je leur
marque dans le détail tout ce qu'ils
doivent faire pour ſe ſanctifier dans
cet état.
Et afin de leur ôter tout pré-
texte de dire que je porte trop
loin les choſes , & que j'exige d'eux
une trop grande perfection , je n'a-
vance aucune maxime importan-
te , que je ne la confirme par les
oracles de l'Ecriture, & par les té-
moignages des ſaints Peres , & j'y
joins tres-ſouvent les Decrets des
Papes , & les décisions des Con-
ciles. Ainsi ils ne ſçauroient ſe
plaindre de moi , ni m'accuſer d'ê-
tre trop ſevere ; ou bien il faut
qu'ils s'en prennent à tout ce qu'il
y a de plus ſaint & de plus vene-
rable dans nôtre Religion.
L'état du Mariage étant tres‑
ã v

PREFACE.
commun , comme on l'a déja ob-
ſervé , il s'enſuit que ce Livre qui
traite des obligations qu'il impo-
ſe à ceux qui s'y engagent, re-
garde un tres-grand nombre de
perſonnes.
Ceux qui ſont déja mariez en
tireront pluſieurs avantages tres‑
conſiderables : car ils y verront
les dangers & les écueils qu'ils doi-
vent éviter : ils y apprendront leurs
devoirs les plus importans , &
comment il faut qu'ils ſe condui-
ſent pour ſe rendre agréables à la
divine Majeſté , & ils y trouve-
ront une infinité d'inſtructions &
de veritez qui ſerviront à ſoûtenir
leur foibleſſe , & qui les fortifie-
ront contre les mauvais exemples
de la plûpart des gens du monde,
qui deshonorent la ſainteté du Ma-
riage par leurs déreglemens , &
par leur vie toute payenne.
Les veuves & tous ceux qui ſont
rentrez dans leur premiere liberté
par la mort des perſonnes qu'ils
avoient épouſées , ne laiſſeront pas

PREFACE.
d'en profiter : car en y liſant l'o-
bligation des gens mariez , ils re-
connoîtront les fautes qu'ils ont
commiſes pendant leur Mariage ;
les connoiſſant , ils en demande-
ront pardon à Dieu , & ils auront
ſoin de les effacer par leurs lar-
mes, & de s'en purifier par les tra-
vaux de la penitence.
Les Vierges en pourront auſſi
être édifiées ; car la connoiſſan-
ce qu'elles y puiſeront des gran-
des obligations qu'impoſe le Ma-
riage , & des difficultez qu'on y
éprouve par rapport au ſalut , les
portera à benir ſans ceſſe Dieu
de les en avoir éloignées , & elles
en eſtimeront de plus en plus la
virginité qui les met à l'abri d'un
ſi grand nombre de dangers , &
qui leur fournit en même tems plu-
ſieurs moyens differens pour ſe ſan-
ctifier & pour tendre à la perfe-
ction.
Les jeunes gens qui ne ſe ſont
pas encore ſoumis au joug de la
vie conjugale, mais qui deſirent
ã vj

PREFACE.
de ſe pourvoir , pourront s'y in-
ſtruire des devoirs de cette condi-
tion , avant que de l'embraſſer, &
s'ils reconnoiſſent qu'ils ſont au-
deſſus de leurs forces , & qu'ils ne
pourroient pas s'en aquiter , ils fe-
ront tres-ſagement de s'en priver ,
& d'y renoncer pour toûjours ; &
ils demeureront d'accord qu'on
leur aura rendu un tres-bon office ,
en ne permettant pas qu'ils entraſ-
ſent dans un état , ſans ſçavoir à
quoi il les obligeroit , ni comment
il faut y vivre pour y operer ſon
ſalut.
L'on peut même dire que la
lecture de cet Ouvrage ne ſera
pas entierement inutile à pluſieurs
Eccleſiaſtiques , qui n'ayant pas
toûjours le tems & la commodité
de puiſer dans les ſources, les ma-
ximes qui doivent ſervir à regler
les mœurs & la conduite de ceux
qui vivent dans le Mariage , ſeront
bien-aiſes de les trouver recueillies
dans ce petit volume : car les ayant
preſentes à leur eſprit , ils pourront

PREFACE.
les appliquer ſelon qu'ils le juge-
ront à propos pour le bien des Fi-
deles ; & comme ils ſont pleins de
prudence & de diſcernement , ils
ne manqueront pas de les propor-
tionner à la portée de ceux qu'ils
inſtruiront. Ils ſuppléeront même
à nôtre peu de capacité ; ils for-
tifieront par leurs prieres les ve-
ritez que nous avons propoſées ;
ils les mettront en une plus gran-
de évidence par la force de leurs
diſcours , & par la ſolidité de
leurs raiſonnemens : ils les inſinue-
ront adroitement dans l'eſprit &
dans le cœur de ceux qui ſeront
ſoumis à leur direction.
Nous avons dit pluſieurs fois
dans la ſuite de ce Traité , que nous
ne voulons pas donner de vains
ſcrupules aux Fideles qui le liront ,
& que nous ne condamnions point
ceux qui n'ont pas ſuivi toutes les
maximes que nous avons expli-
quées , ſoit faute d'inſtruction , ou
parcequ'ils n'en ont pas eu le mou-
vement. Nous réiterons cette pro-

PREFACE.
testation en ce lieu ; & nous recon-
noiſſons que toutes les regles que
nous propoſons , ne ſont pas d'une
neceſſité abſolue , & qu'il y en a
pluſieurs qui ne ſont que de ſim-
ples conſeils. Mais comme nous
avions entrepris d'écrire pour tous
ceux qui s'engagent dans le Ma-
riage , il falloit leur parler , non
ſeulement de ce qu'ils ne ſçauroient
omettre , ſans ſe rendre criminels
aux yeux de Dieu , mais auſſi de
ce qui peut les conduire à une plus
grande perfection : car les Chré-
tiens ne doivent point mettre de
bornes à leur juſtice ; & les Paſteurs
& les Prêtres du Seigneur ſont o-
bligez de leur expliquer tout ce
qui eſt capable de contribuer à leur
avancement ſpirituel , à l'exemple
du grand Apôtre , qui diſoit aux
Fideles qu'il étoit pur & innocent
de leur ſang , parcequ'il leur avoit
annoncé tous les deſſeins & toutes
les volontez de Dieu , & qu'il ne
ceſſeroit point de les exhorter &
de leur prêcher les veritez du ſa-

PREFACE.
lut juſqu'à ce qu'il les eût conduit
à l'état de perfection.
Nous eſperons de la divine mi-
ſericorde , que pluſieurs de ceux
qui vivent dans le Mariage , au-
ront ſoin de profiter des ſaintes
maximes que nous leur avons ex-
pliquées , après les avoir nous-mê-
mes appriſes des Livres ſacrez &
des ſaints Peres de l'Eglise, & qu'ils
s'exerceront avec joye dans toutes
les pratiques de pieté que nous
leur avons propoſées. Nous croïons
même que ceux qui n'auront pas
aſſez de force & de zele pour s'y
ſoumettre maintenant , ne laiſſe-
ront pas d'en tirer quelque avan-
tage , parceque lorſqu'ils conſide-
reront qu'ils ſont ſi éloignez de la
perfection qui convient à l'état du
Mariage parmi les Chrétiens , ils
s'en humilieront à leurs propres
yeux , & en gémiront devant Dieu.
Il pourra même arriver dans la ſui-
te que ces veritez , comme une di-
vine ſemence , produiront des
fruits tres-abondans dans la terre

PREFACE.
de leur cœur , & qu'ils embraſſe-
ront avec une ſainte allegreſſe , les
inſtructions qu'ils auront d'abord
rejettées , ou au moins negligées ,
parcequ'ils s'imaginoient qu'elles
étoient trop fortes , & peu propor-
tionnées à leur foibleſſe. Voilà la
fin que nous nous ſommes propo-
ſée , lorſque nous avons entrepris
ce Traité ; & nous nous eſtimerons
tres-heureux , ſi nôtre Seigneur
daigne s'en ſervir pour l'édification
des Fideles.




Cul de lampe à motif floral.


Bandeau à motif floral. TABLE
DES CHAPITRES.
Filet gras. CHAPITRE PREMIER.

DE la grandeur & de l'excellence du
Mariage.
pag. 1
Chap. II. Qu'il n'y a rien de plus mal-
heureux que l'état de ceux qui entrent
mal dans le Mariage, & qui ne s'y con-
duiſent pas par les regles de la charité
& de la pieté chrétienne.
19
Chap. III. Quelles ſont les fins que les
Chrétiens doivent ſe propoſer, lorſqu'ils
s'engagent dans le Mariage.
26
Chap. IV. Que les Fideles qui ſe marient
doivent avoir ſoin de ne s'allier qu'avec
des perſonnes de probité , & qui vivent
d'une maniere chrétienne.
38
Chap. V. Que les ſaints Peres condam-
nent ceux qui voulant s'engager dans le
Mariage , ne ſe mettent en peine que
de trouver des partis riches, & qui leur
plaiſent, ne penſent nullement à la bonne
éducation que peuvent avoir eu les per-

TABLE
ſonnes qu'ils recherchent, & n'examinent
ni leurs mœurs, ni leur conduite.
54
Chap. VI. Que ſelon les ſaints Peres , il
ſeroit à ſouhaiter qu'il y eût égalité ,
ſoit pour l'âge , pour les biens & pour la
naiſſance, entre ceux qui contractent ma-
riage.
66
Chap. VII. Dans quelles diſpoſitions il
faut être pour entrer ſaintement dans le
Mariage ; & comment il faut s'y prepa-
rer.
75
Chap. VIII. Qu'il eſt honteux aux Chré-
tiens de paſſer le jour qu'ils ſe marient
dans des divertiſſements mondains & pro-
phanes , & encore plus dans la débauche
& dans la diſſolution.
84
Chap. IX. Comment ceux qui ont la
crainte de Dieu devant les yeux peuvent
ſe comporter le jour qu'ils ſe marient, afin
de ne rien faire d'indigne de la ſainteté
du Sacrement.
91
Chap. X. Que ceux qui s'engagent dans
le Mariage, doivent y vivre honnête-
ment, & n'y point rechercher le plai-
ſir.
100
Chap. XI. Qu'il faut que les gens ma-
riez ne s'aiment que d'un amour ſaint &
bien reglé , & qu'il y a pluſieurs défauts
qu'ils doivent éviter dans l'amour qu'ils
ont les uns pour les autres.
109
Chap. XII. Que les maris & les femmes
doivent s'exercer à la pieté , & ſe ſan-

DES CHAPITRES.
ctifier les uns les autres. 122
Chap. XIII. De la paix & de l'union
qui doit regner entre les maris & les fem-
mes. Ce qu'il faut qu'ils faſſent pour s'y
maintenir.
137
Chap. XIV. Que ceux qui s'engagent
dans le Mariage ne ſont plus maîtres de
leurs corps. Quelles consequences il faut
tirer de ce principe.
146
Chap. XV. Du peché d'adultere ; qu'il
eſt tres-énorme ; qu'il empêche ceux qui
l'ont commis de ſe marier enſemble ; que
l'un des deux , du mari ou de la femme,
ne peut pas s'y abandonner , même du
conſentement de l'autre ; qu'il eſt défen-
du auſſi-bien aux hommes qu'aux fem-
mes : ſçavoir ſi les maris qui y tombent
ſont aussi, ou moins coupables que les fem-
mes qui y ſuccombent.
155
Chap. XVI. Qu'il faut conſeiller aux
gens mariez de garder la continence les
jours qu'ils doivent approcher de la ſain-
te Euchariſtie. Que cette pratique eſt
autoriſée par l'Ecriture ſainte , par la
docrtine des ſaints Peres, par les Canons
de l'Egliſe , & par l'exemple des Saints,
& des perſonnes de pieté.
168
Chap. XVII. Qu'il faut auſſi conſeiller
aux gens mariez de garder la continence
les jours de jeûne & de penitence. Que
cela doit neanmoins ſe faire d'un com-
mun conſentement.
185

TABLE
Chap. XVIII. Qu'il est naturel aux gens
mariez de deſirer d'avoir des enfans ;
qu'il faut qu'ils reconnoiſſent qu'ils ſont
un don du Ciel. Pour quelle fin ils doi-
vent deſirer d'en avoir. Que les maris
& les femmes qui souhaittent qu'il n'en
naiſſe point de leur Mariage, ſont cou-
pables aux yeux de Dieu. Que ceux qui
éteignent le fruit qui est conçû , & qui
procurent des avortemens, ſont des ho-
micides.
202
Chap. XIX. Du ſoin que les peres & les
meres doivent avoir de faire baptiſer
leurs enfans nouveaux nez ; qu'ils ſont
obligez de choiſir d'honnêtes gens pour
être leurs parrains & marraines ; qu'il
faut qu'ils leur donnent des noms par des
ſentimens de pieté & de religion , & non
point par caprice , ni pour des raisons
humaines.
209
Chap. XX. Qu'il n'y a rien qui ſoit plus
recommandé aux peres & aux meres
dans l'Ecriture , par les ſaints Peres ,
& par les Conciles, que de donner une
bonne éducation à leurs enfans.
220
Chap. XXI. Suite de la même matiere.
L'on prouve par les principes de S. Jean
Chryſoſtome, que l'éducation chrétienne
des enfans est la plus grande & la plus
eſſentielle des obligations des Fideles qui
vivent dans le Mariage.
243
Chap. XXII. De quelle maniere il faut

DES CHAPITRES.
élever les enfans pour leur donner une
éducation chrétienne.
258
Chap. XXIII. Comment il faut que les
peres & les meres conduiſent leurs enfans
lorſqu'ils ſont grands ; qu'ils doivent les
aimer d'un amour non ſeulement naturel,
mais ſaint & chrétien ; qu'ils ſont obli-
gez de conſentir qu'ils les quittent , &
qu'ils ſe ſeparent d'eux pour ſervir
Dieu , & pour travailler à leur ſalut.
276
Chap. XXIV. Que les peres & les meres
ſont obligez d'avoir ſoin de pourvoir
leurs enfans, & de les marier, lorſqu'ils
ſont portez au Mariage. Mais qu'ils
ne doivent jamais les forcer, ni les con-
traindre dans le choix d'une condition.
298
Chap. XXV. Que les peres & les meres
ſont obligez de garder l'égalité entre
leurs enfans autant que cela leur eſt poſ-
ſible.
309
Chap. XXVI. Que les peres & les meres
doivent bien prendre garde de ne pas
tomber dans l'avarice à l'occasion de
leurs enfants ; & que l'amour qu'ils leur
portent ne juſtifie & n'excuſe point leur
avidité pour les biens de la terre.
322
Chap. XXVII. Comment les gens ma-
riez sont obligez de ſe conduire dans
leurs familles, & à l'égard de leurs do-
meſtiques.
339

TABLE
Chap. XXVIII. Les devoirs & les obli-
gations des maris envers leurs femmes ;
qu'ils doivent les aimer, les défendre , &
les proteger; leur témoigner de la douceur
& de la bonté , & qu'il leur est défendu
de les traiter d'une maniere imperieuſe ,
& de leur faire aucune violence.
357
Chap. XXIX. Suite de la même matiere :
Que les maris sont obligez de préceder
leurs femmes dans le chemin de la vertu;
qu'ils doivent pourvoir à leurs besoins
corporels & ſpirituels , & reprimer leurs
paſſions ; qu'il leur est défendu de les
mépriſer ; qu'ils doivent se familiariſer
avec elles , & prendre garde neanmoins
de ne se laiſſer pas conduire & dominer
par elles.
369
Chap. XXX. Les devoirs et les obliga-
tions des femmes envers leurs maris. El-
les ſont obligées de les honorer & de les
reſpecter ; elles doivent leur obéir & leur
être ſoumises , quand même ils ſeroient
fâcheux & de mauvaise humeur.
382
Chap. XXXI. Suite de la même matie-
re. Les femmes doivent porter leurs ma-
ris à la pieté , & les gagner à Dieu par
leurs diſcours , & encore plus par leur
ſagesse & par l'exemple de leur vie
ſainte & édifiante ; elles ne ſçauroient
faire des aumônes conſiderables, ni diſ-
poſer de leurs biens ſans leur conſente-
ment.
397

DES CHAPITRES.
Chap. XXXII. Comment les femmes ma-
riées doivent être vêtues ; ſçavoir ſi les
ornemens du monde leur ſont permis.
408
Chap. XXXIII. Qu'il y a beaucoup de
femmes qui ſe ſervent du prétexte de
leurs maris , & qui abuſent de leur nom
pour couvrir leur vanité, & pour excuſer
leur luxe ; qu'elles doivent chercher à
leur plaire, plûtôt par leurs mœurs & par
leur vertu , que par leurs habits , & par
leurs ornemens exterieurs.
419
Chap. XXXIV. Que les femmes ſont obli-
gées de ſe conſerver pendant leur groſ-
ſesse ; qu'il faut qu'elles regardent les
douleurs de l'enfantement comme une
partie de leur penitence. Quelles penſées
elles doivent avoir , lorſqu'elles ſe pre-
ſentent à l'Egliſe pour être purifiées
après leurs couches.
428
Chap. XXXV. Que les meres qui n'ont
point d'empêchement legitime, doivent
nourrir leurs enfans de leur propre lait;
que les ſaints Peres blâment celles qui
s'en exemptent par de vains prétextes,
& par des raiſons qui ne ſont fondées
que ſur leur amour propre.
436
Chap. XXXVI. Des tribulations qui
accompagnent preſque toujours le Ma-
riage ; & de l'uſage que les gens ma-
riez en doivent faire.
452
Chap. XXXVII. Pour quelles cauſes il
peut être permis aux gens mariez de ſe

TABLE DES CHAPITRES.
ſeparer & de faire divorce. 457
Chap. XXXVIII. Qu'il y a une eſpece
de ſeparation qui eſt tres-ſainte, parce
qu'elle ſe fait par pieté, & pour tendre
à la perfection.
469
Chap. XXXIX. Que les maris & les
femmes ne doivent point trop ſ'affliger à
la mort les uns des autres. Par quels
moyens ils peuvent faire connoître que
l'amour qu'ils ont eu les uns pour les au-
tres étoit ſincere & legitime.
476
Chap. XL. Regles de conduite pour les
gens mariez, tirées de tout ce qu'on leur
a repreſenté dans cet Ouvrage.
487
Fin de la Table.
Cul de lampe.


Bandeau décoratif. LA VIE
DES
GENS MARIEZ,
ou
LES OBLIGATIONS
DE CEUX QUI S'ENGAGENT
DANS LE MARIAGE,
Prouvées par l'Ecriture, par les ſaints Peres, &
par les Conciles.
Filet simple.

CHAPITRE PREMIER.

De la grandeur de l'excellence du Mariage.

Il s'eſt autrefois élevé pluſieurs
Héreſies differentes au ſujet du
Mariage.  Marcion & ſes Sec-
tateurs vouloient abſolument
l'abolir , & faiſoient tous leurs efforts
pour en détourner les hommes : ce qui
donna lieu à Tertullien de les comparer
A

2
La Vie
à Pharaon : en effet, ils étoient preſque
auſſi criminels que ce Prince réprouvé ;
parcequ'encore qu'ils ne trempaſſent
pas comme lui leurs mains dans le ſang
Lib. I
adverſ.
Marc. c.
29.
des enfans nouveaux-nez, ils les empê-
choient au moins de venir au monde ; ce
qui cauſoit un égal préjudice au genre
humain. Les Manichéens ſoûtenoient
que ceux qui avoient été baptiſez ne
Aug. lib.
de Morib.
Manich.
c.35.
pouvoient plus uſer du Mariage, ni des
biens de la terre.  Saint Auguſtin parle
de pluſieurs autres Hérétiques qui en té-
moignoient une extrême averſion parce-
qu'Adam s'en étoit abſtenu pendant l'é-
tat d'innocence , & n'en avoit uſé qu'a-
prés le peché ; il dit qu'ils le compa-
Lib. de
Hæreſ.
Hæreſ.
25.31.40.
roient même à la fornication.
Le Moine Jovinien tomba dans une
erreur toute oppoſée ; car il éleva telle-
ment le Mariage , qu'il oſa l'égaler à la
Virginité : il enſeigna publiquement que
les Vierges les plus pures n'ont pas plus
de mérite dans leur état que les femmes
Hier. lib.
I. adverſ.
Jovinien.
Aug. lib.
de Hæreſ.
Hæreſ.
82. & lib.
2. retract.
c. 22.
mariées qui se conduiſent avec honneur
dans le Mariage ; il ſéduiſit par ſes faux
raiſonnemens pluſieurs ſaintes filles dans
la Ville de Rome , & les porta à ſe mar-
rier : ce qui lui attira l'indignation de
tous les fideles , & obligea ſaint Jerôme
& ſaint Auguſtin à le refuter comme un
Héretique tres-pernicieux.
L'Egliſe Catholique ſ'est toûjours é-

3
des Gens Mariez Ch. I.
loignée avec beaucoup de ſoin de la doc-
trine corrompue de ces differens Hé-
retiques : car elle a ſoutenu d'un côté
que le Mariage est inferieur en gloire &
en mérite à la Virginité ; & de l'autre
elle a declaré qu'il est bon & permis ,
& même tres-ſaint, ſi on le conſidere en
lui-même , & qu'on en ſepare les dé-
fauts que les gens charnels ont coûtume
d'y mêler.  Et l'on voit que les ſaints
Peres
, même les plus auſteres , ont
également témoigné leur zele , lorſqu'il
a été queſtion de publier les louanges de
la Virginité, & de défendre l'honneur &
la gloire du Mariage.
Ce ſont deux erreurs, dit ſaint Au-
Lib. de
Virg. c.
19.
guſtin
; d'égaler le Mariage à la Virgi-
nité , ou de le condamner comme quel
que choſe de mauvais: car nous ſommes
certains par l'évidence de la raison &
par l'autorité des ſaintes Ecritures, que
les nôces ne ſont point un peché , &
qu'elles ne doivent pas être miſes en pa-
rallele avec la Virginté , ni même avec
la Viduité.
Les regles de la doctrine Apoſtolique,
Epiſt.
ad Ce-
lanc. c.
dit un autre Pere de l'Egliſe, n'égalent
point , comme fait l'Heretique Jovi-
nien
, le Mariage à la continence : mais
elles ne le condamnent pas auſſi avec
l'Héretique Manichéen. Saint Paul ce
Vaſe d'élection , le Maître des Gentils ,
A ij  4La Vie marche & tient le juſte milieu entre ces
deux extrémitez ; car d'une part il ac-
corde un remede à ceux qui ne ſont pas
en état de garder la continence , & de
l'autre il porte les hommes à cette vertu
par l'eſperance de la récompenſe qu'il
promet à ceux qui l'embraſſeront.
Ainſi comme j'ai employé les premiers
Chapitres du Traité de la Vie des Vier-
ges
, que j'ai ci-devant donné au public,
à expliquer la grandeur & l'excellence
de la Virginité , afin de faire compren-
dre aux Vierges Chrétiennes qu'elles
ſont obligées de mener une vie tres-
ſublime & tres parfaite , ſi elles veulent
répondre à la ſainteté de leur vocation :
je croi qu'il eſt à propos de faire main-
tenant la même choſe en faveur du Ma-
riage, & de prouver aux Fideles que cet
état eſt non ſeulement honnête & per-
mis, mais ſaint & d'un grand mérite de-
vant Dieu, lorſqu'on s'y conduit ſelon
les maximes de l'Evangile, afin que ceux
qui s'y engagent, ne puiſſent pas ſe plain-
dre de moi dans la ſuite , ni m'accuſer
d'être trop ſevere , lorſque je leur par-
lerai de la grandeur de leurs obligations.
Si l'antiquité & l'origine d'une choſe
ſert à la rendre recommandable , il eſt
certain que le mariage doit être dans une
grande véneration ; car il a commencé
avec le monde , comme on le voit dans

5
des Gens Mariez Ch. I.
l'Ecriture ; & c'eſt Dieu même qui en
eſt l'Auteur , puiſqu'il a donné Eve à
Adam pour lui ſervir d'aide , & pour le
ſecourir , & qu'il a voulu qu'ils fuſſent
deux dans une ſeule chair : ce qui mar-
que , diſent les ſaints Peres , l'union &
la ſocieté du mariage.
Si de l'état de la nature l'on paſſe à
la Loi écrite , l'on comprendra encore
plus parfaitement qu'il faut que ſa digni-
té ſoit bien grande, puiſque Dieu s'eſt ap-
pliqué à y marquer & à y regler tout ce
qui le concerne, qu'il l'a comblé de plu-
ſieurs benedictions differentes , qu'il a
fait des promeſſes magnifiques à ceux
qui y vivroient ſaintement , & qu'il a
menacé au contraire de ſupplices fort
grands ceux qui le ſoüilleroient & le des-
honoreroient par leur vie impure.
Mais c'eſt principalement ſous la Loi
Evangelique que le Mariage eſt monté
au comble de grandeur & de gloire où
nous le voyons maintenant : car JESUS‑
CHRIST  l'a honoré de ſa préſence ,
s'étant trouvé aux nôces de Cana ; il y
a fait un grand miracle , afin de mar-
quer qu'il l'aprouvoit ; il l'a élevé à la
dignité de Sacrement de ſon Egliſe , &
il a voulu qu'il fût une ſource de graces
Eph 5.37.
pour tous ceux qui s'en approcheroient
avec les diſpoſitions neceſſaires. Et auſſi
S. Paul n'en parle qu'en termes tres‑
A iij

6
La Vie
honorables ; il nous aſſure qu'il eſt le Sa-
crement & le ſigne de l'union ſacrée qui
Heb. 13.
4.
ſubſiſte entre JESUS-CHRIST & ſon
Egliſe ; il ſoûtient qu'il eſt ſaint, & qu'il
doit être traité avec toute ſorte d'hon-
neur & de reſpect.
Les ſaints Peres qui étoient inſtruits
des maximes & des veritez de l'Ecriture,
n'ont pas manqué de nous expliquer
fort au long toutes les prérogatives de
cet état , & de nous en faire des deſ-
criptions tres-amples & tres-propres à
nous donner une tres-haute idée de ſa
grandeur & ſon excellence.
Tertullien défendant la cauſe de l'E-
gliſe contre l'Hérétique Marcion qui
condamnoit le Mariage , comme on l'a
déja obſervé, dit qu'à la verité les nôces
Lib.I.ad-
verſus
Marc. c.
9.
ſont inférieures à la Virginité ; mais
qu'elles ne laiſſent pas d'être bonnes par
elles-mêmes , & dignes de toutes ſortes
de loüanges ; qu'on ne doit pas s'imagi-
ner qu'on ne les reçoive, & qu'on ne les
tolere que comme un moindre mal en
comparaiſon de la fornication & de l'a-
dultere qui ſont de grands crimes ; &
qu'il faut bien prendre garde de ne les
pas improuver , ſous prétexte qu'il y a
des gens qui en font un mauvais uſage,
& qui s'en ſervent pour contenter leurs
paſſions : comme on n'a pas droit de
condamner , ni de rejetter les alimens

7
des Gens Mariez Ch. I.
que l'on prend , & les habits que l'on
porte , parcequ'il y a des perſonnes dé-
reglées qui les font ſervir à leur ſenſua-
lité , à leur vanité & à leur ambition.
Saint Auguſtin dit auſſi que le Maria-
ge eſt un bien abſolument parlant , & en
le conſiderant en lui-même , & non pas
ſeulement en le comparant à l'impureté;
il ajoûte avec Tertullien qu'il y auroit
Lib. de
bono con-
jug. c. 8
de l'injuſtice à le condamner , à cauſe
qu'il ſe trouve des gens qui le deshono-
rent par leur conduite peu reglée , & qui
ne demeurent pas dans les bornes que
l'honnêteté preſcrit ; qu'on doit en ces
rencontres diſtinguer la ſainteté de l'é-
tat, de la corruption de ceux qui en abu-
ſent ; qu'il faut reconnoître qu'il ne laiſ-
ſe pas d'être ſaint , quoiqu'il y ait des
perſonnes qui s'y perdent; & qu'en juger
autrement , ce ſeroit confondre l'inno-
cent avec le coupable , & faire tomber
ſur le juſte la punition que merite le
pecheur.
Ce ſaint Docteur paſſe encore plus
avant; car il enſeigne que le Mariage eſt
ſi grand & ſi excellent , que bien loin de
mériter d'être condamné à cauſe du mau-
vais uſage que les hommes en peuvent
faire , il devient pour eux un remede ſa-
Lib. 9. de
Geneſ.ad.
Luter. c.
7.
lutaire ; qu'il guerit leurs paſſions , qu'il
modere leur concupiſcence, qu'il la con-
tient dans le devoir , qu'il la rend en
A iiij


8
La Vie
quelque maniere honnête & loüable , en
l'obligeant de ne ſervir qu'à la naiſſance
légitime des enfans ; & qu'il eſt pour eux
Lib. de
bono con-
jug. c. 3.
Ep. 287.
un lieu d'azile & un port aſſuré , où ils
ſont à l'abri des attaques de l'inconti-
nence, & où ils peuvent mener une vie
paiſible & tranquille.
Saint Jerôme demeurant auſſi d'accord
Lib. I.
adverſ.
Jovin.
qu'il eſt inferieur à la Virginité , dit in-
genieuſement qu'il en eſt neanmoins le
pere , parceque c'eſt dans ſon ſein que
les Vierges prennent naiſſance : ce qui
contribue merveilleuſement à ſa gloire.
Saint Auguſtin dit qu'au même tems
Lib.9. de
Geneſ.
ad Litt.
c.7.
qu'il reprime l'incontinence , il releve ,
il orne , il ſanctifie la fecondité de la na-
ture ; parcequ'il en tire des creatures in-
tellectuelles qui louent & qui beniſſent
le Createur de l'Univers.
Tertullien ajoûte que c'eſt lui qui fait
Lib.I.ad
uxor.c. 2.
ſubſiſter le genre humain , & que ſans
lui il périroit.
Saint Baſile nous aſſure qu'il rend ,
Lib. de
Virg.
pour ainſi dire, à chaque homme en par-
ticulier l'immortalité qu'il avoit perdue
en ſe révoltant contre Dieu ; parcequ'en
lui donnant des enfans, il le fait ſurvivre
à lui-même , & qu'il lui fournit le moien
de rendre en quelque maniere ſon nom
éternel, & de garantir ſon être de la cor-
ruption dans laquelle il devoit tomber
pour peine du peché.

9
des Gens Mariez Ch. I.
Mais les ſaints Peres nous parlent de
trois biens , & de trois grands avantages
qui accompagnent le Mariage , & qui
ſervent de fondement à la plûpart des
loüanges qu'ils lui donnent.  Il y a, dit
Lib.9.de
Geneſ. ad
5. & lib.
de bono
conjug. c.
24.
ſaint Auguſtin , trois choſes excellentes
dans les nôces , qui contribuent à leur
gloire , & qui font leur plus grand bon-
heur.  La foi que le mari & la femme ſe
gardent réciproquement; les enfans qu'ils
mettent au monde , & l'union ſainte
qu'ils contractent enſemble.
Les gens mariez ſont obligez de ſe ren-
dre mutuellement le devoir , d'obſerver
de certaines regles dans l'uſage du Ma-
riage, & de ne rien faire au préjudice de
la fidelité qu'ils ſe promettent.
Il faut qu'ils aient un grand amour pour
leurs enfans , afin de les ſuporter dans
leurs premieres foibleſſes ; & lorſqu'ils
ne ſont preſque diſtinguez des autres a-
nimaux , que par l'eſperance de ce qu'ils
doivent être un jour à venir; qu'ils ſoient
pleins de douceur & de patience , afin de
les élever chétiennement, & de ne ſe pas
rebuter des peines infinies qui ſont com-
me une ſuite neceſſaire de leur éduca-
tion ; & qu'ils s'appliquent de tout leur
pouvoir à les porter à honorer & à ſervir
Dieu pendant toute leur vie.
Il eſt enfin neceſſaire qu'ils ſoient unis
enſemble par un lien indiſſoluble , afin
A v

10
La Vie
que leurs enfans ne ſoient pas expoſez à
manquer de conduite, & à être abandon-
nez, ſur-tout dans leur premiere jeuneſ-
ſe ; & qu'ils ſoient eux-mêmes obligez
de ſe conſoler, & de s'aſſiſter les uns les
autres dans les diſgraces , dans les tribu-
lations & dans les maladies qui leur ſur-
viennent, & principalement dans la vieil-
leſſe, qui eſt la plus grande de toutes les
infirmitez.
Voilà, à proprement parler, en quoi
conſiſte la veritable grandeur & l'excel-
lence du Mariage. Il donne une ſainte
liberté à ceux qui le contractent , mais il
ne veut pas qu'ils en abuſent: il leur per-
met de ſe déſalterer dans le torrent des
eaux qui coulent dans le monde ; mais
il leur défend de les troubler par leur
conduite déréglée : il leur marque juſ-
ques où peut s'étendre la condeſcendan-
ce dont on uſe à leur égard ; mais il ne
les approuve pas lorſqu'ils la portent
trop loin ; il condamne au contraire
tout ce qu'ils font au-delà des bor-
nes qui leur ſont preſcrites.
Il leur donne des enfans; mais c'eſt à
condition qu'ils les donneront eux-mê-
mes à Dieu , & qu'ils auront ſoin de les
élever d'une maniere chrétienne, & de
les former à la vertu.
Il les unit par la plus étroite & la plus
inviolable de toutes les unions; mais c'eſt

11
des Gens Mariez Ch. I.
afin qu'ils ſoient indiſpenſablement en-
gagez à ſe ſecourir & à ſe ſervir les uns
les autres , & qu'ils entrent en partage
auſſi-bien de leur mauvaiſe que de leur
bonne fortune.
Et parcequ'ils ne ſeroient pas en état
par eux mêmes de ſatisfaire à tous ces
devoirs differens, il attire ſur eux les gra-
ces & les benedictions du Ciel , qui les
ſoûtiennent ; qui moderent l'ardeur de
leur concupiſcence , & qui leur donnent
la force de réſiſter à leurs paſſions , &
de les ſurmonter.
Les ſaints Peres ne ſe ſont pas conten-
tez de nous expliquer la grandeur & les
prérogatives du Mariage ; mais ils ont
réfuté ceux qui pour le faire moins eſti-
mer qu'il ne merite , affectoient de le
repreſenter comme un état dangereux
pour le ſalut , & qui en éloigne la plû-
part de ceux qui s'y engagent. C'eſt pour-
quoi ſaint Auguſtin déclare que ce ſe-
roit abuſer des termes de l'Ecriture ſain-
te
, que de ſe ſervir de ce qu'elle dit en
l'honneur des Vierges , pour blâmer le
Mariage, & pour en diminuer le mérite.
Lib.de
bono
conjug.
c.11.
Quoique l'Apôtre, écrit-il, ait dit qu'-
une Vierge & celle qui n'eſt point ma-
riée s'occupe du ſoin des choſes du Sei-
gneur, afin d'être ſainte de corps & d'eſ-
1. Cor.
c.34.
prit; il ne faut pas conclure qu'une fem-
me mariée qui garde la chaſteté conju-
A vj  12La Vie gale, ne ſoit pointe ſainte de corps: car
c'eſt à tous les fideles qu'il eſt dit : Ne
1. Cor.
c. 19.
ſçavez-vous pas que vos corps ſont le
Temple du Saint Eſprit , qui reſide en
vous, & qui vous a été donné de Dieu?

Les corps de gens mariez qui ſe gar-
dent la foi l'un à l'autre , & qui rendent
à Dieu ce qui lui eſt dû, ſont donc ſaints
& venerables. L'infidelité même de
l'un d'eux n'empêche point que l'autre
ne ſoit ſaint : le même Apôtre nous
apprend au contraire que la ſainteté de
la femme devient ſouvent utile à ſon ma-
ri infidele , & que la ſainteté du mari
ſert auſſi à ſa femme qui eſt infidele ;
1. Cor.
c.74.
car il eſt dit, que le mari infidele eſt ſancti-
fié par la femme fidele , & que la femme
infidele eſt ſanctifiée par le mari fidele.

Ainſi il faut demeurer d'accord que cette
parole de ſaint Paul marque ſeulement
que la ſainteté des Vierges eſt plus gran-
de que celle des femmes mariées ; mais
il ne s'enſuit point que celles-ci ne ſoient
pas ſaintes, & on auroit tort de prétendre
qu'elles ne s'occupent jamais des choſes
du Seigneur , ſous prétexte qu'elles ne
ſont pas en état de le faire auſſi ſouvent
que les Vierges.
Saint Jean Chryſoſtome parle de
Lib. de
Vin c.
10.
cette matiere avec beaucoup plus d'é-
tendue que les autres Peres ; c'eſt pour-
quoi il eſt bon d'expliquer en particulier

13
des Gens Mariez Ch. I.
ſa doctrine. Il dit que le Mariage eſt le
port de la continence pour ceux qui en
veulent bien uſer, & qu'il empêche que
nôtre nature ne devienne toute farouche
& toute ſauvage.
Il rapporte en une de ſes homelies ſur
l'Ecriture ſainte ces paroles du Chapitre
V.  de la Genèse , ſelon la verſion des
Septante : Henoch ayant vêcu cent ſoi-
Verſ. 21.
22. 23.
24.
xante & cinq ans engendra Mathusalem:
or Henoch plut à Dieu ; & après avoir en-
gendré Mathusalem , il vêcut deux cens
ans , & il engendra des fils & des filles.
Tout le tems qu'Henoch vêcut fut de trois
cens ſoixante & cinq ans , & Henoch plut
à Dieu , & il ne parut plus , parceque
Dieu le tranſporta ailleurs
; & enſuite il
parle ainſi: Que les hommes & les fem-
Homil.
21. 2.
Geneſ.
mes écoutent ce que dit l'Ecriture de
la grande vertu de cet homme juſte ,
& qu'ils ne s'imaginent pas aprés cela
que le Mariage empêche ceux qui s'y
engagent, de plaire à Dieu ; car le tex-
te ſacré dit par deux fois qu'il plut à
Dieu aprés avoir engendré Mathuſa-
lem
, & pluſieurs autres enfans, afin d'ô-
ter tout prétexte de croire que le Ma-
riage détourne de la vertu. En effet, ſi
nous veillons exactement ſur nous‑
mêmes , ni l'éducation des enfans , ni
le Mariage , ni rien autre choſe , ne
pourra nous faire encourir la diſgrace
 14La Vie de Dieu. Cet homme étoit de même
nature que nous , il n'avoit point lû la
loi , parce qu'elle n'étoit pas encore
promulguée ; il n'avoit point été in-
ſtruit par les Ecritures , puiſqu'elles
n'ont été données aux hommes que
tres-long tems aprés lui ; & il n'avoit
point reçû pluſieurs autres ſecours
ſemblables , qui auroient pû lui inſpi-
rer le deſir & l'amour de la vertu &
de la ſagesse: mais il s'y eſt porté com-
me de lui-même , & par ſon propre
choix; & il s'eſt tellement rendu agréa-
ble à Dieu qu'il vît encore , & qu'il
n'a point juſqu'à preſent été ſoûmis
à l'empire de la mort.
Si le Mariage, mes chers freres, ajoûte
ce ſaint Docteur, & l'éducation des en-
fans étoient un obſtacle à la vertu ,
Dieu n'auroit point voulu que les hom-
mes ſe mariaſſent ; au contraire il les
en auroit détournez, afin de les garan-
tir du préjudice qu'ils auroient pû re-
cevoir de la vie conjugale qui les en-
gage indiſpenſablement à tant de de-
voirs differens. Mais bien-loin que le
Mariage nous empêche de penſer à
Dieu , & de le ſervir , il nous pro-
cure de tres-grands avantages, lorſque
nous uſons de violence ſur nous-mê-
mes ; car en réprimant l'impetuoſité
de nôtre nature , il nous empêche d'ê-
 15des Gens Mariez Ch. I. tre troublez par nos paſſions comme
une mer orageuſe , & il nous fait arri-
ver heureuſement au port : c'eſt pour
cela que Dieu n'en a pas voulu priver
le genre-humain, & qu'il le lui a ac-
cordé pour lui ſervir de conſolation au
milieu des maux qui l'accablent de tou-
tes parts. La vie de cet homme juſte
rend témoignage à la verité de tout ce
que je dis ; car l'Ecriture marque qu'il
a plû à Dieu aprés même avoir engen-
dré Mathuſalem; & ce qui eſt tres-con-
ſiderable, elle ajoûte qu'il n'a pas ſeu-
lement marché pendant peu de tems
dans le chemin de la vertu ; mais qu'il
y a perſeveré tout le reſte de ſa vie, qui
a encore duré deux cens ans.
Saint Chryſoſtome combat encore tres‑
fortement dans une autre de ſes Home-
lies ceux qui s'imaginent que le Mariage
rend le Salut impoſſible , ou au moins
tres-difficile; & qui diſent, lorſqu'on les
preſſe de bien vivre , & de regler leurs
mœurs, qu'ils ne le peuvent faire à moins
qu'ils ne ſe ſeparent de leurs femmes ,
qu'ils n'abandonnent leurs enfans , &
qu'ils ne renoncent à toutes ſortes d'af-
faires. Il leur repreſente, pour les détrom-
per de cette erreur, que pluſieurs grands
perſonnages ayant été engagez dans la
vie conjugale, ſont cependant montez
au plus haut degré de la ſainteté & de la

16
La Vie
perfection Evangelique. Qu'Isaïe a été
Homil 4
de verb.
Iſaia ,
Vid. Do-
min.
marié, & que cependant cela ne l'a point
empêché d'être Prophete, & de recevoir
la plenitude de l'eſprit de Dieu ; que
Moïſe ayant auſſi été marié n'a pas laiſſé
d'operer de grands miracles , de fraper
le rocher, & d'en faire ſortir de l'eau,
d'obſcurcir l'air & le remplir de tenebres,
de parler familierement avec Dieu , &
d'arrêter le cours de ſa colere : qu'Abra-
ham
ayant une femme eſt neanmoins
devenu le pere de tous les fideles , & de
l'Egliſe même ; qu'Issac a été en même
tems le fruit de ſon mariage , & la ma-
tiere de ſon admirable ſacrifice; & qu'on a
vû en ſa perſonne qu'il n'eſt pas impoſſi-
ble d'avoir un grand amour, & pour Dieu
& pour ſes enfans ; que la mere des Ma-
chabées
, quoique mariée, s'eſt élevée au
deſſus de ſon ſexe , qu'elle a eu le cou-
rage d'exhorter ſes enfans au Martyre ;
qu'elle l'a ſouffert ſept fois en leur per-
ſonne par la generoſité de ſon zele, & par
la ferveur de ſa charité; & qu'elle a elle-
même enſuite verſé ſon ſang pour la dé-
fenſe de la loi de ſon Dieu ; que S. Pierre
aprés avoir eu une femme , a été choiſi
par J.C. pour conduire ſon Egliſe , &
pour en être le Chef; & que Philippe qui
avoit auſſi été marié , puiſqu'il eſt parlé
dans l'Ecriture de ſes quatre filles , fut
jugé digne par les Apôtres d'être élevé

17
des Gens Mariez Ch. I.
à la dignité de Diacre , de prêcher l'E-
Act. 21.
9.
vangile
, & de porter avec eux une partie
des travaux du miniſtere apoſtolique.
Ce ſaint Docteur enſeigne même , en
Hom. 20.
in Epiſt.
ad Eph.
expliquant l'Epitre aux Epheſiens , que
non ſeulement le Mariage n'eſt point
contraire à la pieté; mais que ceux qui y
entrent avec des diſpoſitions chrétien-
nes , & qui y vivent avec la chaſteté &
la retenue que demande un état ſi ſaint,
ne ſont pas beaucoup inférieurs aux Moi-
nes , ni à ceux qui paſſent toute leur vie
dans le célibat.
C'eſt ſans doute beaucoup dire, & re-
lever merveilleuſement le bonheur des
gens mariez. J'eſpere neanmoins que les
lecteurs qui conſidereront avec atten-
tion tout ce que je dois repreſenter dans
la ſuite de ce Traité , demeureront d'ac-
cord que ce Pere n'a pas pouſſé les cho-
ſes trop loin , & qu'il n'a rien dit qui ne
ſoit conforme à la verité : car la gran-
deur & la ſainteté du Mariage impoſe
de grandes obligations ; & quiconque
s'en acquittera avec fidelité , méritera
certainement beaucoup de louanges, &
pourra en quelque maniere être compa-
ré, non ſeulement aux Moines & aux So-
litaires ; mais auſſi aux plus ſaints per-
ſonnages de l'antiquité, qui ont ſçû allier
la vie conjugale avec une pieté exem-
plaire & éminente.

18
La Vie
S'il m'étoit permis d'ajoûter à ces au-
toritez de l'Ecriture ſainte & des Peres
de l'Egliſe
le témoignage des loix civiles,
je dirois qu'elles nous fourniſſent encore
des preuves de la grandeur & de l'excel-
Lib.11.ff.
de divor-
tiis &
repud. l.
2. ff. de
actione re-
rum amo-
tar. L. 2.
cod. re-
rum amo-
tar.
lence du Mariage : car elles veulent qu'-
on le reſpecte tellement , & qu'on lui
porte tant d'honneur, que pendant qu'il
dure, on ne permette pas à un mari d'ac-
cuſer ſa femme d'adultere , ni d'intenter
contre elle aucune action capitale , &
qui emporte infamie ; elles décident
que celui qui la veut pourſuivre extraor-
dinairement , doit auparavant la répu-
dier , & que s'il ne l'a pas fait , l'accuſa-
tion qu'il forme contre elle , emporte
avec ſoi la répudiation , & la tire de ſa
puiſſance.
Ces déciſions célebres font voir que
les anciens Romains avoient conçû une
haute opinion du Mariage , qui n'étoit
neanmoins parmi eux qu'une union na-
turelle & civile.  Que dire donc de ce-
lui des Chrétiens qui eſt ſaint , qui con-
fere la grace , & qui appartient à un or-
dre ſurnaturel ? Il eſt certain qu'il eſt
digne de toute ſorte de reſpect & de
veneration , & que ceux qui le desho-
norent & le traitent avec mépris , ſont
tres-coupables , & meritent une puni-
tion tres-ſevere.

19
des Gens Mariez Ch. II.
Bandeau.

CHAPITRE II.

Qu'il n'y a rien de plus malheureux que
l'état de ceux qui entrent mal dans le
Mariage , & qui ne s'y conduiſent pas
par les regles de la charité , & de la
pieté chrétienne.
AUTANT que le Mariage conſideré
en lui-même,eſt grand & excellent,
comme on vient de le voir dans le Cha-
pitre precedent, autant eſt grand & dé-
plorable le malheur de ceux qui s'y en-
gagent par de mauvais motifs, qui le pro-
phanent par leur vie dereglée , & qui
ne s'y conduiſent que par le mouvement
de leurs paſſions. Pour en être convaincu
il n'y a qu'à écouter le Sage ſur ce ſujet.
Il nous aſſure qu'il n'y a point d'état
plus rude ni plus fâcheux que celui d'un
mari & d'une femme qui ne s'accordent
pas enſemble , & qui vivent dans la diſ-
corde. La femme méchante, dit-il, eſt avec
Eccl. 26.
10. 11.
ſon mari , comme un joug de bœufs qui ſe
battent ensemble : celui qui la tient avec lui
eſt comme un homme qui prend un Scorpion.
La femme ſujette au vin ſera la colere &
la honte de ſon mari , & ſon infamie ne
ſera point cachée. La malignité de la fem-
Chap.25.
17 22.
me eſt une malice conſommée : il n'y a point
de tête plus méchante que la tête du Serpent, 20La Vie ni de colere plus aigre que la colere de la
Prov. 21.
9. 19.
femme. Il vaudroit mieux demeurer en un
coin ſur le haut d'un logis , & dans une ter-
re deſerte , que d'habiter dans une maiſon
commune avec une femme querelleuſe , &
Prov.27.
13.
colere. La femme querelleuſe eſt ſemblable
à un toît , d'où l'eau dégoute ſans ceſſe
pendant l'hiver.  Il eſt plus avantageux
,
dit-il encore, de demeurer avec un lion &
avec un dragon , que d'habiter avec une
Eccli. 25.
23. 31. &
32.
méchante femme.  Elle eſt l'affliction du
cœur , la triſteſſe du viſage , & la playe
mortelle de ſon mari, l'affoibliſſement de ſes
mains , & la debilité de ſes genou
; c'eſt‑
à-dire , qu'elle l'accable d'affliction , &
que la triſteſſe qu'elle lui cauſe , ruine ſa
Cap. 7.
27.
ſanté , & le jette dans la langueur. C'eſt
pourquoi il prononce qu'une telle fem-
me eſt plus amere & plus difficile à ſup-
porter que la mort même , & qu'elle ne
doit être le partage que des méchans &
Cap. 25.
26.
des pecheurs , afin de les punir & de les
tourmenter.
A la verité il n'eſt parlé dans ces lieux
de l'Ecriture que de la malice & du dé-
reglement des femmes : mais il eſt viſible
que la mauvaiſe humeur & les vices des
maris ne ſont pas moins à craindre , ni
moins propres à troubler l'union qui doit
regner entre des perſonnes ſi proches ; &
par conſequent il faut leur appliquer
tout ce que le S.Eſprit dit contre l'empor-

21
des Gens Mariez Ch. II.
tement de leurs femmes , & conclure de
toutes ces ſentences du Sage, qu'un Ma-
riage où ne regne pas la paix , eſt un
veritable ſupplice , & une eſpece d'en-
fer pour ceux qui s'y trouvent engagez.
Et auſſi les ſaints Peres ſoûtiennent que
le démon qui avoit dépoüillé Job de
tous ſes biens, & lui avoit enlevé ſes en-
fans, ne lui laiſſa ſa femme, qui étoit une
impie, que pour contribuer à le tourmen-
ter & à le perſecuter. Satan, dit ſaint
Tract.
6. in. E-
piſt. Jean.
Auguſtin, conſerva à Job ſa femme,
non pas pour le conſoler, mais pour le
tenter.  Il s'en ſervit comme d'un in-
ſtrument funeſte, dit auſſi ſaint Ambroi-
Libelle
de arbor
interd.
Lib. 23.
moral 6.
1.
ſe
, pour contenter ſa rage contre lui.

