Le mariage sous L'Ancien Régime
Philogame et Antigame,
ou,
LES AGRÉEMENS
ET
LES CHAGRINS
DU
MARIAGE.
Nouvelle Galante.
Dediée aux Dames.
L'empreinte de la Bibliothèque royale, à la droite de laquelle
il y a une vignette qui consiste en un vase encadré par des fleurs
A PARIS,Chez GABRIEL QUINET, au Palais,
dans la Grand' Salle, au troisieme pilier
vis-a-vis la porte de la Grand' Chambre,
à l'Ange Gabriël.
Filet simple.
M. DC. XCII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Écrit à la main : Y2 1909-1911, cote de la BnF.
Bandeau fleuri.
Lettrine "M" fleurie. MESDAMES,
Je ne puis me dispenser de
vous offrir ce Livre, puisque
c'est vous qui par vos manieres
tendres & fidelles faites trouver des agreemens & des plaisirs dans le Mariage, ou qui
par vos bizarreries & vos trahisons y faites naistre des chagrins & des peines. Cet ouvrage apparemment ne sera pas
du goût de toutes les personnes
de vostre sexe ; les Coquettes
n'y trouveront pas leur compte,
parce qu'il découvre les artifices
dont elles se servent pour surprendre la bonne foy des Hommes, & leur apprend en mesme
temps à s'en garentir ; Mais je
suis persuadé qu'il ne déplaira
pas aux vertueuses ; Elles y
paroissent avec avantage sous
le nom de Sophronie, & s'y
attirent autant d'honneur & de
gloire que les autres de honte
& de mépris : Que m'importe
de mesnager des personnes indi
gnes de l'attachement d'un honneste homme ; Il me suffit de
faire connoistre la consideration
que j'ay pour celles dont la conduite prudente & sage merite
l'estime de tout le Monde, &
c'est aussi de celles-là seules dont
je pretens me dire,
MESDAMES,
Le tres humble, & le tres-obéissant
Serviteur,
J.D.D.C.
Bandeau fleuri.
AU LECTEUR.
Lettrine fleurie.
LES noms de Philogame & d'Antigame vous paroistront
sans doute peu communs &
peut-estre rudes, ils sont tirez des mots Grecs qui expliquent les personnes que
chacun d'eux represente ;
Philogame & Antigame
parlent pour & contre le
Mariage. Philogame veut
dire, j'aime le Mariage, du
Grec -----, & Antigame vient de ------, qui
signifie contre le Mariage ;
& pour satisfaire ceux qui ne
s'accomoderont point de
ces sortes de noms étrangers
qui pouroient leur paroistre
barbares, je les ay expliquez
en nommant ce Livre Les
Agréemens & les Chagrins du
Mariage. Peut-estre que cet
Ouvrage ne passera que
pour une galanterie & un
jeu d'esprit, cependant il
peut estre de quelque utilité ;
la conversation de Philogame & d'Antigame inspirent les sentimens de défiance que nous devons
avoir du cœur humain, &
qu'il ne faut pas s'engager
dans le Mariage par le seul
espoir du plaisir : Dans l'Histoire de Syngamis & d'Agamis, Sophronie découvre les
manieres dont une honneste
Femme se doit servir pour
retirer son Mary du libertinage, & se l'engager d'avantage : Scortine nous y avertit
qu'il ne faut jamais avoir de
confiance à une Fille qui est
dans le desordre. Enfin la
vie & la mort de Syngamis &
d'Agamis nous apprennent,
qu'autant qu'un Homme sage & bien reglé vit heureux
& meurt content, autant
un débauché vit inquiet &
meurt malheureux.
Bandeau fleuri. PHILOGAME ET ANTIGAME, OU LES AGRÉEMENS ET LES CHAGRINS DU MARIAGE. NOUVELLE GALANTE. Première Partie.
Lettrine fleurie.ANtigame n'eust
pas plûtost apris
que Philogame
son amy estoit sur le
2
point de se marier, qu'il
courut à son logis,
il l'y trouva seul avec
l'Abbé Sophin : Vos
amis, luy dit-il, viendront sans doute se réjoüir avec vous de ce
que vous vous mariez ;
& moy, je viens vous dire
que j'en suis au desespoir,
malheureux que vous
estes, dans quel abisme
de peines & de chagrins
allez-vous vous jetter,
vous marié, continua‑t'il, quel peché avez‑
3
vous commis pour tant
de maux qui vous vont
accabler, vous engager
toute vôtre vie à la mesme personne, sans pouvoir jamais changer,
qu'elle devienne chagrine, laide, vieille, infidelle, il faudra mourir
attaché avec elle, ou en
venir à des extrémitez
scandaleuses. Mais vous
qui parlez, repartit Philogame, d'un air froid &
pensif ; N'avez-vous
pas esté marié, & vive
4
ment touché de la
mort de vostre femme ?
Ce que vous dites est
vray, reprit Antigame ;
cependant je n'ay jamais tant souffert que
les deux années que
j'ay passées avec elle.
Cela se peut-il dire,
repliqua Philogame,
vous l'aimiez, elle vous
aimoit, elle estoit jeune
& belle, elle avoit de
l'esprit, de la qualité, &
du bien : Pourquoy donc
n'estre pas heureux ?
5
Ie ne sçay que vous dire,
reprit Antigame, mais
je suis persuadé que
quelque aimable que soit
une fille, & que quelque tendresse que l'on
ait pour elle ; est-on devenu son époux, le cœur
passe bien-tost de l'amour
à l'indifference, & tres‑souvent de l'indifference au dégoût. D'où
vient cela ? repliqua Philogame. J'ay de la peine,
interrompit Antigame,
à en penetrer la verita
6
ble raison, peut-estre
qu'en voyant une femme tres-souvent, & de
plus prés, nous n'y rencontrons plus ce merite,
& ces attraits dont nous
estions charmez, peut‑estre que le cœur ne
s'accommode pas d'une
possession si tranquille,
ou peut-estre qu'enfin le
commerce frequent des
sens en éteint la vivacité. Vous outrez terriblement les choses,
interrompit Philogame,
7
un homme qui a de
l'honnesteté & de l'esprit
n'épouse pas une femme
qu'il ne luy connoisse de
la vertu & du merite,
ainsi plus il l'a voit de
prés, plus il y découvre
de belles qualitez, &
plus il est satisfait de son
choix : il se fait un devoir, & une douce habitude de l'aimer ; elle
luy fournit mille plaisirs
innocens ; elle le tire de
la débauche avec des
voluptez legitimes ; elle
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luy donne de beaux Enfans, qu'elle éleve avec
tendresse ; elle le suit
dans ses adversitez comme dans sa bonne fortune ; enfin c'est une
Compagne fidelle, qui
ne l'abandonne point jusqu'à la mort. Comment
connoistre une femme
avant que de l'épouser,
interrompit d'un ton
railleur Antigame, les
femmes sont incomprehensibles, les plus fins,
& les plus penetrans y
9
sont trompez ; elles ne
parlent & n'agissent jamais de bonne foy, il
n'y a dans leurs actions
que déguisemens ; &
qu'artifice ; elles changent sans raison, nulle
solidité dans leur esprit,
ny dans leur cœur ; leur
beauté n'est pas à l'épreuve d'une petite fiévre, ny leur vertu du
moindre interest, ou du
moindre plaisir ; quant
elles se marient, elles
n'ont en veuë le plus
10
souvent, qu'un certain
amour aveugle & déreglé pour leur Mary qui
passe en peu de temps
en changeant d'objet ;
une ambition, & une
vanité insupportable, ou
un interest bas & sordide,
voila ce qui les occupe :
Cependant vous voulez
qu'un mary se fasse une
douce habitude d'aimer
une femme avec ces défauts, parce qu'il l'a épousée ; croyez-moi le
cœur est trop libertin
11
pour se soûmettre à ces
sortes de loix : De prétendre qu'une femme
puisse retenir son mary
par les plaisirs des sens,
quelle apparence, elle
n'a pour luy que des
plaisirs fades & insipides, si le mary a du penchant à l'incontinence,
elle sert tout au plus à
nourrir des feux qu'il
va le plus souvent éteindre ailleurs ; belle satisfaction d'avoir incessamment à ses côtez une
12
femme pour qui le cœur
ne sent que du dégoût,
ou du moins de l'indifference, une avare & une
imperieuse qui critique
jusques au moindres de
vos actions, ou une innocente qui vous desole par
ses faux raisonnemens,
ou une coquette, une
ambitieuse, & une joüeuse qui vous desespere
par la dépense qu'elle fait ;
ne vous y trompez pas,
il n'y a gueres de femmes
qui n'en soient logées là,
13
pour les Enfans quel embarras, & quelle peine
n'a-t'on point à les élever, à combien d'infirmitez & de maladies sont‑ils sujets, & quand ils
sont grands, quelle inquietude pour les pousser dans le monde ; ce
sont quelquefois des faineants, des débauchez,
des dénaturez, des prodigues, des emportez &
des joüeurs ; enfin des
creanciers inhumains qui
enlevent vostre bien, &
14
vous mettent hors d'estat
d'en pouvoir donner à
vos plaisirs. Pourquoy
donc, repliqua Philogame, tout le monde se
marie-t'il, si cette condition est si fâcheuse.
Les uns, répondit Antigame, par des motifs
de Religion, les autres
parce que tout le monde
se marie sans examiner
le reste. Vous vous
trompez, reprit Philo
15
game, les suites du mariage ne sont point si
fâcheuses que vous le dites, ny toutes les femmes aussi terribles que
vous voulez nous le
faire acroire ; la personne avec qui je m'engage est d'une humeur
bien opposée à celle des
femmes dont vous parlez ; Oüy, Fraudelise
n'est que sincerité, que
vertu, mille qualitez
brillent dans son ame,
mille charmes dans sa
16
personne qu'on ne voit
point ailleurs ; Philabel
l'a aimée jusques à la
folie, & quoy qu'il soit
de qualité, qu'il ait de
l'esprit, qu'il soit bien
fait, galant, & aimé
naturellement des femmes, neanmoins elle n'a
pû le souffrir, & l'a
chassé de son logis à
cause de ses manieres libres, & de ses discours
à double sens ; La pauvre Enfant m'a dit, que
dans une apresdisnée 1,
17
il l'a fait rougir vingt
fois ; elle ne ressemble
point à ces filles du
temps ; elle aime la retraite & la solitude, ses
habits & ses manieres
sont fort modestes ; elle
ne fait de la dépense
qu'avec chagrin, a peine connoist-elle les cartes, & elle est si éloignée de toute coqueterie, que l'autre jour je
ne pouvois luy persuader qu'il y eust des femmes capables de faire des
18
infidelitez à leurs maris ;
je puis dire qu'elle m'aime tendrement ; cependant dés que son inclination la porte à m'en
donner quelque marque,
sa pudeur & sa modestie
la retiennent : Ah ! que
nous allons devenir heureux, continua-t'il par
le mariage ; maistres absolus de nos cœurs &
de nos personnes, nous
pourons sans scrupule
& sans partage contenter
tous les jours nos trans
19
ports tendres & amoureux, & rouler une vie
pleine d'agréemens &
de douceurs. Transports
tendres & amoureux,
reprit Antigame, ne sont
pas des mets pour les
gens mariez. Et pour
qui donc ? l'interrompit
Philogame, en élevant la
voix, pour vostre Lesbie !
pour vous, croyez-moy,
continua-t'il, il faut
que nous estimions une
femme par sa vertu &
par sa fidelité, autrement
20
elle ne sçauroit nous
faire goûter les veritables plaisirs de l'amour ;
ce ne sont que des débauches où les sens trouvent seuls du plaisir,
sans que l'ame y participe, ce qui fait qu'elles ne sont suivies le plus
souvent que de chagrins,
de mépris & de dégouts :
Comment estimer une
femme, continua-t'il, &
faire fond sur sa fidelité
dans le temps mesme
qu'elle trahit son devoir,
21
son honneur & sa Religion pour s'abandonner
à sa passion. Ah ! si vous
connoissez comme moy
Lesbie, reprit Antigame, que vous parleriez
autrement ; Oüy ! il n'y a
point de Fille en France
moins interessée & plus
genereuse, elle me garde
deux mille Loüis2 avec la
derniere fidelité ; Où sont
les femmes qui en usent
ainsi ? Lesbie aimer la
débauche, ah ! qu'elle
en est éloignée, elle haït
22
tous les hommes ; elle
n'aime que moy, & si
elle goûte du plaisir, ce
n'est que par rapport à
moy, & autant que j'y
suis sensible ; je luy ay
oüy dire mille fois, qu'elle mettroit toute sa felicité à se voir seule avec
moy dans un petit coin
de la terre ; je luy ay
donné le beau Rubis que
vous m'avez vû, elle ne
vouloit point le recevoir,
& j'eus toutes les peines
du monde à l'y obliger,
23
il est tombé du châton,
il est perdu, que de larmes ; elle auroit donné
tout ce qu'elle avoit au
monde pour le trouver ;
ce n'estoit point parce
qu'il estoit de prix qu'elle
le regretoit, c'est qu'elle
s'imaginoit que c'estoit
un avertissement de ce
que je devois cesser de
l'aimer ; ce Rubis qui
sembloit si bien tenir,
ainsi tombé du châton,
me disoit-elle, ne peut
estre qu'un signe, &
24
qu'un presage que vous
cesserez de m'aimer ; mais
vous devez estre seur que
je n'y survivray pas.
