Le mariage sous L'Ancien Régime
                     LE
                     COMTE
                     D'AMBOISE.
 
                     
                     
                     LIVRE PREMIER,
                     
                  Vignette, feuilles, fleurs et plumes.
                  L'impreinte de la Bilbliotheque de l'Arsenal
                  A PARIS Chez C. BARBIN, Au
Palais, sur le second perron
de la sainte Chapelle.
Filet simple.
M. DC. LXXXIX.
Avec Privilege du Roy. 1
                  
                  
                  3 
                  Bandeau.
                  
               
               
               A MADAME LA DAUPHINE.
MADAME 
                     L'accueïl favorable 
                     que vous avez eu 
                      
                     
                     
                     4
                     
                      
                     la bonté de faire à 
                     ma premiere Nouvelle, me fait esperer la mesme grace 
                     pour celle-cy. J'ay 
                     mesme plus de besoin de vostre protection que jamais; 
                     je fais l'Histoire 
                     d' un Homme qui 
                     est assez genereux 
                     pour ceder sa Maî
                     5
                      
                     tresse à son Rival; 
                     & comme il y a 
                     peu de gens capables des grands efforts, & qu'on n'est 
                     touché que des 
                     choses   ausquelles 
                     on se sent quelque 
                     disposition, j'ay lieu 
                     de craindre pour le 
                     succez de ce Livre. 
                     Mais, MADAME, 
                     
                     
                     
                     
                     6
                         
                     les grands  sentimens  se trouvent 
                     dans les Ames Royales. Ils  sont  sur tout 
                     dans la vostre au 
                     suprême degré, & 
                     peut-estre que par 
                     là le Comte d'Amboise pourroit vous 
                     plaire. Si j'osois l'esperer, ie ne serois 
                     pas à plaindre, puis 
                     
                     
                     7
                         
                     que ceux qui ne seroient pas propres 
                     à le goûter, seroient 
                     du moins capables 
                     de respecter vostre 
                     goût. Mais, MADAME, ce n'est 
                     point dans cette 
                     seule veüe que je 
                     prends la liberté de 
                     vous le presenter, 
                     c'est pour avoir la 
                     
                     
                     8
                       	     
                     gloire de vous rendre une seconde 
                     fois un homage qui 
                     vous est si legitimement dû par vôtre 
                     rang, par vos qualitez éminentes, & sur 
                     tout par vos bontez. 
                     Je suis, avec un profond respect, 
                     MADAME, 
                  
                  
                   Vostre trés-humble 
                     & trés-obéissante 
                     servante ***
                  Bandeau. AU LECTEUR:
                     ON a trouvé que 
                        dans ma premiere 
                        Nouvelle il y avoit 
                        des endroits où la Nature n'estoit pas assez 
                        bien copiée, & tenoient plus de la pensée 
                     
                     
                     10 
                     que du sentiment. Quoy 
                        que je ne sois pas honteuse de ce reproche, j'ay 
                        tasché cependant sur les 
                        Remarques qu'on m'a 
                        faites,  à porter mes 
                        veües jusqu' à faire la 
                        difference d'une veritable passion, d' avec ce 
                        qui n'en est qu'une idée 
                        trop raisonnée. Et j'espere qu'on trouvera cette Histoire plus naturelle que l' autre, par les 
                     
                     
                     11 	                
                     sentimens. Aussi on la 
                        trouvera plus extraordinaire par l'action ; & 
                        je croy que ce n'est pas 
                        un deffaut, car quoy 
                        que les gens d'un goût 
                        mediocre soient accoûtumez à trouver ridicule tout ce qui n'est pas 
                        ordinaire, les gens de 
                        beaucoup d' esprit, trouvent du dégoût aux 
                        choses communes. Il 
                        leur semble qu'ils voyent 
                     
                     
                     12	 
                     toûjours le mesme Roman, parce qu'ils voyent 
                        toûjours de semblables 
                        traits. Ie me flate que 
                        l'on n'a point encore vû 
                        ce trait-cy ; & mesme 
                        si j'ay quelque chose à 
                        craindre, c'est qu'il ne 
                        soit trop peu vray-semblable qu' un Amant 
                        soit genereux. La maniere dont on parle des 
                        Amans donne lieu à ce 
                        scrupule; mais aprés tout 
                     
                     
                     13  
                     ce n'est qu'un scrupule, 
                        sur lequel je passe en faveur de ce qu'il y a de 
                        grand dans cette idée. 
                        Peut-estre se plaindra‑t-on de ce que je ne recompense pas la vertu 
                        du Compte d' Amboise, 
                        mais je veux punir sa 
                        passion, & j'ay déja declaré dans la Préface d' E 
                        leonor  d' Yvrée, que 
                        mon dessein estoit de ne 
                        faire voir que des Amans 
                     
                     
                     14 
                     malheureux, pour combatre autant qu'il m'est 
                        possible, le penchant qu'on 
                        a pour l'Amour. 
                     
                  Cul de lampe fleuri avec une figure masculine au centre.	
                  
                  
                  
                  	
                  
                  
                  Vignette, fleurs et vignes. LE COMTE D'AMBOISE. Filet simple. NOVVELLE. Livre Premier.
                     LE Regne de 
                     François second 
                     sembloit dans 
                     ses commencemens devoir   
                     estre agréable & heureux. 
                        
                     
                     
                     2
                     
                     La Reine sa femme estoit 
                     une des plus belles & des 
                     plus spirituelles personnes 
                     du monde ; sa Cour estoit 
                     composée d'une partie de 
                     ces Hommes illustres qui 
                     avoient formé celle de 
                     Henry second, & les Dames avoient autant d'agrément, que les Hommes 
                     avoient de valeur : Le 
                     Comte d' Amboise, & le 
                     Marquis de Sansac s' y 
                     faisoient distinguer ; leurs 
                     Familles avoient toûjours 
                     esté opposées d'interest, & 
                     
                     
                     3
                     
                     quoy qu'ils ne fussent pas 
                     ennemis declarez, ils avoient une certaine émulation qui sembloit devoir 
                     avoir quelque suite. Ils 
                     estoient tous deux également bien faits, rien ne 
                     pouvoit estre disputé à  
                     l'un que par l'autre ; aussi 
                     sembloit-il qu'ils dûssent 
                     se disputer toutes choses. 
                     
                  
                  
                  La Comtesse de Roye 
                     estant veuve, s'estoit retirée à deux lieuës de Paris 
                     à une maison de campagne, où elle ne recevoit 
                        
                     
                     
                     4
                     
                     de visites que de quelques amis particuliers. Elle 
                     avoit une fille parfaitement 
                     belle, qui n'avoit point 
                     encore parû. Elle vouloit 
                     la marier avant que de la  
                     mener à la Cour, & elle 
                     choisit le Comte d'Amboise entre tous ceux 
                     qu'on luy proposa. Ce mariage qui estoit également 
                     avatageux pour luy & pour 
                     Mademoiselle de Roye, fut 
                     arresté avant mesme qu'ils 
                     se fussent vûs ; mais comme elle avoit la reputa
                     5
                     
                     tion d'estre fort belle, 
                     Monsieur d'Amboise se fit 
                     un grand plaisir de penser 
                     qu'elle seroit à luy ; & l'on 
                     peut dire que le desir & 
                     l'esperance formoient déja 
                     dans son cœur un commencement de passion, avant qu'il en eût vû l'objet. 
                     
                  
                  
                  Bien que Mademoiselle 
                     de Roye dût avoir pris cette 
                     espece d'indolẽce que la solitude dõne ordinarement,  
                     la vivacité de son esprit 
                     luy faisoit saisir aisément les 
                     premieres impressions qui 
                       
                     
                     
                     6
                     
                     luy estoient données, & 
                     ce qu'elle entendoit dire à 
                     sa mere, de la bonne mine,  
                     de l'esprit & de la generosité du Comte, la remplissoit d'une estime qui 
                     la disposoit à quelque 
                     chose de plus. 
                     
                  
                  
                  Le jour qu'il devoit luy 
                     faire sa premiere visite, 
                     elle s'estoit parée avec plus 
                     de soin qu'à l'ordinaire, 
                     & elle estoit d'une beauté 
                     à charmer tous ceux qui 
                     la voyoient. C'estoit un 
                     de ces agreables jours 
                     
                     
                     7
                     
                     d'Esté qui invitent à se 
                     promener. Le Soleil qui 
                     n'avoit point parû, laissoit une fraîcheur delicieuse ; & Mademoiselle 
                     de Roye se promenoit 
                     dans une des avenuës de 
                     la maison, avec deux Dames des amies de sa mere, 
                     qui estoient venuës dîner 
                     avec elles. Comme il estoit 
                     assez bonne heure pour 
                     n'attendre pas encore le 
                     Comte d'Amboise, & que 
                     Madame de Roye estoit 
                     occupée de quelques af  
                     
                     
                     8
                     
                     faires, elle fut bien aise 
                     que la promenade les amusât durant le temps qu'elle seroit obligée d'y donner. Elles avoient déja atteint le bout d'une allée 
                     où estoit un cabinet ouvert de tous costez, fort 
                     agreable, & dans lequel elles alloient entrer 
                     pour s'asseoir, lors qu'elles apperçeurent un Cavalier qui mettant pied à 
                     terre, laissa ses gens derriere luy, & s'avança vers 
                     elles. A mesure qu'il s'apro
                     9
                     
                     choit, elle remarquoit sa 
                     taille & son air, qui luy 
                     parurent dignes de toute 
                     l'attention qu'elle leur 
                     donnoit. Elle ne douta 
                     point que ce ne fût Monsieur d'Amboise ; il venoit au jour marqué, son 
                     empressement ne pouvoit 
                     luy déplaire. La bonne 
                     mine de celuy qu'elle 
                     voyoit, répondoit à l'idée 
                     qu'elle s'estoit faite dù 
                     Comte. Ces Dames qui 
                     estoient avec elle, ne le 
                     connoissoient point ; par
                     10
                     
                     ce qu'elles n'estoient pas  
                     de la Cour. Elles avoient 
                     apris qu'on l'attendoit ce 
                     jour là, & elles crurent aussi 
                     que c'estoit luy. Elles luy  
                     dõnerent des loüanges qui 
                     aiderent encore à la prevenir en sa faveur. 
                     
                  
                  
                  Mademoiselle de Roye 
                     trouva son devoir bien 
                     doux, elle se hasta peut‑estre un peu trop de le 
                     suivre ; c'estoit Monsieur 
                     d'Amboise qui luy devoit 
                     inspirer cette joye que 
                     donne la premiere ren
                     11
                     
                     contre de ce qui doit plaire ; & c'estoit pour le Marquis de Sansac qu'elle la 
                     sentoit. Le hazard l'avoit 
                     conduit en ce lieu, il venoit de chez une Dame de 
                     ses parentes, & s'estant 
                     trouvé proche de la maison de Madame de Roye 
                     comme il avoit entendu 
                     parler de la beauté de sa 
                     fille, il prit l'occasion de 
                     leur faire une visite. Il 
                     n'avoit point vû Madame de Roye depuis la mort 
                     de son mary ; Elle vivoit 
                     
                     
                     12
                     
                     dans une si grande retraite, 
                     qu'on n'avoit encore osé 
                     la troubler ; cependant 
                     aprés un an de veuvage, 
                     il crût qu'elle ne feroit 
                     pas de difficulté de le recevoir. 
                     
                  
                  
                  Il s'approcha de ces Dames, & quoy qu'il n'en 
                     connût aucune, il leur dit 
                     tout ce que la politesse & la galanterie luy inspirerent en cette rencontre, mais il distingua 
                     d'abord Mademoiselle de 
                     Roye des autres. Aussi quoi 
                     
                     
                     13
                     
                     que l'une d'elles eût de la  
                     jeunesse, & mesme de la 
                     beauté, celle de Madamoiselle de Roye estoit si 
                     parfaite qu'on ne pouvoit 
                     regarder qu'elle en un lieu 
                     où elle estoit ; Elle trouva 
                     je ne sçay quoy d'agreable 
                     dans cette avanture qui luy 
                     donna envie de la faire durer. Elle pria ces Dames de 
                     ne point dire son nom, & 
                     sçachant que les affaires 
                     qui retenoient sa mere, ne 
                     seroient pas si-tôt finies, 
                     elle proposa à la compa
                     14
                     
                     gnie d'aller s'asseoir dans 
                     le Cabinet. 
                     