Saint Gregoire Pape déclare que ce ma-
lin eſprit ne crut pas que ce fut aſſez l'af-
fliger que de faire perir ſes troupeaux ,
de lui enlever ſes ſerviteurs , d'enſevelir
ſes enfans ſous la ruine d'une maiſon, &
de frapper tout ſon corps d'une playe
horrible; mais qu'il lui reſerva ſa femme
afin qu'elle mît le comble à ſes maux, &
qu'elle lui ſuſcitât la plus grande de tou-
tes les perſecutions.
En effet, ce ſaint homme ſouffrit en
paix toutes les diſgraces qui lui arrive-
rent: il n'en fut point ébranlé, il n'en fit
aucune plainte : mais il ne put garder le
ſilence, lorſqu'il entendit les diſcours im-
pies de ſa femme qui lui inſultoi t, & qui

22
La Vie
vouloit le porter à maudir Dieu ; il lui
dit , avec un zele plein de religion ,
mais qui témoignoit aſſez combien étoit
Job. 2.
10.
grand l'outrage qu'elle lui faiſoit : Vous
parlez comme une femme folle & inſenſée :
ſi nous avons reçû les biens que Dieu nous
a donnez, pourquoi ne recevrions-nous pas
auſſi les maux qu'il nous envoye
?
C'eſt en ſuivant ces maximes de l'Ecri-
ture
que ſaint Jean Chryſoſtome en-
ſeigne, que le mariage devient une ſour-
ce de malheurs pour ceux qui en uſent
Hom. de
libello re-
pudii.
mal. Comme il arrive ſouvent, dit-il,
que la femme qui a été créée pour ai-
der & ſecourir l'homme, lui dreſſe des
pieges, & lui cauſe du préjudice ; ainſi
le Mariage qui devroit ſervir à plu-
ſieurs de ports pour les mettre à cou-
vert de la tempête, les y précipite aſſez
ſouvent , non par ſa nature ; mais par
le mauvais uſage qu'ils en font.
Ceux qui s'y conduiſent d'une ma-
niere ſainte & légitime,
ajoûte ce
Pere, trouvent dans la retraite de leurs
maiſons & dans la compagnie de leurs
femmes de quoi ſe conſoler des maux
& des diſgraces qu'ils éprouvent dans
le public & dans l'agitation du ſiecle.
Mais lorſqu'on s'y engage témeraire-
ment, & ſans conſulter la volonté de
Dieu, on a beau joüir au dehors d'un
grand repos & d'une tranquillité par- 23des Gens Mariez Ch. II. faite , on n'éprouve dans ſa propre
maiſon que des rochers & des écueils.
Il ne faut pas s'étonner que ce ſaint
Docteur parle ainsi, ni qu'il uſe de ter-
mes ſi forts ; puiſqu'il ſoûtient dans ſon
Hom. 10.
Commentaire sur l'Epitre aux Coloſ-
ſiens
, qu'il n'y a rien de plus fâcheux ,
ni de plus difficile à ſupporter que les
differends qui ſurviennent entre les ma-
ris & les femmes : parceque devant être
unis par un amour pur & ſincere , ils
ſe portent aux derniers excès, lorſqu'ils
viennent à ſe diviſer , & à concevoir de
l'animoſité les uns contre les autres.
Mais il n'eſt pas necessaire de chercher
d'autres preuves dans l'Ecriture & dans
les ſaints Peres du malheur de ceux qui
entrent mal dans le Mariage , & qui n'y
vivent pas dans la crainte du Seigneur ;
car on n'en fait tous les jours que trop
de funeſtes experiences.  L'on voit des
maris & des femmes qui ſe deshonorent,
& qui ſe décrient dans le public ; qui ſe
perſecutent de la maniere la plus outra-
geuſe , & qui attentent quelquefois à la
vie les uns des autres.
Et lorſqu'ils ne ſe portent pas à ces ex-
trémitez , ſoit parcequ'ils ne ſont pas
aſſez corrompus pour s'abandonner en-
core à de tels crimes , ou qu'ils veuillent
ménager leur réputation, & éviter la ſe-
verité des loix qui puniſſent ces ſortes

24
La Vie
d'attentats , ils ſe chagrinent , ils ſe
fatiguent par leurs mauvaiſes humeurs,
ils n'ont point de déference les uns pour
les autres ; il ſuffit que l'un deſire une
choſe pour que l'autre s'y oppoſe ; ils
prétendent chacun que leur volonté
l'emporte , & ils aiment mieux tout
ruiner & tout renverſer dans leur mé-
nage , que de ſe ceder mutuellement
en quoi que ce ſoit.  Leurs paſſions ſe
trouvant preſque toûjours oppoſées, &
étant reſolus de les ſuivre , ils tombent
dans des égaremens déplorables ; ils ſe
regardent les uns les autres comme leurs
plus cruels ennemis ; ils ne cherchent
qu'à ſe faire de la peine , & à ſe venger
par toutes ſortes de moiens.
Ne trouvant point de paix dans leur
domeſtique , il ſe répandent dans les
compagnies du ſiecle ; il ſe plaiſent à
converſer avec des étrangers , ils lient
avec d'autres perſonnes des amitiez qui
leur deviennent dans la ſuite tres-funeſ-
tes.  De-là naiſſent les jeux immoderés ,
les divertiſſemens mondains, les ſpecta-
cles , les dépenſes ſuperflues , les froi-
deurs , les ſoupçons , les jalouſies , les
adulteres , & les autres déſordres qui
ne ſont que trop publics.
Ceux qui connoiſſent le monde & qui
le frequentent , en ſçavent encore plus
ſur cette matiere que je n'en puis dire.
Ainſi

25
des Gens Mariez Ch. II.
Ainſi sans s'y arreſter davantage, il faut
finir ce Chapitre par ces paroles de Sa-
lomon
: Un peu de pain avec la joie vaut
Prov.17.
1.
mieux qu'une maiſon pleine de victimes
avec des querelles
; c'eſt-à dire, que quel-
ques riches que ſoient les gens mariez ,
& quelques avantages qu'ils puiſſent poſ-
ſeder ſur la terre , s'ils n'ont pas la paix
entr'eux , & s'ils ſe laiſſent aller à des
querelles & à des diviſions frequentes ,
leurs dignitez , leurs richeſſes & toutes
leurs commoditez temporelles ne leur
ſervent preſque de rien, & ne ſçauroient
être miſes en parallele avec les peines &
les chagrins qu'ils éprouvent dans leurs
familles , & qu'ainſi elles n'empêchent
point qu'ils ne ſoient tres-malheureux :
car le même Salomon dit que la triſteſſe
1.Prov. 15.
13. &
cap 17.
21. &
cap. 25.
20.
de l'ame abbat l'eſprit , & deſſeiche les
os ; & que comme le ver mange le vête-
ment , & la pourriture le bois , de même
la triſteſſe de l'homme lui ronge le cœur.
Au contraire lorſqu'ils vivent en paix &
dans l'union , & qu'ils ſe conſolent &
s'aſſiſtent les uns les autres , ils peuvent
goûter une joie ſincere & veritable , &
être par conſequent heureux, quand mê-
me ils ſeroient tres-pauvres; parce que
Prov. 15.
13. 15. &
cap. 17.
22.
le Sage nous apprend encore que la joie
du cœur & de l'eſprit ſe répand ſur le vi
ſage, & rend le corps plein de vigueur, &
que l'ame tranquille eſt comme un feſtin
continuel.
B

26
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE III.

Quelles ſont les fins que les Chrétiens doi-
vent ſe propoſer, lorſqu'ils s'engagent
dans le Mariage.
PUISQUE j'ai reſolu d'expliquer dans
ce Traité les obligations des gens
mariez , afin de contribuer autant que
j'en ſeray capable à leur ſanctification &
à leur ſalut éternel, je croi qu'il faut d'a-
bord leur marquer quelle eſt la fin légi-
time qu'ils peuvent ſe propoſer en s'en-
gageant dans le Mariage ; car quelque
ſaint que ſoit un état, on s'y perd, & on
s'y damne , lorſqu'on y entre par de
mauvais motifs , & qu'on s'en ſert pour
contenter ſes deſirs illicites. Or l'Ecritu-
re
& les ſaints Peres nous apprennent
qu'il y a deux fins pour leſquelles les
hommes peuvent ſe porter au Mariage :
l'une pour entretenir la ſuccession du
genre humain , & pour avoir des enfans
qui beniſſent & qui ſervent le Seigneur ;
l'autre pour mettre leur pureté à cou-
vert , & pour arréter l'impetuoſité de
leurs paſſions. La premiere eſt la princi-
pale & la plus légitime ; ainsi c'eſt par
elle que je commencerai ce Chapitre.
Nous liſons dans l'Histoire ſainte ,
qu'après que Dieu eut formé la femme,

27
des Gens Mariez C. III.
& qu'il l'eut donnée à Adam pour être
ſa compagne , il les benit l'un & l'autre,
& qu'il leur dit: Croiſſez , multipliez , &
Gen. 1.
28.
rempliſſez la terre
. Ce qui prouve que le
Mariage dans ſa premiere origine, a été
inſtitué pour la génération légitime des
enfans ; & que c'eſt la fin principale que
doivent avoir en vûe ceux qui deſirent
ſuivre l'inſtitution de Dieu , & ſe con-
duire par ſon eſprit , lorſqu'ils s'y en-
gagent.
Les Patriarches & tous les Juſtes de
l'ancien Teſtament1 en étoient tres forte-
ment perſuadez ; car les ſaints Peres re-
marquent qu'ils ne ſe marioient que dans
le deſſein d'avoir des enfans , & pour
obéir à la Loi écrite , qui vouloit que
chacun contribuât à augmenter le nom-
bre des ſerviteurs du grand Dieu vivant ,
& de ceux qui devoient avoir part à ſon
Lib. de
bono vi-
duitatis.
c. 7.
alliance. Afin, dit ſaint Auguſtin, que
le peuple de Dieu s'étendît & ſe multi-
pliât, la Loi prononçoit malédiction
contre tous ceux qui ne ſuſcitoient
point des enfans dans Iſraël. C'eſt pour-
quoi les ſaintes femmes de ce tems-là
ſe marioient, non pour ſuivre les de-
ſirs & les mouvemens de la chair, mais
afin d'avoir des enfans;& il y a tout lieu
de croire que ſi elles avoient pû en
avoir d'une autre maniere , elles n'au-
roient jamais penſé à uſer du Mariage.
B ij  28La Vie C'eſt pour cette même raiſon qu'il
étoit alors permis aux hommes d'avoir
pluſieurs femmes.
Les ſaints perſonnages de l'ancien
Lib. de
bono con-
jug. c.20.
Teſtament, dit encore ce Pere, ne cher-
choient en ſe mariant qu'à avoir des en-
fans , & ils ne deſiroient en avoir que
par rapport à Jesus-Christ , lequel
ils prophetiſoient par leurs Mariages,
ou qu'ils eſperoient en pouvoir naî-
tre ; ainſi nos Vierges bien loin de les
mépriſer , doivent croire qu'elles leur
ſont tres-inferieures.
Mais entre tous les Juſtes2 qui ont paru
avant nôtre Seigneur , Tobie eſt celui
qui a fait connoître plus clairement que
le deſir ſeul de donner naiſſance à des
enfans qui adoreroient le vrai Dieu , le
déterminoit à entrer dans le Mariage :
c'eſt pourquoi il faut rapporter en par-
ticulier ce que l'on voit dans l'Ecriture
touchant ſa conduite. Ayant appris que
la jeune Sara fille de Raguel , avoit déja
eu ſept maris , qui avoient tous été tuez
par le démon , il fit difficulté de l'épou-
ſer, de crainte qu'il ne lui en arrivât au-
tant. Mais l'Ange Raphaël qui l'accom-
pagnoit & le conduiſoit , lui déclara que
le démon n'a du pouvoir que ſur ceux
qui s'engagent par ſenſualité dans le Ma-
riage , & que pour lui , s'il n'avoit deſ-
ſein en prenant Sara pour ſa femme, que

29
des Gens Mariez Ch. III.
d'avoir des enfans , il ne devoit point
apprehender la cruauté de cet eſprit in-
fernal.  Ecoutez-moi, lui dit-il, & je
Tob. 6.
1. 17. 18.
22.
vous apprendrai qui ſont ceux ſur qui le dé-
mon a du pouvoir. Lorſque des perſonnes
s'engagent tellement dans le Mariage ,
qu'ils banniſſent Dieu de leur cœur & de
leur eſprit, & qu'ils ne penſent qu'à ſatis-
faire leur brutalité, comme les chevaux &
les mulets qui ſont ſans raiſon, le démon a
pouvoir ſur eux.  Mais pour vous , après
que vous aurez épouſé cette fille, étant en-
tré dans la chambre , vivez avec elle en
continence pendant trois jours , & ne pen-
ſez à autre chose qu'à prier Dieu avec elle.
La troiſiéme nuit étant paſſée , vous pren-
drez cette fille dans la crainte du Sei-
gneur , & dans le deſir d'avoir des enfans,
& non point par aucun mouvement de paſ-
ſion, afin que vous puiſſiez avoir part à la
benediction de Dieu, ayant des enfans de la
race d'Abraham.
Il ſuivit le conſeil de l'Ange ; car le
Texte ſacré porte qu'il dit à ſa femme
la premiere nuit de leurs nôces : Sara
Cap, 8.
4. 5. &
ſequens.
levez-vous , & prions Dieu aujourd'huy ,
& demain & après demain , parceque du-
rant ces trois nuits nous devons nous unir à
Dieu ; & après la troiſiéme nuit nous vi-
vrons dans notre Mariage , car nous ſom-
mes les enfans des Saints ; & nous ne de-
vons par nous marier comme les Payens

B iij

30
La Vie
qui ne connoiſſent point Dieu. Que s'étant
levez tous deux , ils prierent Dieu avec
grande inſtance , afin qu'il lui plût de les
conſerver en ſanté ; & qu'il fit cette ad-
mirable priere qui attira ſur lui tant
de bénédictions. Seigneur Dieu de nos
Peres , que le Ciel & la Terre , la Mer ,
les Fontaines & les Fleuves, avec toutes vos
creatures qu'ils renferment, vous beniſſent.
Vous avez fait Adam d'un peu de terre &
de boue , & vous lui avez donné Eve pour
le ſecourir.  Vous ſçavez , Seigneur , que
ce n'eſt point pour ſatisfaire ma paſſion que
je prens ma ſœur pour être ma femme ,
mais dans le deſir ſeul de laiſſer des en-
fans, par leſquels vôtre nom ſoit beni dans
tous les ſiecles.
Les ſaints Peres qui avoient toûjours
devant les yeux les exemples des Patriar-
ches
& des grands perſonnages dont il
eſt ſi ſouvent parlé dans l'Ecriture , ont
crû être obligez d'enſeigner à tous les
Fideles qui vivent dans le ſiecle , que
le deſir d'avoir des enfans , eſt la pre-
miere fin qu'ils doivent ſe propoſer dans
les Mariages qu'ils contractent.
Saint Ambroiſe expliquant cet endroit
de l'Evangile , où il eſt marqué que
ſainte Eliſabeth ayant conçû ſon fils
après pluſieurs années de ſterilité , dit
que Dieu l'avoit regardée avec des yeux
L. c.I.25.
de miſericorde, en la tirant de l'opprobre

31
des Gens Mariez Ch. III.
où elle étoit devant les hommes , ajoûte
qu'en effet c'eſt une eſpece d'opprobre
pour les femmes de ne voir point leur
Mariage honoré & récompenſé par la
In cap. 2.
Luc.
naiſſance des enfans , puiſque c'eſt pour
cela ſeul qu'elles doivent ſe marier. Pu-
dor est enim fœminis nuptiarum præmia
non habere, quibus hæc ſola eſt cauſa nu-
bendi.
Saint Auguſtin dit auſſi dans son Li-
Lib. de
ſancta
Virg. c.7.
vre de la Virginité, que les femmes ver-
tueuſes qui vivent dans la piété , ne
prennent des maris que pour avoir des
enfans , & qu'elles n'en deſirent que
pour les porter et les donner à Jesus‑
Christ.
Il déclare dans un autre de ſes Livres,
que la génération des enfans eſt la pre-
Lib.2.de
adulteri-
nis con-
jug. c.21.
miere fin , la fin naturelle , la fin legi-
time du Mariage : Propagatio filiorum
ipſa eſt prima , & naturalis , & legitima
cauſa nuptiarum.
Et lorſqu'il combat les Manichéens
qui interdiſoient l'uſage du Mariage aux
Lib. 19.
contra
Fauſtum
Manich.
c. 26. &
lib. 30. c.
6.
Chrétiens après leur Baptême , & qui
étoient ainſi cauſe qu'ils ſe portoient à
des adulteres & à d'autres deſordres
tres-criminels , il leur dit : Vous n'em-
pêchez pas par vôtre doctrine corrom-
pue , qu'ils ne ſe précipitent dans l'im-
pureté , mais vous les détournez ſeule-
ment du Mariage ; & par conſéquent
B iiij

32
La Vie
c'eſt à la naiſſance des enfans que vous
vous oppoſez : car c'eſt la volupté ſeule
qu'on recherche dans les conjonctions
illicites , mais on ne ſe marie que pour
avoir des enfans : cela eſt ſi vrai , qu'on
ne regarde qu'eux ſeuls dans la plûpart
des précautions qu'on prend , lorſqu'on
paſſe des Contrats en ces rencontres.
Le Catechiſme Romain parle en ces
termes de cette fin que doivent ſe pro-
poſer ceux qui ſe marient. Le Maria-
De Sa-
cramento
matrim.
§
ge,
dit-il , eſt appellé ainſi ſelon la ſi-
gnification du terme Latin , Matrimo-
nium
, parcequ'une femme ne doit
principalement ſe marier que pour de-
venir mere ; & que les devoirs d'une
mere ſont de concevoir , de mettre au
monde, & de nourrir des enfans. C'eſt‑
Ibid. 5.
là la véritable fin pour laquelle Dieu
a inſtitué le Mariage dès le commen-
cement du monde.
Quoique cette doctrine ſoit tres-con-
ſtante , il eſt neanmoins vrai de dire ,
qu'il y a une fin ſeconde & moins prin-
cipale qui peut porter les Fideles à ſe
marier. C'eſt lorſqu'ils ne ſont pas ca-
pables de la continence ; car le Maria-
I. Cor.7.
I. 2. &
ſequent.
ge devient pour eux un remede , & il
leur ſert à réprimer & à moderer leurs
paſſions. Je ne crains pas de le dire, puiſ-
que ſaint Paul leur conſeille d'en uſer
ainſi. Quant aux choſes, dit-il aux Corin-

33
des Gens Mariez Ch. III.
thiens , dont vous m'avez écrit ,  je vous
dirai qu'il eſt bon que l'homme ne touche
aucune femme. Neanmoins pour éviter la
fornication , que chaque homme vive avec
ſa femme, & chaque femme avec ſon mari.
Que le mari rende à ſa femme ce qu'il lui
doit, & la femme ce qu'elle doit à ſon mari.
Ne vous refuſez point l'un à l'autre ce de-
voir , ſi ce n'est d'un conſentement mutuel
pour un tems , afin de vous appliquer à la
priere ; & enſuite vivez enſemble comme
auparavant , de peur que le démon ne
prenne ſujet de vôtre incontinence de vous
tenter. Ce que je vous dis comme une choſe
qu'on vous pardonne , & non pas qu'on
vous commande: car je voudrois que tous
les hommes fuſſent en l'état où je ſuis moi‑
même; mais chacun a ſon don particulier;
ſelon qu'il le reçoit de Dieu, l'un d'une ma-
niere , l'autre d'une autre.
  Puis il ajoûte :
Pour ce qui eſt de ceux qui ne ſont point
mariez & des veuves ,  je leur déclare qu'il
leur eſt bon de demeurer en cet état, comme
j'y demeure moi-même ; que s'ils ſont trop
foibles pour garder la continence, qu'ils ſe
marient : car il vaut mieux ſe marier que
brûler.
Ces paroles du grand Apôtre juſtifient
clairement que ceux qui ſe ſentent foi-
bles , & qui croient n'avoir pas aſſez de
force pour paſſer leur vie dans la conti-
nence , peuvent ſe réfugier dans le Ma-
B v

34
La Vie
riage , comme dans un port aſſuré pour
ſe garantir du naufrage dont ils étoient
menacez. C'eſt à leur égard qu'a lieu cet-
te maxime de ſaintAuguſtin : Le Ma-
Lib. de
bono vi-
duit. c. 8.
riage étoit autrefois parmi le peuple de
Dieu un acte d'obéïſſance à la Loi ;
mais il eſt maintenant un remede à l'in-
firmité : In populo Dei fuit aliquando le-
gis obſequium, nunc eſt infirmitaris reme-
dium
: parceque les Juifs ſe marioient
pour obeïr à la Loi écrite , & pour ſui-
vre ſon eſprit ; au lieu que les Chré-
tiens ſe marient maintenant à cauſe
de leur foibleſſe , & de l'infirmité de
leur chair.
Il faut même obſerver que ce ſaint
Lib. de
ſancta
Virg.c. 9.
& lib. 2.
de adult.
conjugis.
6. 12.
Docteur a quelquefois dit , que c'eſt là la
principale raiſon qui doit porter les Chré-
tiens à ſe marier : que les Juifs pouvoient
s'engager dans le Mariage pour avoir des
enfans ; parcequ'il falloit contribuer à la
propagation du peuple de Dieu , & à la
naiſſance du Meſſie. Mais que les Fide-
les étant maintenant appellez au Roïau-
me de Dieu de toutes les parties du mon-
de , & de toutes les nations de la terre , il
n'eſt plus neceſſaire de deſirer d'avoir des
enfans ; que tous ceux qui ſont capables
de la virginité doivent l'embraſſer ; &
que le Mariage n'eſt à proprement par-
ler, que pour ceux qui ne ſont pas en état
de garder la continence.

35
des Gens Mariez Ch. III.
Cette penſée qui paroît un peu forte ,
prouve ſans doute que ce Pere avoit un
tres-grand zele pour la virginité , puis-
qu'il vouloit y porter toutes ſortes de
perſonnes ; mais elle juſtifie auſſi qu'il a
crû que les Fideles qui reconnoiſſent leur
foibleſſe peuvent avoir recours au Ma-
riage , comme à un remede ſalutaire de-
ſtiné de Dieu pour guerir leurs paſſions.
Cette fin eſt auſſi autoriſée par le Cate-
De Sa-
cram.
Matrim.
c. 3.
chiſme Romain
. Le troiſiéme motif,
dit-il, qui peut porter à ſe marier , &
qui n'a eu lieu que depuis le peché du
premier homme , eſt de chercher dans
le Mariage un remede contre les deſirs
de la chair , qui ſe revolte contre l'eſ-
prit & la raiſon , depuis la perte de la
juſtice dans laquelle l'homme avoit été
créé. Ainſi celui qui connoiſt ſa foibleſ-
ſe , & qui ne veut pas entreprendre de
combattre ſa chair , doit avoir recours
au Mariage comme à un remede pour
s'empêcher de tomber dans le peché de
l'impureté.   D'où vient que ſaint Paul
donne cet avis aux Corinthiens : Que
chaque homme vive avec ſa femme, &
que chaque femme vive avec ſon mari
pour éviter la fornication.
  Et enſuite
après leur avoir dit, qu'il eſt bon de s'ab-
ſtenir quelquefois de l'uſage du Mariage,
pour s'exercer à l'oraiſon,
il ajoûte auſ-
ſi-toſt : mais enſuite vivez enſemble com-
B vj 36La Vie me auparavant , de peur que le démon ne
prenne ſujet de vôtre incontinence de vous
tenter.
Voilà les deux fins pour leſquelles il eſt
permis , ſelon l'Ecriture & les ſaints Pe-
res
de contracter mariage.  Le Concile
de Cologne
de l'an 1536. a jugé qu'il eſt
Part. 7.
cap. 41.
abſolument neceſſaire que tous ceux qui
veulent s'y engager en ſoient inſtruits.
C'eſt pourquoi il ordonne aux Prêtres &
aux Paſteurs de les leur expliquer , & de
leur faire comprendre que s'ils s'en pro-
poſent d'autres , il pechent griévement,
& prophanent un Sacrement vénérable
de la Loi nouvelle3.
Il faut donc que les Fidelles ne ſe ma-
rient que dans la vûë de l'une ou de l'au-
tre de ces deux fins , s'ils deſirent entrer
dans cet état avec des intentions droites
& legitimes , & qui ſoient dignes de ceux
qui ont l'honneur d'être les enfans des Ss4.
Comme cette matiere eſt tres-impor-
tante , je ne veux rien omettre de ce qui
peut ſervir à l'éclaircir : ainſi je recon-
nois avec les Theologiens , qu'il y a de
certains avantages qui accompagnent
ſouvent le Mariage , & qui contribuënt
à rendre heureux ceux qui en joüiſſent ;
& je ne diſconviens pas qu'il ne ſoit per-
mis de les rechercher, pourvû qu'on n'en
faſſe pas ſon unique fin.  On peut , par
exemple, deſirer en ſe mariant, de trouver

37
des Gens Mariez Ch. III.
un mari ou une femme qui ſoit noble , ri-
che , ſociable , & de bonne humur , qui
ait de l'eſprit , de la ſageſſe & du diſcer-
nement , & dont on puiſſe eſperer d'être
ſecouru & aſſisté dans ſes besoins & dans
ſa vieilleſſe. Le Catechiſme Romain l'en-
ſeigne expreſſément : car après avoir
marqué les fins principales qu'il faut se
propoſer en s'engageant dans le Maria-
ge , il ajoûte : outre ces motifs , un
homme peut encore être porté à faire
choix d'une femme , & à la preferer à
une autre pour d'autres conſiderations,
comme peuvent être l'eſperance d'en
avoir des enfans plûtôt que d'une autre,
ou ſes richeſſes , ſa beauté , ſa nobleſ-
ſe , & la conformité de ſon humeur
avec la ſienne. Car toutes ces vûes ne
De Sa-
cram.
matri. §.
ſont point blâmables , puiſqu'elles ne
ſont point contraires à la ſainteté & à
la fin du Mariage. Et nous ne voyons
point que l'Ecriture ſainte condamne
le Patriarche Jacob , de ce que touché
de la beauté de Rachel, il la prefera à
Lia.
Mais ces differentes conſiderations
ſupposent qu'on s'eſt déterminé à em-
braſſer la vie conjugale par des motifs
plus nobles & plus puiſſans , & qui ayent
plus de rapport à l'inſtitution du Maria-
ge : car ces ſortes de biens & d'avantages
ne ſont pas aſſez conſiderables par eux-

38
La Vie
mêmes , pour ſervir de fin à des Chré-
tiens dans une action de ſi grande conſe-
quence , & qui peut tant contribuer à
In lib. 4.
ſentent.
diſtinct.
30. §. 9.
leur ſalut éternel ; & le ſçavant Eſtius
enſeigne , qu'encore que ceux qui ſe ma-
rient puiſſent les conſiderer , ils ne ſont
pas neanmoins la fin du Mariage.
Je puis donc conclure qu'il n'y a pro-
prement que les deux motifs qu'on a
marquez cy-deſſus , qui doivent déter-
miner les Chrétiens à entrer dans cet
état ; & que ceux qui s'y engagent par
des raiſons purement temporelles, com-
me pour devenir riches , pour monter
aux dignitez du ſiecle , & pour faire for-
tune , s'éloignent de la pureté des maxi-
mes de l'Ecriture ſainte , & des Peres de
l'Egliſe
: on en ſera encore plus perſuadé
lorſqu'on aura conſideré ce que je dois
repreſenter dans les Chapitres ſuivans.
Bandeau.

CHAPITRE IV.

Que les Fideles qui ſe marient doivent
avoir ſoin de ne s'allier qu'avec des per-
ſonnes de probité , & qui vivent d'une
maniere chrétienne.
IL ſeroit fort inutile de ſe propoſer
une fin droite & legitime en ſe ma-
riant , ſi on faiſoit enſuite un mauvais
choix , & ſi on s'allioit à une perſonne

39
des Gens Mariez Ch. IV.
qui ne fût pas de bonnes mœurs , & qui
n'eût pas les qualitez qui ſont neceſſaires
pour concourir à rendre un Mariage
heureux & chrétien. On peut même dire
qui ſi on choiſiſſoit volontairement un
tel parti , on n'auroit qu'une intention
corrompuë , & qu'il ſeroit impoſſible
qu'on ſe propoſaſt en cette rencontre une
bonne fin. C'eſt pourquoi il eſt tres-im-
portant de faire comprendre aux Fideles
qu'ils ſont obligez , lorſqu'ils croient
être deſtinez à cet état , de n'épouſer que
des perſonnes de vertu & de pieté , avec
qui ils puiſſent ſe ſanctifier , & vivre en
paix , & dans la crainte du Seigneur.
L'Ecriture le marque expreſſement
lorſqu'elle dit , Avez-vous une fille , ma-
riez-la , & donnez-la à un homme de
grand ſens: homini ſenſato da illam
. Elle
ne dit pas à un homme de grands biens ,
à un homme qui ait une grande charge ,
mais un homme de grand ſens , qui eſt
une qualité inſeparable de la crainte de
Dieu , & de la ſolide pieté , ſelon la mê-
me Ecriture.  Elle nous apprend qu'A-
braham
défendit à ſon fils Isaac de ſe ma-
rier avec aucune des filles des Chana-
néens
, qui étoient idolâtres & corrom-
pus dans leurs mœurs; qu'il lui ordonna
d'aller dans ſon païs , & de s'y choiſir
une femme dans ſa propre famille ; &
qu'il obligea même ſon ſerviteur de lui

40
La Vie
promettre avec ſerment , qu'il auroit
ſoin de ſuivre exactement ſa volonté ,
car il ſe repoſoit ſur lui de tout ce qui
concernoit le Mariage de ſon fils. Met-
Gen. 24.
2. 3. 4.
tez vôtre main ſur ma cuiſſe
, lui dit-il, &
jurez-moi par le Seigneur le Dieu du Ciel
& de la Terre , que vous ne prendrez au-
cune des filles des Chananéns parmi leſquels
j'habite , pour la faire épouſer à mon fils ;
mais que vous irez au pays où ſont mes pa-
rens , afin d'y prendre une femme pour mon
fils Isaac.
 Ce ſaint Patriarche crut être
obligé d'empêcher abſolument que ſon
fils n'entrât dans l'alliance des impies &
des infideles ; & il aima mieux qu'il allât
chercher bien loin une femme , & même
dans le païs qu'il avoit quitté par l'ordre
de Dieu.
Cela fut ponctuellement executé : car
ce fidele ſerviteur conduiſit Isaac dans la
Meſopotamie, & lui fit épouſer la chaſte
Rebecca ; & ce Mariage fut beni du Ciel,
& accompagné de toutes ſortes de proſ-
peritez.
C'eſt une preuve éclatante de l'obliga-
tion qu'ont tous ceux qui craignent
Dieu, d'éviter de s'allier avec des im-
pies, & de ne ſe marier au contraire que
dans des familles dont la pieté ſoit con-
ſtante & bien établie.
Dieu en fit dans la ſuite une loi , & il
défendit aux Juifs avant même qu'ils

41
des Gens Mariez Ch. IV.
fuſſent arrivez à la terre promiſe , de
choiſir des maris & des femmes pour
leurs enfans parmi les peuples infideles
qui habitoient ces Régions. Vous ne ferez
Exod , 34.
15. 16.
point d'alliance
, leur dit-il, avec les ha-
bitans de ce pays-là , de peur que lorſqu'ils
ſe ſeront corrompus avec leurs Dieux , &
qu'ils auront adoré leurs ſtatues, quelqu'un
d'entr'eux ne vous invite à manger avec lui
des viandes qu'il leur aura immolées. Vous
ne ferez point épouſer à vos fils des filles de
ce pays-là, de peur qu'après qu'elles ſe ſe-
ront corrompues elles-mêmes avec leurs
Dieux, elles ne portent vos fils à se corrom-
pre aussi comme elles. Vous ne contracterez
Deut. 7.
3. 4.
point de Mariage avec eux ; vous ne don-
nerez point vos filles à leurs fils , & vos
fils n'épouſeront points leurs filles; parceque
leurs filles ſeduiront vos fils , & leur per-
ſuaderont de m'abandonner , & d'adorer
au lieu de moi, des Dieux étrangers. Ain-
ſi la fureur du Seigneur s'allumera contre
vous , & vous exterminera dans peu de
tems.
Ce fut en vertu de cette loi , & de
peur de la tranſgreſſer, que le pere & la
mere de Samſon, qui étoient de vrais Iſ-
raelites
, ne voulurent pas d'abord lui
permettre d'épouſer une Philistine N'y
Judic.
14. 3.
a-t-il point
, lui dirent-ils, de femmes parmi
toutes les filles de vos freres, & parmi tout
vôtre peuple , pour vouloir prendre une


42
La Vie
femme d'entre les Philistins qui ſont incir-
concis ?
L'Ecriture marque qu'ils lui par-
lerent ainſi , & qu'ils s'oppoſerent à ſon
Mariage parcequ'ils ne ſçavoient pas
qu'il ne s'y portoit que par l'ordre de
verſ. 4.
Dieu, qui vouloit perdre les Philistins,
& qui avoit deſſein de ſe ſervir de lui
pour les punir. En effet n'étant pas in-
formez de ce myſtere , ils avoient raiſon
de rejetter cette alliance que leur fils leur
propoſoit de faire ; ils étoient même
obligez d'emploier toute l'autorité qu'ils
avoient ſur lui pour l'en détourner ; &
les Interpretes remarquent qu'ils n'y
conſentirent que parceque Dieu leur en
donna le mouvement par une inſpiration
ſecrette , ou qu'il leur fit connoître par
quelque ſigne exterieur qu'il le vouloit
ainſi.
Que l'on conſidere avec attention la
conduite de tous les Patriarches , & l'on
reconnoîtra qu'ils ont toujours eu ſoin
de ſuivre cette loi , & qu'ils ſe ſont fait
un point de religion, de ne contracter ni
alliance , ni mariage avec les infideles.
Tobie deſirant ſe marier, épouſa Anne
Tob.I. 9.
qui adoroit le vrai Dieu , & qui étoit de
c. 7.
ſa même Tribu. Son fils le jeune Tobie
ne voulut point prendre pour femme au-
cune des filles de Ninive où il étoit cap-
tif ; & profitant des conſeils de l'Ange
qui le conduiſoit pendant ſon voyage ,

43
des Gens Mariez Ch. IV.
il ſe maria avec Sara qui craignoit le Sei-
gneur , & qui étoit auſſi de ſa Tribu.
Tous les autres Juſtes de l'ancien Teſta-
ment
5 n'ont pas moins témoigné de zele
pour l'obſervation de cette même loi.
On en peut juger par ce qui arriva
après que les Juifs furent ſortis de Baby-
lone
, & retournez en Judée.  Eſdras
3. Eſdr.
9. 10.
ayant eſté averti par les Princes du peu-
ple, qu'un grand nombre d'entr'eux s'é-
toient mariez pendant leur éxil à des
femmes étrangeres & infideles , déchira
auſſi-tôt ſes vétemens , s'arracha la bar-
be & les cheveux , & ſe laiſſa aller à une
extrême douleur, dans la vûë d'une telle
prévarication. Il en demanda publique-
ment pardon à Dieu ; & il obligea tous
ceux qui avoient contracté ces ſortes de
Mariages, de ſe ſeparer de leurs femmes,
& de chaſſer de leurs maiſons les enfans
qu'ils en avoient eus.
Les Chrétiens ne ſont pas moins obli-
gez que les Juifs , d'éviter l'alliance des
infideles , c'eſt-à-dire , de ceux qui vi-
vent dans le deſordre & dans la corrup-
tion , & de ne ſe marier qu'à des perſon-
nes de probité , qui craignent & qui ſer-
vent le Seigneur : il est facile de le juſti-
fier par ſaint Paul. Il dit aux Corinthiens:
2. Cor. 6.
14. 15.
Ne contractez point d'alliance avec les In-
fideles pour porter le joug avec eux : car
quelle union peut-il y avoir entre la juſti-

44
La Vie
ce & l'iniquité ? Quel commerce entre la
lumiere & les tenebres ? Quel accord entre
JESUS-CHRIST & Belial ? Quelle ſo-
cieté entre le fidele & l'infidele ? Quel rap-
port entre le Temple de Dieu & les Idoles?
Et lorſqu'il parle des veuves qui veu-
I. Cor. 7.
39.
lent ſe marier , il dit : La femme eſt liée
à la loi du Mariage, tant que ſon mari eſt
vivant ; mais ſi ſon mari meurt , il lui eſt
libre de ſe marier à qui elle voudra, pourvû
que ce ſoit ſelon le Seigneur
: c'eſt-à-dire,
comme le remarquent pluſieurs Inter-
pretes , pourvû qu'elle épouſe un hom-
me fidele , & qui ſoit membre de l'E-
gliſe.
C'eſt ſur ce fondement que les Canons6
Concil.
Calced.
can. 14.
Iv. part.
8. c. 24.
Grat. 28.
q. I. c.
6. &.17.
condamnent les Mariages entre les Ca-
tholiques & les Heretiques ou les Infi-
deles, à moins que ceux-ci ne ſe conver-
tiſſent , & n'embraſſent la vraye foi ,
ou ne promettent de le faire au plûtôt.
Mais rien ne prouve mieux qu'il eſt
tres-important, & même neceſſaire, de
ne s'allier qu'avec d'honnêtes gens, que
les inconveniens & les malheurs qui
naiſſent ordinairement des Mariages
contractez avec des impies & avec des
infideles.
L'Ecriture nous en fournit pluſieurs
exemples funeſtes. Les deſcendans de
Seth qui avoient toujours gardé la juſ-
tice , & vêcu dans la pieté , n'eurent pas

45
des Gens Mariez Ch. IV.
plûtôt pris des femmes parmi les en-
fans de Caïn , qui étoient des impies ,
qu'ils ſe pervertirent & ſe corrompirent
juſqu'à un tel point , que toute la ter-
re ſe trouva en peu de tems couverte
de crimes & d'abominations ; ce qui
provoqua la colere de Dieu , attira le
déluge , & cauſa la perte du genre hu-
main. Les enfans de Seth, dit ſaint
Liv. 15.
de Civ.
Dei , c.
22.
Auguſtin, qui avoient été juſqu'alors
la race des Saints , & qui avoient mé-
rité par leur attachement à Dieu, que
l'Ecriture les appellât les enfans de
Dieu, ſe mêlerent par une alliance tres‑
indigne d'eux , avec la poſterité mal-
heureuſe de Caïn. Ils imiterent bien-tôt
l'impieté de ces filles nées impies d'une
race impie, auſquelles une paſſion vio-
lente les avoit aſſujettis ; & ils effa-
cerent de leur cœur tous les ſentimens
de religion & de vertu qu'ils avoient
appris de l'exemple & de l'inſtruction
de leur pere.
Saint Cyrille remarque que par un
effet digne de la juſtice de Dieu , les
enfans qui nâquirent de cette alliance
déteſtable , furent des monſtres effroya-
bles, non ſeulement par leur difformité
exterieure , mais par la dépravation de
leurs mœurs. Après que les enfans de
Lib. 3.
in Gen.
Seth,
dit ce Pere, eurent choiſi des
femmes de la race de Caïn , & imité
 46La Vie leurs ſacrilèges & leurs deſordres hon-
teux , il ſortit de ces Mariages crimi-
nels non des hommes, mais des mon-
ſtres : car ces Geants nez de l'alliance
de ces deux races qui n'auroient jamais
dû ſe mêler enſemble, étoient des mon-
ſtres horribles , non ſeulement par la
laideur de leur corps, mais encore plus
par l'excès de leur orgueil , de leur in-
humanité & de leur corruption.
Saint Ambroiſe & pluſieurs autres
Ambr.
Epiſt. 24.
Peres , ſoûtiennent que Dalila , que
Samſon épouſa après la Philiſtine , dont
on a déja parlé , étoit auſſi infidele : ils
diſent que l'on peut juger par cet exem-
ple , combien ces ſortes de Mariages
ſont capables d'irriter la colere de Dieu:
car cette malheureuſe femme ayant ſé-
duit l'eſprit , & corrompu le cœur de
ſon mary, le livra entre les mains de ſes
Jud. 16.
ennemis , & fut cauſe qu'il périt miſera-
blement.
Ce qui arriva à Salomon paroît en-
core plus déplorable : car ce Prince qui
étoit le plus ſage de tous les hommes ,
& qui avoit toujours paru ſi zelé pour
la gloire du vray Dieu , ayant épouſé
des femmes étrangeres & infideles ,
tomba dans une idolâtrie honteuſe, &
fut frappé d'un tel aveuglement qu'il
fléchit les genoux devant les Idoles de
ſes femmes, qu'il leur preſenta de l'en-

47
des Gens Mariez Ch. IV.
cens , & qu'il leur bâtit des Temples.
Voici comme l'Ecriture parle de ſa
chûte & de ſon infidelité.   Le Roy Salo-
3. Reg.12.
I. 2. &
ſequens.
mon
aima paſſionnément pluſieurs femmes
étrangeres , entr'autres la fille de Pharaon,
des femmes de MoabMoab & d'Ammon, des fem-
mes d'Idümée, des Sidoniennes7, & du pays
des Hethéens8,qui étoient toutes des nations
dont le Seigneur avoit dit aux enfans d'Iſ-
raël : Vous ne prendrez point pour vous de
ces femmes , & vos filles n'épouſeront point
des hommes de ce pays-là : car ces nations
vous pervertiront le cœur tres-certainement
pour vous faire adorer leurs Dieux.  Salo-
mon
s'attacha donc à ces femmes avec une
paſſion tres-ardente; & lorſqu'il étoit déja
vieux, les femmes lui corrompirent le cœur
pour lui faire ſuivre des Dieux étrangers ;
& ſon cœur n'étoit point parfait devant le
Seigneur son Dieu,comme avoit été le cœur
de David ſon pere.
Après toutes ces autoritez tirées de
l'Ecriture , il faut écouter Tertullien ,
lorſqu'il parle des Mariages que des
Chrétiens contractent avec des Payens.
Il dit que la femme qui épouſe un Infi-
Lib. 2.
ad uxor.
dele, ſe met en danger de l'imiter dans
ſon infidelité , & qu'elle eſt ſouvent
comme forcée de prendre part à ſes vo-
luptez & à ſes plaisirs criminels; qu'elle
lui devient ſuſpecte quand elle veut ſe
cacher de lui dans ſes dévotions ; &

48
La Vie
qu'elle l'irrite lorſqu'elle les pratique en
ſa preſence ; qu'étant à table avec lui ,
elle n'a pas la liberté de parler de Dieu,
d'invoquer JESUS-CHRIST , de
nourrir la foi pour la lecture des Livres
ſacrez , & de louer le Seigneur qui lui
fournit les alimens qu'elle prend : &
qu'au contraire tout ce qu'elle voit , &
tout ce qu'elle entend pendant les re-
pas eſt indigne d'elle, contraire au ſalut ,
& capable de lui faire encourir la dam-
nation éternelle ; qu'elle eſt expoſée à
ſes railleries, lorſqu'elle fait le ſigne de
la Croix ſur elle & ſur ſon lit ; qu'elle
ne peut ſe relever auſſi ſouvent qu'elle
voudroit pendant la nuit pour prier; &
qu'il l'accuſe de magie , lorſqu'il voit
qu'elle a ſoin de prendre à jeun, & avant
toute ſorte de nourriture , le Corps de
JESUS-CHRIST.
A la verité ce Pere ne parle dans le
Texte qu'on vient de rapporter, que de
celles qui contractent Mariage avec des
Infideles.  Mais il eſt viſible que tout
ce qu'il dit , fait voir avec évidence
qu'il n'eſt point permis aux Chrétiens
de s'allier avec des perſonnes dont la
vie & les mœurs ne ſoient pas bien re-
glées ; & que s'ils en uſent autrement,
ils ſe mettent en danger de déchoir inſen-
ſiblement de la vertu dont ils faiſoient
profeſſion , & même d'imiter les dé-
fauts

49
des Gens Mariez Ch. IV.
fauts & les paſſions de ceux qu'ils épou-
ſent.  Par exemple , ſi une fille ſage &
modeſte , & qui a toujours vêcu avec
beaucoup de retenue , vient à être ma-
riée à un homme qui aime la joie &
les plaiſirs & qui s'abandonne à la diſſo-
lution, elle ne peut preſque plus vaquer
à ſes exercices ordinaires de pieté ; & il
eſt fort à craindre qu'elle ne ſe relâche
& ne ſe pervertiſſe dans la ſuite , car il
ne lui donne pas le tems de prier : il
s'oppoſe à ſes jeûnes & à ſes mortifi-
cations ; il la contraint de porter ſur
elle des marques du luxe & de la vanité
du ſiecle ; il ne lui parle que de choſes
vaines & inutiles , pour ne pas dire cri-
minelles ; il l'oblige de voir des compa-
gnies dangereuſes pour le ſalut ; il ne
lui donne que de mauvais exemples; &
ſouvent même il veut qu'elle aſſiſte à
ſes divertiſſemens prophanes. Il eſt cer-
tain que c'eſt-là pour elle une tres‑
grande tentation ; & ſi elle s'y expoſe
volontairement, elle ne doit pas eſperer
que Dieu faſſe des miracles pour l'em-
pêcher d'y ſuccomber.
Les maris étant ordinairement les
maîtres dans leurs familles , & ayant
d'ailleurs plus de force d'eſprit que
leurs femmes , il ſembleroit qu'il n'y
auroit pas pour eux beaucoup de danger
à en prendre qui ſoient ſujettes à quel-
C

50
La Vie
ques paſſions extraordinaires , parce-
qu'ils peuvent facilement les réprimer,
& s'en garantir. Mais néanmoins il eſt
vrai de dire qu'ils ſont des témeraires,
lorſqu'ils choiſiſſent de telles femmes:
car qui eſt-ce qui leur a dit qu'ils au-
ront aſſez de fermeté pour les contre-
dire, & pour leur réſiſter ?  Qu'au lieu
de les inſtruire & de les reprendre , ils
ne demeureront point dans le ſilence par
une vaine complaiſance pour elles ;
qu'ils ne ſe laiſſeront pas gagner par
leurs diſcours pleins d'affectation , &
par leurs aſſiduitez ; & qu'ils ne ſe por-
teront point enfin à les imiter ?  L'e-
xemple d'Adam qui viola la Loi de Dieu
par complaiſance pour ſa femme , & de
peur de la contriſter , doit leur ſervir
d'inſtruction , & leur apprendre qu'il y
a toujours du danger pour des maris qui
ſont obligez de vivre & de converſer
continuellement avec des femmes peu
reglées , parceque leur ſexe les rend
adroites à s'inſinuer dans les eſprits , &
leur donne des charmes propres à gagner
& à captiver le cœurs.
Comme les contraires ne paroiſſent
jamais avec plus d'éclat que lorſqu'ils
Ibid.
ſont oppoſez à leurs contraires.  Ter-
tullien
décrit enſuite le bonheur d'un
Mariage contracté entre deux Fideles ;
& la deſcription qu'il en fait , prouve

51
des Gens Mariez Ch. IV.
que tous ceux qui penſent ſerieuſement
à ſe ſauver , doivent avoir ſoin de n'é-
pouſer que des perſonnes de probité. Il
dit qu'il n'y a rien de plus tranquille ,
de plus heureux , ni de plus accompli
qu'une telle alliance , parceque le mari
& la femme ont les mêmes penſées &
les mêmes deſirs ; parcequ'ils gardent
la même regle & la même diſcipline
dans la conduite de leur vie ; parce-
qu'ils ſervent & qu'ils reconnoiſſent le
même Maître ; parcequ'ils ſont veri-
tablement freres, ayant JESUS-CHRIST
pour pere ; parcequ'ils prient & qu'ils
jeûnent enſemble ; qu'ils offrent le mê-
me ſacrifice ; qu'ils font leurs aumônes
en commun, & qu'ils prennent le même
tems pour viſiter les pauvres & les ma-
lades ; parcequ'ils adorent Dieu , &
qu'ils s'acquittent librement en preſence
l'un de l'autre de tout ce qui regarde
ſon culte ; parcequ'ils ne rougiſſent
point de faire le ſigne de la Croix , &
de benir les viandes avant que de s'en
nourrir ; parcequ'ils ne ſont point obli-
gez de ſe cacher , & d'uſer de diſſimu-
lation dans la plûpart de leurs exercices
de pieté ; parcequ'enfin ils ſont unis de
l'union la plus intime & la plus par-
faite que l'on puiſſe deſirer , puiſque
non ſeulement ils ne ſont plus qu'une
même chair , mais qu'ils n'ont qu'un
C ij

52
La Vie
ſeul & même eſprit.
La doctrine de S. Ambroiſe eſt auſſi
tres-importante ſur ce ſujet : il faut
l'expliquer aux Lecteurs. Il dit que la
conduite qu'Abraham tint dans le Ma-
riage de ſon fils Iſaac , apprend à tous
les Chrétiens qu'ils doivent craindre de
s'allier avec des perſonnes dont la ré-
putation n'eſt pas bien établie. Il déclare
qu'étant écrit : Vous ſerez ſaint avec les
Lib. I de
Abrach.
6. 9.
ſaints , & vous deviendrez méchant avec
les méchans
; cela ſe trouve encore plus
veritable, & arrive plus facilement dans
le Mariage , que dans les autres états
où l'on peut entrer , parceque le mari
& la femme n'ont plus qu'une chair &
un eſprit.  Il ſoûtient qu'il ne peut y
avoir d'amour veritable & ſincere entre
ceux qui ont une foi differente ; & que
la chaſteté & la fidelité qui ſont les
loix fondamentales du Mariage, ne ſçau-
roient ſe trouver parmi ceux qui adorent
les faux Dieux dont on raconte les im-
puretez & les adulteres , & qui renon-
cent à JESUS-CHRIST qui prêche la
pureté , & qui la doit récompenſer.  Il
ajoûte que Salomon enſeigne que c'eſt
le Seigneur qui donne à l'homme une
Prov. 19.
24.
femme ſage ; mais que celui qui en
prend une infidele , ne peut pas croire
qu'il la reçoive des mains de Dieu ; &
qu'il y a même grand ſujet de craindre

53
des Gens Mariez Ch. IV.
qu'elle ne le pervertiſſe, parceque ſou-
vent les femmes corrompent & font
tomber les hommes qui paroiſſent les
plus forts & les plus affermis dans la
vertu. Il conclut que pour profiter de
l'exemple d'Abraham & des autres Pa-
triaches
, il faut n'avoir égard en ſe
mariant qu'à la vertu & aux bonnes qua-
litez, & non point aux richeſſes ni aux
avantages temporels.
Cette maxime ſurprendra peut-être
les Fideles , & leur paroîtra trop forte.
Mais il ne faut pas qu'ils la condam-
nent , & qu'ils la rejettent , puiſqu'elle
eſt fondée ſur l'autorité d'un Pere ſi con-
ſiderable , & je leur expliquerai dans la
ſuite en quel ſens elle doit être priſe, &
de quelle maniere les autres ſaints Peres
l'ont entenduë, lorſqu'ils ont traité de
cette matiere.
Petit fleuron
Ciij

54
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE V.