Trouverez-vous ces délicatesses dans le Mariage,
& une semblable passion ;
les gens mariez sont surs
qu'ils ne peuvent jamais
se quitter, & cette assurance est le poison de la
tendresse ; l'amour ne
peut vivre sans souhaits, sans crainte, &
sans estre accompagnée
de quelque difficulté.
25
Toubeau, toubeau3,
interrompit l'Abbé Sophin, point de comparaison avec le mariage,
& portez luy respect.
Ie n'entens point parler,
mon cher Abbé, luy
repartit Antigame avec
un air serieux, de ces
sortes de gens mariez assez heureux pour estre
entierement détachez des
sens, & uniquement animez d'un esprit de pureté & de sainteté ; mais
de ceux qui ne s'enga
26
gent dans le mariage que
dans l'espoir d'y trouver
des plaisirs & d'y satisfaire leurs sensualitez ; &
qui ne changeant point
de mœurs ny de vie dans
une condition aussi sainte
que celle du mariage,
commettent des adulteres abominables & se
rendent mille fois plus
criminels. Philogame,
interrompant Antigame,
demanda à l'Abbé quel
party il prenoit, & luy
dit, qu'il avoit bien connu
27
des Abbez qui auroient
bien voulu pouvoir se
marier. Antigame soûtenoit de son costé qu'il
y avoit bien des gens
mariez qui voudroient
changer leurs femmes
contre des Benefices.
L'Abbé leur representoit
que l'on n'est jamais content de sa condition, qu'il
ne faloit pas en décider
par là, & que pour en
juger solidement, il faloit
examiner avec application les agréemens & les
28
chagrins du mariage ;
que Paris estoit un grand
theatre, qu'il ne faloit
qu'entendre parler, &
que pour peu que l'on
eut d'adresse à faire tomber la conversation sur
cette matiere, il seroit facile d'en apprendre beaucoup en peu de temps.
Ce raisonnement parut
de bon sens à Philogame,
aussi bien qu'à Antigame, ils prierent l'Abbé
de ne les point abandonner, en luy disant qu'ils
29
le choisissent pour Juge, ce qu'il accepta.
Antigame leur dit qu'il
faloit qu'il alla auparavant chez un Financier
pour une affaire de consequence ; que sa femme
estoit d'un genie singulier & plaisant, que s'ils
vouloient y venir il leur
en donneroit le plaisir :
Philogame & l'Abbé
Sophin l'y accompagnerent. Ce Financier sortoit de table, & estoit
dans la chambre de sa
30
femme avec elle ; mais
à peine Antigame eut
commencé à s'expliquer
avec luy qu'on vint demander le Financier, il
sortit de la chambre &
laissa la Compagnie avec
sa femme. Antigame la
trouvant jeune & fort
éveillée luy demanda
quel Livre elle tenoit.
C'est, dit-elle, la Princesse
de Cleves. Qu'en pensez‑vous, Madame, répondit
Antigame. Quelle impertinence, reprit-elle,
31
une femme avoüer à son
mary qu'elle en aime un
autre, il n'y a qu'Agnés
de Moliere qui puisse dire une semblable ingénuite, & je ne puis
concevoir où estoit alors
le jugement de l'Auteur
qui se soûtient passablement dans le reste de
l'ouvrage. Pour moy,
reprit Philogame, je ne
condamne point cét endroit, puisque Madame
de Cleves avoit un penchant invincible pour
32
Monsieur de Nemours,
que l'absence seule pouvoit guerir, & qu'elle
n'avoit que cette seule
voye pour s'en éloigner :
De bonne foy, continua‑t'il ; si j'avois une femme en l'estat où estoit
Madame de Cleves,
qui me fit une semblable confidence, je l'en
estimerois d'avantage.
Ah ! Monsieur, reprit la
Dame en soûriant, vous
estes un tresor pour une
femme, & vous n'avez
33
qu'à vous faire connoître dans Paris pour y
choisir. Mais comment,
interrompit l'Abbé, auriez-vous voulu qu'eut
fait Madame de Cleves.
Puis qu'elle ne pouvoit,
reprit la Dame, se deffendre d'aimer Monsieur
de Nemours, elle avoit
un party à prendre qui
les accommodoit tous
trois ; c'estoit de découvrir ses sentimens à
Monsieur de Nemours,
de prendre des mesures
34
secretes avec luy de peur
que la chose n'éclatast,
& de faire des caresses à
Monsieur de Cleves plus
qu'elle n'avoit fait par le
passé pour tromper ses
soupçons : Que de chagrins par là, elle se seroit épargnez ; que de
ravissemens de plaisirs
pour elle, & pour
Monsieur de Nemours ;
& pour conclusion,
elle n'auroit pas fait
mourir Monsieur de
Cleves, comme un sot.
35
Philogame & Antigame
trouvant ce raisonnement plaisant, se prirent
à rire en applaudissant ce
qu'elle venoit de dire ; ce
qui la charma tellement,
qu'elle continua en disant : Avoüez, Messieurs,
qu'il y a bien des Auteurs
qui s'éloignent de la
vray-semblance, & du
bon sens, témoin l'Auteur des desordres de la
Bassette4. Le Marquis des
Roziers aime fortement
Madame de Landroze,
36
elle est ruinée par le jeu,
elle ne passe pas pour une
femme fort scrupuleuse,
il luy donne douze cens
Loüis5, cependant elle
garde l'argent, & luy
refuse de la Marchandise : Y a-t'il jamais rien
eu de si ridicule, & de
si impertinent que cét
endroit ? cét Auteur a
bien peu d'usage du
monde pour ignorer ce
qu'une femme dans la
necessité est capable de
faire pour douze cens
37
Loüis7 ; comme elle parloit ainsi, son mary qui
venoit de quiter la personne qui l'avoit demandé, arriva, & ayant entendu ce qu'elle venoit
de dire, luy en fit une
severe mercuriale, luy
representant qu'elle ne
devoit pas donner son
temps à la lecture de ces
sortes de Livres, mais
seulement aux soins de
son ménage ; ce qui la
piqua si furieusement
qu'il n'y a sotises, ny
38
injures qu'elle ne luy dit ;
elle se plaignit de ce qu'il
estoit d'une humeur chagrine & bizarre, qu'il
aimoit le jeu, le vin &
la débauche, qu'elle n'avoit point eu de femmes
de chambre, vieilles ou
jeunes, laides ou belles qu'il n'eust voulu
corrompre, & enfin à
l'entendre parler il estoit
le plus meschant de tous
les hommes, & elle la
plus mal-heureuse de
toutes les femmes : Le
39
Financier de son costé
luy reprocha la despence qu'elle luy faisoit en
nippes & bijous, la petite dot qu'elle luy avoit
apportée, la difficulté
d'en estre payé, ses galanteries, ses courses de
bal, ses mascarades, les
violons, & les collations
qu'elle se donnoit à ses
despens, le nombre de
gens de toutes les manieres qu'elle recevoit
dans sa maison pour y
joüer, luy fit cent au
40
tres reproches, & luy dit
tant de duretez que peu
s'en falut qu'ils n'en
vinssent aux mains ; mais
un Laquais qu'elle reconnut entrant dans la
chambre, fit qu'elle lâcha prise pour aller luy
parler en particulier,
elle en receut un Billet 8,
& le congedia ; quelque
précaution qu'elle prit
pour le cacher, Antigame & Philogame s'en
apperçurent ; elle passa
ensuite dans une autre
41
chambre avec un air
plein de chagrin & de
colere, un moment aprés
elle sortit du logis.
Antigame aprés avoir
entretenu ce Financier de
son affaire en sortit aussi
avec Philogame & l'Abbé, & comme ils estoient
sur l'escalier Antigame y
trouva un Billet 9conçu
en ces termes.
42
Bandeau fleuri. BILLET.
VOUS me promistes hier
ma belle que vous ne souffririez pas de toute la nuit les
caresses de vostre jaloux, je suis
bien persuadé que quelque pressant qu'il ait pû estre à cause
des premiers jours du Printemps, vous m'aurez tenu
parole ; que je vous en ay
d'obligations ma chere, que j'y
suis sensible, & que j'ay d'im-
43
patience de vous en témoigner
ma reconnoissance au lieu que
vous sçavez.
Ils n'eurent pas si-tost
lû ce Billet, qu'ils jugerent que c'estoit celuy
que le Laquais avoit
donné à la femme du
Financier, qu'il venoit
de son Galant, que le
jaloux estoit son mary,
& que la précipitation
avec laquelle elle estoit
allée au rendez-vous,
avoit fait qu'au lieu de
44
mettre le Billet dans sa
poche, elle l'avoit mis à
costé, ou bien qu'en tirant son moucheoir, elle
l'en avoit fait tomber.
Antigame croyant que
cet exemple pouvoit
servir à son dessein, representoit avec un grand
sens froid, combien cet
homme estoit mal-heurex ; Sa femme, disoit‑il, consume le fruit de
son travail en foles dépenses, elle le méprise,
elle fait une Academie
45
de sa maison, elle le
deshonore, elle le trompe, & elle luy refuse ce
qu'une femme doit à son
mary, pour en faire un
sacrifice à son Galant ;
aprés cela mariez-vous ?
De bonne-foy, n'auroit‑ce pas esté un grand
bon-heur pour ce Financier s'il eust eu un amy
comme moy, qui luy
eut representé ce que
c'estoit que le mariage,
& qui l'en eut détourné. Philogame se pre
46
nant à rire, luy dit,
ma foy vous estes divertissant de vouloir tirer à
consequence la conduite
de gens ainsi faits, &
en qui l'on ne voit ny
prudence ny honnesteté, quelle avanie cet
homme ne vient-il pas
de faire en nostre presence ; Il connoist sa
femme emportée, pourquoy la pousser about ?
Ne devoit-il pas attendre qu'il fut seul avec
elle, & qu'elle fut de
47
sens froid pour luy representer ce qu'il avoit à
luy dire ; faire voir sa
débauche jusques dans
sa maison, bel exemple
de vertu pour une jeune
femme ; ma-foy, continua-t'il, si elle luy fait
des infidelitez, il se les
attire bien ; croyez-moy,
un honneste-homme qui
aime sa femme, qui a
des assiduitez & de la
consideration pour elle
s'en fait aimer, & la rend
heureuse & fidelle. Quoy
48
dont vous pretendez,
repartit Antigame, que
pour rendre une femme
heureuse & fidelle, il n'y
a qu'à l'aimer, & avoir
des complaisances & des
assiduitez pour elle ;
Vous vous trompez,
continua-t'il, ces marques de tendresse & ces
assiduitez ne rendent une
femme que plus imperieuse, & souvent ne
luy donnent que du mépris & du dégoust pour
son mary, témoin la
49
Marquise de Seliny qui
demande aujourd'huy
une separation d'avec son
mary ; Ie luy ay oüy
dire qu'elle n'auroit jamais eu cette pensée, si
son mary l'avoit moins
aimée, & qu'il eut eu
moins d'assiduité auprés
d'elle. Plaisante cause
de separation, reprit
Philogame. Elle est jeune, belle & bien faite,
interrompit Antigame ;
elle a pour Amans des
gens de Robbe10 de la
50
premiere Qualité ; elle
obtient par leurs credits
tout ce qu'elle veut, &
enfin elle en agy si adroitement qu'il y a plus de
deux ans qu'elle n'est
plus avec son mary, &
qu'elle se divertit trés‑bien à Paris ; il offrit ensuite de la luy faire voir.
Philogame & l'Abbé
trouverent le caractere
de cette femme trop singulier pour n'avoir pas
cette curiosité ; elle les
receut fort honnêtement,
51
elle estoit avec un homme
de Robbe appellé Berly,
& avec le beau Chevalier ; comme elle a une
tres-grande demangeaison de parler de son affaire, Angatime n'eut
pas beaucoup de peine
à l'y conduire.