                  
                  
                  Le chemin que le Marquis de Sansac avoit tenu, 
                     ne permettoit pas de douter qu'il n'allast chez Madame de Roye ; il ne se 
                     deffendit point d'avoir eu 
                     ce dessein, & ces Dames 
                     se confirmant dans la pensée qu'il fût Monsieur 
                     d'Amboise, luy firent 
                     plusieurs questions fines 
                     sur Mademoiselle de Roye, 
                     qui luy firent juger qu'elles le prenoient pour ce 
                     
                     
                     15
                     
                     Comte, qu'il sçavoit estre 
                     sur le point de l'épouser. 
                     Elles luy demanderent s'il 
                     n'avoit rien à se reprocher, 
                     de s'amuser avec elles lors 
                     qu'il estoit sur le point de 
                     voir une si belle personne. 
                     Elle rougit malgré elle, 
                     d'une maniere qui aida à le 
                     persuader qu'il ne s'estoit 
                     pas trompé quand il avoit 
                     pensé qu'elle estoit Mademoiselle de Roye. 
                     
                  
                  
                  Le lieu où il la rencontroit, & son extraordinaire beauté, luy en a
                     16
                     
                     voient déja donné de 
                     grands soupçons ; il n'en 
                     douta plus, il jugea mesme par ce qu'on luy disoit, 
                     qu'elle n'avoit point encore vû le Comte d'Amboise, & qu'on l'attendoit. L'avanture luy parut 
                     agreable à son tour, cette 
                     erreur le faisoit regarder 
                     favorablement d'une belle 
                     personne, il prit le party 
                     de ne pas répondre positivement pour ne les desabuser point, & pour pouvoir aussi se tirer de ce pas  
                     
                      
                     
                     
                     17
                     
                     lors qu'elles viendroient à  
                     le connoître. On ne sçauroit, dit-il, avoir une plus  
                     grande idée de la beauté  
                     de Mademoiselle de Roye,  
                     que j'en ay, cependant j'ay  
                     peine à croire qu'elle soit  
                     au dessus de ce que je vois  
                     icy, ajousta-t'il en la regardant d'une maniere qui  
                     la persuadoit qu'il en estoit  
                     touché. Elle prenoit un  
                     plaisir tres-sensible à ce qui 
                     se passoit, & elle estoit flatée 
                     de ce prompt effet de ses 
                     charmes, d'une maniere qui 
                       
                     
                     
                     18
                     
                     aidoit encore à la rendre 
                     favorable à celuy qui luy 
                     en faisoit connoître le 
                     pouvoir. Ils avoient déja 
                     esté une heure dans ce Cabinet, lors qu'une grosse 
                     pluye les y tint assiegez. 
                     Personne n'en fut fâché, la conversation estoit 
                     si brillante, qu'il ne leur étoit pas possible de songer 
                     au temps qu'ils y demeuroient. Monsieur de Sansac avoit un agrément infiny dans sa personne, & 
                     dans tout ce qu'il disoit, 
                     
                     
                     19
                     
                     & sa vivacité naturelle étoit encore augmentée 
                     parce qu'il y avoit de piquant dans cette rencontre. 
                     
                  
                  
                  Mademoiselle de Roye 
                     étoit charmée de le trouver 
                     si digne de luy plaire, leurs 
                     yeux se rencontrerent plus 
                     d'une fois d'une maniere 
                     qui la fit rougir, & qui luy 
                     fit ensuite éviter ceux de 
                     Monsieur de Sansac. En 
                     effet bien qu'elle crût qu'il 
                     estoit le Comte d'Amboise, & qu'elle devoit l'é 
                     
                     
                     20
                     
                     pouser, elle sentoit sans le 
                     démesler, je ne sçay quoy 
                     d'indépendant de son devoir. Elle eut tout le loisir 
                     de s'abandonner à une erreur qui luy devoit estre si 
                     fatale dans la suite : car l'orage ne cessoit point, & 
                     ils ne pouvoient sortir du 
                     Cabinet. Enfin Monsieur 
                     d'Amboise arriva, & comme il vit des Dames dans 
                     le Cabinet, il y entra, pensant que ce fût Madame 
                     & Mademoiselle de Roye. 
                     
                  
                  
                  Il n'y trouva point cette  
                     
                     
                     21
                     
                     Comtesse qu'il avoit veuë  
                     à la Cour ; mais il reconnut  
                     aussi-tost sa fille au portrait qu'on luy en avoit  
                     fait, & sur les mesmes apparences qui avoient déja  
                     fait croire au Marquis de  
                     Sansac, que c'estoit elle; de  
                     sorte qu'il luy adressa ses  
                     complimens.  Cependant  
                     comme il pouvoit se tromper, & que la presence de  
                     tant de personnes le retenoit, il ne luy dit rien qui  
                     marquast précisément qu'il  
                     estoit celui qu'elles attendoient.  
                     
	
                  
                  
                  22
                  
                  
                  
                   Il ne meritoit pas moins 
                     que le Marquis de Sansac 
                     d'occuper cette Compagnie. Une taille agréable 
                     & au dessus de la mediocre, un air noble, je ne 
                     sçay quoy de fin & de 
                     passionné, le rendoient trés 
                     capable de plaire. Ces 
                     Dames luy rendirent toute la justice qui luy estoit 
                     deuë ; mais Mademoiselle 
                     de Roye fut fâchée d'estre 
                     déja contrainte de douter 
                     qui des deux estoit son 
                     Amant : Elle les regarda 
                     
                     
                     23
                     
                     l'un & l'autre, comme 
                     pour leur demander lequel elle estoit obligée 
                     d'aimer ; mais c'estoit avec une certaine difference qui sembloit marquer 
                     qu'elle eût bien voulu que 
                     c'eût esté Monsieur de 
                     Sansac. 
                     
                  
                  
                  La plus âgée de ces 
                     Dames, qui voyoit l'embarras de cette jeune personne, jugea qu'il falloit 
                     le faire cesser. Comme les 
                     Femmes de mademoiselle 
                     de Roye avoient esté con
                     24
                     
                     traintes de se retirer dans 
                     le Cabinet, à cause de la 
                     pluye, elle envoya l'une 
                     d'elles demander le nom 
                     de monsieur
                     d'Amboise à 
                     ses Gens, & l'ayant sçu, 
                     elle le fit connoistre à 
                     mademoiselle de Roye. 
                     
                  
                  
                  Cette jeune personne 
                     ne pût s'empescher de le 
                     regarder avec plus de froideur que naturellement 
                     elle ne devoit en avoir. La 
                     vivacité de la conversation avoit animé son visage, & augmentoit enco 
                     
                     
                     25
                     
                     re sa beauté ; Monsieur  
                     d'Amboise la consideroit 
                     avec l'interest d'un homme à qui elle estoit destinée, & malgré l'idée qu'il 
                     avoit conceuë d'elle, il 
                     trouvoit lieu d'estre surpris ; mais la maniere 
                     dont elle le receut, ne 
                     luy permit pas de goûter 
                     ce charme qu'exite dans 
                     le cœur la naissance d'une 
                     passion, & l'amour luy dénia jusqu'à son premier 
                     plaisir. 
                     
                  
                  
                  Elle regarda, sans s'en 
                     
                      
                     
                     
                     26
                     
                     appercevoir, Monsieur 
                     de Sansac avec moins 
                     de précaution qu'auparavant, comme si elle luy 
                     eût dit adieu par ce regard, & qu'elle fût devenuë plus hardie lorsqu'il 
                     luy falloit ôter l'esperance, 
                     qu'elle ne l'avoit esté un 
                     moment plûtost, lors qu'- 
                     elle avoit crû pouvoir luy 
                     en donner. 
                     
                  
                  
                  Monsieur d'Amboise 
                     avoit les yeux trop attachez sur Mademoiselle de 
                     Roye, pour ne pas suivre 
                     
                     
                     27
                     
                     les siens ; peut-étre aussi 
                     que l'opposition naturelle 
                     de Sansac & de luy, avança 
                     ses craintes, enfin il soupçonna une partie de la 
                     verité. 
                     
                  
                  
                  L'orage continüoit toûjours, & Madame de Roye 
                     qui avoit achevé les affaires qui l'avoient retenuë, 
                     les vint reprendre dans son 
                     Carrosse. Elle ne s'attendoit point de trouver le  
                     Marquis de Sansac dans ce 
                     lieu. Cependant elle ne 
                     manqua pas de luy faire 
                     beaucoup de civilités. Cet 
                     
                     
                     28
                     
                     te Comtesse marqua à 
                     Monsieur d'Amboise toute l'estime qu'elle avoit 
                     pour son merite, & la joye 
                     où elle estoit de le voir ; 
                     mais ces honnestetez ne 
                     luy ôtoient pas l'idée desagreable qu'il avoit prise 
                     malgré luy. 
                     
                  
                  
                  Madame de Roye les mena dans son appartement, 
                     & les divers mouvemens 
                     qui partageoient cette 
                     compagnie, y firent naître 
                     quelque sorte d'ennuy. Le 
                     Comte d'Amboise qui na
                     29
                     
                     turellement n'aimoit pas 
                     Sansac, trouvoit la visite 
                     de ce Marquis trop longue. Peu s'en faloit que 
                     Monsieur de Sansac ne 
                     trouvast la même chose de 
                     celle du Comte d'Amboise, 
                     quoiqu'il n'ignorast pas le 
                     dessein qui l'amenoit, cependant il falut qu'il luy 
                     cedast la place. 
                     
                  
                  
                  Les Dames s'en allerent 
                     aussi, de sorte que le Comte 
                     d'Amboise demeura le dernier. Il marqua à Mademoiselle de Roye combien 
                     
                      
                     
                     
                     30
                     
                     l'avantage de luy estre destiné le charmoit, mais il 
                     luy dit en même temps que 
                     s'il n'estoit pas assez heureux pour toucher son 
                     cœur, il se trouvoit fort à 
                     plaindre. Mademoiselle 
                     de Roye luy repondit qu'- 
                     elle n'avoit point de cœur 
                     à donner, mais seulement 
                     une devoir à suivre. L'air 
                     dont elle prononça ces paroles n'estoit pas propre à 
                     donner des esperances à un 
                     Amant. Elle prit peu de 
                     soin de soûtenir la conver
                     31
                     
                     sation, mais elle laissa voir 
                     assez d'esprit pour achever 
                     ce que sa beauté avoit 
                     commencé, & assez de difficultez à la possession de 
                     son cœur, pour rendre la 
                     passion du Comte d'Amboise trés-vive dés ce jour‑là. 
                     
                  
                  
                  Lors que Mademoiselle 
                     de Roye fut seule, elle demeura dans une profonde 
                     rêverie, & quoiqu'elle ne 
                     démêlast pas encore ses 
                     sentimens, à l'égard de 
                     Monsieur  d'Amboise & de 
                     
                      
                     
                     
                     32
                     
                     Monsieur de Sansac, il luy 
                     sembloit neanmoins que 
                     ce dernier estoit le plus aimable. 
                     
		
                  
                  
                  De son côté il avoit esté 
                     frapé de la beauté de Mademoiselle de Roye. Il 
                     avoit remarqué que sa conversation ne luy déplasoit 
                     pas, & qu'elle avoit reçû 
                     le Comte d'Amboise avec 
                     assez de froideur, de sorte 
                     qu'il ne remportoit que 
                     des idées agreables. 
                     
		
                  
                  
                  Il parla d'elle à la Cour 
                     avec de si grands eloges, 
                     
                     
                     33
                     	
                     que la Reine eut de l'impatience de la voir, 
                     & comme il avoit 
                     sceu de Madame de 
                     Roye, qu'elles ne reviendroient pas si-tôt de la 
                     campagne, il le dit à la 											
                     Reine qui témoigna en 
                     estre fâchée. 
                     