Que les ſaints Peres condamnent ceux qui
voulant s'engager dans le Mariage , ne
ſe mettent en peine que de trouver des
partis riches , & qui leur plaiſent ; ne
penſent nullement à la bonne éducation
que peuvent avoir eu les perſonnes qu'ils
recherchent , & n'examinent ni leurs
mœurs , ni leur conduite.


CE que je dois repreſenter dans ce
Chapitre , ſervira à confirmer ce
que j'ai dit dans le précedent : car ſi
les ſaints Peres condamnent ceux qui
n'ont égard qu'aux biens & aux avan-
tages temporels dans les Mariages qu'ils
contractent , & qui negligent d'exami-
ner les mœurs & la pieté des perſonnes
qu'ils recherchent , il s'enſuit qu'ils ont
crû que les fideles ne doivent s'allier
que dans des familles d'honneur , & où
la pieté ſoit comme hereditaire.
Tertullien ſoûtient qu'une fille Chré-
Lib. 2.
ad uxor.
t. 8.
tienne doit préferer , lorſqu'elle prend
un mari , un homme pauvre , mais ver-
tueux , à celui qui étant riche , neglige
la vertu , & n'a pas ſoin de s'acquitter
des devoirs de la Religion : il dit que ſi
elle en uſe de la ſorte , elle ſera toû-
jours riche & heureuſe avec un tel ma-

55
des Gens Mariez Ch. V.
ri , parceque le Royaume des Cieux
eſt pour les pauvres , & qu'elle pourra
même participer dès cette vie à toutes
les bonnes qualitez de ſon époux. Ainſi
il eſt évident qu'il improuve les Maria-
ges où on conſidere moins la vertu que
la fortune.
Saint Ambroiſe cenſure tres-ſevere-
ment ceux qui ne prennent des femmes
que pour leur ſeule beauté , ſans conſi-
derer ſi elles poſſedent les qualitez qui
font les veritables Chrétiennes. Pour-
quoi,
dit-il, recherchez-vous plûtôt ,
Lib. de
Instit.
Virgin.
c. 4.
en prenant une femme , la beauté du
corps, que celle des mœurs ? Choiſiſſez
une épouſe qui vous plaiſe , non par
l'éclat de ſon visage , mais par la ſa-
geſſe de ſes mœurs & de ſa conduite ;
préferez à toute autre celle qui a ſoin
d'imiter Sara par la ſainteté de ſa vie.
Ce n'eſt pas un defaut à une femme de
n'être pas née belle, ni agreable, mais
c'en eſt un pour un homme de deſirer
de trouver dans la femme qu'il épouſe,
une vaine beauté qui lui devient ſou-
vent un sujet de tentation , & qui met
quelquefois ſa vie en danger.  On ne
doit pas à la verité condamner la beau-
té exterieure, puiſqu'elle eſt un don de
Dieu , & l'ouvrage de ſes mains : mais
il faut dire à ceux qui la conſiderent
uniquement dans les Mariages qu'ils
Ciiij 56La Vie contractent, qu'ils devraient beaucoup
plus eſtimer celle de l'ame , qui a été
faite à la reſſemblance de Dieu, & qui
porte ſon image.
C'eſt auſſi le ſentiment de S. Jerôme,
In cap.2.
Malach.
qu'il eſt honteux à un Chrétien de ſe
déterminer à prendre une femme par la
ſeule conſideration de ſon exterieur qui
paroît agreable.  Il dit qu'on ne recher-
che ordinairement la beauté que dans
les femmes proſtituées ; mais que pour
celles qui ſont legitimes , on les conſi-
dere à cauſe de leur vertu & de leurs au-
tres bonnes qualitez. Il ſoûtient même
qu'il eſt ſouvent avantageux d'en choiſir
Lib. I.
Jovin.
adverſ.
qui ſoient deſtituées de beauté , & des
autres agrémens extérieurs, parcequ'on
évite par là les ſoupçons , les jalouſies,
les impuretez , & pluſieurs autres in-
conveniens qui troublent la paix & la
concorde des Mariages.
Ce ſaint Docteur ſe plaint encore des
femmes & des filles Chrétiennes qui
n'épouſent des maris qu'à cauſe de leurs
richeſſes & de leur fortune : il dit qu'el-
les eſtiment moins la pureté , que des
biens vils & periſſables ; il les accuſe
d'imiter en quelque maniere les femmes
débauchées qui proſtituënt leurs corps
pour un peu d'argent : il rapporte pour
les confondre par un exemple ſenſible,
Epiſt. 16. la conduite que la celebre Marcelle tint

57
des Gens Mariez Ch. V.
en un occasion ſemblable. Etant demeu-
rée veuve tres-jeune , le Conſul Cerea-
lis
, illuſtre par ſa naiſſance & par ſes
grands Emplois , la rechercha en Ma-
riage ; & parcequ'il étoit fort âgé , il
promit de lui donner tous ſes biens ,
comme ſi elle eût été ſa propre fille.
Albine ſa mere ſouhaitoit fort qu'elle
écoutât cette propoſition , & qu'elle
conclût ce Mariage qu'elle lui jugeoit
tres-avantageux.  Mais elle rejetta ge-
nereuſement, & elle lui fit cette réponſe
pleine de ſageſſe & de diſcernement: Si
je n'avois pas reſolu de garder la continence
le reſte de mes jours, & ſi je voulois me ma-
rier, je chercherois un mari , & non pas
une ſucceſſion.
Mais ſans nous arrêter davantage aux
autres Peres de l'Egliſe , il faut paſſer
au grand S. Chryſoſtome; car il n'y en a
point qui ſe ſoient élevez avec plus de
zele contre ceux qui ne penſent dans les
Mariages qu'ils contractent , qu'à la
beauté , aux richeſſes , & à des choſes
de cette nature.
Il obſerve en expliquant la Geneſe,
qu'Abraham, comme on l'a déja remar-
Hom. 18.
in Gen.
qué, ne voulut pas permettre à ſon fils
Isaac de prendre pour femme une des
filles de Cananéens, qui étoient riches
& opulens , mais plongez dans l'idola-
trie , & qu'il lui ordonna d'en aller
C v

58
La Vie
chercher une dans ſon païs & dans ſa
famille : il dit que cet exemple apprend
aux Chrétiens qu'ils doivent conſiderer,
lorſqu'ils ſe marient , non les richeſſes
& les avantages temporels, mais la vertu
& les bonnes mœurs de ceux avec qui
ils ont deſſein de contracter alliance.
Il exhorte tous les fideles à faire une
attention particuliere à la conduite du
Patriarche Jacob , qui épouſa les deux
filles de Laban , Lia & Rachel , ſans
faire aucune paction pour leur dot, ni
s'informer de ce qu'on leur donneroit
en Mariage. Voyez, dit-il, combien les
Hom.
57. in
Gen.
mœurs de ces ſaints perſonnages
étoient pures & bien reglées : ils ne
parloient point des troupeaux qu'on
leur donneroit ; ils ne faiſoient point
de contrats , & ils ne prenoient point
toutes les précautions qui ſont ſi ordi-
naires aux gens du monde ; ils ne di-
ſoient point comme eux : Si telle &
telle choſe arrive , ſi nous avons des
enfans , ou ſi nous n'en avons point :
ils ne faiſoient pas conſiſter leur pru-
dence à prévoir tous les cas qui pou-
voient arriver dans la ſuite des tems.
Il condamne auſſi-bien que S. Jerôme,
Hom.20.
in Epiſt.
ad Eph.
ceux qui ne prennent des femmes que
pour leur beauté : il dit qu'ils ſont bien
aveuglez de rechercher avec tant d'em-
preſſement une choſe ſi vaine , & qui ne

59
des Gens Mariez Ch. V.
dure qu'un tres-peu de tems, qui eſt ſu-
jette à être détruite & corrompuë par
mille accidens differens; qui les expoſe à
former contre leurs femmes des juge-
mens tres-deſavantageux à leur condui-
te ; qui leur devient tres - ſouvent une
ſource de troubles & de diſcordes, & qui
leur attire quelquefois des tres-grands
malheurs.
Il declare que celui qui n'entre dans
Ibid.
le Mariage que pour s'enrichir des biens
de ſa femme , & pour faire fortune , ſe
deshonore lui-même, parcequ'il dépend
de celle qui lui eſt inferieure en toutes
manieres; & que contre l'ordre de la na-
ture il reçoit ſe grandeur9, & tient ſon
élevation de celle dont il devroit lui‑
même faire toute la gloire.
Il enſeigne qu'un pere qui voulant ma-
Hom. 12.
in Epiſt.
ad Coloſſ.
rier ſa fille , ne penſe qu'à lui procurer
un parti riche & puiſſant , cherche à
lui donner un maître & un tyran , &
non pas un mari; parceque cet homme
riche & opulent ne l'a pas plûtôt épou-
ſée , qu'il la neglige , qu'il la mépriſe ,
qu'il la domine , & qu'il la traite com-
me une ſervante & une eſclave.
Il accuſe de prophaner le Mariage ,
tous ceux qui s'y engagent par des vûës
purement temporelles , & qui n'ont
point d'égard à la vertu & à la pieté de
ceux avec qui ils veulent s'allier. Et de
C vj

60
La Vie
peur qu'on ne me ſoupçonne d'exagerer
dans une matiere ſi importante , & de
repreſenter ſes ſentimens autrement
qu'ils ne ſont, je rapporterai ſes propres
paroles, afin que les Lecteurs en puiſſent
eux mêmes juger. Qui eſt le jeune hom-
Hom. 73.
in Matth.
me,
dit il, qui ayant deſſein de ſe ma-
rier, ſe met en peine d'examiner, quelle
eſt la femme qu'il va prendre ; com-
ment elle a été élevée ; ſi ſes mœurs
ſont reglées ; ſi ſa vie eſt ſans repro-
ches? tous ſes ſoins ſe terminent à ſça-
voir ce qu'elle a de bien, & quels ſont
ſes fonds de terre, ou ſes meubles. Il
ſemble qu'il achete une femme ; l'on
donne même au Mariage le nom de
contrat. J'en vois pluſieurs aujourd'hui
qui diſent: Un tel a contracté avec une
telle , pour dire qu'il l'a épouſée.  On
deſhore ainſi le don de Dieu, & on trai-
te un Sacrement ſi ſaint comme un tra-
fic, où l'on ſe vend, & où l'on s'achet-
te. Il faut même dans ces contrats être
extrémement ſur ſes gardes ; parcequ'-
on tâche encore plus d'y ſurprendre
que dans tous les autres.
Voici , mes freres , comment on ſe
marioit autrefois parmi les Chrétiens:
on n'avoit point d'égard au bien, ni aux
avantages temporels. On cherchoit une
fille qui eût été bien élevée , qui eût de
la ſageſſe & de la vertu , dont la vie fût
 61des Gens Mariez Ch. V. reglée & honnête.  Quand on l'avoit
trouvée, le Mariage étoit conclu : on
n'avoit pas beſoin ni de contrat , ni
d'articles, ni de Notaires.  On ne dé-
pendoit ni de l'encre, ni des écritures.
On ne vouloit point d'autre ſûreté que
la vertu & la pieté de l'un & de l'au-
tre.
C'eſt pourquoi je vous conjure , mes
freres , de ne vous arrêter point à ces
vûës si baſſes , lorſque vous vous ma-
rierez; mais de ne vous mettre en peine
que de trouver des filles ſages, reglées,
honnêtes & vertueuſes; & elles vous ſe-
ront plus précieuſes que tous les tréſors
du monde. Si vous ne cherchez que Dieu
dans le Mariage, il aura ſoin de vous y
faire trouver avantageusement tout le
reſte. Mais ſi vous n'y cherchez que les
biens du monde , ſans vous mettre en
peine de ceux qui doivent être les plus
chers à un Chrétien, vous n'y trouverez
ni les uns ni les autres.
Enfin ce ſaint Docteur prédit à ceux
qui en ſe mariant, ne penſent qu'à trou-
ver des femmes riches , que les richeſ-
ſes qu'ils deſirent avec tant d'ardeur, ne
leur ſerviront de rien , ſi leurs femmes
ne ſont pas ſages ni bien reglées, parce-
qu'elles les diſſiperont en peu de tems ,
Homil. 8.
in Matt.
& les reduiront enſuite eux mêmes à une
honteuſe pauvreté.  A quoi ſert, leur

62
La Vie
dit-il, cette grande dot qu'une femme
apporte , lorſque ſon luxe & ſes pro-
fuſions diſſipent tout; ou lorſqu'elle ſe
plaît à être vûë & a être aimée? Si elle
eſt portée à la dépenſe & à la bonne
chere, elle a beau être riche,elle ruinera
bien-tôt ſon mari.
Après tous ces rai-
ſonnemens il établit cette grande & im-
portante maxime , que ce n'eſt point le
bien d'une femme , mais ſa vertu qui
enrichit ſon mari & ſa maiſon.
Il eſt donc conſtant que les ſaints Peres
condamnent les Chrétiens, qui en ſe ma-
riant , ne conſiderent point la vertu , &
ne penſent qu'à la beauté , à la fortune
& à des choſes temporelles.  Mais il ne
faut pas inferer de leur doctrine , qu'il
ne ſoit point permis en ces rencontres
d'avoir quelque égard aux biens: car ce
ſeroit porter les choſes trop loin , &
tomber dans un excès blâmable. En effet
le Mariage uniſſant pour toûjours ceux
qui s'y ſoumettent, & les obligeant à ſe
ſecourir mutuellement , & à pourvoir
à l'éducation & à la ſubſiſtance des en-
fans que Dieu leur donne , il eſt juſte
qu'ils examinent avant que de s'y enga-
ger , s'ils pourront en ſoutenir les char-
ges , & qu'ils prennent les meſures ne-
ceſſaires pour ſe mettre en état de ſatis-
faire aux obligations qu'il leur impoſe ;
& comme les bien temporels ſont un

63
des Gens Mariez Ch. V.
des moyens ordinaires dont la divine
Providence a coûtume de ſe ſervir pour
faire ſubſiſter ceux qui vivent dans le
ſiecle, on n'a pas droit de leur en inter-
dire la poſſeſſion , ni de les empêcher
d'y penſer , & de les conſiderer lorſ-
qu'ils entrent dans le Mariage, pourvû
qu'ils ne faſſent rien d'illegitime , &
qu'ils ne s'en occupent pas uniquement.
Ainſi les Fideles ne meritent aucun
blâme , lorſqu'ils recherchent des par-
tis qui ayent du bien , & qui puiſſent
contribuer à la ſubſiſtance de leurs fa-
milles ; mais ils doivent avant toutes
choſes , examiner leurs mœurs & leur
pieté , & tâcher de découvrir ſi leurs
poſſeſſions ne ſont point un fruit de
leur injuſtice , ou de celle de leurs an-
cêtres : & s'ils en trouvent de riches &
de puiſſans , mais dont la conduite ne
ſoit pas bien reglée ni édifiante , ils
doivent les rejetter , & ſe déterminer à
en prendre de moins conſiderables, qui
ayent la crainte de Dieu devant les yeux,
& qui ſe conduiſent par les regles & par
les maximes de l'Évangile.  Car puiſqu'il
eſt écrit: Cherchez premierement le royau-
Matth.6.
11.
me & la juſtice de Dieu , & toutes les au-
tres choſes vous ſeront données par ſurcroît
;
ils ſont obligez de ſe ſoumettre à cet
oracle , auſſi-bien dans leurs Mariages,
que dans toutes les autres actions impor-

64
La Vie
tantes de leur vie ; & s'ils y manquent,
& qu'ils preferent quelques avantages
temporels à une alliance honnête &
chrétienne , on a droit de juger qu'ils
n'ont pas une pieté ſolide , & que la
parole de JESUS-CHRIST qui eſt
une parole de verité & de ſainteté, n'ha-
bite pas en eux avec plenitude , comme
l'ordonne S. Paul dans ſon Epître aux
Coloſſiens
.
L'on mépriſe tres-ſouvent ces ſaintes
Cap. 3.
16.
maximes , pour ſe conformer au genie
du ſiecle ; l'on marie l'argent à l'argent,
& non la perſonne avec la perſonne ;
& l'on prefere une fille riche qui a peu
de ſens naturel, beaucoup d'inclination
pour le monde , & en laquelle il ne pa-
roît aucune trace de l'eſprit de Dieu ;
& l'on en rejette une autre qui a de l'eſ-
prit & de la pieté , & qui donne lieu
de former de grandes eſperances de ſes
bonnes diſpoſitions. Et auſſi on ne voit
autre choſe que des deſordres qui naiſ-
ſent de ces Mariages , plus digne de
Payens, que de Chrétiens.
De là vient, dit un Auteur celebre,
que l'on voit ſi ſouvent des hommes ,
qui ayant épouſé une fille avec de grands
biens, ont épouſé en même tems des
chagrins mortels , & des maux ſans reſ-
ſource & ſans remede ; qui ſe ſentent
liez pour toute la vie à une perſonne

65
des Gens Mariez Ch. V.
hautaine & legere , qui n'aïant nulle
crainte de Dieu tâche de prendre l'em-
pire ſur celui à qui Dieu l'a ſoumise par
une obligation indiſpenſable; qui eſt ido-
lâtre d'elle-même , qui s'emporte dans
la fureur du jeu , d'où naît ſouvent la
ruine des maiſons les mieux établies, &
qui croit au-deſſous d'elle d'avoir le
moindre ſoin , où de l'éducation de ſes
enfans, ou du reglement de ſa famille.
De là vient encore que l'on voit d'autre
part des filles aſſervies à un joug de fer,
dont la ſeule mort les peut délivrer ;
qui ſont obligées de déteſter la vie cri-
minelle, & de ſouffrir les emportemens
& les mépris outrageans de celui à qui
elles doivent un reſpect tres-ſincere; qui
ſont traitées comme des eſclaves ; qui
voyent perir à leurs yeux leurs enfans ,
par l'exemple & par les diſcours liber-
tins & inſenſez d'un pere qui ſe hâte de
leur inſpirer le mal avant même qu'ils
le connoiſſent ; & ces perſonnes ſi di-
gnes de compaſſion ne peuvent s'empê-
cher d'accuſer quelquefois en ſecret, ou
un pere ou un mere qui les ont ſacrifiez
ou à leur ambition , ou à leur avarice ,
ſans ſe mettre en peine de leur procurer
un établiſſement ſolide & chrétien , qui
pût les rendre vraiment heureuſes.

66
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE VI.

Que ſelon les ſaints Peres, il ſeroit à ſou-
haiter qu'il y eût égalité, ſoit pour l'â-
ge, pour les biens & pour la naiſſance ,
entre ceux qui contractent Mariage.

AFIN de ne troubler pas mal à pro-
pos les Fideles , & de ne leur don-
ner point de vains ſcrupules , je declare
dès le commencement de ce Chapitre,
que ce que je me propoſe d'y expliquer
de l'égalité entre ceux qui ſe marient,
n'eſt pas d'une neceſſité abſoluë , mais
que c'eſt un conſeil tres-utile , & qui
peut beaucoup contribuer à la paix & à
l'union qui doit regner entre les gens
mariez ; j'eſpere que ceux qui conſi-
dereront attentivement les preuves que
j'en donnerai , en demeureront facile-
ment d'accord.
Il faut d'abord obſerver que la plûpart
des Auteurs qui traitent de l'amitié, di-
ſent qu'il doit y avoir une eſpece d'éga-
lité entre les amis ; que ſans cela elle ne
peut ſubſiſter long-tems, & qu'elle dege-
nere tres-ſouvent en une vaine flaterie ,
ou en une injuſte domination : c'eſt ce
que l'on voit arriver tous les jours.
Le pauvre qui a un ami riche, lui rend
mille aſſiduitez baſſes & intereſſées; il

67
des Gens Mariez Ch. VI.
rampe devant lui , & il s'humilie avec
excès en ſa preſence ; il n'a point d'au-
tre application, que d'étudier toutes ſes
inclinations pour s'y conformer , & il
n'en contredit aucunes, quand même el-
les ne ſeroient pas legitimes ; il lui ap-
plaudit au contraire en toutes rencon-
tres ; il exagere ſes bonnes qualitez ; il
diſſimule ſes vices , & quelquefois mê-
me il les excuſe & les juſtifie.  En un
mot il ne penſe qu'à lui plaire , & à
captiver ſes bonnes graces ; & au lieu
d'agir avec lui auſſi librement que doit
faire un veritable ami, il ſuit aveuglé-
ment toutes ſes volontez , & ſe rend ,
pour ainſi dire, ſon eſclave.
Celui au contraire qui eſt beaucoup
élevé au deſſus de ſes amis , s'en fait fa-
cilement accroire; voyant qu'ils lui ſont
ſoumis, il éxige d'eux des déferences qui
ne lui ſont point dûës ; il veut que ſes
ſentimens prévalent toûjours à leurs
penſées : il trouve même mauvais qu'ils
en ayent de differentes des ſiennes ; il
s'accoûtume à les traiter avec empire; il
s'imagine qu'ils ne ſont au monde que
pour lui ; ſ'il les aſſiſte , c'eſt par amour
propre , & pour les attacher de plus en
plus à ſa perſonne ; il leur vend preſque
toûjours ſes bienfaits au prix de leur li-
berté.
Cette maxime qui a été enſeignée auſſi‑

68
La Vie
bien par les ſaints Peres de l'Egliſe, que
par les Philoſopes, pourroit ſuffire tou-
te ſeule, pour prouver qu'il eſt tres-utile
qu'il y ait de l'égalité entre ceux qui ſe
marient enſemble ; parceque c'eſt un
moyen tres - propre pour prévenir les
troubles & les differends qui les pou-
roient diviſer , pour rendre leur amitié
ferme & conſtante , & pour empêcher
qu'elle ne ſoit alterée , ni corrompuë
par des vûës d'intereſts ou d'ambition.
Mais il faut entrer dans un plus grand
détail ſur cette matiere, & expliquer en
particulier les inconveniens qui ſont à
craindre de la trop grande inégalité en-
tre ceux qui s'uniſſent par le Mariage.
Il eſt certain qu'à moins que la grace
n'agiſſe fortement ſur le cœur d'un mari
& d'une femme, il eſt bien difficile qu'ils
vivent dans une grande union , & dans
une paix parfaite , quand il y a entr'eux
trop de diſproportion d'âge : car alors
ils ont des inclinations differentes; & ce
qui convient à l'un , eſt à charge à l'au-
tre , & le fatigue.  Ceux, par exemple ,
qui ſont jeunes , aiment la joie & les
plaiſirs , ſont ennemis du repos & de la
vie tranquille,& ſe plaiſent dans le trou-
ble & dans l'agitation. Ils ont des mou-
vemens violens qui les portent à former
de grands deſſeins , & qui les rendent
curieux & entreprenans.  Ils regardent

69
des Gens Mariez Ch. VI.
le luxe & la vanité du ſiecle , comme
des choſes permiſes aux gens de leur âge,
& qu'on n'a pas droit de leur interdire ;
ils s'imaginent que leurs biens ne ſont
deſtinez qu'à ſatiſfaire leurs paſſions; &
qu'en uſer autrement, c'eſt tomber dans
l'avarice , & ne ſçavoir pas vivre.  C'eſt
pourquoi ils ſont ordinairement prodi-
gues, & ne veulent point entendre par-
ler d'épargner , ni de reſerver rien pour
les beſoins à venir.
Mais ceux qui ſont vieux, ſe trouvent
preſque toûjours dans des diſpoſitions
toutes oppoſées. Leurs corps étant uſez
& leurs forces diminuées , ils ont de
l'averſion pour la joye & pour les plai-
ſirs; ils fuyent le trouble & le tumulte;
ils aiment le repos & la tranquilité.
Leurs paſſions étant amorties, ils ne for-
ment pas facilement de nouvelles entre-
priſes; & tout ce qui pourroit leur coû-
ter de la peine & les fatiguer, les rebute,
& leur ſemble inſupportable.  N'étant
plus propre pour le monde , le luxe &
les vains ornemens leur paroiſſent ridi-
cules : il ne ſçauroient concevoir com-
ment on peut ſe reſoudre à s'en parer. Et
par un effet de l'aveuglement que le pe-
ché a répandu ſur le genre humain , il
n'arrive que trop ſouvent que moins ils
ont de tems à vivre , plus ils ſont atta-
chez à leurs richeſſes ; & que la défail-

70
La Vie
lance où ils ſont prêts de tomber, leur
inſpire un amour deſordonné pour les
biens de la terre.
On peut juger après cela s'il y a lieu
de ſe promettre qu'un mari & une fem-
me qui ſont d'un âge fort different , &
dont l'un eſt jeune & l'autre eſt vieux ,
paſſent leurs jours dans une grande union;
& ſi au contraire , on ne doit pas crain-
dre que cette inégalité ne les précipite en
une infinité de querelles & de conteſta-
tions.
Il peut même en naître pluſieurs de-
ſordres par rapport à la pureté : car le
plus jeune , s'il n'eſt fort ſage , & pene-
tré de la crainte de Dieu , ne regardera
qu'avec mépris celui qui eſt fort âgé ; il
fuira ſa converſation ; il ſe dégoûtera
facilement de sa perſonne ; & peut-être
qu'enſuite il s'abandonnera à l'impetuo-
ſité de ſes paſſions , & qu'il tombera
dans l'impureté. Il n'eſt pas beſoin d'en
dire davantage ſur ce ſujet: car ceux qui
ont quelque experience de ce qui ſe paſ-
ſe dans le ſiecle , ſçavent fort bien que
cela n'arrive que trop ſouvent.
Ce fut pour prévenir & pour empê-
cher tous ces deſordres qui deshonorent
le Mariage , & qui en troublent la paix
& l'union, que les Peres du Concile de
Friuli
de l'an 791. témoignerent qu'ils
jugeoient à propos qu'on ne mariât

71
des Gens Mariez Ch. VI.
enſemble que des perſonnes qui fuſſent
à peu près de même âge: car, diſent-ils,
Gan. 90
lorſqu'il y a une trop grande inégalité ,
cela cauſe ſouvent la perte des ames, &
produit de grandes impuretez.
Il faut neanmoins ajoûter que ce que
je viens de dire de l'égalité de l'âge en-
tre ceux qui contractent mariage, n'em-
pêche pas que le mari ne puiſſe & ne
doive même avoir quelques années plus
que ſa femme; car cela lui eſt en quelque
maniere neceſſaire pour la conduire ,
pour s'en faire reſpecter , & pour main-
tenir l'autorité qu'il doit avoir dans ſa
famille & dans ſon domeſtique.  J'ai
ſeulement eu intention de faire voir
qu'à en juger par les regles ordinaires ,
il n'eſt pas expedient que ceux qui ſont
encore jeunes ſe marient avec des per-
ſonnes fort âgées , à cauſe des mauvais
effets que de telles alliances produiſent
tres-ſouvent.
L'inégalité des biens & de la naiſſan-
ce peut auſſi avoir des ſuites tres fâ-
cheuſes ; pour en être convaincu , il
n'y a qu'à écouter ſaint Jean Chryſo-
ſtome
lorſqu'il parle du Mariage ; car
il explique avec beaucoup d'étenduë
tous les inconveniens qu'il y a à épou-
ſer un parti plus riche & plus puiſſant
que ſoi.  Il repreſente dans ſon Livre
de la Virginité que ſi la femme a plus

72
La Vie
de bien que ſon mari , elle devient
inſolente, emportée & inſuportable, &
Cap. 53.
54. 55.
qu'au contraire ſi c'eſt le mari qui eſt le
plus riche & le plus puiſſant , ſa fem-
me eſt dans ſa maiſon comme une eſcla-
ve; qu'elle n'oſeroit parler ni manifeſter
ſes ſentimens ; qu'il ne faut pas qu'el-
le prenne la liberté de commander rien
aux domeſtiques , ni de les reprendre ;
qu'elle n'a ni la force , ni le courage de
ſe plaindre des débauches de ſon mari,
& de s'y oppoſer , & que ſi elle l'entre-
prend , il la chaſſe du logis , & la ré-
duit à la mendicité.
Celui, dit-il ailleurs, qui épouſe
Hom 73.
in Matt.
une femme plus riche que ſoi, prend
plutôt une maîtreſſe qu'une femme.
En effet ſi les femmes ne ſont déja que
trop remplies d'orgueil , & ſuſcepti-
bles de l'amour de la vanité , quand
même elles ne ſont pas riches , com-
ment celles qui ont l'avantage des ri-
cheſſes , pourroient-elles être ſuppor-
tables aux hommes qui ſont obligez
de vivre avec elles ?
Il ajoûte enſuite que lorſqu'un hom-
me prend une femme qui n'a pas plus
de bien que lui , il trouve en ſa perſon-
ne un puiſſant ſecours & une fidele
compagne, & que par ce moyen il fait
entrer en ſa maison tous les biens ima-
ginables ; parceque la conſideration
de

73
des Gens Mariez Ch. VI.
de ſon état l'empêche d'exciter des que-
relles & des diſputes, & la porte à ſervir
& à reſpecter ſon mari, à lui ceder, & à
ſe ſoumettre en toutes choſes à ſa vo-
lonté.
Saint Ambroiſe témoigne auſſi n'a-
prouver pas que les femmes ſoient plus
riches & plus nobles que leurs maris ,
parcequ'elles en prennent ſouvent oc-
caſion de les mépriſer , & d'en conce-
voir de la vanité.  Il dit au contraire
qu'elles les reſpectent , & qu'elles leur
ſont beaucoup plus affectionnées, lorſ-
qu'elles ne les ſurpaſſent ni en bien ,
ni en qualité.  Pour le prouver il rap-
porte l'exemple de Sara , qui n'ayant
Lib. I. de
Abra-
ham. c.
20.
pas plus de bien qu'Abraham ſon mari,
& n'étant pas iſſuë d'une race plus il-
luſtre que la ſienne, l'aima tres-tendre-
ment , le regarda toûjours comme ſon
maître & ſon Seigneur , le ſuivit dans
tous ſes voyages , s'expoſa aux mêmes
perils que lui , & voulut bien même ,
allant en une terre étrangere, cacher ſa
qualité de femme legitime , & ne pren-
dre par excès de bonté & de tendreſſe
que celle de ſa ſœur, afin de contribuer
par là à ſa ſûreté.
Les anciens Romains ont auſſi été
dans cette penſée, qu'il eſt en quelque
maniere neceſſaire pour le bien de la
paix , qu'il y ait de l'égalité & de la
D

74
La Vie
proportion entre ceux qui ſe marient.
C'eſt pourquoi ils avoient fait des loix
par leſquelles il étoit défendu aux Se-
nateurs & à ceux qui étoient revêtus
des premieres dignitez, d'épouſer des
femmes d'une condition vile & abjec-
te ; & ces loix ont long-tems ſubſiſté ,
comme on le voit dans le Code & dans
Cod. de
Incert.
nuptiis
Novell.
1. 6. c.6.
les Novelles de Juſtinien , qui les ont
interpretées , & y ont enſuite apporté
quelque temperament.
Je finirai ce Chapitre comme je
l'ai commencé : c'eſt-à-dire, en aver-
tiſſant les lecteurs que tout ce que j'y
ai dit de l'égalité entre ceux qui ſe
marient , n'eſt qu'un conseil de pru-
dence qui n'oblige pas abſolument. Car
je reconnois qu'il y a pluſieurs Mariages
où cette proportion n'eſt pas gardée, &
qui ne laiſſent pas neanmoins d'être heu-
reux & fort accomplis; nôtre Hiſtoire de
France nous en fournit même pluſieurs
exemples. Mais comme j'ai entrepris de
propoſer aux fideles qui s'engagent dans
la vie conjugale , tout ce qui peut con-
tribuer à leur ſanctification; & leur faire
éviter les peines & les chagrins qui tour-
mentent & qui affligent tant de maris &
de femmes , & qui cauſent quelquefois
même leur damnation éternelle, j'ai crû
qu'il étoit néceſſaire de leur expliquer les
ſentimens des ſaints Peres ſur ce ſujet ,

75
des Gens Mariez Ch. VI.
afin qu'ils puiſſent en profiter , & qu'ils
ne contractent pas inconſiderément des
Mariages inégaux qui pourroient les jet-
ter dans le trouble & dans l'affliction.
Car quoiqu'il y en ait quelques-uns qui
réüſſiſſent , il s'en trouve d'autres qui
ſont tres-infortunez; cela ſeul ſuffit pour
juſtifier que j'ai raiſon de leur conſeiller
de s'en abſtenir.
Bandeau.

CHAPITRE VII.

Dans quelles diſpoſitions il faut être
pour entrer ſaintement dans le Mariage; &
comment il faut s'y preparer.

IL me ſemble important de marquer
aux fideles dans quelles diſpoſitions
ils doivent être lorſqu'ils s'engagent
dans le Mariage ; car ils ne ſont pas toû-
jours aſſez inſtruits ſur ce ſujet, ce qui eſt
ſouvent cauſe qu'ils ne ſe preſentent pas
à ce Sacrement avec toute la pieté &
toute l'humilité qu'on auroit droit d'exi-
ger d'eux , & qu'ils pechent même ,
comme dit le troiſiéme Concile de Mi-
lan
, dans cette ceremonie auguſte , qui
eſt ſi ſainte par elle-même, & à laquelle
ils ne devroient ſe porter que par un eſ-
prit de pieté.  J'expliquerai d'abord les
diſpoſitions qui regardent l'eſprit , par-
ce qu'elles ſont les plus importantes , &
D ij

76
La Vie
qu'elles doivent ſervir de fondement à
toutes les autres.
1º. Les ſaints Peres diſent ſouvent
que les Patriarches qui ſe ſont ſignalez
par leur éminente pieté du tems de l'an-
cien Teſtament
, ſe marioient, non pour
ſuivre les mouvemens de la chair, mais
par obéïſſance à la loi , qui vouloit
que tout le monde ſe mît en état de con-
Chap. 3.
tribuer à la propagation du peuple de
Dieu , comme on l'a déja obſervé. C'eſt
pourquoi ils enſeignent qu'ils étoient
plus chaſtes & plus parfaits que nos
Vierges les plus pures.
Il faut que les fideles qui ſe marient
maintenant ſoient dans une pareille diſ-
poſition d'obéïſſance , & qu'ils ayent
deſſein de ſe ſoûmettre , non à la loi é-
crite qui ne ſubſiſte plus , mais aux or-
dres de la divine Providence qui veille
sur eux, & qui les conduit. Il faut qu'a-
prés s'être examiné ſerieuſement devant
Dieu , & avoir fait tout ce qui étoit né-
ceſſaire pour connoître s'il les appelle à
cet état , ils y entrent avec reſpect , &
pour honorer ſa ſageſſe infinie qui diſ-
poſe de ſes creatures comme il lui plaît,
& qui leur marque la voie qu'elles doi-
vent tenir pour aller à lui. Il faut qu'ils
faſſent du Mariage un acte de Religion,
en ne s'y engageant que pour lui plaire,
le ſervir, & ſuivre ſa volonté.

77
des Gens Mariez Ch. VII.
2º. Ils doivent s'y preſenter avec une
profonde humilité , dans la vûë de leur
foibleſſe qui ne leur permet pas de garder
la continence , ni d'embraſſer la ſainte
virginité. Ils doivent ſe croire inferieurs
aux vierges & aux veuves , leur ceder en
toutes rencontres, & leur rendre toutes
ſortes d'honneurs & de déferences ; ils
doivent témoigner par leur conduite ſage
& modeſte qu'ils ſont aneantis à leurs
propres yeux , & qu'ils ſe ſouviennent
qu'ils n'ont pas été dignes de ſe donner
tout entiers à Dieu , c'est-à-dire , de ne
s'occuper que de lui, de ne ſervir que lui
ſeul, & de lui conſacrer non ſeulement
leur eſprit, mais auſſi leur corps, ce qui
eſt le propre & l'appanage des vierges
chrétiennes.
3º. Il faut qu'ils aiment tellement la
juſtice & la ſincerité qu'ils ne ſe ſervent
d'aucun artifice pour ſurprendre & pour
tromper ceux avec qui ils veulent s'al-
lier. Les gens du monde ne font point de
ſcrupule d'uſer de déguiſement en ces
rencontres ; ils diſſimulent les défauts
corporels qu'ils peuvent avoir : ils ca-
chent tout ce qu'il y a de peu honorable
dans leur famille ; ils repreſentent leurs
biens comme beaucoup plus grands &
plus conſiderables qu'ils ne ſont effecti-
vement ; & ils s'imaginent que c'eſt une
adreſſe digne de loüanges , de parvenir
D iij

78
La Vie
par ces ſortes de moïens à des Mariages
qu'ils ne pouroient pas eſperer de faire
réüſſir, si ceux avec qui ils traitent, étoient
informez de l'état de leurs affaires.
Mais les juſtes & tous ceux qui cher-
chent veritablement Dieu , doivent ſe
conduire d'une maniere toute oppoſée.
Il faut qu'ils ne bleſſent jamais la verité,
qu'ils diſent toutes choſes dans la der-
niere exactitude , & qu'ils ne cachent
rien à ceux qu'ils recherchent, de tout ce
qu'ils ont interêt de ſçavoir, avant que de
ſe déterminer dans une affaire de cette
importance.  Saint Ambroiſe dit qu'ils
doivent imiter la ſincerité & la bonne
foi de Raguel , qui ſçachant que ſa fille
Sara avoit déja eu ſept maris que le dé-
mon
avoit tous tuez la premiere nuit de
leurs nôces, craignoit de tromper le jeu-
ne Tobie qui la recherchoit en Mariage,
s'il la lui donnoit pour femme ; & ne la
lui accorda qu'aprés que l'Ange lui eut
aſſuré qu'ils étoient informez de ce qui
s'étoit paſſé , & qu'il ne devoit point
douter de la marier à Tobie, parcequ'il
avoit la crainte de Dieu devant les yeux,
& que le malin eſprit ne pourroit par
Lib. I. de
offic. cap.
14.
conſequent lui donner la mort , ni lui
cauſer aucun préjudice.
4º. Ils doivent ſçavoir non ſeulement
les principaux Myſteres de nôtre Reli-
gion, comme ſont ceux de la Trinité, de

79
des Gens Mariez Ch. VII.
la chute de l'homme , & de l'Incarna-
tion, mais auſſi les Sacremens, & ce qui
regarde en particulier les obligations
des perſonnes mariées ; il eſt si neceſſai-
re qu'ils en ſoient inſtruits , que la plû-
part des Rituels obligent les Paſteurs de
les interroger pour s'en aſſurer ; & ſaint
Charles
défend expreſſement aux Cu-
Concil.
Mediol 5.
de Matr.
rez de donner la Benediction nuptiale à
ceux qu'ils reconnoîtront être dans une
ignorance groſſiere à l'égard de leurs dé-
voirs , & des points de la Foi les plus
importans.
Voilà les principales diſpoſitions par
rapport à l'eſprit , où doivent être ceux
qui veulent ſe marier chrétiennement.
Pour ce qui eſt de celles du corps , les
ſaints Peres les reduiſent à un ſeul point,
qui eſt que le mari & la femme entrent,
autant que cela ſe peut, dans le mariage
avec un grande pureté exterieure , &
qu'ils ne ſoient point auparavant ſoüil-
lez par aucune diſſolution. Puiſque vous
avec deſſein de vous marier,
dit ſaint
Serm.
132.
Auguſtin
en s'adreſſant à un jeune hom
me, conſervez-vous pur pour la femme
que vous prendrez, & aïez ſoin de vous
donner à elle au même état que vous
deſirez qu'elle ſe donne à vous.  Vous
voulez en trouver une dont la vie ſoit
ſanſ tache ; faites donc en ſorte que la
vôtre ſoit auſſi innocente. Vous en cher-
D iiij 80La Vie chez une qui ſoit chaſte, abſtenez vous
par conſequent de toute ſorte d'impu-
reté.
Saint Jean Chrysostome enſeigne auſſi
Hom. 79.
in Matt.
qu'il eſt tres-important pour l'honneur
du Mariage , de s'y preſenter avec un
corps chaſte, & il fait de grandes plaintes
contre ceux qui ne s'y engagent qu'aprés
avoir mené une vie diſſoluë , & s'être
abandonnez au torrent de leurs paſſions.
On ne veut pas neanmoins conclure de
ce que diſent ces deux grand Docteurs
de l'Egliſe , que ceux qui ſont tombez
dans quelqu'impureté , ne doivent point
enſuite penſer à ſe marier ; car ce ſeroit
abuſer de leur doctrine , & la prendre
à contre-ſens: mais on ſoûtient avec eux
que les fideles qui ſont bien perſuadez
de la grandeur & de l'excellence du Ma-
riage , doivent s'y préparer par une vie
chaſte & pure ; & que s'ils tiennent une
autre conduite , ils ne témoignent pas
reſpecter aſſez ce Sacrement auguſte.
Il ne ſuffit pas d'être dans toutes ces
diſpoſitions tant de l'eſprit que du corps
pour recevoir ſaintement & avec fruit la
Benediction nuptiale ; il faut outre cela
s'y preparer par les pratiques particulie-
res dont il eſt parlé dans les Peres &
dans les Conciles.
S. Jean Chryſoſtome veut que les fide-
les s'appliquent beaucoup à la priere im-

81
des Gens Mariez Ch. VII.
médiatement avant que de ſe marier, afin
d'attirer sur eux les graces du Ciel , & de
meriter par leur pieté que Dieu beniſſe
leur Mariage.  Lorſque vous voulez
Tom. 5.
Ser. 28.
choiſir une femme, dit-il, ne vous adreſ-
ſez point aux hommes, & ne conſultez
pas ces femmes qui font commerce de
la miſere des autres , & qui n'ont point
d'autre deſſein que de recevoir le ſalai-
re de leur entremiſe; mais aïez recours
à Dieu.  Il n'aura pas de honte d'être
lui-même l'entremetteur de vôtre Ma-
riage , puiſqu'il a dit : Cherchez le
Royaume des Cieux,& toutes les autres
choſes vous ſeront données par sur-
croît.
Il y a auſſi pluſieurs Conciles qui or-
Concil.
Colon
.
part. 7.
c. 41.
Synod.
Auguſt.
c. 21.
Concil.
Medial. 5.
de Matr.
& Conc.
6. Med.
ibid.
donnent à ceux qui ont deſſein de ſe ma-
rier , de vaquer à la priere , & d'en fai-
re leur occupation pluſieurs jours avant
que de venir à l'Egliſe pour y recevoir
la Benediction du Prêtre , & qui en joi-
gnent aux Paſteurs de les avertir de s'ac-
quitter de ce devoir de pieté.
Comme la penitence fortifie la priere,
& qu'elle lui donne, pour ainſi dire, des
aîles auſſi bien que l'aumône, afin qu'elle
puiſſe s'élever juſqu'aux pieds du Trône
de Dieu , les Conciles qui enjoignent
aux fideles de se preparer au Mariage
par la priere , diſent auſſi qu'ils doivent
s'y diſpoſer par une abſtinence de plu-
D v

82
La Vie
ſieurs jours, par des jeûnes, & par d'au-
tres mortifications.
Et afin qu'ils ſoient plus en état de
participer aux graces que Dieu a atta-
chées à ce Sacrement , l'Egliſe leur or-
donne d'avoir ſoin de confeſſer leurs pe-
chez à leur propre Prêtre avant que de
le recevoir , comme on le peut voir dans
les Statuts de Guillaume ancien Evêque
de Paris
, & dans le Concile Provincial
In Decr.
Morum.
c. 29.
Seſſ. 23.
de Refor.
c. 39.
de Sens
de l'an 1528.  Le S. Concile de
Trente
paſſe même plus avant; car il les
exhorte, non ſeulement à confeſſer leurs
pechez , mais auſſi à s'approcher de la
ſainte Euchariſtie deux ou trois jours
avant la celebration , ou la conſomma-
tion de leur Mariage.
Que dire après cela de ceux qui ne
prennent aucun tems avant que d'être
mariez pour vaquer à la priere, & pour
ſe purifier par la penitence , & qui au
contraire ſe laiſſent aller à la diſſipation;
qui n'ont l'eſprit occupé que des va-
nitez du ſiecle , & de la ſomptuoſité de
leurs meubles & de leurs habits ; qui
paſſent dans les feſtins & dans la bonne
chere les jours qui précedent immediate-
ment leur Mariage , & qui au ſortir du
jeu , du Bal , ou de la Comedie , ne
font point de ſcrupule de ſe preſenter
aux pied des Autels pour y recevoir la
Benediction nuptiale? Il eſt certain qu'ils

83
des Gens Mariez Ch. VII.
n'honorent par la ſainteté du Mariage
comme ils devroient, & qu'ils ſe privent
de pluſieurs graces qui leur ſeroient con-
ferées par ce Sacrement , s'ils y appor-
toient les diſpositions neceſſaires, & s'ils
avoient ſoin de s'y preparer comme les
ſaints Peres & les Conciles l'ordonnent.
La plûpart à la verité ne s'y preſen-
tent qu'après s'être confeſſez , & avoir
reçû la ſainte Euchariſtie ; mais c'eſt
ſouvent par pure ceremonie , & ſeule-
ment parceque les Paſteurs y tiennent
la main , & ne leur permettroient pas
ſans cela de ſe marier : car au même
tems qu'ils ſemblent vouloir attirer sur
eux par ces exercices de pieté les bene-
dictions du Ciel, ils s'en rendent indi-
gnes par leurs diſſolutions & par leurs
déreglemens.  Il arrive de là qu'ils ne
tirent preſque point de fruit de ces Con-
seſſions & de ces Communions qu'ils
ne font que par contrainte , & qu'ils
entrent dans le Mariage d'une maniere
toute payenne, & entierement oppoſée
à l'eſprit du Chriſtianiſme , qui veut
qu'on traite ſaintement les choſes ſaintes,
& qu'on ne s'en approche qu'avec reſ-
pect & beaucoup de preparation.