De toutes les femmes,
dit-elle, qui ont demandé d'estre separées, il
n'y en eut jamais une
qui en ait eu tant de
sujet que moy, ny qui
ait eu plus de patience :
52
Ah ! mal-heureuse que
je suis, continua-t'elle,
avec quelle destinée bizarre suis-je née, les autres femmes se plaignent
de leur maris, & veulent s'en separer, parce
que bien loin de les
aimer, & destre assidus
auprés d'elles, ils les
fuïent, au lieu que ma
cruelle étoille a attaché
mon mal-heur aux assiduitez incommodes, &
à l'amour excessive que
mon mary avoit pour
53
moy ; dés qu'il me vit à
Rennes, il devint éperdûment amoureux, sa
personne, son bien, &
sa qualité enchanterent
ma mere & moy par
consequent ; le mariage
fut bien-tost conclu :
Peu de temps aprés il
me tira de cette belle Ville, & me mena dans une
de ses Terres pour se
donner, disoit-il, tout
entier à moy ; que j'ay
souffert dans ce maudit
lieu, il ne vivoit pas avec
54
moy librement & sans
façon, comme un mary
vit avec sa femme ; ce
n'estoit que précautions
ridicules, que soins impertinens sur mon chapitre ; il ne faloit pas
penser à me lever avant
midy, ma sante auroit
couru risque ; je n'avois
pas la liberté de me coucher sur le costé gauche,
car la foye, disoit-il, est
à craindre, & sur le dos,
la rate ; quelle vision
pour tourmenter une
55
femme ; les fruits je
les aime avec excés,
cependant il ne m'estoit
pas permis d'en manger,
à l'entendre dire j'avois
l'estomach trop foible ;
pour la promenade, il
n'y faloit pas penser, le
jour le Soleil hâle le
tein, & échauffe le sang ;
le soir & la nuit enrhument, & donnent des
iluxions : J'estois donc
condamnée à demeurer
les journées entieres dans
ma chambre à travailler
56
en Tapisserie, encore
murmuroit-il le plus souvent contre l'ouvrage :
Pour luy, il passoit tout
le jour les yeux attachez sur mon visage,
tantost se plaignant &
tantost soûpirant ; que
vos yeux sont beaux,
Madame, s'écrioit-il,
ah ! la belle bouche,
& avec un transport de
fureur, il portoit ses
grosses lévres sur mes
yeux, & les baisoit si
fortement que je crai
57
gnois pour ma veuë ;
aprés ces premiers transports il se jettoit à mes
genoux ; Pardon, pardon,
s'écrioit-il ; Madame, je
suis un témeraire, & un
audacieux, qui devroit
renfermer sa passion dans
le respect & dans l'adoration ; Il me serroit les
genoux à me les meurtrir, ensuite il tomboit
dans une profonde mélancolie, il me regardoit
en roulant de gros yeux
étincelans, & poussant
58
de grands soûpirs, Que
je suis à plaindre, disoit-il,
cruelle, vous ne m'aimez point, ma presence
vous fatigue, & vous ne
me voyez qu'avec chagrin ; Helas ! en vous
épousant, je croyois devenir le plus fortuné des
hommes, cependant je
n'en suis que plus malheureux ; Il est vray que
je suis maistre de vostre
personne, mais vostre
cœur ne veut point se
rendre ; ingratte, repre
59
nez la personne, ou me
donnez le cœur, il n'en
demeuroit pas à ces premiers transports ; Hé
bien, inhumaine, ajoûtoit-il, puisque tu vois
avec indifference & avec
mépris la violente passion que j'ay pour toy ;
Tiens, me disoit-il, en
tirant son épée & me
la presentant, perce de
mille coups ce cœur que
tu fais tant souffrir, &
finis des jours que tu
me rends insupportables :
60
Voilà, Messieurs, de la
maniere qu'il en usoit,
quand nous estions ensemble, aprés cela ne
m'avoüerez-vous pas,
que jamais femme n'a
tant souffert que moy,
& n'a eu plus de raison de
souhaiter d'estre separée.
Vous tourmentoit-il,
Madame, dit Antigame,
autant la nuit que le jour.
Vous avez envie de rire,
Monsieur, répondit-elle,
mais il me semble vous en
avoir fait assez entendre :
61
Ce discours fut pris d'un
sens plaisant qui fit rire
toute la Compagnie. Ensuite l'Abbé prenant la
parole, luy dit : Permettez-moy, Madame, de
vous representer qu'il
meritoit bien qu'on luy
pardonnast tout ses emportemens, puis qu'ils
ne venoient que de la
violence de son amour
& du chagrin de n'estre
pas aimé. S'il vouloit se
faire aimer, répartit la
Dame, il faloit cher
62
cher ce qui pouvoit me
re, se rendre aimable à mes yeux, & ne
pas me fatiguer par sa
presence continuelle, &
par ses manieres insupportables : J'aime la compagnie, il ne devoit
point me faire sortir de
Rennes, il faloit y demeurer, & attirer dans
sa maison ce qu'il y avoit
de gens bien faits pour
me divertir ; le jeu me
fait passer des heures assez agréablement, ainsi
63
je ne devois jamais manquer de Joüeurs, ny
d'argent ; je donne dans
les ajustemens, ne devoit‑il pas tous les mois m'en
fournir des plus beaux,
& des plus à la mode ;
enfin j'aime les plaisirs,
sa principale occupation
devoit estre de m'en
chercher, & c'estoit la
route qu'il devoit tenir
pour aller à mon cœur.
Dites-moy, Madame,
reprit Antigame, comment avez-vous pû vous
64
tirer des mains de ce
Tyran ? Le plus plaisamment du monde, répondit-elle ; auprés du Château où j'estois, il y
avoit un petit bois dans
lequel on trouvoit grand
nombre de mouches cantarides ; j'en pris quelques‑unes, je les fis secher,
& me les appliquay sur
le sein, en peu de temps
elles firent une grand
excoriation, telle que
je la voulois ; je feignis
d'estre malade, & je
65
faisois si bien, que tantost
Monsieur de Seliny me
trouvoit soûpirant, d'autresfois regardant le Ciel
en desesperée, en d'autres temps pleurant ou
priant Dieu ; je ne luy
parlois que de choses
funestes, de mort, de
Paradis, d'Enfer ; enfin
je joüay si bien mon
personnage qu'il eut une
forte curiosité de sçavoir
d'où venoit ce changement ; je prévoyois
bien qu'il l'attribuëroit à
66
quelque violente passion
que j'aurois pour quelqu'un, & qu'il avoit
trop de penchant à la
jalousie pour n'en prendre pas en cette occasion, il n'y manqua
point ; il n'y a Prieres
qu'il ne me fit, ny artifices qu'il ne mit en
usage pour s'éclaicir sur
ce sujet ; & comme
je vis un jour qu'il me
reprochoit ma conduite
avec de grandes duretez,
& qu'il se plaignoit de
67
ce que j'en aimois un
autre ; je me jettay à
ses pieds, & luy dis que
s'il n'y alloit que de ma
vie, je ne luy ferois pas
un aveu qui peut-estre
luy donneroit du dégoust pour ma personne ;
mais que mon honneur
y estant interessé par les
soupçons injurieux qu'il
me temoignoit, j'estois
contrainte de luy auoüer
que mon ayeule estoit
morte d'un Cancer négligé, que ma famille y
68
estoit sujette, que depuis long-temps j'en
avois senty quelque atteinte, que c'estoit la
raison pour laquelle il
m'avoit veu si froide &
si chagrine ; enfin qu'il
avoit paru, & me causoit de si violentes douleurs que je voyois bien
qu'il ne faloit plus penser
qu'à la mort ; il voulut
voir le mal, aprés quelques petites façons je
le satisfis ; les mouches
cantarides avoient si bien
69
fait qu'il y fut trompé ;
il n'avoit jamais vû de
Cancer, l'affaire n'estoit
pas difficile ; ensuite je
me jettay a son col les
larmes aux yeux, je
l'embrassay, je luy dis de
ces sortes d'adieux touchans, que l'on fait faire
aux mourans, & luy demanday sa parole qu'il
ne se remarieroit point
aprés ma mort ; je parlay de Testament & de
fideicommis en sa faveur : Mon Dieu ! que je
70
joüay bien mon rôlle,
quand il m'en souvient.
S'il eust de la douleur à
la nouvelle de ma prétenduë maladie, il eust
de la joye à se croire
tant aimé : Il fit aussi-tost
appeller le Chirurgien
de son Village qui avoit
oüy parler de Cancer,
mais qui n'en avoit jamais vû, non plus que
luy ; Vous jugez bien
que je n'eus pas beaucoup de peine à luy en
faire acroire ; la maniere
71
dont luy débuta Monsieur de Seliny, en luy
disant que sa vie répondroit de la Cure, l'effroya extrémement ; je
profitay de cette conjoncture, & mesnageay
si bien son esprit qu'avec quelques Loüis, je
luy fis dire à Monsieur
de Seliny qu'il n'y avoit
point d'homme en Province qui sceut guerir
ces sortes de maux, &
qu'il n'y avoit qu'un seul
Medecin à Paris qui eut
72
ce secret ; je me deffendis de faire ce voyage,
ou plûtost je cachay
l'empressement que j'en
avois, luy témoignant
que je voulois rester où
j'estois & y mourir entre ses bras ; il fit de l'argent, & m'y conduisit ;
d'abord j'y pris conseil,
je me saisis de la cassette, & le quitay, emmenant avec moy ma femme de Chambre, & mon
Laquais : Pour la forme,
mon Procureur me dit
73
qu'il faloit donner une
plainte, & y exposer
qu'il avoit tiré plusieurs
fois l'épée sur moy, ce
que je fis ; j'oubliois de
vous dire que dans le
temps qu'il faisoit toutes
les folies dont je vous ay
parlé, c'est-à-dire, quand
il tiroit dans ma chambre son épée ; je criois
feignant d'estre effrayée ;
en sorte que je donnois
lieu à ma femme de
Chambre & à mon Laquais d'y entrer, & de
74
l'y trouver en cet estat ;
si bien que je les ay fait
déposer tous deux qu'ils
l'avoient vû l'épée nuë
contre moy, il n'en faut
pas davantage en Iustice
pour le faire condamner ; & mon Avocat me
répond que je gagneray infailliblement ma
cause. Que vous estiez
à plaindre, Madame,
repartit Antigame, mais
aussi avoüez que Monsieur de Seliny l'est bien
autant, & que pour le
75
repos de l'un & de l'autre, il vous auroit esté
avantageux de ne vous
point marier. Ne voyez‑vous pas, dit Philogame,
en s'adressant à Antigame, que le mal-heur ne
vient que de ce que
Madame n'a jamais eu
d'inclination pour Monsieur de Seliny, & que
si elle l'avoit aimé,
leur mariage auroit esté
accompagné de plaisirs,
& de douceurs. L'amour,
interrompit Antigame,
76
n'est pas ce qui rend un
mary plus heureux ;
combien y en a-t'il qui
souffrent, parce que
leurs femmes les aiment
avec excés. Voilà, reprit Philogame, une
chose assez extraordinaire, & que vous aurez de
la peine à prouver. Pour
moy, reprit Berly, j'en
sçay plusieurs exemples,
& je suis persuadé que
le mary d'une femme
coquette qui ne l'aime
point, est moins à plain
77
dre qu'un mary qui est
aimé de sa femme avec
excés. Comment cela
se peut-il, interrompit
Philogame ? Une femme coquette ne contrarie jamais son mary,
reprit Berly, elle est toûjours de mesme sentiment que luy, elle est
enjoüée, elle cherche à le
divertir, elle a à tout
moment des nouvelles,
& des choses plaisantes
à luy dire ; lors qu'il
amene ses amis chez luy,
78
elle les reçoit le mieux
du monde, elle les régale & se divertit avec
eux, s'il veut la caresser
à la bonne heure, elle
y répond ; luy fait-il
froid, elle ne gronde
ny ne s'en plaint, elle
n'a point ces sortes de
délicatesses de cœur qui
ne servent qu'à rendre
mal-heureux ; jamais de
jalousie, jamais d'humeur
fâcheuse ; si elle a une
femme de Chambre qui
plaise à son mary, elle
79
ne la chassera pas pour
cela : Qu'elle se deffende
si elle veut, dit-elle,
qu'il attaque bien s'il
peut, ce n'est pas mon
affaire ; au lieu qu'une
femme qui aime fortement son mary, le désole jour & nuit, tantost par ses protestations
de tendresse & d'amour
faites à contre-temps,
tantost par des soupçons
& des reproches, &
mesme quelquefois par
des injures : Oüy, Valoury
80
m'a dit souvent qu'il n'y
a rien de si insupportable que ces sortes de
discours dans la bouche
d'une femme pour qui
le cœur ne sent plus
rien, & qu'il ne l'experimentoit que trop
avec la sienne ; elle ne
cesse de pleurer, disoit‑il, à peine peut-on l'obliger de prendre quelque
nourriture ; si je manque au repas ou si je
découche, elle ne mange
point, & passe les nuits
81
sans se coucher à m'attendre ; elle estoit belle,
& avoit de l'embonpoint, mais avec cette
belle maniere de vie,
elle est devenuë effroyable ; aprés cela, me
disoit Valoury, ne faut‑il pas avoüer que je suis
le plus mal-heureux de
tous les hommes en
femme, & que le mary
d'une coquette est beaucoup moins à plaindre
que moy. J'ay oüy parler, reprit le beau Che
82
valier, de la conduite de
Valoury avec sa femme,
il y a tant d'ingratitude
qu'on ne sçauroit l'excuser : Elle estoit fille
lors qu'il en devint amoureux, & elle fut
sensible à sa passion ;
mais comme elle estoit
unique, & qu'elle avoit
plus de bien & de
naissance que luy, son
pere s'y opposa ; cette
fille l'aima si fortement
qu'elle feignit de ressentir des fruits de son
83
amour, il n'y a mauvais
traitement qu'elle ne receut de son pere ; cependant elle demeura toûjours ferme & constante : Enfin le pere croyant
l'affaire sans remede,
pour reparer l'honneur
de sa famille, consentit
à leur mariage ; ce malhonneste homme n'eut
pas esté quinze jours
avec elle, quoy qu'elle
fut belle, aimable, &
qu'elle eut la derniere
tendresse pour luy, qu'il
84
prit du degoust pour
elle, & s'attacha auprés
d'une personne qui avoit
beaucoup moins de merite. Mon Dieu ! que
vous estes sotte, Madame de Valoury, interrompit brusquement,
Madame de Seliny, Ah !