		
                  
                  
                  Sansac qui ne cherchoit 
                     qu'un pretexte pour retourner chez Madame de 
                     Roye, se fit un plaisir de 
                     luy aller apprendre les sentimens de la Reine ; il vit 
                     Mademoiselle de Roye 
                     
                     
                     34
                     
                     une seconde fois, il crut 
                     démêler quelque joye dans 
                     ses yeux ; il luy dit mille 
                     choses, que les dispositions 
                     où elle estoit pour luy, luy 
                     faisoient entendre facilement, & qui ne pouvoient 
                     cependant déplaire à Madame de Roye. Le Comte 
                     d'Amboise qui estoit en 
                     droit de les aller voir souvent, arriva dans le temps 
                     que Monsieur de Sansac en 
                     sortoit. Une seconde visite 
                     de ce Marquis le chagrina. 
                     Son inquiétude qui parut 
                     
                     
                     35
                     
                     malgré luy à Mademoiselle 
                     de Roye, le luy fit trouver 
                     bisarre, & acheva de le 
                     perdre auprés d'elle. 
                     
		
                  
                  
                  Elle sentit son éloignement pour luy avant que 
                     de connoistre que Sansac 
                     en estoit la cause. Les soins 
                     que le Comte luy rendoit 
                     luy devinrent incommodes, & luy donnerent d'abord une repugnance 
                     pour luy qu'elle combatoit 
                     en vain. Un Amant pour  
                     qui l'on est obligée d'avoir des égards, se fait 
                     
                     
                     36
                     
                     toûjours beaucoup haïr, 
                     quand il ne se fait pas aimer. 
                     
                  
                  
                  Le Comte d'Amboise 
                     s'appercevoit bien que 
                     Mademoiselle de Roye ne 
                     l'aimoit pas, il en soupçonnoit la cause, & suivant la 
                     coûtume des Amans malheureux, il cherchoit à s'éclaircir plus particulierement de ce qu'il ne sçavoit pas assez pour estre 
                     tout-à-fait miserable. 
                     
		
                  
                  
                  Un jour que le Roy étoit à la promenade, & 
                     
                     
                     37
                     		
                     que toute la Cour le suivoit, ce Comte voyant 
                     que Sansac estoit à quelques pas de la foule, s'approcha de luy pour parler 
                     de Mademoiselle de Roye. 
                     Mais quoiqu'ils eussent 
                     également envie de parler 
                     d'elle, aucun d'eux ne pouvoit se resoudre à commencer. Enfin d'Amboise 
                     suivit son dessein, il la 
                     loüa beaucoup, mais San
                     sac la loüa peu, autant peut
                     estre pour n'estre pas d'ac-cord avec son Rival, que 
                     
                     
                     38
                     	
                     de peurde se découvrir. Cependant le Comte d'Amboise n'estoit pas en estat 
                     de se r'assurer, il auroit 
                     esté inquiet si le Marquis 
                     de Sansac avoit trop admiré Mademoiselle de 
                     Roye, & il le fut encore 
                     de ce qu'il ne vouloit pas 
                     l'admirer assez. 
                     
		
                  
                  
                  Peu d'heures aprés, sa jalousie fut entierement 
                     confirmée. Le soir chez le 
                     Roy, la conversation s'étant tournée sur la beauté de quelques femmes de 
                     
                     
                     39
                     		
                     la Cour, le Marquis de 
                     Sansac qui n'étoit plus 
                     alors retenu par la presence 
                     de Monsieur d'Amboise, 
                     ne put s'empêcher de 
                     loüer extrêmement Madamoiselle de Roye, & il en 
                     parloit même avec beaucoup de vivacité, lorsque 
                     le Comte arriva. Le Roy 
                     l'appercevant de loin, voila Sansac, luy dit-il, en 
                     élevant la voix, qui dit 
                     plus de merveilles de la 											
                     beauté de Mademoiselle 
                     de Roye, que vous ne nous 
                     
                     
                     40
                     
                     en avez jamais dit. Ces 
                     deux Rivaux rougirent à 
                     ce mot ; cette rougeur fut 
                     remarquée; on leur en fit 
                     la guerre le reste du soir, 
                     & ils eurent besoin de tout 
                     leur esprit pour la soûtenir. 
                     Ils connurent plus particulierement dans cette occasion tout ce qu'ils en 
                     avoient l'un & l'autre, & 
                     ils ne s'estimerent que 
                     pour se haïr davantage. 
                     
                  
                  
                  Le Comte de Sansac pere 
                     du Marquis, souhaitoit de 
                     marier son fils à Made 
                     
                     
                     41
                     
                     moiselle d'Anebault, de 
                     qui la beauté pouvoit 
                     rendre heureux un homme qui n'auroit pas aimé 
                     Mademoiselle de Roye ; il 
                     n'osoit s'opposer ouvertement aux volontez de son 
                     pere, mais il reculoit ce 
                     mariage, & il y avoit beaucoup de repugnance. Madame de Roye mena dans 
                     ce temps-là sa fille à la 
                     Cour, où elle receut tous 
                     les applaudissemens qu'elle 
                     meritoit. 
                     
                  
                  
                  Elle fit des Amans & des 
                     
                      
                     
                     
                     42
                     
                     Ennemies. La Comtesse 
                     de Tournon fut de celles 
                     à qui sa beauté donna le 
                     plus de chagrin, & qui le 
                     dissimula le mieux. Le 
                     Comte de Sancerre la trouva parfaitement aimable, 
                     & n'osa dire qu'il l'aimoit, 
                     parce qu'il ne soupçonna 
                     pas que Monsieur d'Amboise pût estre haï. Il fit 
                     un voyage peu de temps 
                     aprés qui luy servit à cacher sa passion, mais qui 
                     ne l'en guerit pas. 
                     
		
                  
                  
                  Mademoiselle de Roye 
                     
                     
                     43
                     
                     ne tarda guere à apprendre qu'on marioit le Marquis de Sansac à Mademoiselle d'Annebault ; elle 
                     fut surprise de cette nouvelle, & encore plus de s'y 
                     trouver si sensible. Malgré 
                     elle, elle s'attachoit à la 
                     railler, & à luy trouver 
                     des défauts. 
                     
                  
                  
                  Le mariage de Monsieur 
                     d'Amboise estoit sur le 
                     point de se conclure, lors 
                     qu'il y survint des difficultez qu'on n'avoit pas preveuës. Le Roy eut quel 
                     
                     
                     44
                     	
                     que connoissance d'un 
                     soulevement que le Prince 
                        de Condé vouloit exciter 
                     dans le Royaume, & parce 
                     que ce Comte étoit particulierement attaché à luy, 
                     on crut qu'il y avoit quelque part, bien qu'on n'eût 
                     aucune preuve contre luy, 
                     il suffisoit qu'on eût des 
                     soupçons pour devoir veiller de prés sur ses démarches. Il n'étoit point de la 
                     politique de luy laisser 											
                     épouser une parente de la 
                     Princesse de Condé, avant 
                     
                     
                     45
                     	
                     que sa conduite fût éclaircie. 
                     
                  
                  
                  Il se passa beaucoup de 
                     choses durant ce retardement. Madame de Roye 
                     ne fçachant point les sentimens que Sansac avoit 
                     pour sa fille, le recevoit 
                     comme les autres Gens de 
                     la Cour. Cette jeune personne s'informoit avec 
                     trop de soin de ce qui regardoit le mariage de Mademoiselle d'Annebault, 
                     pour ignorer la resistance 
                     qu'il y apportoit, & il ne 
                     
                     
                     46
                     
                     luy estoit pas même difficile de comprendre qu'elle 
                     y avoit part. L'application 
                     qu'elle avoit pour toutes 
                     les actions de ce Marquis, 
                     la confirmoit à tous momens dans la pensée qu'- 
                     elle l'avoit touché. Elle 
                     suivoit son penchant avec 
                     scrupule, mais elle le suivoit. 
                     
                  
                  
                  Sansac remarquoit tous 
                     les jours de petits effets 
                     de la passion de Mademoiselle de Roye, qui le charmoient ; cependant dans 
                     
                     
                     47
                     
                     les termes où elle étoit 
                     avec Monsieur d'Amboise, 
                     il n'osoit luy parler ouvertement de peur de perdre 
                     ces marques de sa tendresse 
                     s'il la forçoit de les démêler ; mais il fit confidence 
                     à Mademoiselle de Sansac 
                     sa sœur, des sentimens qu'- 
                     il avoit pour Mademoiselle de Roye, & il la pria 
                     de faire, s'il se pouvoit, 
                     une étroite liaison avec 
                     elle, & de tâcher à détruire 
                     Monsieur d'Amboise dans 
                     son esprit, afin que le ma
                     48
                     
                     riage de ce Comte estant 
                     déja reculé par des raisons 
                     de politique, le fût encore 
                     par l'éloignement qu'elle 
                     auroit pour luy. 
                     
                  
                  
                  Mademoiselle de Sansac 
                     eut d'abord quelque peine 
                     à rendre de méchans offices à un homme pour 
                     qui elle avoit une estime 
                     singuliere; mais cette même estime la porta insensiblement à agir contre 
                     son mariage. Comme elle  
                     avoit beaucoup d'esprit, & 
                     qu'elle étoit sœur de San 
                     
                     
                     49
                     	
                     sac, il ne luy fut pas difficile d'entrer dans un 
                     commerce d'amitié trésétroit avec Mademoiselle 
                     de Roye, qui ne luy cacha 
                     point le chagrin où elle 
                     étoit, de se voir destinée 
                     à un mary pour qui elle 
                     avoit si peu d'inclination. 
                     Elle rendoit justice à ses 
                     bonnes qualitez, mais c'étoit avec une espece de 
                     dépit. Son mérite luy étoit 
                     un reproche secret de l'indifference qu'elle avoit 
                     pour luy; Elle le haissoit de 
                     
                      
                     
                     
                     50
                     		
                     ce qu'il l'aimoit, & de ce 
                     qu'il estoit aimable. 
                     
                  
                  
                  Mademoiselle de Sansac 
                     qui estoit fille2 de la Reine, 
                     & celle qui en estoit la 
                     mieux traitée, luy offrit 
                     toute sa faveur auprés de 
                     cette Princesse, pour faire 
                     en sorte qu'elle parlast à 
                     Madame de Roye, afin 
                     qu'on rompît ce mariage. 
                     Mademoiselle de Roye qui 
                     craignoit de déplaire à sa 
                     mere, s'y opposa d'abord 
                     avec assez de vivacité ; 
                     neanmoins elle laissa en
                     51
                     	
                     trevoir que si la chose 
                     avoit pû se faire sans sa 
                     participation, elle en auroit eu de la joye. 
                     
                  
                  
                  Il n'en falloit pas davantage pour obliger 
                     Mademoiselle de Sansac à 
                     la servir. Elle avoit besoin d'aller aux Eaux de 
                     Spa pour sa santé, & elle 
                     vouloit avant que de partir, en parler à la Reine,  
                     afin de ne pas manquer le 
                     temps d'obliger son amie. 
                     Quoique Mademoiselle de  
                     Roye fût bien éloignée de 
                     
                      
                     
                     
                     52
                     	
                     luy avoüer l'inclination 
                     qu'elle avoit pour son frere, c'estoit beaucoup qu'- 
                     elle évitast de parler de 
                     luy. 
                     
                  
                  
                  La haine du Comte 
                     d'Amboise pour Sansac 
                     augmentoit extraordinairement. Mademoiselle de  
                     Roye sans s'en appercevoir 
                     donnoit à ce dernier des 
                     marques d'une estime toute particuliere, qui ne pouvoiẽt échaper à la penetration d'un Amant ; aussi balançoit-il quelque fois sur 
                     
                     
                     53
                     		
                     le party qu'il devoit prendre. Il luy estoit désagreable d'épouser une personne prevenuë d'une autre 
                     inclination ; la raison s'opposoit à ce dessein, mais 
                     il estoit amoureux. Comment perdre l'esperance de 
                     la voir à luy? Aprés bien 
                     des incertitudes, il voyoit 
                     qu'il ne luy étoit pas possible de prendre aucune 
                     resolution. 
                     
