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La Comtesse de Candale. Seconde partie.

LA
COMTESSE
DE
CANDALE
SECONDE PARTIE

Vignette. A PARIS,
Chez JEAN RIBOU, au Palais,
vis-à-vis la porte de l’Eglise de la Sainte
Chapelle, à l’Image de S. Loüis.

Filet. M. DC. LXXII.
Avec Privilege du Roy.
L'empreinte de la BIBLIOTHEQUE DE L'ARSENAL
1
Bandeau.

LA COMTESSE DE CANDALE.

IE la1 trouvay seule, la teste penchée dans une de ses mains, & à demy couchée sur un lit de repos, elle estoit negligemment habilée, & sans art, & sans autre parure 2 que sa propre beauté, son air estoit languissant & triste, ses yeux brilloient moins que de coûtume, mais ils estoient plus doux & plus touchans ; ie m'apperçeus qu'elle fit quelque effort pour se contraindre en me voyant, & que ce n'étoit pas sans peine qu'elle cachoit la cruelle douleur qu'elle sentoit. Avant que de partir, me dit-elle, i'ay bien voulu vous apprendre, ce que vous avez tousiours feint d'i 3 gnorer, quoy que ie vous aye assez fait connoistre mes sentimens, pour vous devoir persuader que l'amour les avoit fait naistre. Mais, helas ! nostre destinée est bien differente ; d'abord que ie vous vis, vous me plustes, & ie vous aimay, ma veuë n'a pas fait le mesme effet sur vous ; vous aioûtastes la haine & le mépris à vostre indifference naturelle, & ce qui me semble encore plus cruel que tout cela, c'est 4 que vous n'avez pas seulement voulu remarquer que ie ne pretendois plaire qu'à vous. Ne m'acusez point de tant de crimes à la fois, Madame, luy répõdis-ie, i'avouë que ie suis coupable de vous avoir veuë sans vous aimer, c'est mon cœur qui a fait la faute, & non pas ma volonté, qui le desiroit, mais cette insensible ne le vouloit pas & peut estre ne sçavez vous que trop qu'il est impossible de s'opposer à ce qu'il veut. 5 Cruelle & foible raison que tout cela, interrompit-elle en soupirant, pour iustifier la plus méprisante ingratitude dont on aye iamais payé la violence & la pureté d'une passion qui pourroit faire le bon-heur du plus hõneste homme du monde, s'il en sçavoit connoître toute la douceur ; mais pourquoy est-ce que ie vous represente le merite de mon amour, ie sçay que ie ne le devrois pas faire, & que si ma con 6 duite estoit connuë, elle seroit generalement condamnée de toute la terre ; mais, helas ! si mon cœur pouvoit estre satisfait, la honte d'en estre blasmée me toucheroit peu : cepẽdant ie répondois à tout ce qu'elle me disoit, mais c'estoit d'une maniere qui ne luy donnoit aucune esperance. Comme elle vit que i'estois inflexible, elle me declara quel dessein avoit Madame de Beauieu, & qu'elle ne s'estoit engagée à la ser 7 vir que par l'inclination qu'elle avoit pour moy ; elle m'apprit aussi, que i'estois l'obiet de toutes les ialousies du Comte2, & que la Princesse l'alloit remettre entre ses mains. Faites au moins un moment de reflexion sur mon mal-heur, me dit‑elle, iugez si ie le merite, & ce que i'auray à souffrir de ses soupçons & de ma tendresse ; si vous pouviez vous resoudre à feindre de m'aimer, mon desespoir ne seroit pas si 8 grand ; pour vous proposer de répondre à ma passion, ie ne le veux plus faire, la proposition ne vous plaist pas, & ie craindrois de m'attirer de nouveaux outrages, il n'y a donc que la feinte qui puisse me garantir des cruautez d'un mary ialoux, & des maux d'une absence que i'apprehende encore mille fois plus. Ses larmes & sa beauté prioient pour elle, ie commençay à me repentir d'avoir esté si peu sen 9 sible en la voyant si tendre, & ie me reprochay secrettement la dureté que i'avois euë ; ie pris donc plaisir à la regarder, à l'admirer, & à la trouver belle, pour voir si ie ne me laisserois pas vaincre ; ie sentis que mon cœur me conseilloit d'aimer, ie suivis donc son cõseil, & ie m'en trouvay bien. Alors ie me iettay à ses pieds, & ie luy demanday pardon de ce que i'avois esté si iniuste. Il 10 ne tient qu'à vous de vous vanger, Madame, luy dis-ie, & de me rendre cruauté pour cruauté. Ie consens agreablement à la vengeance, me répondit-elle, & comme ie n'en trouve point de plus douce que de vous faire prendre beaucoup d'amour, ie sens bien que ie me vengeray long‑temps. Ha ! Madame, luy répondis-ie, ie connois presentement le prix de vostre cœur, mais n'avez vous aucun regret 11 qu'il m'ait si peu cousté. Au contraire, interrompit elle, i'ay une ioye que ie ne puis exprimer, de ce que ie vous ay aimé la premiere, vous m'en estes plus obligé, & par ce que i'ay fait, ie vous montre ce que vous devez faire. Enfin cét entretien qui avoit commencé avec tant d'amour & de douleur de son costé, & avec tant d'indifference du mien, finit avec mille tendres asseurances que nous nous donnasmes de 12 nous aimer tousiours. Madame de Beauieu ayant sceu que i'estois chez la Comtesse, y vint comme nous estions prests aller chez elle ; la ioye qu'elle vit sur son visage, luy fit iuger qu'elle avoit enfin trouvé l'heureux secret de m'attendrir, & comme il luy estoit tres-important de luy apprendre ce qui s'étoit passé entre nous, elle le fit dés que ie me fus retiré. Le Comte esperoit qu'il emmeneroit 13 Madame de Candale, mais mon amour arrivant sur le point de son départ, la Princesse se servit d'un pretexte assez specieux pour la retenir, sans qu'il eust suiet de s'en plaindre, luy ayant remontré qu'il ne pouvoit point mener sa femme en Castille sans de grandes incommoditez, qu'aussi de la laisser dans ses terres, la sollitude est souvent plus dangereuse pour la vertu que le grand monde, qu'elle luy promet 14 toit de prendre soin de sa conduite, & qu'à son retour elle luy remettroit entre ses mains. Outre cela, elle luy fit trouver de si grands avantages dans l'accommodement qu'elle ménagea aupres du Roy en sa faveur, touchant de certaines Terres sur lesquelles il avoit de iustes pretentions, & qui luy furent accordées, qu'il ne put s'oposer à la volonté de Madame de Beauieu ; il partit deux iours apres, un peu moins ia 15 loux qu'il n'estoit, quoy qu'il en eust beaucoup plus de suiet : mais comme vous pouvez penser, nous n'avions garde de luy dire qu'il n'avoit pas raison de l'estre si peu. Chaumont continuoit à ne me point voir, & se consoloit avec Hauteville de ce que ie ne le regardois pas ; Madame de Candale entreprit de renoüer nostre amitié, elle le pouvoit, & l'on ne refuse rien à ce qu'on aime : estant un soir chez 16 Madame de Beauieu, la Comtesse le prit par la main, & me pria de le remettre avec moy dans le mesme estat qu'il estoit, mais si ie ne suis point amoureux, Chaumont, luy dis-ie. Ie ne puis estre vostre amy, me répondit-il, faites-moy voir que vous aimez, & ie reviendray à vous aussi fidelle, & aussi attaché à vos interests que i'aye iamais esté. Ne voyez-vous pas bien, luy répartis-ie, que ie suis changé, de 17 mandez plustost à Madame de Candale, si ie ne dis pas la verité, elle rougit un peu, & parut interdite : mais voulant desabuser Chaumont de la pensée qu'il avoit ; si vous n'aioûtez point de foy aux paroles du Prince, luy dit‑elle peut-estre m'en croirez-vous, lors que ie vous assureray que le Prince n'est plus indifferent, il est sensible, il est tendre, il est amoureux, & il a autant d'empressement à persuader de son amour, 18 qu'il en avoit autrefois à faire connoistre qu'il ne vouloit point en avoir. Ie croy que ce n'est qu'à vous que ie suis obligé de ce changement, répondit-il, & i'avois tousiours bien iugé, que s'il devoit aimer un iour, ce ne pouvoit estre que vous. Me trompay-ie Madame, & n'estes-vous pas l'obiet de sa passion ; si c'est un autre, ie ne veux point d'accommodement avec un Prince, qui n'a ny discernement ny delicatesse. 19 Madame de Candale l'empescha de continuer, en l'asseurant que sur sa parole, il pouvoit en toute seureté accepter l'offre que ie luy faisois, de luy redonner mon amitié.
Pendant que le Comte de Candale prenoit le chemin de Castille, i'essayois de me rendre digne d'estre aimé de la Comtesse, mon grand soin estoit de luy prouver mon amour, & dés qu'elle en fut persuadée, ie me crus heureux, par 20 ce que ie ne desirois rien de plus.
Le Duc de Bourbon chercha d'abord vainement la cause de ma ioye, mais que ne trouve point un rival quand il est ialoux, qu'il est malheureux, & qu'il commence à soupçonner le bon-heur d'un autre : il crut s'appercevoir du mien, il me sembloit que ie cachois assez bien ma bonne fortune, mais elle ne paroissoit que trop, puis que le Duc en comprit le suiet. 21 Il s'imagina qu'il n'estoit pas impossible de troubler l'heureux estat où l'amour nous avoit mis ; mais il n'estoit pas si aisé de reüssir qu'il pensoit.
Madame de Beauieu estoit encore sans inquietude, osté celles que luy donnoient les plus importantes affaires du Royaume ; ce n'est pas que la continuelle application avec laquelle elle s'y attachoit, ne luy en fit souffrir de tres-grandes, mais elle les suppor 22 toit patiemment, dans l'esperance qu'elle avoit que le Roy la nommeroit à la Regence à mon preiudice, & que ie ne m'opposerois point à sa grandeur, estant gouverné par Madame de Candale que i'aimois, & qui ne devoit faire que ce qu'elle luy prescriroit ; comme si l'amour recevoit des loix de quelqu'autre puissance, & qu'il ne fust pas toûiours le maistre, mais ce n'estoit pas le dessein de 23 la Comtesse, la tendresse qu'elle avoit pour moy, luy rendoit mes interests chers, & sans doute, elle se seroit trahie elle-mesme plutost que de me trahir.
Nous avions donc à peu pres les sentimens que ie viens d'expliquer, lors que la Princesse devint chagrine, sans en avoir aucun suiet apparent. Hauteville luy en demanda la cause, mais soit qu'elle l'ignorast, ou qu'elle ne voulut point 24 luy dire, elle luy en déguisa la verité. Si i'avois esté moins prevenu de mon amour que ie n'étois, il m'auroit esté facile de la connoistre, elle se troubloit à ma veuë, elle ne pouvoit s'empescher de rougir en me parlant, elle commençoit à porter envie à Madame de Candale, & elle n'avoit plus les mesmes bontez pour elle.
La Comtesse remarqua ce changement plûtost que moy, elle me l'ap 25 prit, & ie luy donnay un moyen pour découvrir si nos soupçons estoient bien ou mal fondez.
Dans l'oisivité où la Cour estoit alors, chacun cherchoit une affaire d'amour à ménager, ou songeoit à l'interest de la fortune ; la Trimoüille n'étant pas encore assez bien estably, & son ambition luy persuadant la gloire & le plaisir qu'il auroit s'il pouvoit se faire aimer de la Princesse, il se resolut sans peine à suivre ce con 26 seil, qui estant outre cela authorisé de son cœur & de ses desirs, luy fit plus facilement entreprendre ce dessein. Comme Madame de Beauieu a de coûtume de paroistre douce, engageante & flateuse, quand elle veut plaire, il eust d'abord autant d'esperance que d'amour ; mais dans la suite, il comprit que s'il avoit en suiet d'aimer, c'estoit bien à tort qu'il avoit crû avoir raison d'esperer.
Dés que Madame de 27 Candale put voir la Princesse, elle mit en usage l'artifice, dont nous estions tombez d'accord qu'elle se serviroit, afin de comprendre quels sentimens on auroit pour moy.
Madame de Beauieu luy demanda si elle estoit contente de ma tendresse, & comme ie me trouvois de la sienne, elle luy dit cela avec un trouble & une agitation si grande, qu'il fut aisé à la Comtesse de le remarquer, & 28 voulant tirer de plus fortes preuves de ce qu'elle soupçonnoit déia, Madame, luy répondit-elle, ie ne puis douter de sa passion, il est seur de la mienne, & nous sommes assez heureux pour estre persuadez qu'elle ne finira iamais ; mais, Madame, ie vous suis redevable de tout mon bon heur, & sans vous, ie n'aurois iamais osé luy dire, que dés le moment que ie l'ay vû, i'ay desiré de luy plaire. Lors que ie pẽse au plaisir 29 que l'amour me donne, ie me hais de n'avoir pas plutost aimé, que ses douceurs sont tendres & desirables, & que i'ay perdu de momens dans l'indifference que i'aurois pû mieux employer ; mais ie commence à connoistre que mon cœur attendoit le Prince, & il est enfin arrivé tel que ie souhaitois qu'il fust. Prenez donc part à ma ioye, Madame, continuoit la Comtesse, & ne dédaignez point d'estre la confidente de 30 deux Amans, qui peutestre n'auroient iamais esté heureux, si vous n'aviez bien voulu vous abaisser iusques à en prendre soin ; asseurezvous, que nous ne nous rendrons pas indignes de vos bontez, & que nous nous donnerons tant de marques d'un violent amour, qu'il nous sera facile de vous exempter du déplaisir d'avoir travaillé inutilement à nostre bonne fortune. Madame de Beau- 31 ieu n'écoutoit pas sans douleur, un discours qui la desesperoit, aussi ne put-elle y répondre tranquillemẽt. N'estant donc pas en estat d'en souffrir plus long-temps la cruauté, elle feignit de se trouver mal, & la Comtesse luy proposa des remedes, mais comme elle s'aperceut qu'elle vouloit estre seule, elle se retira vivement touchée, & ayant de fortes apprehensions, que ie ne fusse pas assez amoureux & fidelle, 32 pour pouvoir resister au merite, & à la beauté & au credit de cette Princesse.
Le mesme iour, apres m'avoir dit que ie ne devois point douter que ie n'en fusse aimé, elle me fit connoistre ses craintes, mais d'une maniere si tendre, que ie l'en aimay encore plus, i'essayay de luy faire perdre ses soupçons, & i'eus le plaisir de voir que mon amour avoit le pouvoir de la r'assurer contre tout ce qu'elle eut pû craindre.
33
Madame de Beauieu n'ayant qu'Hauteville aupres d'elle, se plaignit de la dureté qu'elle avoit de ne luy demander pas seulement la cause de son incommodité. Elle ne m'est pas si inconnuë que vous croyez, Madame, luy répondit elle en se mettant à genoux aupres du lit sur lequel la Princesse estoit negligemment couchée, & si ie n'apprehendois de vous déplaire : ie vous dirois que tout vostre mal 34 vient de ce que vous aimez le Prince, & que vous estes ialouse de la Comtesse ; mais i'ay trop de respect pour vous, ie n'oserois vous dire de semblables choses, & ie me garderay bien de vous en parler de ma vie. Qui peut vous avoir appris ce secret, interrompit-elle, sans se fâcher de la liberté que Hauteville venoit de prendre. Ie ne l'ay encore découvert à personne ; c'est de vous seule que ie l'ay sceu répondit-elle, 35 vos regards, vos desirs, vostre ioye, vostre inquietude, tout cela m'a fait connoistre ce que vous avez resolu de cacher, vous ne devez pas m'en estimer moins, si ie vous parle ainsi, ie ne le fais que dans le dessein de vous representer que vous devez mieux déguiser vos sentimens que vous n'avez fait, de crainte que le Prince & la Comtesse ne s'en apperçoivent, & qu'ils ne prennent des precautions 36 contre tout ce que vous pourriez entreprendre pour les découvrir. Madame de Beauieu ne put assez loüer de discernement & la discretion d'Hauteville.
Mais quoy qu'elle aye pû faire pour cacher sa passion, ie l'ay veuë augmenter sans y aider d'aucuns soins ny d'aucune complaisance, si ce n'est qu'estant devenu ialoux du Duc de Bourbon, i'en fis mes plaintes à Madame de Candale. Ie 37 crus qu'elle estoit coupable, ie luy fis des reproches que ie ne luy devois pas faire, elle s'irrita, ie me mis en colere, ie negligeay de l'adoucir, & il me parut qu'elle ne se mettoit gueres en peine de m'appaiser3. Alors le Duc d'Orleans apprit à Comines, comme il avoit voulu rendre à la Comtesse la ialousie qu'elle luy avoit donnée ; il luy dit aussi comme la Princesse avoit chargé la Trimoüille de l'engager dans 38 ses interests, la réponce qu'il y avoit faite, & que luy-mesme ayant esté prié par elle de se rendre dans sa chambre, il avoit pris celle de Madame de Candale pour la sienne. Enfin il luy parla de tout ce qui pouvoit l'instruire des divers sentimens, des differentes personnes qui avoient part à son histoire. Vous iugez donc, poursuivit le Prince, que ie ne suis pas sans inquietude, ie ne suis malheureux, que parce que ie suis 39 trop aimé, si ie l'estois moins ie ne serois pas si à plaindre ; mais ie connois l'esprit de Madame de Beauieu, elle veut fortement ce qu'elle veut, & l'on ne luy resiste pas sans estre en peril de sa vie. Ie ne crains point pour la mienne, mais pour celle de la Cõtesse. Madame de Beauieu a tout credit sur l'esprit du Roy, si ie refuse sa tendresse, elle s'en vengera sur ce que i'aime, & quand mesme il me seroit possible de l'accepter, 40 Madame de Candale ne souffriroit pas tranquillement la cruauté de cette avanture, & ie suis trop amoureux pour faire iamais rien contre la fidelité que ie luy dois.
Quoy que Comines ne fust point sensible à l'amour, il ne pouvoit blâmer celuy du Duc d'Orleans, ce n'est pas qu'il ne previt que cette passion causeroit d'étranges desordres, mais il crut que les prudentes precautions qu'il conseilloit au 41 Prince de prendre, ou pouroient l'exempter du malheur dont il sembloit estre menacé, ou du moins en retarder l'effet.