84
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE VIII.

Qu'il eſt honteux aux Chrétiens de paſſer le
jour qu'ilſ ſe marient dans des divertiſ-
ſemens mondains & prophanes, & enco-
re plus dans la débauche & dans la diſ-
ſolution.

A Considerer de quelle maniere la
plûpart des Chrétiens ſe condui-
ſent le premier jour de leurs nôces , on
auroit peine à ſe perſuader qu'ils croient
que le Mariage ſoit un Sacrement de la
Loi nouvelle10, ou bien on auroit droit de
les regarder comme des impies, qui me-
priſent la Religion , & qui ne font au-
cun état de tout ce qu'elle a de plus
ſaint & de plus venerable: car ils ne par-
lent que de plaisirs & de voluptez ; ils
paſſent d'un divertiſſement à un autre ;
ils ne gardent aucune meſure dans leurs
repas ; ils proferent des paroles des-
honnêtes & contraires à la pureté ; &
ils s'emportent quelquefois à de tres‑
grands excès. C'eſt un deſordre qui doit
faire gemir tous ceux qui ont quelque
pieté , & qui aiment la beauté de la
Maiſon du Seigneur. Les ſaints Peres
l'ont condamné dans leurs écrits , & les
Conciles dans leurs Canons ; & c'eſt par
leurs maximes & par leurs ordonnances

85
des Gens Mariez Ch. VIII.
que je prétens les combattre dans ce
Chapitre.
Saint Cyprien ſe plaint hautement des
Vierges qui ont la temerité d'aſſiſter à
des nôces, & ce qu'il leur allegue pour les
en détourner, prouve qu'il croit que tous
ceux qui font du jour de leur Mariage
un jour d'intemperance & de débauche ,
ſont tres-criminels. Il y a, dit il, des
Lib. de
diſcip.
& habitii.
Virg.
Vierges qui n'ont pas de honte de ſe
trouver dans les aſſemblées que font
ceux qui ſe marient , de ſe mêler dans
leurs entretiens impures & laſcifs , de
prêter l'oreil aux diſcours diſſolus &
criminels qu'ils tiennent & de prendre
place à leurs feſtins, où les regles de la
ſobrieté ſont preſque toujours violées ,
où la concupiſcence eſt excitée & for-
tifiée de plus en plus, & où la nouvelle
épouſe voit tant de diſſolutions qu'on
diroit qu'on auroit deſſein de la prepa
rer à ſouffrir toutes ſortes d'impuretez.
Saint Jean Chryſoſtome parlant du
Hom. 48.
in Gen.
Mariage d'Iſaac , obſerve que l'Ecriture
porte qu'ayant rencontré Rebecca dans
un champ qui venoit le trouver , il l'in-
troduiſit dans la maiſon ou dans la tente
de Sara ſa mere , & qu'il la prit pour
ſa femme ; mais qu'elle ne marque point
qu'on ait joüé en cette rencontre d'au-
cuns inſtrumens, qu'on n'y ait vû aucune
pompe mondaine , ni qu'on y ait fait pa-

86
La Vie
roître quelque diſſolution dans les fes-
tins.  Il ajoûte enſuite que les femmes
doivent imiter la modeſtie & la retenuë
de Rebecca , & les maris ſuivre l'exem-
ple de ce ſaint Patriarche , lorſqu'ils re-
çoivent leurs épouſes dans leurs maiſons;
puis s'adreſſant à ceux qui s'abandonnent
le jour de leurs nôces à la debauche &
à l'intemperance, il leur dit: Pourquoi
ſouffrez-vous que les oreilles des jeu-
nes filles que vous avez épouſées ,
ſoient ſoüillées dès le premier jour de
vôtre Mariage par des chanſons impu-
res, & que leur eſprit ſoit rempli d'une
pompe ſeculiere que vous expoſez à
leurs yeux ? Ne ſçavez-vous pas que la
jeuneſſe n'eſt déja que trop portée au
mal & à la corruption ?  & pourquoi
deſhonorez-vous ainſi le Mariage qui
eſt ſi ſaint & ſi recommandable ? Vous
devriez bannir tous ces deſordres de
vôtre maiſon , & vous appliquer de
bonne heure à inſtruire vos épouſes des
regles de la pudeur & de l'honnêteté.
Il faudroit ſur-tout appeller chez vous
les Prêtres du Seigneur & les engager
à demander à Dieu par des prieres fer-
ventes que la paix regne dans vos fa-
milles , que vous aimiez chastement
vos épouſes, & qu'elles ſuivent la ver-
tu & vous ſoient fideles.
Le même Saint conſiderant que lorſ-

87
des Gens Mariez Ch. VIII.
que l'Ecriture parle du Mariage de Ja-
Gen. 29. cob
avec Rachel , elle ſe contente de di-
re que Laban ſon beau-pere fit les nô-
ces , ayant invité au feſtin ſes amis qui
étoient en fort grand nombre, remarque
encore qu'il n'y eut en ce Mariage ni
danſes , ni concerts de Muſiques , & que
tout s'y paſſa avec beaucoup d'honnêteté
& de moderation ; il prend de là occa-
Hem. 56.
in Gen.
ſion de parler contre ceux qui le jour de
leurs nôces s'abandonnent au luxe & à
la vanité , proferent des paroles impures,
& prennent des libertez qui bleſſent la
bienſéance. Il dit que c'eſt le démon qui
les porte à tous ces excès, afin de les cor-
rompre, d'exciter leurs paſſions, & d'em-
pêcher qu'ils ne vivent en paix , & qu'ils
ne s'entr'aiment comme ils y ſont obli-
gez.
Il ajoûte qu'on n'en fait tous les jours
que trop de funeſtes experiences; que les
maris aprés avoir goûté tant de plaiſirs
differens, & vû une infinité d'objets qui
les attirent , & qui plaiſent à leurs sens ,
n'ont plus que de l'indifference , & mê-
me du mépris pour leurs femmes, & que
celles-ci au milieu des ſpectacles & des
feſtins diſſolus auſquels on les contraint
d'aſſiſter , s'accoûtument à prendre des
libertez qui les rendent ſuſpectes à leurs
maris , & produiſent enſuite des divor-
ces & des répudiations. Il prévient ceux

88
La Vie
qui pourroient dire que c'eſt la coutume
de prendre ces ſortes de divertiſſemens
lorſqu'on ſe marie ; & il leur répond
qu'il faut combattre cette mauvaiſe cou-
tume par l'exemple ſi loüable des anciens
Patriarches , qui faiſoient paroître tant
de ſageſſe & de moderation dans leurs
Mariages. Il dit enfin que c'eſt une honte
à des Chrétiens d'avoir en ces rencontres
moins de modeſtie & de retenuë que
n'en témoigna Laban qui étoit un Payen,
lorſqu'il maria ſa fille Rachel.
Ce ſaint Docteur parle encore tres‑
Hom. 12.
fortement contre ce deſordre dans ſon
Commentaire ſur la premiere Epître aux
Corinthiens
. Il dit que les maris qui des-
honorent la ſolemnité de leurs nôces
par les diſſolutions dont on vient de par-
ler , corrompent eux-mêmes leurs fem-
mes , les portent au luxe & à la vanité ,
les font en quelque maniere renoncer à
la pudeur qui eſt ſi convenable aux per-
ſonnes de leur ſexe , leur apprennent à
être hardies & impudentes,& ſont par ce
moyen cauſe qu'elles ne peuvent plus ſe
conduire comme de bonnes meres de
famille, & qu'elles tombent quelquefois
dans de grands deſordres , qui ruinent
leur fortune , & les deſhonorent devant
les hommes.
Les Conciles ſe ſont auſſi expliquez ſur
ce ſujet, & n'ont pas manqué de blâmer

89
des Gens Mariez Ch. VIII.
ceux qui profanent la ſainteté du Ma-
riage par leur immodeſtie & par leurs dé-
bauches. Celui de Laodicée défend aux
fideles qui ſe trouvent aux nôces, de dan-
Cap. 53.
ſer , & de rien faire qui puiſſe bleſſer la
gravité qui convient à des Chrétiens. Ce-
lui de Mayence qui fut tenu l'an 1549.
Cap. 38.
défend aussi, non ſeulement les danſes,
mais toutes ſortes d'intemperances, ſoit
dans le boire ou dans le manger.
Comme il ſe trouve quelquefois des
gens qui portent leur inſolence juſqu'à
commettre des irréverences même dans
les Egliſes, lorſqu'on celebre les Maria-
ges , les Conciles ont eu ſoin de s'oppo-
ſer à leur temerité, & de la reprimer par
leurs Decrets. Ainſi les Peres qui tinrent
celui de Sens l'an 1528. firent cette Or-
donnance celebre: Puiſqu'il eſt certain
In decre-
tis mor. c.
39.
que le Mariage a été inſtitué par le Crea-
teur univerſel de toutes choſes dans le
Paradis Terreſtre pendant l'état d'inno-
cence, & que l'Apôtre nous aſſure qu'il
eſt un Sacrement , il eſt indubitable
qu'on ne doit en approcher qu'avec
beaucoup de réverence & de devotion,
afin de recevoir la grace qu'il confere
auſſi - bien que les autres Sacremens.
C'eſt pourquoi nous défendons expreſ-
ſément à tous les fideles de rire , de
faire des railleries, de proferer des pa-
roles ridicules , & de commettre au-
 90La Vie cunes immodeſties pendant qu'on fait
les fiançailles , ou qu'on donne la be-
nediction nuptiale. Il faut au contrai-
re avertir ceux que l'on fiance qu'ils
ſont obligez de ne ſe preſenter à ce
Sacrement qu'avec reſpect , étant à
jeun , & après avoir conçu une verita-
ble contrition de leurs pechez, & s'en
être confeſſez.
Le Concile de Mayence de l'an 1549.
défend de tirer & de pouſſer le marié
Cap. 38.
dans l'Egliſe , & de faire d'autres cho-
ſes de cette nature qui procedent d'une
grande legereté d'eſprit , & qui ſont
contraires au reſpect qui eſt dû à la ſain-
teté du Sacrement.
Il s'étoit introduit un autre abus en Ita-
Qua ad
Sacram.
matrim.
pertin.
lie.  On buvoit dans l'Egliſe lorſqu'on
faiſoit un Mariage , & on caſſoit enſuite
les verres. Le premier Concile de Milan
ſous ſaint Charles le corrigea , & défen-
dit de rien faire de ſemblable.
Le ſecond Concile tenu au même lieu
Titul. 1.
decret.38.
& par le même Prelat enjoint aux Cu-
rez d'empêcher qu'on ne jouë d'aucun
inſtrument de Muſique dans l'Egliſe
pendant qu'on ſe marie , & de refuſer la
Benediction nuptiale à ceux qui ne vou-
dront pas faire retirer ceux qu'ils avoient
fait venir pour les coucher.
L'on peut juger après cela que j'ai eu
raiſon de dire qu'il eſt honteux à des

91
des Gens Mariez Ch. VIII.
Chrétiens de ſe laiſſer aller à des joyes
immoderées , & de s'abandonner à la
débauche le jour même qu'ils ſe marient;
qu'ils ſe rendent coupables de la propha-
nation d'un Sacrement tres-auguſte ,
lorſqu'ils tombent en de ſemblables dé-
reglemens ; qu'ils ne ſçauroient s'ex-
cuſer ni ſe juſtifier par la coûtume des
gens du monde, parcequ'elle est abusive,
& contraire aux bonnes mœurs, & qu'on
ne peut preſcrire contre l'honnêteté &
la vertu.
Bandeau.

CHAPITRE IX.

Comment ceux qui ont la crainte de Dieu
devant les yeux peuvent ſe comporter le
jour qu'ils ſe marient, afin de ne rien fai-
re d'indigne de la ſaintete du Sacrement.

APrés avoir expliqué les défauts
& les abus que les fideles sont obli-
gez d'éviter lorſqu'ils ſe marient , il eſt
juſte de leur marquer en particulier com-
ment ils doivent ſe conduire le premier
jour de leurs nôces, afin de le paſſer d'une
maniere ſainte , & de ne pas profaner
un ſacrement si auguſte.
Il faut d'abord leur dire qu'ils ſont
obligez de s'abſtenir ce jour-là de toute
ſorte de vanité, & de ſe vêtir avec beau-

92
La Vie
coup de modeſtie. Car devant paroître
au pied des Autels pour y aſſiſter au
ſaint Sacrifice, & pour y contracter une
alliance ſainte, il n'eſt nullement conve-
nable qu'ils s'y preſentent avec des mar-
ques du luxe & des pompes du ſiecle, qui
ne ſont propres qu'à irriter Dieu, & qui
pourroient l'empêcher de donner ſa be-
nediction à leur Mariage.
J'ai fait voir au Chapitre ſeptiéme que
ſaint Jean Chryſoſtome & les Conciles
veulent que ceux qui ont deſſein de s'en-
gager dans le Mariage, s'y préparent par
de frequentes prieres , afin d'attirer ſur
eux les graces du Ciel , & de ſe diſpoſer
à les recevoir. J'ajoûte maintenant que
la conſideraton des graces qui leur ſont
communiquées par la benediction du
Prêtre & par la vertu du Sacrement ,
doit les porter à prier beaucoup le pre-
mier jour de leur mariage , & à prendre
quelque tems pour s'appliquer à des lec-
tures de pieté qui regardent leur état
pour s'affermir dans les bonnes reſolu-
tions qu'ils ont formées, pour remercier
Dieu des miſericordes qu'il a répanduës
ſur eux, & pour lui demander les forces
qui leur ſont neceſſaires pour s'acquiter
dignement de leurs devoirs & de leurs
obligations.
Cependant la plûpart des fideles ne-
gligent ces exercices de pieté le jour

93
des Gens Mariez Ch. IX.
qu'ils ſont mariez, & il n'y en a preſque
point qui penſe alors à prier ; c'eſt ce
qui juſtifie qu'ils manquent de lumie-
res , & qu'ils n'ont pas une aſſez haute
idée du Mariage. Ils demeurent d'accord
qu'il faut prier, pratiquer de bonnes œu-
vres , & vivre dans le recueillement le
jour qu'on participe aux autres Sacre-
mens , & ils ont raison. Mais pourquoi
ne font - ils pas la même chose le jour
qu'ils contractent Mariage au pied des
Autels , puiſqu'ils reçoivent un Sacre-
ment qui eſt tres-ſaint , & qui confe-
re la grace ? & d'où vient qu'ils met-
tent cette difference entre des Sacre-
mens qui ont été également inſtituez
par nôtre-Seigneur JESUS-CHRIST, &
qui ont tous la force de ſanctifier ceux
qui en approchent avec les diſpoſitions
neceſſaires ?
J'ai auſſi prouvé dans le Chapitre
precedent qu'il eſt honteux à des Chré-
tiens de s'abandonner à la joie & à la
débauche le jour de leur Mariage. Mais
il ne faut pas conclure de ce que j'y ai
repreſenté, qu'il ne ſoit point permis de
ſe réjoüir , ni de faire aucun feſtin en
cette rencontre ; car ce n'eſt pas là ma
penſée , & les Peres & les Conciles que
j'ai citez ne le défendent point.
En effet on ne ſçauroit blâmer ceux
qui invitent leurs parens & leurs amis à

94
La Vie
la ceremonie de leurs nôces , & qui se
réjoüiſſent avec eux d'une maniere hon-
nête & chrétienne , puiſque l'Ecriture
marque expreſſement qu'il y eut un
Gen. 24.
54.
feſtin lorſqu'Iſaac épouſa Rebecca ; que
Laban en fit auſſi un où il convia un
grand nombre de ſes amis pour cele-
Gen. 29.
22.
brer le Mariage de ſa fille Rachel avec
le Patriarche Jacob ; que les nôces du
12.& cap.
12. 21.
jeune Tobie furent auſſi accompagnées
d'un feſtin, & que ſon pere le vieux To-
bie
traita ſes parens & ſes amis pen-
dant ſept jours à l'occaſſion de ſon Ma-
Joan. 2.
riage ; que JESUS-CHRIST a bien
voulu aſſiſter au feſtin des nôces de Ca-
na
, & qu'il y a même fait un miracle
celebre en faveur des mariez.  Mais il
faut ſe ſouvenir que ces ſortes de réjoüiſ-
ſances doivent ſe paſſer avec beaucoup
de modeſtie & de retenuë , comme l'or-
donne le Concile de Mayence dont j'ai
déjà parlé , afin d'être agreables aux
yeux de Dieu; & ceux qui s'y trouvent,
doivent imiter les parens & les amis de
Tobie, qui aſſiſtant au feſtin de ſes nôces,
eurent ſoin, dit l'Ecriture, de s'y conduire
Tob.
12.
avec la crainte du Seigneur : Cum timore
Domini nuptiarum convivium exercebant
.
Ce que je viens de dire des feſtins ,
peut être appliqué aux promenades &
aux recreations.  On n'a pas droit de les
interdire à ceux qui ſe marient ; mais il

95
des Gens Mariez Ch. IX.
faut qu'ils s'y comportent avec la gra-
vité & la retenuë qui convient au Sa-
crement qu'ils ont reçû.
Il est ſur-tout tres-important d'avertir
les nouveaux époux de veiller en ce
jour avec beaucoup d'exactitude ſur eux-
mêmes , & d'être fort appliquez à la
garde de leurs sens & de leur ame , de
peur que le démon ne les ſurprenne, &
ne les engage à rien faire qui ſoit indigne
de ce Sacrement.  Car il ſe ſert ſouvent
du déreglement & de la diſſolution de
ceux qui aſſiſtent à leurs nôces, pour les
corrompre & pour les porter à prendre
entre-eux des libertez indécentes, & qui
ne conviennent pas à la ſainteté du Ma-
riage.
Il leur ſera tres-avantageux de pen-
ſer alors à la retenuë & à la pudeur de
Rebecca , qui ſe voyant sur le point de
paroître pour la premiere fois en pre-
sence d'Isaac son mari , se voila auſſi-
tôt , & baiſſa la vûë en terre par un
ſentiment de modeſtie : car l'exemple
de cette ſainte femme , s'ils y font une
reflexion ſerieuſe , leur inſpirera de l'é-
loignement de tout ce qui n'eſt pas aſſez
modeſte , & leur apprendra qu'ils ne
doivent en ce jour ſe regarder qu'avec
des yeux chaſtes & purs , & qu'ils ſont
obligez de reſpecter leurs corps , & de
ne les pas deshonorer par aucune choſe

96
La Vie
qui puiſſe reſſentir l'impureté, ou même
y diſpoſer.
L'Ecriture marque que l'Ange qui
conduiſoit Tobie dans ſon voyage , l'in-
ſtruit de tout ce qu'il devoit faire , &
qu'il lui conſeilla entr'autres choſes, de
garder la continence les premiers jours
Tob. 6.
18.
de ſon Mariage. Après que vous aurez
épouſé Sara
, lui dit-il, vivez avec elle
pendant trois jours, & ne penſez à autre
choſe qu'à prier Dieu avec elle.
Ce jeune
au chap.
3.
homme , comme on l'a déja obſervé ,
fut tres-exact à ſuivre ſon conſeil : car
l'on voit dans le Texte ſacré qu'il a dit à
ſa femme la premiere nuit de leurs nô-
ces : Sara, levez-vous , & prions Dieu au-
jourd'huy & demain , & après demain ,
parceque durant ces trois jours nous devons
nous unir à Dieu ; & après la troiſiéme
nuit nous vivrons dans nôtre Mariage.

C'eſt encore là un exemple memorable
de ce que pourroient faire les gens ma-
riez pour attirer ſur eux les graces du
Ciel , & pour honorer la grandeur & la
ſainteté du Mariage.  Il eſt même bon
d'obſerver qu'il y a des Canons qui or-
donnent aux fideles d'imiter cette con-
duite de Tobie.
Le quatriéme Concile de Carthage
Cap. 13.
veut qu'ils gardent la continence la pre-
miere nuit de leurs nôces. Il faut,
dit-il,
que l'époux & l'épouſe qui doivent être
benis 97des Gens Mariez Ch. IX. benis par le Prêtre lui ſoient preſentez
par leurs parens, ou par ceux qui ont
ſoin d'eux. Et après qu'il les aura benis,
ils paſſeront la nuit ſuivante dans la
pureté & dans la continence , afin de
témoigner qu'ils reſpectent & qu'ils
honorent la Benediction nuptiale qu'ils
ont reçûë.
L'Ordonnance de ce Concile a été
jugée si importante dans la Morale
Diſtinct.
23. c. 33-
30. q. 5.
c. 5.
Chrétienne, qu'elle a été inſerée dans le
corps du Droit Canonique ; & l'on
voit dans les fragmens qui nous reſtent
d'un Concile de Valence tenu au ſixié-
me ſiecle , qu'elle y fut renouvellée , &
qu'on l'y avoit inſerée ſans y rien chan-
ger.
Les Capitulaires de Charlemagne
Lib. 7. c.
463.
portent les choſes encore plus loin , car
ils veulent que les nouveaux époux va-
quent à la priere , & gardent la conti-
nence pendant les deux ou trois premiers
jours de leur Mariage.
Herald Archevêque de Tours , or-
donne la même choſe dans ses Capitu-
laires. Et il ne faut pas s'en étonner ,
>c. 89. car cette pratique a toujours été en uſage
dans la France ; & l'Auteur de la Vie
Surius
die 27.
Aug. c.
29.
de ſaint Cesaire d'Arles rapporte ,
qu'il fit un Statut exprès pour obliger
les nouveaux mariez à garder la conti-
nence les trois premiers jours de leurs
nôces.
E

98
La Vie
Balſamon témoigne que cette diſci-
ad Can.
4. Carth.
pline s'obſervoit auſſi parmi le Grecs ,
& qu'ils décernoient des peines contre
ceux qui ne paſſoient pas dans la conti-
nence le premier jour de leur Mariage.
Enfin le cinquiéme Concile de Mi-
lan
tenu ſous ſaint Charles, marque ex-
preſſément que les Paſteurs doivent
avertir les fideles de ne conſommer leur
Mariage que trois jours après qu'ils ont
reçû la Benediction nuptiale. Voici ſon
Que ad
Maper-
tim.
Decret : Que le Curé avant que de
publier comme l'ordonne le Concile
de Trente
, les trois bans de ceux qui
veulent ſe marier , ne manque pas de
les avertir & de les exhorter de tout
son pouvoir , de s'y preparer par des
jeûnes & par des prieres ; d'avoir en-
core ſoin de vaquer à la priere, après
qu'ils auront reçû la Benediction nup-
tiale de la main de leur propre Paſteur,
& de garder la continence pendant trois
jours de ſuite par reſpect pour ce Sacre-
ment.
Quoique cette diſcipline ſoit tres‑
ſainte , & qu'il fût fort à ſouhaiter que
tout le monde l'obſervât : je ne pré-
tens pas neanmoins condamner ceux qui
ont tenu une autre conduite en ſe ma-
riant ; ſoit faute d'inſtruction, ou parce-
qu'ils n'en ont pas eû le movement ;
je ne dis point non plus qu'on soit ab-

99
des Gens Mariez Ch. IX.
ſolument obligé d'embraſſer cette prati-
que : car mon intention n'eſt par de gê-
ner en ce point les fideles , ni de leur
faire entendre que tous ceux qui en uſent
autrement faſſent mal : mais j'ai crû
qu'il étoit bon de leur repreſenter la
doctrine des Conciles ſur ce ſujet , afin
qu'ils ſçachent au moins ce qui eſt
d'une plus grande perfection ; & que
ceux d'entr'eux qu ne ſont pas encore
mariez , puiſſent s'y ſoumettre , s'ils s'y
ſentent portez interieurement de part &
d'autre.
Voilà en general ce que j'avois à
leur dire , pour leur marquer comment
ils peuvent ſe comporter le jour de leur
Mariage , afin de le paſſer chrétienne-
ment , & de le ſanctifier. Mais s'ils ſont
fideles à Dieu , & ſi leur cœur eſt pene-
tré de la grandeur & de la ſainteté de
nos Myſteres, ils n'en demeureront pas
là ; & au lieu de s'abandonner à la
joie & à la diſſolution comme la plû-
part des gens du monde, ils trouveront
pluſieurs autres pratiques ſpirituelles qui
contribuëront à les édifier , & à les por-
ter à la pieté.  Ainsi je ne m'étendrai
pas davantage ſur cette matiere , afin
de continuer l'explication de leurs de-
voirs.
E ij

100
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE X.

Que ceux qui s'engagent dans le Mariage
doivent y vivre honnêtement, & n'y
point rechercher le plaiſir.

Tout ce que j'ai juſqu'à preſent
repreſenté , regarde la preparation
& les diſpoſitions au Mariage.  Je vas
maintenant parler des obligations eſ-
ſentielles de ceux qui y ſont déja enga-
gez , & j'expliquerai deſormais com-
ment ils doivent ſe conduire, s'ils veu-
lent ſuivre les veritables maximes de
l'Évangile.  Or je croi qu'il n'y a rien
de plus important , que de leur faire
comprendre qu'ils ſont obligez d'y vivre
d'une maniere pure & honnête , & qu'il
ne leur eſt point permis d'y rechercher
le plaiſir; c'eſt ce qu'il me ſera tres-facile
de leur prouver par l'Ecriture & par les
ſaints Peres.
Tobie qui peut ſervir de modele à tous
les gens mariez , dit à Sara ſa femme la
premiere nuit de leurs nôces : Nous ſom-
mes les enfans des Saints , & nous ne de-

Tob. 8. 5.
& 9.
vons pas nous marier comme les Payens qui
ne connoiſſent point Dieu.
  Il fit enſuite
cette admirable priere : Vous ſçavez ,
Seigneur , que ce n'eſt point pour ſatisfaire
ma paſſion que je prens ma ſœur pour être
ma femme , mais que je m'y porte par le

101
des Gens Mariez Ch. X.
ſeul deſir de laiſſer des enfans qui beniſſent
vôtre Nom dans tous les ſiecles.
Saint Paul dans ſon Epître aux He-
Cap. 13. 4.
breux
, prononce cette Sentence celebre,
Que le Mariage ſoit traité de tous avec
honnêteté , & que le lit nuptial ſoit ſans
tache.
  Et lorſqu'il écrit aux Theſſaloni-
ciens
, il leur dit , ſelon l'interpretation
de S. Auguſtin , & de pluſieurs autres
Peres : La volonté de Dieu eſt que vous
1. Theſſ.
4. 4.
soyez saints & purs , que vous vous abste-
niez de la fornication , & que chacun de
Lib. 1. de
nupt. &
concupisc.
c. 8.
vous sçache se conduire envers sa femme
avec sainteté & avec respect.
Saint Pierre dit aux Maris : Vivez
sagement avec vos femmes , afin que vos
1. Pet. 3.
7.
prieres ne soient point interrompues.
Ce sont là sans doute autant de preuves
éclatantes qui justifient qu'il faut respec-
ter le Mariage ;  & que ceux-là s'éloi-
gnent de l'esprit & de la conduite des
Saints, qui ne se proposent point d'autre
fin , lorsqu'ils s'y engagent , que de con-
tenter leurs passions. Mais écoutons les
Peres de l'Eglise sur ce sujet : car ils l'ont
traité avec beaucoup de soin , & ils l'ont
regardé comme une des points les plus
importans de la Morale Chrétienne.
Tertullien voulant détourner les fem-
Lib. 2.
ad uxor.
c. 3.
mes chrétiennes d'épouser des hommes
infideles , leur représente qu'ils les por-
teront à plusieurs choses qui les soüille-
E iij

102
La Vie
ront , & qui deshonoreront leurs corps,
& qu'ils ne leur permettront pas de vivre
dans le Mariage comme doivent faire les
Saints , c'eſt-à-dire les fideles , qui n'en
uſent qu'avec beaucoup de modeſtie &
de retenue , & ſeulement pour obéir aux
neceſſitez de la nature , & qui s'y con-
duiſent en toutes rencontres comme des
perſonnes qui penſent continuellement à
Dieu , & qui ſe tiennent toujours en ſa
preſence. Ce Pere marque ainſi en peu
de paroles , comment ceux qui travail-
lent ſerieuſement à operer leur ſalut ,
doivent ſe comporter dans le Mariage.
Bien loin de ſe laiſſer aller à aucune diſ-
ſolution , ils aiment la pudeur ; ils ne
font rien que de ſage & de bien reglé ;
ils n'en uſent que pour ſuivre l'ordre de
la nature ; ils s'acquittent de ce devoir
avec toute ſorte de modeſtie , parcequ'ils
ſçavent que Dieu les voit , & qu'il ſera
le Juge de leur conduite.
Saint Clement Alexandrin inſtruiſant
les gens mariez , les avertit qu'ils ne
doivent pas s'imaginer que les tenebres
de la nuit ſoient pour couvrir & pour
cacher leur immodeſtie & leur intem-
perance ; qu'il faut au contraire que la
pudeur qui eſt comme une étincelle de
Lib. 2.
padag.
cap. 10.
la raiſon , leur ſerve alors de flambeau
pour les conduire , & pour leur faire
éviter les précipices où l'incontinence

103
des Gens Mariez Ch. X.
pourroit les faire tomber.
Et parceque ce ſont ordinairement
les hommes qui ne gardent pas les regles
de l'honnêteté dans l'uſage du Mariage ,
& qui ſe portent à des excès condamna-
bles , il leur repreſente , qu'étant les ſu-
perieurs de leurs femmes , ils doivent
leur apprendre , par leur exemple, la re-
tenue & la modeſtie chrétienne dans le
commerce conjugal. S'il ne vous eſt ja-
Ibid.
mais permis ,
dit-il, en s'adreſſant à un
mari , de rien faire contre l'honnêteté,
à plus forte raiſon êtes-vous obligé de
donner à vôtre épouſe des exemples de
pudeur, & d'éviter toute ſorte de turpi-
tude dans le commerce que vous avez
avec elle. Il faut que ce qui ſe paſſe dans
vôtre propre maiſon, lui ſoit un témoi-
gnage que vous vivez chaſtement avec
les autres. Et ſoyez perſuadé qu'elle au-
ra peine à croire que vous vous condui-
ſiez bien , & que vous ſoyez chaſte , ſi
dans les plaiſirs que vous prenez avec
elle , vous lui donnez des marques de
vôtre incontinence.
Il déclare enſuite à ceux qui vivent
dans le Mariage , que pour y ſuivre les
regles que la nature preſcrit, il faut s'ac-
coutumer de bonne heure à dompter ſes
paſſions ; que la raison eſt un tres-bon
moyen pour ſurmonter l'impureté; mais
que la vie ſobre eſt le meilleur remede
E iiij

104
La Vie
dont on puiſſe ſe ſervir pour terraſſer
entierement ce vice ; parceque c'eſt or-
dinairement la bonne chair qui irrite la
concupiſcence, & qui inſpire l'amour
du plaiſir.
C'eſt en ſuivant ce même eſprit, que
Lib. de
contin. c.
ſaint Auguſtin dit que le Mariage a été
inſtitué , non pour donner toute ſorte
de liberté à la concupiſcence, mais pour
l'empêcher de ſe porter à des excès,
pour la regler, pour la contenir en de
certaines bornes, & pour la faire ſervir
à une fin honnête & legitime ; que les
Lib. de
bono con-
jug. c. 20.
Patriarches & les ſaintes femmes qui vi-
voient ſous l'ancien Teſtament, ſe ma-
rioient , non par ſenſualité comme on
l'a déja remarqué, mais pour obéir à la
Loi écrite, & pour ſe mettre en état de
donner naiſſance au Meſſie; que les Juſtes11
Lib. 2. de
nupt. &
concupis.
c. 31.
qui ne recherchent point de plaiſir dans
le Mariage, s'affligent & gemiſſent de
ne pouvoir en uſer ſans en reſſentir, &
regardent cela comme un tres-grand
ſupplice ; & que s'engager dans cet état,
non pour avoir des enfans, mais pour
& Lib.
1. eodem
Tit. c. 4.
ſuivre les mouvemens de la chair, c'eſt
imiter le bêtes , & ſe reduire, pour ainſi
dire, à leur condition.
On peut encore juger combien ce Pere
étoit éloigné de croire qu'on puiſſe s'en-
gager dans le Mariage pour contenter
ſes paſſions , puisqu'il enſeigne en une

105
des Gens Mariez Ch. X.
infinité d'endroits de ſes Ouvages , que
ceux qui en uſent dans la ſeule vûe du
plaiſir , commettent toujours quelque
peché , non pas à la verité mortel , mais
au moins veniel, & qu'ils ont beſoin que
Dieu leur pardonue ces ſortes de fautes
& d'imperfections.
Enfin ce ſaint Docteur déclare que les
Lib. 2.
contra
Julian. c.
7.
gens mariez ſont abſolument obligez de
garder pluſieurs regles dans l'uſage du
Mariage ; & que s'ils y manquent , non
ſeulement ils pechent , mais ils ſe ren-
dent indignes de porter la qualité de ma-
ris & de femmes.  Il prononce même
après S. Ambroiſe , qu'un homme qui
vit avec incontinence dans le Mariage ,
devient en quelque maniere l'adultere de
ſa propre femme.  Cette expreſſion eſt
tres remarquable , & elle juſtifie claire-
ment que ces deux grands Docteurs de
l'Egliſe n'ont pas regardé le Mariage
comme un voile deſtiné à cacher & à
couvrir les diſſolutions de ceux qui s'y
engagent.
Il faut encore rapporter en ce lieu, ce
que le même S. Auguſtin dit pour com-
battre les Manichéens , qui vouloient
que les maris ne s'approchaſſent de leurs
femmes que lorſqu'ils croyoient qu'elles
n'étoient pas en état de concevoir. Ils les
regarde comme des gens ſenſuels qui
n'ont point d'autre intention que de ſa-
E v

106
La Vie
tisfaire leurs cupiditez.  Il les accuſe de
deshonorer le Mariage par cette conduite
brutale.  Il ſoutient qu'ils traitent leurs
Lib.
morib.
Manich.
c. 18.
femmes comme des concubines , qu'on
ne recherche que pour le plaiſir, & pour
contenter ſes paſſions , & non pour en
avoir des enfans.
L'on peut ajouter qu'on vit en Eſpa-
gne ſur la fin du ſixéme ſiecle , un exem-
ple encore plus funeſte , des excès auſ-
quels ſe portent ceux qui ne penſent qu'à
ſatisfaire leur ſenſualité dans le Maria-
ge : car il ſe trouva des gens qui tuoient
leurs propres enfans après leur naiſſance,
& qui trempoient leurs mains parricides
dans leur ſang. Les Peres du troiſiéme
Concile de Tolede avertis d'une telle in-
humanité, prirent toutes les précautions
neceſſaires pour l'arrêter ; & pour pré-
Chap. 27.
venir tant de crimes déteſtables , ils en-
gagerent le Roy Reccareda qui gouver-
noit alors les Eſpagnes, à employer ſon
autorité ſouveraine pour réprimer cette
barbarie monſtrueuse.
La Doctrine du Catechiſme du Con-
cile de Trente
eſt trop importante ſur ce
ſujet , pour être obmiſe. Il faut, dit-il,
Daſacra-
mento
matrim.
§. 7.
avertir les Fideles , qu'ils ne doivent
point uſer du Mariage pour ſatisfaire
leur ſenſualité , mais pour les fins que
nous avons ci-devant marquées , pour
leſquelles Dieu l'a inſtitué.  Car ils doi-  107des Gens Mariez Ch. X. vent ſe ſouvenir continuellement de ce
que dit l'Apôtre : Que ceux qui ont des
femmes , ſoient comme n'en ayant point;

& de ce que dit S. Jerôme , qu'afin
qu'un homme ſage ſoit le maître de ſa
ſenſualité dans l'uſage du Mariage, ce
doit être la raiſon , & non ſa paſſion ,
qui regle l'amour qu'il a pour ſa fem-
me; n'y ayant rien de plus honteux que
d'aimer ſa femme avec autant de paſ-
ſion & de déreglement qu'on feroit une
adultere.
Je croi que les lecteurs demeureront
maintenant d'accord , qu'il n'eſt point
permis de rechercher le plaiſir , ni de
ſuivre les mouvemens de la chair dans
l'uſage du Mariage ; & qu'on eſt au
contraire obligé de s'y conduire avec
beaucoup de retenue & de modeſtie.
Je prévois neanmoins que quelques-uns
pourront dire que cela eſt tres-difficile;
que les hommes ſont foibles ; qu'ils
n'ont pas toujours la force de ſe ſurmon-
ter ; & que ſouvent ils ſont emportez
par l'impétuoſité de leurs paſſions. Mais
je leur répondrai que ce qui paroît diffi-
cile , & même impoſſible aux hommes
mondains & charnels , leur deviendra
doux & facile , s'ils ont ſoin de s'éloi-
gner de la corruption du ſiecle , s'ils ſe
mortifient , s'ils font penitence , s'ils ſe
chargent de la Croix de JESUS-CHRIST,
E vj

108
La Vie
& s'ils ont ſouvent recours à la priere.
Car ces ſaints exercices fortifieront leur
homme interieur , & les mettront en
état de reſiſter à leurs paſſions ; lors-
qu'elles entreprendront de les porter à
quelques excès qui pourroient deshono-
rer leurs corps , & bleſſer l'honneur du
Mariage.
C'eſt le conſeil que ſaint Ceſaire
d'Arles
donnoit autrefois aux gens ma-
riez , qui prétendoient ne pouvoir gar-
der les regles de la continence qu'il leur
preſcrivoit. Vous alleguez , leur diſoit‑
il, qu'il vous eſt impoſſible d'obſerver
ſerm. 88.
ce que je vous ordonne ; mais ne vous
y trompez pas , cela vient de ce que
vous mangez avec excès ; que vous
vous rempliſſez de vin; que vous don-
nez trop de liberté à vos penſées , &
que vous vous accoutumez à proferer
des paroles ſales & deshonnêtes. Abſte-
nez vous de toutes ces choſes; veillez
la nuit, mortifiez-vous, priez, donnez
l'aumône, pardonnez à vos ennemis ;
& enſuite vous n'aurez pas de peine à
vous ſoumettre à tout ce que je vous dis
de la maniere dont il faut ſe conduire
dans le Mariage.
Et avant lui ſaint Auguſtin avoit dit,
Lib. 3.
contra
Julian.
c. 21.
en parlant de cette matiere , que la con-
tinence conjugale eſt obligée de ſoutenir
pluſieurs combats auſſi-bien que la vir-

109
des Gens Mariez Ch. X.
ginité , parcequ'elle doit ſe défendre
d'une infinité d'ennemis qui l'attaquent
de toutes parts , & qui veulent lui per-
ſuader de paſſer les bornes qui lui ont
été marquées.
Ainsi on peut conclure ſans craindre
de ſe tromper , qu'il faut que tous les
Fideles ſe conduiſent d'une maniere ſage
& honnête dans le Mariage , & qu'ils
ne doivent point y rechercher le plaiſir ;
mais que pour être capables d'y vivre
avec la regularité que je viens d'expli-
quer , il eſt abſolument neceſſaire qu'ils
s'abſtiennent des plaiſirs & des voluptez
du ſiecle ; qu'ils ſe ſoumettent aux auſte-
ritez & aux mortifications de la peni-
tence , & qu'ils adreſſent à Dieu de fre-
quentes prieres , afin d'obtenir de ſon
infinie miſericorde, tous les ſecours dont
ils ont beſoin , pour ne rien faire d'in-
digne de la ſainteté de leur état.
Bandeau.

CHAPITRE XI.

Qu'il faut que les gens mariez ne s'aiment
que d'un amour ſaint & bien reglé , &
qu'il y a pluſieurs defauts qu'ils doivent
éviter dans l'amour qu'ils ont les uns
pour les autres.

Je ne m'arrêterai pas ici à prouver aux
maris & aux femmes qu'ils ſont obli-

110
La Vie
gez de s'entr'aimer , car la nature les y
porte aſſez : ils n'en ſont eux - mêmes
que trop convaincus ; & dans la ſuite
de ce Traité j'aurai lieu de parler en par-
ticulier de l'amour que le mari doit avoir
pour ſa femme , & la femme pour ſon
mari.  Mais il me ſemble neceſſaire de
leur faire comprendre , avant que d'en-
trer davantage en matiere , que leur
amour doit être ſaint & bien reglé ; &
qu'il eſt abſolument neceſſaire qu'ils
évitent pluſieurs defauts qui s'y gliſſent
tres-ſouvent , & qui le défigurent & le
corrompent.
Qu'il faille que leur amour ſoit ſaint,
Eph. 5.
82.
qui en pourroit douter ? puiſque S. Paul
dit que le Mariage eſt un grand Sacre-
ment en JESUS-CHRIST & en l'E-
gliſe , c'eſt-à-dire que l'union du mari &
de la femme eſt deſtinée à repreſenter
celle de JESUS-CHRIST avec ſon Egliſe.
Or ce divin Sauveur aime l'Egliſe d'un
amour ſaint & ſpirituel ; & qui ne tend
qu'à la ſanctifier & à la perfectionner ;
cette chaſte Epouſe a auſſi pour lui un
amour ſaint & ſpirituel , qui fait qu'elle
l'adore en eſprit & en verité ; qu'elle lui
eſt ſoumiſe ; qu'elle lui obéit , & qu'el-
le met en lui toute ſon eſperance.  Par
conſequent les gens mariez ſont obligez
de ne s'aimer que dans la vue de Dieu ,
& d'un amour qui ne ſoit fondé que ſur

111
des Gens Mariez Ch. X.
la pieté.  C'eſt ce que ce ſaint Apôtre
ordonne expreſſément aux Epheſiens :
Comme l'Egliſe, leur dit-il, eſt ſoumiſe à
Jesus-Christ, les femmes doivent auſſi être
ſoumiſes en tout à leurs maris ; & vous
maris , aimez vos femmes comme Jesus‑
Christ a aimé l'Egliſe , & s'eſt livré lui‑
même à la mort pour elle, afin de la ſanti-
fier, & de la faire paroître devant lui pleine
de gloire, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien
de ſemblable ; mais étant ſainte & irre-
préhenſible.
Les ſaints Peres ont parlé conformé-
ment aux principes de ce ſaint Docteur
des nations , lorſqu'ils ont traité du
Mariage.  Saint Jerôme enſeigne que
In Epiſt.
ad Epheſ.
c. 5. v.
24.
l'union entre le mari & la femme doit
être ſainte & tres pure, & ne tenir rien
de la chair & du ſang.  Saint Auguſtin
declare qu'il ne ſuffit pas aux maris de
ne point concevoir de deſirs illicites
Lib. 21.
de Civit.
Dei c.26.
pour des femmes étrangeres, mais qu'ils
ne doivent aimer les leurs propres que
d'une amour ſaint, & conforme aux ma-
ximes les plus pures de l'Evangile ; &
que s'ils y mêlent quelque choſe de
charnel , ils ont beſoin de paſſer par le
feu des tribulations & des afflictions
de la penitence , dont parle ſaint Paul,
afin d'être purifiez de ces ſortes de ta-
1. Cor. 3.
15.
ches , & de pouvoir enſuite entrer dans
le Royaume des Cieux.   Et le Cate-

112
La Vie
chiſme Romain dit que la fidelité con-
De Sa-
cram.
Matri.
§. 5.
jugale oblige le mari & la femme à s'ai-
mer , non en la maniere que s'aiment
les adulteres , mais d'un amour pur ,
ſaint , & comme J. C. aime l'Egliſe ,
parceque l'Apôtre ne leur prescrit point
d'autre regle de leur amour , que celui
que ce divin Sauveur a eu pour ſa ſainte
& chaſte Epouſe.
A l'égard des défauts qu'ils doivent
éviter, on peut les reduire à quatre prin-
cipaux.
1. L'on voit ſouvent des gens mariez
qui ſe laissant dominer par l'amour qu'ils
ont les uns pour les autres , s'éloignent
du ſervice de Dieu , violent ſa loy , &
tombent dans de grands deſordres.
Il y a des maris qui ſous prétexte qu'ils
aiment leurs femmes, tolerent leurs paſ-
ſions & les fomentent ; qui ſouffrent
qu'elles s'adonnent au jeu avec excès ;
qui les laiſſent vivre d'une maniere trop
libre ; qui les entretiennent dans la
vanité du ſiecle ; & qui de peur de les
contriſter , ne les contrediſent en rien,
& ne reſiſtent à aucune de leurs volon-
tez, quelques déreglées qu'elles puiſſent
être.
Il ſe trouve auſſi des femmes , qui
ayant un faux amour pour leurs maris,
approuvent leur vie licentieuſe , pren-
nent part à leurs égaremens , & leur

113
des Gens Mariez Ch. XI.
obéiſſent en pluſieurs choſes qui beſ-
ſent l'honneur de Dieu , & leur propre
conſcience.
Les ſaints Peres regardent cela com-
me un grand deſordre : cependant ils
diſent que c'eſt un malheur dont il eſt
tres difficile que les maris & les fem-
mes ſe garantiſſent , à moins qu'ils ne
veillent exactement ſur eux-mêmes , &
qu'ils n'ayent ſoin de purifier leur amour
& de le ſanctifier par la meditation de
la Loy de Dieu.  Ils obſervent même
qu'Adam & Salomon ſuccomberent à
cette tentation: ils ſoutiennent qu'ils ne
pecherent que parcequ'ils n'eurent pas
la force de s'élever au deſſus des fauſſes
perſuaſions de leurs femmes. Eſt-il
Lib. 11.
de Gen.
ad Lit. o.
41.
croyable,
dit ſaint Auguſtin, que Sa-
lomon
, cet homme ſi ſage & si éclai-
ré , ait été perſuadé qu'il y eût quelque
avantage à adorer les Idoles ?  Il n'y a
point ſans doute d'apparence ; mais ſa
chute vint de ce qu'il ne put ſe défendre
de l'amour de ſes femmes qui lui pro-
poſoient d'adorer leurs faux Dieux :
la crainte de les contriſter l'emporta
dans ſon eſprit ſur la conſideration de
ſon devoir , & lui fit faire ce qu'il
ſçavoit être illégitime. Tout de même
Adam ne mangea du fruit défendu, que
de peur de contriſter ſa femme qui avoit
été ſeduite par le demon , & qui le lui  114La Vie preſentoit. Ce ne fut point la révolte de
ſa chair, ni de ſa partie inferieure contre
la loy de ſon eſprit qui le fit tomber :
car il n'en avoit encore ſenti aucune ;
mais il pecha par une trop grande faci-
lité, & par une certaine amitié mal re-
reglée qui fait qu'on aime mieux offen-
ſer Dieu , que d'encourir la haine &
l'inimitié des hommes.
Il faut que les Fideles qui vivent dans
le Mariage , faſſent tous leurs efforts
pour ne pas tomber dans ce précipice.
Ils doivent à la veritê s'entr'aimer ; mais
l'amour qu'ils ont les uns pour les au-
tres , doit être ſoûmis à celui de Dieu ,
& s'y rapporter. Il faut qu'ils faſſent
reflexion que JESUS-CHRIST a dit
dans l'Evangile : Si quelqu'un vient à
moi , & ne hait pas ſon pere & ſa me-
re , ſa femme , ſes enfans , ſes freres &
ſes ſœurs , & même ſa propre vie , il ne
peut être mon diſciple. Car cette parole
apprend aux maris , que bien loin que
l'amour de leurs femmes doivent les dé-
tourner de la pieté & du ſervice de
Dieu , ils ſont au contraire obligez de
ne les pas écouter , & de les haïr tou-
tes les fois qu'elles les portent au relâ-
chement, & qu'elles les mettent quelque
obſtacle à leur ſalut.
Il faut dire la même choſe aux fem-
mes Chrétiennes.  Elles ſont obligées

115
des Gens Mariez Ch. XI.
d'aimer leurs maris ; mais ſi l'amour
qu'elles ont pour eux , ſe trouve en
concurrence avec celui qu'elles doivent
à Dieu , il n'y a point à douter ; il faut
qu'elles conçoivent pour eux une ſainte
haine , & qu'elles prennent la reſolution
de leur reſiſter , & de s'éloigner de leurs
mauvais exemples, afin de ſuivre les ma-
ximes ſaintes de l'Evangile , & de mar-
cher avec ſûreté dans la voie du ſalut.
C'eſt en cette rencontre qu'a lieu cette
autre parole du Sauveur du monde :
L'homme aura pour ennemis ceux de ſa
Matth.
10. 36.
propre maiſon
: car les Fideles ſont obli-
gez de garder comme leurs veritables
ennemis , tous ceux qui les détournent
de la vertu , quand même ils ſeroient
leurs parens les plus proches , & qu'ils
leur ſeroient unis par la qualité de maris
& de femmes.
2. Il arrive quelquefois que ce ne
ſont ni les femmes , ni les enfans qui
sollicitent leurs maris & leurs peres de
faire quelque choiſe d'illégitime , mais
que ceux-ci s'y portent d'eux-mêmes ,
par la tendreſſe naturelle qu'ils ont pour
leurs femmes & pour leurs enfans.  Ils
s'occupent de ce qui pourra leur arriver
après leur mort ; ils craignent de les
laiſſer ſans biens & ſans appui ; ils
s'imaginent les voir déja réduits à la
derniere miſere : ce qui eſt ſouvent

116
La Vie
cauſe qu'ils commettent des injuſtices,
& qu'ils violent la Loy de Dieu pour
leur amaſſer des richeſſes , & pour
leur procurer un établiſſement avanta-
geux. C'eſt-là une autre eſpece de ten-
tation à laquelle il faut que les Fideles
reſiſtent genereuſement.  Ils doivent
pour la ſurmonter , conſiderer que l'a-
mour qu'ils ſont obligez d'avoir pour
leurs femmes & pour leurs enfans, doit
être ſaint & chrêtien ; & que par con-
ſequent il ne faut pas qu'il leur ſoit une
occaſion de bleſſer les regles de la juſtice.
Il ſera même bon qu'ils faſſent refle-
xion que Dieu a promis dans les Ecri-
tures
de proteger les veuves & les or-
phelins, & de pourvoir à leur ſubſiſtan-
ce : car cette penſée, que leurs femmes
& leurs enfans ne ſeront pas abandon-
nez après leur mort , & que la divine
Providence aura ſoin d'eux , & leur
fournira tout ce qui leur ſera neceſſaire,
les empêchera d'avoir recours à des
moyens illicites pour les tirer de la
miſere , & pour aſſurer leur fortune.
3. Il y a des maris & des femmes
qui font dégenerer l'amour qu'ils ſe por-
tent à une attache ridicule ; qui ne
ſçauroient ſe paſſer de ſe voir , qui veu-
lent être toujours enſemble , qui ſe té-
moignent en toutes rencontres de vai-
nes complaiſances , & qui s'applaudiſ-

117
des Gens Mariez Ch. XI.
ſent les uns aux autres dans tout ce qu'ils
font , & même dans les choſes les plus
indifferentes.
Seneque , au rapport de ſaint Jerô-
Lib. 1.
adverſus
Jovintam
me
, parle même d'un homme de qua-
lité, qui ne pouvoit ſe resoudre à faire
un ſeul pas , ſans être accompagné de
ſa femme; qui l'attachoit à ſa ceinture
avec un cordon , lorſqu'il ſortoit dans
les rues , qui vouloit toujours l'avoir
ſous ſes yeux , qui ne beuvoit jamais
qu'elle n'eut touché du bout de ſes le-
vres au verre & à la coupe où il de-
voit boire.
Ce défaut procede d'une affection
mal reglée , & qui mérite pluôt le
nom de cupidité que celui d'amour.
Ceux qui ſe conduiſent par les lumie-
res de la droite raiſon, & qui craignent
veritablement Dieu , n'en ſont point
susceptibles. Ils se voient quand il est
neceſſaire & que l'occaſion s'en preſen-
te ; mais ils s'en paſſent auſſi tres‑
volontiers pour vacquer à leurs affai-
res & à leurs emplois ordinaires : ils
ſe tiennent compagnie , lorſque la so-
cieté civile , & les devoirs de la vie
conjugale les y obligent ; mais cela ne
les détourne point de leurs occupations
ſerieuſes. Ils ont de l'eſtime les uns pour
les autres , mais ils ne la témoignent pas
en toutes rencontres ; & ils n'affectent

118
La Vie
point de ſe donner des louanges à contre‑
temps , & par pure complaiſance.  Ils
s'aſſistent, & ſe ſecourent dans leurs ve-
ritables beſoins , mais ils ne les exage-
rent pas ; & ils n'entreprennent point
de les faire paroître plus grands qu'ils
ne ſont effectivement.  Ils agiſſent ſe-
rieuſement enſemble ; ils évitent les
amuſemens , & ne ſe laiſſent point aller
à la bagatelle. Ils ſe donnent les uns aux
autres une honnête liberté ; ils commu-
niquent avec le monde ; ils ſortent ſelon
que leurs affaires le demandent ; & l'a-
mour qu'ils ſe portent, ne les rend point
eſclaves.
Les Fideles qui ſont mariez doivent
faire une attention ſerieuſe à ceci, afin
que l'amour qu'ils ont les uns pour les
autres , ſoit pur & digne de l'union
ſainte qu'ils ont contractée.  Ils ſont
obligez de s'aimer , on l'avoue ; mais
il faut que leur amour ſoit fondé sur
la charité , & n'ait point d'autre mou-
vement que celui qu'elle lui donne.
Or cette vertu ne ſouffre point que
ceux qu'elle unit tombent dans de tel-
les foibleſſes ; qu'ils ſuivent leur ſen-
ſualité ſous prétexte de s'aimer, ni qu'ils
ſe conduiſent d'une maniere toute hu-
maine les uns envers les autres.  Elle
veut au contraire , qu'ils ne penſent
point à contenter leur amour propre ;

119
des Gens Mariez Ch. XI.
qu'ils ſoient détachez de toutes choſes;
qu'ils mortifient leurs ſens ; qu'ils faſ-
ſent une guerre continuelle à leur vieil
homme, & qu'ils ne s'aiment que dans
la vûe de plaire à Dieu , & de le ſervir.
C'eſt ce que ſaint Paul appelle avoir
c. Corint.
7. 29.
une femme , comme ſi on n'en avoit
point , c'eſt-à-dire , vivre dans le Ma-
riage preſqu'avec autant de pureté &
de détachement que ſi on n'étoit point
marié.
4. Le défaut dont on vient de par-
ler en produit ſouvent un autre , qui
précipite les gens mariez dans une infi-
nité de malheurs & de diſgraces.  Car
lorſqu'ils s'aiment avec trop d'empreſ-
ſement & d'attache , ils tombent facile-
ment dans la jalouſie ; ils ſont ſujets à
mille ſoupçons mal fondez ; ils ſe dé-
fient continuellement de la conduite les
uns des autres.
Si le mari voit ſortir ſa femme, il
croit qu'elle va à un rendez-vous ; ſi
elle parle à un homme, il ſe figure qu'el-
le veut lui être infidele ; ſi elle ſe mêle
de la moindre affaire, il s'imagine qu'elle
conduit une intrigue pour couvrir ſes
impuretez ; ſous ce prétexte il la tient
captive: il n'a pour elle que de l'aigreur
& de la dureté , & ſouvent même il
la maltraite , & lui fait de grandes vio-
lences.