                  
                  
                  Le Marquis de Sansac 
                     témoigna tant de froideur 
                     pour Mademoiselle d'An 
                     
                     
                     54
                     
                     nebault, qu'elle travailla  
                     de son côté à éviter de 
                     l'épouser, de sorte que ce 
                     mariage fut rompu. Mademoiselle de Roye en eut 
                     une joye si grande, qu'il 
                     ne luy fût pas possible de 
                     la cacher à Mademoiselle 
                     de Sansac, à qui tous ces 
                     mouvemens n'étoient pas 
                     indifferens. Elle voyoit 
                     souvent le Comte d'Amboise chez cette amie. 
                     Elle l'avoit trouvé aussi 
                     aimable que malheureux, 
                     & insensiblement la pitié 
                     
                     
                     55
                     
                     l'avoit menée à d'autres 
                     sentimens. Elle entroit 
                     toûjours plus fortement 
                     dans les interests de son 
                     frere, & même elle croïoit 
                     servir Monsieur d'Amboise, en l'empêchant d'épouser une personne qui le 
                     haïssoit. 
                     
                  
                  
                  Le Comte de Sansac son 
                     pere, fut poussé par elle à 
                     souhaiter que son fils épousast Mademoiselle de 
                     Roye; ce qui pouvoit n'étre pas difficile dans la conjoncture presente. La Mai 
                     
                     
                     56
                     
                     son d'Amboise n'avoit jamais ménagé les Sansacs 
                     dans aucune occasion. Les 
                     Sansacs que la faveur rendoit hardis, avoient souvent cherché à leur déplaire, de sorte que rien 
                     ne les retint, & Mademoiselle de Roye estoit un 
                     party si considerable, qu'- 
                     ils entreprirent de faire 
                     parler à Madame de Roye; 
                     cependant ils ne voulurent 
                     d'abord demander qu'une 
                     preference, si le mariage 
                     de monsieur d'Amboise ne 
                     
                     
                     57
                     
                     s'achevoit pas. mademoiselle de Sansac pria la Reine de vouloir bien entrer 
                     dans cette affaire. Cette 
                     Princesse le luy promit, &  
                     Mademoiselle de Sansac 
                     partit pour les Eaux de 
                     Spa. Aprés cette promesse, 
                     la Reine luy tint bien tôt 
                     parolle ; elle fit des propositions à Madame de 
                     Roye. Elle luy laissa comprendre que l'attachement 
                     de Monsieur d'Amboise 
                     pour le Prince de Condé, 
                     le rendoit toûjours sus
                     58
                     
                     pect, & qu'il estoit des 
                     partis plus avantageux par 
                     la faveur & par l'amitié 
                     du Roy ; mais Madame de 
                     Roye estoit de ces femmes 
                     exactes à ce qu'elles ont 
                     promis. Les bonnes qualitez du Comte luy avoient 
                     donné pour luy une amitié que son malheur augmentoit encore. Elle supplia la Reine de souffrir 
                     qu'elle tinst parole à Monsieur d'Amboise, & qu'elle 
                     esperast que le Roy le reconnoîtroit innocent, & 	
                     
                     
                     59
                     
                     luy rendroit sa bien veillance. 
                     
                  
                  
                  La Reine qui cherchoit 
                     à obliger Mademoiselle 
                     de Sansac, pressa Madame 
                     de Roye encore plus fortement, & n'oublia rien de 
                     ce qui pouvoit favoriser les 
                     Sansacs. Enfin elle luy demanda sa parole pour le  
                     Marquis, si elle rompoit 
                     avec le Comte d'Amboise. Madame de Roye  
                     fut blessée des propositions 
                     qu'ils luy faisoient faire 
                     dans le temps qu'elle étoit 
                     
                     
                     60
                     
                     engagée avec un homme 
                     qu'ils n'aimoient pas, & 
                     de ce qu'ils saisissoient si 
                     promptement une occasion d'insulter à sa disgrace. Elle dit à la Reine qu'- 
                     elle étoit au desespoir de ne 
                     pouvoir luy rien promettre là dessus, parce que sa 
                     fille avoit de l'antipathie 
                     pour le Marquis de Sansac ; ce n'estoit pas qu'elle 
                     le crût, mais elle se tiroit 
                     parlà d'un pas embarassant. 
                     
                  
                  
                  Ce méchant succés mit  
                     
                     
                     61
                     
                     Sansac dans un chagrin & 
                     dans une confusion étrange ; quoique les regards 
                     de Mademoiselle de Roye 
                     l'eussent souvent assuré qu'- 
                     il n'estoit point haï, il 
                     n'osoit plus les en croire. 
                     Enfin il estoit seur de la 
                     haine de Madame de Roye, 
                     s'il doutoit encore de celle 
                     de sa fille, & il perdoit 
                     l'esperance d'estre jamais 
                     heureux. 
                     
                  
                  
                  Madame de Roye ne  
                     voulut point instruire cette jeune personne de ce 
                     
                     
                     62
                     
                     qui s'étoit passé, pour ne 
                     la pas détourner des sentimens qu'elle devoit avoir 
                     pour le Comte d'Amboise. 
                     Elle jugea aussi qu'il falloit 
                     qu'il l'ignorast luy-même, 
                     de peur que malgré les 
                     dispositions où l'on estoit 
                     contre-luy à la Cour, il 
                     n'en vinst à des extremitez 
                     fâcheuses avec un homme 
                     que le Roy aimoit. Elle 
                     remena le lendemain sa 
                     Fille à la campagne, à 
                     une maison plus éloignée 
                     que celle où elle estoit 
                     
                     
                     63
                     
                     d'abord, en attendant quelque changement aux affaires du Comte, auquel 
                     elle témoigna que l'air de 
                     disgrace où il estoit, n'apporteroit aucune alteration aux sentimens qu'elle 
                     avoit pour luy. 
                     
                  
                  
                   mais que servoient ces 
                     sentimens au Comte 
                     d'Amboise? Il estoit presque seur que ceux de sa 
                     maîtresse luy estoient contraires. Il resolut de s'en 
                     éclaircir, & de faire en 
                     sorte que  mademoiselle de 
                     
                     
                     64
                     
                     Roye se trouvast engagée 
                     par les prieres qu'il luy 
                     feroit, ou par son propre 
                     interest, de luy avouër une 
                     chose dont le soupçon luy 
                     estoit déja si funeste, que 
                     la certitude ne pouvoit 
                     l'estre davantage. Si Mademoiselle de Roye estoit 
                     prevenuë d'une autre inclination, il valoit mieux 
                     qu'il en fust une une fois persuadé, que de le craindre 
                     toujours. Cependant il 
                     eut des occasions de s'en 
                     instruire, mais il n'avoit 
                     
                      
                     
                     
                     65
                     
                     pas la force d'en profiter; 
                     & quand il estoit sur le 
                     point de l'apprendre, il ne 
                     vouloit plus le sçavoir. 
                     
                  
                  
                  Mademoiselle de Roye 
                     étoit partie si promptement pour la campagne, 
                     que Sansac n'avoit pû 
                     trouver l'occasion de luy 
                     parler. Les difficultez qu'- 
                     il trouvoit à s'expliquer 
                     avec elle, ne le rebutoient 
                     point ; il étoit piqué des 
                     paroles que Madame de 
                     Roye avoit dites à la Reine, & l'amour joint au dé 
                     
                     
                     66
                     
                     pit, luy faisoit chercher 
                     tous les moyens de s'éclaircir. Mademoiselle de Sansac étoit trop éloignée 
                     pour pouvoir le servir auprés de Mademoiselle de 
                     Roye. Il jetta les yeux 
                     sur Madame de Tournon ; c'estoit la plus adroite & la plus insinuante de 
                     toutes les femmes. Elle 
                     avoit trouvé le secret 
                     de s'attirer l'estime & 
                     l'amitié de Madame de 
                     Roye, & elles avoient 
                     toûjours esté dans une 
                     grande liaison ensemble. 
                     
                     
                     67
                     
                     Monsieur de Sansac pensa 
                     qu'il pourroit aller chez 
                     madame de Roye avec 
                     elle, & qu'il trouveroit 
                     les moyens de parler à  mademoiselle de Roye. Il 
                     rendit à  madame de Tournon des visites qu'elle receut avec plaisir. Quoiqu'elle ne fust pas dans la 
                     premiere jeunesse, elle étoit encore assez aimable 
                     pour pouvoir se flatter aisement d'estre aimée ; & 
                     le Comte de Tournon 
                     dont elle estoit veuve, luy 
                     
                      
                     
                     
                     68
                     
                     avoit laissé des biens si 
                     considerables, que la pensée de pouvoir faire une 
                     fortune éclatante à ce 
                     marquis, aida encore à la 
                     seduire pour luy. 
                     
                  
                  
                  Bien qu'elle dûst connoître que les soins qu'il  
                     luy rendoit, n'avoient pas 
                     le caractere de l'amour, on 
                     se trompe aisement sur une 
                     matiere si delicate. L'application qu'on apporte à 
                     l'examiner, est un moyen 
                     presque seur de s'y méprendre; Ainsi  madame de 
                     
                     
                     69
                     
                     Tournon donnoit à toutes les actions de Sansac, 
                     les sens qui convenoit le 
                     mieux aux sentimens qu'- 
                     elle avoit pour luy. 
                     
                  
                  
                  mais elle ne put jouïr 
                     longtemps de son erreur. 
                     Il luy laissa le triste loisir 
                     de faire des reflections distinctes ; elle vit la difference du procedé qu'il tenoit au sien. Enfin, comme il avoit peu d'application aux actions de la 
                     Comtesse, & qu'il croyoit 
                     qu'elles ne partoient que 
                     
                     
                     70
                     
                     de l'amitié, parce qu'il ne 
                     sentoit rien de plus pour 
                     elle, il luy proposa lorsque quelques jours furent 
                     passez, d'aller avec elle 
                     chez madame de Roye. 
                     Cette proposition fit ouvrir les yeux à madame de 
                     Tournon, & elle demeura 
                     persuadée qu'il estoit 
                     amoureux de mademoiselle 
                     de Roye, lorsqu'elle luy 
                     eut parlé de cette belle 
                     personne. La honte de s'être trompée, la douleur 
                     d'aimer en vain, & le dé
                     71
                     
                     pit de voir triompher mademoiselle de Roye qu'elle 
                     haissoit, ne pouvoient demeurer sans effet dans le 
                     cœur de madame de Tournon ; cependant sa dissimulation naturelle l'empêcha d'êclater. Elle luy 
                     promit de faire la partie 
                     qu'il luy proposoit, mais 
                     elle s'estoit déja apperçûë 
                     que madame de Roye 
                     avoit quelque chagrin 
                     contre les Sansacs. Elle 
                     luy écrivit que le marquis 
                     l'avoit priée de le mener 
                     
                     
                     72
                     
                     chez elle. madame de 
                     Roye qui aprés les propropositions qui s'estoient 
                     faites, & ce qu'elle avoit 
                     dit à la Reine, sentit qu'- 
                     elle seroit assez embarassee 
                     de cette visite, répondit 
                     promptement à madame 
                     de Tournon, pour l'engager à détourner Sansac de 
                     ce dessein. madame de 
                     Tournon qui en écrivant 
                     à madame de Roye, n'avoit cherché qu'à s'attirer cette réponse, montra 
                     la Lettre à Sansac, comme 
                     
                      
                     
                     
                     73
                     
                     à un amy pour qui elle n'avoit rien de caché. 
                     