Apres cela, ils s'en retournerent ensemble au Chasteau, Comines dans la Chambre du Roy, & le Prince chez Madame de Candale, où Chaumont ne le suivit point, parce qu'il avoit dessein d'observer si Hauteville regarderoit encore Pontdormy4 aussi favorablement qu'elle avoit fait. 42 Aussi-tost qu'elle le vit, comme ie ne suis point ialouse, luy dit elle, ie ne pretends point que vous soyez ialoux ; si i'avois crû que l'on s'aimast pour se faire de la peine, ie n'aurois iamais aimé, ne prenons de l'amour que ce qu'il voudra nous donner de plaisirs, & laissous aux malheureux des inquietudes & des souffrances, que nous ne devons point recevoir dans nos cœurs, puis que 415 nous avons mille choses douces & satisfaisantes à y mettre. Chaumont ne pouvoit contenir sa ioye en voyant Hauteville si tendre & de si bon sens, & par la responce qu'il luy fit, non seulement il approuva ce qu'elle venoit de luy dire, mais il la pressa d'avancer les momens de sa bonne fortune.
Le Duc de la Trimoüille qui croyoit estre aimée de Madame de Beauieu, estoit persuadé qu'il ne 44 pouvoit manquer d'estre heureux ; elle paroissoit sensible, & aussi touchée qu'elle estoit belle & touchante, c'est à dire infiniment ; mais comme cette Princesse le iugeoit utile à son dessein, elle ne faisoit semblant de l'aimer, qu'afin de le mieux tromper, & qu'il s'engageast plus facilement à faire reüssir l'ingenieux artifice qu'elle avoit inventé pour perdre Madame de Candale dans l'esprit du Duc d'Orleans. I'ay des 45 ia dit qu'elle l'avoit preparé à feindre d'en aimer une autre, luy faisant croire que c'estoit pour mieux cacher l'intelligence qui estoit entr'eux ; mais comme ie n'ay point nommé qui elle estoit, il me semble à propos de faire sçavoir que c'estoit Madame de Candale. On feint tousiours mal une passion qu'on n'a pas, mais pour peu qu'on s'attache à loüer une Dame, & à rendre des soins, c'est assez pour allarmer l'A 46 mant aimé, & pour luy donner de la ialousie : & c'estoit par là que la Princesse avoit iugé qu'il falloit commencer à détruire un amour qui la desesperoit.
Le Prince fut surpris du changement de la Trimoüille, & ce nouveau rival luy fit craindre tout ce qu'on craint quand on aime fortement, ce n'est pas qu'il ne fust maistre du cœur de Madame de Candale, mais peut-on répondre de l'estre toû 47 iours, & est-ce assez pour conserver ce que nous avons acquis avec bien de la peine, que d'estre toûiours ardant, & tousiours fidelle ? non, sans doute, la durée de nos passions ne dépend point de nous, & quand ce changement arrive, on ne devroit non plus s'en estonner que de celuy des saisons : mais ce qui fait qu'on en souffre de si vives douleurs, c'est qu'on aime tant, qu'on ne peut point s'imaginer 48 que l'amour cesse, & lors qu'il vient à manquer, celuy des deux Amans qui aime encor, se plaint, se desespere, & veut mourir ; mais dans la suite, il a honte de sa foiblesse, il se console, & veut vivre. Ie laisse à iuger s'il fait bien ou mal, ie n'oserois decider. Mais revenons au Duc d'Orleans, qui eust la satisfaction d'entendre dire à la Comtesse, la crainte qu'elle avoit que la Trimoüille ne fut amoureux d'elle, la sin 49 cerité qu'elle eust, luy attira de nouvelles marques de la tendresse du Prince, aussi les meritoit-elle bien.
Quelques iours s'estant passez, pendant lesquels Madame de Beauieu avoit le plaisir de voir que la Trimoüille travailloit utilement à faire reüssir son dessein, sa ialousie luy en ayant fait avancer l'execution, elle s'y prepara si secrettement, que mesme elle n'en fit aucune confidence à Haute 50 ville, craignant qu'elle n'aimast Chaumont, & que ne pouvant rien luy cacher, le Prince n'en fust averty par luy. La Princesse voulant donc s'establir sur les ruines de sa rivale, & prenant son temps qu'elle pouvoit luy parler en liberté. I'ay tousiours esté de vos amies, luy ditelle, d'une maniere obligeante & flateuse, quoy que peut-estre vous ne l'ayez pas cru, mais ie veux vous en donner auiourd'huy une marque si 51 veritable, que vous n'ayez iamais lieu de douter de l'estime ; si elle eust osé, elle eust dit de la tendresse que i'ay pour vous. Ie sçay le pouvoir que Madame de Candale a sur vous, ie connois que vous l'aimez, ie ne dis pas que sa beauté ne le merite, mais sa conduite l'en rend indigne. Le Prince écoutoit paisiblement ce qu'elle luy disoit, s'imaginant que c'estoit quelque imposture dont elle se servoit pour l'obliger à 52 rompre avec la Comtesse : mais voyant qu'elle luy apprenoit des circonstances assez particulieres pour ne les devoir point negliger, il se resolut de s'en éclaircir luy-mesme, quoy qu'il fust persuadé du contraire. Madame de Beauieu ayant remarqué qu'il commençoit à prendre de l'inquietude, continua de luy en tant donner par tout ce qu'elle luy apprit en suite, que peu à peu la confiance qu'il avoit en la fidelité de 53 Madame de Candale diminua, on luy faisoit voir des apparences si grandes de trahison, qu'il commença à croire qu'il pouvoit estre trahy. Que vôtre amitié me couste cher, Madame, répondit il, enfin, que ne me laissiezvous dans la creance où i'estois, sãs venir troubler un commerce le plus tendre & le plus doux, que l'amour aye iamais pris plaisir d'establir entre deux vrays Amans. Helas ! vous croyez peut 54 estre me rendre un bon office, en m'avertissant qu'on me trahit, qu'on m'abandonne, & qu'on ne m'aime plus ; mais sçachez que vous me desesperez, & qu'au moment que ie vous parle, ie suis le plus mal-heureux de tous les hommes, parce que ie sens bien que i'ay beaucoup d'amour & de constance, & que ie ne sçaurois imiter le procedé d'une ingrate qui ne devoit iamais m'aimer, ou qui devoit m'aimer 56 tousiours. La Princesse qui ne le croyoit point si amoureux, eut un violent dépit de le voir si sensiblement touché, elle voyoit bien qu'il estoit cruellement irrité contre Madame de Candale, & que dans l'état où son artifice l'avoit mis, il y avoit lieu de penser qu'il pourroit se venger de son infidelité en aimant ailleurs ; mais malgré cela, elle eut desiré estre en la place de la Comtesse, tant elle craignoit que son ar 56 tifice ne fust découvert, & que la cause des soupçons estant perduë, l'amour ne se remit entr'eux plus fortement qu'il n'avoit iamais esté. Le Prince ne pouvant soutenir plus long-temps un entretien qui le desesperoit, ne remit pas à un autre iour l'éclaircissement qu'il estoit resolu d'avoir, sur tout ce que luy avoit appris Madame de Beauieu, chez laquelle la Comtesse entra dans le moment qu'il en sortoit, elle s'a 57 perceut de l'inquietude & du chagrin de son Amant, & elle l'appella pour en sçavoir le suiet ; mais quoy qu'il ne fust pas encore assez éloigné pour ne pouvoir entendre sa voix, il ne voulut pas répondre, & sans perdre de temps, il se rendit dans la chambre de Madame de Candale, où il ne trouva qu'une seule fille qui estoit à elle, il luy fit plusieurs demandes differentes, & elle ne répondit que trop pour 58 son repos, & sous promesse d'une recompense considerable, l'ayant engagée à luy remettre entre les mains la cassette de sa maistresse, il ne luy fut pas mal-aisé de l'ouvrir, cette infidelle luy en ayant donné la clef.
Il y vit mille choses qui condamnoient Madame de Candale dans les Lettres qu'il y trouva, il reconnut que le caractere estoit de la Trimoüille, & dans la premiere qu'il ouvrit, il y lut ces paroles.
59
Q Ve nous commençons bien à nous aimer, Madame, qu'il est doux d'aimer ainsi, & que vostre tendresse me rend heureux ; mais, helas ! si elle venoit à me manquer que ie serois à plaindre, s'il est vray ce qu'on dit que tãt plus l'amour est violent & moins il est durable, que ne dois-ie point craindre du vostre, ie respons de l'ardeur & de la fermeté du mien, mais si vous ne me r'assurez ce soir par ces mesmes bontez ausquelles vous m'avez veu si sensible & si 60 reconnoissant, ie ne croiray pas mon bon-heur aussi grand qu'il est.
Que cette Lettre luy fit faire de tristes & de douloureuses reflexions, qu'il se crut malheureux, & iusqu'où ne pensa-t'il point que son rival avoit porté sa bonne fortune, il n'eust pas la force d'en lire davantage, mais voulant convaincre la Comtesse de son infidelité, il garda quelqu'unes de ses Lettres, & se retira chez 61 luy, pour faire part à Chaumont du malheur qui luy estoit arrivé.
Madame de Candale avoit esté trouver la Princesse, pour la prier de faire oster les Lions7 de dessous sa chambre, elle en avoit une frayeur qu'on ne peut exprimer, & elle ne pouvoit entendre les rugissemens qu'ils faisoient une partie de la nuit, sans estre sur le point de s'évanoüir ; elle luy promit qu'elle y donneroit ordre dés le mes 62 me iour, & la Trimoüille estant entré, il feignit si bien d'estre amoureux, que la Comtesse iugea à propos de concerter avec le Prince, de quelle maniere elle s'en defferoit. Elle attendoit donc avec impatience qu'il se rendit chez elle, mais il estoit trop prevenu de sa ialousie, & trop accablé de son infortune, pour estre en estat de prendre le party qui estoit sans doute le meilleur. Voulant donc voir si la Trimoüille 63 entreroit dans sa chambre, comme il sembloit en demander la permission par sa Lettre, il eut la douleur de le reconnoistre d'un endroit où il s'estoit caché, & de remarquer que la porte luy avoit esté ouverte avec une promptitude qu'on n'avoit iamais euë pour luy-mesme, quoy qu'il ne se fust pas informé si la Lettre qu'il avoit leuë estoit écrite du mesme iour. Il fut si ingenieux à redoubler sa douleur par 64 sa precaution, qu'il vit ce qu'il n'auroit pas voulu voir.
Le lendemain dés la pointe du iour, il monta à cheval, suivy de Chaumont, & de quelques autres, afin de ne pas si‑tost montrer à la Cour une inquietude, qui pouvant recevoir de differentes interpretations, ne seroit peut-estre pas expliquée de la maniere qu'il auroit pû desirer qu'elle le fust.
La maladie du Roy 65 augmentoit tous les iours, & mesme les Medecins ne pouvoient s'empescher de dire en secret qu'il avoit peu de iours à vivre. Madame de Beauieu profitant de l'avis qu'elle venoit d'en recevoir par un d'eux, prit son temps que le Duc d'Orleans estoit à la chasse, pour faire entendre au Roy au desceu de Comines, que ce Prince estoit allé à Blois, où il se devoit faire une assemblée des plus Grands du 66 Royaume, & la convenir des moyens de reformer l'Estat, & de se saisir de sa Personne. Le Roy à qui sa longue maladie avoit alteré ce grand & admirable genie qui l'avoit fait triompher de ses ennemis, & craindre de tous les autres Princes de l'Europe, fut entierement troublé de ce que luy apprenoit Madame de Beauieu, ses cruautez & ses soupçons augmenterent, il fit fortifier le Chasteau, & commanda aux Ar 67 chers de sa Garde, de ne laisser entrer personne que par un ordre de sa main, ou de celuy de la Princesse. Comines averty des nouvelles défiances du Roy, & iusqu'où Madame de Beauieu avoit dessein de porter son authorité, fit sçavoir en diligence au Duc d'Orleans le changement qui estoit arrivé depuis son départ. Comme il estoit incertain si on ne le feroit point arrester, il luy conseilla de se reti 68 rer à Blois, afin qu'il put en seureté prendre les precautions qu'il iugeroit necessaires pour se garentir du pouvoir d'une femme qui estoit irritée, & qui pouvoit tant.
C'estoit trop de malheur à la fois pour un Prince qui n'avoit point fait d'autre crime que celuy de paroistre trop aimable, quoy que Madame de Candale luy semblast infidelle, & que son dépit luy alleguast mille raisons pour ne la plus 69 aimer, son amour forçoit son cœur à ne le pas croire. Il prend donc la resolution de la voir, mais à quels perils ne s'expose-t'il point s'il l'entreprend, il se met à la mercy d'une femme en colere & méprisée, qui a tout credit sur l'esprit du Roy, s'il abandonne la Comtesse au pouvoir de sa rivale, il a tout à craindre pour ce qu'il aime, & c'est ce qui le rend le plus desesperé de tous les hommes, il 70 veut aller au Chasteau du Plessis-les-Tours, il a dessein de voir Madame de Candale ; mais de la maniere que celuy qui luy a apporté la Lettre de Comines parle de la severité avec laquelle on examine ceux qui entrent dans le ChasteauChasteau, il iuge que cela est bien difficile : c'est en vain que Chaumont veut luy remontrer qu'il court risque de la vie, ou du moins d'estre arresté, s'il est reconnu, comme il sera sans doute. 71 Il ne veut point écouter le conseil de son favory, & tout ce qu'il peut obtenir de luy, c'est d'envoyer un de ses gens au Plessis-les-Tours, pour luy raporter fidellement toutes choses, pendant qu'il se mettra en seureté iusqu'au lendemain, à quelques lieuës de là, ne pretendant point differer plus long-temps à essayer d'entrer dans le Chasteau. Il fait réponce à Comines, luy recommande ses interests, & l'avertit de 72 l'infidelité de Madame de Candale, à laquelle il écrit ; celuy à qui il avoit cõmandé d'aller au Chateau du Plessis estant de retour, il ne fust que trop confirmé dans la nouvelle que Comines luy avoit mandé. Pendant que ce Prince est si cruellement agité des differens suiets qu'il a de se desesperer, Madame de Beauieu n'est gueres plus tranquille, quoy que son dépit & sa colere luy ayent fait entreprendre contre luy, 73 quand elle examine ses sentimens, elle trouve qu'ils sont presque tous amoureux ; mais c'est en vain qu'elle s'irrite d'estre si tendre, l'amour est plus fort que son ressentiment : elle connoist bien qu'elle ne devroit pas aimer, mais son cœur ne peut s'en empescher, & elle n'a pas tousiours la force de luy resister. La cruelle inquietude de Madame de Candale ne luy fait pas moins souffrir de peines que le Duc 74 d'Orleans & Madame de Beauieu en endurent, elle voit redoubler les gardes pour la seureté du Chasteau, la Princesse la fait observer, elle entend dire que le Prince conspire contre le Roy, & qu'il est party, elle ne peut croire qu'il puisse avoir une si coupable pensée, mais elle l'acuse de negligence, de tiedeur, & de peu d'amour, & c'est là le grand crime qu'elle est resoluë de luy reprocher, si iamais elle le peut 75 voir ; elle seroit bien plus à plaindre, si elle sçavoit les iniurieux soupçons qu'il a conceu contr'elle ; mais elle ne peut les apprendre que par luy-mesme, & il n'est pas aisé qu'ils se puissent retrouver ensemble. Le Duc de Bourbon avoit une secrette ioye du malheur du Prince, qu'il ne cachoit pas si bien, que Comines qui estoit penetrant, & qui sçavoit si bien démesler les divers interests des plus grands, n'en 76 comprit facilement la cause. Cõme il aimoit le Prince, & qu'il connoissoit sa vertu, il ne l'accusoit que d'estre mal-heureux. Il estoit donc resolu de le servir, estant assuré qu'il n'avoit attente sans y penser que sur le cœur de la Princesse, & non pas contre le Roy & l'Estat, comme on vouloit persuader ; mais quand on veut perdre quelqu'un, on se sert toûiours des pretextes les plus specieux, afin que 77 l'apparence du crime puisse effacer le merite & l'innocence de l'accusé.