120
La Vie
Si la femme de ſon côté remarque
que ſon mari regarde une fille ou une
femme, elle dit auſſi-tôt qu'il a de mau-
vais deſirs ; qu'il la mépriſe , & qu'il a
placé autre part ſon cœur & ſes affec-
tions ; & ne pouvant l'outrager en ſa
perſonne , elle le chagrine par ſes pa-
roles aigres & piquantes ; elle ne lui
témoigne que de la mauvaiſe humeur ;
elle affecte de lui faire comprendre que
ſon amitié lui eſt indifferente ; & elle
agit avec lui d'une maniere qui n'eſt pro-
pre qu'à l'irriter, & à l'indiſposer contre
elle.
L'on peut juger après cela , s'il eſt
poſſible qu'il y ait du repos & de la
tranquillité dans une telle famille ; &
ſi la condition d'un mari & d'une fem-
me qui ſe trouvent dans cet état , n'eſt
pas tres - malheureuſe , puiſque tout
contribue à les tourmenter , même les
choſes les plus innocentes , & qui ne
font pas la moindre peine à ceux qui
ne ſont pas prévenus d'une telle paſſion.
Et auſſi le Sage met la jalouſie au
rang de plus grands maux qu'un hom-
me puiſſe ſouffrir de la part de ſa fem-
Ecel. 26.
6. & ſeq.
me. Mon cœur, dit-il, a aprehendé trois
choſes ; & la quatriéme fait pâlir mon
viſage. La haine injuſte de toute une Ville,
l'émotion ſeditieuſe d'un peuple & la ca-
lomnie inventée fauſſement, ſont trois choſes
plus

121
des Gens Mariez Ch. XI.
plus inſuportables que la mort.  Mais la
femme jalouſe eſt la douleur & l'affliction
du cœur. La langue de la femme eſt per-
çante , & elle ſe plaint ſans ceſſe à tous
ceux qu'elle rencontre.
Il faut donc que ceux qui s'engagent
dans le Mariage , ſe conduiſent avec
tant de ſageſſe , de modeſtie & de re-
retenue , qu'ils ne ſe donnent pas lieu
les uns aux autres de concevoir de la
jalouſie , & qu'ils n'en ſoient pas non
plus ſuſceptibles. Il faut qu'ils évitent
avec ſoin tout ce qui pourroit donner
quelque ſoupçon à ceux avec qui ils
ſont unis, & qu'ils n'entreprennent pas
eux-mêmes de juger témerairement de
leurs actions exterieures , & encore
moins de leurs intentions les plus ſe-
cretes. Il faut qu'ils agiſſent avec bonté
& avec ſimplicité les uns avec les au-
tres ; qu'ils ne ſe laiſſent point prévenir
mal à propos , & qu'ils ſoient toujours
plus diſpoſez à excuſer qu'à condam-
ner ce qui ſe paſſe dans leur domeſti-
que ; & par ce moyen ils éviteront les
troubles & les agitations , qui ſont les
ſuites ordinaires de la jalouſie : ils vi-
vront dans la paix & dans l'union ; &
ils pourront jouir du bonheur & des
benedictions qui accompagnent les Ma-
riages Chrétiens.
F

122
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE XII.

Que les maris & les femmes doivent s'exercer
à la pieté, & ſe ſanctifier les uns
les autres.

On ne doit pas être ſurpris que je
prétende que les Fideles qui vivent
dans le Mariage , ſont obligez de s'exer-
cer à la pieté , & de travailler mutuel-
lement à ſe sanctifier : car c'eſt une
ſuite de ce que j'ai dit dans le Chapitre
précedent, qu'ils ne doivent s'aimer que
d'un amour ſaint & chrétien.  Et d'ail-
leurs cette maxime eſt tres-indubitable;
& l'on trouve dans les ſaints Peres une
infinité de témoignages qui ſervent à
la prouver , & qui la mettent dans la
derniere évidence.
Tertullien dit que les Fideles de la
primitive Egliſe , même ceux qui con-
tractoient Mariage , étoient ſi fervens,
& ſi appliquez à la priere , qu'ils ſe re-
levoient au milieu de la nuit pour ré-
citer des Pſeaumes, & pour vaquer à la
contemplation des biens éternels.  Ce
Pere ſe ſervoit en plusieurs rencontres
Lib. 2. ad
uxor. c. 5.
de cette conſideration pour détourner
les femmes chrétiennes d'épouſer des
hommes infideles ; & il leur repreſen-
toit, comme on l'a déja obſervé , que ſi
elles s'engageoient dans ces ſortes de

123
des Gens Mariez Ch. XII.
Mariages, elles n'auroient plus la liberté
de paſſer une partie de la nuit en prieres;
que leurs maris s'y oppoſeroient , & les
troubleroient dans la pratique de plu-
ſieurs autres bonnes œuvres qu'elles de-
voient embraſſer pour ſe ſanctifier dans
leur état.
Ainſi l'on peut dire que bien loin de
croire que le mariage ſoit une occaſion
aux Fideles de ſe relâcher de leurs pra-
tiques de pieté, il étoit au contraire tres‑
perſuadé qu'ils devoient y perſeverer
avec fidelité , puiſqu'il ne vouloit pas
qu'ils contractaſſent des alliances qui
auroient pû les en détourner.
Le conſeil qu'un ancien Pere donne
à Celancie12 de prendre toûjours quelque
tems pour penſer à elle-même , & de
ſe ſeparer ſouvent des occupations ex-
terieures , pour vaquer en ſecret à la
priere & aux affaires de ſon ſalut , con-
vient à tous les gens mariez ; ainſi il
faut le leur propoſer en ce lieu,afin qu'ils
puiſſent en être édifiez , & en profiter.
Epiſt. 14.
inter Ep.
Hier. c.
15.
Le ſoin que vous prendrez de vôtre
maiſon , dit cet Auteur à cette Dame
celebre, ne vous occupera pas de telle
ſorte, que vous ne puiſſiez auſſi prendre
du tems pour penſer à vous.  Vous de-
vez choiſir un lieu un peu éloigné du
bruit importun de vôtre famille, afin de
vous y retirer quelquefois du milieu de
F ij 124La Vie l'agitation de ſes ſoins, & de ces diſtrac-
tions domeſtiques,comme dans un port
favorable qui puiſſe calmer par ſa tran-
quilité , l'agitation que la tempête des
occupations du monde aura excité dans
vos penſées. Là vous vous appliquerez
avec tant de ferveur à la lecture des
Livres ſaints ; vous l'entremêlerez si
ſouvent de prieres & d'élevations de
vôtre cœur à Dieu ; & vôtre eſprit
s'occupera avec tant d'attention à medi-
ter l'avenir , que cet exercice ſalutaire
récompenſera facilement tout le tems
que vous aurez employé aux affaires ex-
terieures.  Ce n'eſt pas que je veuille
par là vous retirer du ſoin de vôtre fa-
mille ; mais au contraire je deſire que
vous y penſiez dans cette retraite , &
que vous y appreniez la maniere dont
vous devez vous conduire avec tous
ceux de vôtre famille.
Il n'y a rien auſſi de plus édifiant
que la conduite que ſaint Jean Chry-
ſtome
veut que tiennent les maris pour
établir la pieté dans leurs familles.  Il
leur ordonne de lire ſouvent les ſaintes
Ecritures
en preſence de leurs femmes
& de leurs enfans , & de leur repe-
ter à la maiſon les inſtructions que
les Prêtres & les Paſteurs ont pronon-
cées dans l'Egliſe : il leur conſeille de
ne s'appliquer pas aux affaires du mon-

125
des Gens Mariez Ch. XII.
de immédiatement après qu'ils ont aſ-
ſiſté a la prédication de l'Évangile, mais
de prendre quelque tems pour s'occu-
Homil. 5.
in Matt.
per devant Dieu des veritez qu'on leur
a annoncées. Il n'eſt point à propos,
leur dit-il, qu'au ſortir de l'Egliſe vous
vous entreteniez de choſes diſpropor-
tionnées à ce que vous y avez enten-
du. Vous devriez au contraire, lorſque
vous retournez chez vous, prendre le
livre des ſaintes Ecritures , & aſſem-
bler vos femmes & vos enfans , pour
repeter enſemble ce qu'on vous a dit;
& après cela vous pourriez repren-
dre le ſoin de vos occupations tempo-
relles.  Si vous évitez de vous trouver
dans des lieux d'affaires en ſortant du
bain, de peur d'en empêcher l'effet par
une trop grande application: combien
cette précaution vous eſt-elle plus ne-
ceſſaire, lorſque vous ſortez de l'Egliſe
pour aller chez vous? Mais nous faiſons
tout le contraire, & nous perdons ainſi
tout le fruit de cette divine ſemence
(c'eſt-à-dire de la parole de Dieu:) car
avant qu'elle ait eu le temps de prendre
racine dans notre ame, un torrent d'af-
faires l'emporte , & l'arrache de nôtre
cœur. Afin donc que cela n'arrive plus,
ne croyez rien de plus important, lors-
que vous vous retirez chez vous après
que cette aſſemblée eſt finie, que de me-
F iij  126La Vie diter en vôtre particulier ce que vous y
avec appris.
Homil. 2.
in Genes.
Ce ſaint Docteur dit encore en ex-
pliquant la Geneſe , qu'après que la
Prédication eſt finie , & que les Fideles
ſont retournez dans leurs maiſons , le
mari doit faire une récapitulation de ce
qu'on y a dit de plus important en pre-
ſence de ſa femme , de ſes enfans & de
ſes domestiques , afin de leur en rafraî-
chir la memoire.
Il veut même qu'il faſſe dans ſon
logis des queſtions à ſa femme ſur les
veritez que les Paſteurs ont expliquées
devant le peuple , & que la femme en
faſſe auſſi à ſon mari , afin de ſe les
rendre plus familieres: il ajoûte que s'ils
en uſent ainsi , leurs maiſons particu-
lieres deviendront des Temples & des
Egliſes.
Le même ſaint Chryſoſtome ſoutient
en pluſieurs de ſes Homelies , que la
principale obligation des gens mariez
conſiſte à ſe ſanctifier les uns les au-
tres , & à procurer mutuellement leur
ſalut: il fait de grandes plaintes contre
les maris & les femmes qui n'ont pas
ſoin de ſe porter à Dieu, & de s'avertir
Homil.
73. in
Matt.
de leurs défauts. Quelle femme, dit‑
il, s'efforce aujourd'hui de retirer ſon
mari de ſes excès , & de le rendre un
veritable Chrétien ? Qui eſt l'homme  127des Gens Mariez Ch. XII. qui s'efforce de rendre ſa femme auſſi
reglée & auſſi vertueuſe qu'elle le doit
être? Ces ſoins & ces empreſſemens de
charité ſont maintenant inconnus au
monde.Les femmes s'occupent de leurs
ameublemens , de leurs habits , & de
tout ce qui contribue aux delices & au
luxe , & elles ſouhaitent pour cela d'ê-
tre plus riches.  Les hommes s'occu-
pent auſſi de ces mêmes bagatelles , &
de mille choſes semblables , qui ne re-
gardent toutes que l'accroiſſement de
leur bien, & les commoditez de la vie.
Et pour leur faire mieux compren-
Hom. in
illud Pſ.
48. Noti
timero
eum. & c.
dre qu'ils ſont obligez de s'appliquer
d'un commun conſentement à la prati-
que des bonnes œuvres , il leur repre-
ſente qu'Abraham & Sara travaillerent
également pour bien recevoir les hôtes
qui vinrent loger chez eux ; qu'Abra-
ham
alla lui - même à ſes troupeaux
pour y choiſir quelque piece de bétail
digne de leur être preſentée ; & que ſa
femme eut ſoin de pétrir du pain pour
leur en ſervir ; qu'ayant trois cens dix‑
huit ſerviteurs , ils ne ſe déchargerent
point ſur eux du ſoin de traiter leurs
hôtes, & qu'ils regarderent comme un
honneur de les pouvoir ſervir eux-mê-
mes.
Il ajoûte que cette conduite d'Abra-
ham
& de Sara eſt un exemple illuſtre
F iiij

128
La Vie
du zele avec lequel les maris & les
femmes doivent ſe porter à la vertu &
aux œuvres de charité.  Il veut qu'ils
ayent ſoin de l'imiter en toutes rencon-
tres. Il leur ordonne de penſer ſouvent
à la pieté & à la charité ardente de ces
deux perſonnes qui ont vécu dans le
Mariage , afin d'exciter leur ferveur ,
lorſqu'il s'agit de pratiquer la charité :
il dit qu'ils doivent apprendre de cette
Hiſtoire que le Mariage qui rend com-
muns entr'eux tous les avantages tem-
porels , les oblige à plus forte raiſon à
contracter une ſainte communauté de
vertus , & à s'animer les uns les autres
à la perfection chrétienne par leurs pa-
roles , & encore plus par leurs actions.
On dira peut - être que ce genre de
vie ne convient pas à des gens mariez ;
qu'on n'a pas raiſon de prétendre qu'ils
ſoient obligez de s'exercer continuelle-
ment à la pieté , & que cette regula-
rité regarde plutôt les Religieux &
les Eccleſiaſtiques , que les perſonnes
qui ſont engagées dans le monde , &
qui ſont chargées du ſoin & de la con-
duite d'une famille. Mais il me ſera fa-
cile de répondre à cette objection , &
& de faire voir qu'on ne doit point l'é-
couter , ni s'y arrêter , car les ſaints Pe-
res
l'ont refutée dans leurs Ecrits ; & je
n'ai qu'à me ſervir de leurs raiſonnemens

129
des Gens Mariez Ch. XII.
pour convaincre les lecteurs de ſon peu
de ſolidité.
Saint Jean Chryſoſtome après avoir
prouvé dans ſon Commentaire ſur ſaint
Matthieu , que les gens du monde , &
ceux mêmes qui contractent mariage,
ſont obligez d'être chaſtes , de s'abſte-
nir des ſpectacles & des divertiſſemens
illicites , & de mener une vie reglée &
conforme aux maximes de l'Évangile,
ſe propoſe cette même objection de la
part de ſes auditeurs ; & leur ayant fait
dire : Que voulez-vous donc que nous
Homil 7.
in Matt.
faſſions ? Irons-nous ſur les montagnes
pour nous faire Moines ?
Il leur ré-
pond en des termes qui juſtifient, qu'ex-
cepté quelques obſervances regulieres,
il ne fait aucune diſtinction entre les
gens mariez & les ſolitaires , lorſqu'il
s'agit d'obſerver les Commandemens
de Dieu
, & de pratiquer les vertus qui
ſont eſſentielles au Chriſtianiſme. C'eſt
cela même , leur dit - il , que je dé-
plore , que vous vous imaginiez qu'il
faille être ſolitaire pour être chaſte.
Les loix que JESUS-CHRIST a
établies ſont communes à tous les hom-
mes , lorſqu'il dit : Si quelqu'un voit
Matt. 5.
28.
une femme avec un mauvais deſir
, il ne
le dit pas à un ſolitaire , mais à celui
qui eſt engagé dans le mariage, puiſque
la montagne où il donnoit ces divines
F v  130La Vie loix, n'étoit pleine alors que de perſon-
nes mariées. Conſiderez par les yeux
de la foy ce qui ſe paſſe ſur les thea-
tres , & renoncez pour toujours à ces
ſpectacles diaboliques. N'accuſez point
la ſeverité de mes paroles.  Je ne vous
interdis point le Mariage ; je ne vous
empêche point de vous divertir , mais
je souhaite seulement que ce soit avec
modeſtie , & non d'une maniere bru-
tale & honteuſe.  Je ne vous oblige
point de vous retirer dans les deſerts ,
ni ſur les montages , mais d'être mo-
deſtes , bien reglez , humbles & chari-
tables au milieu des Villes.  Tous les
préceptes de l'Évangile nous ſont com-
muns avec les Religieux, excepté le ma-
riage ; & en ce point même S. Paul
veut vous égaler à eux , lorſqu'il dit ,
Que ceux qui ont des femmes ſoient comme
s'il13 n'en avoient point.
Ce ſaint Docteur combat encore dans
1. Cor. 7.
29.
un autre de ſes Ouvrages, ceux qui pré-
tendent qu'il n'y ait que les Moines qui
doivent ſe ſoumettre aux maximes de
l'Evangile , s'exercer à la pieté , & s'é-
tudier à la perfection ; & que les gens
mariez peuvent s'en diſpenſer , & me-
ner une vie mondaine et relâchée. Vous
vous trompez vous même
, dit-il, en
s'adreſſant à ceux qui vivent dans le ſie-
Lib. 3.
cle , ſi vous vous imaginez que les Moi-  131des Gens Mariez Ch. XII. nes ayent des obligations differentes de
advers.
vitupe-
rant. vit.
Monas.c.
12.
celles des gens du monde : car il n'y a
que cette difference entr'eux, que ceux‑
ci ſe ſoumettent aux liens du Mariage,
& que les autres en ſont exempts; mais
dans tout le reſte ils ſont obligez de vivre
de même maniere , & les fautes qu'ils
commettent , meritent les mêmes pei-
nes. En effet, qu'un Moine, ou qu'un
ſeculier ſe mette en colere ſans ſujet
contre ſon frere , c'eſt toujours le mê-
me peché : & quiconque regarde une
femme avec un mauvais deſir, ſera pu-
ni comme un adultere , en quelque
état qu'il ſoit , & quelque genre de vie
qu'il profeſſe. Tout de même tous ceux
qui jurent pour un ſujet ou pour un
autre, ſeront également punis: car lorſ-
que JESUS-CHRIST inſtruiſoit les
Diſciples ſur la matiere du jurement,
& qu'il publioit ſes loix , il n'a point
fait de diſtinction , & il n'a point dit :
Si celui qui jure eſt Moine , ſon jure-
ment eſt un mal ; & s'il n'eſt point
Moine , ce n'en eſt point un ; mais il
Matt. 5.
34. Luc.
6. 25.
dit abſolument : Et moi je vous dis que
vous ne juriez en aucune maniere
. Lorſ-
auſſi qu'il a dit: Malheur à vous qui riez:
il n'a point adreſſé son diſcours aux
ſeuls Moines, mais il a parlé generale-
ment à tous les hommes.
Il en a uſé de même dans tous les
F vj 132La Vie autres Commandemens qu'il a faits :
Matth.
5. v 3. &
ſeq.
car quand il a dit : Heureux les pauvres
d'eſprit ; heureux ceux qui pleurent ; heu-
reux ceux qui ſont doux; heureux ceux qui
ſont affamez & alterez de la juſtice; heu-
reux ceux qui ſont miſericordieux ; heu-
reux ceux qui ſont pacifiques ; heureux
ceux qui ſouffrent perſecution pour la ju-
ſtice !
il n'a point nommé les Moines
ni les ſeculiers , & il a parlé en gene-
ral. Et au fond la diſtinction qu'on fait
ordinairement entre les Moines & les
ſeculiers, ne vient que du caprice des
hommes ; les ſaintes Ecritures ne la
reconnoiſſent point ; & elles veulent
que tous les Fideles , même ceux qui
ſont mariez , vivent auſſi reguliere-
ment que les Moines.
Ecoutez auſſi, ajoute ce Pere , com-
ment parle ſaint Paul , lorſqu'il écrit
aux Fideles qui ſont mariez, & qui ont
des enfans à nourrir : il éxige d'eux
qu'ils ſe conduiſent d'une maniere auſſi
exacte & auſſi reguliere que les Moi-
nes : car il leur interdit non ſeulement
les delices & les voluptez en ce qui re-
garde la nourriture & les alimens ,
1. Tim. 2
9. ib. c. 5.
6. Ibid c.
6, 8.
mais toute ſorte de pompe & de ſomp-
tuoſité , par rapport aux vêtemens &
aux habits. Que les femmes, dit-il, ſoient
vêtues comme l'honnêteté le demande :
qu'elles ſe parent de modeſtie & de chaſ-
 133des Gens Mariez Ch. XII. teté , & non avec des cheveux friſez , ni
des ornemens d'or, ni des perles, ni des ha-
bits ſomptueux. Celle
, ajoute t-il, qui vit
dans les delices eſt morte, quoiqu'elle pa-
roiſſe vivante.  Ayant
, dit-il encore de
quoi nous nourrir & de quoi nous couvrir,
nous devons être contens
. Pourroit on éxi-
ger des Moines mêmes quelque choſe
de plus parfait ?
Ce ſaint Docteur parle enſuite des
vertus chrétiennes les plus éminentes ;
il fait voir que l'Ecriture oblige ceux
qui vivent dans le ſiecle à s'y exercer
comme les Moines ; & qu'elle deman-
de qu'ils soient auſſi reſervez dans leurs
paroles, auſſi vigilans pour étouffer tous
les mouvemens de la colere , auſſi éloi-
gnez de la vengeance , aussi appliquez
aux exercices de la charité , que le peu-
vent être tous les Solitaires : puis il con-
clut que la corruption du ſiecle , & le
relâchement qui regne parmi les Fideles,
ne vient que de ce qu'on s'imagine qu'il
faut que les Moines ſoient exacts & cir-
conſpects en toutes choſes ; & que les
gens du monde au contraire , peuvent
vivre dans la negligence , & ne ſont pas
obligez de veiller ſur eux-mêmes , ni de
ſe contraindre en aucune choſe.
Cette morale n'eſt pas particuliere à
Lib. de
abdicat.
rerum.
ſaint Jean Chryſoſtome ; ſaint Baſile la
ſuit auſſi : car il enſeigne dans plu-

134
La Vie
ſieurs de ſes Traitez , qu'il faut que les
gens mariez obéiſſent auſſi exactement
à l'Évangile que les Moines, parcequ'il
a été écrit également pour les uns &
pour les autres, & que c'eſt une loy qui
doit regler les mœurs de tous les Fi-
deles.  Il s'éleve avec force contre les
Homil. in
diteſcen-
tes.
peres & les meres qui ſe ſervent de la
conſideration des enfans dont ils ſont
chargez , comme d'une excuſe legitime
pour s'exempter de faire l'aumône , &
qui alleguent les prétendues neceſſitez
de leurs familles pour juſtifier leurs
épargnes , qui ne ſont qu'un effet de
leur cupidité: il leur demande s'ils peu-
vent ſe figurer que les préceptes de l'É-
vangile
qui condamnent l'avarice , ne
les regardent point , & qu'ils n'ayent
été faits que pour les Moines & les So-
litaires.
Il dit même que ceux qui vivent
Lib. de
abdicat.
rerum.
dans le monde doivent s'obſerver , &
veiller ſur eux - mêmes avec plus de
ſoin & plus d'exactitude que les Soli-
taires ; parceque le lieu qu'ils ont
choiſi pour leur demeure ſe trouve au
milieu des piéges , & dans l'empire
des puiſſances infernales qui ſe ſont
revoltées contre Dieu ; qu'ils ont con-
tinuellement devant les yeux les amor-
ces de toutes ſortes de pechez ; & que
des objets pernicieux excitent jour &

135
des Gens Mariez Ch. XII.
nuit tous leurs ſens , troublent leur
imagination & leur inſpirent une in-
finité de mauvais deſirs.
Il eſt donc conſtant que les per-
ſonnes mariées ſont obligées de s'exer-
cer à la pieté, & de s'appliquer à la
pratique des bonnes œuvres , & qu'ils
doivent ſe porter mutuellement à Dieu,
& cooperer au ſalut les uns des autres.
Il faut neanmoins ajoûter , que cette
obligation qui leur eſt commune , re-
garde les femmes d'une maniere encore
plus particuliere , parcequ'elles ont
plus de tems & de repos , & qu'elles ne
ſont pas deſtinées à des affaires fort im-
portantes , & qui occupent beaucoup
l'eſprit. Un homme, dit ſaint Jean
Homil.
60. in
Joan.
Chryſoſtome
, qui eſt obligé de paroî-
tre dans le barreau, & devant les tribu-
naux des Juges, eſt environné du trou-
ble & du tumulte du dehors , comme
d'autant de flots differens.  Mais une
femme qui eſt aſſiſe paiſiblement dans
ſa maison comme dans une école de
Philoſophie , & qui fait une reflexion
ſerieuſe ſur elle-même , peut s'appli-
quer à la prière, à la lecture, & à tous
les autres exerciſes de la pieté chré-
tienne. Comme les Solitaires qui ha-
bitent les deſerts n'ont perſonne qui
les trouble , ainſi une femme gardant
toujours la maison , peut jouir d'une  136La Vie tranquillité continuelle ; & quand mê-
me elle eſt obligée de ſortir , c'eſt
pour des occaſions qui ne lui donnent
pas d'inquietude ; & par conſequent
elle eſt toujours en état de vaquer aux
œuvres de pieté, & de cultiver la vertu.
Il faut donc que les femmes chré-
tiennes regardent le repos dont elles
joüiſſent , comme un moyen que Dieu
leur donne pour travailler à leur pro-
pre ſanctification avec plus de ſoin &
d'exactitude que ne peuvent faire leurs
maris, qui vivent presque toujours dans
l'embarras , & qui ſont redevables à
une infinité de perſonnes.  Il faut qu'el-
les fassent de frequentes prieres; qu'elles
adorent Dieu tres - ſouvent ; qu'elles ſe
mortifient en toutes rencontres ; qu'el-
les s'appliquent à des lectures spiri-
tuelles; qu'elles entendent aſſiduement
la parole de Dieu ; qu'elles élevent
leurs mains vers le Ciel, pendant que
leurs maris vaquent à leurs occupa-
tions exterieures, & qu'elles donnent à la
pieté & à la Religion , tout le tems
qui leur reſte après qu'elles ont ſatiſ-
fait à leurs devoirs ; & qu'elles ſoient
d'autant plus ſerventes dans le ſervice
de Dieu , qu'elles ſont moins chargées
d'affaires, & plus éloignées du tumulte
du monde.

137
des Gens Mariez Ch. XIII.
Bandeau.

CHAPITRE XIII.

De la paix & de l'union, qui doit regner
entre les maris & les femmes. Ce qu'il
faut qu'ils faſſent pour s'y maintenir.

Trois choſes, dit le Sage, plaiſent à
Eccl. 25.
1. 2.
mon eſprit , qui ſont approuvées de
Dieu & des hommes : l'union des freres ;
l'amour du prochain; un mari & une femme
qui s'accordent bien enſemble.
  C'eſt de
cette paix & de cette bonne intelligence
entre les perſonnes mariées , que j'ai
deſſein de parler dans ce Chapitre ; je
me propoſe de leur prouver , qu'il n'y a
rien qui leur ſoit plus neceſſaire , & qui
puiſſe davantage contribuer à leur veri-
table bonheur.
Un mari & une femme qui vivent
dans l'union , s'aſſiſtent & ſe conſolent
mutuellement , ils ſe parlent à cœur
ouvert , & ne ſe cachent rien de ce qui
les concerne; ils entrent dans les peines
& dans les afflictions les uns des au-
tres; ils y compatiſſent; & par ce moyen
ils les diminuent , & les rendent plus
legeres & plus faciles à ſupporter. Ils
s'appliquent enſemble , dit ſaint Jean
Chyſoſtome
, à donner une éducation
chrétienne à leurs enfans ; ils veillent
ſur leurs domeſtiques , & les maintien-

138
La Vie
nent dans le devoir ; ils édifient leurs
parens , leurs amis & leurs voisins, par
leur ſage conduite ; ils répandent par
tout la bonne odeur de JESUS-CHRIST.
Mais au contraire , lorſque la diſ-
corde regne entr'eux , ils uſent de re-
ſerve & de diſſimulation les uns envers
les autres; ils vivent dans une continuel-
le défiance; ils ne cherchent qu'à ſe faire
de la peine , & à ſe deſobliger ; ils ne
penſent ni à leurs enfans , ni à leurs do-
meſtiques ; ils n'écoutent & ne conſul-
tent que leurs paſſions dans tout ce
qu'ils entreprennent ; ils ſcandalisent
tout le monde par leurs querelles & par
leurs emportemens. C'eſt pourquoi on
ne ſçauroit rien faire de plus avanta-
geux pour eux & pour leurs familles ,
que de leur marquer en particulier ,
quels ſont les moyens par leſquels ils
peuvent ſe maintenir dans la paix &
dans l'union.
Il faut premierement qu'ils n'ayent
point d'attache à leur propre volonté ,
& qu'ils ſoient toujours prêts d'y renon-
cer, pour ſuivre celle de leurs époux. Si
une femme, par exemple, deſire de faire
une choſe, & qu'elle remarque que ſon
mari n'en ſoit pas d'avis , & qu'il y ait
de la repugnance , elle doit s'en priver
& s'en abſtenir , afin de lui plaire.  Si
le mari de ſon côté a des inclinations

139
des Gens Mariez Ch. XIII.
qui ſoient contraires à celles de ſa fem-
me , il faut qu'il y renonce pour le bien
de la paix , & afin de s'accommoder à
ſon humeur.
Ils ne doivent point dire qu'étant
libres , ils peuvent faire tout ce qu'ils
veulent , & qu'ils ne ſont pas obligez
de mortifier ainſi leurs volontez , lorſ-
qu'elles ſont legitimes en elles-mêmes,
& qu'elles ne les portent à rien de
mauvais: car ce ne ſont pas là des pen-
ſées dignes de Chrétiens : ils doivent,
pour obéir à l'Evangile , ſe faire une
violence continuelle , reconcer à eux-
mêmes , & acheter la paix au dépens
de leur humeur , de leurs inclinations,
de leur propre volonté , & de tout ce
qu'ils ont de plus cher & de plus pré-
cieux.
2. Ils doivent n'avoir point d'autre
intention que de concourir au bien de
leur famille ; n'agir que pour leurs in-
tereſts communs , & ne travailler que
pour leur utilité reciproque. Car c'eſt-
là un moyen tres-efficace pour entrete-
nir entr'eux une paix veritable , & une
union ſincere. On en peut juger par l'état
où ſe trouvoient les premiers Chrétiens;
n'ayant rien en leur particulier , & poſ-
ſedant tout en commun , ils vivoient
dans une union si parfaite ; que l'Ecri-
Act. 4.
32.
ture dit qu'ils n'avoient qu'un cœur &
une ame.

140
La Vie
Mais au contraire, s'ils viennent à
ſe propoſer des fins differentes ; s'ils
n'ont plus les mêmes intereſts , & s'ils
ne penſent qu'à s'enrichir chacun de
leur côté , & à faire des reſerves au
préjudice de leur famille , & pour en
profiter en leur particulier ; il eſt im-
poſſible qu'il y ait entr'eux une paix
ſolide & durable, parcequ'ils n'auront
point de confiance les uns pur les au-
tres ; qu'ils tomberont tous les jours
dans de nouveaux ſoupçons; qu'ils ne
s'appliqueront qu'à ſe ſurprendre & à
ſe tromper ; & qu'ils n'agiront jamais
enſemble avec la ſincerité & la ſimpli-
cité qui ſont neceſſaires à tous ceux
qui deſirent vivre dans la paix & dans
l'union.
3. Lorſque l'un des deux eſt en colere,
& prévenu de quelque paſſion , il faut
que l'autre évite de le contredire, & de
lui reſiſter ouvertement , de peur de
l'irriter encore davantage , & de n'ê-
tre cauſe qu'il s'emporte à quelque ex-
trémité fâcheuſe.  Il faut qu'il garde
un ſilence reſpectueux , ou qu'il ne
parle qu'avec beaucoup de prudence,
en ſorte qu'il ne condeſcende point à
ſa paſſion , & qu'il ne l'augmente pas
auſſi par une reſiſtance à contre tems.
Il faut en ces rencontres donner lieu à
la colere , c'eſt-à-dire , ſelon les ſaints

141
des Gens Mariez Ch. I.
Peres
, attendre qu'elle ſoit amortie ,
S. Baſil.
Hom. 10.
& par-
var. re-
gul.quaſt.
244.
ou même entierement paſſée , avant
que de rien dire, ni de faire aucune re-
montrance. Quand on voit qu'elle eſt
appaiſée , que le calme a ſuccedé à la
tempête , & que la raiſon s'eſt élevée
au deſſus de la paſſion qui l'avoit trou-
blée , on peut expliquer ſes intentions,
juſtifier ſa conduite , & tâcher de faire
rentrer en lui même, celui qui étoit tom-
bé dans l'emportement. Mais prévenir
ce tems , c'eſt en uſer , dit ſaint Baſile ,
comme un homme qui voudroit s'oppo-
ſer à l'impetuoſité d'un torrent , & qui
Ibid.
par ce moyen ſe mettroit en un danger
évident d'en être ſubmergé.
4. Non ſeulement ils ne doivent pas
reſiſter à celui d'entr'eux qui eſt en co-
lere , comme on vient de le dire , mais
ils ſont obligez de moderer la leur pro-
pre , de ſe contenir , & de ne rien faire
d'extraordinaire toutes les fois qu'ils ſe
ſentent émus & agitez de quelque paſ-
ſion.  Car alors ils ne ſont pas maîtres
d'eux-mêmes , ils ne jugent pas ſaine-
ment des choſes ; & tout ce qui leur
déplaît , & qui contrarie tant ſoit peu
leur volonté , les offenſe , les irrite &
Homil.
26. in
Matth.
les porte à la vengeance. Quand nous
ſommes en colere, dit ſaint Jean Chy
ſoſtome
, les moindres choſes nous im-
patientent ; & ce qui eſt le moins inju-  142La Vie rieux ſe groſſit à nos yeux , & nous pa-
roît un outrage ſanglant. Comme lorſ-
que nous aimons quelqu'un, les choſes
les plus inſuportables nous ſemblent
legeres ; de même lorſque nous haïſ-
ſons une perſonne , les choſes les plus
legeres nous paroiſſent inſuportables :
quoiqu'une parole ſoit dite ſans aucun
deſſein , nous nous imaginons qu'elle
part d'un cœur envenimé contre nous.
Il nous arrive alors ce que nous voyons
arriver au feu.  Tant qu'une étincelle
demeure petite elle ne conſume jamais
le bois; mais si elle ſe change en flamme,
elle dévore non ſeulement le bois, mais
les pierres mêmes; elle reduit en cendre
tout ce qu'elle rencontre ; & l'eau qui
éteint ordinairement le feu, ne ſert qu'à
l'allumer davantage , & lui donne une
nouvelle activité.  C'eſt ce qui ſe voit
dans la colere ; quoiqu'on nous puiſſe
dire en cet état , nous en abuſons , &
nôtre paſſion ſe nourrit de ce qui auroit
dû l'éteindre.
Ainſi lorſque les maris ou les fem-
mes ſentent de l'émotion dans leur cœur,
& qu'ils s'apperçoivent que quelque
mouvement de colere s'éleve dans leur
ame , il faut qu'ils veillent sur eux-
mêmes avec beaucoup de ſoin , de peur
que la paſſion ne les domine , & ne les
faſſe tomber dans quelque excès: il faut

143
des Gens Mariez Ch. XIII.
qu'ils demeurent en repos, & ſans rien
entreprendre , de crainte de paſſer les
bornes de la moderation , & de bleſſer
la juſtice.  Il faut qu'à l'exemple du
Prophete, ils prient Dieu de mettre un
Pſ. 140.
3.
frein à leur langue , & de tenir leur
bouche fermée, afin qu'ils ne proferent
aucune parole indiſcrette ; il faut qu'ils
attendent pour former quelque reſolu-
tion , & pour ſe déterminer à agir ,
que leur colere ſoit amortie , & leur
raiſon affranchie des paſſions qui l'ob-
ſcurciſſoient, & qui la jettoient dans le
trouble.
5. Il eſt sur-tout neceſſaire qu'ils ayent
ſoin de ſuivre en toutes rencontres ,
l'eſprit & les maximes de la charité ;
qu'ils ne faſſent rien dans leur domesti-
que ſans l'avoir auparavant conſultée ,
& qu'ils ne s'entr'aiment que dans la
vûe de plaire à Dieu , qui eſt la charité
même.
Or s'ils ſe conduiſent par les regles
de cette divine vertu,ils auront de grands
égards les uns pour les autres; ils ſe trai-
teront mutuellement avec beaucoup de
bonté ; ils ſe préviendront par des té-
moignages reſpectifs d'honneur & de
déference ; ils auront une patience infa-
tigable , quand il s'agira de s'entreſup-
porter ; ils diſſimuleront mille choſes
differentes qui arrivent dans les familles

144
La Vie
les plus unies , & qui ne laiſſeroient pas
de les troubler ſi on s'y arrêtoit trop ; ils
ſe parleront avec douceur ; ils éviteront
de s'aigrir & de s'offenſer les uns les
autres , & ils n'auront point d'autre in-
tention que de conſerver ent'eux une
paix inviolable.
6. S'il arrive pendant qu'un des
deux , du mari ou de la femme , ſe
conduit ſelon les regles & les maximes
qu'on vient de propoſer , que l'autre
ſe laiſſe aller à ſa mauvaiſe humeur ,
& même qu'il tombe dans le déregle-
ment , & qu'il s'emporte à quelques
excès ; il faut que celui qui eſt inno-
cent , reçoive cela en eſprit de peni-
tence , & qu'il s'en faſſe un ſujet de
merite. Il faut qu'il ſoit perſuadé que
Dieu veut l'éprouver par là , & qu'il
ſe ſert de la malice & des paſſions de
l'autre, comme d'un remede ſalutaire
pour le purifier de ſes propres pechez,
& pour le perfectionner dans la vertu.
In Pſ.34.
Il faut , dit ſaint Jean Chryſoſtome ,
qu'un pere qui ſe voit des enfans des-
obéiſſans & rebelles à ſes volontez ,
regarde leur revolte comme une peine
du peché qu'il a lui - même commis ,
en ſe revoltant contre Dieu.  Il faut
qu'un mari qui a une femme fâcheuſe
& incommode , conſidere qu'il a peut-
être autrefois abuſé de ſon pouvoir
contre

145
des Gens Mariez Ch. XIII.
contre d'autres femmes, & qu'il eſt juſte
que la ſienne l'exerce & l'afflige à son
tour.  Il faut que tous ceux qui éprou-
vent des peines & des afflictions dans
leurs propres familles, faſſent reflexion
qu'ils ont peut - être excité du trouble
& de la division dans celles de leurs
freres , & qu'ils meritent d'en être pu-
nis , & de ſouffrir ce qu'ils ont eux-
mêmes fait ſouffrir aux autres.
Voilà de quelle maniere les gens ma-
riez ſont obligez de ſe conduire pour
entretenir entr'eux l'union & la concor-
de; voilà auſſi l'uſage qu'ils doivent faire
des diſgraces & des tribulations qui les
affligent dans le ſecret de leurs familles.
S'ils ſont fideles à Dieu , & s'ils ont
un deſir ſincere de ſe ſauver, rien de tout
cela ne leur paroîtra difficile. Ils évite-
ront tout ce qui pourroit indiſpoſer &
offenſer les autres : ils ſouffriront eux-
mêmes avec humilité , & en eſprit de
penitence, toutes les peines & toutes les
mortifications qu'ils éprouveront de la
part de ceux pour qui ils ont tant d'é-
gards , & qu'ils épargnent avec tant de
ſoin. Et par conſequent ils ſeront toû-
jours dans la paix , & rien ne ſera ca-
pable de troubler leur union.




G

146
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE XIV.


Que ceux qui s'engagent dans le Ma-
riage ne ſont plus maîtres de leurs corps.
Quelles conſequences il faut tirer de ce
principe.