si vostre époux avoit
eu à faire à moy, que
je l'aurois bien reduit.
Comment auriez-vous
fait, repartit Antigame.
Un homme, reprit-elle,
lors qu'il croit posseder
85
entierement une femme,
& qu'il n'a rien à craindre ny a souhaiter au delà, tombe dans l'indifference pour elle ; c'est ce
qui a fait que Valoury
voyant qu'il possedoit
seul sa femme & sans
partage a cessé de l'aimer.
Pour moy, j'en aurois agy
plus prudemment qu'elle, dés que je me serois
apperçûë que mon mary
n'auroit plus en ses premiers empressemens pour
moy, je me serois fait
86
des Amans que j'aurois
attiré dans le logis pour
les luy faire voir ; la jalousie auroit aussi-tost
réveillé sa tendresse assoupie, & me l'auroit
ramenée ; que j'aurois
eu de plaisirs à faire un
peu la cruelle, & à le
rebuter au commencement ; je serois devenuë une seconde bonne
fortune pour luy ; voilà
d'où vient continua-t'elle, que les femmes
adroites & galantes sont
87
plus aimées de leurs
époux que les autres ; la
raison est que leurs époux
ne se trouvans pas dans
cette possession tranquile
qui conduit à l'indifference, ils souhaitent,
ils craignent, ils esperent, ils desesperent, ils
se consolent, & c'est
dans ces differentes agitations que se nourit l'amour; au lieu que les
maris des femmes de
l'humeur & du caractere de Madame de Va
88
loury reviennent difficilement à les aimer à
cause qu'ils ne sentent
point la diversité de ces
mouvemens, leur possession estant paisible &
sans trouble. Les femmes, reprit le beau
Chevalier, ne manquent jamais d'adresse
dans la conduite de leurs
amours, & aprés ce que
Madame de Valoury a
fait, l'on peut dire avec
raison que rien ne leur
est impossible ; avoir eu
89
le secret de devenir une
seconde bonne fortune
à son mary, l'avoir fait
trouver plusieurs fois à
deux & trois heures
aprés minuit à des rendez-vous, luy avoit causez de ces sortes de transports, dont les Amans
les plus passionnez sont
capables, & enfin en
avoir tiré un bel enfant ;
dites-moy, n'este-ce pas là
l'entendre ? Cela est fort
plaisant, répondit Madame de Seliny, je vous
90
prie, Monsieur, expliquez-vous. Madame
de Valoury, reprit le
Chevalier, aimoit éperdûment son mary, il
n'avoit cependant pour
elle que du dégoust, il
ne pouvoit souffrir sa
compagnie, & faisoit
lit à part, ce qui jettoit
cette pauvre femme dans
le dernier chagrin ; comme elle cherchoit un
jour la cause d'une semblable conduite, il luy
vint dans l'esprit qu'il
91
faloit que son mary fust
engagé ailleurs ; elle découvrit que c'estoit auprés d'une jeune veuve
de son voisinage ; elle
fit societé avec elle,
& la ménagea avec
tant d'estprit & d'adresse
qu'elle devint sa meilleure amie. Cette veuve avoit un Procés contre les Parens de son
mary sur sa Qualité de
veuve, & sur l'estat de
ses enfans ; elle n'estoit
pas des plus accommo
92
dées, & ce Procés la
consumoit en frais. Madame de Valoury profita
de cette occasion, elle
solicita pour elle auprés
de ses Juges, luy presta
de l'argent, & enfin luy
rendit tant d'autres services qu'elle l'engagea
entierement dans ses interests ; elle y eut d'autant moins de peine que
le cœur de cette veuve
avoit pris party ailleurs,
ce qui l'obligea de faire
confidence à Madame
93
de Valoury de la passion
que son mary avoit pour
elle, des discours qu'il
luy avoit tenus, des presens qu'il luy avoit voulu
faire, & enfin des
manieres vives avec lesquelles il la pressoit.
Madame de Valoury
voulut qu'elle ne refusast point l'argent ny les
presens, offrant de livrer
la marchandise pour elle ;
& voicy comment de
concert elles conduisirent l'affaire. La veuve
94
receut l'argent & les
presens, & feignit de se
rendre ; mais ce qui luy
sembloit le plus difficile,
à ce qu'elle disoit à
aloury, estoit de trouver un lieu pour le rendez-vous, parce qu'elle
estoit observée de fort
prés par ses Parties,
que sa femme de Chambre ne la quitoit point
toute la journée, qu'elle s'en défioit, qu'elle
avoit une petite fille
éveillée qui observoit
95
tout de fort prés, &
qui parloit beaucoup, &
qu'ainsi elle avoit de
grandes mesures à garder avec ces deux personnes, à moins qu'elle
ne voulust se perdre.
Valoury voyant les difficultez qui se trouvoient pendant le jour
offrit de venir la nuit,
quand tout le monde
seroit couché ; il luy dit
qu'elle n'avoit qu'à luy
donner le passe-par-tout,
& comme pour l'aller
96
trouver il n'y avoit
qu'une salle à passer dans
laquelle personne ne couchoit, il s'y rendroit
sans estre vû & sans
bruit, & qu'avant le
jour il se retireroit. La
veuve luy representoit
que sa femme de Chambre & sa petite fille
couchoient dans un petit cabinet à costé de sa
chambre, & qu'il ne faloit ny parler ny faire le
moindre bruit. Le passe‑par-tout donné, Valoury
97
ne manqua point au
rendez-vous. Madame
de Valoury s'estoit mise
à la place de la veuve,
& la veuve s'estoit retirée dans une autre
chambre : Valoury se
plaça auprés de sa femme sans bruit & sans
que personne du logis
s'en apperceut : Elle ne
parloit point, & il ne
pouvoit la voir à cause de
l'obscurité ; si bien qu'elle n'eust pas de peine à
98
passer pour la veuve dans
un lieu, où il ne pouvoit
concevoir qu'il y eut
une autre femme. Jamais homme ne fut si
charmé de sa bonne fortune, ny dans des ravissements de plaisirs
plus grands : Enfin la
pauvre femme craignoit
pour la vie de son mary,
ou du moins pour sa
santé ; le jour approchant il se retiroit, &
continua ce petit com
99
merce quelque temps ;
ce qu'il y a de plaisant
ce sont les conversations
qu'il avoit pendant le
jour avec cette veuve,
touchant les plaisirs de
la nuit ; elle étouffoit
quelque-fois de rire,
tant il poussoit l'exageration : Pour s'en mieux
divertir elle luy demandoit froidement la difference de ceux qu'il goûtoit avec sa femme.
Avec ma femme, ré
100
pondit-il, je n'en ressens
aucun, ce n'est que par
devoir ou plûtost par
necessité, & si je n'avois
besoin d'elle pour trouver de l'argent chez le
Notaire, je ne pourois
jamais m'y resoudre :
Elle a, continuoit-il, la
chair molle, la peau
rude, elle n'a point de
gorge, elle est seiche,
ses lévres sont froides
& glacées, se peut-il
rien de plus dégoûtant.
101
Il faut avoüer, dit Madame de Seliny, en élevant les yeux & les
mains au Ciel qu'il y a
d'étranges manies sur le
chapitre de l'amour ;
Valoury ne peut souffrir
sa femme, quand il la
connoist ; elle a la chair
molle, la peau rude,
elle n'a point de gorge,
elle est seiche, & les
lévres sans feu ; & cependant quand il ne la
reconnoist pas pour sa
102
femme, & la prend
pour un autre, il ne luy
trouve aucun de ces
défauts, & il a pour elle
toute la tendresse &
l'empressement possible :
Mais d'où vient cela,
continua-t'elle, qui m'en
peut donner une bonne
raison. Il la prenoit,
répondit le Chevalier,
pour une autre que sa
femme ; changement de
mets réveille l'appetit.
Ce raisonnement n'est
103
pas juste, reprit Madame
de Seliny, puis qu'il
trouve le mesme objet
tantost desagreable &
dégoûtant, & tantost
agreable & charmant.
C'est peut-estre, reprit Berly, parce que
comme les plaisirs des
personnes mariées sont
permis, ils ne touchent
point vivement les sens ;
la loy, & la deffence
sont des assaisonnemens
au plaisir, & je me
104
souviens à ce sujet
d'un mot libertin que
j'ay oüy dire souvent
en Italie pour exagerer le plaisir sensible,
quale gusto si fosse peccato.
Ce raisonnement n'est
pas juste, reprit Madame de Seliny, Madame
de Valoury aime avec
passion son mary, &
dans vostre pensée elle
ne devroit pas l'aimer,
puissque ce n'est pas un
peché en elle de l'ai
105
mer : Je vois, continua‑t'elle, que la veritable
raison est celle que je
vous disois tout à l'heure,
qui est, que l'amour meur
dés qu'il n'agit point ;
Valoury n'avoit rien à
souhaiter de sa femme,
elle estoit toute à luy,
il desposoit comme il
vouloit de son cœur &
de sa personne, & voilà ce qui étouffe l'amour : Pour sa Maistresse, il n'alloit que dans
106
certaines heures de la
nuit chez elle ; il y avoit
sans doute du peril, il
sentoit quelquefois des
craintes & des frayeurs,
& c'est ce qui nourrissoit
son amour, & ce qui
redoubloit ses empressemens, & ses transports pour sa femme,
quand il la prenoit pour
sa Maistresse : A ce propos je me souviens,
continua-t'elle, d'une
Dame de mes amies qui
107
a plus de quarante ans
bien comptez, & pour
qui le mary a autant
d'empressement que le
premier jour qu'il l'a épousée ; voicy comment
elle se l'est conservé ;
elle est fiere, & ne luy
souffre jamais de familiarité ; son lit est à
part, & si le mary veut
passer la nuit avec elle,
elle fait la difficile, l'em
108
portée, luy fait acheter ses faveurs, & se
fait donner chaque fois
un bijou.
Fin de la premiere Partie.
Cul de lampe fleuri.
109
Bandeau fleuri.
PHILOGAME ET ANTIGAME, OU LES AGRÉEMENS ET LES CHAGRINS DU MARIAGE NOUVELLE GALANTE. Seconde Partie.
Lettrine fleurie.