Chaumont voyant que tout ce qu'il pouvoit dire au Prince, au lieu de luy faire perdre le dessein d'aller au Plessis, luy en augmentoit plus fortement l'envie, fut contraint d'approuver sa resolution, apres luy avoir vainement representé le peril où son imprudence, & sa precipitatiõ l'alloient exposer ; il falloit donc trouver le moyen de 78 tromper les Gardes, & la défiance de Madame de Beauieu, & ils ne sçavoient par quel moyen y reüssir. Chaumont avoit écrit à Hauteville par le Domestique de Comines, afin qu'elle luy mandast le suiet d'un si prompt changement, & qu'elle fit en sorte qu'il put la voir, mais la Lettre ne put luy estre renduë, & ce ne fust pas sans difficulté qu'on permit à Comines de faire entrer celuy qu'il avoit envoyé 79 au Duc d'Orleans : le lendemain ce Prince vint secrettement dans Tours, & la il sceut par quelqu'un de ses amis, que dans le dernier conseil qui s'estoit tenu, on avoit resolu de l'arrester, il douta de la verité de cét avis, & crut que Chaumont luy avoit fait donner, de crainte qu'il ne put s'opposer à la resolution qu'il avoit prise d'entrer dans le Chasteau un peu avant la nuit. Le Prince & Chaumont, qui s'é 80 toient déguisez, apprehendant d'estre connus, apperceurent dans un détour qui les avoit cachés à la veuë du Plessis, quand mesme il auroit esté plus grand iour, une charette arrestée, & deux hommes dessus qui paroissoient estre dans une penible occupation, ils s'en approcherent, & demandant ce que pouvoit estre, l'un des deux vestu à l'Affricaine, crut reconnoistre la voix du Prince, qui avoit parlé, & 81 ayant en suite observé son visage, il ne douta plus que ce ne fust le Duc d'Orleans, qui le reconnut pour un homme qui avoit autrefois esté à luy, & qui par diverses avantures qui ne sont point de mon suiet, avoit esté pris des Corsaires, & qui s'estant rendu habile, patient & hardy à gouverner des Lions, avoit esté choisi pour en amener au Roy deux des plus grands qu'on aye iamais veus, il n'en avoit pû conserver 82 qu'un de vivant, malgré tous les soins qu'il s'étoit donné, & lors que le Prince se trouva pres de cette charette, l'autre se mouroit, & c'estoit la cause qui l'avoit fait arrester, afin d'essayer s'il ne pourroit point luy sauver la vie, mais ce fut inutilement. Le Prince voyant une si grande facilité d'entrer dans le Chasteau sans qu'on put en avoir aucun soupçon, ne fit donc aucune difficulté de se découvrir à 83 l'Africain, & quoy que put dire Chaumont pour le détourner d'un dessein aussi perilleux que celuy qu'il entreprenoit, il voulut estre mis dans la loge où estoit le Lion mort, afin d'estre introduit plus seurement dans le Plessis. Chaumont s'obstinant à ne le point abandonner, fut caché sous un tas de paille qui estoit sur la charette, qui ne tarda pas long temps à se rendre à la porte du Chasteau, qui 84 ne fust point ouverte sans la permission de Madame de Beauieu, qui ayant sceu que c'estoit des Lions qui arrivoient, envoya un ordre pour les laisser passer, non pas sans qu'on visitast les loges, ce qui fut fait avec de si grandes frayeurs par ceux qui en eurent la commission, qu'ils ne découvrirent point ce qui estoit caché. Estant donc heureusement entrez, ils attendirent que la nuit fut plus avancée & plus 85 sombre qu'elle n'estoit, le Prince pour aller faire mille reproches à Madame de Candale, & Chaumont pour sçavoir la cause de toutes les precautions qu'on prenoit. L'Africain qui estoit instruit de ce qu'il avoit à faire, fit demander à Madame de Beauieu, en quel endroit elle desiroit que les Lions fussent mis. Dans le temps qu'elle commandoit de les mettre avec les autres sous la chambre de la Comtesse, 86 un imprudent passant aupres de la charette avec un flambeau, le feu se prit à la paille, & dans un moment tout fut embrasé. Chaumont songeant à sa vie, afin d'estre en estat de conserver celle du Prince, eut à peine le temps de se sauver, déia une partie de la loge où estoit le Lion, commençoit à brusler lors qu'il en sortit, il se ietta sur tout ce qu'il pust rencontrer dans son chemin, & se fit craindre aux plus in 87 trepides, par la furie dont il s'élançoit entre les armes de ceux qui avoient assez de fermeté pour s'oposer à son passage, le Prince n'apprehendoit point la perte de sa vie, & il en donnoit d'assez grandes marques en se venant livrer entre les mains de ses ennemis ; mais ne voulant point perir si honteusement, & estant aidé du secours de Chaumont, il fut heureusement garenty de la violence du feu, qui 88 causa une grande frayeur par tout le Chasteau, mais non pas si cruelle que le Lion furieux. L'Africain entendant le suiet de ce desordre, courut à la charette pour sauver le Duc d'Orleans, mais l'ayant rencontré qui luy avoit fait signe de se taire, il n'eust plus d'autre soin que de se faire reconnoître au Lion, qui s'estant enfin appaisé, s'en revint à son maistre aussi doux qu'il avoit esté furieux. A peine le trouble & le de 89 sordre venoit de cesser, lors qu'un autre accident le recommença. Madame de Candale estoit dans sa chambre, n'ayant avec elle que cette fille que le Prince croyoit avoir gagnée, lors qu'elle luy remit entre les mains la cassette de sa Maistresse, & où par les Lettres qu'il y vit, il crut qu'il devoit estre persuadé de son infidelité. Comme il faisoit grand chaud, & qu'elle ne vouloit voir personne, elle n'avoit sur 90 elle qu'un de ces manteaux legers, que la negligence fait porter. Qu'elle étoit aimable, que sa beauté estoit desirable, & que si le Prince l'eust vû dans un si charmant estat, qu'il eut facilement oublié sa perfidie, pour ne se souvenir que des belles choses qu'il eut pû remarquer. Elle se promenoit, ayant les fenestres ouvertes pour mieux recevoir le frais, que la chaleur du iour luy avoit osté, lors que tout 91 d'un coup le plancher fondit sous elle avec un bruit épouvantable. Le Duc d'Orleans en ayant appris le suiet, se ietta dans le débris de cette chambre, & la premiere chose qu'il trouva, ce fut cette fille perfide qui estoit morte par l'accablement de ce débris. Helas ! dans ce moment il ne douta point que Madame de Candale n'eust perdu la vie, qu'il estoit malheureux, qu'il estoit à plaindre, & qu'il 92 fut desesperé, lors qu'il apperceut la Comtesse pasle & sans mouvement, aupres de la loge d'un Lion, dont la porte estoit toute ouverte, sans qu'il eust osé sortir à cause de la frayeur qu'il avoit euë. Elle est morte, s'écria-t'il tristement, & ie vis encore ; sa douleur l'empescha de parler davantage, & voulant s'éclaircir si elle estoit encore en estat de recevoir quelque secours, il s'apperceut qu'elle estoit seulement éva 93 noüye. Comme elle commençoit à ouvrir les yeux, elle se vit entre les bras d'un homme qui luy paroissoit inconnu, & dans le temps qu'elle faisoit quelques efforts pour s'en retirer, le Duc de la Trimoüille arriva, de qui elle receut agreablement une office si dangereux à rendre, à cause du Lion, dont les rugissemens donnant une nouvelle frayeur à Madame de Candale, obligerent la Trimoüille à l'emporter 94 de ce lieu, & à la mettre en seureté dans la chambre prochaine.
Le Prince voyant le mépris que la Comtesse avoit pour luy, & à la vuë de son rival, fut encore confirmé plus fortement dans son infidelité, & ne pouvant songer au malheur qui luy arriveroit, s'il estoit connu, sa ialousie luy conseilla de suivre la Comtesse à dessein de luy reprocher sa perfidie, & de luy dire qu'il estoit au desespoir de l'avoir ai 95 mée. Tout le mõde avoit couru au bruit de ce nouvel accident, & la Princesse estant avertie qu'on croyoit que Madame de Candale fut morte, en montroit une douleur feinte avec tant de vraysemblance qu'on l'auroit cru veritable, si plusieurs gens comme le Duc de Bourbon, Comines, & d'autres encore, qu'il est inutile de nommer, n'avoient eu raison de iuger du cõtraire ; elle vint ellemesme pour en sçavoir la 96 verité, & ceux qui observerent son visage & ses actions, & qui sçavoient l'interest qu'elle prenoit à la perte de Madame de Candale, remarquerent aisement qu'elle ne l'eut point desirée en vie. Comines, qui, comme i'ay dit, estoit si penetrant & si habile, faisant une forte reflexion sur cét accident, eut de grands soupçons qu'il n'eust esté secrettement preparé par la haine qu'elle avoit contre la Comtesse. Il y avoit 97 assez d'apparences, & peu de iours apres, il ne douta plus qu'elle n'eust fait travailler à la ruine de sa rivale.
Chaumont qui estoit entré dans la chambre d'Hauteville, voulut sortir entendant du bruit dans la cour, mais elle le renferma malgré luy, apprehendant qu'il ne fut découvert : ayant sceu que Madame de Beauieu décendoit elle la suivit, afin de s'informer de la cause de ce nouveau de 98 sordre ; le premier obiet qui parut aux yeux de cette en entrant dans la chambre où on avoit fait mettre Madame de Candale, ce fut le Duc d'Orleans, qu'elle ne s'attendoit pas de trouver en ce lieu, elle commanda promptement que la porte du Chasteau fut fermée, & que personne n'en sortit sans son ordre, il faut avoüer que la ialousie est bien plus clair-voyante que l'amour. La tendre 99 Comtesse ne reconnut point son Amant, mais il ne put se cacher aux yeux de la ialouse Madame de Beauieu, qui comprit qu'il ne venoit dans le Chasteau que pour voir Madame de Candale. Elle sçavoit qu'il n'avoit pû luy parler depuis qu'il en estoit sorty pour la chasse ; & craignant que le moindre entretien qu'ils auroient ensemble, ne fit découvrir l'artifice dont elle s'estoit servie pour les broüiller, elle 100 fit porter la Comtesse dans une autre chambre, sous pretexte de l'incommodité qu'elle pourroit recevoir dans celle où elle estoit, & elle pria le Prince de luy donner la main, il fut sur le point de la refuser, mais iugeant que dans la cruelle coniõcture où il estoit, il devoit suspendre l'effet de son ressentiment, il la conduisit dans sa chambre, sans que Madame de Candale, qui estoit encore troublée de la frayeur de sa chute, & 101 de la peur qu'elle avoit euë du Lion, eust eu le moindre soupçon que le Prince estoit dans le Château qu'il l'eust secouruë, & qu'elle eut iniurieusement refusé la continuation de l'office qu'il luy vouloit rendre, au moment qu'elle avoit apperceu le Duc de la Trimoüille. La Princesse fit sçavoir au Roy que le Duc d'Orleans estoit entré dans le Chasteau, & qu'elle avoit découvert qu'il devoit executer un 102 dessein contre sa personne, & que son avis estoit de l'arrester, avant qu'il se fut mis en estat de rien entreprendre. Le Roy qui pour les moindres soupçons, faisoit perir les plus Grands, consentit aisement à ce que Madame de Beauieu desiroit, iugeant qu'il ne pourroit point attenter à sa vie, estant mis dans un lieu de seureté.
Chaumont n'estoit pas sans inquietude dans la chambre d'Hauteville : 103 ayant enfin long temps attendu son retour, il estoit sur le point de forcer la porte, ou de trouver quelqu'autre moyen de sortir, lors qu'elle revint pour luy apprendre la cause de ce desordre, & tout ce qui s'estoit passé. Chaumont qui estoit amoureux, & qui ne vouloit pas laisser échaper une si belle occasion, dit tout ce qu'il falloit dire pour estre aimé, & s'il ne le fust, il eust lieu de le croire, tant Hauteville 104 luy sembloit tendre, il auroit sans doute demeuré plus long-temps dans vne si charmante occupation, si le souvenir des malheurs du Prince ne l'en avoit retiré, il songeoit aux moyens d'en détourner le cours, mais il n'en imaginoit aucun, lors qu'il pensa estre surpris par l'arrivée impreveuë de la Princesse, & à peine eust-il le temps de se cacher. Quoy que Hauteveille fut émeuë & troublée de ce contre-temps, 105 Madame de Beauieu ne s'en apperceut point, tant elle estoit accablée de soucis, de soupçons & d'inquietudes, sans conter ce que son amour & sa ialousie luy faisoient souffrir de peines, & qui n'étoient pas les moins cruelles.
Cependant le Duc d'Orleans estoit severement gardé, la Trimoüille estoit celuy qui en avoit le soin, & qui empeschoit que personne ne luy parlast, le lendemain 106 qu'il fust arresté, il eut un entretien avec luy, par lequel il demeura éclaircy de mille choses, & desabusé de celles qui luy estoient les plus importantes. Puis-ie sçavoir de vous, luy dit-il, sans paroistre trop curieux, quel est le suiet de ma prison, il m'est inconnu, répondit il, & n'osant m'en informer, ie me suis contenté d'obeïr. Il ne se rebuta point pour une réponce si pleine de circonspection, & vint en suite 107 à luy demander, si sa passion estoit bien receuë, s'il estoit aimé, & si on l'avoit rendu heureux : la Trimoüille qui croyoit que c'estoit de Madame de Beauieu qu'il voulut parler, feignit de ne point entendre, afin de n'estre pas obligé d'apprendre le secret de son amour, ou de le déguiser sous les faux semblant d'un mensonge, auquel sa sincerité ne pouvoit se resoudre. La discretion est loüable, & plus dans 108 un Amant que dans tout autre, continua le Prince, & puis qu'elle vous oblige d'en user ainsi, ce n'est sans doute que pour cacher vostre bon-heur, mais il ne m'est pas si inconnu que vous pensez, ie n'ay point employé mes soins inutilement à le découvrir, & i'ay pris un trop grand interest, pour n'en sçavoir pas iusqu'aux moindres circonstances. Ie ne sçay ce que ie vous dois répondre, luy dit-il, avec une 109 agitation qui faisoit assez connoistre le trouble de ses sentimens, si ce n'est que pour vous vanger de mon silence, vous pretendez m'apprendre que ie suis plus malheureux que ie n'avois cru. On est bien éloigné de l'estre, interrompit le Prince, quand on peut écrire si tendrement, alors il luy montra les Lettres qu'il avoit trouvées dans la cassette de Madame de Candale : à cette veuë la Trimoüille se crut perdu, 110 & il ne douta plus, que la Princesse ne l'eust sacrifié, à dessein de s'en faire aimer plus facilement, en luy donnant une si grande marque d'amour. Ha ! dit-il, ie suis trahy, on m'abandonne, & ie sens bien que ie suis trop amoureux pour en pouvoir faire autant : helas ! repartit le Duc d'Orleans, que vous estes iniuste de vous plaindre au milieu de vostre bonne fortune, que craignez-vous, on 111 vous aime, on vous l'a dit, que desirez-vous davantage ? Ha ! ie ne veux rien, interrompit promptement la Trimoüille, que faire mille reproches, & ne voir iamais, si ie puis, une Princesse infidelle, qui devoit plûtost me haïr, que de m'aimer si peu. Le Prince l'entendant parler ainsi, vit qu'il l'avoit trompé sans y penser, & qu'il s'estoit aussi trompé luy-mesme. Comme il estoit necessaire de s'expliquer plus 112 clairement, afin de mieux comprendre le mistere d'une avanture qui leur paroissoit si singuliere, la Trimoüille commença de le faire, en luy avoüant qu'il avoit écrit à Madame de Beauieu toutes les Lettres qu'il avoit entre les mains : le Prince sembloit douter d'une verité si douce, mais faisant reflexion sur la probité de celuy qui luy parloit, il n'eust plus de peine à croire une chose qu'il desiroit, & qu'il 113 n'osoit pas esperer. Ayant en suite appris à la Trimoüille quels avis Madame de Beauieu luy avoit donnez de la criminelle conduite de la Comtesse, comme pour en estre plus certain, il avoit trouvé toutes les Lettres qu'il voyoit dans sa cassette, & que iugeant sur des apparences si fortes & si convainquãtes, il n'avoit pû douter de son infidelité, & qu'il ne fut l'heureux rival, qui luy enlevoit en 114 un moment, une personne de laquelle il croyoit estre aimé toute sa vie.
La Trimoüille vit bien qu'il estoit le mal-heureux de l'avanture, & venant à penser quel estoit l'esprit artificieux de la Princesse, & de quelle maniere elle l'avoit traité, dans le temps mesme où elle avoit suiet d'estre la plus contente de luy, il comprit que c'estoit la feinte qui l'avoit fait agir ainsi, & non pas l'amour, afin de 115 des-unir plus ingenieusement le Prince & Madame de Candale. Tout cela n'estoit que trop veritable pour luy. Que cette connoissance le rendit desesperé, & qu'il falloit estre amoureux, pour aimer encore une perfide, qui n'avoit eu d'autre dessein que de le faire servir à la vanger du mépris du Prince, & du merite, & de la beauté de sa rivale, mais son cœur ne pouvant aimer à demy, il fut 116 contraint de suivre les mouvemens qu'il luy inspiroit, sans qu'il eut la force de s'y opposer. Le Prince qui avoit le plaisir de connoistre que Madame de Candale n'étoit pas infidelle, effaça dans un moment la douleur qu'il avoit d'estre arresté ; ce n'est pas qu'il ne fust sensible à celle de la Trimoüille, qu'il ne le plaignit en amy sincere, & qu'il n'essayast de le consoler, par tout ce qu'il iugeoit capable d'en di 117 minuer la violence & de luy arracher une passion, qu'il ne devoit plus conserver, apres avoir souffert de si grands & de si cruels outrages ; mais toutes les raisons qu'il pust luy dire furent inutiles. Pendant cét entretien, Comines en avoit eu un autre avec le Roy, dont le Prince avoit esté le suiet ; ce sage Politique apprehendant l'humeur vindicative de Madame de Beauieu, avoit pris son temps qu'elle n'estoit pas au 118 pres de luy, pour luy representer que sur des soupçons mal fondez, il ne falloit pas condamner comme criminelle la conduite du Prince, qu'il avoit luy-mesme iugé assez vertueux pour luy faire épouser sa fille. Il sceut enfin si iudicieusement remontrer au Roy qu'il avoit esté prevenu par la haine de ses ennemis, plûtost que parfaitement instruit du crime dont il estoit accusé, qu'il en tira un pouvoir signé 119 de sa main, pour examiner s'il estoit innocent ou coupable, & pour luy en venir faire le raport, afin qu'il put en iuger par ses propres lumieres.