Que les gens mariez ne ſoient plus
maîtres de leurs corps, & qu'il ne
leur ſoit pas permis d'en diſpoſer ſelon
leur volonté , c'eſt ce qu'il paroîtra évi-
dent à tous ceux qui ſeront inſtruits de
la nature & de l'eſſence du Mariage :
car elle conſiſte dans le droit que ceux
qui entrent dans cet état, ſe donnent les
uns aux autres ſur leurs propres corps :
c'eſt pourquoi S. Paul nous aſſure que
1. Cor. 7.
4.
le corps de la femme n'eſt point en ſa puiſ-
ſance , mais en celle du mari ; & que le
corps du mari n'eſt point en ſa puiſſance,
mais en celle de la femme.
  Cette ma-
xime étant conſtante , & n'ayant pas be-
ſoin d'être prouvée après l'autorité du
grand Apôtre , il n'eſt pas neceſſaire de
s'y arrêter davantage: il faut ſeulement
examiner quelles ſont les conclusions
qu'on en doit tirer.
Il s'enfuit 1. Que la femme qui eſt
ſoumiſe & inferieure à ſon mari dans
l'adminiſtration du bien , dans la con-
duite des affaires , & dans tout ce qui
concerne la vie civile, lui devient égale,

147
des Gens Mariez Ch. XIV.
lorſqu'il s'agit de l'uſage du Mariage,
c'eſt-à-dire, qu'elle a autant de droit
ſur le corps de ſon mari, qu'il en a ſur
Hom. 19.
in 1. ad
Cor.
le sien.  Saint Jean Chryſoſtome par-
lant de cette matiere , obſerve que l'E-
criture
, ſoit dans l'ancien , ou dans le
nouveau Teſtament, marque expressé-
ment que dans tout le reſte, le mari eſt
le maître & le ſuperieur ; que Dieu dit
à la femme dans la Geneſe : Vous ſerez
Cap.3.16.
ſous la puiſſance de vôtre mari, & il vous
dominera
; que ſaint Paul ordonne aux
femmes d'être ſoumiſes à leurs maris
comme au Seigneur , qu'il dit que le
mari eſt le chef de la femme , comme
JESUS-CHRIST eſt le chef de l'É-
Epheſ. 5.
22. & ſe-
quent. 6.
gliſe ; qu'ainſi que l'Egliſe eſt ſoumiſe
à JESUS-CHRIST, les femmes
doivent être ſoumiſes en tout à leurs
maris ; qu'il veut que le mari aime ſa
femme comme lui - même , & que la
femme craigne & reſpecte ſon mari.
Mais il ajoute que dans ce qui regarde
le Mariage l'on voit dans le même
Apôtre , que la femme eſt égale à ſon
mari, & qu'elle eſt maîtreſſe du corps
de ſon époux, comme il eſt maître de
celui de ſon épouſe.  Il conclut qu'on
peut dire qu'elle eſt en même tems la
maîtreſſe & la ſervante de ſon mari :
la maîtreſſe , puiſqu'elle a pouvoir ſur
ſon corps , & qu'elle en peut diſpoſer :
G ij

148
La Vie
la ſervante , parcequ'elle doit lui obéir
dans tout ce qui concerne la conduite
de ſa vie.
Lib. 22.
contra
Fauſtum
Manich.
c. 31.
Saint Auguſtin reconnoît auſſi cette
égalité entre le mari & la femme , par
rapport au Mariage , & ſe ſert de ce
principe, pour prouver que Sara ne fit
rien d'illégitime, lorſqu'elle porta Abra-
ham
à épouſer Agar ſa ſervante.  Il dit
même qu'elle le lui commanda , &
qu'elle n'exceda point en cela ſon pou-
voir , parcequ'ayant droit ſur le corps
de ſon mari , elle pouvoit , ſe voyant
ſterile, l'obliger à prendre une ſeconde
femme , ſelon l'uſage de ce tems-là, &
conformément à la diſpenſe que Dieu
avoit accordée à ſon peuple au sujet de
la poligamie , afin de donner naiſſance
à des enfans, & d'augmenter le nombre
de ceux qui adoroient le vrai Dieu.
2.  Le mari & la femme n'étant plus
maîtres de leurs corps, ils ſont obligez
de ſe rendre une déference reciproque,
& de ſe ſoumettre à la volonté l'un
de l'autre dans l'uſage du Mariage.
C'eſt ce que S. Paul veut nous marquer.
1. Cor. 7.
3.
lorſqu'il dit : Que le mari rende à ſa fem-
me ce qu'il lui doit , & la femme ce
qu'elle doit à ſon mari.
  Sur quoi il
Lib. de
Virg. c.
48. & in
Ps . 50.
faut obſerver avec ſaint Jean Chryſoſ-
tome
, que l'Apôtre appelle cela une
dette , afin de nous faire comprendre

149
des Gens Mariez Ch. XIV.
que celui du mari ou de la femme qui
reſiſte à l'autre dans ce point , lorſqu'il
n'a pas de raiſon legitime qui le diſpenſe
de lui obéir , commet une injuſtice vi-
ſible envers lui , ſe rend coupable des
plaintes , des impatiences & des mur-
mures où il tombe , & répond devant
Dieu des adulteres & des autres impu-
retez auſquelles il s'abandonne dans la
ſuite.
3.  Il ne leur eſt point permis de s'ab-
ſenter , ni d'entreprendre des voyages,
ſans un mutuel conſentement , parce-
qu'ils ne peuvent plus diſpoſer d'eux-
mêmes ; qu'ils ſont ſoumis l'un à l'au-
tre dans ce qui eſt une ſuite du Mariage;
& qu'ils ne doivent pas ſe priver du
droit que l'Apôtre nomme une dette ,
comme on vient de le dire.
4.  Il ne faut pas qu'ils ſe laiſſent
éblouir par un faux prétexte de pieté ,
ni qu'ils s'imaginent pouvoir s'engager
en aucune maniere à garder la conti-
nence ſans un conſentement récipro-
que : car les ſaints Peres declarent que
toutes les promeſſes qu'ils peuvent faire
à cet égard , ſont nulles & illicites , à
moins que les uns & les autres n'en
ſoient d'accord. Il ſe trouva une fem-
me du tems de S. Auguſtin , qui fit vœu
de continence ſans la participation de
ſon mari.  Ce Pere l'en reprit , & lui
G iij

150
La Vie
declara qu'elle avoit manqué en cette
rencontre , & qu'elle n'avoit pû s'en-
gager à cela que par la permiſſion de
Epiſt.
262.
ſon mari. Si votre époux , lui dit-il,
avoit voulu garder la continence , &
que vous n'y euſſiez pas conſenti , il
auroit été obligé de vous rendre le de-
voir, & il auroit eu devant Dieu le me-
rite de la continence , s'il avoit uſé en-
ſuite du Mariage, non pour ſuivre les
mouvemens de ſa concupiſcence, mais
pour s'accommoder à vôtre foibleſſe ,
& pour vous empêcher de tomber dans
l'adultere.  A plus forte raiſon êtiez-
vous obligée, vous qui avez la ſoumiſ-
ſion pour partage , de lui obéir dans
ce qui regarde l'uſage du Mariage, de
peur que le démon ne le portât à com-
mettre adultere ; & Dieu qui auroit vû
que vous deſiriez de garder la conti-
nence, & que la penſée ſeule de procu-
rer le ſalut de vôtre ami , vous en au-
roit détournée , auroit accepté vôtre
bonne volonté , & vous auroit récom-
pensée , comme ſi vous l'aviez effecti-
vement gardée.
Ce ſaint Docteur fit encore connoî-
tre en une autre occaſion , combien il
improuvoit la conduite des perſonnes
mariées qui s'engagent sans le consen-
tement les uns des autres à garder la
continence. Ayant été averti qu'un mari

151
des Gens Mariez Ch. XIV.
& une femme avoient fait vœu de ne
Ep. 127.
plus uſer du Mariage , il leur écrivit
pour les fortifier dans cette ſainte re-
ſolution , il leur repreſenta que cette
promeſſe qu'ils avoient faite à Dieu ,
leur lioit abſolument les mains ; qu'ils
ne pouvoient plus vivre enſemble com-
me autrefois ; & que ce qui leur avoit
été auparavant permis & licite , leur
ſeroit deſormais interdit.  S'adreſſant
enſuite au mari , il le congratula de ce
qu'il s'étoit ainſi imposé une heureuſe
neceſſité qui l'obligeroit à être meilleur,
& à ſuivre la perfection ; & il lui dit
qu'il ne devoit plus penſer qu'à accom-
plir le vœu que ſon cœur avoit formé ,
& que ſes levres avoient prononcé en
preſence du Seigneur.
Il ajouta neanmoins à la fin de ſa
Lettre une clause tres-importante , &
qui regarde la matiere dont nous par-
lons. Il ne pourroit y avoir , dit-il à
ce mari, qu'une ſeule raison qui m'em-
pêcheroit de vous porter à executer ce
vœu, & qui me détermineroit même à
vous en détourner.  Ce ſeroit , ſi vôtre
femme n'en étoit pas d'avis , & n'a-
voit pas voulu s'y ſoumettre , parce-
qu'elle ſe ſentoit foible & infirme. Car
ces ſortes de vœux ne ſe doivent faire
par les gens mariez que d'un commun
conſentement; & s'ils s'y portent incon-
G iiij 152La Vie ſiderément , & ſans l'avis l'un de l'au-
tre , bien loin qu'ils ſoient obligez de
les accomplir , il faut s'y oppoſer , &
arrêter leur temerité indiſcrete , parce
que Dieu défend d'uſurper le bien d'au-
trui , & qu'il ne veut pas qu'on exe-
cute les vœux qu'on a faits d'une choſe
dont on n'eſt pas maître ; & l'on ſçait
que ſelon l'Apôtre, les corps des maris
& des femmes ne ſont pas en leur puiſ-
ſance.
Le Pape Alexandre II. établit la mê-
me maxime dans la réponſe qu'il fit à
un mari, qui avoit forcé ſa femme en la
menaçant de la mort, à conſentir qu'il
33. q. 5.
c. 2.
ſe retirât dans un Monaſtere.  Car il
l'obligea de retourner avec elle , & il
lui déclara qu'il n'avoit pû la quitter
ſans ſon conſentement, & qu'il n'avoit
pas dû l'extorquer par des menaces &
par violence.
Mais on ne peut rien deſirer de plus
fort , ni de plus précis , que ce qu'un
ancien Pere
écrivit à Celancie14 pour
l'inſtruire ſur ce ſujet. J'ai appris , lui
Ep. 14.
in Ep.
Hier. c.8.
dit-il, que depuis quelques années l'ar-
deur admirable & toute extraordinaire
de vôtre foy vous avoit portée à pren-
dre reſolution de garder la continence,
& à conſacrer le reſte de vos jours à la
pureté. Ce deſſein marque la grandeur  153des Gens Mariez Ch. XIV. de vôtre eſprit, & l'excellence de vôtre
vertu, puiſque vous avez la force de re-
noncer tout d'un coup aux voluptez
que vous avez éprouvées, & d'étouffer
les flammes dont la jeuneſſe eſt ordinai-
rement embraſée. Mais j'ai appris en
même tems , non ſans beaucoup de
peine & de déplaiſir , que vous avez
commencé d'executer ce grand deſſein
ſans le conſentement de vôtre mari, &
contre la défenſe expreſſe de l'Apôtre,
qui en cela ſoumet non ſeulement la
femme à la volonté de ſon mari, mais
auſſi le mari à celle de ſa femme, lorſ-
qu'il dit : Le corps de la femme n'eſt point
1. Cor. 7.
4.
en ſa puiſſance, mais en celle de ſon mari;
& le corps du mari n'eſt point en ſa puiſ-
ſance, mais en celle de ſa femme.
Pour
vous , comme si vous aviez oublié les
loix & les promeſſes du Mariage , &
que vous euſſiez entierement perdu la
memoire de ſes droits & de ſes devoirs,
vous avez fait vœu à Dieu de garder la
chaſteté ſans l'avis & le conſentement
de vôtre mari. Certes l'on fait une pro-
meſſe bien témeraire & bien dangereu-
ſe quand on promet ce qui eſt encore au
pouvoir d'autrui ; & un preſent ne peut
être fort agreable, lorſqu'une ſeule per-
ſonne offre une choſe qui eſt à deux.
Auſſi avons nous appris & reconnu avec
beaucoup de regret, que pluſieurs Ma-
G v 154La Vie riages ont été troublez par cette igno-
rance, & que cette chaſteté inconſide-
rée a fait commettre des adulteres; par-
ceque durant que l'un des deux s'ab-
ſtient des choſes qui ſont permiſes ,
l'autre ſe porte à celles qui ſont défen-
duës.  Or je ne ſçai pas qui eſt le plus
coupable en cette rencontre, ou le ma-
ri qui étant rejetté de ſa femme, tombe
dans l'adultere, ou la femme qui en l'é-
loignant d'elle , le porte en quelque
façon à le commettre.
5. Puiſque ceux qui ſe marient ne
ſont plus maîtres de leurs corps , il eſt
évident qu'ils pechent fort griévement,
& qu'ils ſe rendent tres criminels, toutes
les fois qu'ils s'approchent d'une per-
ſonne étrangere , & qu'ils commettent
adultere, parcequ'ils manquent à la fide-
lité qu'ils se sont promise ; qu'ils dispo-
ſent de ce qui n'eſt plus à eux , & qu'ils
violent ouvertement la juſtice.  Mais
comme cette matiere eſt d'une fort gran-
de étendue , & qu'elle ne peut pas être
éclaircie en peu de paroles , il en faut
faire un Chapitre particulier.
Cul de lampe.

155
des Gens Mariez Ch. XV.
Bandeau.

CHAPITRE XV.

Du peché d'adultere; qu'il eſt tres-énorme;
qu'il empêche ceux qui l'ont commis de
ſe marier enſemble; que l'un des deux, du
mari ou de la femme , ne peut pas s'y
abandonner, même du conſentement de
l'autre ; qu'il eſt défendu auſſi-bien aux
hommes qu'aux femmes : ſçavoir si les
maris qui y tombent ſont auſſi, ou moins
coupables que les femmes qui y ſuccom-
bent.

Tous ceux qui feront une reflexion
ſerieuse aux conſiderations ſuivan-
tes, demeureront d'accord de l'énormité
du peché d'adultere.
Il eſt directement oppoſé à la pro-
meſſe ſolemnelle que ſe font ceux qui
ſe marient, de ſe garder une fidelité in-
violable.
Il combat l'ordre de la juſtice , qui
veut qu'on ne dépouille perſonne du
droit qui lui eſt acquis.  Or on a vû au
Chapitre précedent, que le corps du ma-
ri n'eſt plus en ſa puiſſance, mais en celle
de ſa femme , & que celui de la femme
eſt auſſi en la puiſſance de ſon mari ; &
par conſequent ils violent cette vertu ,
lorſqu'ils les proſtituent à des perſonnes
étrangeres , parcequ'ils diſpoſent d'une
G vj

156
La Vie
choſe dont ils ne ſont plus les maîtres, &
qui appartient à autrui.
Il fait injure aux enfans , parcequ'il
rend leur naiſſance incertaine.
Il remplit les familles de trouble & de
confuſion, parcequ'il y introduit des per-
ſonnes qui n'en ſont pas , & qu'il eſt cau-
ſe qu'ils recueillent des ſucceſſions qui
ne devroient point leur appartenir.
Il met la mesintelligence entre les ma-
ris & les femmes ; il les rend ennemis
mortels ; & ſouvent même il les engage
à ſe porter aux dernieres extrémitez.
Qu'on liſe après cela les ſaintes Ecri-
tures
, on y trouvera par tout des preu-
ves de ſon énormité. L'Ecclesiaſtique dit
qu'il produit la plûpart des deſordres
qu'on vient de marquer. Car après avoir
parlé de la punition d'un homme qui
tombe dans ce crime, il ajoute.
Ainſi perira encore toute femme qui aban-
Eccl. 23.
32. seq.
donne ſon mari, & qui lui donne pour heri-
tier celui d'un autre: car premierement elle
a deſobéi à la Loi du tres-Haut.  Seconde-
ment elle a peché contre ſon mari. Troiſié-
mement elle a commis un adultere ; & elle
s'eſt donnée des enfans d'un autre que de
ſon mari.
Il décrit enſuite comment tout le mon-
de s'élevera contre elle : il nous aſſure
que ſes enfans ſeront marquez d'une no-
te perpetuelle d'infamie , & qu'ils ne

157
des Gens Mariez Ch. XV.
proſpereront jamais. Cette femme, dit-il,
ſera amenée dans l'aſſemblée, & on exami-
nera l'état de ſes enfans. Ils ne prendront
point racine , & ſes branches ne porteront
point de fruit. Sa memoire ſera en maledic-
tion, & ſon infamie ne s'effacera jamais.
Le Prophete Malachie déclare que ce
peché irrite Dieu , l'oblige de détourner
ſa face de deſſus les hommes,& le porte à
rejetter leurs offrandes & leurs ſacrifices.
Vous avez, dit Dieu aux Juifs par la bou-
che de ce Prophete , couvert l'Autel du
Seigneur de larmes & de pleurs ; vous
Malac.
2. 13. 4.
15.
l'avez fait retenir de cris : c'eſt pourquoi
je ne regarderai plus vos ſacrifices;& quoi-
que vous faſſiez pour m'appaiſer, je ne re-
cevrai point de preſent de vôtre main. Et
pourquoi , me direz-vous , nous traiterez-
vous de la ſorte ? Parceque le Seigneur a
été le témoin de l'union que vous avez con-
tractée avec la femme que vous avez épou-
ſée dans vôtre jeuneſſe , & qu'après cela
vous l'avez mépriſée, quoiqu'elle fût vôtre
compagne & vôtre femme legitime par le
contrat que vous aviez fait avec elle. N'eſt-
elle pas l'ouvrage du même Dieu ; & n'eſt-
ce pas ſon ſouffle qui l'a animée comme
vous ? Et que demande cet Auteur unique
de l'un & de l'autre , ſinon qu'il ſorte de
vous une race d'enfans de Dieu? Conſervez
donc vôtre eſprit pur & ne mépriſez pas la
femme que vous avez priſe dans vôtre jeu-
neſſe.

158
La Vie
La Loy écrite puniſſoit même de mort
les adulteres.  Si quelqu'un , dit Moïſe
Cap. 20.
10.
dans le Levitique, abuſe de la femme d'un
autre , & commet adultere avec la femme
de ſon prochain , que l'homme adultere &
la femme adultere meurent tous deux.
L'Evangile qui eſt une Loy de grace,
Matth.5.
32.
ne prononce pas à la verité la peine de
mort contre ceux qui ſont coupables de
ce peché ; mais JESUS-CHRIST
nous enſeigne qu'il eſt une cauſe ſuffi-
ſante de ſéparation & de divorce entre
un mari & une femme. Sur quoi ſaint
Auguſtin
dit que l'adultere eſt un ſi
Lib. 1. de
ſerm.
dom. in
monte. c,
16.
grand mal , qu'encore qu'il n'y ait rien
au monde de ſi indiſſoluble que le Ma-
riage , il en cauſe neanmoins la diſſolu-
tion. (Ce qui ne s'entend que d'une diſ-
ſolution exterieure : car le lien demeure
toujours, & n'eſt rompu que par la mort
de l'une ou de l'autre des parties. )
Enfin S. Paul nous aſſure que les adul-
3. Cor. c.
10.
teres ne ſeront point heritiers du royau-
me de Dieu.
Le Seigneur nous a aſſez marqué par
les châtimens qu'il a pris de David , que
ce peché eſt tres-grand & tres-grief : car
après avoir touché ce Prince d'un re-
pentir tres-ſincere, il vengea neanmoins
l'injure qu'il avoit faite à Urie , par une
infinité de plaies dont il le frappa , &

159
des Gens Mariez Ch. XV.
dans ſa perſonne, & dans celle de ſes en-
fans, juſqu'à le mettre dans un extrême
peril de perdre tout enſemble & la cou-
ronne & la vie.
Les peines que l'Egliſe veut que l'on
impoſe à ceux qui commettent ce cri-
me , juſtifient encore qu'on a toujours
crû qu'il eſt tres-énorme : car il y a des
Canons qui ordonnent qu'on les met-
Conc.
Ancir. c.
20.
tent en penitence pendant ſept ans , &
quelquefois davantage ; & même dans
les premiers ſiecles on leur refuſoit ab-
ſolument la grace de la reconciliation,
Albas ſp.
obſerv. l.
2. obſerv,
17.
& on les traitoit avec la même ſéverité
que les homicides & les idolâtres, c'eſt-à-
dire , ceux qui ayant renoncé à la foy
ſacrifioient aux Idoles.
L'on voit même par les Loix Romai-
nes, que ce crime a toujours été conſide-
ré comme un des plus griefs & des plus
dangereux à la ſocieté civile , & qu'on
ne vouloit point qu'on fiſt aucune grace
à ceux qui en étoient coupables. Car il
Cod. de
tranſact.
l. 18.
n'étoit point permis d'en tranſiger ; &
les Empereurs ayant coutume de faire
élargir les Priſonniers à la ſolemnité de
Pâque15 , ils en exceptoient les adulteres,
& les jugeoient indignes d'être mis en
Cod.de.
Epiſcop.
aud. l. 3.
liberté aux approches de cette grande
Fête , parcequ'ils la deshonoroient par
leur perſidie & par leur impureté.
C'a auſſi été pour inſpirer aux hom-

160
La Vie
mes de l'horreur de ce crime , que les
loix tant civiles qu'Eccleſiaſtiques , ont
L Claud.
Seluc. ff.
de his qua
ut indign.
défendu à ceux qui y étoient tombez, de
ſe marier enſemble. Le celebre Juriſcon-
ſulte Papinien , conſulté à l'occaſion
d'un homme qui ayant été condamné
comme adultere , épouſa enſuite la fem-
me qu'il avoit corrompue , & lui laiſſa
même tous ſes biens par ſon teſtament ,
répondit que ce Mariage avoit été nul &
illégitime, & qu'il falloit priver cette fem-
me de la ſuccession du défunt, & l'appli-
quer au Fiſc. L'on trouve dans Gratien plu-
3. q, I. c.
1. & e.
Ibid c. 4.
ſieurs Decrets qui interdiſent le Mariage
à ceux qui ſe ſont abandonnez à ce cri-
me. Et quoique cette défenſe ait été dans
la ſuite reſtrainte à ceux & à celles qui
Cap. Lau-
dab. de
conv. in-
fidel.
ont conſpiré contre la vie de leurs époux
pour ſe marier avec leurs adulteres , ou
qui ſe ſont engagez par ſerment à les
épouſer ; il eſt toujours vrai de dire que
ces anciennes Conſtitutions prouvent
que ce peché eſt tres-énorme en lui-mê-
me.
La deſcription que Saint Hilaire fait
d'un homme qui s'y abandonne , le juſ-
tifie encore. Combien, dit-il, celui qui
ſe laiſſe dominer par ſes paſſions, & qui
ſuit aveuglément les mouvemens de ſa
concupiſcence , ne ſe deshonore-t il
point lui-même? Il eſt toujours attentif
à trouver des occaſions de commettre 161des Gens Mariez Ch. XV. des adulteres,& il ne cherche qu'à pou-
voir aſſouvir en ſecret , & comme à la
In. Ph?
25.
dérobée , ſa brutalité. Ses yeux ne s'oc-
cupent qu'à découvrir des lieux de pro-
ſtitution ; ſon eſprit ne penſe à rien au-
tre choſe ; & il y abandonne ſon corps
ſans aucune reſerve. Entendant conti-
nuellement parler des loix que les hom-
mes ont faites contre ceux qui commet-
tent des adulteres , & les voyant affi-
chées dans les places publiques , il en
prend occaſion de penſer a des impu-
retez & à des adulteres.  Il craint au
milieu des crimes qu'il commet, & ce-
pendant il n'a pas soin d'éviter ce
qu'il craint.
L'on a dit ci-deſſus qu'une des cir-
conſtances qui aggrave le plus ce crime,
c'eſt que celui du mari ou de la femme
qui le commet , fait injure à l'autre , &
viole la juſtice à ſon égard , uſant de ſon
corps contre ſa volonté.  Il ne faut pas
neanmoins s'imaginer que quand l'un
des deux y conſentiroit , l'autre puiſſe
s'abandonner à une perſonne étrangere:
car ſi alors celui qui donneroit ſon con-
ſentement ne recevoit point d'injure ,
ſuivant cette maxime commune , volenti
non fit injuria
, on n'eſt point cenſé faire
injure à celui qui conſent à ce que l'on exe-
cute
; l'autre qui ſe proſtitueroit ne laiſſe-
roit pas de pecher , & de ſe deshonorer

162
La Vie
lui-même: car ſaint Paul nous aſſure que
1. Cor. 6.
28.
celui qui commet fornication, & qui ſuit
l'impureté , peche contre ſon propre
corps, & viole le Temple du ſaint Eſprit:
outre cela il feroit tort & injure aux en-
fans qui pourroient naître d'une telle
conjonction.
C'eſt pourquoi ſaint Auguſtin enſei-
gne qu'il n'eſt point permis à une fem-
Lib. 22.
contra
Fauſt.
c. 3.
& Lill.1.
de ſerm.
Dom. in
monte c.
16.ſerm.
392.
me de ſe proſtituer à un homme, quand
même ſon mari y conſentiroit , & que
le mari ne doit pas non plus s'approcher
d'une autre femme , même avec la per-
miſſion de la ſienne. Il ſoutient au con-
traire que les femmes ſont obligées de
reſiſter à leurs maris en ces rencontres, &
de faire tout leur poſſible pour les dé-
tourner de l'impureté ; qu'elles ne doi-
vent chercher à être loüées d'eux , ni à
leur plaire en diſſimulant , & en ſouf-
frant leurs débauches, parcequ'une telle
patience eſt indigne des Chrétiens ; qu'il
faut qu'elles ſoient jalouſes de leurs ma-
ris , non par des motifs humains & char-
nels , mais par le deſir de procurer leur
bien ſpirituel , & parcequ'elles ſçavent
qu'ils ne peuvent s'abandonner au li-
bertinage, ſans mettre leur ſalut en dan-
ger ; que dans tout le reſte elles doivent
leur être ſoumiſes , leur obéir exacte-
ment , ſe regarder comme leurs ſervan-
tes, & ſouffrir leurs mauvaiſes humeurs

163
des Gens Mariez Ch. XV.
& leurs emportemens ; mais que lors-
qu'elles voyent qu'ils deshonorent leur
Mariage par des commerces illicites ,
elles ſont obligées d'en gémir , de s'en
plaindre, de ſoutenir leurs droits, & de
s'oppoſer à leur vie licentieuſe.
Il y a eu quelques Auteurs prophanes
qui ont dit que l'adultere n'eſt défendu
qu'aux femmes. Mais ce qu'on vient de
repreſenter de ſaint Auguſtin juſtifie aſ-
ſez le contraire ; il ſeroit facile de rap-
porter pluſieurs autres paſſages de ce
ſaint Docteur , où il dit en termes pré-
cis , qu'il n'eſt permis ni aux hommes
ni aux femmes de commettre des adul-
teres.
Lactance qui a défendu nôtre Reli-
gion contre les infideles, remarque qu'il
ne faut pas s'arrêter à leurs loix , qui
n'étoient fondées que ſur une politique
corrompue , & qu'on doit s'en tenir à
la loy de Dieu , qui n'a mis aucune dif-
ference en ce point entre le mari & la
femme. Après , dit-il , qu'un homme
Lib. 6.
divin.
Inſtit.
cap. 20.
eſt marié , il eſt obligé de garder la fi-
delité à ſon épouſe , & il ne lui eſt
point permis de frequenter aucune autre
femme , de quelque condition qu'elle
puisse être , libre ou eſclave. Car il ne
faut pas avoir égard à cette loy pro-
phane & politique, qui condamne une
femme d'adultere , lorſqu'elle s'aban- 164La Vie donne à d'autres qu'à ſon mari; & qui
ne regarde pas comme un adultere, un
mari qui ſe corrompt avec pluſieurs
femmes.  En effet , puiſque la loy de
Dieu unit le mari & la femme par le
lien du Mariage , & qu'elle fait qu'ils
ne ſont plus qu'un ſeul & même corps,
il eſt certain que celui-là eſt adultere
qui rompt cette ſainte union par ſon
impudicité.
La Doctrine de S. Jerôme ſert encore
Epiſt.30.
à refuſer cette erreur. Parmi-nous , dit-
il , & dans notre ſainte Religion, ce qui
eſt défendu aux femmes , l'eſt auſſi aux
hommes; & en ce qui regarde la pureté,
les uns & les autres ont les mêmes obli-
gations.
Saint Gregoire de Nazianze & ſaint
Ambroiſe
ſe ſont auſſi élevez contre les
maris qui prétendent avoir droit d'obli-
ger leurs femmes à leur garder la fideli-
Orat. 31.
té , pendant qu'ils leur ſont eux mêmes
infideles. Avec quel front , leur dit le
premier, éxigez-vous la pureté de vos
épouſes, puiſque vous ne la gardez pas
vous-même? Que perſonne ne ſe flatte,
dit S. Ambroiſe, & ne ſe croye en aſſu-
Lib. 1. de
Amb. c.
4.
rance , ſous prétexte qu'il y a des loix
humaines trop favorables aux maris.
Le commerce qu'ils ont avec d'autres
femmes, eſt un veritable adultere : ce
qui eſt défendu à la femme , ne peut  165des Gens Mariez Ch. XV. être permis au mari , il eſt obligé à la
même pureté qu'elle.
Mais il ſeroit inutile de chercher d'au-
tres autoritez ſur ce ſujet : car l'on a vû
ci-deſſus , que la Loy écrite condamnoit
à la mort, non ſeulement la femme adul-
tere, mais auſſi l'homme qui s'abandon-
noit à ce crime.  Le Sage avant que de
décrire la punition de la femme adulte-
re , parle de celle du mari qui commet
ce même peché.  L'homme , dit-il, qui
viole la foy du lit conjugal , mépriſe ſon
ame. Il ſera puni dans les places publiques.
Eccli. 1.
23. 25.
30. 31.
Il ſera mis en fuite comme le poulain de la
cavale ; & il ſera pris lorſqu'il s'y atten-
doit le moins. Il ſera deshonoré devant tout
le monde, parcequ'il n'a pas compris ce que
c'étoit que de craindre le Seigneur.
  Et
S. Paul prononce que le corps de la femme
n'eſt pas en ſa puiſſance , mais en celle de
ſon mari ; & que de même le corps du mari
n'eſt pas en ſa puiſſance, mais en celle de ſa
femme.
Ainsi il est certain que l'adultere
eſt également défendu au mari & à la
femme ; & qu'un homme qui s'abandon-
ne à l'impureté, peche tres-griévement,
& viole la loy de Dieu , puiſqu'il fait un
mauvais uſage de ſon corps , & qu'il en
diſpoſe au préjudice de celle à qui il ap-
partient.
Quant à la queſtion que l'on propoſe
ordinairement , ſçavoir lequel des deux,

166
La Vie
du mari ou de la femme qui commet
adultere , eſt le plus criminel , on pour-
roit dire que la conſideration des enfans
dont la naiſſance eſt incertaine , lorſque
la femme a commerce avec pluſieurs
hommes , aggrave ſon peché : car on
ne peut pas diſcerner quel eſt le pere des
enfans qu'elle met au monde , ce qui est
un inconvenient tres-conſiderable , &
qui trouble la ſocieté civile. Mais nean-
moins il faut répondre avec les ſaints
Peres
, que le mari qui tombe dans l'im-
pureté , eſt plus coupable que la fem-
me qui commet le même peché ; parce-
qu'ayant plus de force d'esprit , il doit
être plus maître de ſes paſſions ; parce-
que connoiſſant plus parfaitement la dif-
formité du peché , il lui eſt plus hon-
teux d'y ſuccomber ; parcequ'étant le
chef de ſa femme , il doit la préceder
dans le chemin de la vertu , & lui en
donner l'exemple , comme le déclarent
les ſaints Docteurs de l'Egliſe. Les ma-
Lib. 2. de
adulter.
conjug. c.
8.
ris dit S. Augustin , s'indignent contre
nous, lorſque nous leur diſons qu'ils ſe-
ront punis de la même maniere que les
femmes, s'ils commettent adultere. Ils
prétendent que leur étant ſuperieurs
ils ne doivent pas être ſoumis aux mê-
mes peines qu'elles dans cette rencon-
tre : comme ſi leur état & leur condi-
tion ne les obligeoit pas encore plus que 167des Gens Mariez Ch. XV. les femmes à réprimer leurs paſſions, à
ne ſe pas laiſſer dominer par leur chair,
& à marcher dans les voies de la juſti-
ce ? Ainſi bien loin de trouver mauvais
qu'on les avertiſſent qu'ils ſouffriront
les mêmes peines que les femmes, s'ils
s'abandonnent à l'adultere, ils doivent
ſçavoir qu'ils en méritent de bien plus
griéves qu'elles, parcequ'ils ſont obli-
gez de les ſurpaſſer en vertu , & de les
conduire par l'exemple de leur vie &
de leur actions innocentes. Tantò gra-
viùs eos puniri oportet, quantò magis ad
eos pertinet, & virtute vincere, & exem-
plo regere fœminas.
Mais ſans s'arrêter davantage à cette
queſtion, il faut conclure en finiſſant ce
Chapitre , que l'adultere eſt tres-crimi-
nel ; que tous les Fideles doivent s'en
éloigner comme d'un tres-grand peché,
& que les hommes y ſont obligez auſſi-
bien que les femmes , parceque la loy
de Dieu eſt generale, & ne ſouffre point
d'exception : que cette parole, non mœ-
chaberis
, Vous ne commettez point d'a-
Exod. 20.
14.
Matth.5.
27.
Heb. 15.
4.
dultere
, regarde tout le monde ; & que
S. Paul déclare que Dieu condamnera à
ſon Jugement dernier tous les fornica-
teurs & tous les adulteres.

168
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE XVI.

Qu'il faut conſeiller aux gens mariez de
garder la continence les jours qu'ils doi-
vent approcher de la ſainte Euchariſtie.
Que cette pratique est autorisée par L'E-
criture ſainte
, par la doctrine des ſaints
Peres
, par les Canons de l'Egliſe, & par
l'exemple des Saints, & des perſonnes
de pieté.

CE que je dois repreſenter dans ce
Chapitre , regarde à la verité tous
les Sacremens de l'Egliſe , car ils ſont
tous tres-ſaints , & il n'y en a aucun qui
ne merite qu'on y apporte une tres-gran-
de préparation. Mais neanmoins comme
il y en a deux auſquels nous participons
plus ſouvent qu'à tous les autres , c'eſt
à eux particulierement qu'il faut s'arrê-
ter , lorſqu'on traite de la continence
conjugale, & qu'on a deſſein d'inſtruire
les gens du monde de la pureté qui leur
convient, & qu'ils doivent garder dans
l'état du Mariage.  Les ſaints Peres en
ont uſé de cette maniere ; & l'on recon-
noît , en liſant leurs Ouvrages , que
c'eſt preſque toujours par rapport à l'Eu-
chariſtie & à la Penitence qu'ils parlent,
lorſqu'ils enseignent que pour se prépa-
rer à la reception des Sacremens, il faut
redoubler

169
des Gens Mariez Ch. XVI.
redoubler ſon affection pour la pureté, &
s'abſtenir pendant quelques jours de
l'uſage du Mariage.
Je rapporterai dans le Chapitre ſui-
vant ce qu'ils ont dit de la Penitence ;
ainſi je me contenterai d'expliquer dans
celui - ci ce qui regarde la ſainte Eucha-
riſtie.
L'Ecriture nous apprend, que lorſque
Dieu voulut donner la Loy écrite aux
Juifs , il leur commanda de ſe purifier
auparavant pendant pluſieurs jours. Al-
lez trouver le peuple
, dit-il à Moïse, pu-
Exod. 19.
10.
rifiez & ſanctifiez - les aujourd'hui , &
demain qu'ils lavent leurs vêtemens
. Ce
ſaint Prophete
qui étoit porteur des or-
dres de Dieu
, leur marqua en particulier,
que c'étoit par la continence qu'ils de-
voient ſe preparer à recevoir cette inſi-
gne faveur du Ciel.  Soyez prêts pour le
troiſiéme jour
, leur dit - il , & ne vous
approchez point de vos femmes.
En effet,
il n'y a rien qui ſoit plus capable d'attirer
ſur nous les graces de Dieu que la pu-
reté , & qui nous mette plus en état
de les recevoir, & d'en profiter.
Mais il faut paſſer à quelque choſe qui
ait plus de rapport à la ſainte Euchariſtie.
Tout le monde ſçait que les Pains de
propoſition16 en étoient la figure. Or il
falloit avoit gardé la continence pen-
dant pluſieurs jours avant que d'en man-
H

170
La Vie
ger.  Ce qui arriva à David en eſt une
c. Reg.21.
preuve certaine.  Ce Prince ayant été
obligé de prendre la fuite, pour éviter la
colere injuſte de Saül , ſe retira dans la
Ville de Nobé ; & ſe ſentant preſſé de la
faim, il demanda au Prêtre Achimelech
s'il n'avoit rien qu'il pût lui donner à
manger. Celui - ci lui répondit qu'il
n'avoit point de pains communs qui puſ-
ſent être mangez par le peuple ; qu'il ne
lui en reſtoit que de ſaints qui avoient
été preſentez au Seigneur ; mais que
pour en manger , il falloit être pur , &
ne s'être approché d'aucune femme de-
puis pluſieurs jours. Et David lui ayant
aſſuré qu'il y avoit trois jours qu'il n'a-
voit eu la compagnie d'aucune femme ,
il lui donna de ces Pains de propoſition17.
L'on voit encore dans les Livres de
Num. 9.
Moïſe , que ceux qui avoient quelque
impureté legale, ne pouvoient pas man-
ger l'Agneau Paſcal18 avec les autres Iſraë-
lites
; & qu'on leur remettoit la Pâque19 à
un autre tems , afin qu'ils euſſent le loi-
ſir de se purifier , & de s'y preparer.
S'il falloit tant de pureté pour manger
des Pains & un Agneau , qui n'étoient
que la figure de l'Echariſtie ; que l'on
juge s'il n'eſt pas convenable que ceux
qui veulent ſe preſenter à l'Autel sacré
qui porte l'Agneau ſans tache , & parti-
ciper à la veritable Pâque20, ſoient tres-

171
des Gens Mariez Ch. XVI.
purs , & qu'ils ayent gardé la continence
pendant quelques jours.
Il n'eſt pas même beſoin d'avoir re-
cours à cette comparaiſon des Pains de
propoſition21 & de l'Agneau Paſcal22 , pour
prouver cette verité , puiſque S. Paul
l'établit en termes clairs & précis. Que
1. Cor. 7.
3. 5.
le mari
, dit-il, rende à ſa femme ce qu'il
lui doit; & la femme ce qu'elle doit à ſon
mari. Ne vous refuſez point l'un à l'autre
ce devoir, ſi ce n'eſt d'un commun conſente-
ment, afin de vous exercer à l'oraiſon ; vi-
vez enſuite enſemble comme auparavant, de
peur que le démon ne prenne ſujet de vôtre
incontinence de vous tenter.
Cet oracle prononcé par ce grand
Apôtre
, oblige ſans doute les gens ma-
riez à garder la continence , lorſqu'ils
ont deſein d'approcher des choſes ſain-
tes, & particulierement du Sacrement
auguſte de nos Autels , qui eſt le Saint
des Saints , & que les Peres de l'Egliſe
ſoutiennent que ce Docteur des Nations
a voulu déſigner, quand il a parlé de va-
quer à la priere : parcequ'en effet l'Eu-
chariſtie eſt conſacrée par une priere
toute myſterieuſe; qu'il faut faire beau-
coup de prieres avant que d'y partici-
per; & qu'elle eſt elle-même une priere
tres - efficace , puiſqu'elle contient le
Corps, l'Ame & la Divinité de celui qui
eſt toujours vivant pour interceder en
notre faveur.
Hij

172
La Vie
Pour ce qui eſt des ſaints Peres, l'on
trouve dans les Ecrits qu'ils nous ont laiſ-
ſez , une infinité de témoignages , qui
prouvent avec évidence, qu'ils ont con-
ſeillé aux Fideles de ſe purifier avec beau-
coup de ſoin , & de garder la continence ,
avant que de ſe preſenter à la ſainte Ta-
ble.
Saint Clement Alexandrin , dans les
Inſtructions qu'il a dreſſées pour tous les
Pedag.
Lib. 2. c.
10.
Fideles , marque expreſſément qu'il faut
ſe priver de l'uſage du Mariage pendant
les tems de la priere , de la lecture , &
des bonnes œuvres.
Saint Jean Chryſoſtome obſerve qu'en-
core que les Juifs fuſſent charnels &
groſſiers, ils s'abſtinrent neanmoins par
ordre de Moïſe , ou plutôt de Dieu mê-
Lib. de
Virginit.
c. 30. 31.
32.
me, de tout commerce conjugal pendant
pluſieurs jours , pour ſe préparer à rece-
voir la loy , comme on l'a vû ci deſſus :
il dit aux Fideles, que cela leur apprend,
que puiſqu'ils ſont appellez à une plus
grande perfection que cet ancien peu-
ple, ils doivent à plus forte raiſon vivre
dans la continence toutes les fois qu'ils
veulent participer aux ſaints Myſteres.
Ce ſaint Docteur rapporte même qu'il
y avoit de ſon tems pluſieurs perſonnes
qui n'oſoient entrer dans les Egliſes après
avoir uſé du Mariage: il ſe ſert de l'exem-
ple de leur pieté & de leur retenue , pour

173
des Gens Mariez Ch. XVI.
combattre la témerité de ceux qui ne
craignent point de ſe preſenter à Dieu
dans la priere, après avoir prophané leurs
langues par des médiſances & des blaſ-
phêmes , & ſouillé leurs mains par des
actions criminelles. Vous n'oſez venir,
Homil.5.
in Matt.
leur dit-il, dans nos Egliſes pour y prier
Dieu après l'uſage d'un legitime Ma-
riage, encore qu'en cela vous ne com-
mettiez aucun peché ; & vous avez la
hardieſſe de lever vos mains au Ciel ,
après être tombez dans de noires
médiſances, & des calomnies qui vous
font mériter l'enfer ?  Comment ne
tremblez-vous pas de crainte ? N'en-
tendez-vous pas Saint Paul qui vous dit
que le lit nuptial eſt pur , & que le Ma
riage eſt honorable ? Que si vous n'oſez
neanmoins en sortant de ce lit pur &
de cette couche honorable , lever vos
mains vers Dieu : Comment en ſortant
du lit des démons , oſez-vous pronon-
cer ce nom adorable qui eſt également
ſaint & terrible ? Car le démon ſe plaît
dans les médiſances & dans les outra-
ges ; c'eſt comme un lit delicieux où
il ſe repoſe.
Saint Jerôme dit auſſi que pluſieurs Fi-
deles n'entroient point par reſpect dans
les Egliſes , & ne viſitoient pas les tom-
beaux des Martyrs les jours qu'ils avoient
uſé du Mariage ; mais il s'en trouvoit
F iij

174
La Vie
quelques-uns parmi eux , qui en ces mê-
mes jours ne faisoient point de difficulté
de manger en ſecret l'Euchariſtie dans
leurs maiſons (car en ce tems là les Chré-
tiens emportoient chez eux ce Pain ſa-
cré , pour s'en nourrir dans leurs beſoins
particuliers. )  Ce ſaint Docteur s'éleva
fortement contre eux: il leur dit que s'ils
croyoient qu'il ne leur fût par permis en
ces rencontres d'entrer dans les Egliſes,
ils devoient encore moins entreprendre
de manger la ſainte Euchariſtie.  Il leur
demanda ſi le Corps de JESUS-CHRIST
qu'ils prenoient dans leurs maiſons, étoit
In Apol.
pro libris
uis . ſeu
Epiſt.50.
autre que celui qu'on recevoit dans les
Egliſes, & s'il méritoit moins de reſpect.
Il leur repeta pluſieurs fois qu'ils ne de-
voient pas faire dans le ſecret ce qui leur
étoit interdit dans le public. An alius in
publico, alius in domo Christus est? quod
in Ecclesia non licet , nec domi licet.
Lib. 12.
Epist. in-
dict. 7.
Epist. 31.
Le Pape S. Gregoire rend pareillement
témoignage que c'étoit un ancienne cou-
tume parmi les Romains , de s'abſtenir
de l'entrée de l'Egliſe , après même l'u-
ſage legitime du Mariage , de ſe laver &
de ſe purifier dans de l'eau avant que de
s'y preſenter. Bien loin de blâmer ceux
qui ſe conduiſoient ainſi, il les loue, & il
en parle comme des gens pleins de pieté,
qui avoient un grand reſpect pour tout
ce qui regarde la Religion.

175
des Gens Mariez Ch. I.
Mon intention n'eſt pas , lorſque je
rapporte cet exemple , d'obliger tous
ceux qui uſent maintenant du Mariage ,
de ſe priver de l'entrée de nos Temples,
& de s'en éloigner: car je reconnois qu'il
ne faut pas faire une loy generale d'une
ſimple pratique de pieté , qui a été au-
trefois embraſſée par quelques Fideles ,
dont le zele & la ferveur étoient extra-
ordinaires. Mais je ſuis perſuadé qu'on
peut au moins conclure de cette ancien-
ne coutume , qu'il faut ſe préparer
à la ſainte Communion par la continen-
ce; & que ceux qui ne la veulent pas gar-
der pendant quelques jours pour s'y diſ-
poſer , ne portent pas aſſez de reſpect
au Sacrement auguſte de nos Autels.
C'eſt ce qui paroîtra encore avec plus
d'évidence , si l'on conſidere attentive-
ment ce que les autres ſaints Peres de
l'Egliſe
ont dit sur ce ſujet.
Saint Gregoire de Nazianze inſtruiſant
des Adultes qui ſe préparoient au Baptê-
me, ne manque pas de leur dire qu'ils ſe-
ront obligez de paſſer dans la continen-
ce les tems deſtinez à la priere , c'eſt-à-
dire, de ſe ſeparer d'un commun conſen-
tement , lorſqu'ils voudront approcher
de nos ſaints Myſteres.
J'ai déja parlé du ſentiment de ſaint
Jerôme
; il faut ajoûter à ce que j'en ai
rapporté , que lorſqu'il explique ces pa-
H iiij

176
La Vie
roles du Sage , Il y a un tems d'embraſ-
Eccl. 35.
In Eccl.
ſer, & un tems de s'éloigner des embraſſe-
mens.
  Il prétend que ce tems de s'éloi-
gner des embraſſemens , eſt celui de l'o-
raiſon & de la participation des choſes
ſaintes dont parle S. Paul quand il dit :
1. Cor. 7.
5.
Ne vous refuſez point l'un à l'autre le de-
voir, si ce n'eſt d'un commun conſentement,
afin de vous exercer à l'oraiſon.
Saint Ambroiſe diſoit publiquement
dans ſes Sermons, aux Fideles qui étoient
ſoumis à ſa conduite , qu'ils devoient
garder la continence avec leurs propres
Serm.26.
de Temp.
femmes , avant que de ſe preſenter à
l'Autel du Seigneur pour s'y nourrir du
pain des Anges ; & que la veritable diſ-
poſition qu'il faut apporter à l'Eucha-
riſtie , eſt d'en approcher avec un cœur
pur & un corps chaſte.
L'illuſtre Archevêque d'Arles ſaint
Ceſaire
, a auſſi en pluſieurs rencontres,
rendu témoignage à cette verité de mo-
rale. Il enſeigne que les Catechumenes
Serm. 68.
ſont obligez de ſe préparer au Baptême
par des mortifications , par des jeûnes,
& par d'autres œuvres de pieté ; & qu'il
faut ſur-tout qu'ils paſſent pluſieurs jours
dans la continence avant que de ſe pré-
ſenter à ce Sacrement , & après l'avoir
reçu. Or s'il exige une si grande pureté
de ceux qui doivent être baptiſez, n'eſt-
il pas juſte de preſcrire la même choſe

177
des Gens Mariez Ch. XVI.
à ceux qui veulent approcher de l'Eu-
chariſtie , qui eſt le plus ſaint & le plus
auguſte de nos Sacremens. Mais ce ſaint
Docteur s'en eſt expliqué en des termes
tres-clairs & tres précis. Ainsi il n'eſt pas
neceſſaire de raiſonner pour nous aſſurer
de ſon ſentiment. Toutes les fois, dit il
à ſes Auditeurs dans un de ſes Sermons,
qu'on celebre le jour de la Naiſſance du
Sauveur , ou quelque autre Fête , ayez
ſoin , comme je vous ai déja ſouvent
avertis , non ſeulement de vous ſéparer
des concubines que vous frequentez ,
ce qui eſt un commerce criminel, mais
de vous abſtenir de vos propres femmes
pendant pluſieurs jours.  Lorſque vous
venez à l'Egliſe à l'occaſion de quelque
ſolemnité , leur dit-il encore , & que
vous voulez participer aux Sacremens
que JESUS-CHRIST a inſtituez, ne
manquez pas de vous y préparer en gar
dant la continence pendant pluſieurs
jours , afin que vous puiſſiez enſuite
vous preſenter avec confiance à l'Autel
du Seigneur. Obſervez la même choſe
durant tout le Carême , & juſqu'aux
derniers jours de l'Octave de Pâque,
afin de celebrer ce grand Myſtere avec
un corps pur & chaſte.
Saint Eloy Evêque de Noyon, enſei-
Serm. 163.
gne auſſi à ſes peuples , qu'ils doivent
garder la continence pendant quelques
H v

178
La Vie
jours avant les Fêtes & les Dimanches ,
afin d'aſſiſter à la Meſſe avec un cœur
pur & un corps chaſte , & de recevoir
avec reſpect le Corps & le Sang de nô-
tre Seigneur.
Le Pape ſaint Gregoire après avoir
expliqué cette ancienne coutume des
Romains , dont on a déja parlé , de
Ep. l. 12.
indict. 7.
Ep. 31.
s'abſtenir de l'entrée de l'Egliſe après
avoir uſé du Mariage , ajoute que ſi les
Juifs furent obligez de vivre en conti-
nence avec leurs propres femmes, pour
ſe preparer à recevoir la Loy , les Chré-
tiens doivent à plus forte raiſon s'exer-
cer à la pureté pendant pluſieurs jours,
lorſqu'ils veulent manger la ſainte Eu-
Lib. 1.
dial 6.
10.
chariſtie. Pour en convaincre les Fide-
les , & pour les y engager , il rapporte
l'hiſtoire d'une jeune femme, qui ayant
eu la témerité d'aſſister à la Dedicace
d'une Eglise de ſaint Sebaſtien après
avoir uſé du Mariage avec ſon mari la
nuit précedente , en fut punie sur le
champ , parceque dès que les Reliques
de ce ſaint Martyr arriverent, le démon
s'empara de ſon corps, & la poſſeda.
Saint Gregoire de Tours ayant parlé
Lib. 2. de
Mirac.
de la maniere miraculeuſe dont un en-
fant avoit été gueri d'un mal tres-dan-
gereux , ajoute que ſes parens reconnu-
rent avec larmes, que leur incontinence
lui avoit attiré cette infirmité , parce-

179
des Gens Mariez Ch. XVI.
qu'il avoit été conçu la nuit d'un Diman-
che. Ce ſaint Prélat prend de là occaſion
d'exhorter les Fideles de s'abſtenir du
commerce conjugal les jours de Fêtes ,
& de les paſſer uniquement dans la prie-
re, dans la pratique des bonnes œuvres,23
J'ai reſervé en ce lieu à parler de
ſaint Auguſtin , parcequ'il paſſe encore
plus avant que tous les autres Peres
dont j'ai déjà rapporté les autoritez. Il
ne ſe contente pas d'avancer que les
Gens Mariez ſont obligez de garder la
continence pour vaquer à la priere; mais
Lib de
bono con-
jug. c.10.
il ſemble dire qu'ils pechent mortelle-
ment , lorſqu'ils uſent ſi frequemment
du Mariage , qu'ils ne laiſſent jamais au-
cuns jours de libres auſquels ils puiſſent
prier, & participer aux ſaints Myſteres.
L'on trouve auſſi dans les Conciles &
dans les Epîtres des Papes, pluſieurs De-
crets qui juſtifient que ç'a toujours été
l'eſprit de l'Egliſe , que ceux qui vivent
dans le Mariage s'en abſtiennent , avant
que de participer à la ſainte Euchariſtie.
Comme les Dimanches ſont des jours
Conc. 13.
de Communion, le Concile de Frioul de
l'an 791. ordonne que les gens mariez
paſſent la nuit qui les précede dans la
continence.
Le Pape Leon IV. veut que les Prê-
In Ep.
tres & les Paſteurs déclarent aux peu-
ples , qu'ils ſont obligez de communier
H vj

180
La Vie
quatre fois l'année ; ſçavoir , à Noёl , le
Jeudy Saint, à Pâque & à la Pentecôte ;
& qu'ils exhortent ceux qui ſont mariez
à garder la continence pendant certains
jours. Ce ſont ſans doute ceux auſquels
ils devoient recevoir le Corps de notre
Seigneur JESUS-CHRIST.
Les Bulgares nouvellement convertis
In reſp.
ad con-
ſult. Bul-
gar.c.60.
à la Foy , ayant conſulté le Pape Nico-
las I.
sur ce ſujet , & ſur pluſieurs autres
points importants ; ce ſaint Pontiſe leur
répondit que les Fideles étant obligez de
s'abſtenir les Dimanches de toutes ſortes
d'œuvres ſerviles , ils doivent à plus for-
te raiſon s'éloigner du commerce conju-
gal en ces ſaints jours, afin de les donner
tout entier à la prière & au ſervice de
Dieu.
Theodulphe Evêque d'Orleans , dit
c. 44
expreſſément dans ſes Inſtructions Pa-
ſtorales , qu'il faut avertir les Fideles de
ne s'approcher pas avec indifference du
Sacrement du Corps & du Sang de
JESUS-CHRIST, & auſſi de ne s'en
éloigner pas trop long-tems, & d'avoir
ſoin de s'abſtenir de l'uſage du Mariage
aux jours qu'ils veulent y participer.
C'eſt dans ce même eſprit que le ſe-
cond Concile d'Aix-la-Chapelle
, celui
de Salingeſtat de l'an 1022. & pluſieurs
c. 17.
c. 3.
autres, défendent aux Fideles de ſe ma-
rier les Dimanches , qui ſont des jours

181
des Gens Mariez Ch. XVI.
deſtinez à la prière & à la continence.
Gratien rapporte pluſieurs témoigna-
33. q. 43.
ges de Papes & de Peres de l'Egliſe , qui
parlent tous de la continence conjugale,
comme d'une diſpoſition tres-convena-
Tit. 7. ?
20.
ble à la sainte Communion.
Antonius Auguſtinus a publié un Pe-
nitentiel Romain qui eſt tres-rigoureux
à cet égard : car il condamne à jeûner
au pain & à l'eau pendant vingt jours ,
ceux qui n'ont pas paſſé dans la pureté &
dans la continence, les cinq ou ſept jours
qui ont précedé immédiatement celui de
leur Communion.
On peut encore confirmer cette verité
par les Rituels de preſque toutes les
Egliſes , qui enjoignent aux Paſteurs de
déclarer à ceux qui s'engagent dans le
Mariage , qu'ils ſont obligez de s'abſte-
nir de tems en tems du commerce con-
jugal , afin de vaquer à la priere , & de
participer aux Sacremens.
Cette matiere ſe trouve auſſi traitée
dans ſaint Thomas. Ayant demandé sur
le quatriéme Livre des Sentences, s'il eſt
permis de demander le devoir conjugal
In 4. Sen.
tent. dict.
32. art. 5.
les jours de Fêtes ; il répond qu'encore
que cette action ne ſoit pas un peché par
elle-même , elle rend neanmoins l'hom-
me moins propre aux choſes ſpirituelles;
& qu'ainſi il eſt à propos de s'en abſtenir
en ces ſaints jours , auſquels on ne doit

182
La Vie
s'appliquer qu'aux exercices de pieté. Il
reconnoît neanmoins au même lieu ,
que celui du mari ou de la femme qui
veut uſer de ſon droit en ces jours , ne
peche par mortellement , parceque la
circonſtance du tems ne change pas l'es-
pece du peché, & ne l'aggrave pas à l'in-
fini.
Ce Saint Docteur décide encore dans
3.p. q.
80. art.
7. ad 2.
ſa Somme , qu'on ne doit pas recevoir
la ſainte Euchariſtie le jour qu'on a uſé
du Mariage, parceque le commerce con-
jugal , lors même qu'il eſt ſans peché, ne
laiſſe pas neanmoins de cauſer quelque
impureté dans le corps , & des diſtrac-
tions dans l'eſprit.
Saint Charles déclare que la dignité
du Sacrement de l'Euchariſtie demande
In actis
instructio.
Euchar.
que les gens mariez s'abſtiennent pen-
dant quelques jours de l'uſage du Maria-
ge , pour ſe mettre en état d'en appro-
cher , à l'exemple de David , qui avant
de recevoir les Pains de propoſition24 de
la main du grand Prêtre , lui déclara
qu'il y avoit trois jours que lui & ceux
de ſa compagnie n'avoient approché
d'aucunes femmes.
Ce grand Cardinal confirme encore
Ca. omnis
homo de
cons. diſt.
3.
cette verité par l'autorité d'un Canon ,
qui porte que toutes ſortes de perſonnes
doivent avant que de communier , vivre
dans la continence pendant trois, quatre
ou huit jours.