DANS le temps que
Madame de Seliny parloit ainsi,
un Laquais vint l'avertir
110
que la Baronne de Chardonnay & la Comtesse de
Réal, accompagnées du
Vicomte du Pin & du
Commandeur de Fuissé
venoient luy rendre visite : Ah ! Messieurs,
s'écria Madame de Seliny, que vous allez avoir
de plaisir d'entendre parler sur le sujet de vostre
conversation cette Compagnie ; ces deux femmes, outre qu'elles sont
des plus jolies de Paris,
ont de l'esprit comme
111
des Anges ; dans le moment qu'elle parloit ainsi,
cette Compagnie entra ;
les premieres civilitez
faites & chacun placé,
l'Abbé Sophin prenant la
parole leur dit : Que nous
avions besoin de vous,
Mesdames pour décider
une difficulté qui est
entre Philogame & Antigame sur le Mariage ;
Philogame prétend qu'il
y a bien plus d'agréement, & moins de chagrins dans la vie d'un
112
homme marié, que d'un
homme qui ne l'est
point ; Antigame est
d'avis contraire. Qu'en
pensez-vous, Mesdames,
interrompit Madame de
Seliny. Cela dépend du
choix de la personne,
repartit la Baronne de
Chardonnay. Il est presque impossible, Madame, reprit Antigame,
de bien choisir dans un
temps où une fille se
déguise & paroist toute
autre qu'elle n'est, ou
113
qu'elle sera, que cela se
fasse par temperament
ou par déguisement,
l'on n'en souffre pas
moins. Une fille, continua la Baronne, de
quelque maniere qu'elle
s'observe, ne peut si bien
se démonter qu'elle se
dérobe aux yeux des
clairs-voyans. Eh bien !
Madame, reprit Antigame, quelle qualité souhaitez-vous qu'elle ait
pour en faire une bonne
femme. Qu'elle soit sage,
114
repartit la Baronne, devote, qu'elle ait de l'esprit, & qu'elle aime son
mary. J'en ay vû, repartit Antigame, quelques-unes qui passoient
dans le monde pour
avoir toutes ces qualitez, & dont les maris
n'estoient pas plus heureux ; quel chagrin,
quelle contrainte, un
mary n'a-t'il pas à souffrir d'une femme qui
passe pour estre sage ;
elle est presomptueuse,
115
fiere, & remplie d'ellemesme ; son mary ne
fait jamais rien de bien,
à tout moment elle combat ses sentimens &
conduite ; elle veut tout
conduire, tout regler,
& s'imagine que son
mary (parce qu'elle ne
vit pas dans le déreglement comme les autres
femmes) luy doit avoir
les dernieres obligations
d'une vertu dont sa vanité doit seule luy tenir
compte : Le mary d'une
116
devote n'en aura pas
meilleur marché, elle se
laissera conduire par des
esprits faux & interessez
qui broüilleront sa cervelle, déregleront sa
conduite, garniront son
alcove de teste de mort,
la feront habiller d'une
maniere singuliere & extraordinaire, & qui sous
pretexte de devotion
l'engageront à faire jeûner & mourir de faim
son mary, ses enfans &
ses domestiques, & à
117
faire par ses bizarreries,
& par ses chagrins un
enfer de sa maison ; une
femme spirituelle n'est
gueres moins à craindre ;
elle est insolente, opiniâtre & dénaturée ; elle méprise son mary, le traite
d'ignorant, & il n'y a
rien de bien pensé que ce
qu'elle imagine, & au
lieu de veiller à ses affaires domestiques, elle
ne pense qu'à remplir
des bouts rimez, qu'à
faire des vers, & à
118
chercher tous les mois
une bonne place dans le
Mercure galant ; quoyque la femme qui aime
son mary semble estre
le meilleur partage, neanmoins elle n'est pas la
moins incommode, &
la moins à charge ; le
mary dés qu'il est arrivé à un certain point,
n'a plus d'empressement
ny de tendresse pour sa
femme ; cependant quand
sa femme l'aime, elle
s'apperçoit bien-tost de
119
son indifference ; la jalousie s'y mesle, ce ne
sont nuit & jour que
reproches ; à l'entendre
parler le mary est un
traistre, un perfide & un
scelerat ; quelques innocentes que soient ses actions, elles les explique
criminellement, & sur
un leger soupçon, elle
écrit ou à un Mary ou
à un Galant que sa femme ou sa Maistresse le
trahissent ; si son mary
rit ou raille avec elle, ou
120
la caresse ; c'est, dit-elle,
qu'il mesnage quelque
nouvelle trahison, s'il
resve ou s'il a du chagrim, c'est d'estre avec
elle, & de l'impatience
d'estre avec sa Maistresse.
Vous avez oüy parler de
cette femme qui sur le
soupçon qu'elle eust
qu'un habit magnifique
que son mary s'estoit fait
faire estoit pour plaire à
une femme qui avoit
une garniture de rubans de mesme couleur,
121
jetta l'habit dans le feu
avant que le mary fut
levé : De cette autre
qui déguisée en Laquais
suivoit son mary par
tout pour sçavoir ses intrigues ; Et de cette
autre qui transportée de
jalousie alla attendre sur
un grand chemin la
Maistresse de son mary,
& qui pour luy donner
du mépris & du dégout
de sa personne fit commettre sur elle par son
122
More, & par ses autres
salets des actions honteuses, & la fit traiter
comme une infâme prostituée : Avoüez aprés
cela qu'un mary qui est
ainsi aimé de sa femme
n'a pas peu à souffrir.
Vous outrez les caracteres, reprit Philogame,
une femme peut estre
sage & devote sans estre
chagrine & incommode ;
spirituelle sans estre visionnaire & superbe, &
123
aimer son mary sans estre
jalouse. Il n'y a gueres
de femmes, repartit Antigame, qui se tiennent
dans ce juste milieu, il y
entre toûjours de l'excés dans tout ce qu'elles
font. Pour moy, dit le
Commandeur de Fuissé,
si j'avois à choisir une
femme, je la prendrois
jolie, spirituelle & enjoüée ; je voudrois qu'elle aimast tous les plaisirs, le jeu, le bal, la
124
promenade & la bonne
chere, en un mot qu'elle ne pensast qu'à se
divertir. Vous raisonnez en Commandeur,
répondit Antigame, c'est
à dire en homme d'une
profession à changer de
femmes ; mais un mary
n'a pas cet avantage,
dés qu'il a possedé six
mois cette jolie femme ;
cette femme spirituelle
& enjoüée, qu'il l'a
veuë sortir de son lit,
125
le tein jaune, les lévres
pâles, les yeux battus,
le visage bridé d'une
cornette sans ajustement,
& qu'il l'a entendu parler & raisonner dans
ces temps negligez, &
quand elle ne s'observe point ou qu'elle est
chagrine : Adieu la tendresse, adieu la consideration, adieu l'estime ;
il luy ôte la bourse, il
luy refuse l'argent qu'elle veut pour ses habits,
126
pour ses ajustemens &
pour son jeu ; il la gronde, il s'en plaint, il fait
lit à part ; elle s'apperçoit bien-tost de ce
changement : Il faut
s'en vanger, dit-elle,
coliers, bagues, croix
de diamans, nippes,
bijoux & meubles, elle
met tout en gage pour
avoir de l'argent ; ne
suffit-il pas, il faut se
faire separer, c'est un
dissipateur, crie-t'elle
127
aux Juges, il a des
Maistresses en Ville, &
il a attenté à ma vie ;
enfin mensonges, artifices & supporsitions,
tout est de saison pour
elle : Dans cet intervalle l'Amant officieux
tend les bras, elle s'y
jette : Cet Amant fait
comme le mary, il la
méprise, il s'en dé
goute & la quitte :
Elle en prend un autre, & puis un autre ;
128
& promenant ainsi ses
faveurs de Galant en
Galant, elle se perd de
reputation et d'honneur
dans le monde : Le mary
apprend tout cela, il
n'oseroit s'en plaindre
en Justice, il ne trouveroit point de Témoins, & cette seule
plainte suffiroit pour le
faire succomber dans la
demande en separation,
& pour le faire condamner à restituer la dot
129
dont sa femme a consumé la meilleure partie.
Jugez aprés cela, s'il
y a de l'avantage à épouser une belle femme.
Eh bien ! épousez la
donc sotte & laide,
reprit le Commandeur.
Je n'aimerois point, repartit Antigame, à rougir dans le monde des
ingenuitez & des sottises de ma femme. Pour
laide, je ne luy conseille pas, continua le
130
Chevalier, il faudroit
qu'elle payast, & cela
est d'une grosse dépense
dans une maison. Vous
faites le difficile & le
beau raisonneur, interrompit la Comtesse de
Réal, en s'adressant à
Antigame ; cependant
ce sont les gens faits
comme vous qui y sont
les plûtost pris, & à
dire les choses comme je
les pense, il est plus honneste & plus avantageux
131
à un homme de se marier, que d'y renoncer toute sa vie : Oüy,
continua-t'elle, aprés
avoir vû la vie, & la
fin de Singamis &
d'Agamis, je conseilleray toûjours à un homme de se marier. Alors
toute la Compagnie qui
estoit partagée sur le
sentiment de Philogame
& d'Antigame eut la
curiosité d'en sçavoir
l'Histoire, & pria la
132
Comtesse de leur en faire
le recit, ce qu'elle fit en
ces termes.
Cul de lampe avec cupidons soutenant une corbeille de fleurs.
133
Bandeau fleuri.
HISTOIRE DE SINGAMIS ET D'AGAMIS
SIngamis & Agamis
estoient deux freres
sortis d'une illustre Famille, leur fortune estoit
134
considerable, de belles
terres estoient substituées à leurs enfans.
La meilleure amie que
leur mere eut au monde
estoit ma mere, en mourant elle leur avoit ordonné de suivre ses sentimens, ils s'en estoient
bien trouvez dans les
commencemens, si bien
qu'ils ne faisoient point
d'affaires de consequence sans les luy communiquer. L'âge auquel
Singamis & Agamis de
135
voient penser à se marier estant arrivé, ma
mere leur en parla : Son
avis estoit qu'ils se mariassent tous deux ; la
Religion, & les belles
terres qui leur estoient
substituées luy servoient
de raison ; ny l'un ny
l'autre n'y vouloient entendre : Agamis qui étoit l'aisné y avoit une
repugnance invincible
qu'elle ne pût surmontter ; & à l'égard de Singamis, quoy qu'il fit
136
fort le difficile, neanmoins elle le ramena,
& se chargea du soin de
luy chercher une femme ; voicy comment elle
s'y prit : Elle vouloit que
la femme eust du bien,
mais elle ne s'arrestoit
pas à un peu plus ou
un peu moins ; elle demandoit sur tout qu'elle
fut née d'une mere sage
& vertueuse qui luy eut
donné une bonne education ; persuadée que
la fille devoit avoir les
137
inclinations de sa mere ;
elle en estoit si prévenuë & l'avoit observé
si souvent, que quand
on luy parloit de la coquetterie de quelque jeune femme, elle ne manquoit jamais d'aller déterrer sa deffunte mere
pour faire voir que la
fille ne faisoit rien que
la mere n'eust fait ; elle
ne demandoit pas une
grande beauté, disant
que les suites en estoient
dangereuses, & pourvû
138
qu'une fille n'eut rien
de choquant dans son
visage & dans sa taille,
& qu'elle eut l'air d'une
honneste personne, elle
s'accommodoit du reste ;
parce que, disoit-elle,
que quelque dépourvûë
de beauté que soit une
fille, si elle est modeste
& sage, elle trouve
toûjours à qui plaire.
Elle estoit donc de l'avis
du je ne sçay quoy,
interrompit le Vicomte
du Pin. Il estoit bien
139
necessaire, reprit brusquement la Comtesse de
Réal, de m'interrompre : Je declare que si
vous y revenez, je croiray que mon Histoire
fatigue, & je me tairay ;
Oüy, Monsieur le Vicomte, reprit-elle, en
soûriant, & en se remettant de sa brusquerie :
Elle estoit tellement prévenuë que nous sentions
les uns pour les autres
certain je ne sçay quoy
d'amitié ou de haine,
140
qu'avant que de se déterminer aux choix de
Sophronie dans laquelle
elle trouvoit toutes les
qualitez qu'elle demandoit pour faire une femme raisonnable ; elle voulut
sçavoir, si le je
ne scay quoy ne seroit
point contraire à ses desseins ; voicy comment
elle s'y prit. Un jour
ayant fait trouver à une
assemblée Singamis &
Sophronie sans qu'ils se
connussent, & sans qu'ils
141
eussent la moindre veuë
de ses desseins ; elle se
mit à railler Sophronie,
à la pousser vivement,
& à la tourner mesme
en ridicule sur quelque
chose ; ce n'estoit que
pour observer Singamis, & sçavoir ce qu'il
sentiroit pour Sophronie ; dans ce moment le
je ne scay quoy y estoit.