Comines sortit tressatisfait de ce qu'il avoit obtenu en faveur du Prince, & n'ayant encore pû rendre la Lettre qu'il luy avoit envoyée pour Madame de Candale, il entra librement dans la chambre où on l'avoit mis. Il sçavoit, comme toute la Cour, que le Prin 120 ce avoit esté surpris dans le Chasteau en habit déguisé, & la Comtesse estoit seule qui l'ignorast, par le soin que Madame de Beauieu avoit pris de le luy cacher ; d'abord qu'elle vit la Lettre du Prince, elle eut une ioye qui faisoit assez paroistre la tendresse qu'elle avoit pour luy ; mais l'ayant leuë, & n'y voyant que des reproches & des outrages, au lieu des marques & des assurances d'amour & de fidelité, 121 elle fut vivement touchée des iniustes soupçons qu'il luy faisoit paroistre ; il en avoit déduit la cause avec soin, & la moindre circonstance n'y estant pas oubliée, elle ne douta point que tout cela ne partit de l'artifice de la Princesse, & qu'elle n'eust gagné la fille qui estoit morte sous le débris de sa chambre. Venant à se ressouvenir qu'elle l'avoit envoyée chercher plusieurs fois pour parler à elle, il ne 122 luy fut pas mal-aisé de s'en éclaircir, lors que s'estant fait apporter sa cassette, qu'elle ouvroit rarement, elle y vit des Lettres qu'elle n'y avoit iamais veuës, & dont elle ne connoissoit pas le caractere. Comines y estoit present, & confirmoit la Comtesse dans la pensée où elle estoit : en suite luy demandant si le Prince seroit encore longtemps à Blois, elle sceut qu'il estoit arresté, & dans le Chasteau. S'il eust 123 pû voir ses larmes & sa douleur, il eust encore esté persuadé plus fortement qu'il n'estoit de son amour & de sa constance. Ne puis-ie le voir un moment, luy dit-elle, ie ne veux que luy montrer, que ma tendresse n'a iamais eu d'autre obiet que luy ; il en fit difficulté, de crainte que Madame de Beauieu, qui le haïssoit, ne se servit de ce pretexte pour le perdre : mais le pouvoir que le Roy luy avoit donné, l'empes 124 chant de craindre sa colere & sa haine, il la mena dans la chambre où le Prince estoit gardé. Quoy que la Trimoüille eut dessein de le servir, il vouloit faire exactement la charge qui luy avoit esté donnée : d'abord il s'opposa civilement à l'entrée de Madame de Candale & de Comines, mais ayant veu l'ordre du Roy, il obeït. Iamais entreveuë ne fust plus touchante, la Comtesse se iustifia fort facilement, 125 & la tendresse de son cœur iointe à la grandeur de sa beauté, fit bien-tost iuger au Prince qu'elle n'avoit point cessé de l'aimer. Lors qu'elle sceut les perils ausquels il s'étoit exposé en entrant dans ce Chasteau, il luy sembloit que le danger estoit encore present, tant elle avoit d'apprehensions ; mais quand il vint à luy dire qu'il avoit esté le premier à la secourir, & que sortant de son évanoüissement, elle 126 avoit refusé ses soins pour accepter ceux de la Trimoüille, elle fut un moment sans pouvoir croire ce qu'il luy apprenoit ; mais la Trimoüille luy ayant confirmé ce qu'il venoit de luy dire, elle ne sceut à quoy en attribuer la cause qu'à son déguisement, & la frayeur quelle avoit de sa chute & du Lion, aupres de la loge duquel elle estoit tombée. Quoy qu'ils ne fussent pas en liberté de se parler, ils ne laisserent pas 127 de se dire assez de choses pour estre persuadez que leur passion ne finiroit iamais.
Madame de Beauieu n'estoit entrée dans la chambre d'Hauteville, que pour se delivrer de de tous ceux qui estoient dans la sienne, & Chaumont avoit une grande impatience qu'elle fut sortie, de crainte d'estre découvert, lors que le Duc de Bourbon vint avertir la Princesse que Madame de Candale & 128 Comines estoient avec le Duc d'Orleans, elle sortit en diligence, la colere peinte sur le visage, & qui devoit faire tout craindre à ses deux Amans, d'une femme amoureuse, ialouse & irritée. A peine put-elle croire ce que ses gens luy faisoient voir. Cependant il n'estoit que trop veritable pour son repos, qu'ils luy montroient le Prince & la Comtesse dans un entretien qui leur sembloit bien doux à ce 129 qu'elle en pouvoit iuger par leurs regards & par leurs actions, pour leurs paroles, il luy fut impossible de les entendre, par les soins qu'ils avoient pris à parler bas. Elle fut un moment dans la chambre sans qu'ils s'en apperceussent, tant ils prenoient plaisir à ce qu'ils disoient ; la Trimoüille & Comines qui n'estoient pas si occupez, furent les premiers qui la virent, surprise, estonnée, presque immobile, & 130 semblant douter si ses gens luy disoient la verité. Comines en avertit le Prince, qui eut d'abord la prudence de ne luy témoigner aucun ressentiment, quoy qu'il n'en eust que trop de suiet. Elle se plaignit à la Trimoüille, de ce qu'il avoit si mal suivi ses ordres ; mais Comines luy ayant fait voir celuy du Roy, elle ne sceut que répondre. Ie n'accuse que vous de mon malheur, luy dit enfin le Prince, 131 que vous ay-ie fait pour me traiter si cruellement ? Vous luy avez plû, & vous ne l'avez point aimée, interrompit la Comtesse, n'en cherchez point d'autre suiet : mais, Madame, continua-t'elle en luy adressant la parole, que ne l'aimiez-vous plûtost, ou pourquoy l'avez-vous aimé depuis ? helas ! pourquoy faut-il que l'iniustice de vostre passion cause toute l'infortune de la nostre ; peutestre que sans vous le 132 Prince m'auroit tousiours esté indifferent, vous m'avez conseillée, vous m'avez pressée, & mesme vous m'avez contrainte de luy donner de l'amour, dans le dessein de me faire employer le pouvoir que i'aurois sur luy à le mettre dans vos interests ; dés le moment que son cœur devient sensible, & que ie suis assez heureuse pour le voir répondre à la tendresse du mien, vous voulez non seulement rompre 133 un commerce que l'amour a pû rendre si doux, mais encore faire arrester le Prince, sous des pretextes iniurieux à sa vertu & à sa reputation. Ha ! Madame, revenez à vous, faites reflexion sur tout ce que ie viens de vous dire, perdez des sentimens indignes de vostre rang & de vostre beauté, & faites que nous ayons la ioye de vous voir repentir, d'avoir voulu des-unir deux Amans qui ne vous demandent rien que 134 de pouvoir estre en seureté contre vostre ialousie. Ie ne croyois pas, luy répondit la Princesse pleine d'un dépit qu'elle ne put cacher, qu'une femme eut assez oublié le soin de sa vertu & de sa gloire, pour parler de la maniere que vous venez de faire. Pour peu que vous eussiez fait de reflexion sur vostre conduite, luy dit le Duc d'Orleans, vous deviez avoir remarqué, que vous estes mille fois plus criminelle que 135 Madame de Candale, dequoy est-elle coupable, est-ce à cause qu'elle m'aime ? si sa faute est grande, la vostre est bien plus à condamner. A ces mots, il tira de sa poche les Lettres que la Trimoüille luy avoit écrit, & luy fit connoistre que son artifice n'avoit pas aussi bien reüssi qu'elle avoit esperé, puis qu'il en avoit découvert le secret, & qu'il n'en estoit pas moins amoureux de la Comtesse. La Trimoüil 136 le voyant les Lettres, crut qu'il devoit se mesler à l'entretien ; mais la Princesse estant trop cruellement touchée de cette avanture pour pouvoir écouter les plaintes qu'il eust pû luy faire, l'interrompit fierement, & luy commanda de se taire. Comines observoit avec soin, leurs pensées, leurs discours & leurs sentimens, & s'il avoit la satisfaction de croire que le Prince n'avoit point fait d'autre crime que celuy 137 de paroistre trop aimable, il avoit aussi le déplaisir de connoistre que la Princesse ne se resoudroit iamais à perdre les desseins de vengeance qu'elle avoit contre le Duc d'Orleans & contre Madame de Candale, que ce Prince ne luy donnast d'assez grandes marques de sa passion, pour pouvoir estre persuadée que sa rivale n'avoit plus aucun credit dans son cœur. Madame de Beauieu sortit avec la Comtesse, en 138 apparence, pour laisser à Comines le soin de s'acquiter de la commission qu'il avoit du Roy, mais en effet pour oster au Prince la veuë de ce qu'il aimoit. Estant donc en liberté de luy parler, parce que la Trimoüille s'estoit retiré à quelque pas d'eux, il luy fut aisé d'estre encore plus fortement confirmé dans la pensée qu'il avoit, que ce Prince estoit innocent, & qu'il n'avoit point fait d'autre crime que celuy que ie viens de 139 dire. Il le quitta, luy promettant de le servir, & de ne point faire son rapport au Roy, sans employer tout son credit pour obtenir son élargissement.
Lors que le Duc de Bourbon estoit entré dans la chambre d'Hauteville, il estoit suivy d'un petit chein, qui fit découvrir Chaumont en aboyãt aupres de l'endroit où il estoit. Le Duc qui estoit curieux, & ialoux, voulant s'éclaircir du su 140 jet qui le faisoit aboyer, leva la tapisserie, & reconnut Chaumont. Hauteville demeura interdite, & ne put répondre aux diverses questions qu'il luy faisoit sur le déguisement de Chaumont, & sur ce qu'il le trouvoit caché dans sa chambre. Il crut qu'il estoit un des Amans de la Princesse, ou qu'estant dans la confidence du Prince, pour qui il avoit de grands interests à menager, elle n'ignoroit pas qu'il ne dust estre 141 dans ce lieu.
Le Duc n'estoit malheureux que par soupçons, mais la Trimoüille l'estoit par l'entiere connoissance qu'il avoit de la cruauté de Madame de Beauieu, qui bien loin de s'oposer à l'esperance qu'il eust pû avoir d'estre aimé, luy avoit fait croire qu'il estoit heureux, afin de se servir de sa credulité pour des-unir le Prince & la Comtesse. Comme cela avoit esté sur le point d'arriver, ayant gagné la 142 fille dont i'ay parlé, à qui elle avoit donné les Lettres de la Trimoüille, pour les mettre, lors qu'elle l'en avertiroit, dans la cassette de sa maistresse, son mal-heur estoit si grand, qu'il n'osoit s'en plaindre à celle qui l'avoit causé. S'il avoit pû cesser d'aimer, il se seroit épargné bien des peines & des souffrances : mais l'amour qui vient tousiours sans qu'on y pense, ne s'en retourne pas tousiours quand on le veut : il se 143 resolut donc à souffrir, & à conserver sa passion. La suite fera iuger s'il sceut prendre le bon party, où s'il eust mieux fait d'en choisir un autre.
Madame de Beauieu ayant sceu en quel endroit on avoit trouvé Chaumont, comprit par son déguisement, & par le secret qu'Hauteville luy avoit gardé, qu'elle avoit fait plus qu'elle ne luy avoit commandé. Comines qui avoit appris du Prince, qu'il estoit entré 144 avec luy dans le Chasteau, sçachant qu’on l’avoit surpris dans la chambre d’Hauteville, voulut qu’il luy fut remis entre les mais, en vertu du pouvoir que le Roy luy avoit donné, d’examiner tous ceux qu’il iugeroit necessaires à iustifier le Prince, ou à le condamner. Il l’amena dans sa chambre, pour sçavoir de luy quel dessein avoit le Duc d’Orleans lors qu’il estoit sorty du Château, & pourquoy il y 145 estoit rentré sous un déguisement, qui donnoit d’étranges soupçons à toute la Cour. Chaumont qui ne pensoit qu’à son amour, au lieu de penser au peril où il estoit, luy répondit en riant : dites-moy de quelle manière vous avez sceau que i’estois aimé d’Hauteville, & devenu ialoux de Pont-dormy, & ie répondray à ce que vous me demandez. Comines le satisfit en peu de paroles, en luy apprenant 146 qu’il l’avoit sceu par un entretien qu’il avoit eu avec Hauteville, un iour qu’il luy faisoit des reproches de son infidelité. Apres cela Chaumont l’assura par tant de sermens, que le Prince n’avoit eu d’autre dessein que de voir Madame de Candale, qu’il n’eust plus aucun suiet d’en douter. Comines fut rendre compte au Roy de la commission qu’il luy avoit donnée, & il ne balança point à l’assurer sur sa 147 propre vie de l’innocence du Duc d’Orleans : mais comme il estoit prevenu par les artifices & par le conseil dangereux de Madame de Beauieu, elle luy remettoit en un moment plus de défiances dans l’esprit, qu’il ne luy en pouvoit oster par les avis salutaires qu’il avoit tant pris de peines à luy faire suivre.
Que ne peut point la vengeance dans un cœur amoureux qui n’est pas content, & qui se croit 148 offencé, raison, prudence, interest, vertu mesme, tout cela est foible pour resister à ce qu’elle veut entreprendre.
La vindicative Madame de Beauieu, est une preuve de la verité de cette maxime. Elle va trouver le Roy, luy renouvelle ses soupçons, luy change ses sentimens, & fait tant qu’il luy remet entre les mains la charge de garder le Prince plus severement qu’il n’a esté. Le Duc de Bourbon continuë de s’interesser plus 149 fortement pour la Comtesse qu’il n’a iamais fait, malgré la colere de cette Princesse, il s’offre genereusement à la garentir des malheurs qui luy peuvent arriver, si elle demeure encore deux iours dans le Chasteau. Elle louë la genereuse action du Duc, mais elle ne peut se resoudre d’abandonner son Amant. Madame de Beauieu prend ombrage de son mary, & craignant qu’il ne s’oppose à ses desseins, à cause de 150 l’amour qu’il a pour la Comtesse, ayant appris qu’il estoit sorty du Château pour aller dans la Ville avec Comines, changea les Archers de la Garde, qui luy estoient moins affectionnez que d’autres, qu’elle mit en leur place, avec un ordre expres de refuser la porte au Duc de Bourbon & à Comines, & pour plus de seureté, elle la fit fermer, avec deffence de l’ouvrir. C’est alors que s’estant renduë maistresse de la destinée du Duc 151 d’Orleans & de Madame de Candale, elle veut, ou se faire aimer de ce Prince, ou faire perir son heureuse rivale, à la veuë de son fidelle Amant.
Les nouvelles precautions que la Trimoüille prit pour le garder plus exactement, luy firent iuger que l’iniuste autorité de la Princesse, l’avoit encore une fois emporté sur son innocence. De qu’elle inquietude n’étoit-il point agité,quand il venoit à penser à la 152 cruauté qu’elle avoit euë de se resoudre à faire perir la Comtesse par la chute de sa chambre, qui n’étoit arrivée que par son ordre, ou par la furie des Lyons, comme Hauteville l’avoit appris à Chaumont, qui le redit au Prince, Comines luy ayant laissé la liberté de s’en retourner avec luy ; mais Madame de Beauieu l’ayant sceu, ne l’y laissa pas long-temps, elle le fit garder dans un lieu éloigné, & quoy qu’elle 153 n’eust point fait arrester Hautevile, elle estoit si fort observée, qu’elle n’en estoit gueres plus libre.
Le Duc de Bourbon & Comines à leur retour de la Ville, furent estrangement surpris de trouver les portes fermées, & ils eurent encore plus de suiet de l’estre, lors qu’apres avoir long-temps appellé, un Archer de la Garde parut sur une des Tours, qui leur apprit le nouvel ordre que le Roy avoit donné. Quoy qu’ils 154 pussent employer, prieres & promesses pour faire ouvrir la porte, l’Archer ne voulut plus leur répondre, & ils furent contraints de se retirer dans la Ville. Madame de Beauieu n’ayant plus rien dans le Chasteau qui put s’opposer à ses desseins, envoya chercher la Trimoüille ; dés qu’elle le vit, ce ne sont point des plaintes & des reproches que ie veux de vous, luy dit-elle, mais un service important, qui peut 155 establir mon repos & me rendre contente. I’obeïray si ie puis, répondit-il tristement, & quoy que vostre outrageant procedé m’ait rendu le plus malheureux Amant qui aye iamais esté, s’il falloit donner ma vie pour vous rendre heureuse, vous verriez avec quelle ioye ie l’abandonnerois : ce n’est point ce que ie veux, repartit-elle, mais puis-ie croire que vous m’aimiez assez, pour representer au Duc d’Or- 156 leans, le peril où il s’expose, s’il ne répond à ma passion. Ha ! Madame, qu’elle commission me donnez vous, s’écria-t’il, non ie ne puis consentir à travailler au bon-heur de mon rival, & i’aime mieux mourir. Non, vous ne mourez point, répondit elle fierement, mais vous ne me verrez iamais, si vous ne me faites aimer du Prince ; dequoy vous plaignezvous, sans doute c’est de n’estre point aimé, le suis 157 ie de celuy que i’aime ; pensez-vous si ie vous donne des marques de ma cruauté, que ie n’en reçoive pas d’aussi grandes & d’aussi sensibles de la sienne : vous devriez me plaindre en l’estat où ie suis, prevenir mes desirs, me servir de la maniere que ie veux estre servie, faire ceder vostre interest au mien, & faisant une action d’une generosité extraordinaire, vous mettre en estat de mieux me prouver vostre amour 158 que vous n’avez fait. La Trimoüille soûpiroit sans répondre, & sembloit estre dãs l’irresolution de sçavoir quel party il choisiroit, lors que levant les yeux, qu’il avoit presque tousiours tenus baissez, & les attachant sur la Princesse qui paroissoit estre irritée : ie me rends, Madame, luy dit-il, & sans consulter plus longtemps une importune raison, dont ie ne veux pas suivre les avis, ie vous suplie de m’instruire de 159 quelle manière ie dois agir avec le Prince. Madame de Beauieu fut si satisfaite, qu’elle luy dit mille choses obligeantes ; il sçavoit que c’estoit son obeïssance qui les attiroit, & estant ialoux sans estre aimé, & chargé d’une si cruelle commission, l’on peut iuger si iamais on fust plus à plaindre, ny plus malheureux.
Madame de Candale n’avoit pas l’esprit tranquille, ne pouvant voir son Amant, & estant 160 dans une chambre dont la sortie luy estoit défenduë, quoy qu’elle dut craindre pour sa propre vie, toute la crainte estoit pour le Prince, qui avoit aussi les mesmes apprehensions. Il n’imaginoit aucun moyen pour la garentir de la cruelle tirannie de la Princesse, lors que la Trimoüille vint luy en proposer un de sa part, apres luy avoir remis entre les mains une Lettre qu’elle luy écrivoit. LETTRE
161