183
des Gens Mariez Ch. XVI.
Enfin le Catechiſme du Concile de
Trente
veut que les Gens Mariez gar-
dent la continence au moins trois jours
avant que de communier. Le ſecond
avis dit il, qu'il faut donner aux Fideles
qui ſe marient, eſt que comme on n'ob-
tient de Dieu les graces dont on a be-
ſoin, que par de ſaintes prieres, il faut
qu'ils ſe privent de tems en tems de l'u-
ſage du Mariage pour vaquer à ce ſaint
De Sa-
cram.
Matr. §.
7.
exercice, & particulierement qu'ils s'en
abſtiennent au moins trois jours avant
que de s'approcher de l'Euchariſtie, &
même encore plus ſouvent pendant le
tems ſolemnel du Carême , ainſi que
l'ont ſagement & ſaintement ordonné
les ſaints Peres. Car par ce moyen ils
verront augmenter de jours en jours
dans leur famille les biens du Mariage;
Dieu les comblera de graces & de be-
nedictions ; & non ſeulement ils me-
neront une vie paiſible & tranquille ,
mais encore ils auront cette ferme &
veritable eſperance ce qui ne trompe
point , d'obtenir de la miſericorde de
Dieu la vie éternelle & bienheureuſe.
Il faut ajouter que cette coutume de
garder la continence les jours de com-
munion , a été ſuivie dans tous les ſie-
cles par les plus grands Saints , & par
une infinité de perſonnes de pieté, com-
me on le peut voir dans les hiſtoires; &

184
La Vie
ſans en faire une longue énumeration ,
je me contenterai de propoſer aux lec-
teurs l'exemple de ſaint Loüis Roy de
France
. Ce grand Prince n'approchoit
point de la Communion , qu'il n'eût
Du Chê-
ne tome 5.
p. 148.
vêcu dans la continence pluſieurs jours
auparavant , & il la gardoit encore plu-
ſieurs jours après, afin d'honorer ce Sa-
crement auguſte qui contient le Corps
d'un Dieu , qui eſt la pureté même , &
qui par conſequent ne doit être reçu que
par des ames chaſtes & pures.
Je n'en dirai pas davantage ſur ce ſu-
jet , parcequ'il ſeroit inutile d'alleguer
d'autres preuves à ceux qui ne ſe ren-
dront pas à celles que j'ai expliquées
dans ce chapitre: car elles ſont ſi claires
& ſi évidentes, qu'on peut regarder tous
ceux qui n'en ſeront pas convaincus ,
comme des aveugles volontaires , qui
ſe plaiſent dans les tenebres , & qui dé-
tournent leurs yeux de peur d'apperce-
voir les lumieres de la verité qui ſe pré-
ſente à eux pour les éclairer & pour les
inſtruire.
Cul de lampe.

185
des Gens Mariez Ch. XVII.
Bandeau.

CHAPITRE XVII.

Qu'il faut auſſi conſeiller aux gens mariez
de garder la continence les jours de jeûne
& de penitence. Que cela doit neanmoins
ſe faire d'un commun conſentement.

Les Fideles qui auront une juſte idée
 du jeûne & de la penitence , de-
meureront facilement d'accord de la ve-
rité de cette propoſition , qu'il eſt tres-
à propos de paſſer dans la continence,
les jours auſquels on s'applique à ces
ſaints exercices ; car jeûner & faire pe-
nitence, n'eſt autre choſe que s'éloigner
des plaiſirs & des voluptez , mortifier
ſa chair , crucifier ſon vieil homme ,
gémir de ſes pechez dans le ſecret de
ſon cœur , en ſentir le poids & l'énor-
mité; les effacer par des larmes frequen-
tes & abondantes , & les punir avec ſe-
verité. Or il eſt viſible que tout cela ne
s'accorde pas avec l'uſage du Mariage ;
& par conſequent il eſt vrai de dire que
tous ceux qui ſont veritablement peni-
tens , doivent s'en abſtenir au moins
pendant quelque tems , & ſur-tout aux
jours qu'ils travaillent plus particulie-
rement à fléchir la Juſtice divine.
Auſſi voyons - nous que lorſque l'E-
criture
parle du jeûne & de la peniten-

186
La Vie
ce , elle y joint preſque toûjours la con-
Joël 2.
12. 13. &
ſequent.
tinence conjugale. Convertiſſez - vous à
moi de tout vôtre cœur , dit le Seigneur,
dans les jeûnes , dans les larmes & dans
les gémiſſemens.
A quoi le Prophete ajou-
te : Déchirez vos cœurs , & non pas vos
vêtemens. Faites retenir la trompette dans
Sion ; ordonnez un jeûne ſaint ; publiez
une aſſemblée ſolemnelle ; faites venir tout
le peuple ; avertiſſez - le qu'il ſe purifie ;
aſſemblez les vieillards , amenez même les
enfans , & ceux qui ſont encore à la ma-
melle.
Voilà ſans doute un grand appareil de
penitence ; mais ce n'eſt pas tout , car le
Prophete dit enſuite: Que l'époux ſorte de
ſa couche , & l'épouſe de ſon lit nuptial
:
marquant par là que les gens mariez
doivent vivre dans la continence , lorſ-
qu'ils veulent appaiſer la colere de Dieu
par leurs larmes & par leurs mortifica-
tions.
Saint Paul dans le paſſage qu'on a déja
allegué au chapitre précedent , dit aux
gens mariez , ſelon le Texte Grec25: Ne
I. Cor. 7.
?
vous refuſez point l'un à l'autre le devoir ,
ſi ce n'eſt d'un commun conſentement, pour
un tems , afin de vous exercer au jeûne &
à l'oraiſon.
  Ainſi il leur ordonne égale-
ment de garder la continence aux jours
qui ſont deſtinez au jeûne & à la priere.
Lorſque les ſaints Peres expliquent

187
des Gens Mariez Ch. XVII.
les devoirs & les obligations des peni-
tens , ils ſuivent ces maximes de l'Ecri-
ture
, & diſent toûjours que ceux qui
ſont engagez dans le mariage , doivent
s'éloigner du commerce conjugal pen-
dant le tems de la ſainte Quarantaine26,
& aux jours qui ſont conſacrez aux lar-
mes & à la penitence.
Origene parlant de la maniere dont il
faut paſſer le Carême , dit que la conti-
Homil.
I in Lc.
vit.
nence doit accompagner le jeûne, & que
pour être en état de garder la continen-
ce, il faut obſerver le jeûne.
Ce qui nous fait comprendre que le
jeûne & la continence ſont deux vertus
qui ſe ſoutiennent & ſe fortifient réci-
proquement ; que la premiere étant ſe-
parée de la ſeconde , perd beaucoup de
ſon mérite ; & que l'autre ſans le ſe-
cours de la premiere , ne ſçauroit ſub-
ſiſter long-tems.
Saint Epiphane enſeigne auſſi que le
jeûne a beſoin d'être fortifié par plu-
ſieurs exercices de pieté ; & ſans nous
arrêter à les décrire en particulier : il
ſuffit de dire qu'il y comprend la conti-
Hares.
75. n. 31.
nence , & qu'il enſeigne que ceux qui
pour jeûner , croyent être obligez de ſe
retrancher quelques alimens , doivent à
plus forte raiſon s'abſtenir de l'uſage du
Mariage.
Saint Jean Chryſoſtome obſerve que

188
La Vie
ceux qui ſe diſpoſent à paroître devant
leur Prince pour lui demander quelque
grace , & que les criminels qui ſe voyent
ſur le point d'être preſentez aux pieds de
leurs Juges , ſont continuellement dans
la crainte & dans le tremblement ; qu'ils
ſe privent de toutes ſortes de plaiſirs & de
voluptez ; qu'ils vivent dans les larmes
Lib. de
Virg. c.
30.31.32.
& dans la triſteſſe : il dit que c'eſt ainſi
que ſont obligez de ſe conduire ceux
qui penſent à faire penitence. Qu'ils ont
offenſé une ſouveraine Majeſté ; que le
Juge devant qui ils doivent être preſen-
tez, eſt plein de ſeverité ; qu'ils ont une
faveur bien extraordinaire à lui deman-
der ; que s'il les traitoit ſelon leurs mé-
rites , ils ne pourroient ſupporter le
poids de ſa colere ; qu'il auroit droit de
les rejetter pour toujours , ſans qu'ils
puſſent s'en plaindre ; qu'ils n'ont que
des larmes & des gemiſſemens à lui pré-
ſenter ; que ce n'eſt qu'en s'affligeant &
en s'humiliant , qu'ils peuvent trouver
grace en ſa preſence ; & que par conſe-
quent ils doivent s'abſtenir d'une infini-
té de choſes qui pourroient leur être per-
miſes en un autre tems ; qu'il n'eſt pas
à propos qu'ils uſent alors du Mariage ;
& que la continence qui n'eſt qu'un ſim-
ple conſeil pour les autres , leur devient
d'une obligation tres-étroite , juſqu'à ce
qu'ils ayent effacé leurs pechez par leurs

189
des Gens Mariez Ch. XVI.
larmes , & ſatifait à la juſtice de Dieu.
Le grand Saint Ambroiſe dit à ſes peu-
Serm.26.
de temps.
ples , qu'il eſt de ſon devoir de les aver-
tir de garder la continence pendant tout
le Carême, & juſqu'à la fin de la ſolem-
nité de Pâque, afin qu'ils puiſſent à cette
grande Fête ſe preſenter à JESUS-
CHRIST
, ornez de pureté & de bon-
nes œuvres.
Saint Jerôme enſeigne auſſi que les
penitens ſont obligez de s'abſtenir de
l'uſage du Mariage , & le prouve par
ces paroles du Prophete Zacharie : En
ce tems-là il y aura un grand deuil dans
Cap. 12.
11. 12.
& ſeq.
Jeruſalem : tout le pays ſera dans les lar-
mes ; une famille à part , & une autre à
part ; les familles de la maiſon de David
à part , & leurs femmes à part ;  les fa-
milles de la maiſon de Nathan à part, &
leurs femmes à part ; & toutes les autres
familles chacune à part , & leurs femmes à
part.
  Ces paroles , dit ce Pere , Tout le
In hun?
locum.
pays ſera dans les larmes ; une famille à
part , & une autre à part ; les familles de
la maiſon de David à part, & leurs femmes
à part
,  ſignifient que dans les tems de
tribulations & d'afflictions il ne faut pas
uſer du Mariage.  C'eſt pourquoi les
Juifs étant ſur le point d'être menez en
captivité , le Prophete Joël leur dit de
la part de Dieu : Que l'époux ſorte de ſa
Cap. 2.
16.
couche , & l'épouſe de ſon lit nuptial.
Et 190La Vie l'on voit dans un autre lieu de l'Ecritu-
re
, qu'aux approches du déluge , Dieu
fit ce commandement à Noé : Entrez
Geneſ. 7.
dans l'arche, vous & vos fils, vôtre fem-
me , & les femmes de vos fils
; & qu'au
contraire il lui dit , lorſque le déluge
fut fini , Sortez de l'arche , vous & vô-
tre femme, vos fils & les femmes de vos
Ibid. 8.
16.
fils.
  Ce qui fait connoître que tant que
le danger dura, les maris & les femmes
garderent la continence dans l'arche ,
& qu'ils n'uſerent du Mariage qu'après
en être ſortis , & s'être répandus dans
le monde.
Ce ſaint Docteur expliquant ces pa-
roles du Prophete Joël , qu'on a déja
In cap. 2.
Joëlis.
citées pluſieurs fois ;  Faites retenir la
trompette dans Sion; ordonnez un jeûne
ſaint ; que l'époux ſorte de ſa couche , &
l'épouſe de ſon lit nuptial
, déclare encore
à tous les Fideles que pour faire peniten-
ce , il ne leur ſuffit pas de ſe punir dans
le boire & dans le manger , de jeûner &
de donner l'aumône , mais qu'ils doi-
vent garder la continence , & s'abſtenir
de leurs propres femmes.
Saint Auguſtin après avoir prouvé
par l'Ecriture que les Chrétiens doi-
vent ſe mortifier , ſe faire violence , &
porter la croix durant tout le cours de
leur vie , dit qu'il eſt certain qu'ils y
ſont encore plus obligez pendant le Ca-

191
des Gens Mariez Ch. XVII.
rême , qui eſt particulierement conſa-
cré à la penitence ; puis il ajoûte , en
s'adreſſant à ſes auditeurs: En un autre
tems on ſe contente quelquefois de vous
dire, Prenez garde à vous , de peur que
Serm.
205.
Luc.
24. 31.
vos cœurs ne s'appeſantiſſent par l'excès
des viandes & du vin
: mais en celui-
cy , c'eſt-à-dire , pendant le Carême,
il faut que vous jeûniez ; en autre tems
il vous ſuffit d'éviter les adulteres , les
fornications , & les autres impuretez ;
mais en celui-ci vous devez vous abſ-
tenir de vos propres femmes. Ajoûtez
à vos aumônes ordinaires, ce que vous
vous retranchez par le jeûne ; & don-
nez à la priere le tems que vous aviez
coûtume d'employer aux devoirs du
Mariage.
Ce ſaint Pere dit encore pluſieurs
Serm.
210.
fois dans un autre de ſes Sermons , que
les Fideles doivent garder la continence
pendant tout le Carême ; il leur parle
de cette pratique comme d'une choſe
tres conſtante , & dont perſonne ne dou-
toit en ſon ſiecle.
On peut ajoûter qu'il n'avoit garde
Lib. de
fide &
operibus
cap. 6.
d'exempter les penitens de la conti-
nence , puiſqu'il témoigne qu'on y obli-
geoit même ceux qui ſe diſpoſoient au
Baptême , & qu'on ne leur adminiſtroit
ce Sacrement, qu'après qu'ils s'y étoient
preparez pendant pluſieurs jours par des

192
La Vie
jeûnes, par des prieres , par des aumô-
nes , & ſur tout en ſe ſeparant de leurs
femmes.
Saint Ceſaire parle auſſi de l'obliga-
Serm. 6.
tion qu'avoient ceux qui aſpiroient au
Baptême , de s'abſtenir du commerce
conjugal avant que de s'y preſenter , &
après l'avoir reçû. Et lorſqu'il inſtruit
ſes peuples dans le quatriéme de ſes
Sermons , de la maniere dont ils de-
voient paſſer la penitence du Carême,
il tient le même langage que les autres
ſaints Peres ; car les deux avis les plus
importans qu'il leur donne, regardent
la priere & la pureté.   A l'égard de la
priere il leur dit : Je vous conſeille,
mes freres , & je vous prie de tout
mon cœur de vous lever plus matin que
de coûtume, afin d'aſſiſter aux Vigiles,
( c'eſt-à-dire aux Matines, ) & de vous
rendre exactement aux Heures de Tier-
ce, de Sexte & de None27.
Et pour ce
qui eſt de la pureté , il leur recom-
mande de garder la continence avec
leurs propres femmes pendant tout le
Carême , & juſqu'à la fin de la ſolem-
nité de Pâque.
Il témoigne dans un autre de ſes Ho-
Hom. 2.
melies , que les Fideles de ſon Dioceſe
étoient ſi exacts à paſſer dans la conti-
nence tout le Carême , & les autres
jours de jeûne , qu'il croyoit inutile de
les

193
des Gens Mariez Ch. XVII.
les y exhorter ; & que s'il leur en par-
loit , c'étoit ſeulement par occaſion , &
pour les fortifier de plus en plus dans
cette ſainte coutume.
Le celebre Evêque de Noyon ſaint
Nom. 16.
Eloy
portoit même ſi loin cette obliga-
tion de la continence durant le Carême,
qu'il diſoit après un ancien Auteur Ec-
cleſiaſtique
, qu'il y avoit preſque au-
tant de mal à uſer du Mariage , qu'à
manger de la chair pendant ce ſaint tems.
J'avoue que cette expreſſion eſt un
peu forte, & je ne voudrois pas m'en ſer-
vir dans la conduite ordinaire des Fide-
les; & pour juger de la grandeur de leurs
fautes , & de la qualité des penitences
qu'il eſt à propos de leur impoſer. Mais
elle prouve au moins qu'on étoit tres-
perſuadé dans les premiers ſiecles de
l'Egliſe , de la maxime que j'explique
dans ce chapitre , & qu'on ne croyoit
pas que refuſer de s'y ſoumettre , fût
une faute peu conſiderable.
Ratherius Evêque de Veronne , qui
Spicilog.
tom. 2.
vivoit au dixiéme ſiecle, publia une Let-
tre Synodique , dans laquelle il mar-
quoit que les gens mariez devoient s'ab-
ſtenir de l'uſage du Mariage pendant
l'Avent , le Carême , les Octaves de
Pâques & de la Pentecôte, dans les tems
des prieres publiques,les veilles de tou-
tes les Fêtes tous les Vendredis . & les
Dimanches.
I

194
La Vie
Theodulphe Evêque d'Orleans, dont
on a déja parlé dans le Chapitre préce-
dent , exhorte auſſi ſes peuples à paſſer
le Carême dans la continence. Il déclare
Cap. 41.
même dans ſes Instructions Paſtorales ,
que le jeûne perd beaucoup de ſa force ,
lorſqu'on ne s'abſtient point de l'œuvre
du Mariage , & qu'on n'a pas ſoin de
l'accompagner de prieres , de veilles &
d'aumônes.
Herard Archevêque de Tours, ordon-
Inst. Syn.
Cap. 62.
ne auſſi aux Fideles de ſon Diocese , de
paſſer dans la pureté & dans l'éloigne-
ment du commerce conjugal , les jours
de jeûne & de penitence.
Le Pape Nicolas I. inſtruiſant les Bul-
Ad con-
ſult a Bul-
garor. c.
9.
gares , leur repreſente que ſi les gens
mariez qui ont de la pieté, s'abſtiennent
en pluſieurs rencontres de l'uſage du
Mariage, afin de vaquer plus particulie-
rement à la priere ; ils ſont à plus forte
raiſon obligez de garder la continence
pendant le Carême , qui eſt un tems au-
quel on ſe retranche pluſieurs choſes qui
ſeroient permiſes en un autre , & que
l'on doit regarder comme une dixme28 de
mortification que l'on offre à Dieu pour
tout le reſte de l'année.  Il paſſe même
Cap. 48
plus avant dans la ſuite : car il leur dé-
clare qu'il ne faut point celebrer de Ma-
riages , ni faire de feſtins pendant ces
ſaints jours.

195
des Gens Mariez Ch. XVII.
L'on peut juger que ces peuples étoient
tres-exacts à obſerver cette ſainte diſci-
pline , puiſque s'étant trouvé parmi eux
Cap. 54.
un homme qui avoit eu la témerité d'ha-
biter avec ſa femme pendant le cours de
la ſainte Quarantaine29, ils s'éleverent con-
tre lui , & conſulterent ce grand Pape
touchant la penitence qu'il falloit lui
impoſer.  Mais ce ſaint Pontife ne vou-
lant rien déterminer là deſſus , les ren-
voya à leur Evêque , & à leurs Paſteurs
ordinaires, qui connoiſſant la condition,
l'âge & le temperament de cet homme
& de ſa femme , étoient plus en état de
juger de la faute qu'ils avoient commi-
se, & de la penitence qu'ils méritoient.
Il y a une infinité de Decrets qui dé-
fendent de celebrer des Mariages pen-
dant l'Avent & le Carême. On peut dire
que ce ſont autant de témoignages qui
juſtifient que ç'a toujours été l'inten-
tion de l'Egliſe de porter les Fideles à
garder la continence aux jours de jeûne :
car comme dit le Concile de Tolede de
l'an 1473. cette sainte Epouse de JESUS-
CHRIST , en faiſant ces ſortes de défen-
ſes , n'a pas tant eu deſſein d'interdire la
ſolemnité des Nôces & du Mariage , que
d'empêcher, ou plutôt de ſuſpendre pen-
dant quelque tems le commerce conju-
gal.
Eſtienne Poncher Evêque de Paris
I ij

196
La Vie
s'eſt expliqué fort nettement ſur ce ſu-
De Sa-
cram ento
Matr im
jet dans les Statuts Synodaux qu'il pu-
blia au commencement du ſeiziéme ſie-
cle : car il y exhorte tous les maris de
n'approcher point de leurs femmes aux
jours de jeûne , de Fêtes , & de proceſ-
ſions ſolemnelles , afin dit-il, que leurs
prieres ſoient plus agreables à Dieu , &
plus facilement exaucées de ſa ſouve-
raine Majeſté.
Le cinquiéme Concile de Milan main-
tint auſſi cette diſcipline : car ſaint
Charles
y déclara qu'il faut ſanctifier le
Carême par pluſieurs pratiques de pieté,
telles que ſont l'abſtinence de la viande ,
les jeûnes , l'aumône , la priere & la con-
tinence.
Il ne faut pas obmettre l'exemple du
Roy ſaint Louis , dont on a déja parlé
au chapitre précedent à l'occaſion de
la ſainte Euchariſtie.  Ses Hiſtoriens
Du Cheſ-
ne Tom.
S. p. 448.
nous apprennent qu'il gardoit la conti-
nence avec la Reine Marguerite ſa fem-
me pendant tout l'Avent & le Carême ,
& même qu'il choiſiſſoit quelques jours
chaque ſemaine pour les conſacrer à la
pureté.
L'on peut ajouter à l'exemple de ce
Concil.
Remens.
an.1092.
grand Roy , celui de Robert Comte de
Flandres30, qui ſe retiroit tous les ans
pendant le Carême dans le Monaſtere
de ſaint Bertin
, afin d'y paſſer ce ſaint

197
des Gens Mariez Ch. XVII.
tems dans la priere & dans la conti-
nence.
L'on ſçait enfin qu'autrefois on obli-
geoit ceux qu'on ſoumettoit a la peni-
tence publique, de ſe ſéparer de leurs
femmes, & de vivre dans la continence
juſqu'à ce qu'ils euſſent ſatisfait à la Juſ-
tice divine pour leurs pechez. C'eſt en-
core là une nouvelle preuve de ce que je
viens d'établir par tant d'autoritez dif-
ferentes : car si on ordonnoit aux pre-
miers Fideles de s'abſtenir du commer-
ce conjugal pendant le cours de leur
penitence, pourquoi n'exigeroit-on pas
maintenant la même choſe de ceux qui
ont besoin de ſe laver dans la Piſcine sa-
crée de l'Egliſe pour ſe purifier de leurs
fautes? Et quelle raiſon auroit-on de les
diſpenſer de cette ſainte pratique pen-
dant le Carême,qui eſt le tems de la peni-
tence generale de tous les Fideles? La
cendre dont on couvre leurs têtes ; l'ab-
ſtinence des viandes qu'on leur preſcrit;
la parole de Dieu qu'on leur annonce
tres-ſouvent ; les prieres extraordinai-
res qu'on leur fait reciter ; les lon-
gues veilles qu'on leur conſeille ; les
aumônes abondantes qu'on les oblige
de faire ; la fuite des plaiſirs & des di-
vertiſſemens mondains qu'on leur re-
commande ; la vigilance chrétienne
dans laquelle on s'efforce de les mainte-
I iij

198
La Vie
nir ; la Fête de la Reſurrection triom-
phante de JESUS-CHRIST, qu'ils
doivent bien-tôt celebrer ; le Corps &
le Sang31 de ce divin Sauveur dont ils ſe-
ront nourris & raſſaſiez à cette grande
ſolemnité : tout cela , dis-je, ne deman-
de-t-il pas qu'ils gardent la continence ,
afin d'aſſiſter , comme diſent les ſaints
Peres
, avec un cœur pur & un corps
chaſte à nos ſaints & redoutables My-
ſteres.
Avant que de finir ce chapitre , il
faut avertir les lecteurs de deux choſes
importantes. La premiere, que les ſaints
Peres de l'Egliſe
conſeillent encore en
quelques autres occaſions aux gens ma-
riez de garder la continence.  On ne les
marquera pas en particulier dans cet Ou-
vrage , parceque la délicateſſe de notre
langue ne permet pas d'entrer dans un
ſi grand détail, lorſque l'on traite de ces
ſortes de queſtions.  Mais si l'on garde
le ſilence ſur ce ſujet , on croit au moins
être obligé de conſeiller aux Fideles de
s'inſtruire de leurs devoirs par rapport à
cette matiere ; ſoit en liſant les ſaints
Peres de l'Egliſe
, & les Auteurs qui en
ont traité ; ſoit en conſultant leur Di-
recteurs , & de pieux & ſçavans Eccle-
ſiaſtiques, qui leur marqueront ce qu'ils
doivent éviter pour vivre ſaintement
dans le Mariage.

199
des Gens Mariez Ch. XVII.
La ſeconde choſe dont il eſt neceſſai-
re d'avertir ceux qui liront ce Traité ,
c'eſt que tout ce qu'on a repreſenté dans
ce chapitre & dans le précedent , pour
porter les Fideles à paſſer dans la conti-
nence les jours de jeûne & de commu-
nion , n'a lieu que lorſque les deux par-
ties qui y ont intereſt, y consentent.  Le
reſpect qui eſt dû au Sacrement auguſte
de nos Autels, & l'eſprit de penitence, de-
mandent que les gens mariez gardent la
continence lorſqu'ils ont deſſein de com-
munier , ou qu'ils jeûnent ; mais il faut
que le mari & la femme s'y ſoumettent
chacun de leur côté , & qu'ils veuillent
bien embraſſer cette ſainte pratique ;
ſans cela il n'y a point d'obligation , &
tout ce qu'on vient d'expliquer ne doit
point être obſervé.
Quand je parle ainſi , je ne fais que
ſuivre S. Paul & l'eſprit de l'Egliſe : car
ce grand Apôtre ordonnant aux maris
& aux femmes de ne pas uſer du Maria-
ge aux jours de jeûne & de priere , leur
marque en même tems que cela ſe doit
faire d'un commun conſentement.  Ne
vous refuſez point l'un à l'autre
, leur-dit-
1. Cor. 7.
5.
il, le devoir, ſi ce n'eſt d'un commun con-
ſentement, afin de vous exercer au jeûne
& à l'Oraiſon.
Saint Gregoire de Nazianze dit con-
Orat. 40. formément à cette déciſion de S. Paul,
I iiij

200
La Vie
qu'encore qu'il ſoit tres-à-propos que
les gens mariez vivent dans la continen-
ce , lorſqu'ils veulent prier & commu-
nier , ils ne doivent pas neanmoins l'en-
treprendre , à moins qu'ils n'en ſoient
d'accord de part & d'autre. C'eſt pour-
quoi il leur dit que cette abſtinence
qu'il leur propoſe , n'eſt pas une loy in-
diſpenſable , mais un conſeil qu'il leur
donne pour leur utilité commune.
Le Pape Nicolas I. ordonnant aux Bul-
gares de garder la continence aux jours
de priere & pendant le Carême , leur
déclare qu'il ne faut pourtant pas que
les maris & les femmes s'y engagent
témerairement , & ſans un conſente-
ment mutuel.
Les Hiſtoriens de S. Louis qui parlent
Du Ches-
ne Tom.
S.p. 448.
de ſa continence pendant le Carême ,
obſervent que la Reine ſon épouſe y
conſentoit, & s'y portoit elle-même par
un ſentiment de pieté & de penitence.
Ainſi quoique cette pratique ſoit tres-
ſainte , & qu'il faille la conſeiller autant
qu'on le peut aux Fideles qui vivent dans
le Mariage : on doit neanmoins les aver-
tir qu'ils ont besoin du conſentement les
uns des autres pour l'obſerver ; que ſi
l'un des deux y réſiſte , l'autre en eſt diſ-
penſé , & peut legitiment lui rendre le
devoir ; & que cela ne doit pas l'empê-
cher d'approcher des choſes ſaintes , &

201
des Gens Mariez Ch. XVII.
ne le prive point du mérite de ſon jeûne,
parceque Dieu qui voit ſa diſpoſition
& les deſirs de ſon cœur , ſe contente
alors de ſa bonne volonté , & le regarde
comme s'il vivoit effectivement dans la
continence. L'on peut, dit S. Bonaventu-
Lib 4.
Dist. 32.
Art. 3.q.
2.
re
, ſans commettre aucun peché , ren-
dre le devoir en ces jours , c'eſt-à-dire ,
pendant les jeûnes & les Fêtes , pourvû
que celui qui le rend en ait de la peine
& de la douleur. Ce ſaint Docteur blâme
à la verité ceux qui en ces rencontres ,
veulent ſe ſervir de leur droit, & refuſent
de garder la continence ; mais il excuſe ,
& il juſtifie ceux qui n'uſent du Mariage
que par obéiſſance : il ſoutient qu'ils ſont
exempts de toute ſorte de faute.
Voilà ce que j'ai cru devoir repreſen-
ter aux gens mariez , pour leur faire
comprendre que le reſpect qu'ils doi-
vent à la ſainte Euchariſtie , & que les
regles de la penitence les engagent à vi-
vre dans la pureté, & à garder la conti-
nence aux jours de jeûne & de commu-
nion. Je n'ai fait que leur expoſer les ve-
ritez de l'Ecriture , & les ſentimens des
ſaints Peres : c'eſt pourquoi j'eſpere
qu'ils recevront avec docilité tout ce qui[sic]
je leur ai dit , & qu'ils auront ſoin d'en
profiter.
I v.

202
La Vie
Bandeau.

CHAPITRE XVIII.

Qu'il eſt naturel aux gens mariez de deſi-
rer d'avoir des enfans ; qu'il faut qu'ils
reconnoiſſent qu'ils ſont un don du Ciel.
Pour quelle fin ils doivent deſirer d'en
avoir. Que les maris & les femmes qui
ſouhaitent qu'il n'en naiſſe point de leur
Mariage, ſont coupables aux yeux de
Dieu. Que ceux qui éteignent le fruit
qui eſt conçu, & qui procurent des avor-
temens, ſont des homocides.

On demeurera facilement d'accord
qu'il eſt naturel à ceux qui s'en-
gagent dans la vie conjugale, de deſirer
d'avoir de la poſterité , ſi l'on conſidere
avec attention pour quelle fin les Fide-
les doivent principalement contracter
Cap. 3.
Mariage.  Or on a prouvé ci - deſſus ,
que ce doit être dans la vûe de mettre des
enfans au monde , qui beniſſent & qui
ſervent le Seigneur ; & par conſequent
ils peuvent , ou plutôt ils doivent en de-
Auguſt.
lib. I. de
Civit.
Dei cap.
21. Lib.
ſirer.  C'eſt pourquoi bien loin que les
ſaints Peres blâment les gens mariez qui
en ſouhaitent , ils les en louent au con-
traire , & même ils les y exhortent , lorſ-
qu'ils leur diſent que la naiſſance des en-
fans fait la gloire principale du Mariage ;
qu'on ne ſe marie que pour avoir des en-

203
des Gens Mariez Ch. XVIII.
?. q. Ev.
ueſt.49.
Lib 4
contra
Julian.
cap. I.
Trait. 13.
in Joan.
fans qui entretiennent la ſuccession
du genre humain ; que ceux qui ont de
la pieté n'entrent dans cet état que pour
donner des enfans à l'Egliſe ; & que ce
fut le ſeul deſir d'avoir de la poſterité ,
qui porta Abraham à épouſer la ſervan-
te de ſa femme Sara.
Non ſeulement les Fideles qui ſe ma-
rient doivent deſirer des enfans , mais
il faut qu'ils reconnoiſſent qu'ils ſont un
don de Dieu. Eve notre mere commune,
Homil.
18 in Ge-
neſ.
remarque S. Jean Chryſoſtome , ayant
enfanté un fils aîné , n'attribua point ſa
naiſſance aux forces de la nature, ni à ſa
propre fecondité , mais à Dieu ſeul.  Je
poſſede
, dit-elle, un homme par la grace
de Dieu.
  Les perſonnes mariées qui ſe
Geneſ. 4.
voyent des enfans , doivent , pour l'imi-
ter , proteſter qu'ils les tiennent de la
ſeule bonté de Dieu , & dire avec le
Pſ. 126.
4.
Prophete : Ecce hareditas Domini , filii
merces fructus ventris
; les enfans ſont un
heritage qui vient du Seigneur , & le fruit
des entrailles eſt une récompenſe.
S'ils ſont bien perſuadez que les en-
fans ſont un don de Dieu , ils doivent
lorſqu'ils n'en ont point , lui en deman-
der par des prieres humbles & ſervantes,
à l'exemple d'Anne & de Zacharie : car
il eſt marqué dans les Livres des Rois32,
11. Reg. 11.
20. 14. ?
que cette ſainte femme étant ſtérile ,
avoit le cœur plein d'amertume , qu'elle
I vj

204
La Vie
Je
pria le Seigneur avec une grand effuſion
de larmes, & qu'elle fit un vœu, en diſant :
Seigneur des armées , ſi vous daignez re-
garder l'affliction de vôtre ſervante ; ſi
vous vous ſouvenez de moi ; ſi vous n'ou-
bliez point votre ſervante , & ſi vous don-
nez à vôtre eſclave un enfant mâle, je vous
le donnerai pour tous les jours de sa vie.

Luc. 1.
L'Evangile porte auſſi que Zacharie
n'ayant point d'enfans , faiſoit des prie-
res continuelles pour en obtenir du Ciel.
Et l'Ecriture nous aprend qu'ils furent
l'un & l'autre exaucez ; qu'Anne devint
mere de Samuel , & Zacharie pere de
S. Jean Baptiſte ; & que l'Ange dit à
celui- ci , en lui annonçant qu'il auroit
un fils, Vôtre priere a été exaucée ; par-
ce qu'en effet la naiſſance de ce ſaint
Précurſeur étoit la récompenſe de ſa
pieté,& le fruit de ſes prieres. C'eſt ce qui
doit perſuader à tous les Fideles que pour
avoir des enfans , il faut s'adreſſer à ce-
lui qui eſt l'Auteur de la nature , & qui
peut la rendre feconde , quand il le ju-
ge à propos pour ſa gloire & pour l'exe-
cution de ſes divines volontez.
Après qu'on en a obtenu de ſa bonté
ineffable , on doit avoir ſoin de lui en
rendre graces , & de lui en faire hom-
mage.  Car lui demander des enfans
avec empreſſement , & negliger enſuite
de l'en remercier , c'eſt une tres-grande

205
des Gens Mariez Ch. XVIII.
ingratitude , & une marque infaillible
qu'on ſe recherchoit ſoi-même, & qu'on
ne penſoit qu'à contenter ſon amour
propre.
Il ne ſuffit pas d'avoir montré qu'il eſt
naturel aux gens mariez de deſirer d'a-
voir des enfans , & qu'ils doivent re-
connoître qu'ils ſont un preſent du Ciel.
Il faut outre cela leur expliquer quelle
eſt la fin pour laquelle ils peuvent legi-
timement en deſirer.
Ce n'eſt point certainement par ambi-
tion , pour faire parler d'eux, pour per-
petuer la memoire de leur nom, & pour
Tert. lib.
de exhort.
caſtit. c.
12. Hier.
l. 1. adv.
Jovi-
nian.
avoir des heritiers de leurs biens , qu'ils
doivent en ſouhaiter , & en demander
à Dieu : car toutes ces fins n'étant que
temporelles , ne méritent pas que des
Chrétiens ſe les propoſent , ni qu'ils s'y
arrêtent. Et auſſi Tertullien & S. Jerôme
blâment ceux qui ne ſe déterminent à se
marier que par des motifs de cette nature.
Mais ils doivent en deſirer , afin que
Dieu en ſoit beni & honoré , & qu'il
Tob. 8.
s'en serve dans la ſuite pour procurer le
bien de ſon Egliſe , & même de la pa-
trie.  Tobie étoit dans cette diſpoſition,
lorſqu'il diſoit à Dieu : Vous ſçavez ,
Seigneur, que je prens ma ſœur pour être
ma femme, non pour ſatiſfaire ma paſſion,
mais parceque je deſire de laiſſer des en-
fans par leſquels vôtre nom ſoit beni dans

206
La Vie
tous les ſiecles.  L'on a vû ci-deſſus, que
la ſainte femme Anne n'avoit point d'au-
tre penſée ni d'autre intention, lorſqu'el-
le demandoit un fils à Dieu , puiſqu'elle
fit en même tems vœu de le lui conſa-
crer pour toujours. En effet , elle le pre-
ſenta au Prêtre Heli , afin qu'il ſervît
ſous lui dans le Tabernacle ; cela attira
1. Reg. 2.
21.
ſur elle de nouvelles benedictions , car
le Ciel lui donna encore trois fils &
deux filles.
C'eſt pour faire entrer les Fideles dans
Lib.1. de
nupt. &
concup. c.
17.
de pareils ſentimens , que S. Auguſtin
leur dit , qu'ils ne doivent deſirer de
donner naiſſance à des enfans , qu'afin
de les faire renaître dans les eaux ſalu-
Lib. de
sancta
virg. c.7.
taires du Baptême , que les femmes ver-
tueuſes ne prennent des maris , & n'u-
ſent du Mariage que pour avoir des en-
fans ; & qu'elles n'en ſouhaitent que
pour les offrir à Dieu, & pour les conſa-
crer à J. C.
Voilà la veritable fin pour laquelle on
peut deſirer d'avoir des enfans. Toutes
les autres ne conviennent pas à des Chré-
tiens qui ayant renoncé au monde , &
s'y regardant comme des étrangers, doi-
vent n'avoir plus de complaiſance pour
lui , & ne point rechercher par conſe-
quent à y perpetuer leur nom , & à y
laiſſer des heritiers de leurs richeſſes &
de leurs dignitez.

207
des Gens Mariez Ch. XVIII.
Après avoir expliqué la fin que doi-
vent ſe propoſer les gens mariez qui de-
sirent des enfans, il faut maintenant par-
ler de ceux qui craignent d'en avoir , &
qui voudroient pouvoir user du Maria-
ge , ſans devenir peres & meres. Il eſt
certain qu'ils pechent griévement , &
qu'ils ſont tres-criminels devant Dieu :
Lib. 4.
Conf.c.16
Lib.2. de
mor. Ma-
nic. c. 18.
Lib. 2. de
adult.
conjug. c.
12. Gen.
38. Lib.
15. contra
Faust.
Man. c.
7. Lib. 1.
de nupt.
& concup.
c. 15.
il eſt facile de le prouver.
Saint Auguſtin dit que ce n'eſt que
dans le concubinage & dans les con-
jonctions illicites que l'on craint d'a-
voir des enfans. Il enſeigne que les ma-
ris qui approchant de leurs femmes ,
voudroient n'en avoir point de poſte-
rité , les traitent , pour ainſi dire, com-
me des proſtituées. Il déclare que ceux-
là uſent du Mariage d'une maniere illi-
cite & honteuſe , qui évitent la con-
ception des enfans. Il les accuſe d'imi-
ter le peché d'Ona fils de Juda , que
Dieu frappa de mort. Il prétend qu'ils
deviennent en quelque maniere des
adulteres; & qu'à juger des choſes ſelon
les regles & les intentions de la nature,
ils ne doivent plus être conſiderez com-
me des maris & des femmes.
Saint Jerôme dit la même choſe dans
ſon Epître 22.La plûpart des autres Peres
ſoutiennent auſſi que ceux-là pechent ,
qui vivant dans le commerce conjugal ,
deſirent qu'il n'en naiſſe point d'en-

208
La Vie
fans. Mais il n'eſt pas neceſſaire de rap-
porter en particulier leurs autoritez: car
il eſt évident que ces ſortes de perſon-
nes ſont tres-coupables aux yeux de
Dieu , puiſqu'elles s'oppoſent à la fin
pour laquelle il a inſtitué le Mariage ,
& qu'elles reſiſtent aux deſirs & aux in-
clinations de la nature, qui veut ſe ſervir
des gens mariez pour faire ſubſiſter le
genre humain.
A l'égard de ceux qui procurent des
avortemens , qui attentent contre la vie
des enfans qui ſont encore dans le ſein
de leurs meres, & qui non ſeulement les
empêchent de voir le jour , mais les pri-
Lib. 2.
pedag. c.
20.
vent des biens éternels, S. Clement Ale-
xandrin
dit qu'ils ſe dépoüillent de tous
les ſentimens de l'humanité; S. Auguſtin
Lib. 1. de.
nupt. &
concup. c.
15.
les accuſe d'homocide ; les autres SS.Pe-
res
enſeignent qu'ils commettent un cri-
me déteſtable , & qu'ils ſont en horreur
à tous les hommes. C'eſt pourquoi leur
condamnation eſt certaine, & on ne s'ar-
rêtera pas davantage à les combattre.
Cul de lampe.

209
des Gens Mariez Ch. XIX.
Bandeau.

CHAPITRE XIX.

Du ſoin que les peres & les meres doivent
avoir de faire baptiſer leurs enfans nou-
veaux nez ; qu'ils ſont obligez de choiſir
d'honnêtes gens pour être leurs parrains
& marraines ; qu'il faut qu'ils leur don-
nent des noms par des ſentimens de pie-
té & de religion, & non point par ca-
price, ni pour des raiſons humaines.