Le pauvre garçon souffroit plus que Sophronie, il faisoit tout de
son mieux pour la def
142
fendre, & en sortant il
avoüa de bonne-foy à
ma mere qu'il avoit eu
contre elle du chagrin
de la voir si mal mener
cette pauvre fille : Ma
mere sans se découvrir
luy en fit de petits reproches, & luy disant
qu'elle n'avoit rien de
beau, tira de luy un
aveu qu'elle luy plairoit
plus qu'un autre ; c'est
ce que ma mere demandoit ; elle ne luy fit plus
de mistere de ses desseins,
143
& aprés luy avoir rendu
raison de tout ce qu'elle
avoit fait, elle le fit
consentir à épouser Sophronie : Ce qu'il y a de
singulier est qu'encore
que plusieurs autres jeunes-gens eussent pris le
party de Sophronie, contre ma mere ; elle n'avoit de la reconnoissance, & n'estoit sensible
qu'à ce qu'avoit fait
Singamis, & ne pouvoit s'empescher de s'en
loüer incessament ; com
144
me ma mere apprit dans
la suite, aussi ne tarda‑t'elle gueres à faire ce
mariage. Ah ! Antigame, s'écria la Comtesse
de Réal en cet endroit,
que vous changerez bien
de sentimens quand vous
aurez vû les manieres
differentes de ces deux
freres dans le cours de
leurs vies & dans leurs
morts. Ce n'estoit que
douceurs, qu'agréemens,
que consolations, que
repos de conscience, &
145
que gloire pour Singamis ; que honte, que
mépris, que chagrins,
que desespoir, que remors pour Agamis, comme vous allez voir.
Sophronie estoit officieuse, humble & discrette avec son mary ;
elle avoit dans son domestique une grande
douceur meslée d'un peu
de severité, avec laquelle elle sçavoit se faire
aimer, & engageoit un
chacun à faire son de
146
voir, sans jamais crier
ny quereller ; & si quelque chose n'alloit pas
dans l'ordre, avec des
raisons fines, & adroitement inspirées, elle ramenoit les esprits & les
portoit à se faire justice
les premiers ; il ne se
pouvoit qu'avec une
conduite aussi honneste
& aussi engageante, elle
ne touchast le cœur de
Singamis : Cependant
pour estre marié, il ne
laissoit pas d'avoir quel
147
que reste de ses premieres inclinations, soit
pour la table, soit pour
le jeu, soit pour ses
anciennes Maistresses.
Singamis aimoit à regaler ses amis, Sophronie les recevoit le mieux
du monde ; elle avoit
doûjours un visage ouvert & riant ; elle disoit
cent jolies choses, &
tout estoit si bien ordonné chez-elle, qu'ils
s'y plaisoient plus que
par tout ailleurs. Quand
148
Singamis revenoit du
jeu fort tard, elle estoit
la premiere à luy ouvrir
la porte avec un air gay
& caressant, & s'il se
plaignoit de ce qu'elle
ne s'estoit point couchée, elle luy répondoit que ses Domestiques avoient veillez les
nuits precedentes, &
qu'elle vouloit veiller à
son tour, afin qu'ils fussent plus en estat de luy
rendre service le lendemain ; qu'elle pouroit
149
dormir la matinée, &
qu'enfin elle estoit bien‑aise de boire avec luy
Lorzat, le Sorbec11, ou
la liqueur qui estoit de
saison, & qu'elle avoit
soin de tenir toûjours
preste à son arrivée ; si
elle remarquoit sur le
visage de son mary quelque chagrin pour la
perte qu'il avoit faite
au jeu, sans témoigner
qu'elle s'en appercevoit,
elle luy parloit de gens
qui devoient luy appor
150
ter bien-tost de l'argent,
& tournoit toûjours l'état de leurs affaires du
meilleur costé ; ce qu'elle avoit le plus de peine
à digerer estoit le commerce de son mary avec
ses anciennes Maistresses, elle ne s'en plaignoit point, & ne luy
en faisoit pas un plus
meschant visage ; mais
quand elle avoit fait
quelque nouvelle découverte là-dessus, elle
se retiroit dans son cabi
151
net & fondoit en larmes.
Si son mary la surprenoit en cet estat essuyant
promptement ses yeux
& cachant sa douleur,
elle reprenoit son premier visage, & vivoit
également avec luy ; &
si Singamis vouloit aller
au devant & se justifier, elle recevoit tout ce
qu'il disoit d'un air doux
& soûmis, luy faisoit
entendre qu'elle ne se
croyoit pas assez de merite pour le posseder tout
152
entier, & qu'elle n'estoit
pas née pour un si grand
bon-heur. Quoy qu'une
conduite aussi sage, &
aussi touchante que celle
de Sophronie fut capable de retirer Singamis
de toutes ses jeunesses &
de ses libertinages ; un
fils & une fille qu'elle
avoit de luy, & ausquels
elle avoit donné une tres‑belle education luy furent d'un grand secours :
Ces Enfans chantoient,
dansoient & joüoient
153
fort bien du Clavesin ;
ils sçavoient le Blazon12,
la Geographie, la Chronologie & l'Histoire.
Admirez, je vous prie,
combien une femme
honneste, spirituelle &
aidée par des Enfans aimables, & bien élevez
a de pouvoir sur l'esprit
de son mary pour le ramener à son devoir :
Cét homme qui n'aimoit
que le gros jeu, les
grands repas, les femmes
& la débauche, ne joüe
154
plus qu'avec ses Enfans,
ne veut plus manger que
dans sa maison, & ne
peut plus souffrir d'autre compagnie que celle
de sa femme. Je ne puis,
disoit-il, souvent à ma
mere, je ne puis assez
admirer mon changement ; j'ay fait ce que
j'ay pû avant que d'estre
marié pour me guerir
de la passion du jeu ;
j'estois incessament au
Cabaret, & parmy les
femmes, nonobstant les
155
reproches que je m'en
faisois, & les remors que
j'en souffrois ; & presentement j'ay un si grand
dégoust, & une si grande horreur pour ces sortes de choses, que je ne
puis concevoir quelle
satisfaction j'y trouvois
alors ; mon unique plaisir est d'estre avec ma
femme & mes Enfans ;
je passe les journées le
plus agreablement du
monde à les voir joüer
& se caresser, & toute
156
mon ambition ne tend
qu'à leur donner une
belle education, & qu'à
leur faire une grosse fortune. Comme la Comtesse de Réal parloit ainsi,
la Baronne de Chardonnay prenant la parole,
luy dit, Madame l'on
ne peut avoir plus de
plaisir que nous en avons
à vous entendre, &
nostre party est pris de
ne vous point quitter
que nous n'ayons oüy la
fin de vostre Histoire,
157
quoy que l'heure de la
Comedie approche, &
que nous nous soyons
engagez à nous y trouver, comme vous sçavez.
Je vous entens, reprit la
Comtesse de Réal, vous
voulez que je finisse ; je
vous obéïray, Madame,
aussi bien Antigame souffre trop au recit des plaisirs que Singamis a trouvez dans le mariage ; mais
qu'il ne s'y trompe pas,
je le tiens encore plus mal
diverty dans tout ce que
158
j'ay à luy dire sur le Chapitre d'Agamis.
Pour finir, continua
la Comtesse, Singamis
& Sophronie ayans mis
toute leur occupation &
leur plaisir à former l'esprit, & le cœur de leur
fils & de leur fille, & à
leur amasser du bien, en
firent des personnes achevées, les rendirent les
meilleurs partis de Paris,
& les marierent à des
personnes qui appartenoient aux Ministres,
159
ce qui leur donna une
grande élevation dans le
monde ; & fit que Singamis ayant eu occasion
de faire connoistre son
merite, le Roy luy donna un employ considerable dans lequel il vieillit avec honneur, &
mourut avec constance
& avec fermeté entre les
bras de sa femme qui le
consoloit dans ses derniers momens, en luy
disant que ce n'estoit pas
mourir que de laisser au
160
monde des Enfans faits
comme les siens. Aprés
sa mort Sophronie disposa de ses biens, & se
retira dans un Convent,
où elle mourut en odeur
de sainteté.
Vous venez de voir,
continua la Comtesse,
la vie & la mort de
Singamis, qui s'estoit
marié par le conseil de
ma mere ; vous allez
oüir la vie & la mort
d'Agamis son frere qui
ne voulut jamais y en
161
tendre ; aprés quoy vous
jugerez si je n'ay pas
raison de conseiller le
mariage.
Agamis jeune, bien
fait, riche, de qualité,
galant, sans femmes, &
sur le pied de ne vouloir
jamais se marier, ne
manqua pas de trouver
de ces sortes de bonnes
fortunes aprés lesquelles
les jeunes gens courent
avec tant d'avidité ;
cependant passer des
heures entieres caché
162
dans un cabinet & quelques fois dans une armoire, sans oser presque respirer ; d'autresfois descendre promptement avec des draps
noüez par la fenestre
d'une chambre dans la
ruë à la faveur des tenebres, & dans la crainte
d'estre surpris par le
Guet : Entendre en se
retirant chez soy sifler
à ses oreilles les balles
de mousquet, estre attaqué par des Assassins ;
163
ingratitude & infidelité
de Maistresses, Medecin, Chirurgien, la pluspart du temps aux
trousses furent des raisons qui rebuterent Agamis de ces pretenduës
bonnes fortunes, & luy
firent prendre la resolution de s'attacher à une
seule personne avec laquelle il s'imaginoit pouvoir mener une vie
agreable & tranquile :
Il jetta les yeux sur
Scortine qui estoit une
164
fille sous la conduite
d'une mere peu commode pour le bien, &
femme à tout souffrir
pour un bon repas ou
pour le moindre profit ;
la friponne de Scortine
joüa bien son rôlle, ce
n'estoit pas une grande
beauté, mais elle avoit
dans son air & dans ses
manieres je ne sçay quoy
de tendre, & de touchant qui engagoit ;
aussi fit-elle faire bien
du chemin à Agamis.
165
A la voir vous l'auriez
prise pour la fille de
France la plus sage, &
elle avoit déja trompé
bien des gens qui l'avoient regardée comme
une bonne fortune :
Agamis donna dans le
piege plus avant que
tous les autres ; Billets 13
doux, vers, declarations
d'amour, Comedies,
Opera, bagues, croix de
diamans, & coliers de
perles ; enfin tout fut
mis en usage avant que
166
d'écouter Agamis : Encore luy fit-elle entendre
qu'elle ne se rendoit qu'à
la violente passion qu'elle avoit pour luy. Un
jour comme elle estoit
pressée (jugez du caractere de cette artificieuse elle se jetta aux
pieds d'Agamis, luy
protesta qu'elle n'avoit
jamais aimé personna autant qu'elle l'aimoit, &
luy serrant les genoux &
fondant en larmes, elle
le prioit instament de
167
ne la point perdre en faisant un meschant usage
de la tendresse qu'elle
avoit pour luy. Ce discours arresta tout court
Agamis, il estoit ennemy des violences. Vous
ne m'aimeriez plus, mon
cher, continua-t'elle, &
ensuite se levant comme triomphante, elle
sa va jetter dans un fauteüil d'où elle regardoit
Agamis avec des yeux
insultans : Le pauvre
Garçon m'a avoüé depuis
168
qu'il avoit esté sur le
point d'aller luy demander pardon, lors que
Scortine se mettant à
rouller des yeux languissans feignit de s'évanoüir : Agamis vint à
son secours, & insensiblement oubliant sa
vertu, il se laissa aller au
transport de son amour.
Non ! Lucrece violée ne
fit point voir des sentimens de douleur & de
vangeance si vifs, & si
ardens ; vingt fois elle
169
sauta à l'épée d'Agamis,
& vingt fois elle feignit
de vouloir se tuer. La
fourbe, l'artificieuse,
c'estoit pour donner une
plus grande idée d'elle à
Agamis.