Bandeau. LETTRE DE MADAME DE BEAVIEV AV DVC D'ORLEANS

I L faut enfin que ie m’explique, & que ie vous fasse connoistre quels sont mes sentimens, sçavez-vous bien que ie vous aime, que ie veux estre aimée, & qu’il est dangereux de refuser mon 162 amour ; ie me lasse de vos mépris, & si vous les continuez, ie sçauray me vanger de vos refus sur celle qui les cause.
Il fremit à la lecture de cette Lettre, & s’informa de la Trimoüille avec un douloureux empressement, si Madame de Candale n’estoit pas morte. Sa vie est en danger, répondit-il, & vous devez tout craindre de la colere & du ressentiment de la Princesse, si vous ne 163 l’aimez. Le Prince l’entendant parler ainsi, crut que n’en estant plus amoureux, il en estoit devenu le confidant, mais il fut estrangement surpris, lors qu’il luy persuada le contraire, par tout ce qu’il luy apprit en suite ; à quoy me resoudrayie, luy dit le Prince, quand mesme ie pourrois consentir à l’aimer, ie serois ingrat, infidelle & pariure, ie sens bien que ces noms n’ont pas esté faits pour moy, & que ie ne 164 meriteray iamais que Madame de Candale m’appelle ainsi ; mais si ie ne réponds point à sa passion, elle se vangera sur ce que i’ayme, ie seray privé de sa veuë, on aura, sans doute, la cruauté de me faire souffrir tous les maux ensemble, en luy faisant perdre la vie. Ha ! la Trimoüille, cette pensée me desespere ; allez promptement dire à Madame de Beauieu que ie l’aime, & que ie feray tout ce qu’elle 165 voudra, à condition que la vie de la Comtesse sera conservée. La Trimoüille iugeoit bien que la crainte de perdre la Comtesse, luy faisoit prendre une telle resolution ; mais, cependant, il ne laissoit pas d’estre vivement touché de ce qu’on l’avoit contraint de solliciter le Prince à ne pas refuser le cœur de sa Maistre, & de ce qu’il sembloit y consentir. Il fut luy rendre compte de ce qu’il avoit fait, & pour 166 l’en mieux persuader, il luy apporta la réponce du Prince.
Quoy qu’elle crut y voir encore une violente passion pour la Comtesse, elle essaya de se tromper, & il ne luy fut pas trop difficile de croire la chose du monde qu’elle desiroit le plus, qui estoit d’estre aimée de luy.
Mais comme elle desiroit d’autres assurances que celles qu’il luy donnoit par écrit, elle le fit resoudre à dire en sa pre 167 sence à Madame de Candale qu’il ne l’aimoit plus. Si le Prince l’eut pû avertir de ce qu’on le contraignoit de faire contre ses propres sentimens, on doit iuger qu’il l’eust fait, mais il estoit severement gardé, & quand mesme il ne l’eust pas esté, à qui eust-il pû se confier, Chaumont estant arresté & Comines hors du Chasteau, sans avoir la liberté ny l’esperance d’y rentrer. Le Duc de Bourbon qui estoit ialoux, iu 168 gea que la Princesse luy avoit fait fermer la porte, afin de pouvoir en toute seureté aimer le Prince, & luy en donner des marques ; la pensée qu’il eust qu’elle estoit capable de luy faire un si sensible outrage, luy causa sans doute une douleur violente : encore s’il eust pû s’en vanger par la tendresse de Madame de Candale, il sentoit bien qu’un si grand bon-heur l’eust pû consoler de l’infidelité de sa femme ; 169 mais malheureusement elle n’en avoit que pour le Prince, & de la maniere qu’elle l’aimoit, il ne voyoit que trop que sa passion n’estoit point preste à finir.
Quoy que Comines fut sans amour, il n’estoit pas sans amitié, il en avoit une tres-grande pour le Prince, & il ne pouvoit le voir exposé à la vangeance de Madame de Beauieu, sans avoir de mortelles apprehensions pour la vie, il communi 170 qua ses craintes au Duc, qui ne luy cacha point aussi toutes les siennes. Leurs interests communs les obligeants à reünir leurs desseins, ils chercherent ensemble les moyens d’entrer dans le Chasteau ; la difficulté desesperoit le Duc, & Comines de son costé ne voyoit aucune apparence ny n’imaginoit aucun artifice qui put triompher de la prevoyance & de l’habilité de la Princesse.
171
Chacun avoit sa douleur, comme il vous est aisé de iuger, mais celle de la Trimoüille estoit la plus cruelle & la plus vive : il aimoit une Princesse loüable par sa beauté, & par sa grande naissance, on l’avoit crû digne d’estre aimé, il s’étoit flatté de n’estre pas hay, & il ioüissoit de tout le plaisir que peut donner une si douce pensée, lors que l’on luy fait connoître qu’on n’a iamais esté sensible pour luy, & que 172 si on luy a paru tendre, c’estoit afin de le mieux tromper, & de le faire servir à des desseins bien contraires à l’amour qu’il croyoit qu’on eut pour luy ; ce malheur luy sembloit bien grand, mais ce n’estoit rien en comparaison de celuy qu’il souffroit de sa trop constante passion, qui l’obligeoit à persuader le Prince de répondre à la tendresse de Madame de Beauieu.
I’essayerois en vain de 173 vous faire comprendre toute son infortune, il n’y a que luy qui puisse la representer.
Comme on luy avoit confié la garde du Prince, il ne se cachoit point de luy pour se plaindre, & le Prince ne se contraignoit point aussi en sa presence, ainsi ils s’entredisoient la cause de leur desespoir, mais apres se l’estre dit, ils en estoient plus à plaindre, sans en estre moins malheureux.
La Princesse s’imagi 174 nant que la Lettre qu’elle venoit de recevoir du Duc d’Orleans pourroit servir utilement à détruire l’amour que Madame de Candale avoit pour luy, se fit ouvrir la chambre où elle estoit gardée. Vous pensiez que le Prince vous aimoit, luy dit-elle avec un air méprisant & fier, & vous flattant de la douceur d’une telle pensée, vous luy rendiez tendresse pour tendresse. Il vous trompoit, son cœur n’a ia 175 mais esté qu’à moy, & c’est par mon ordre qu’il a si bien feint de vous le donner. Madame de Beauieu ayant compris par la réponce que la Comtesse luy fit, qu’elle estoit trop persuadée de l’amour du Prince, pour pouvoir se resoudre à estre aussi credule qu’elle desiroit la faire devenir, luy fit voir la Lettre que la Trimoüille luy avoit apportée, où elle lut.
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Bandeau. LETTRE DV DVC D'ORLEANS A MADAME DE BEAUIEU