                  
                  
                  Sansac, que ce méchant 
                     succés chagrina, ne consulta plus la Comtesse sur 
                     une chose dont il n'étoit 
                     pas temps de lui découvrir le motif; il voulut aller chez Madame de Roye, 
                     mais il ne vit point sa fille, 
                     quoiqu'il l'eût demandée, 
                     On lui dit qu'elle se portoit mal; il y retourna une 
                     seconde fois, & on refusa 
                     encore de la lui laisser 
                     voir, sur des pretextes 
                     
                      
                     
                     
                     74
                     	
                     qui luy parurent peu vraysemblables. Il sçeut que 
                     Monsieur d'Amboise étoit 
                     avec elle, de sorte que 
                     honteux du peu de succés 
                     de ses visites, & desesperé 
                     d'avoir un Rival plus heureux que luy, il prit la resolution de quitter Paris, 
                     & il alla à une de ses Terres qui en étoit fort éloignée. 
                     
                  
                  
                  Mademoiselle de Roye 
                     que la precipitation avec 
                     laquelle on l'avoit remenée à la campague, avoit 
                     
                     
                     75
                     	
                     toûjours inquietée, & qui 
                     voyoit avec chagrin qu'- 
                     on l'empêchoit de recevoir les visites de Sansac, 
                     pensa que peut-estre Madame de Roye avoit découvert ses sentimens pour 
                     luy, & elle en étoit dans 
                     une honte & dans un accablement extrêmes. 
                     
                  
                  
                   Monsieur d'Amboise lui 
                     marquoit combien il étoit 
                     affligé de luy voir cette 
                     mélancolie, sans toutefois 
                     s'en plaindre, & sans luy 
                     marquer qu'il pouvoit en 
                     
                      
                     
                     
                     76
                     	
                     partie la penetrer. Une 
                     conduite si respectueuse 
                     toucha Mademoiselle de 
                     Roye, & la pitié succeda à 
                     sa haine, mais l'amour ne 
                     succeda point à la pitié. 
                     
                  
                  
                   Il estoit trop innocent 
                     de la conspiration du Prince de Condé, pour en estre 
                     accusé longtemps, & il en 
                     estoit alors presque justifié. Mademoiselle de Roye 
                     vit qu'elle alloit l'épouser, 
                     il en usoit d'une maniere 
                     qui meritoit quelque douceur de sa part, & il luy 
                     
                     
                     77
                     	
                     sembla que le devoir suppléroit aux mouvemens 
                     de son cœur. 
                     
                  
                  
                   Un jour que la tristesse 
                     du Comte d'Amboise étoit extraordinaire, elle 
                     luy dit plus de choses obligeantes qu'elle ne luy en 
                     avoit jamais dit, mais elles ne firent que redoubler le chagrin de cét 
                     Amant. Eh! Mademoiselle, lui dit-il, ne vous 
                     contraignez point ; ces 
                     dehors étudiez ne me 
                     rendent pas moins à plain 	
                     
                     
                     78
                     	
                     dre, vous affectez de me 
                     marquer de la bonté, & 
                     que je serois heureux, si 
                     vous en aviez assez pour 
                     chercher à me la cacher! 
                     Ce discours embarassa Mademoiselle de Roye, il étoit assez fondé pour luy 
                     causer un peu de desordre, elle fut longtemps 
                     sans répondre, & Monsieur d'Amboise s'enhardissant par ce silence, ou 
                     plûtôt se confirmant dans 
                     ses soupçons, n'eut plus 
                     la force de les empêcher 
                     
                     
                     79
                     	
                     de paroistre. Mademoiselle, luy dit-il, je ne vois 
                     que trop que je vous suis 
                     indifferent, pourquoi ne 
                     voulez-vous pas que je le 
                     voie? Ayez du moins de 
                     la sincerité, si vous n'avez 
                     pas de tendresse. Je suis reduit au point de vous étre 
                     obligé, si vous m'avouëz 
                     que vous ne m'aimez 
                     pas. Il accompagnoit ces 
                     paroles de larmes ; Mademoiselle de Roye en fut 
                     vivement penetrée. Pourquoy cette contrainte éter 
                     
                     
                     80
                     
                     nelle? Elle n'estoit point 
                     encore sa femme. Une pareille confidence ne pouvoit servir qu'à la dégager 
                     & à la mettre dans la liberté de suivre ses sentimens. 
                     
	
                  
                  
                  Si la plus grande estime 
                     qui fut jamais, lui dit‑elle.... Non Mademoiselle, interrompit-il, toute vostre estime ne sçauroit me consoler de vôtre 
                     indifference, mais ajoûta‑t-il, pressé par sa jalousie, 
                     si quelque chose pouvoit 
                     
                     
                     81
                     
                     l'adoucir, ce seroit une 
                     confiance sans reserve, elle m'est bien deuë pour 
                     me recompenser de tout 
                     ce que vous ne me donnez pas. Quelle est cette 
                     confiance que vous demandez encore, luy dit 
                     Mademoiselle de Roye? Il 
                     me semble que je vous en 
                     marque beaucoup. Ah! 
                     Mademoiselle, lui dit-il, 
                     ce n'est point assez, marquez m'en davantage, 
                     c'est me punir de ma curiosité, que de la satisfai
                     82
                     
                     re, & toute la grace que 
                     je vous demande, c'est que 
                     vous m'appreniez mon 
                     malheur tout entier. N'ai‑je point de Rival? Avoüez‑le moy. Devez-vous douter que je ne sois indifferente, lui dit Mademoiselle de Roye, puisque 
                     vous ne m'avez pas renduë 
                     sensible, vous qui m'estiez 
                     destiné? Helas, Mademoiselle, lui dit-il, vostre 
                     cœur pouvoit estre prevenu....Prevenu, luy dit 
                     Mademoiselle de Roye? 
                     
                     
                     83
                     
                     connoissois-je quelqu'un 
                     avant que d'estre engagée 
                     avec vous? Eh! Mademoiselle, interrompit-il, 
                     emporté par sa jalousie, 
                     n'aviez vous vû personne 
                     avant moy? Il ne faut qu'- 
                     un moment pour faire naître l'amour. 
                     
                  
                  
                   A ce mot qui marquoit 
                     si precisement ce qui s'étoit passé dans le cœur de 
                     Mademoiselle de Roye, 
                     une si grande rougeur lui 
                     couvrit le visage, que 
                     Monsieur d'Amboise ne 
                     
                     
                     84
                     		
                     douta plus de sa disgrace; 
                     il s'appuya sur un siége, ne 
                     pouvant supporter sa douleur. Que me faites-vous 
                     envisager, Mademoiselle, 
                     lui dit-il? Eh! qu'il faut 
                     vous respecter pour vous 
                     marquer de la moderation, 
                     en découvrant que vous 
                     avez pour un autre les 
                     sentimens qui m'étoient 
                     dûs par la violente passion que j'ay pour vous! 
                     Mademoiselle de Roye 
                     que ces paroles penetrerent jusqu'au fonds de l'a
                     85
                     	
                     me, ne pût retenir ses larmes, & elle marquoit une 
                     si vive douleur, que monsieur d'Amboise, malgré 
                     son desespoir, fut touché 
                     de l'estat où il l'avoit mise. Il la regarda avec toute la timidité que lui donnoit la pensée de lui avoir 
                     déplû, & il sembloit par 
                     son silence, lui faire réparation d'avoir trop parlé. 
                     Enfin il lui demanda pardon de ce qu'il avoit dit, 
                     ou plustost de ce qu'il 
                     avoit vû. mademoiselle 
                     
                     
                     86
                     
                     de Roye estoit dans un 
                     desordre extraordinaire. 
                     Son trouble & sa rougeur 
                     l'avoient trahie si cruellement, qu'elle n'osoit regarder monsieur d'Amboise sans la derniere 
                     confusion, de sorte que 
                     ne sçachant que lui répondre, & ayant du chagrin contre lui, elle se retira dans son cabinet en 
                     le priant de la laisser en 
                     paix & de l'oublier. 
                     
                  
                  
                   Quels ressentimens n'eut 
                     point monsieur d'Amboise 
                     
                     
                     87
                     
                     contre celui qui lui enlevoit le cœur de sa maîtresse, & que s'il en avoit 
                     suivy l'impetuosité, il se 
                     seroit porté à de crüelles 
                     extrêmitez contre lui ! 
                     mais il pensa que dans 
                     cette occasion un éclat 
                     lui attireroit toute la haine de mademoiselle de 
                     Roye, & qu'il ne falloit  
                     point abuser d'un secret 
                     dont elle lui avoit découvert une partie, & qu'- 
                     elle lui avoit laissé penetrer tout entier. Il se re
                     88
                     
                     presentoit les larmes qu'il 
                     lui avoit vû répandre, & 
                     cette idée arrêtoit sa 
                     vengeance, quoiqu'elle 
                     augmentast son chagrin. 
                     
                  
                  
                   Ils furent quelque temps 
                     sans se voir ; le Comte 
                     d'Amboise estant sur de 
                     ne pas plaire à mademoiselle de Roye, & l'ayant 
                     en quelque sorte offencée, 
                     n'osoit se montrer à ses 
                     yeux ; mademoiselle de 
                     Roye n'apprehendoit pas 
                     moins de recevoir de ses 
                     visites. Il n'est point 
                     
                      
                     
                     
                     89
                     
                     d'homme plus fâcheux 
                     qu'un Amant jaloux, 
                     quand il a raison de l'être, & droit de le témoigner. 
                     
                  
                  
                   Comme  madame de 
                     Roye s'apperçut que  monsieur d'Amboise ne venoit 
                     plus chez elle! Elle en demanda la raison à sa fille, 
                     & soupçonnant par l'em 
                     barras de cette jeune personne, qu'il y avoit eu 
                     quelque démêlé entr'eux, 
                     elle lui dit qu'elle vouloit 
                     qu'on le menageast, luy 
                     
                      
                     
                     
                     90
                     
                     remit devant les yeux ce 
                     qu'asseurement il lui seroit 
                     un joir, & méme lui ordonna de faire dire au 
                     Comte, par un de leurs 
                     amis communs, qu'elle seroit bien aise de le voir. 
                     Il falut que  mademoiselle 
                     de Roye obéît, mais elle 
                     en fut plus revoltée contre lui. 
                     
                  
                  
                    monsieur d'Amboise 
                     sentit  bien qu'il ne devoit 
                     pas penetrer plus loin que 
                     l'apparence qui lui étoit 
                     favorable ; encore qu'il 
                     
                     
                     91
                     	
                     craignît de voir  mademoiselle de Roye, il ne laissa 
                     pas d'aller chez elle le lendemain avec empressement. Il la trouva seule 
                     dans sa chambre, la teste 
                     appuyée sur une de ses 
                     mains, & dans une réverie si profonde, qu'à peine s'en tira-t-elle par le 
                     bruit qu'il fit en entrant. 
                     La pensée que le  marquis 
                     de Sansac l'occupoit à ce 
                     point, renouvella la jalousie du Comte d'Amboise. 
                     mademoiselle, lui dit-il, 
                     
                      
                     
                     
                     92
                     			
                     en soupirant, que ceux 
                     qui peuvent vous faire 
                     rêver, sont heureux, & 
                     qu'on est à plaindre quand 
                     on est... 
                     
                  
                  
                    mademoiselle de Roye 
                     fut fachée qu'il commençast ce discours. Le commandement de  madame de 
                     Roye l'avoit mise dans une 
                     disposition chagrine, de 
                     sorte que le regardant 
                     avec quelque dépit, je n'ay 
                     rien à vous répondre, lui 
                     dit-elle, tout ce que je 
                     dirois vous seroit suspect, 
                     
                     
                     93
                     		
                     mais je prévois les malheurs que vôtre défiance 
                     me prepare. Vous preparer des malheurs, Mademoiselle, lui dit-il, est-ce 
                     à moy que vous parlez? 
                     Oüy, lui dit-elle, je ne 
                     dois point me flater, vous 
                     avec eu des commencemens de jalousie, que j'ay 
                     peut-estre augmentée par 
                     ma faute, je ne puis plus 
                     penser que vous ne me 
                     haïssiez point. 
                     