Vous jugez bien qu'ayant commencé par ce
premier personnage, elle
en fit bien d'autres. A
en juger par les apparences, elle avoit une
inclination pour Agamis
au de-là de tout ce que
l'on peut concevoir, au
170
moindre petit mal, ou
moindre chagrin qu'il
avoit, elle estoit desolée. Non jamais fille n'a
paru si desinteressée ;
elle auroit, disoit-elle,
sacrifié, biens, vie &
honneur pour luy ; elle
avoit haï generalement
tous les hommes, &
elle ne pouvoit concevoir comment elle
avoit esté capable d'une
si violente passion pour
Agamis ; cependant tout
cela n'estoit qu'artifice,
171
& que fourberie, où
l'interest seul avoit part ;
& ce n'estoit pas une
affaire pour elle d'entretenir deux & trois hommes ; cependant le pauvre Agamis donnoit grossierement dans le panneau, il se croyoit le
plus heureux de tous les
hommes d'avoir trouvé
une personne si raisonnable, si vertueuse, &
qui l'aimoit si tendrement ; ce qui fit qu'il se
détacha de tout autre
172
engagement pour se donner entierement à elle ;
dés qu'elle s'en fut apperçûë, elle commença
par se rendre Maistresse
de sa maison, elle y mit
des Domesstiques de sa
main ; elle voulut avoir
la bource en faisant la
bonne Econome, & mesnagea son esprit de telle
sorte qu'elle le broüilla
avec sa famille, & le fit
rompre avec tous ses
anciens amis. Enfin tout
n'alloit chez luy que par
173
l'ordre de Scortine : Elle
eust un fils, le mal-heureux Agamis en estoit
fol, il ne pensoit qu'à
tromper la loy pour le
rendre Maistre de tout
son bien aprés sa mort :
Scortine profitant de
cette occasion, luy fit
faire dans une maladie
qu'il eut plusieurs Obligations à son profit, &
à celuy de quelques-uns
de ses Galans : Agamis
croyoit de ne rien risquer estant maistre des
174
Obligations. Pour conclusion le fils de Scortine donna mille chagrins à Agamis ; il passoit les journées entieres
dans le cabaret, & dans
de meschans lieux ; il ne
frequentoit que des Filoux : tantost on le rapportoit plein de vin, &
sans connoissance ; d'autresfois dangereusement
blessé ; un autre jour il
faloit le cacher, parce
qu'il avoit blessé ou tué
quelqu'un ; d'autresfois
175
il estoit dans les cachots,
& à la veille d'une condamnation honteuse &
infâme. Enfin il poussa
si loin sa brutalité qu'il
voulut battre, & mesme
tuer plusieurs fois Scortine & Agamis. Scortine ne vescut pas mieux
dans la suite que son fils ;
elle se donna à mille
Coquins avec lesquels
elle beuvoit, & faisoit
cent autres infamies qui
acheverent de perdre sa
reputation & de ruiner
176
sa santé ; elle communiqua son mal à Agamis
qui commença à le reconnoistre, & voulut
prendre des mesures pour
se tirer de ses mains ;
mais elle s'en apperçu,
ce qui fit qu'elle luy
donna un poison lent,
luy vola la clef de son
cabinet, & prit son
argent, & toutes les
Obligations qu'il avoit
signées pendant sa maladie ; se retira de la maison d'Agamis, & en
177
vertu de ces Obligations,
elle fit saisir tous ses
biens, & l'en dépoüilla
entierement ; de sorte
que le pauvre Agamis
abandonné & méprisé
de tout le monde, gâté
& perdu par les maux,
& par le poison qu'elle
luy avoit donné, mourut dans une extrême
misere & dans le dernier
desespoir.
La Comtesse de Réal
n'eut pas si-tost cessé de
parler, que toute la Com
178
pagnie se declara pour
le mariage, & fut du
sentiment de Philogame. La Marquise de
Seliny se declara plus
fortement que les autres, elle disoit qu'une
honneste femme a toûjours dans le cœur de
certains sentimens de
vertu qui donnent incomparablement plus de
satisfaction que les manieres déreglées d'une
Concubine, & que l'enfant legitime se sent
179
toûjours de la dignité
de son origine ; au lieu
que l'enfant naturel exprime le plus souvent
dans ses actions la honte
de sa naissance, & le
déreglement des mœurs
corrompuës de son pere
& de sa mere ; & finit
en disant d'un ton railleur & piquant, qu'il
faloit avoir l'esprit d'un
caractere bien extraordinaire, & bien bizarre
pour soûtenir une opinion contraire : Anti
180
game ne laissoit pas de
persister dans son avis ;
il prétendoit mesme que
l'on n'avoit jamais vû
d'enfant naturel ny de
Concubine, commettre
des actions aussi énorme & aussi dénaturées
que celles qui avoient
esté commises par des
enfans, & des femmes
legitimes. N'avons-nous
pas vû, disoit-il, une
fille legitime nourir pendant trois années, &
mettre à l'execution l'hor
181
rible dessein d'empoisonner son propre pere qui
l'aimoit tendrement, &
dont elle avoit receu
mille biens-faits : A-t'on
jamais rien oüi de pareil
d'un enfant naturel ?
Tout fraischement ne
venons-nous pas de voir
une femme donner de
l'argent pour faire assassiner son mary. Une autre susciter à son mary
une accusation calomnieuse qui devoit l'exposer aux supplices les
182
plus cruels, & les plus
infâmes : Sont-ce là des
actions qui soient jamais tombées dans la
pensée d'un enfant illegitime & d'une Concubine ; & cependant ce
sont des crimes qui ont
esté executez par des
enfans & par des femmes
legitimes, & de qualité.
L'on dit que Scortine
a empoisonné Agamis,
quelle apparence ! sa
mort auroit fait trop de
bruit dans le monde, &
183
une action si noire n'auroit pû éviter les rigueurs
de la Chambre ardente ;
pour l'avoir volé, cela
pouroit estre ; mais combien de femmes en ont
fait autant, continua‑t'il, en regardant avec
un souris malicieux la
la Marquise de Seliny,
& ont plié la toilette de
leurs maris ; elle en rougit : La Baronne s'en apperceut, & craignant
que la conversation ne
s'échauffast, pour dé
184
tourner les coups, elle
se leva brusquement, &
jettant les yeux sur sa
montre, elle dit qu'elle
craignoit que la Comedie ne fut commencée,
& qu'il ne faloit point
perdre de temps, & y
aller, ce qu'elle fit
avec toute la Compagnie, excepté Philogame, Antigame & l'Abbé
Sophin qui prirent le
party de la promenade.
Mais à peine le Carosse
estoit-il sorty du Faux
185
bourg Saint Germain,
qu'Antigame prenant la
parole, dit : Voilà des
femmes bien folles, &
bien dégoûtantes ; comment cette Baronne de
Chardonnay ose-t'elle
soûtenir avec un doigt de
blanc & de rouge sur le
tein cet air de prude :
Cette effrontée de Comtesse de Réal ne devroit‑elle pas mourir de honte
de reciter une Histoire
aussi impudente que celle de Scortine ; & de
186
cette friponne de Seliny, qu'en dites-vous ?
voler son mary, le quiter, & luy faire un Procés en separation, parce
qu'il l'aime trop : Que je
plains, continua-t'il, de
pauvres maris qui ont
de semblables femmes.
Ah ! que Lesbie est bien
éloignée de ces sortes de
deffauts. Toutes les femmes que je vois ne servent qu'à la rendre plus
aimable à mes yeux,
l'eau toute pure est son
187
fard, la rencontre des
yeux d'un homme l'a fait
rougir ; elle me garde
deux mille Loüis14 que je
tiens plus seurs que dans
mes coffres ; elle est si
des-interressée que je ne
pouvois l'obliger à recevoir le Rubis que je luy
ay donné. Tout ce qu'a
fait Lesbie pour vous,
interrompit Philogame,
n'approche point des
obligations que j'ay à
Fraudelise ; elle avoit
congedié Philabel ; elle
188
estoit à la veille de quiter le monde, & de s'engager dans un Convent ;
& pour moy seul elle a
changé de resolution, &
n'aime que moy.
Dans le temps que
Philogame parloit ainsi,
le Ciel vint à se couvrir
d'un nuage si épais & si
obscur, qu'à peine Philogame, Antigame &
l'Abbé Sophin pouvoient
à la faveur des éclairs
distinguer & reconnoître leur chemin ; ce qui
189
obligea le Cocher de
conduire promptement
son carosse dans le premier Cabaret. Philogame, Antigame & l'Abbé Sophin estant descendus de carosse entrerent
dans la premiere chambre
de ce Cabaret, ils y trouverent deux hommes qui
contestoient ensemble sur
la qualité & sur la beauté
d'un Rubis ; celuy qui
tenoit le Rubis dans sa
main, & qui en estoit
le Maistre, disoit que
190
c'estoit un Rubis d'Orient ; l'autre au contraire soûtenoit que ce
n'estoit qu'un Rubis balet. Antigame se souvenant, que quoy que
le Rubis qu'il avoit donné à Lesbie fut d'Orient,
il y avoit eu bien des
gens qui l'avoient pris
pour un Rubis balet,
eut la curiosité de voir
celuy que cet homme
tenoit ; si bien qu'avançant doucement par derriere, il le vid de fort
191
prés ; il luy sembla qu'il
avoit beaucoup de ressemblance avec celuy
qu'il avoit donné à Lesbie, ce qui luy causa de
l'émotion : L'homme qui
tenoit le Rubis ayant
tourné la teste & vû
Antigame en cet estat,
cacha promptement le
Rubis ; & nonobstant
la grosse pluye qu'il
faisoit, sortit du Cabaret accompagné de la
personne avec qui il
estoit.
192
Je voudrois bien connoistre, dit Antigame,
celuy à qui appartient le
Rubis. Je ne le connois
point, repartit Philogame ; pour celuy avec
qui il est ; je sçay son
nom, continua-t'il, c'est
Philabel, cet homme
qui aimoit éperduëment
Fraudelise, qu'elle ne
pouvoit souffrir, & qu'elle a chassé de chez-elle
à cause de ses manieres
libres & peu respectueuses. C'est le Maistre du
193
Rubis, interrompit Antigame, que je voudrois
connoistre ; il me semble, reprit-il, que ce
Rubis ressemble fort à
celuy que j'ay donné à
Lesbie, & je voudrois
bien sçavoir d'où cet
homme le tient. Ah ! le
jaloux ? ah ! le jaloux ?
répondit en riant Philogame, il croit que
Lesbie a donné son Rubis à cet homme. J'en
suis fort éloigné, repliqua Antigame, & je
194
connois trop Lesbie pour
luy faire cette injustice :
Oüy, la pauvre fille
pensa mourir de douleur
quand il fut tombé du
châton, & qu'elle l'eut
perdu, & j'eus toutes les
peines du monde à l'en
consoler.
Quoy qu'Antigame
fut bien persuadé de la
fidelité de Lesbie, neanmoins la maniere prompte & brusque avec laquelle cet homme avoit
caché son Rubis, sa sor
195
tie précipitée du Cabaret pendant une grosse
pluye, & la ressemblance qu'il trouvoit dans ce
Rubis avec celuy qu'il
avoit donné à Lesbie,
l'inquietoient & luy causoient un chagrin qui
fut apperçu de l'Abbé
Sophin, & qui l'obligea
d'appeller son Valet pour
luy ordonner de s'informer adroitement des
noms de ces deux hommes : Ce Valet luy témoigna qu'apparament il
196
n'auroit pas beaucoup de
peine à les apprendre,
qu'ils avoient renvoyé
dans ce Cabaret un Laquais pour attendre la réponse d'une Lettre qu'on
y devoit apporter, que
ce Laquais estoit un
nouveau débarqué, qu'il
seroit bien facile de faire
jaser avec une bouteille
de vin. Il y a un de ces
deux hommes, dit Antigame à ce Valet, qui
a un Rubis ; si tu pouvois apprendre, conti
197
nua-t'il, de qui il le tient,
& comment il l'a eu,
que je t'aurois d'obligations, & que je les reconnoistrois bien : Ce
Valet luy promit qu'il
alloit faire son possible
pour le satisfaire, & sortit ensuite de la chambre
à cet effet.
Cependant Philogame, Antigame, & l'Abbé Sophin se mirent à
raisonner sur ce qu'ils
venoient de voir. Antigame disoit que jamais
198
Rubis n'avoit mieux ressemblé à celuy qu'il avoit
donné à Lesbie que celuy-là, & qu'en les presentant ensemble, l'on y
seroit trompé. Philogame prétendoit que la
pluspart des Rubis se ressembloient, & qu'il estoit
bien difficile d'en reconnoistre la difference :
L'Abbé ne sçavoit non
plus que penser de la surprise, & de l'étonnement
de ces deux hommes, &
de leur prompte retraite
199
nonobstant la pluye.
Philogame avec un ai
fier & railleur soûtenoit
que Philabel touché de
ce qu'il alloit épouser
Fraudelise, n'avoit pû
supporter sa veuë, &
s'estoit retiré : Enfin chacun raisonnoit à sa fantaisie, quand le Valet
de l'Abbé vint leur apprendre que l'homme au
Rubis s'appelloit Cleante, qu'une Demoiselle
luy en avoit fait present & devoit encore
110 15
luy donner au premier
jour deux mille Loüis16
d'or, & se marier avec
luy : Que ce Laquais
qui estoit au service de
Cleante n'avoit pû luy
apprendre le nom de la
fille, mais qu'il luy avoit
seulement dit, Qu'un
jour cette fille & Cleante
estant dans un Cabinet
de verdure du jardin de
Saint Cloud17, & parlant
ensemble, il s'estoit caché derriere ce Cabinet,
d'où il avoit oüy tout
10118
ce qu'il venoit de dire.