P ErdeZ vostre ressentiment, Madame, ie ne suis pas insensible, & ie sçay bien aimer, ne pensez pas tant à chercher l’explication de ces paroles, ne voyezvous pas qu’elles veulent 177 dire que ie suis trop heureux, si ie vous puis persuader que ie vous aime.
C’estoit le contenu de la Lettre que la Princesse luy montroit ; mais elle luy en avoit caché la fin, que voicy.
Apres cela, ne serez vous pas contente, & ne me ferezvous pas connoistre que ie n’ay rien à craindre pour Madame de Candale. Ha ! Madame, assurez-moy de 178 sa vie, & ie vous respons de mon amour.
Elle ne parut que legerement émeuë de ce qu’elle venoit de lire, parce qu’elle soupçonnoit l’esprit ialoux & artificieux de la Princesse, ce n’est pas qu’elle ne reconnut le caractere du Duc d’Orleans, mais elle s’imaginoit qu’il pouvoit estre contrefait, & que le Prince l’aimoit trop pour l’abandonner. Madame de Beauieu luy demanda 179 ce qu’elle pensoit de cette Lettre, & si elle doutoit encore qu’elle ne fust trompée : ie douteray tousiours, Madame, luy répondit-elle, iusqu’au moment qu’on m’aura fait connoistre qu’on ne m’aime plus ; ie voy bien que cette Lettre me le dit, mais le cœur de mon Amant ne me le dit pas, ie suis resoluë de n’en croire qu’à ses paroles, & tant qu’on me refusera sa veuë, ie croiray encore qu’on me veut tromper, 180 afin de le trahir avec plus de seureté. Ie commence à comprendre, poursuivit-elle, en vous voyant feindre si ingenieusement, qu’on me méprise & qu’on me quitte, qu’il n’y a rien qu’on n’entreprenne pour se vanger d’une rivale aimée, mais quelle vengeance sçauriez-vous tirer du Prince & de moy, quãd vous me ferez perir, comme vous avez desia essayé par la chute de ma chambre, & par la fureur des Lions, 181 croyez-vous qu’il soit assez perfide pour aimer ce qu’il a tant de raison de haïr ; non, non, Madame, desabusez vous, ie le connois, il m’aimera tousiours, & quoy qu’il puisse faire, il ne sçauroit me persuader que la passion que i’ay pour luy, ne fait plus tout le bonheur & tout le plaisir de sa vie.
Madame de Beauieu n'écoutoit pas sans colere tout ce que disoit la Comtesse, pour luy prouver 182 son amour & celuy du Duc d’Orleans : voyant donc qu’elle ne vouloit croire, ny à sa Lettre, ny à tout ce qu’elle inventoit de vray-semblable, pour luy mieux faire croire qu’on ne l’aimoit plus, elle sortit de la chambre, en luy promettant de luy faire voir le Prince, & qu’alors estant persuadée de son inconstance, rien ne l’empescheroit de s’appercevoir que les hommes ne disent pas tousiours la 183 verité, quand ils asseurent que leur passion est à l’épreuve du temps & de l’absence.
Dés que la Princesse se fut retirée, Madame de Candale ne put retenir ses larmes, elle laissa aussi agir librement sa douleur, n’estant plus contrainte par la veuë d’une rivale artificieuse & cruelle.
Ce n’est pas que lors qu’elle venoit à penser qu’elle verroit bien-tost son Amant, cette pensée n’en diminuast la violen 184 ce ; mais comme un grand amour n’est iamais sans une grande crainte, le sien apprehendoit, mesme les choses les moins redoutables.
La Princesse avoit une inquietude qu’elle ne pouvoit surmonter ; la Lettre du Prince l’assuroit de sa passion, mais la confiance de Madame de Candale luy disoit tout le contraire, elle n’osoit donc croire ce qu’elle desiroit, & ce qui la confirmoit dans cette 185 creance, c’estoit la fin de la Lettre où elle remarquoit tant d’apprehensoin pour la vie de la Comtesse.
Comme elle pensoit aux moyens de s’éclaircir des veritables sentimens du Prince, la Trimoüille luy vint dire qu’il demandoit à la voir, & qu’il paroissoit si indifferent pour Madame de Candale, qu’il estoit bien aisé de iuger qu’il ne l’aimoit plus.
Elle fut quelque temps 186 appuyée sur la fenestre de sa chambre, ayant peine à resoudre ce qu’elle devoit faire, mais ayant instruit la Trimoüille du dessein qu’elle avoit, elle attendoit avec impatience que le Prince vint la trouver, en ayant donné l’ordre.
Il arriva enfin, mais triste & changé, & dans une negligence à laquelle on pouvoit connoistre qu’il n’avoit pas dessein de plaire ; cependant il estoit bien éloigné d’e 187 stre ce qu’il paroissoit, sa plus grande crainte estoit de ne pouvoir persuader la Princesse qu’il n’aimoit plus Madame de Candale ; il venoit donc pour l’en assurer, mais dans tout ce qu’il fut contraint de luy dire d’amoureux dans une si cruelle conioncture, il feignit si mal un amour qu’il ne sentoit pas, qu’une autre moins prevenuë qu’elle auroit pû voir sans peine, que son cœur n’aprouvoit pas ce que sa bouche disoit, 188 mais estant charmée par la veuë d’un homme qu’elle aimoit éperduëment, elle prenoit plaisir à l’entendre parler de son amour, & ce plaisir penetroit si facilement iusques dans le plus sensible endroit de son ame, qu’elle estoit assez ingenieuse pour le faire durer, afin d’en gouster plus long temps toute la douceur.
Ce qui l’augmentoit encore, c’est qu’elle sçavoit que sa rivale pouvoit 189 écouter ce que le Duc d’Orleans luy disoit, l’ayant fait amener dans son cabinet par la Trimoüille, qui entra enfin avec elle dans sa chambre. Dés que Madame de Beauieu la vit, estes-vous encore incredule, luy dit-elle, & doutez-vous à present de mon bon-heur & de vôtre infortune.
La Comtesse moins preoccupée, avoit compris qu’elle estoit la raison qui avoit obligé sonAmant d’en user comme 190 il avoit fait. Ne voulant donc point détromper la Princesse, ie vous avouë, luy répondit-elle, feignant d’aioûter foy aux paroles du Prince, que i'ay crû si fortement que i’estois aimée, que ma passion & celle de cét ingrat me persuadoient que ie le serois tousiours : helas ! que ie sens vivement la douleur de ne l’estre plus, & qu’il est cruel d’estre abandonné dans le moment qu’on merite tant d’amour ; pardonnez 191 moy, ces plaintes, Madame, continua-t’elle, ce sont les derniers effets d’une tendresse mourante ; vous les devez trouver bien douces, puis quelles sont les marques du glorieux triomphe de vostre beauté, comme elles le sont encore des foibles agréemens d’une malheureuse.
Pour vous, dit-elle au Prince qui aviez seduit mon cœur par la feinte au lieu d’employer l’amour à vous en rendre 192 maistre, vous n’aurez pas long-temps la ioye de m’avoir trahie, ie vous haïray autant que ie vous ay aimé, & ma haine ne sera peut-estre pas si impuissante qu’elle ne me vange un iour de vostre perfidie. Il répondit à ces reproches d’une maniere à la confirmer dans sa premiere pensée, & elle feignit si bien d’en estre cruellement irritée, que sur de si flatteuses apparences, la Princesse se laissa persuader que le 193 Duc d’Orleans l’aimoit.
Madame de Candale sortit, apres luy avoit demandé permission de se retirer dans sa maison pres de Loches, ce qui luy fut accordé facilement, & le temps de son départ remis au quatriéme iour.
L’on peut assez s’imaginer quel personnage faisoit le trop amoureux la Trimoüille, pendant un entretien où il avoit tant trouvé de suiet, ou de se desesperer, ou de n’aimer 194 plus, mais soit temperament ou prevoyance, il ne fit ny l’un ny l’autre.
Madame de Beauieu le regardoit à peine, & depuis qu’elle paroissoit si contente du Prince, il en estoit encore plus malheureux s’il pouvoit l’estre ; cependant il estoit tousiours le fidelle Gardien de son trop heureux rival, qui n’avoit pas plus de liberté qu’auparavant, non plus que la Comtesse, qui eust desiré luy parler, afin de sçavoir plus 195 positivement ce qu’elle avoit à craindre de la Princesse, & à esperer de la passion du Prince qu’elle croyoit constante, quoy qu’il luy en eust donné des marques toutes contraires.
Vn soir qu’elle pensoit par quel moyen elle pourroit estre delivrée de ses soupçons & de ses inquietudes, elle entendit qu’on frappoit assez doucement à sa fenestre ; d’abord elle eut quelque frayeur, parce qu’elle 196 estoit seule, mais s’estant r’assurée elle s’en approcha & l’ouvrit. Vn homme qu’elle ne connut pas, luy remit promptement une Lettre entre ses mains, & se retira aussitost de crainte d’estre apperceu, en disant qu’il reviendroit le lendemain à la mesme heure pour en prendre la réponce, elle vit que c’estoit le Prince qui luy écrivoit, & ce fut avec une grande ioye qu’elle leut.
197
I E suis contraint de feindre de ne vous aimer plus, Madame, & vous devez iuger que i’y suis forcé par de puissantes raisons. Si nostre ennemie connoissoit mes sentimens, elle nous empescheroit d’estre heureux, & ce n’est pas ce que ie desire, ny ce que vous devez desirer ; continuez à luy faire croire que vostre cœur ne prend plus aucun interest au mien, & pour luy mieux confirmer, pressez vostre départ, & laissez-moy le soin du reste.
198
Voyez iusqu’où Madame de Candale portoit la confiance qu’elle avoit au Duc d’Orleans, elle n’eust pas le moindre soupçon de sa fidelité, aussi estoit-elle persuadée de sa passion.
Depuis que Madame de Beauieu s’estoit attirée tant de marques de sensibilité du Prince en presence de la Comtesse, la ioye paroissoit dans ses moindres actions, ses yeux estoient plus brillans, & sa beauté sem 199 bloit plus desirable.
Comme elle aimoit en femme vivement touchée, sa passion luy faisoit imaginer mille douceurs dans le veuë & dans l’entretien du Prince, & la forçoit agreablement à comprendre qu’elle avoit encore de plus grands plaisirs à luy donner. Tant de biens offerts ne sont point à refuser, quand c’est l’amour qui nous les offre, disoit-elle à Hauteville, apres luy avoir fait connoistre tous 200 ses sentimens. L’on peut iuger qu’elle luy conseilloit d’accepter le present, & que la Princesse y consentoit : elle luy avoit depuis peu pardonné la faute d’aimer Chaumont plusqu’elle ne luy avoit commandé, & luy avoit mesme rendu toute la consiance qu’elle luy avoit ostée.
L’air content que la Trimoüille remarqua dans la Princesse, luy fit craindre qu’elle ne le destinast à de plus sensibles 201 malheurs que ceux qu’il avoit desia éprouvez.
Helas ! ses craintes n’avoient qu’un fondement trop solide, elle luy fit confidance de ce que ses desirs vouloient de ceux de son rival, & elle luy ordonna de l’avertir qu’il se preparast à y répondre le lendemin au soir, à l’heure qu’elle luy marquoit.
L’on doit tomber d’accord, qu’il faut bien aimer pour pouvoir se resoudre à estre, non seu 202 lement le confidant de l’amour que sa Maistresse a pour un autre, mais pour s’acquiter encore sans murmurer, & sans se plaindre, de la plus cruelle commission qu’on ayt iamais donné à son Amant.
Il l’accepta donc sans faire de plaintes, ny de reproches, & dit fidellement au Prince tout ce qu’il avoit ordre de luy dire. Vn compliment si singulier & si amoureux, auquel il ne s’attendoit 203 pas, l’affligea sensiblement ; il fut quelque temps sans répondre, mais estant pressé de le faire ; attendez, luy dit-il, un moment de reflexion sur une si cruelle avanture me garantira peut estre du peril où ie suis d’étre infidelle, ou de causer la mort à ce que i’aime. Alors il luy apprit qu’il feignoit d’aimer la Princesse, afin que l’ayant trompée par une si tendre apparence, il put conserver avec plus de seureté son amour & la 204 vie de Madame de Candale.
Apres donc qu’il y eust pensé assez long-temps, le dessein qui nous doit rendre heureux est tout trouvé, la Trimoüille, luy dit-il en l’embrassant, & ceux qui doivent l’executer aussi. Il faut que vous aidiez à mon amour, & ie vous promets d’aider au vostre, & pour mieux expliquer ce que vous ne comprenez pas encore, c’est qu’il faut que sous mon habit, vous 205 teniez ma place aupres de Madame de Beauieu. Moy, interrompit promptement la Trimoüille, que ie trahisse la seule personne que i’adore, ha ! ie ne puis y consentir, & i’aime mieux estre infortuné, parce qu’elle le desire, que d’estre heureux sans son consentement.
Sans doute un si beau sentiment, ne merite rien moins que le malheur que vous avez, répondit le Prince, mais dequoy 206 vous sert-il dans l’amour, il ne faut rien faire que d’utile si l’on peut, iusqu’icy qu’avez-vous obtenu par vos soins & par vos respects, & par une obeïssance la plus cruelle qu’on aye iamais euë, quand vous la tromperez, quand vous l’attraperez, vous ne ferez rien dont elle ne vous aye donné l’exemple ; la difference qu’il y aura entre vous, c’est qu’elle vous a rendu malheureux en vous trahissant, & que par la 207 tromperie que vous luy ferez seurement, elle sera heureuse : & vous serez heureux, outre cela i’auray le plaisir d’aimer sans crainte, & d’estre aimé de mesme, vous voyez que toute nostre felicité dépend de vous, seriezvous assez cruel pour vous y opposer, vous qui y avez un si grand interest.
Si i’estois moins amoureux, ie ne serois pas si delicat, repartit la Trimoüille, mais quand ie viens à penser que ie tiens 208 vostre place, qu’on m’accorde des faveurs qu’on croit vous donner, & qu’on n’avoit destiné que pour vous : helas ! que cette pensée augmente cruellement mes souffrances, & que ie suis à plaindre de ne pouvoir les fuyr par le moyen que vous me proposez. Il n’y a que vous au monde qui refuse d’estre heureux, repliqua le Prince en colere, ie ne vous parle donc plus comme à mon amy, mais comme au confi 209 dant de la Princesse. Ie vous charge de l’assurer que i’obeïray avec plaisir à tout ce qu’elle voudra me commander. La Trimoüille paslit & soûpira, entendant la resolution qu’il prenoit : quoy, vous pourriez trahir Madame de Candale, luy dit-il tristement ; appellezvous trahison, repartit le Prince, ce qui n’est qu’un effet d’un grand amour, ie veux luy sauver la vie par ma feinte, & comme aux maux violens, il faut 210 des remedes qui le soient aussi, i’y employeray iusqu’à l’infidelité s’il en est besoin.
La Trimoüille luy ayant demandé du temps pour prendre sa derniere resolution, luy donna deux heures, lesquelles estant finies, il revint prest à executer le dessein qui luy avoit esté proposé ; le Prince eust une ioye inconcevable de ce que la Trimoüille avoit enfin surmonté les honteux scrupules qui s’op 211 posoient à son bon-heur, c’estoit luy qui avoit porté secrettement la Lettre à Madame de Candale, & qui n’avoit pas voulu se faire connoistre, ny demeurer long-temps avec elle à sa fenestre, de crainte que Madame de Beauieune vint à le sçavoir.
Il en fut prendre la réponce à l’heure qu’il avoit promis, & la rendit au Prince, qui eut la ioye d’y voir mille marques d’amour, & pas une de soupçon ny de ialousie.
212
L’impatience de Madame de Beauieu, ne luy permit pas d’attendre que la Trimoüille revint luy dire, comme le Prince avoit receu l’amoureuse proposition qu’elle luy avoit fait faire, elle l’envoya chercher, & il luy rendit compte de sa commission, feignant une douleur inconcevable du bon-heur qu’elle preparoit à son rival.
Les fidelles Conseillers qui avoient tousiours travaillé au repos & au bien 213 de l’Estat, ne pouvoient s’empescher de se montrer les uns aux autres la cruelle douleur qu’ils ressentoient de ce que le Roy avoit peu de iours à vivre, ils prevoyoient déja les troubles & les desordres qui se formeroient dans le Royaume, & la difficulté qu’il y auroit à les appaiser. Ils eussent bien desiré d’y pouvoir remedier, en luy representant qu’il devoit y donner ordre, mais les uns n’osoient luy en por 214 ter la parole à cause de son humeur severe, & les autres craignoient le pouvoir de la Princesse.
Les choses estoient à peu pres dans cét estat, lors que Madame de Candale luy fit dire, que ne luy estant plus ny utile ny agreable, elle la supplioit qu’il lui fust permis de se retirer, & qu’elle luy en demandoit un ordre par écrit, afin qu’on ne luy refusast point la sortie du Chasteau, & que quand le Comte son ma 215 ry seroit de retour de Castille, elle pust iustifier sa retraite par le commandement qu’il luy en avoit esté fait.
Madame de Beauieu n’eust point de peine à luy accorder ce qu’elle desiroit le plus (i’entens apres l’entretien qu’elle attendoit) mais ne voulant point que l’ordre fut remis entre ses mains que le Prince ne fut venu dans sa chambre, & ne luy eust donné de fortes & sensibles preuves de sa passion, 216 elle chargea Hauteville de le luy donner, quand elle l’en avertiroit.
C’estoit le mesme iour dont elle avoit destiné la fin à la veuë du Prince. Cette heure bien heureuse & si long-temps attenduë, étoit preste d’arriver, mais la Trimoüille timide & trop respectueux, dans le moment qu’il le devoit estre le moins, avoit repris toutes ses craintes, & ne pouvoit se resoudre d’estre heureux par le moyen que luy 217 proposoit le Duc d’Orleans, qui estoit au desespoir de le voir si obstiné à estre malheureux, l’occasion estant si belle pour ne l’estre plus.
Si vous me fachez, luy disoit-il, i’obeiray à Madame de Beauieu, & à mon retour ie vous feray une peinture si touchante de son amour & de mes plaisirs, que vous vous repentirez en vain de n’avoir pas voulu estre heureux. Enfin, il luy dit tant d’autres choses, qu’il 218 se laissa persuader ; ayant donc pris l’habit du Prince, il entreprit cette amoureuse expedition, avec bien moins de courage, que n’en peut avoir un homme forcé d’aller au combat malgré luy.
La nuit commençoit à venir, & par le silence, & par la solitude que la Trimoüille remarqua en entrant dans l’appartement de la Princesse, il iugea qu’elle s’estoit enfin disposée d’accorder des faveurs au Prince, qu’on 219 n’accorde gueres sans qu’un grand amour ne nous y oblige.
Sous le nom & sous l’habit de son rival, la porte luy fut ouverte ; un reste de honte & de pudeur avoit fait placer Madame de Beauieu dans l’endroit le plus obscur de sa chambre ; comme elle avoit l’imagination pleine du Prince qu’elle attendoit, elle n’eut pas le moindre soupçon de la tromperie qu’on luy faisoit. Dans ces sortes d’en 220 tretiens, on cherche peu l’éloquence & l’agréement du discours ; il est vray qu’on a mille choses tendres à se dire, mais les soûpirs & les transports amoureux les expliquent bien mieux que la parole ne sçauroit faire. La Princesse que la passion & l’obscurité rendoient hardie, fit d’abord asseoir la Trimoüille aupres d’elle, croyant que ce fust le Prince, & luy fit connoistre quel estoit la violence & l’ardeur de son amour.
221
Vn scrupule d’Amant delicat lui prit mal à propos, il ne put voir la Princesse si tendre, sans en estre cruellement irrité ; il eust desiré de la trouver insensible, mais elle avoit le cœur plein d’amour, & il estoit non seulement au desespoir que ce ne fust pas pour luy, mais encore de ne pouvoir estre heureux que sous la forme du Duc d’Orleans. Madame de Beauieu s’aperceut de l’indifference de ses reponces, & elle 222 essaya de les rendre plus douces ; enfin il se laissa vaincre, mais parmy tant de plaisirs, il ne pouvoit estre content, ny croire sa fortune aussi grande qu’elle estoit, parce qu’il n’avoit pas esté heureux en personne.
La Princesse estoit satisfaite du pouvoir de sa beauté, & plus encore du doux estat où son amour l’avoit mis, elle ioũssoit donc pleinement de son bon-heur, & croyant qu’elle devoit 223 estre seure de la tendresse du Prince, elle se leva pour appeler Hauteville, à qui elle commanda de porter à Madame de Candale l’ordre de se retirer ; elle sortit pour faire ce qu’on luy commandoit, & Madame de Beauieu se reprocha de la Trimoüille, qui avoit trouvé tant de plaisir à la tromperie qu’on luy avoit contraint de faire, qu’il se preparoit à en recommencer une autre, voyant que la Princesse prenoit 224 plaisir à estre trompée, lors qu’il arriva un malheur, qui, sans doute, ne pouvoit point estre preveu. Qu’il est difficile de & qu'on doit bien employer les momens de son bon-heur, puis qu’ils passent si promptement, & qu’ils ne reviennent presque iamais.
Pour vous faire comprendre quel estoit donc ce mal-heur, c’est qu’on ouvrit brusquement la porte de Madame de 225 Beauieu, & c’estoit le Duc de Bourbon qui l’avoit ouverte, Madame luy dit-il, le Roy se meurt, il vous demande, pensez à vos interests.
Iugez de la cruelle surprise qu’il eust, lors que à la clarté d’un flambeau qu’un valet de chambre du Roy avoit apporté, il la vit dans un desordre amoureux, & la Trimoüille aupres d’elle, sous l’habit du Prince, sa douleur ne se put exprimer, & il faudroit estre aussi 226 malheureux que luy pour le pouvoir.
Tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’il se confioit sur la vertu de sa femme & sur l’amitié de la Trimoüille, mais il se trouva trompé de tous les deux. Iugeant donc les plaintes inutiles où l’outrage estoit si grand, & si visible, il se retira en soûpirant, dans le mesme moment, qu’on vint encore presser Madame de Beauieu de se rendre en diligence aupres 227 du Roy, le Duc de Bourbon & Comines avoient des amis & des serviteurs dans le Chasteau, & ce fut par leur adresse, & par la prudente conduite qu’ils eurent, qu’ils leur ménagerent secrettement l’entrée du Plessis-les-Tours, en gagnant quelques Archers de la Garde. Le Duc qui s’étoit informé en quel estat le Roy estoit, ayant appris qu’il se mouroit, avoit esté promptement en avertir la Princesse, 228 qui n’avoit pas moins de douleur que son mary : elle traita la Trimoüille avec un air si plein d’orgueil & de mépris, quoy qu’elle vint de le traiter si amoureusement, qu’il crut avoir suiet de se croire tres-malheureux ; d’abord qu’elle vit entrer Hauteville qui revenoit de faire la commission qu’elle luy avoit donnée, ha ! ce n’est pas la seule iniure que me fait le Prince, luy dit-elle tout bas, il est sans doute chez 229 Madame de Candale : ce fut en vain qu’Hauteville l’assura qu’elle ne l’y avoit pas veu, elle ne vouloit pas l’en croire, & elle seroit allée s’en éclaircir elle mesme, si le Duc de Bourbon par son retour, ne l’avoit contrainte de se rendre chez le Roy. En y allant, elle commanda qu’on s’assurast de la Trimoüille, qu’on garda le Prince plus severement qu’il n’avoit esté, qu’on refusast la porte à la Com 230 tesse, si elle vouloit sortir.
Au mesme temps que la Trimoüille avoit pris le chemin de la chambre de la Princesse, sous l’habit du Duc d’Orleans, le Prince estoit entré dans celle de Madame de Candale sous le sien, ainsi il luy avoit esté facile de tromper les Gardes ; d’abord qu’il fut entré, il ne pensa qu’au moyen d’executer le dessein qu’il avoit fait pour sortir du Chasteau, & il crut qu’il 231 y pourroit reüssir. Dans ce moment, Hauteville ayant demandé à parler à la Comtesse, elle luy donna l’ordre qu’elle avoit tant d’envie d’obtenir ; le Prince estoit caché, ainsi Hauteville ne s’apperceut point qu’il fut avec elle.
Le Duc de Bourbon estant sorty de la Chambre de sa femme (qui ne pouvoit point soupçonner son retour dans le Chasteau) apres luy avoir dit que le Roy se mour 232 roit, crut qu’il devoit prendre ce moment pour voir Madame de Candale : il fut chez elle, & y trouva le Prince ; n’étoit il pas bien malheureux, il venoit de surprendre sa femme avec la Trimoüille, qu’il croyoit son amy, & il trouvoit encore son rival seul avec sa maistresse ; mais quel rival, un rival aimable, amoureux, & qui estoit aimé ; leur entretien n’avoit pas esté si doux que celuy de la Tri 233 moüille & celuy de la Princesse ; mais le Duc estoit ialoux, & quand on l’est, on s’imagine souvent le bon-heur de son rival beaucoup plus grand qu’il n’est : il ne soutint pas ce nouveau malheur avec autant de constance qu’il avoit soustenu l’autre, quoy qu’il fut plus iniurieux à son honneur ; la raison de cela, c'est qu'on sent tousiours plus cruellement les maux que l’amour nous fait, que ceux qui nous viennent 234 d’ailleurs. Il se retira donc confus & desesperé, & leur laissa par la retraite, la liberté de pouvoir diligemment à sortir du Plessis-les-Tours. La Comtesse fit prendre un de ses habits au Prince, les Gardes qui estoient aux portes du Chasteau, ayant vû l’ordre, ne firent aucune difficulté de les laisser sortir, la Princesse ne l’ayant pas encore défendu.
Quel desespoir n’eustelle pas, lors qu’on luy 235 apprit leur sortie, elle fut sur le point de faire punir les Gardes, mais le Duc luy representa que ce n’étoit pas leur faute, & qu’en voyant un ordre écrit & signé de sa main ils y avoient obey promptement, de crainte d’estre coupable, s’ils en differoient l’execution. Ce fut encore un redoublement de douleur pour la Princesse, d’avoir ellemesme servy, sans qu'elle s’en apperceut, à l’évasion du Prince & de la Cõtesse.
236
Avant que le Roy mourut, le Conseil s’assembla dans sa Chambre, comme il sentoit que ses forces diminuoient, & qu’il n’avoit plus que quelques heures à vivre, il declara qu'il vouloit pourvoir à la Regence, à cause du bas âge où il laissoit Charles son fils. Peu de Conseillers, mais habiles & fidelles, proposerent le Duc d’Orleans ; entre lesquels estoit Comines, qui fortifioit son avis du droit & du merite du Prince. 237 Tous les autres, ou gagnez, ou esperant profiter des desordres que son administration pourroit causer, détruisirent par le nombre plûtost que par des iustes raisons, tout ce qu’avoit dit Comines.
Enfin, Madame de Beauieu fut nommée à la Regence, par l’avis des principaux du Conseil, & par le choix du Roy. Dés qu’il fut mort, le Duc d’Orleans qui avoit des amis & des serviteurs, se mit en estast de s’opposer 238 à l’authorité de la Princesse.
On fit sçavoir à Charles la mort du Roy son pere, il estoit dans le Chasteau d’Amboise, où il avoit presque tousiours esté élevé, & mesme gardé severement, de crainte que les Grands du Royaume ne se servissent de son nom pour broüiller l’Estat. Estant donc parvenu à la Couronne, & Madame de Beauieu sa sœur ayant obtenu la Regence de la façon que 239 ie viens de dire, le Prince se retira à Angers, où estoit alors Madame de Candale, afin de prendre ses mesures sur les occurrances, & de se fortifier, s’il en estoit besoin, contre le pouvoir & contre la haine de la Princesse, qui cacha finement la douleur qu’elle avoit de ne l’avoir pas mieux fait garder, & la Comtesse aussi, sous celle de la mort du Roy son pere.
Ne pouvant donc se vanger aussi prompte 240 ment qu’elle eut desiré, elle fit sentir à Comines, combien il estoit dangereux de donner des avis contre l’intention du Roy & la sienne, elle le fit arrester, & l’envoya au Chasteau de Loches, où il fut tres long-temps, & si sa probité & son innocence, n’eust esté soûtenu d’un grand esprit, dont la mauvaise fortune n’avoit pû détruire la fermeté, il auroit, sans doute, pery par la haine de ses ennemis, plûtost 241 que par aucun crime qui pust meriter la mort.
La Cour estant revenuë à Paris, ceux qui ne desiroient que le repos & le bien de l’Estat, & qui avoient pû conserver la liberté de dire leurs sentimens à la Regente, furent assez habile & assez heureux pour ménager l’accomodement du Prince avec elle. Comme il y trouvoit son avantage & seureté, il se rendit à Paris, & fut content de l’obligeante 242 reception que le Roy luy fit, mais pas de celle de Madame de Beauieu ; il la trouvoit tousiours amoureuse & pressante, & il eut bien desiré de ne la pas trouver ainsi, toute autre qu’elle n’auroit plus aimé, mais les continuels refus du Prince, ne l’irritoient pas encore assez pour le haïr.
Ce ne fut que beaucoup de temps apres, que la vengeance & le ressentiment, prirent la place de l’amour, il s’en apper 243 ceut avec joye, parce qu'il croyait sa haine moins dangereuse que sa passion, & que Madame de Candale estoit à Blois en seureté, contre ce qu’elle eust pû entreprendre de funeste contre sa vie.
Cependant, il se vit exposé à de grands perils, lors qu’apres avoir esté refusé d’une chose si peu importante, qu’une pareille venoit d’étre accordée à un simple Gentilhomme, ne pouvant supporter la honte de ce re 244 fus, & ioüant à la Paulme où toutes les Dames estoient dans les Galeries, selon la coûtume, Madame de Beauieu iugea seule contre luy un coup qui estoit en dispute ; il se mit en colere, & sçachant qui l’avoit iugé si iniustement, il ne put conserver tout le respect qui estoit dû à son rang, & à sa naissance.
Cét iniurieux traitement l’irrita de telle sorte, qu’elle fit des attentats sur sa personne : il fut 245 contraint de sortir de Paris en diligence, & la Ville d’Orleans luy ayant fermé ses portes, il s’en alla à Blois, où Madame de Candale eut avis que le Comte son mary revenoit de Castille, avec tout le chagrin d’un homme qui avoit mal reüssi dans son Ambassade, & à qui on avoit pris soin de mander le commerce amoureux que sa femme avoit avec le Prince.
La Comtesse avoit esté fidellement avertie de 246 tout cela, par un Domestique qui estoit aupres de luy, & qui luy avoit encore fait sçavoir la crainte où il estoit qu’on ne l’enlevast. L’avis n’estoit que trop veritable, & sans la prevoyance du Duc d’Orleans, Madame de Beauieu, qui avoit donné pouvoir au Comte de se saisir, & de luy, & de la Comtesse, ils auroient esté encore une fois entre les mains de leur ennemie. Ce dernier accident servit beaucoup à faire re 247 soudre Madame de Candale, à se mettre sans scrupule, sous la protection du Prince, quoy qu’elle s’y fust tousiours fortement opposée.
Que pourra-t’on dire de vous & de moy, Madame, luy avoit-il dit, lors qu’elle se vouloit retirer dans ses Terres, on dira que ie vous aime, & que vous m’avez aimé ; l’amour n’est pas un crime, & si s’en est un, tout le monde en doit estre puny : outre cela, si vous 248 partez, vous vous exposez à la vengeance de la Regente, & par là, vous me desesperez : elle ne se rendoit pas à mille autres raisons qu’il luy alleguoit encore, mais les gens qui devoient les surprendre estant découverts & pris, & quelques-uns ayant avoüé quel estoit leur dessein, & qui les avoient employez pour l’executer, elle ne resista plus ; & Chaumont qui avoit obtenu son élargissement, dés l’accommode 249 ment du Prince avec la Regente, aussi bien que la Trimoüille, eut charge de son Maistre, de la conduire en Bretagne, où il l’envoyoit, pour luy demander azile contre les persecutions de Madame de Beauieu, n’en pouvant plus trouver en France, ny mesme aucune seureté, ny pour sa vie, ny pour celle de Madame de Candale. Chaumont obtint du Duc de Bretagne, non seulement un azile pour le Prince, 250 mais assurance de le proteger & de le servir envers tous, & contre tous ; la Comtesse receut aussi mille civilitez du Duc, qui luy fit donner un appartement dans son Chasteau, & qui commanda aux ‘ieunes Princesses ses filles de l’aimer ; & elles n’eurent pas la moindre peine à luy obeïr.
La plus-grande partie de la Cour, avoit cherché la cause de la disgrace de la Trimoüille, qui leur 251 sembloit en grande consideration aupres de Madame de Beauieu, qui se confioit en luy de la garde du Prince ; mais personne ne l’avoit pû trouver, chacun raisonnoit là dessus selon son interest, ou selon sa passion, mais pas un ne devina la verité.
Estant donc sorty, comme i’ay dit, par l’accommodement du Prince, la Princesse qui en avoit besion, le remit dans sa confiance, mais elle ne luy 252 redonna pas les mesmes occasions de la tromper, ce n’est pas que tant de marques de passions inutilement donnez, & tant de constance, & tant d’amour, dans un temps, où il n’en devoit pas conserver, ne fissent connoistre à la Princesse qu’elle avoit tort d’estre ingrate : mais comme elle ne pensoit qu’à se vanger de l’iniurieux mepris que le Duc d’Orleans avoit eu pour elle, la Trimoüille n’étoit traité que comme un 253 homme pour qui elle avoit de l’estime, mais ce n’estoit pas contentement pour luy, le souvenir de son bon heur luy faisoit desirer de se retrouver avec la Princesse, dans l’estat amoureux où il avoit esté, & quoy qu’il eust beaucoup souffert à se resoudre d’estre heureux sous l’habit de son rival, il eust bien souhaité estre encore en la mesme peine pour en recevoir le mesme plaisir.
Comme c’estoit à la 254 sollicitation du Prince qu’il l’avoit obtenu, il avoit employé tout le credit qu’il avoit aupres de la Princesse pour l’empescher de continuër ses desseins contre sa vie, & contre celle de Madame de Candale ; mais voyant qu’il l’employait inutilement, il prit le party de sauver le Prince, en feignant de vouloir travailler à le faire perir. Apres donc qu’elle luy eut fait avoüer toutes les circonstances 255 du crime pretendu dont elle l’accusoit, & le luy avoit pardonné, elle souffrit qu’il la vit, & qu’il luy parlast de sa passion ; les plaintes & les reproches estant finies de part & d’autre, elle luy confia un nouveau dessein qu’elle avoit pour perdre le Duc d’Orleans, & luy promit, s’il vouloit travailler à satisfaire sa vengeance, de le rendre entierement heureux : quand une fois on l’a esté 256 & qu’on craint de ne l’estre plus, que ne fait-on pas pour l’estre encore ; à la verité on ne luy en faisoit la promesse qu’à de honteuses conditions, mais il aimoit mieux les accepter, de crainte qu’elle ne se servit de quelqu’autre moins bien intentionné que luy pour le Prince.
Sur la nouvelle qu’on receut de son arrivée en Bretagne, & de la retraite, & du secours que le Duc luy donnoit ; la Re 257 gente fit assembler un grand corps de Troupes, & en donna la plus grande partie du commandement à la Trimoüille, sous le titlre de Lieutenant général des Armées du Roy.
Le Duc d’Orleans estoit arrivé à Nantes, comme on l’avoit mandé ; là parmy les preparatifs de guerres, ce Prince amoureux & bien aimé, passoit de doux momens aupres de Madame de Candale. Iamais passion ne fut plus 258 tendre que la leur, & ils avoient le plaisir d’estre persuadez qu’ils s’aimeroient tousiours. Ce n’est pas que la beauté d’Anne de Bretagne, ne fit craindre à la Comtesse pour la constance de son Amant, mais il la r’assurot par mille marques d’amour.
Le Duc de Bourbon, trahy par sa femme, trompé par la Trimoüille, & meprisé de Madame de Candale, qu’il ne voyoit plus, & qu’il aimoit encore, menoit sans 259 doute une triste vie, il n’osoit se plaindre de la Regente, parce qu’il avoit de l’ambition, & qu’elle pouvoit tout, & quand il se seroit vangé de la Trimoüille, en auroit-il esté moins deshonoré, la Comtesse estoit absente, & il n’y avoit point d’apparence, que l’éloignement fit ce que beaucoup d’amour, de respect & de soin n’avoient pû faire ; essayant donc enfin de trouver quelques remedes à tant de souffrances, il 260 obtint de son cœur un changement qu’il ne croyoit pas si prompt. Il entreprit de se faire aimer d’Hauteveille, qui avoit rompu tout commerce avec Chaumont, ayant appris qu’il estoit devenu amoureux en Bretagne : il reüssit dans son dessein, & le plaisir que luy donna cette nouvelle passion, luy fit perdre aisément le souvenir de ses malheurs.
Les Troupes destinées contre la Bretagne, estant sur le point de s’assem 261 bler, la Trimoüille alla prendre congé de la Regente, qui luy renouvella les promesses qu’elle luy avoit faites. Cõme il étoit tendrement émeu par un disours si obligeant, & par la veuë d’une des plus aimable personne du monde qu’il aimoit, & de qui il avoit receu des faveurs si desirables, apres l’avoir regardée quelque temps sans luy répondre, Madame, luy dit-il en soûpirant, oseray ie vous dire ce que ie pense, elle 262 le luy permit ; ie crains, poursuivit-il, que mon entreprise n’aye un succez malheureux, si vous ne m’avancez quelquesuns de ces plaisirs promis. Elle n’avoit plus pour luy cette cruelle indifference dont il avoit tant souffert, & elle commençoit à comprendre, que la Trimoüille n’estoit pas moins aimable que le Duc d’Orleans ; pour toute réponse, elle luy dit, nostre dessein reüssira sans doute, ie le desire, 263 & i’espere tout de vostre conduite & de vostre passion. A ces mots, elle luy dit adieu, mais il ne se pressoit point de se retirer, parce qu’il iugeoit que sa veuë ne déplaisoit pas, de la manière que cét entretien continuoit ; la Trimoüille croit trouver dans le cœur de la Princesse les mesmes desirs qu’il avoit dans le sien, & sa creance estoit bien fondée, mais des fascheux vinrent l’interrompre, ainsi il prit con 264 gé d’elle, & fut contraint de partir.
Ie ne m’amuseray point à decrire une Guerre, dont la cause & les chefs n’ont esté ignorez de personne : ie diray seulement que le Duc d’Orleans ayant fait un corps de Troupes considerable, se mit en estat de resister à l’Armée du Roy, qu’il perdit la bataille qui fut donnée à S. Aubain, qu’il fut pris par la Trimoüille, & mené au Chasteau de Lusignan, & quelque tẽps 265 apres dans la Tour de Bourges, où il fut severemẽt gardé, & n’ayãt guere l’esperance en la vie.
La Guere de Bretagne estant terminée, pendant laquelle le Comte de Candale mourut de chagrin & de ialousie ; la Comtesse fut contrainte de revenir en France avec Anne de Bretagne, que Charles VIII. épousa peu de temps apres.
Quoy que la Trimoüille prit soin de diminuer la haine que la Regente 266 avoit pour elle & pour le Prince, il ne pouvoit luy faire perdre entierement le dessein de se vanger d’eux.
Ayant donc utilement servy la Princesse, il demanda respectueusement l’amoureuse recompense qu’on luy avoit promis, il l’obtint, & fut heureux, si on peut l’estre estant bien aimé.
Le Roy estant ieune, & voulant donner de l’employ à sa valeur & à son ambition, pour mieux 267 faire valoir les pretentions qu’il avoit sur le Duché de Milan, & sur le Royaume de Naples, resolut d’aller en Italie avec une belle & nombreuse Armée.
Le Duc d’Orleans estoit encore dans la Tour de Bourges, moins malheureux par sa propre infortune, que par la cruelle incertitude de n’avoir pû apprendre aucunes nouvelles de la Comtesse.
Vn soir qu’il souffroit plus de sa douleur qu’il 268 n’avoit encore souffert, il entendit ouvrir la porte de sa chambre, & y vit entrer un Officier qui luy apprit la Mort de Madame de Candale.
Son depit fut grand, mais quoy qu’il ne parut point par des marques exterieures, il ne laissoit pas d’en sentir toute la cruauté, & ayant vû l’ordre que cét Officier avoit pour le faire sortir, il ne douta point que le Regente n’eust fait perir 269 la Comtesse, & qu’elle n’eust aussi pris la resolution de se vanger par sa mort des mépris qu’il avoit eu pour elle : il se laissa donc conduire pendant quelques iours, sans s’informer seulement où on le conduisoit.
Estant arrivé au commencement de la nuit, au lieu qu’on luy avoit destiné, il vit entrer Madame de Beauieu, un poignard & une coupe à la main, elle n’estoit suivie que de la Trimoüille, 270 & d’un Domestique auquel elle se confioit. S’estant donc approchée du Prince, avec une action qui faisoit assez connoistre le dessein qu’elle avoit, il faut mourir, luy dit-elle, ou par le fer, ou par le poison : ha ! Madame, luy dit-il tristement, que l’office que vous me rendez m’est agreable, ie ne voulois vivre que pour aimer, & que pour estre aimé de Madame de Candale, & puis qu’elle ne vit plus, 271 ie recevray la mort comme le seul bien que ie puis desirer. La Princesse rougit & fut émeuë à ces paroles, & le Prince ayant choisi le poignard, il tendoit desia la main pour le prendre, lorsque Madame de Candale parut suivie de Chaumont ; dés qu’il la vit, le poignard luy tomba des mains, & il courut l’embrasser, sans avoir égard à la presence de la Princesse : mais Madame de Candale, luy ayant appris en deux 272 mots, l’heureux changement de la Regente, il vint se ietter à ses pieds, & elle luy pardonna son indifference, parce qu’elle aimoit la Trimoüille, qui avoit preveu que si le Roy partoit sans emmener le Duc d’Orleans, il couroit risque de perdre la vie. Il representa donc dans le Conseil, le peril qu'il y avoit de laisser un premier Prince du Sang dans le Royaume, dont dont la faction n'estoit pas si dissipé qu'elle ne pust se 273 r’assembler. Madame de Beauieu qui commençoit à s’accoutumer à l’absence du Prince par le plaisir qu’elle recevoit d’estre aimée de la Trimoüille, avoit enfin perdu la plus grande partie de sa haine, & ce qu’elle en avoit encore, l’ayant quittée à cause que son Amant l’en prioit, elle consentit enfin à la sortie du Duc d’Orleans, ne voulant tirer aucune vengeance de luy, que de luy donner quelques iours de 274 douleur, en luy faisant dire la mort de Madame de Candale, & en feignant de n’estre venuë dans sa chambre que pour le faire mourir. On ne peut bien representer l’agreable surprise que le Prince avoit de n’estre plus hay de la Regente, pour en avoir estre trop aimé : elle luy donna depuis autant de marque d’estime, qu’elle luy en avoit donné de haine, & elle vit continuer sans ialousie & 275 sans amour, le commerce amoureux du Duc d’Orleans & de Madame de Candale.
FIN.
L'impreinte de la BIBLIOTHEQUE DE L'ARSENAL

