Le mariage sous L'Ancien Régime
Stances dv mariage.
1.
SI Dieu n'euſt ordonné le facheux mariage,
Veu l'extreſme fureur qui pouſſe mon courage,
Ie maudirois celuy qui premier en parla,
Mais eſtant le ſeigneur que mon ame reuere,
Ie retiens vn petit la bride à ma colere,
Et croy qui noZ pecheZ ſont cauſe de cela.
2.
Mariage maudit plein d'extreſme rigueur,
Ie ne te puis aymer ny ſupporter au cœur,
Ruyne des humains abyſme de malice,
Cauteleux, ſoupçonneux, qui trancheZ noZ deſirs,
Remede pour priuer l'homme de tous plaiſirs,
Des vices le plus grand & le plus cruel vice.
3.
Que nous ſerions heureux ſi ſans lier noZ ames
A ce traiſtre ennemy des amoureuſes flammes,
Nous viuions en commun ſans ſoupçon librement:
Mais cela ne ſe peut,car par le mariage
Nous entrons malheureux en vn ſi grand ſeruage,
Que cela me fait peur d’en parler ſeulement.
4.
Si le mary ſe plaiſt de demeurer aux champs,
La femme ayme la ville & ſ’y tient en tout temps,
Si bien qu’ils ſont touſiours en guerre & en furie,
27
GVERRIERE, LI. I.
Ils ne ſe voyent point, ils ſouhaittent leur mort,
Donc ſi le mariage eſt tout plein de diſcord,
N’eſtimeZ vous pas ſot celuy qui ſe marie ?
5.
Ou le mary ialoux, ou ialouſe la femme,
Si la femme eſt ialouZe à tout' heure dans l’ame,
Elle ſe meurt d’ennuy & ne fait que crier,
Dieu ſçait quel plaiſir prend vn mary de la ſorte,
Il voudroit eſtre mort ou veoir ſa femme morte,
Il n’y a tel bon heur que d’eſtre à marier.
6.
Si vn homme prend femme auec peu de bien,
Il la veut gourmander, & ſi elle dit rien,
Alors de cent deſdains ſa colere eſt ſuyuie,
La femme en fait autant ſi elle a mieux dequoy,
Si bien que ie conclus, & pour certain ie croy
Que d'eſtre marié c'eſt vne pauure vie.
7.
Si vn homme prend femme & qu'elle ſoit fort belle,
Il faut pour ſon honneur qu'il en ſoit en ceruelle ,
La plus-part des maris ſont cocus auiourd'huy,
Ceſte peur dans le cœur luy met la ialouſie,
Iamais d'aucun plaiſir il n'a l'ame ſaiſie,
Le mariage donc n'apporte rien qu'ennuy.
8.
Si vne femme eſpouſe vn mary qui ſoit beau,
Elle veut qu'il ſoit ſien, & ſ'il puiſe d'autre eau,
Elle creue auſsi toſt de deſpit & de rage:
Ce deſpit,ceſte rage accroiſſent tellement,
Qu'elle fait comme luy,ſi bien que proprement
D iij
LA MVSE
Le mariage en fin eſt vn vray cocuage.
9.
Si vn mary ſe plaiſt à aymer l'inconſtance,
I'ay quelquefois horreur de penſer ce qu'il penſe,
Il meſpriſe ſa femme & ne la ſçauroit voir,
Il va de tous coſteZ, puis quand il vient au gitte,
Il ſe faſche, il ſe plaint, il crie, il ſe deſpite,
Le mariage donc n'eſt rien qu'vn deſeſpoir.
10.
Si vne femme auſsi ayme à faire l'amour,
Dieu ſçait quand elle peut luy iouer vn bon tour,
De quelle affection elle luy rend le change,
Pour vn elle en fait deux , & ne ceſſe qu'alors
Que perſonne ne veut ſe ſeruir de ſon corps,
La femme n'a plaiſir que quand elle ſe vange.
11.
Ennemy de mon bien importun mariage,
Si iamais l'on cognoit qu'en tes reZ ie m'engage,
Qu'on me tienne pour eſtre hors de tout iugement,
I'ay en toy recogneu trop de rigueur extreme,
Ie ne te puis aymer ſans me hayr moy=meſme,
Heureux celuy qui peut euiter ton tourment.
x