                  
                  
                   Helas, Mademoiselle, 
                     lui dit-il, ce n'est pas ma	 
                     
                     
                     94
                     			
                     haine que vous craignez, 
                     vous ne craignez que mon 
                     amour ; mais enfin je ne 
                     me trouve plus digne de 
                     vous, puisque je n'ay pû 
                     vous plaire ; c'est assez, je 
                     ne vous contraindray pas 
                     davantage, je vous fuiray, puisque c'est la seule 
                     marque de passion qui 
                     vous puisse estre agreable 
                     de moy. Je vous amieray 
                     toujours avec un amour 
                     violent,  & je ne vous verray jamais. 
                     
                  
                  
                   Mademoiselle de Roye 	
                     
                     
                     95
                     	
                     ne lui en demandoit pas 
                     tant, mais le chagrin où 
                     elle l'avoit vû, & la disposition où il lui paroissoit estre de se dégager, 
                     lui donna la hardiesse de 
                     le lui proposer. Elle lui 
                     representa avec douceur, 
                     qu'il estoit desormais impossible qu'il fût content 
                     en l'épousant, que puisqu'il avoit eu des soupçons une fois, il en auroit toujours, & qu'elle 
                     l'estimoit trop pour vouloir le rendre malheureux. 
                     
                     
                     96
                     	
                     Enfin, peu à peu elle 
                     essaya de le porter à retirer la parole qu'il avoit 
                     donnée à Madame de 
                     Roye. Il estoit dans un 
                     desespoir qui ne lui permettoit pas de répondre, 
                     Ses yeux estoient attachez 
                     sur Mademoiselle de Roye. 
                     Il ne s'étoit point attendu qu'on ne le r'assureroit 
                     pas. Songez vous bien à 
                     ce que vous exigez de 
                     moy, Mademoiselle, lui 
                     dit-il, songez vous bien 
                     que je vous aime, & le 
                     
                      
                     
                     
                     97
                     		
                     plus grand effort de mon 
                     amour, est-il dû à la plus 
                     cruelle preuve de vôtre indifference? Vous pouvez 
                     me refuser, luy dit tristement Mademoiselle de 
                     Roye. Eh! Puis-je vous 
                     désobéïr, lui dit-il en se 
                     levant, vôtre cœur ne 
                     consent point à mon bonheur, en voudrois-je malgré lui? Mais du moins, 
                     Mademoiselle, jugez de 
                     l'excés de ma tendresse, 
                     par ce qu'elle me fait faire 
                     contre moy. 
                     
                     
                     
                  
                  
                  98
                  		
                  
                  
                   Il retourna à Paris, d'où 
                     il écrivit à Madame & à 
                     Mademoiselle de Roye, 
                     pour leur dire un éternel 
                     adieu. Il prioit Madame 
                     de Roye de lui pardonner 
                     s'il partoit sans la voir, & 
                     s'il répondit si mal aux 
                     intentions qu'elle avoit 
                     bien voulu avoir en sa faveur, mais que l'éloignement que Mademoiselle de 
                     Roye avoit pour lui, y 
                     mettoit un obstacle invincible, que le mariage ne 
                     pouvoit faire son bon
                     99
                     	
                     heur, s'il ne faisoit celui de la personne qu'il 
                     aimoit, & qu'il alloit porter sa douleur dans des 
                     lieux éloignez pour se guerir, s'il se pouvoit, par l'absence. En effet, peu de 
                     jours aprés, s'étant absolument justifié d'estre entré dans la conspiration 
                     du Prince de Condé, il 
                     passa en Angleterre avec 
                     la permission du Roy. 
                     
                  
                  
                   Madame de Roye étoit 
                     fort mécontente de ce 
                     qu'un mariage qu'elle 
                     
                      
                     
                     
                     100
                     		
                     avoit si ardemment souhaité, trouvoit de pareils 
                     obstacles. Elle avoit une 
                     si parfaite estime pour 
                     Monsieur d'Amboise, qu'il 
                     lui sembloit qu'il n'y avoit 
                     que lui qui fût digne de 
                     son alliance. Elle parla à 
                     sa fille avec ressentiment, 
                     & lui dit, qu'elle ne meritoit pas d'étre aimée du 
                     Comte, & qu'elle seroit 
                     bien punie de sa froideur 
                     pour lui, lors qu'elle épouseroit quelqu'un, qui en 
                     auroit pour elle. Elle es
                     101
                     		
                     suya l'indignation de sa 
                     mere avec chagrin, 
                     mais ces menaces lui faisoient peu de peur ; Elle 
                     songeoit que Sanfac alloit 
                     profiter de la liberté où   
                     d'Amboise l'avoit laissée, 
                     mais elle ne sçavoit pas ce 
                     qui s'étoit deja passé à cette occasion. 
                     
                  
                  
                   Madame de Roye la remena à Paris, & le bruit 
                     s'étant repandu de sa rupture avec Monsieur d'Amboise, tous ceux qui pouvoient pretendre à elle 
                     
                      
                     
                     
                     102
                     		
                     songerent à l'obtenir. 
                     
                  
                  
                   Le Comte de Sancerre 
                     qui avoit eu de l'inclination pour elle, dés le méme instant qu'il l'avoit 
                     veuë, n'étoit point alors 
                     en France. Le Marquis de 
                     Sansac qui ignoroit que 
                     Monsieur d'Amboise se 
                     fût degagé, estoit encore 
                     aux Terres de son pere, 
                     mais il ne fut pas long‑temps sans l'apprendre. 
                     
                  
                  
                   Entre tous ceux qui songerent à Mademoiselle de 
                     Roye, le Vicomte de Ta
                     103
                     		
                     vanes fut le plus empressé, 
                     & il fit des propositions 
                     pour l'épouser. Si-tost 
                     qu'elle fut à Paris, madame de Tournon l'appuya 
                     de tout son pouvoir. Il 
                     lui étoit d'une extrême 
                     importance que ce mariage fût arresté avant que 
                     Sansac eût sceu que le 
                     Comte d'Amboise ne pretendoit plus à Mademoiselle de Roye. Elle exagera à Madame de Roye 
                     tous les avantages de ce 
                     party. Le Vicomte de 
                     
                      
                     
                     
                     104
                     		
                     Tavanes possedoit de 
                     grands biens, & cherchoit 
                     encore à les augmenter, 
                     de sorte qu'il regardoit 
                     plus Mademoiselle de 
                     Roye par ceux qui lui étoient destinez, que par 
                     sa beauté. 
                     
                  
                  
                   Madame de Roye qui 
                     n'avoit rien de caché pour 
                     madame de Tournon, lui 
                     avoit confié toute la conduite du Comte d'Amboise, à l'égard de sa fille, 
                     & l'avoit priée de découvrir si cette jeune per
                     105
                     		
                     sonne n'avoit point quelque secrette inclination. 
                     Quoique ses soupçons eussent d'abord tombé sur le 
                     Marquis de Sansac, le refus qu'elle avoit fait de 
                     lui, la mettant hors d'é
                     tat de renoüer avec bien-
                     séance, lui donnoit de l'é-
                     loignement pour ce ma-riage. 
                     
                  
                  
                  madame de Tournon ne 
                     croyoit que trop que 
                     puisqu'il aimoit mademoiselle de Roye, il en étoit 
                     aimé, & elle n'en cher
                     106
                     	
                     choit point d'autre certitude. Cependant elle dit 
                     à Madame de Roye qu'après l'avoir examinée, elle 
                     lui trouvoit de l'indifference pour tous les hommes, & méme beaucoup 
                     pour Sansac en particulier; 
                     qu'apparemment trop d'amour de la part du Comte d'Amboise, l'avoit empéché d'épouser une personne incapable de sentir 
                     jamais de passion, ny même de connoistre les sentimens qu'on avoit pour 
                     
                     
                     107
                     	
                     elle. Enfin elle lui conseilla fortement d'accepter le Vicomte de Tavanes pour gendre. L'affaire 
                     se traita avec un grand 
                     secret, elle auroit esté 
                     promptement achevée, si 
                     la maladie du Roy n'eust 
                     suspendu toutes choses. 
                     
                  
                  
                   Il fut saisi à la Chasse, 
                     d'un mal de teste si violent & si extraordinaire, 
                     que d'abord on en apprehenda les suites. Le péril 
                     où il estoit, r'appella à Paris tous ceux qui s'inte
                     108
                     	
                     ressoient pour sa vie. Le 
                     Marquis de Sansac y revint avec empressement. 
                     Le Comte d'Amboise 
                     quoiqu'il fût à peine arrivé en Angleterre, retourna en France. Cette maladie fut aussi funeste que 
                     violente. Le Roy mourut 
                     en huit jours, & sa mort 
                     fit prendre une nouvelle 
                     face à toutes choses. La 
                     Reine Marie Stuart perdit 
                     toute l'autorité qu'elle s'étoit acquise. Catherine de 
                        Medicis fut declarée Re
                     109
                     		
                     gente durant la minorité 
                     de Charles IX. & devint 
                     absoluë. Prince de 
                        Condé qui avoit esté arresté pour la conspiration 
                     dont on le croyoit le chef, 
                     fut mis en liberté; il conservoit toûjours beaucoup 
                     d'estime pour d'Amboise, 
                     & quoiqu'il n'eust pû le 
                     faire entrer dans ses desseins, il ne l'en avoit pas 
                     moins aimé. 
                     
                  
                  
                   Le Marquis de Sansac 
                     parla à Mademoiselle de 
                     Roye le lendemain qu'il 
                     
                     
                     110
                     
                     fut à Paris ; elle estoit 
                     chez Madame de Tournon, où il y avoit beaucoup de monde, & elle 
                     étoit un peu écartée des 
                     autres, de sorte qu'il trouva moyen de se placer auprés d'elle, sans que Madame de Tournon pût s'y 
                     opposer. 
                     
	
                  
                  
                   Il demanda pardon à 
                     Mademoiselle de Roye des 
                     propositions qu'il avoit 
                     fait faire à sa mere, avant 
                     que de l'avoir consultée ; 
                     il en accusa la violence de 
                     
                     
                     111
                     	
                     sa passion, & il lui dit que 
                     ce qu'il avoit appris de sa 
                     haine pour lui, & le refus 
                     de Madame de Roye l'en 
                     punissoient assez. Mademoiselle de Roye fut surprise de ce discours. Vous 
                     m'apprenez des choses si 
                     nouvelles, lui dit-elle, que 
                     je suis embarrassée à y répondre ; j'ignore la haine 
                     que j'ay pour vous, comme tout le reste. 
                     
                  
                  
                   Madame de Tournon 
                     qui le vit attaché à parler 
                     à Mademoiselle de Roye, 
                     
                     
                     112
                     		
                     feignant de ne s'en appercevoir pas, la fit approcher d'elle, lui disant qu'- 
                     elle estoit trop éloignée 
                     du reste de la Compagnie. 
                     
	
                  
                  
                   Lors que Mademoiselle 
                     de Roye fit reflexion sur 
                     ce qu'il lui avoit dit, elle 
                     crut que ces propositions 
                     s'estoient faites ce mesme 
                     jour, & que des raisons 
                     de haine ou d'interst, 
                     avoient déterminé sa mere à un refus ; ainsi elle 
                     concluoit qu'elle n'épouseroit point Sansac, dans 
                     
                      
                     
                     
                     113
                     			
                     le temps qu'elle s'assuroit 
                     d'en estre tendrement aimée. 
                     
                  
                  
                   Ce Marquis cependant 
                     reprenoit des esperances; 
                     il voyoit qu'il n'estoit 
                     point haï. Il comprenoit 
                     mesme que peut-estre Madame de Roye en le refusant si cruellement, n'avoit cherché qu'à tenir 
                     parole à Monsieur d'Amboise, &  que les choses 
                     ayant changé, une seconde tentative pourroit réussir. Il voulut engager son 
                     
                      
                     
                     
                     114
                     		
                     pere dés le lendemain à 
                     parler à Madame de Roye, 
                     mais il le trouva si penetré de la mort du Roy, 
                     dont il avoit esté Gouverneur, qu'il n'en put mesme estre écouté. 
                     