Noms propres

Amboise

Ch. -1. de cant. de l'Indre-et-Loire, arr. de Tours, sur la Loire. 10 982 hab. (aggl. 15 391) (Amboisiens). Château construit par Charles VIII, agrandi par Louis XII et François Ier : chapelle Saint-Hubert de style gothique flamboyant ; logies du roi (aile gothique et aile Renaissance), contigue à la tour des Minimes. Église Saint-Denis en majeure partie du XIIe s. (voûtes angevines et chapiteaux historiés). Clos-Lucé, manoir du XVe s., où mourut Léonard de Vinci et où sont installées des maquettes de machines imaginées par lui.
  • Amboise, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Angers

Ch.-l. du dép. du Maine-et-Loire, sur la Maine à 5 km de la Loire. [...] HISTOIRE. L'antique cité des Celtes andécaves devint, après la conquête romaine, l'une des grandes villes de la Lyonnaise IIIe sous le nom de Juliomagus. Au IXe s., elle fut la capitale d'un comté héréditaire sur lequel régna, de 870 à 1205, la première maison d'Anjou d'où sont issus les Plantagenêts. L'histoire de la ville se confond alors avec celle du comté. Lors du soulèvement de la Vendée, Angers prit le parti républicain, et, les 3 et 4 déc. 1793, repoussa l'armée royaliste.
  • Angers, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Anne de France (dite la dame de Beaujeu)

(1461-1522). Fille de Louis XI, duchesse de Bourbon et régente de France entre 1483 et 1491. En 1474, elle fut mariée à Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon. À la mort de Louis XI, le frère d'Anne, Charles VIII, monta sur le trône à l'âge de 13 ans. Ainsi Anne agit-elle en régente à la place de son frère. Lors de la Guerre folle, menée contre Anne et son mari par les princes, notamment Louis d'Orléans (le futur Louis XII), elle fut victorieuse en 1488. À ce moment-là, elle fait épouser son frère Charles à Anne de Bretagne pour cimenter la victoire et attacher cette province à la monarchie, parachevant en partie l'expansion territoriale entamée par son père.
  • Anne de France (dite la dame de Beaujeu), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
  • Anne de France, Wikipédia l'encyclopédie libre (12 août 2009), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 1er octobre 2009. https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_de_france.

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Blois

La ville de Blois est la capitale du département actuel du Loir-et-Cher en France centrale. Le château de Blois, qui se trouve au cœur de la ville, était la résidence préférée des rois du XVIe siècle.
  • Blois, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
  • Château de Blois, Wikipédia l'encyclopédie libre (29 décembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 21 février 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Blois.

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Bourges

Ch.-l. du dép. du Cher, au confluent de l'Yèvre et de l'Auron, en Champagne berrichonne. HISTOIRE. Anc. Avaricum, capitale gauloise des Bituriges Cubi, conquise par César en -52, elle devint métropole de l'Aquitaine Ire au IVe s. Au Moyen Âge, elle s'enrichit grâce aux opérations financières et commerciales de J. Cœur. Charles VII, le « roi de Bourges », en fit sa résidence : il y promulgua la pragmatique sanction (1438). Son fils Louis XI y fonda une célèbre université (1463) où devaient enseigner A. Alciat (1529 - 1533) et J. Cujas (1559 - 1566). De nombreux conciles se tinrent entre 1031 et 1584 dans cette anc. capitale du Berry.
  • Bourges, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Bretagne

Région administrative de l'O. de la France, comptant 4 dép : Côtes-d'Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan. [...] 27 000 km². (...) Unité historique liée au peuplement breton, mais amputée de la région nantaise, la Bretagne coïncide avec la partie péninsulaire du Massif armoricain.
  • Bretagne, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Charles Quint (en esp. Carlos I)

Charles Quint (Charles d’Habsbourg, Charles I d'Espagne, 1500-1558), empereur du Saint-Empire romain germanique et Roi des Espagnes, était considéré le monarque le plus puissant de son temps. C’est le père de Philippe II d’Espagne.

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Charles VIII

(Amboise 1470 - 1498). Fils du roi Louis XI et de Charlotte de Savoie, Charles VIII fut roi de France de 1483 à 1498. À la mort de son père, Charles VIII monta sur le trône à l'âge de 13 ans. Sa sœur Anne de France agit en régente jusqu'en 1491. Pendant la régence de celle-ci, elle lutta contre le Duc d'Orléans (le futur Louis XII) lors de la Guerre folle pendant laquelle les princes se révoltèrent contre le gouvernement d'Anne de France. Cette guerre se termina enfin en 1488 par la victoire de la monarchie sur Louis d'Orléans.
À partir de 1494, Charles partit à la conquête du royaume de Naples. Après plusieurs succès, les Espagnols et le Pape se liguèrent contre lui et il dut bâtir en retraite, perdant ses conquêtes, mais les guerres d'Italie seraient poursuivies par ses successeurs au XVI siècle. À sa mort, il fut succédé par son cousin Louis d'Orléans.
  • Charles VIII, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
  • Charles VIII de France, Wikipédia l'encyclopédie libre (12 août 2009), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 1er octobre 2009. https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_viii_de_france.

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Chaumont, Charles II d'Amboise de

Charles II d'Amboise, seigneur de Chaumont (1473-1511) fut successivement grand-maître, maréchal et amiral de France. Il mourut lors des guerres d'Italie menées par les rois de France à la fin du XVe et au XVIe siècle.
Charles soutint Léonard de Vinci, le faisant venir dans son palais de Milan pour faire des travaux d'hydraulique, des statues, et même les plans de son nouveau palais.

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Commines ou Commynes, Philippe de

Philippe de Commines (1447-1511) était un homme politique, diplomate, historien et chroniqueur au service de Louis XI. Il soutint le Duc d'Orléans, le futur Louis XII comme successeur de Louis XI, d'où sa disgrâce sous le fils de ce dernier, Charles VIII.
De nos jours, Commines est surtout connu pour ses Mémoires des règnes de Louis XI et de Charles VIII.

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François Ier

François (1494-1547) succéda à son beau-père Louis XII comme roi de France en 1515. Sa rivalité avec Charles Quint du Saint-Empire romain entraina la guerre presque continuelle; il fut même fait prisonnier de Charles brièvement en 1525 -- et cet antagonisme entre deux rois catholiques facilite la diffusion de la Réforme protestant en Europe. Le règne de François fut aussi marqué par le renforcement du pouvoir royal et par la construction d'un état puissant. Le développement de la vie de cour favorisa l'essor des arts et des lettres; le règne de François Ier est associé à l'avènement de la Renaissance italienne en France. Il attira à la cour des artistes tels que Léonard de Vinci et il fit construire plusieurs châteaux de la Loire dans le nouveau style qui fait d'eux moins des forteresses que des demeures de luxe.

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La Castille (en esp. Castilla)

Région historique du centre de l'Espagne s'étendant sur la Meseta et traversée par la Cordillère centrale. La Vieille-Castille fit d'abord partie du royaume de Léon et devint indépendante au Xe s. La région fut toujours fortement défendue ceontre les Maures, notamment par le système fortifié (Castella) d'où la Castille tire son nom. Annexée au royaume navarrais de Sanche III, qui la donna à son fils Ferdinand Ier, elle prit alors le nom de royaume de Castille. Peu à peu, les rois de Castille étendirent leurs possessions en repoussant les Maures et annexèrent au XIIIe s. les territoires qui formèrent la Nouvelle-Castille (Tolède, Séville et Cadix). Pendant des siècles, le royaume fut plongé dans l'anarchie. Mais le mariage d'Isabelle de Castille et de Ferdinand d'Aragon (1469) réalisa l'union des deux royaumes et soumit l'Espagne à une autorité unique.
  • Castille (la) en esp. Castilla, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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La Trémoille ou de La Trimouille, Louis II de

(1460-1525). Vers l'âge de 14 ans, il fut envoyé comme page à la cour de Louis XI. À l'âge adulte il devint homme d'État et chef de guerre, servant les rois Charles VIII, Louis XII et François Ier.
En 1484, il épousa Gabrielle de Bourbon, cousine du monarque. Ce mariage, arrangé par Anne de France pour mieux attacher La Trémoille à la monarchie, fut long et heureux.
Pendant la Guerre folle, il resta du côté d'Anne de France, alors la régente, remportant la victoire pour la monarchie en 1588 contre Louis d'Orléans, le futur Louis XII.

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Loches

Ch.-l. d'arr. de l'Indre-et-Loire, sur l'Indre. 6 544 hab. (aggl. 10 198) (Lochois). Anc. cité fortifiée conservant deux de ses trois enceintes primitives : porte Royale (XIIIe s.) ; porte Picois et porte des Cordeliers (XVe s.) ; tour Saint-Antoine (XVIe s.), l'un des rares beffrois du centre de la France. Bâti sur un promontoire naturel, le château comprend le donjon (XIe s.) et les logis royaux des XIVe et XVIe., renfermant notamment le tombeau d'Agnès Sorel. Église Saint-Ours du XIIe s. Musée Lansyer : œuvres du paysagiste lochois (1835 - 1893). Musée du Terroir.
  • Loches, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Louis XI, dit le Prudent

(Bourges 1423 - Plessis-les-Tours 1483). Roi de France de 1461 à 1483. Il épousa d'abord Marguerite Stuart, suivie de Charlotte de Savoie. Cette dernière donna naissance au futur roi Charles VIII et à Anne de France, régente pour son jeune frère qui n'a que 13 ans à la mort de Louis XI.
Louis XI était connu par ses détracteurs comme l'universelle araignée car il utilisa une politique violente, parfois qualifiée de surnoise, pour essayer de rattacher au royaume des provinces auparavent indépendantes (notamment la Bretagne, la Bourgogne, la Maine, l'Anjou, la Provence). Les conflits qu'il entraîna continuèrent après son règne, qui contribua beaucoup à la tendance de centralisation du pouvoir de la monarchie.
  • Louis XI, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
  • Louis XI, Wikipédia l'encyclopédie libre (17 novembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 4 décembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XI.

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Louis XII

(Blois 1462 - Paris 1515). Roi de France (1498-1515). D'abord Duc d'Orléans, Louis fut contraint par le roi Louis XI, son cousin, d'épouser la fille de ce dernier, Jeanne de France. Handicapée, Jeanne ne pouvait pas avoir d'enfants: Louis XI entendait mettre fin à la branche Orléans de la famille royale en insistant sur ce mariage. Mais le fils de Louis XI, Charles VIII, mourut sans enfants alors Louis d'Orléans lui succéda.
Pendant le règne de Charles VIII, Louis prit la tête de la guerre contre la monarchie au nom des ducs et princes que Louis XI avait voulu subjuger. Cette Guerre folle entre 1485 et 1488 mena à la défaite et l'emprisonnement de Louis d'Orléans pendant trois ans. Par la suite il se reconcilia avec Charles VIII et prit part au nom de ce roi aux guerres d'Italie, qui continuèrent pendant son règne à lui. Dès son avènement au trône, Louis XII fit annuler son mariage avec Jeanne de France, jamais consommé, pour épouser Anne de Bretagne, veuve de Charles VIII. Il montra une rare clémence vis-à-vis de ses anciens adversaires, et il introduisit des réformes de la justice et des impôts qui lui valurent le nom du Père du peuple.
  • Louis XII, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
  • Louis XII, Wikipédia l'encyclopédie libre (24 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 4 décembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XII.

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Lusignan

Ch.-l. de cant. de la Vienne, arr. de Poitiers. 2 749 hab. (Mélusins). Église Notre-Dame (XIe, XIIe, XVe s.). Vestiges du château des Lusignan dont la légende attribue la fondation à la fée Mélusine, épouse de Raimondin, comte de Poitou. Maisons anc..
  • Lusignan, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Nantes

Ch.-l. du dép. de la Loire-Atlantique et de la région Pays de la Loire, au fond de l'estuaire de la Loire, au confluent de l'Erdre et de la Sèvre Nantaise avec la Loire, à 56 km à l'intérieur des terres. [...] L'antique cité des Gaulois Namnetes devint sous l'Empire romain un important centre commercial et administratif. [...] Philippe Auguste [...] choisit pour capitale Nantes, qu'il entoura de fortifications et dut défendre contre les entreprises de Jean sans Terre (1214). Pendant les guerres de Succession de Bretagne, qui opposèrent Jean de Montfort à Charles de Bretagne, la ville prit parti pour celui-ci, après s'être un temps rangée aux côtés du premier. Elle ne se rendit au fils de Jean de Montfort, proclamé duc sous le nom de Jean IV, que lorsque ses alliés anglais se furent retirés. Pendant la Réforme, Nantes s'engagea dans la Ligue, groupée autour du duc de Mercœur, alors gouverneur de la province. Elle se rendit en 1598 à Henri IV, qui y promulgua l'édit de Nantes. Dès le XVIIe s., la ville, tournée vers la mer, prit un essor considérable grâce au commerce tringulaire (avec l'Afrique et l'Amérique) qui ne devait cesser complètement que dans le deuxième tiers du XIXe s.
  • Nantes, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Naples

Ville capitale de la province du même nom en Italie. Entre 1282 et 1806, le Royaume de Naples comprenait à différents moments tout le sud et une partie du centre de l'Italie actuelle.
  • Naples, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Orléans

Ch.-l. du dép. du Loiret et de la région Centre, sur la Loire. [...] HISTOIRE. La cité carnute de Genabum occupait, au cœur d'une zone de passage très fréquentée, une situation qui lui valut d'être souvent convoitée par les conquérants au cours de son histoire [...] À l'époque de Charlemagne, la ville acquit le prestige d'une capitale intellectuelle, sous l'impulsion de l'évêque Théodulf, abbé de Fleury (auj. Saint-Benoît-sur-Loire) qui y créa plusieurs écoles dont la réputation dépassa rapidement les limites de l'Orléanais. Ces écoles devaient accéder en 1305, sous le pontificat de Clément V, au rang d'université. Sous les Capétiens, aux X et XIes., Orléans devint ville royale, et capitale de fait de la France : trois rois s'y firent sacrer. En 1428, la ville, qui s'était rangée dans le parti des armagnacs, derrière le « roi de Bourges » (le futur Charles VII), fut investie par les Anglais. Elle fut délivrée par Jeanne d'Arc le 8 mai 1429, après un siège de sept mois.
  • Orléans, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Pierre II Beaujeu

(1439 - 1503, château de Moulins). Sire de Beaujeu, duc de Bourbon et d'Auvergne. Une fois membre dévoué de la Ligue du Bien public, qui cherchait à diminuer les pouvoirs de Louis XI, le roi parvint à détacher le jeune noble de sa ligue pour le faire épouser sa fille, Anne de France (Madame de Beaujeu).

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Plessis-lès-Tours ou Plessis-les-Tours

Écart de la comm. de la Riche (arr. de Tours). Vestiges du château construit par Louis XI sur l'emplacement d'un manoir qu'il avait acquis en 1463. Il y mourut en 1483. Petit musée..
  • Plessis-lès-Tours ou Plessis-lez-Tours, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Tours

Département de l'Indre-et-Loire, sur la Loire. HISTOIRE. Sous l'impulsion de saint Martin, sont troisième évêque, la ville des Turons (civitas Turonum) devint au IVe s. l'un des plus importants centres religieux de la Gaule. L'influence de Tours comme foyer intellectuel et artistique alla grandissant aux siècles suivants avec Grégoire de Tours (VIe s.) sous la direction de qui la ville s'agrandit, puis avec Alcuin (VIIIe s.), fondateur d'une école renommée et d'une importante bibliothèque. Au XVe s., Louis XII introduisit l'industrie de la soie, qui assura pendant deux siècles la prospérité de la ville. Le calvinisme trouva au XVIe s. de fervents adeptes parmi les artisans et les ouvriers tourangeaux, et Tours devint un centre actif de la Réforme ; la révocation de l'édit de Nantes, provoquant l'émigration de nombreux soyeux, portera à la ville un coup dont elle ne commencera à se relever qu'au XIXe s., avec les débuts du chemin de fer.
  • Tours, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Notes

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