Aprés que ce Valet
se fut retiré, Philogame
jettant les yeux sur Antigame pensif & resveur,
luy dit : C'est donc là ta
Lesbie, cette fille si touchée de ce que le Rubis
que tu luy avois donné
estoit tombé du châton :
Helas ! cet accident devoit luy presager que tu
cesserois de l'aimer ; elle
en devoit mourir, la
pauvre fille ; Remarque‑tu son des-interessement,
10219
& avec quelle fidelité
elle gardoit tes deux
mille Loüis20 : Cette fille
si éloignée de tout engagement, qui haïssoit
tous les autres hommes
pour n'aimer que toy ;
Ce cœur que tu tenois si
bien en haleine par la
diversité des mouvemens
que tu luy donnois, &
par la crainte de te perdre ; Enfin ce cœur qui
t'aimoit d'une maniere si
fine, si délicate & si inconnuë aux gens mariez.
10321
N'accable point un
mal-heureux, repartit
Antigame, à qui se fier
presentement ! s'écria‑t'il ; Lesbie donner mon
Rubis à un mal-heureux,
& à un homme sans
nom ; Lesbie m'estre
infidelle, Lesbie me
trahir, Lesbie vouloir
me voler.
A qui se fier, interrompit Philogame, à
une fille de famille, bien
élevée, & qui vous regarde comme son époux ;
10422
Enfin à Fraudelise qui
fait voir mille belles qualitez, & mille vertus.
Cet entretien fut interrompu par le bruit d'un
Laquais qui portoit une
Lettre, & qui demandoit
Philabel dans la court.
Philogame mettant
la teste à la fenestre vit
que c'estoit le Laquais
de Fraudelise, ce qui le
fit rougir. Antigame observant sa rougeur voulut voir le Laquais qu'il
reconnust aussi ; si bien
205
que sans s'expliquer sur le
soupçon qu'il eut que ce
Laquais apportoit peut‑estre la réponse qu'attendoit le Laquais de Cleante,
descendit promptement,
& ayant trouvé dans une
allée par où ce Laquais
devoit passer un endroit
si obscur, qu'à peine pouvoit-on discerner les gens ;
il s'y plaça pour l'y attendre & quand il fut prés de
luy, il luy demanda tout
bas la Lettre de Fraudelise
en luy presentant un écu23 ;
206
ce Laquais qui ne pouvoit voir celuy qui luy
parloit à cause de l'obscurité, qui n'allast pas
s'imaginer que ce fut
un autre que Philabel
qui luy demandoit cette
Lettre, & qui n'estoit
point fâché d'avoir un
écu, le prit promptement, donna la Lettre
sans faire plus grande
reflexion, & se retira.
Antigame remonta aussitost dans la Chambre où
il avoit laissé Philogame
207
& l'Abbé Sophin, &
aprés avoir décacheté
cette Lettre, il la presenta à Antigame, & luy
demanda s'il en connoissoit le caractere ; Philogame répondit que la
Lettre paroissoit de Fraudelise ; Antigame luy
apprit de quelle maniere il l'avoit euë : Vous
jugez bien de l'impatience que Philogame &
l'Abbé eurent de la lire,
voicy comment elle estoit
conçûë.
208
Bandeau fleuri.
LETTRE.
VOVS ne sçavez gueres
ce que c'est que les premiers
engagemens, & vous connoissez mal mon cœur, quand vous
concevez qu'il est capable d'aimer un autre que vous ; si j'espouse Philogame, je cede aux
ordres cruels & terribles d'un
Pere qui veut m'immoler au
grand Procés qui devore depuis
si long-temps sa famille. Le
209
cœur de la victime ne se trouvera pas lors du sacrifice, il est
destiné pour un ingrat, pour
vous cruel ?
Antigame n'eut pas
plûtost lû cette Lettre
que la remettant à Philogame, & le regardant
d'un air serieux, il luy
parla en ces termes :
Cette Lettre, luy dit-il,
me fait changer de sentimens, me fait revenir
de mes erreurs, & me
ramene au mariage. Ah !
210
Philogame, continua-t'il,
que vous estes heureux
de pouvoir engager à
vostre personne pour
toute vostre vie une fille
qui a autant d'honneur,
& qui vous aime avec
tant de fidelité ; voyez
comme elle hait Philabel,
cet impudent, ce malhonneste-homme qui faisoit rougir si souvent cette pauvre enfant ; que
vous allez mener avec
elle une vie honneste &
agreable ; plus vous la
211
verrez, plus vous y découvrirez de grandes qualitez, & plus vous serez
content de vostre choix ;
vous vous ferez un devoir, une douce habitude de vous aimer, elle
vous fournira mille plaisirs innocens, elle vous
tirera de la débauche
avec des voluptez legitimes, elle vous donnera
de beaux enfans ; & la
Lettre qu'elle a écrite à
Philabel vous en assure.
En cet endroit Antigame
212
quittant son serieux ne
pût s'empescher d'éclater
de rire. Dans ce moment le cocher vint les
avertir que la pluye estoit
passée, mais qu'il se formoit dans l'air un nuage si épais & si obscur
qu'il pourroit causer un
orage plus furieux que
le premier, & qu'il
ne répondoit pas qu'il
pût les ramener s'ils ne
partoient promptement,
on luy dit de se tenir
prest.
213
L'Abbé Sophin voyant
Philogame & Antigame
comme hors d'eux-mesmes leur parla ainsi.
Vous n'avez pas sujet de
rire ny l'un ny l'autre, &
si quelque chose est capable de vous détacher
des femmes, c'est ce que
vous venez de voir ; ce
n'est pas qu'il en faille
toûjours juger par Fraudelise, & par Lesbie ; il
s'en trouve quelques‑ unes qui ont de l'honneur & de la fidelité.
214
Il ne s'agit point, interrompit Antigame, en revenant de sa resverie, de
nous détacher des femmes, de les blâmer ny de
les loüer : Nous en sçavons assez sur leur chapitre ; mais il s'agit de
nous juger, & de sçavoir
s'il est avantageux de se
marier, & s'il y a dans
le mariage plus d'agréemens que de chagrins.
La question me paroist
difficile à décider, répondit l'Abbé ; mais si vous
215
voulez sçavoir quels sont
les premiers sentimens
qui me viennent, il me
semble que le seul temperament doit regler la
difficulté. Si vous sentez
au fond de vostre cœur
une indifference, & un
dégoust pour les femmes
& pour les enfans, ne
vous mariez point, car
le mariage vous donnera
plus de chagrins que de
plaisirs ; si au contraire,
vous vous sentez un penchant & une inclination
216
pour eux, vous ferez
beaucoup mieux de vous
marier ; ce n'est pas qu'il
faille esperer dans le mariage un bon-heur veritable & solide, il n'y en a
dans aucune condition
de la vie, & moins dans
le mariage que dans toute autre ; mais les plaisirs
legitimes de cet état pouront servir à adoucir une
partie des chagrins & des
peines de la vie, à empescher vostre femme de
tomber dans le desordre
217
& dans la débauche, & à
temperer ses meschantes
humeurs, & ses inquietudes ; vous en tirerez
des services, vous aurez
le plaisir de vous reconnoistre dans vos enfans,
ils serfiront de liens pour
vous unir plus fortement
avec elle, & vous aurez
l'esprit & la conscience
dans un autre assiette
qu'avec une Maistresse
interessée & infidelle. En
un mot mal pour mal,
il vaut mieux vivre avec
218
une femme qui ne se laisse aller que rarement &
par foiblesse à quelque
infidelité, que d'estre
tous les jours exposé aux
perils, que les biens, la
reputation, & la vie courent avec une fille qui
n'ayant aucune raison
legitime d'engagement
pour vous, & estant sans
honneur & sans religion,
est capable de tout entreprendre pour satisfaire son plaisir & sa passion.
219
Comme Antigame alloit répondre, le Cocher
revint à la charge, qui
les obligea de crainte
d'un second orage de
monter en carosse, & de
de se retirer dans leurs
logis.
FIN.
Noms propres
La Princesse de Clèves
Personnages : La Princesse de Clèves (protagoniste), sa mère Madame de Chartres, Monsieur
de Clèves (le mari de la Princesse), Monsieur de Nemours (l'homme de qui la Princesse
tombe amoureuse).
La Princesse de Clèves est un des romans les plus célèbres du XVIIe siècle. Écrit par Marie-Madeleine de
Lafayette, il fut publié anonymement en 1678. Le roman a pour cadre la cour de Henri II au XVIe siècle, mais il peut être considéré comme le reflet de la cour de Louis XIV
avec ses intrigues amoureuses et la lutte entre les courtisans pour la reconnaissance
royale.
- La Princesse de Clèves, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
Liens à cette référence dans les documents
Lucrèce (en lat. Lucretia)
Femme de l'homme politique romain Tarquin Collatin réputée pour sa beauté et, surtout,
sa vertu. Selon la tradition, après avoir été violée par Sextus, fils du roi de Rome
Tarquin le Superbe, elle se donna la mort (-509 av. J.-C.). L'affaire déclencha la
révolution qui renversa la monarchie tarquine à Rome et fonda la République romaine.
- Lucrèce en lat. Lucretia, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
Liens à cette référence dans les documents
Notes
APRÈS-DÎNÉE. s.f. L'espace du temps qui est depuis le dîner jusqu'au soir. On vous prie de passer l'après-dînée en un tel lieu. Je n'ai point d'affaire cette après-dînée. Il passe toutes les après-dînées en tel endroit
. Après-dînée, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1762), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 12 septembre 2009.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
.Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- "Tout beau" veut dire "Très bien".↑
- Les désordres de la Bassette est un roman de Jean de Préhac publié en 1682.↑
Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- Billet:
s.m. Petite lettre missive. Billet doux. billet galant. un tel m'a escrit un billet ce matin. Recevoir un billet, un petit billet. On escrit maintenant par billets, autant que l'on peut, pour esviter les ceremonies, les espaces & les mots de Monsieur & de Madame, qu'il faut mettre à la teste des autres lettres
Billet, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 août 2009.↑ - Billet:
s.m. Petite lettre missive. Billet doux. billet galant. un tel m'a escrit un billet ce matin. Recevoir un billet, un petit billet. On escrit maintenant par billets, autant que l'on peut, pour esviter les ceremonies, les espaces & les mots de Monsieur & de Madame, qu'il faut mettre à la teste des autres lettres
Billet, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 août 2009.↑ - De la noblesse de robe.↑
- Composition faite avec du citron, du musc, de l'ambre, & autres parfums, & du sucre
clarifié, avec laquelle on prépare une boisson très-bonne & fort en usage dans le
Levant. Celui d'Egypte est le plus estimé.
- Paganucci, Jean, Sorbec, Manuel historique, géographique et politique des négocians, ou encyclopédie portative de la théorie et de la pratique du commerce, t. 3, Lyon, Chez Jean-Marie Bruyset, 1762. Google Livres, Internet, 21 octobre 2016.
- "Étude et connaissance de l'art et de la science héraldiques. Description technique
des armoiries, faite verbalement ou par écrit."
- Blason, Dictionnaire français Larousse, Internet, 21 octobre 2016. www.larousse.fr/dictionnaires/francais/blason/9769.
s.m. Petite lettre missive. Billet doux. billet galant. un tel m'a escrit un billet ce matin. Recevoir un billet, un petit billet. On escrit maintenant par billets, autant que l'on peut, pour esviter les ceremonies, les espaces & les mots de Monsieur & de Madame, qu'il faut mettre à la teste des autres lettres
Billet, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 août 2009.↑Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- La pagination n'est pas correcte ; la mauvaise pagination va de la page 200 (cette page-ci, marquée 110) à la page 204 (marquée 104).↑
Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- Saint-Cloud est une commune du département des Hauts-de-Seine en Île de France (région
parisienne).
- Saint-Cloud, Wikipédia, The Free Encyclopedia (16 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 21 octobre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Cloud.
- 201.↑
- En vérité, 202.↑
Le louis est la dénomination courante de la monnaie d'or française frappée de 1640 à 1792.
. Louis (monnaie), Wikipédia, L’encyclopédie libreInternet, 1 décembre 2015.↑- 203 en fait.↑
- De fait, 204.↑
- Pièce de monnaie.↑
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