	
                  
                  
                   Ce Marquis estoit trop 
                     amoureux pour ne pas 
                     craindre d'estre prevenu 
                     par ses Rivaux. Il connoissoit le pouvoir que 
                     Madame de Tournon avoit 
                     sur l'esprit de Madame de 
                     Roye ; il lui déclara son 
                     amour, & il la conjura de 
                     
                     
                     115
                     		
                     parler en sa faveur, en attendant que son pere pût 
                     entrer dans cet affaire. 
                     Madame de Tournon fut 
                     outrée de cette confidence, mais elle prit le party 
                     de dissimuler, & elle sçavoit bien qu'elle devoit 
                     peu craindre qu'il réussist. 
                     Elle l'assura qu'il ne tiendroit pas à elle qu'il ne fût 
                     heureux. Il la crut, & il 
                     alla cependant voir Madame de Roye dés ce mesme 
                     jour, mais bien des cho 
                     
                     
                     116
                     	
                     ses s'estoient passées, qu'il 
                     ignoroit. 
                     
                  
                  
                   Si tôt que Monsieur 
                     d'Amboise avoit esté revenu d'Angleterre, il avoit 
                     esté chez cette Comtesse 
                     qui l'avoit receuë avec 
                     beaucoup d'amitié. Elle 
                     venoit d'apprendre à sa 
                     fille qu'elle la destinoit au 
                     Vicomte de Tavanes, & 
                     cette nouvelle lui avoit 
                     donné une si vive douleur, 
                     qu'elle n'avoit eu que le 
                     temps de lui répondre, 
                     qu'elle lui obéïroit toû
                     117
                     		
                     jours, & elle estoit sortie 
                     de la chambre de sa mere, 
                     pour donner un cours libre à ses larmes. 
                     
	
                  
                  
                   Lors qu'elle vit qu'elle 
                     n'avoit évité d'épouser le 
                     Comte d'Amboise, que 
                     pour estre au Vicomte de 
                     Tavannes, elle fut inconsolable. Sa personne lui 
                     avoit toûjours déplû, & 
                     son dessein le lui rendoit 
                     odieux. Elle pensoit que 
                     la parfaite estime qu'elle 
                     avoit pour le Comte 
                     d'Amboise, lui  pouvoit 
                     
                     
                     118
                     		
                     tenir lieu d'amour, & qu'il 
                     lui auroit esté plus supportable d'estre à lui, puisqu'elle ne croyoit plus épouser Sansac, que d'estre 
                     au Vicomte de Tavanes. 
                     Enfin, le mal passé ne lui 
                     paroissoit plus un mal, & 
                     elle ne donnoit ce nom 
                     qu'au present. 
                     
                  
                  
                   Madame de Roye voulant faire connoistre à 
                     d'Amboise qu'il n'avoit 
                     point perdu sa confiance, 
                     ne lui fit point un secret 
                     du mariage de Monfieur 
                     
                     
                     119
                     		
                     de Tavanes avec sa fille, & 
                     elle lui en parla comme 
                     d'une chose qui seroit 
                     bien-tôt concluë. Mais 
                     que ne produisit point 
                     cette nouvelle dans l'esprit 
                     de Monsieur d'Amboise? 
                     Mademoiselle de Roye alloit épouser un homme 
                     qu'il sçavoit bien qu'elle 
                     n'aimoint pas. La pensée de 
                     la perdre sans retour, & 
                     de la voir posseder par un 
                     mary qui l'avoit si peu 
                     meritée, excitoit en mé
                     120
                     	
                     me temps son désespoir 
                     & son indignation. 
                     
                  
                  
                   Il demanda à Madame 
                     de Roye la permission de 
                     voir sa fille, & il alla la 
                     trouver à son appartement. Elle estoit dans un 
                     était si triste, qu'il  n'avoit 
                     pas besoin de son amour 
                     pour en estre sensiblement 
                     touché. Son visage estoit 
                     couvert de larmes qui ne 
                     diminuoient point sa 
                     beauté. Vous estes témoin 
                     de ma douleur, lui dit-elle, sentant qu'elle ne 
                     
                      
                     
                     
                     121
                     		
                     pouvoit cacher  ses pleurs) 
                     & vous sçaurez bien-tost 
                     ce qui l'a causé. Je ne le 
                     sçais peut-estre deja que 
                     trop, lui dit-il, Mademoiselle, & j'ose dire que 
                     je sens plus encore les 
                     maux que vous sentez, 
                     que je n'ay jamais senty 
                     tous ceux que vous m'avez faits. Que vôtre honnesteté m'est cruëlle, lui 
                     dit Mademoiselle de Roye, 
                     que son chagrin faisoit 
                     parler! Cachez-la moy par 
                     pitié, afin que je con
                     Bilbliotheque de l'Arsenal
                     
                     
                     122
                     		
                     noisse moins le prix de 
                     ce que j'ay perdu. Que 
                     me dites-vous Mademoiselle, lui dit-il? Je n'ay 
                     point acquis assez d'indifference, pour pouvoir entendre tranquilement ces 
                     paroles de vôtre bouche. 
                     Je ne cherche point à 
                     vous flater, lui dit elle, 
                     mais il est vray que je me 
                     repentiray toute ma vie 
                     du procedé que j'ay eu 
                     avec vous, & que je me 
                     trouveray trés-malheureuse d'épouser le Vicomte 
                     
                     
                     123
                     		
                     de Tavanes. Ah! Mademoiselle, lui dit le Comte d'Amboise, je ne sçaurois me plaindre de ma 
                     disgrace, puis qu'elle m'attire des paroles si obligeantes. Est-il possible que 
                     vous me puissiez preferer 
                     à quelqu'un? Je ne l'aurois 
                     jamais sceu, si vous ne 
                     m'aviez forcé de renoncer 
                     à vous ; mais quelques 
                     obstacles que j'aye mis à 
                     mon bonheur, peut-estre 
                     il ne me seroit pas impossible de les vaincre, si 
                     
                      
                     
                     
                     124
                     		
                     vous y consentiez. Vous 
                     auriez mon consentement 
                     avec bien de la facilité, 
                     s'il y faisoit quelque chose, 
                     lui dit Mademoiselle de 
                     Roye, qui ne voyoit encore que ' le suplice d'épouser Tavanes. Monsieur 
                     d'Amboise fut si transporté de la joye que lui 
                     donnoient ces paroles, 
                     qu'il ne vit rien de ce qui 
                     pouvoit la troubler. Les 
                     soupçons qu'il avoit eus 
                     de Sansac, s'effacerent de 
                     son esprit. Il trouva qu'il 
                     
                     
                     125
                     		
                     les avoit pris sur des fondemens legers. Madame 
                     de Roye lui avoit parlé du 
                     mariage de Tavanes, comme d'une chose avancée, 
                     mais non pas concluë absolument. Il alla trouver 
                     le Prince de Condé, il le 
                     conjura de parler à Madame de Roye, parce qu'- 
                     il eût esté embarassé à lui 
                     parler lui-même, à cause 
                     de l'irregularité qui pouvoit paroistre dans son 
                     procedé. Ce Prince qui 
                     avoit bien voulu entrer 
                     
                      
                     
                     
                     126
                     		
                     dans les détails de sa passion, dés qu'elle avoit commencé, saisit cette occasion de lui rendre un office. Il alla voir Madame 
                     de Roye, & il l'engagea 
                     aisement à rentrer dans ses 
                     premieres liaisons avec le 
                     Comte d'Amboise, qu'elle avoit toûjours plus estimé que tous les autres 
                     hommes. Elle dit à sa 
                     fille que s'il estoit vray 
                     qu'elle eût de l'éloignement pour le Vicomte de 
                     Tavanes, elle n'iroit pas 
                     
                     
                     127
                     			
                     plus avant avec lui, & qu'- 
                     elle reprendroit ses premiers engagemens avec 
                     Monsieur d'Amboise. 
                     
	
                  
                  
                   Mademoiselle de Roye qui 
                     n'avoit songé d'abord qu'à 
                     n'épouser pas Tavanes, vit 
                     qu'elle avoit seulement 
                     changé de malheur ; celui‑cy estoit moindre à la verité, mais il estoit assez 
                     grand pour la mettre au 
                     désespoir. Enfin elle se l'étoit attiré, il n'y avoit pas 
                     moyen qu'elle l'évitât, & 
                     elle dit à sa mere, qu'elle 
                     
                      
                     
                     
                     128
                     		
                     lui obéïroit sans répugnance. 
                     
                  
                  
                   Madame de Roye fit 
                     naître des difficultez sur le 
                     mariage du Vicomte de 
                     Tavanes, & comme elle 
                     ne lui avoit point encore 
                     donné de parole, elle le 
                     rompit sans qu'il parût 
                     qu'elle en eût eu le dessein. 
                     
                  
                  
                   Madame de Tournon 
                     qui estoit trop avant dans 
                     sa confidence, pour ignorer ce qui se passoit, lui 
                     fit les propositions de San
                     129
                     	
                     sac, lors qu'elle vit qu'il 
                     n'y avoit plus rien à esperer pour lui, de sorte qu'il 
                     fut une seconde fois refusé. Cette Comtesse le 
                     lui apprit avec toute la malice dont elle estoit capable. Elle lui fit confidence des desseins de Tavanes & de leur progrez, en 
                     lui disant ensuite que Mademoiselle de Roye n'avoit 
                     pû soûtenir la pensée d'étre à un autre qu'à d'Amboise ; qu'une legere cause 
                     les ayant brouïllez, leur 
                     
                     
                     130
                     		
                     raccommodement avoit 
                     esté aisé, & qu'elle avoit 
                     engagé elle-même son 
                     Amant à faire parler à sa 
                     mere. La chose estoit vraye 
                     en apparence. Elle la conta de la même maniere à 
                     quelques personnes, afin 
                     qu'on le redît encore à 
                     Sansac. Il entra dans un 
                     violent dépit contre Mademoiselle de Roye; il l'accusa de l'avoir trompé par 
                     sa fausse douceur. Il s'accusa de s'être voulu tromper soi même. Il examina 
                     
                     
                     131
                     		
                     combien les choses qui 
                     l'avoient flaté, estoient foibles. Enfin, il s'abandonna au désespoir aussi facilement qu'il s'étoit abandonné à l'esperance, & il 
                     cessa de voir Mademoiselle de Roye. 
                     
                  
                  
                   Elle avoit pris une resolution qu'elle avoit de la 
                     peine à soûtenir, sa tristesse estoit extraordinaire, 
                     & d'Amboise n'estoit pas 
                     assez heureux pour ne la 
                     point penetrer. Les soupçons qu'il avoit eus de 
                     
                     
                     132
                     		
                     Sansac, lui rentroient dans 
                     l'esprit ; cependant la preference qu'elle lui avoit 
                     donnée sur le Vicomte de 
                     Tavanes, & les choses flateuses qu'elle lui avoit dites à cette occasion, venoient le soûtenir contre 
                     ses defiances ; & si ces reflexions troubloient le 
                     bonheur qu'il attendoit, 
                     elles ne l'empêchoient pas 
                     de l'attendre. 
                     
                  
                  
                   Tout se disposoit pour 
                     son mariage, Mademoiselle de Roye avoit beau
                     133
                     		
                     coup d'égards pour lui ; 
                     mais quand elle estoit seule, elle en dédommageoit 
                     Sansac par un torrent de 
                     larmes. Elle se regardoit 
                     elle-même comme la cause de ses malheurs. Jamais 
                     elle ne s'étoit veuë si 
                     preste d'entrer dans un engagement, contre lequel 
                     tout son cœur se revoltoit. 
                     Elle ne put soûtenir ces 
                     diverses agitations, & elle tomba malade. 
                     