La Foy nous apprend que nous ſom-
mes tous morts en Adam ; que nous
participons à ſon peché ; & que nous
ſommes tombez avec lui dans la diſ-
grace & dans l'indignation de Dieu.
C'eſt ce que S. Paul veut nous marquer,
Epheſ. 23
3.  1. Cor.
15. 22.
Gal. 3.
27.  2.
Cor. 5. 17.
1. Cor. 6.
11.
lorſqu'il dit , que nous ſommes tous par
nôtre nature enfans de colere
. Mais la mê-
me foy nous enſeigne que comme nous
ſommes tous morts en Adam , nous re-
naiſſons auſſi tous en JESUS-CHRIST;
qu'étant baptiſez en JESUS-CHRIST,
nous ſommes revêtus de JESUS-CHRIST;
que nous devenons en lui une nouvelle
creature , & que nous ſommes lavez &
ſanctifiez dans les eaux du Baptême.
C'eſt ce qui doit porter les peres &
les meres à preſenter le plutôt qu'ils
peuvent leurs enfans à cette Piſcine ſa-

210
La Vie
crée , afin qu'ils y ſoient gueris & re-
generez.  Et en effet, s'ils ont une pie-
té ſolide , ils doivent gémir & reſſentir
une vive douleur de ce que leurs enfans
ſont dans la captivité du démon , & de
ce que ce malin eſprit habite dans leurs
corps , comme dans ſon propre herita-
ge ; ils ſont obligez de faire tout ce qu'ils
peuvent pour l'en chaſſer au plutôt , &
pour lui enlever ces miſerables creatures
qu'il tyraniſe ; & par conſequent ils ne
doivent point differer leur Baptême ,
puiſque c'eſt le ſeul moyen de les affran-
chir de cette horrible ſervitude.
Cependant combien y a-t-il de per-
ſonnes qui negligent de leur faire ap-
pliquer ce remede ſalutaire , qui diffe-
rent leur Baptême pendant un tems con-
ſiderable , ſous prétexte d'attendre des
gens de qualité qu'ils veulent leur don-
ner pour parrains & pour marraines ,
& qui ſont quelquefois cauſe par ce re-
tardement , qu'ils periſſent dans la diſ-
grace de Dieu , & qu'ils ſont privez de
ſa vision beatifique.
Ces peres & ces meres ſont-ils mala-
des ? ils ont auſſi-tôt recours au Mede-
cin ; ils le conſultent ſur tous leurs
maux ; ils ne manquent pas de prendre
tous les remedes qu'il leur preſcrit , par-
cequ'ils ſont dans l'impatience de gue-
rir , & de recouvrer leur ſanté.  Le feu

211
des Gens Mariez Ch. XIX.
prend-il à leurs maiſons ? ils travaillent
auſſi-tôt à l'éteindre, & ils mettent tout
en œuvre pour y réuſſir.  Voyent-ils ve-
nir les ennemis ? ils prennent aussi-tôt la
fuite , & ils cherchent un lieu de retraite,
pour ſe mettre à couvert de leur fureur.
Ont-ils occaſion de faire fortune , & de
monter aux charges & aux dignitez ?
ils s'en réjouiſſent, ils s'y apliquent, & ils
n'y perdent pas un ſeul moment.
Pourquoi n'ont-ils pas la même acti-
vité & le même zele , lorſqu'il s'agit
de ſecourir leurs enfans , dont l'ame eſt
malade , ou plutôt morte aux yeux de
Dieu ? Pourquoi negligent-ils d'étein-
dre le feu du peché qui eſt allumé dans
leur cœur , & qui les dévore ? Pourquoi
ne pensent-ils pas à repouſſer & à chaſſer
l'ennemi infernal qui les domine , &
qui les tient captifs ? Pourquoi diffe-
rent - ils de les preſenter au Baptême ,
où ils ſeront lavez & purifiez de toutes
leurs iniquitez , reçus au nombre des
enfans de Dieu , ornez des vertus chré-
tiennes ? Il eſt certain que cette diffe-
rente conduite qu'ils tiennent , lorſqu'il
s'agit de leurs interêts , ou de la gene-
ration de leurs enfans , fait connoître
qu'ils n'ont33 preſque point de ſen-
timent pour les choses de Dieu , qu'ils
ſont tout charnels , & qu'ils n'agiſſent
que par amour propre.  Car enfin, s'ils

212
La Vie
ſuivoient les lumieres de la foy , & s'ils
avoient de la pieté & de la religion , ne
penſeroient - ils pas autant au ſalut de
ceux à qui ils ont donné la naiſſance cor-
porelle , qu'à leur propre ſanté , & à
l'avancement de leurs affaires temporel-
les.  La juſtice demanderoit ſans doute
qu'ils en fuſſent beaucoup plus occupez:
mais enfin pour s'accommoder à leur
foibleſſe , on ſe contente de les avertir
de n'avoir pas moins de soin de la sanc-
tification de leurs enfans , qu'ils n'en
ont de ce qui les concerne en leur par-
ticulier.
Les loix de l'Egliſe & la coutume ,
veulent que l'on donne des Parrains &
des Marraines aux enfans qui ſont bap-
tiſez.  Cela s'obſerve par tout fort re-
gulierement , les Paſteurs y tenant la
main , & les peuples y étant d'ailleurs
aſſez portez d'eux - mêmes. C'eſt pour-
quoi il n'eſt pas beſoin de prouver qu'on
doit maintenir cette ſainte pratique : il
faut ſeulement marquer aux peres & aux
meres, quelles perſonnes ils ſont obligez
de choiſir pour cette ſainte fonction.
L'eſprit du monde les porte ordinaire-
ment à jetter les yeux ſur ceux qui ſont
riches , qui ont du credit , & qui poſ-
ſedent de grands emplois ; ou bien ils
prennent de leurs parens & de leurs amis,
ſans ſe mettre en peine d'examiner

213
des Gens Mariez Ch. XIX.
quelles ſont leurs mœurs , ni s'ils ont
de la pieté & de la religion. C'eſt un abus
qui eſt tres-commun , & auquel nean-
moins peu de gens font reflexion. Ainſi
je croi qu'il eſt important d'en avertir
les Fideles afin qu'ils ne s'y laiſſent point
aller , & qu'ils ne ſuivent point en cela
le torrent du ſiecle.
Tertullien dit que les enfans n'étant
Lib. de.
Bapt. c.
18.
pas encore capables de renoncer à Sa-
tan
, ni de faire des vœux & des promeſ-
ſes , on leur donne des parrains & des
marraines qui y renoncent pour eux , &
qui promettent à Dieu & à l'Egliſe en
leur nom, qu'ils vivront conformément
aux regles & aux maximes de l'Évangile.
Saint Auguſtin appelle les parrains &
Ser. 115
Epist. 90.
le marraines , tantôt les tuteurs des en-
fans qu'ils preſentent à l'Egliſe , & tan-
tôt leurs maîtres & leurs docteurs.
Saint Ceſaire Archevêque d'Arles ,
Serm. 66.
& 68.
enſeigne qu'ils répondent pour eux aux
demandes que l'Egliſe leur fait, & qu'ils
ſont leur caution auprès de cette ſainte
Epouſe de JESUS-CHRIST.
D'autres ſaints Docteurs les regardent
comme leurs ſeconds peres , & diſent
qu'ils ſont chargez de leur inſtruction &
de leur éducation.
C'en eſt aſſez pour faire comprendre
aux Fideles qu'ils ne doivent point don-
ner pour parrains & pour marraines à

214
La Vie
leurs enfans , des perſonnes dont la vie
ne ſoit pas bien reglée, qui ne ſe condui-
ſent pas ſelon l'eſprit de l'Evangile ,
qui ſoient idolâtres du monde , & qui
s'abandonnent à des déreglemens conſi-
derables.
En effet , quelle apparence de choiſir
à des enfans pour tuteurs dans la vie
ſpirituelle, des perſonnes qui ſont elles-
mêmes foibles , qui ne ſçavent pas ſe
conduire , qui croupiſſent dans le vice,
& qui s'abandonnent à la débauche ?
Quelle apparence de donner à l'Egliſe
pour caution de la foy des enfans , des
perſonnes qui y renoncent elles-mêmes
par leurs œuvres , & par toute leur con-
duite exterieure , comme dit le grand
Epit.1.16.
Apôtre
? Quelle apparence de preſen-
ter à nôtre Mere la ſainte Egliſe , pour
faire des vœux & des promeſſes au nom
de ces petits enfans , des perſonnes qui
ont elles - mêmes cent fois violé les
vœux & les promeſſes de leur Baptême,
& qui ne ſe mettent pas encore en peine
de les executer ? Quelle apparence lorſ-
qu'il s'agit de renoncer pour des enfans
aux pompes du monde , de ſe ſervir de
perſonnes qui les aiment , qui les ſui-
vent , & qui en ſont idolâtres ? Quelle
apparence de prépoſer , pour inſtruire
les enfans des principes de la foy & des
veritez de l'Évangile, des perſonnes qui

215
des Gens Mariez Ch. XIX.
les ignorent, & qui n'en ont pas le cœur
penetré? Quelle apparence enfin que des
parens Chrétiens choiſiſſent des perſon-
nes mondaines & vicieuſes pour tenir
leur place auprés de leurs enfans , lors-
qu'ils viendront à mourir , & qu'ils
veuillent bien ſe repoſer ſur eux de leur
éducation ? Il eſt certain que cela re-
pugne à la droite raiſon ; & l'on peut
dire que tous ceux qui feront une atten-
tion ſerieuſe aux motifs qui ont déter-
miné l'Egliſe à ordonner qu'on donne
aux enfans des Parrains & des Marrai-
nes, éviteront avec ſoin de leur en choi-
ſir qui ſoient ſujets à des vices groſſiers,
& dont l'exemple puiſſe leur être con-
tagieux.
Si l'on me demande quelles perſonnes
il faut donc prendre pour cette fonction,
je répondrai qu'on ne doit point ſe con-
duire en ces rencontres par des vûes hu-
maines , ni conſulter la chair & le ſang ;
mais qu'il faut jetter les yeux ſur ceux
qui peuvent ſecourir les enfans dans la
vie chrétienne , les inſtruire de leurs
devoirs & de leurs obligations , les édi-
fier par leur bonne vie & les faire ren-
trer en eux - mêmes , s'ils viennent ja-
mais à ſe détourner des voyes du ſalut.
C'est ſaint Charles qui me donne cette
idée : car il dit dans le premier Concile
de Milan
, que les Fideles doivent don-

216
La Vie
ner à leurs enfans des Parrains qui ſoient
plus en état de procurer leur bien ſpiri-
tuel , que de les ſecourir dans leur pau-
vreté temporelle : il ordonne aux Curez
d'en inſtruire leurs Paroiſſiens , & de les
avertir de choiſir pour ce ſaint Miniſte-
re , des perſonnes dont la foy & les
mœurs ſont ſi éprouvées, qu'on puiſſe ſe
promettre qu'ils en rempliront toutes
les obligations.
Non ſeulement les parens ſont obligez
d'avoir égard à la vertu & aux bonnes
mœurs, lorſqu'ils donnent des Parrains
& des Marraines à leurs enfans ; mais
il faut que ceux-ci ne leur impoſent des
noms que par des ſentimens de pieté &
de religion ; qu'ils ayent deſſein, en leur
choiſiſſant un Saint pour patron , de les
engager à imiter ſes vertus , & à le ſui-
vre dans les voyes du ſalut ; & qu'ils
s'efforcent d'obtenir de ce Saint, par
leurs prieres, qu'il ſe rende leur protec-
teur, & qu'il demande à Dieu pour eux
les graces qui leur ſont neceſſaires pour
ſe ſanctifier.  Ce ſont là les veritables
motifs qui doivent déterminer les Fi-
deles à donner des noms aux enfans
qu'ils tiennent sur les fonts du Baptême.
Tous les autres qu'ils peuvent ſe propo-
ſer , n'étant ordinairement fondez que
ſur des raiſons de famille , & ſur des in-
terêts temporels, ne ſont pas legitimes,
&

217
des Gens Mariez Ch. XIX.
& ne doivent point être conſiderez dans
le Chriſtianiſme.
Cette reflexion eſt fondée ſur la doc-
trine du grand ſaint Chryſoſtome , qui
remarque que les Juſtes de l'ancien Te-
ſtament
34 donnoient des noms à leurs en-
fans, non par caprice, ni par oſtenta-
tion, mais pour manifeſter les graces
qu'ils avoient reçûes du Ciel, & pour
porter les autres à admirer les merveilles
que Dieu avoit operées en leur faveur.
Ils leur imposoient , dit ce Pere , des
Homil.
21. in
Geneſ.
noms qui les avertiſſoient de ſuivre la
vertu; ils ne ſe conduiſoient pas comme
l'on fait preſentement dans le monde :
car pour l'ordinaire l'on donne des
noms aux enfans par un pur hazard, &
ſans en avoir aucune raiſon legitime,
l'on ſe contente de dire, l'ayeul & le
biſayeul ſe nommoient ainſi, il faut
donner le même nom à cet enfant.
Mais les anciens n'en uſoient pas de la
ſorte: ils avoient ſoin d'impoſer à leurs
enfans des noms qui les portoient à
marcher dans les ſentiers de la vertu,
& qui étoient propres à inſtruire & à
édifier ceux qui devoient vivre dans les
ſiecles futurs.
Ce ſaint Docteur en donne des exem-
ples tirez de l'Ecriture : car il obſerve
qu'Eve nomma ſon fils aîné Caïn, pour
faire connoître qu'elle le tenoit de la
K

218
La Vie
ſeule grace de Dieu ; que Seth donna le
nom d'Enos à ſon premier né , parce-
qu'il devoit être un homme extraordi-
naire ; & que ce fut auſſi par myſtere ,
que Lamech nomma Noé ſon fils aîné.
L'on pourroit ajouter à ces exemples ,
Gen. 29.
& 30.
que Lia & Rachel , femmes du Patriar-
che Jacob, eurent ſoin de choiſir des
noms à leurs enfans , par leſquels elles
proteſtoient qu'elles les tenoient de Dieu
ſeul.
L'on ſçait encore que le Prophete
Oſée 1. 4.
6. 4.
Oſée nomma par l'ordre du Ciel ſon fils
aîné, Jezrahel , pour marquer que dans
peu de tems Dieu devoit venger le ſang
de Jezrahel ſur la maiſon de Jehu ; qu'il
appella une de ſes filles ,  ſans miſeri-
corde
, pour annoncer aux hommes qu'à
l'avenir Dieu ne ſeroit plus touché de
miſericorde pour la Maiſon d'Iſraël ; &
qu'il donna à une autre de ſes filles ce
nom myſterieux, non mon peuple, pour
apprendre aux enfans d'Iſraël, que Dieu
les rejetteroit bien-tôt , & qu'ils ne ſe-
roient plus ſon peuple.
Saint Chryſoſtome conclut enſuite
qu'il ne faut pas donner témerairement
des noms aux enfans , & ſeulement par-
ceque leurs ancêtres les ont portez , mais
pour les mettre sous la protection de
quelques Saints ; pour les engager à ſui-
vre leurs vertus , & pour attirer ſur eux

219
des Gens Mariez Ch. XIX.
les graces du Ciel par l'interceſſion de
leurs ſaints Patrons.
Le Catechiſme du Concile de Trente
propoſe les mêmes maximes à ceux qui
preſentent au Baptême un enfant nou-
veau né. On lui impose, dit-il, un nom
De Sa-
cram.
bapt. 6.
qui doit être celui de quelqu'un qui ait
merité par l'excellence de ſa pieté &
de ſa fidelité pour Dieu, d'être mis au
nombre des Saints , afin que par la reſ-
ſemblance du nom qu'il a avec lui , il
puiſſe être excité davantage à imiter
ſa vertu & ſa ſainteté ; qu'en s'effor-
çant de l'imiter il le prie , & qu'il eſpe-
re qu'il lui ſervira de Protecteur & d'A-
vocat auprès de Dieu pour le ſalut de
ſon ame & de ſon corps. Ainſi ceux qui
affectent de donner ou de faire donner
des noms de Payens ; & particuliere-
ment de ceux qui ont été les plus im-
pies , à ceux que l'on baptiſe , ſont fort
blâmables.  Car ils font connoître par
là le peu d'eſtime qu'ils font de la pieté
chrétienne , puiſqu'ils prennent plaiſir
à renouveller la memoire de ces hom-
mes impies , & qu'ils veulent que les
oreilles des Fideles ſoient continuelle-
ment frappées de ces noms prophanes.
Cette remarque ne paroîtra peut être
pas fort importante aux gens du monde,
qui ſe laiſſent ordinairement conduire
par la coutume , & qui croyent n'être
K ij

220
La Vie
obligez de faire attention qu'aux choſes
qui ſont abſolument mauvaiſes , & auſ-
quelles on ne pourroit ſe porter ſans ſe
rendre tres-criminel. Mais j'eſpere que
les perſonnes de pieté n'en jugeront pas
ainſi ; car ils ſçavent qu'il n'y a rien de
petit dans la Religion chrétienne ; que
toutes ses ceremonies ſont auguſtes , &
renferment tres-ſouvent des myſteres ;
& que l'impoſition d'un nom n'eſt pas
peu importante aux enfans , puiſqu'il
s'agit de ler choiſir un Protecteur au-
près Dieu , de leur donner un Avocat
qui intercede pour eux , & de leur met-
tre devant les yeux un modele de per-
fection qu'ils puiſſent imiter , afin de
marquer avec plus de ſûreté dans les
voyes du ſalut.

Bandeau.

CHAPITRE XX.

Qu'il n'y a rien qui ſoit plus recommandé
aux peres & aux meres dans l'Ecritu-
re
, par les ſaints Peres , & par les
Conciles, que de donner une bonne édu-
cation à leurs enfans.

Comme il n'y a rien de plus impor-
tant dans la Religion chrétienne
que l'éducation des enfans , il faut en
parler avec quelque étendue, non ſeule-

221
des Gens Mariez Ch. XX.
ment dans ce chapitre , mais dans les
ſuivans , afin de convaincre ceux qui
s'engagent dans le Mariage , qu'ils ſont
obligez d'y donner tous leurs ſoins , &
de leur marquer en même tems comment
ils doivent ſe conduire pour s'en bien ac-
quitter.
Tobie ayant obtenu un fils du Ciel ,
crut que la premiere de ſes obligations
étoit de le former de bonne heure à la
vertu , & de lui apprendre dés ſes plus
tendres années , à craindre & à ſervir
Tob. 1. 9.
10.
celui dont il tenoit l'être.  Lorſqu'il fut
devenu homme
, dit l'Ecriture, il épouſa
une femme de ſa Tribu nommée Anne; il
en eut un fils auquel il donna ſon nom. Et
il lui apprit dés ſon enfance à craindre
Dieu, & à s'abſtenir de tout peché.
Ce ſaint homme n'avoit garde de
negliger l'éducation de ſon fils , puiſ-
qu'il avoit lui-même toujours vêcu dans
la pieté , & que ſa premiere jeuneſſe
avoit été conſacrée au culte de Dieu.
Le Texte ſacré témoigne que s'étant
ainſi accoutumé de bonne heure à porter
le joug du Seigneur , il fut inébranlable
au milieu des plus grandes tribulations;
& qu'ayant perdu la vûe , il n'en conçut
aucune triſteſſe. Ayant toujours craint
Dieu dés ſon enfance
, dit l'Ecriture , &
cap. 2. 13.
ayant gardé tous ſes Commandemens, il
ne s'attriſta point de ce que Dieu l'avoit
K iij

222
La Vie
frappé par cette playe de l'aveuglement :
mais il demeura ferme & immobile dans la
crainte du Seigneur , rendant graces à
Dieu tous les jours de ſa vie.
L'on peut juger que Job avoit auſſi
été élevé dans la pieté & dans la crainte
du Seigneur dés ſa premiere enfance ,
puiſqu'il dit en parlant de lui - même :
La compaſſion eſt crûe avec moi dés mon
Job. 31.
28.
enfance, & elle eſt ſortie avec moi du ſein
de ma mere.
Salomon rapporte que David ſon pere
lui avoit donné une tres-bonne éduca-
Prov. 4.
3. 4. &
sequent.
tion , & qu'il l'avoit inſtruit de la veri-
table ſageſſe & de la Loy de Dieu.  Je
ſuis fils , dit-il , d'un pere qui m'a élevé,
& d'une mere qui m'a aimé tendrement,
comme ſi j'euſſe été ſon fils unique. Mon
pere m'enſeignoit & me diſoit, que vôtre
cœur reçoive mes paroles; gardez mes pré-
ceptes , & vous vivrez ; travaillez à ac-
querir la ſageſſe; n'oubliez point les paro-
les de ma bouche , & ne vous en détour-
nez point; n'abandonnez point la ſageſſe,
& elle vous gardera ; aimez - la , & elle
vous conſervera. Travaillez à acquerir la
ſageſſe ; travaillez à acquerir la prudence
aux dépens de tout ce que vous pouvez poſ-
ſeder. Faites effort pour atteindre juſqu'à
elle , & elle vous élevera.  Elle deviendra
vôtre gloire lorſque vous l'aurez embraſſée,
elle mettra ſur vôtre tête un accroiſſement

223
des Gens Mariez Ch. XX.
de grace , & elle vous couvrira d'une écla-
tante couronne
.
Le Prophete Ezechiel donne auſſi à
entendre que ſes parens l'avoient inſtruit
de la Loy du Seigneur dés que ſa raiſon
Ezech. 4.
14.
avoit commencé à ſe déveloper : car il
proteſte à Dieu qu'il n'a jamais mangé
d'aucue choſe impure ;  & que depuis
ſon enfance rien de ſouillé n'eſt entré
dans ſa bouche.
Et ſaint Paul dit que ſon Diſciple Ti-
2. Tim. 3.
15.
mothée
nourri dés ſon enfance dans les
lettres ſaintes.
Outre tous ces exemples qui ſont tres-
conſiderables, l'on trouve dans l'Ecritu-
re
des préceptes poſitifs sur l'éducation
& ſur l'inſtruction des enfans. Moïſe ce
grand conducteur du peuple de Dieu ,
ne ſe contenta pas d'inſtruire les Iſraëli-
tes
, & de leur expliquer la Loy de Dieu,
mais il leur enjoignit d'en inſtruire eux-
mêmes leurs enfans , & toute leur poſ-
terité.   N'oubliez point , leur dit-il, les
Deut. 4.
9.
grandes choſes que vos yeux ont vûes, qu'el-
les ne s'effacent point de vôtre cœur & de
votre eſprit tous les jours de vôtre vie. En-
ſeignez-les à vos enfans & à vos petits en-
fans. Gravez mes paroles dans vos cœurs
Cap. 11.
18. 19.
& dans vos eſprits , & tenez-les ſuſpen-
dues comme un ſigne dans vos mains & ſur
vôtre front entre vos yeux ; apprenez à
vos enfans à les mediter lorſque vous êtes
K iiij

224
La Vie
aſſis en vôtre maiſon, ou que vous marchez
dans le chemin, lorſque vous vous couchez,
ou que vous vous levez.
Il ajoute que Dieu
lui parlant , lui adreſſa ces paroles :  Fai-
tes venir tout le peuple devant moi , afin
qu'il entende mes paroles , & qu'il appren-
ne à me craindre tout le tems qu'il vivra
ſur la terre , & qu'il apprenne à ſes enfans
ce que vous lui aurez appris.
L'Eccleſiaſtique ordonne auſſi aux pe-
Eccli. 7.
25.
res de s'appliquer de tout leur pouvoir
à l'inſtruction & à l'éducation de leurs
enfans.   Avez-vous , leur dit-il , des fils,
inſtruiſez-les bien , & accoutumez-les au
joug dés leur enfance : le cheval qui n'a
point été dompté deviendra intraitable, &
Ibid. 11.
30. 8.
l'enfant abandonné à ſa volonté devient in-
ſolent.
Ne rendez point vôtre fils maître de lui-
Verſ. 11.
même dans ſa jeuneſſe, & ne negligez point
ce qu'il fait & ce qu'il penſe.
Courbez-lui le cou pendant qu'il eſt jeune,
Verſ. 12.
& châtiez-le de verges pendant qu'il eſt en-
fant , de peur qu'il ne s'endurciſſe , qu'il ne
veille35 plus vous obéir, & que votre ame ne
ſoit percée de douleur.
Inſtruiſez votre fils , travaillez à le for-
Verſ. 13.
mer, de peur qu'il ne vous deshonore par ſa
vie honteuſe.
Non ſeulement les peres & les meres
ſont obligez par la Loy de Dieu de bien
élever leurs enfans , mais leurs propres

225
des Gens Mariez Ch. XX.
interêts les y engagent : car l'Eccleſiaſti-
que
enſeigne que ceux qui s'y applique-
ront ſérieuſement, en tireront de grands
avantages  Celui , dit-il , qui inſtruit ſon
fils , y trouvera ſa joye , & ſe glorifiera
en lui parmi ses proches: celui qui enſeigne
ſon fils , rendra ſon ennemi jaloux de ſon
bonheur , & il ſe glorifiera en lui parmi ſes
amis.   Corrigez & inſtruisez votre fils
, dit
Verſ. 2.
& 3.
Prov.29.
17.
auſſi Salomon , & il vous conſolera , &
deviendra les delices de votre ame.
Nous apprenons au contraire des Li-
vres des Rois
, que les peres qui negli-
gent l'éducation de leurs enfans , ſont
tres - criminels , & qu'ils meritent une
tres-grande punition: car ils portent que
le Prêtre Heli n'ayant pas bien inſtruit
ſes fils, ou ne s'étant pas au moins oppo-
sé aſſez fortement à leurs déreglemens,
Reg. 4.
Dieu en fut tellement irrité , qu'il per-
mit que les Israëlites fussent taillez en
pieces , & que l'Arche d'Alliance tom-
bât entre les mains des Philistins , &
qu'il le punit lui - même d'une maniere
terrible , & par une mort violente, quoi-
qu'il fût fort âgé : car à la nouvelle de la
prise de l'Arche , il tomba à la renverse;
& s'étant cassé la tête , il mourut sur le
champ.
Il eſt certain que ſaint Paul a crû que
1. Tim.
2. 15.
l'éducation des enfans eſt un des devoirs
les plus eſſentiels des peres & des meres:
K v

226
La Vie
car dit que les femmes ſe ſauveront par
les enfans qu'elles mettront au monde ,
pourvû qu'elles procurent , en leur don-
nant une bonne éducation , qu'ils de-
meurent dans la foy , dans la charité ,
dans la ſainteté , & dans une vie bien re-
glée.
Il veut qu'on examine ſi celles qui ſe
Ibid. c.5.
10.
preſentent pour être reçûes au nombre
des veuves que l'Egliſe nourrit, & qu'elle
employe à de ſaints Miniſteres , ont eu
ſoin de bien élever leurs enfans.
Il défend d'ordonner Evêque celui qui
ne gouverne pas bien ſa famille , & qui
ne donne pas une bonne éducation à ſes
enfans.  Il faut, dit-il, que l'Evêque gou-
Ibid. c. 3.
v. 4. 5.
verne bien ſa propre famille, & qu'il main-
tienne ſes enfans dans l'obéiſſance & dans
toute ſorte d'honnêteté : car ſi quelqu'un
ne ſçait pas gouverner ſa propre famille,
comment pourra-t-il conduire l'Egliſe de
Dieu ?
Il avertit avant toutes choſes le36 peres
Eph. 6.4.
& les meres de bien élever leurs enfans ,
en les corrigeant & les inſtruiſant ſelon
le Seigneur.
Il ſoutient que celui qui n'a pas ſoin
2 Tim. 5.
8.
des ſiens , & particulierement de ceux de
ſa maiſon , renonce à la foy , & qu'il eſt
pire qu'un Infidele.
Prov.22.
6.
Enfin Salomon ayant dit que le jeune
homme qui s'accoutume à ſuivre ſes voyes
,

227
des Gens Mariez Ch. XX.
ne les quittera point même dans ſa vieil-
leſſe
: Il faut conclure qu'il n'y a rien de
plus important que de veiller ſur les
enfans dés leur plus tendre jeuneſſe , &
de leur donner une bonne éducation :
car ſi l'on ſouffre qu'ils contractent de
mauvaiſes habitudes , il les conſervent
toute leur vie ; ils demeurent tels qu'ils
ont d'abord été ; & on ne doit pas s'at-
tendre qu'ils ſurmontent dans la ſuite
leurs premieres inclinations , qui ayant
crû avec eux, leur ſont devenues comme
naturelles.
L'on trouve auſſi dans les ſaints Peres
de l'Egliſe
, une infinité d'autoritez qui
confirment la verité que nous avons en-
trepris d'établir.
Le grand ſaint Basile juſtifiant ſa foy
Epiſt. 77.
& ſes ſentimens contre ceux qui le ca-
lomnioient , & qui le décrioient dans le
public , dit qu'il a été inſtruit dans la ve-
ritable foy par ſa nourrice Macrine ,
cette femme si illustre , qui lui appre-
noit les veritez que le bienheureux Gre-
goire
avoit autrefois enſeignées , & qui
ſe conſervoient encore par tradition dans
pluſieurs Egliſes. Cela prouve que dans les
premiers ſiecles on avoit un tres-grand
ſoin de bien élever les enfans ; & que
dés qu'ils pouvoient parler , leurs meres
ou leurs nourrices les inſtruiſoient des
dogmes de la Foy , & des maximes de
K vj

228
La Vie
la Morale Chrétienne.
On ne ſçauroit douter que S. Jerôme
n'ait été tres-perſuadé que l'obligation
la plus indiſpenſable des peres & meres
ne ſoit de donner une bonne éducation à
leurs enfans , puiſque voulant inſtruire
Læta37 , & la former dans la pieté chré-
tienne , il compoſa un Traité exprès ,
pour lui apprendre comment elle de-
voit élever la jeune Paule ſa fille. Il faut
donc voir les avis qu'il lui donne ſur ce
ſujet.
Il lui dit qu'elle doit avoir ſoin que
Ep. 7.
les Maîtres qu'elle choiſira pour l'in-
ſtruire , ſoient de bonnes mœurs , &
exempts de defauts , parceque les en-
fans ſont beaucoup plus ſuſceptibles du
vice que de la vertu ; qu'ils imitent tres-
facilement le mal qu'ils voyent faire , &
qu'ils retiennent tres-ſouvent toute leur
vie les mauvaiſes impreſſions qu'on leur
a données dans leur premiere jeuneſſe.
Il lui allegue à ce propos l'exemple d'A-
lexandre le Grand
, qui étant ſi puiſſant,
& ayant dompté le monde entier , ne
put jamais , au rapport de Plutarque ,
ſurmonter les vices qu'il avoit remar-
quez étant fort jeune dans Leonidas son
Precepteur , ni ſe défaire d'une poſture
mal ſéante à laquelle il s'étoit accoutu-
mé, en le voyant marcher.
Il lui conſeille même de l'obſerver de

229
des Gens Mariez Ch. XX.
ſi près , & d'être ſi attentive à ſa con-
duite , qu'elle ſoit aſſurée qu'elle ne
voye & qu'elle n'entende jamais rien
que d'édifiant. Faites en ſorte, lui dit-
il , qu'elle n'entende et qu'elle ne tien-
ne elle-même que des diſcours qui lui
inſpirent la crainte de Dieu ; qu'on ne
prononce jamais en ſa preſence aucu-
nes paroles deshonnêtes ; & qu'on ne
lui apprenne point des airs & des chan-
ſons du monde. Il faut au contraire, que
vous la portiez à reciter des Pſaumes
& des Cantiques ſpirituels, & que vous
l'éloigniez de la compagnie des autres
enfans qui ſont ordinairement fort mal
élevez.  Vous devez même empêcher
les filles & les ſervantes qui ſont au-
tour d'elle, de frequenter des perſonnes
du monde , de peur qu'elles ne lui ap-
prennent le mal qu'elles auront elles-
mêmes appris en ſe répandant dans le
ſiecle.
Et parcequ'elle ne pouvoit pas être
toujours avec ſa fille , il l'avertit de lui
donner une Gouvernante ſage & diſ-
crette , qui ait toujours l'œil ſur elle ,
qui ne la quitte point , & qui la forme
de bonne heure à tous les exercices de la
pieté chrétienne. Mettez auprès d'elle,
lui dit il , une Vierge déja âgée , dont
la foy , la pureté & les mœurs ſoient
éprouvées, qui l'accoutume , & qui lui 230La Vie apprenne par ſon exemple à ſe relever
Il entend
par là les
heures de
Tierce, de
Sexte, &
de None,
& les Vê-
pres.
la nuit pour prier & pour reciter des
Pſeaumes, à chanter des Hymnes dés
le grand matin, à ſe preſenter dans le
champ de bataille comme une gene-
reuſe athlete de JESUS-CHRIST, à la troi-
ſiéme , à la ſixiéme & à la neuviéme
heure, & à offrir au Seigneur le ſacrifi-
ce du ſoir lorſqu'on allume les lampes38.
Il lui marque qu'il faut qu'elle ſoit
toujours occupée ; qu'elle file de la laine
& de l'étaim39 ; qu'elle faſſe ſucceder la
lecture à la priere , & la priere à la lec-
ture ; qu'elle s'exerce à la temperance &
à la ſobrieté ; & qu'elle liſe aſſiduement
l'Ecriture ſainte , afin qu'elle y apprenne
à regler ſes mœurs , à mépriſer le mon-
de, à pratiquer la patience, & à ſurmon-
ter ſes paſſions.
Il dit enſuite que c'eſt à elle à répon-
dre de toutes les démarches de ſa fille ;
& que ſi elle eſt obligée de prendre tou-
tes ſortes de précautions pour empê-
cher qu'elle ne ſoit piquée par des vipe-
peres , elle doit avoir encore plus de
ſoin de la garantir des morſures du ſer-
pent infernal , & de la détourner de boi-
re dans le calice de Babylone, c'eſt-à-
dire, de prendre part aux plaiſirs & aux
vanitez du ſiecle.
Il lui déclare enfin que ſi elle veut
être utile à ſa fille , & lui donner une

231
des Gens Mariez Ch. XX.
bonne éducation , elle doit l'édifier par
l'innocence de ſa vie , & par la ſainteté
de ſa conduite. Que vôtre fille, lui dit-
il, ne voye rien dans vous & dans ſon
pere , qu'elle ne puiſſe imiter ſans pe-
cher: ſoyez perſuadez, vous qui êtes ſes
parens , que vous êtes obligez de l'in-
ſtruire plutôt par vos exemples que par
vos paroles.
Ce ſaint Docteur enſeigne en un autre
In cap. 3.
Epiſt. ad
Tit.
lieu , que les peres & les meres aiment
veritablement leurs enfans, lorſqu'ils les
inſtruiſent de leurs devoirs , & qu'ils les
élevent dans la crainte du Seigneur: mais
que s'ils ſouffrent qu'ils pechent, & qu'ils
ne les reprennent pas de leurs défauts ,
ils n'ont que de la haine pour eux , &
qu'ils ſont leurs veritables ennemis. En
effet il eſt écrit , Que celui qui épargne
Prov. 13.
24.
la verge , hait ſon fils ; mais que celui
qui l'aime, s'applique à le corriger.
Saint Ambroiſe obſerve que Dieu avoit
In cap.
12. Levit.
assez fait connoître ſous la Loy écrite ,
qu'il vouloit que les peres & les meres
lui offriſſent leurs fils dés qu'ils étoient
nez , qu'ils les élevaſſent dans la pieté ,
& qu'ils euſſent soin de leur inſpirer de
bonne heure des ſentimens de Religion,
puiſqu'il leur avoit ordonné de les faire
circoncire le huitiéme jour après leur
naiſſance : car , dit-il , il ne les obli-
geoit à faire ſi - tôt cette ceremonie ,

232
La Vie
qu'afin que leurs enfans lui fuſſent con-
ſacrez dés le commencement de leur
naiſſance; que la Religion crût avec eux;
& qu'ils fuſſent accoutumez de bonne
heure à la douleur & aux ſouffrances.
Il faudroit tranſcrire une grande par-
tie des Confeſſions de ſaint Auguſtin, ſi
l'on vouloit rapporter tout ce qu'il dit
contre les parens qui negligent de s'ap-
pliquer à l'éducation de leurs enfans, ou
qui leur en donnent une mauvaiſe. Par-
cequ'il avoit lui-même éprouvé ce mal-
heur dans ſa premiere jeuneſſe, il en ge-
mit , & s'en plaint amoureuſement à
Dieu par ces paroles ſi tendres & ſi édi-
Lib. 1.
Conf. c.
9.
fiantes. N'ai-je pas ſujet , mon Dieu ,
de déplorer les miſeres & les trompe-
ries que j'ai éprouvées en cet âge, puiſ-
qu'on ne me propoſoit point d'autre
regle de bien vivre , que de ſuivre la
conduite & les avertiſſemens de ceux
qui ne travailloient qu'à m'inſpirer le
deſir & l'ambition de paroître un jour
avec éclat dans le monde , & d'excel-
ler dans l'art de l'éloquence , qui fait
acquerir de l'honneur parmi les hom-
mes , & des richeſſes fauſſes & trom-
peuſes.
On m'obligeoit , pourſuit-il , de me
ſouvenir des vaines & fabuleuſes avan-
tures d'un Prince errant tel qu'étoit
Enée, lorſque j'oubliois mes égaremens 233des Gens Mariez Ch. XX. & mes erreurs. On m'enſeignoit à pleu-
Ibid. c.13.
rer la mort de Didon, à cauſe qu'elle s'é-
toit tuée par un tranſport violent de ſon
amour, pendant que j'étois ſi miſerable
que de regarder d'un œil ſec la mort
que je me donnois à moi-même, en m'at-
tachant à ces fictions, & en m'éloignant
de vous , mon Dieu , qui êtes ma vie.
Car y a-t-il une plus grande miſere ,
que d'être miſerable ſans reconnoître,
& ſans plaindre ſoi - même ſa propre
miſere, que de pleurer la mort de Di-
don
, laquelle eſt venuë de l'excès de ſon
amour pour Enée, & de ne pleurer pas
ſa propre mort, qui vient du defaut d'a-
mour pour vous ?
Il repreſente comment au lieu de le
détourner de l'amour du monde, on l'y
exhortoit , & on l'y portoit par de vains
applaudiſſemens. Je ne vous aimois
pas, ô mon Dieu ! vous qui êtes la lu-
miere de mon cœur , la nourriture in-
terieure de mon eſprit , & l'Epoux qui
ſoutenez et fortifiez mon ame.  Je ne
vous aimois pas , & j'étois ſeparé de
vous par un adultere ſpirituel; & dans
cette fornication j'entendois de tous cô-
tez retentir cette voix à mes oreilles :
Courage, courage, car l'amour qu'on a
pour le monde eſt un amour d'adultere
qui nous éloigne de vous; & l'on nous
crie, courage , courage , afin qu'étant  234La Vie hommes comme les autres, nous ayons
honte de n'être pas auſſi enchantez de
ce fol amour, & auſſi perdues que le ſont
les autres.
Il gemit de ce que ſon pere qui vou-
loit bien faire une dépenſe extraordi-
naire , pour l'envoyer étudier dans une
Ville fort éloignée , ne penſoit point à
Ibid. l.2.
c. 3.
le porter à la pieté, ni à l'y exercer. Il
ſe dispoſoit , dit-il , à m'envoyer à
Carthage, plutôt par un effort de l'am-
bition qu'il avoit pour moi, que par le
pouvoir que ſon bien lui en donnoit ,
n'étant qu'un des moindres Bourgeois
de Thagaſte.  Cependant il ne ſe met-
toit nullement en peine , mon Dieu ,
que j'avançaſſe dans vôtre crainte , à
meſure que j'avançois en âge , ni que
je fuſſe chaſte. Il ne desiroit autre cho-
ſe ſinon , que je devinſſe éloquent , &
que je ſçuſſe compoſer un diſcours fleu-
ri, pendant que j'étois moi-même une
terre deſerte & infructueuſe , & que le
champ de mon ame , dont vous êtiez,
mon Dieu , le ſeul maître , & le veri-
table poſſeſſeur , ne recevoit aucune
culture de vôtre main , ni aucune in-
fluance de vôtre grace.
Il ſoutient qu'il eſt de la derniere
conſequence de corriger les enfans dés
qu'ils ſont capables de raiſon , & de les
reprendre des défauts qu'on remarque

235
des Gens Mariez Ch. XX.
en eux ; parceque ſi on les diſſimule ,
ſous prétexte qu'ils ne paroiſſent pas
conſiderables, ils croiſſent dans la ſuite,
& les portent même à de grands crimes.
La premiere corruption de leur eſprit
Ibid. l. 3.
c. 13.
& de leur cœur , dit-il , paſſe enſuite
dans tout le reſte de leur vie. Tels
qu'ils ont été à l'égard de leurs Pré-
cepteurs & de leurs Maîtres , il le ſont
à l'égard des Rois & des Magiſtrats :
après avoir commis de petites injuſtices
pour avoir des noix , des balles & des
moineaux , ils en commettent de gran-
des pour amaſſer de l'argent , pour ac-
querir de belles maiſons, & pour avoir
un grand nombre de ſerviteurs.  Leur
déreglement croît avec l'âge , comme
les grands ſupplices que les loix ordon-
nent , ſuccedent aux legeres peines des
enfans.
Il dit qu'il eſt comme impoſſible de
bien élever des enfans , & de les garan-
tir de la corruption du siecle , à moins
qu'on ne les separe de la compagnie des
Ibid. l. 3.
c. 3. 4.
autres enfans qui frequentent le monde;
& pour le prouver , il ſe ſert encore de
ſon propre exemple : car il aſſure qu'il
ne ſe fût jamais porté à voler des fruits,
ni à commettre d'autres deſordres , s'il
n'y eût été engagé par l'exemple des
jeunes gens avec qui il ſe divertiſſoit ,
& qui diſputoient entr-eux à qui ſeroit

236
La Vie
le plus méchant & le plus libertin.
Enfin pour faire voir qu'il eſt tres-
important de donner une bonne éduca-
tion aux enfans , ce ſaint Pere rapporte
que ſa mere l'ayant accoutumé dès ſes
plus tendres années à prononcer & à
venerer le Nom de JESUS, ce fut ce
Nom adorable qui le détacha & le dé-
gouta dans la ſuite de ſa vie de la lec-
ture de Ciceron; & particulierement de
Ibid. l. 3.
c. 4.
son Livre intitulé, Hortensius.J'étois,
dit-il , tout ravi & tout embraſé lorſ-
que je liſois ce Traité : mais ce qui me
refroidiſſoit & rallantiſſoit mon ardeur,
étoit que je ne voyois point le Nom de
JESUS écrit dans ce Livre. Car par
vôtre miſericerde, mon Dieu, ce Nom
de mon Sauveur vôtre Fils étoit entré
dans mon cœur dés mes plus tendres
années avec le lait de ma mere; & il y
étoit demeuré gravé ſi profondément,
que tous les diſcours où je ne trouvois
point ce Nom, quelques remplis d'élo-
quence, de doctrine & de veritez qu'ils
puſſent être , ne me raviſſoient pas en-
tierement.
Saint Gregoire parlant auſſi de la ma-
Lib. 6.
Ep. in-
dict. 15.
23.
niere dont il faut élever les enfans , dit
qu'il eſt tres - dangereux de commettre
leur éducation à des perſonnes mal re-
glées ; parceque leurs actions & leurs
diſcours font de fortes impreſſions ſur

237
des Gens Mariez Ch. XX.
leurs eſprits , & les infectent tres - ſou-
vent comme un poiſon mortel.
Il obſerve dans ſes Dialogues , qu'un
Lib. 4.
c. 18.
pere ayant ſouffert que ſon fils qui n'é-
toit encore âgé que de cinq ans , s'ac-
coutumât à jurer, cet enfant en contrac-
ta une ſi forte habitude , qu'il ne pou-
voit preſque plus s'en abſtenir , & qu'il
blaſphemoit en toutes rencontres. Etant
un jour fort malade , ajoute-t-il , on re-
marqua qu'il avoit de grandes frayeurs ,
& qu'il s'agitoit extraordinairement ; &
comme on en étoit ſurpris , il fit enten-
dre à ceux qui l'environnoient , & à son
pere même qui le tenoit dans ſon ſein ,
qu'il voyoit des ſpectres & des hommes
tout noirs qui vouloient l'emporter ;
& un moment aprés ayant redoublé
ſes blaſphêmes , il mourut d'un manie-
re tres violente : ce qui fit juger à tout
le monde que l'eſprit malin lui étoit ap-
paru , & étoit venu le troubler au mo-
ment même qu'il avoit rendu l'eſprit.
Ce ſaint Pape s'étant ſervi de l'exem-
ple funeſte de cette homme impie, pour
intimider les peres & les meres qui ne-
gligent d'inſtruire & de corriger leurs
enfans , il leur en allegue un autre
tres - édifiant pour fortifier leur zele ,
& pour les porter à s'appliquer de tout
leur pouvoir à procurer leur ſalut. Car
il leur parle dans une de ſes Homelies,

238
La Vie
de l'illuſtre ſainte Felicité , qui anima
elle - même ſes ſept fils au martyre , &
qui aima mieux les voir mourir en ſa
preſence dans la confeſſion du Nom de
JESUS-CHRIST, que de les laiſſer en vie
après elle dans le danger de renoncer à
la Religion , & de faire miſerablement
Hom. 3.
in Ev.
naufrage dans la Foy. Elle craignoit
autant , dit-il , de laiſſer en vie après
elle ſes ſept enfans, que les peres char-
nels craignent ordinairement de voir
mourir les leurs avant eux. C'eſt pour-
quoi ayant été priſe pendant le fort
de la perſecution , elle les exhorta par
des paroles pleines de ferveur , à de-
meurer fermes dans l'amour de la
celeſte patrie.  Ainſi elle devint mere
ſelon l'eſprit , de ceux dont elle l'étoit
déja ſelon la chair ; & elle les enfanta
pour Dieu par ſes ſaintes exhortations,
après les avoir déja enfantez pour le
monde par les douleurs de la chair.
Elle apprehenda , ajoute-t-il , de per-
dre la lumiere de la verité dans ſes en-
fans, ſi elle ne les perdoit point.  Elle
craignit qu'ils ne demeuraſſent ici-bas
après elle , elle ſe réjouit au contraire
de les voir mourir ; & elle deſira avec
ardeur de n'en laiſſer aucun vivant
après elle , de peur de ne pas avoir
pour compagnon de ſon martyre ce-
lui qui lui ſurvivroit. Elle a aimé ſes  239des Gens Mariez Ch. XX. enfans ; mais l'amour de la celeſte pa-
trie l'a fait reſoudre à voir mourir en
ſa preſence ceux qu'elle aimoit.
Je puis ajouter que la France nous a
autrefois fourni un pareil exemple de
zele & de religion : car nos Hiſtoriens
rapportent , que la Reine Blanche mere
de Saint Loüis, avoit coutume de dire
aux Princes ſes fils : Dieu ſçait , mes
enfans , combien je vous aime ; mais
j'aimerois cent mille fois mieux vous
voir porter en terre, que de vous voir
commettre un ſeul peché mortel.
Cette parole ſortie de la bouche d'une
Reine , doit couvrir de confuſion une
infinité de Chrétiens, car cette grande
Princeſſe ne travailloit qu'à établir le
regne de Dieu dans le cœur de ſes en-
fans ; elle ne penſoit qu'à les rendre
vertueux ; elle eût donné mille Royau-
mes pour procurer leur ſalut ; & elle
les eût conduit avec joye au tombeau,
ſi elle n'avoit point eu d'autre moyen
de les garantir du peché.  La plûpart
des peres & des meres de ce tems s'em-
preſſent au contraire de faire avancer
leurs enfans dans la fortune ; ils leur
cherchent de tous côtez des établiſſe-
mens avantageux ; ils ne leur parlent
que de grandeurs & de dignitez ; & ce-
pendant ils ne s'informent point s'ils
s'acquittent des devoirs du Chriſtianis-

240
La Vie
me ; ils ne les exhortent point à la ver-
tu ; ou s'ils le font , ce n'eſt que foible-
ment , & ne témoignent que de l'in-
difference pour leur ſalut. Il s'en trouve
même qui ſont plus contens de les voir
riches & puiſſans, que vertueux ; qui ne
ſe ſoucient pas qu'ils ſuivent leurs paſ-
ſions , & qu'ils s'abandonnent à des pe-
chez tres - conſiderables , lorſque cela
peut les faire monter aux honneurs, &
les conduire à de grands emplois ; &
qui imitant l'ambition de cette mere for-
cenée de l'antiquité, diroient volontiers,
qu'ils tuent leur ame pourvû qu'ils re-
gnent.
Je finirai ce Chapitre par les Decrets
de deux Conciles , & par la doctrine du
Catechiſme , dreſſé par ordre de celui
de Trente.  Le Concile de Gangres de
l'an 32440 veut que l'on fulmine les ana-
thêmes de l'Egliſe contre ceux qui aban-
donnent leurs enfans , qui ne ſe met-
tent pas en peine de les nourrir, qui ne
penſent point à les porter à la pieté,
ni à les inſtruire de la Religion , & qui
negligent de s'appliquer à leur éduca-
tion , ſous prétexte qu'ils ſont chargez
d'affaires, & qu'ils ont d'autres occupa-
tions.
L'on peut juger par ce Canon , que
les peres & les meres qui n'ont pas ſoin
d'élever chrétiennement leurs enfans ,
ſont

241
des Gens Mariez Ch. XX.
ſont tres - criminels. La peine de l'ex-
communication dont les Evêques de ce
Concile les menacent , le juſtifie aſſez :
car on ne la fait ſouffrir qu'à ceux qui
ſont coupables de grands pechez.
Le troiſiéme Concile de Milan , tenu
ſous ſaint Charles Boromée, s'explique
auſſi fort nettement sur ce ſujet : car il
Titul. de
his qua
ad Ma-
trim. Sa-
cram.
pertinent.
déclare que comme un pere de famille
qui aura élevé ſes enfans , & tous ceux
de ſa famille dans la crainte & dans
l'amour de Dieu, & qui les aura portez
à la pratique de la pieté & des autres
vertus chrétiennes, recevra une grande
récompenſe de tous ſes travaux ; auſſi
celui qui aura manqué , ou negligé de
s'acquitter de ce devoir paternel , doit
s'attendre d'éprouver un jugement tres-
rigoureux au jour du Seigneur.
Le Catechiſme du Concile de Trente
ne parle pas moins clairement de cette
obligation des peres & des meres.  Les
enfans, dit-il , qui naiſſent d'une femme
legitime, ſont le premier des trois biens
qui accompagnent le mariage.  L'Apô-
tre
fait tant d'état de ce bien , qu'il dé-
clare que les femmes ſe ſauveront par les
enfans qu'elles mettront au monde
. Ce qui
ſe doit entendre non ſeulement de leur
naiſſance , mais encore de leur éduca-
tion , & du ſoin qu'elles doivent avoir
de les élever dans la pieté. Ainſi il ajoute
L

242
La Vie
immédiatement après, en procurant qu'ils
demeurent dans la foy
.  C'est ce que l'E-
criture
veut marquer par ces paroles :
Avez-vous des enfans ? inſtruiſez-les bien,
& accoutumez-les au joug dés leur enfance
.
L'Apôtre nous enſeigne la même chose ;
De Sa-
cramento
Matrim.
§. 5.
& l'Ecriture nous fournit dans Tobie ,
dans Job & dans pluſieurs autres peres
tres-ſaints , des exemples tres-excellens
d'une ſainte éducation.
Ainſi l'autorité de l'Ecriture , celle
des ſaints Peres & des Conciles , & tou-
tes ſortes de