                  
                  
                   Quel désespoir pour 
                     Monsieur d'Amboise ! Il 
                     
                     
                     134
                     		
                     ne pouvoit douter que sa 
                     maladie ne fût l'effet du 
                     chagrin qu'elle avoit de 
                     l'épouser. Il se sentoit 
                     neanmoins entraîné à la 
                     voir tous les jours, & il 
                     la voyoit pleine d'honnêteté pour lui. Malgré les 
                     maux qu'elle lui causoit, il 
                     l'estimoit davantage, & il 
                     ne l'aimoit pas moins ; au 
                     contraire l'admiration & 
                     la pitié se joignant à ses 
                     autres sentimens, rendoient sa passion plus forte, mais en méme temps 
                     
                     
                     135
                     	
                     plus capable de raison. Le 
                     moyen de contraindre 
                     une personne qui se contraignoit elle-méme pour 
                     l'amour de lui? Il vit qu'- 
                     il devoit se dégager une 
                     seconde fois, mais en rendant Mademoiselle de 
                     Roye à elle, il la mettoit 
                     entre les mains de son Rival. Cette pensée le faisoit 
                     trembler, & il ne resolluoit rien. 
                     
	
                  
                  
                   Cependant la maladie 
                     de Mademoiselle de Roye 
                     augmentoit. Il sentit alors 
                     
                     
                     136
                     		
                     qu'il l'aimoit assez pour 
                     ne la disputer pas davantage aux depens de sa vie. 
                     Il vit qu'il faloit la ceder 
                     à son Rival, qu'elle ne 
                     pouvoit estre que malheureuse avec un autre. Il 
                     crut qu'il estoit capable 
                     de cet effort. Il se flata 
                     méme qu'une action extraordinaire produiroit 
                     peut-estre un effet extraordinaire, & que s'il ne ramenoit pas Mademoiselle 
                     de Roye vers lui, en faisant pour elle une chose 
                     
                      
                     
                     
                     137
                     		
                     dont un autre ne pouvoit 
                     estre capable, il rendoit 
                     du moins tous les autres 
                     hommes indignes d'en étre aimés. Enfin il se formoit du debris de toutes 
                     ses esperances, une nouvelle sorte d'espoir. Toûjours il pensa qu'il empoisonneroit le bonheur 
                     de son Rival, en lui donnant luy-méme sa maîtresse. Mais aprés tout, ce 
                     n'estoiét que des idées. Son 
                     cœur ne goûtoit point ses 
                     raisons, & il lui auroit en 
                     
                     
                     138
                     		
                     core esté plus aisé de faire 
                     la chose, que de la resoudre. 
                     
                  
                  
                   Il alla voir Mademoiselle de Roye le lendemain. 
                     Il remarqua qu'elle pleuroit, quoiqu'elle essayast 
                     de cacher ses larmes, & de 
                     montrer un visage ouvert 
                     & tranquile. Il est dificile 
                     de se representer l'état où 
                     il se trouva. L'effort qu'on 
                     se faisoit pour lui, le portoit à celui qu'il se devoit 
                     faire. L'amour, la pitié, 
                     le désespoir formoient 
                     
                     
                     139
                     	
                     mille combats dans son 
                     ame. Il demeura long‑temps sans parler ; mais 
                     enfin regardant Mademoiselle de Roye avec 
                     des yeux baignez de larmes, Mademoiselle, lui 
                     dit-il, vous avez eu jusqu'ici plus de force que 
                     moy. Je tremble de mon 
                     projet, mais peut-estre je 
                     l'executeray. Vous me 
                     donnez l'exemple de mourir, s'il le faut en se contraignant. Eh bien, ç'en 
                     est fait, il faut m'arracher 
                     
                      
                     
                     
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                     à moy-méme ; ne me cachez point vos sentimens 
                     pour Sansac. Je veux tout 
                     entreprendre pour luy faire 
                     obtenir un bonheur dont 
                     vous le jugez plus digne 
                     que moy, aussi-bien puis‑je estre plus malheureux 
                     que je le suis. Je vous 
                     plairay du moins en vous 
                     donnant à mon Rival. Il 
                     remarquoit pendant ce 
                     discours une impression 
                     de joye sur le visage de 
                     Mademoiselle de Roye, 
                     
                     
                     141
                     	
                     qu'il ne lui avoit jamais 
                     veüe. Il se désesperoit de 
                     ce qu'il alloit faire, sans 
                     neanmoins s'en repentir. 
                     Il est des momens où l'on 
                     semble agir par une force 
                     superieure ; ce qu'il faisoit 
                     tenoit plus du Heros que 
                     de l'Amant, & le rendoit 
                     digne en même temps de 
                     pitié & d'envie. Je pars, 
                     lui dit-il, Mademoiselle, 
                     pour un dessein qui ne s'achevera pas s'il se retarde, 
                     & toute la grace que je 
                     vous demande, c'est de 
                     
                     
                     142
                     		
                     n'oublier point en me 
                     voyant, que je suis le plus 
                     malheureux de tous les 
                     hommes pour l'amour de 
                     vous. Mademoiselle de 
                     Roye ne put resister à ces 
                     divers mouvemens, la surprise, la crainte, la 
                     honte agitoient son cœur. 
                     Sa fiévre en un instant 
                     redoubla si considerablement, qu'on jugea que sa 
                     vie alloit estre dans un 
                     trés-grand danger. Il n'en 
                     faloit pas tant pour déterminer Monsieur d'Am
                     143
                     	
                     boise. Il courut à l'appartement de Madame de Roye, 
                     il lui apprit le péril où 
                     estoit sa fille, & la passion 
                     qu'elle avoit dans le cœur. 
                     Il la conjura de n'avoir 
                     plus d'égards pour lui, & 
                     de ne songer qu'à Mademoiselle de Roye. Cette 
                     mere aimoit veritablement 
                     sa fille. La maladie de cette jeune personne la mettoit dans une cruelle inquietude, & tout ce qui 
                     pouvoit contribuer à sa 
                     guerison, lui paroissoit 
                     
                     
                     144
                     	
                     agreable. Elle marqua à 
                     Monsieur d'Amboise combien elle estoit touchée 
                     de sa generosité, & lui 
                     donna des louanges ausquelles il estoit peu sensible. Il vit qu'il réüssissoit 
                     trop aisément dans ce qu'- 
                     il entreprenoit. Il quitta 
                     Madame de Roye, & il alla se renfermer chez lui, 
                     où il s'abandonna à tout 
                     ce que le désespoir à de 
                     plus affreux. Quand il ne 
                     se vit plus rien à faire, il 
                     pensa à ce qu'il avoit fait; 
                     
                      
                     
                     
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                     il envisagea à loisir le mariage de Madlle de Roye & 
                     du Marquis de Sansac, auquel il n'y avoit plus d'obstacles. Il vit qu'il l'avoit 
                     lui-même livrée à celui 
                     qu'il devoit le plus craindre qui ne la possedast, 
                     & il fut mille fois sur le 
                     point de le punir de ce 
                     qu'il venoit de faire pour 
                     lui, & de l'empécher par 
                     sa mort d'obtenir un bien 
                     qu'il venoit de lui abandonner. Ensuite il se representoit l'état où il 
                     
                      
                     
                     
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                     avoit vû Mademoiselle 
                     de Roye. Cette idée le retenoit, mais il voyoit à 
                     quel excés la pitié l'avoit 
                     porté. Il revenoit comme 
                     d'un songe, & il avoit 
                     peine à croire ce qu'il 
                     avoit esté capable d'executer. Il songea que Mademoiselle de Roye perdroit le souvenir de ce 
                     qu'il avoit fait pour elle, 
                     & de ce qu'il lui en coûtoit, dans la joye qu'elle 
                     auroit d'estre à un homme qu'elle aimoit tendre
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                     ment. Cette réflection lui 
                     rendoit tout insupportable; il pensoit haïr Mademoiselle de Roye autant 
                     que Sansac, & il croyoit 
                     ne pouvoir jamais voir 
                     l'un non plus que l'autre. 
                     
                  
                  
                   Madame de Roye employa un des ses amis qui 
                     l'étoit aussi du Marquis de 
                     Sansac, pour lui faire sçavoir que Monsieur d'Amboise estoit absolument 
                     dégagé d'avec Mademoiselle de Roye, & que s'il 
                     faisoit quelques démarches 
                     
                      
                     
                     
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                     pour l'obtenir, il n'y trouveroit plus d'obstacles. Ce 
                     Marquis estoit trop amoureux pour songer aux refus qu'il avoit déja deux 
                     fois essuyés. L'avance que 
                     Madame de Roye lui faisoit en estoit la réparation, 
                     mais il vouloit sçavoir les 
                     sentimens de sa fille. Il 
                     alla chez cette Comtesse; 
                     il vit Mademoiselle de 
                     Roye, à qui la joye redonnoit la santé, que le chagrin lui avoit ôtée. Il ne 
                     lui fut pas dificile de con
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                     noître qu'il estoit aimé; il 
                     le comprit en partie par 
                     les choses qu'elle laissoit 
                     échaper, & plus encore 
                     par celles qu'elle évitoit 
                     de lui dire. 
                     
                  
                  
                   Le Marquis de Sansac 
                     apprit à son pere le changement favorable pour lui 
                     qui s'étoit fait dans l'esprit de Madame de Roye, 
                     mais il ne le trouva plus 
                     dans les mêmes dispositions pour son alliance. Le 
                     refus qu'elle avoit fait de 
                     son Fils, l'avoit irrité au 
                     
                      
                     
                     
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                     point de ne pouvoir jamais revenir de sa colere; 
                     mais d'autres raisons se 
                     joignoient encore à cellelà. Le Comte de Sansac 
                     estoit haï de Catherine de 
                        Medicis, parce qu'il avoit 
                     esté Gouverneur de François II. qu'elle n'avoit jamais aimé. Elle se plaignoit que ce Gouverneur 
                     l'avoit élevé dans une 
                     grande indépendance à 
                     son égard, & elle en avoit 
                     pris de l'éloignement pour 
                     son Fils méme. Elle eut 
                     
                     
                     151
                     	
                     lieu de voir lorsqu'il mourut, combien ses sentimens estoient respectez 
                     de toute la Cour, excepté des Sansacs. Le Corps 
                     du feu Roy fut porté à 
                     saint Denis sans aucune 
                     pompe. messieurs de Guise 
                     oncles de la Reine sa 
                     femme, ne le suivirent 
                     mesme pas, & le Comte 
                     de Sansac seul & son Fils, 
                     l'accompagerent. 
                     
                  
                  
                   La Regente ne fut pas 
                     longtemps sans marquer 
                     ses ressentimens au Comte 
                     
                      
                     
                     
                     152
                     		
                     de Sansac en plusieurs 
                     rencontres. Il n'estoit plus 
                     appuyé de personne, il 
                     vit qu'il avoit besoin d'étre soútenu. 
                     
                  
                  
                   Mademoiselle de Roye 
                     & mesme madame  de Roye 
                     qui ne s'occupoit que de 
                     ce qui convenoit à sa fille, 
                     ayant toûjours esté de la 
                     Cour de Marie Stuart, plus 
                     que de celle de Catherine 
                        de Medicis, n'estoient pas 
                     propres à le remettre en 
                     bonne posture auprés d'elle. Il avoit d'autres veuës, 
                     
                     
                     153
                     				
                     & il dit à son Fils, qu'aprés le refus désobligeant 
                     que Madame de Roye 
                     avoit fait 'de le recevoir 
                     pour gendre, il devoit 
                     estre honteux de songer 
                     encore à le devenir, & il 
                     lui déclara qu'il ne consentiroit jamais à ce maraiage. Cét Amant se jetta 
                     aux pieds de son pere ; il 
                     lui dit que tout le bonheur de sa vie dépendoit 
                     d'épouser mademoiselle de 
                     Roye, mais il ne le fit pas 
                     changer de dessein. 
                     
                     
                     154
                     			
                     
                  
                  
                   Le marquis de Sansac se 
                     revolta par cette dureté. 
                     Sa mere lui avoit laissé de 
                     grands biens, & quoique 
                     ceux de son pere fussent 
                     considerables, ils les sacrifioit sans peine à son party, qui 
                     qui firent tous les pas qu'- 
                     il falloit faire auprés de 
                     madame de Roye, & dont 
                     les propositions furent receuës, mais à condition 
                     que le marquis de Sansac 
                     se raccommoderoit avec 
                     
                     
                     155
                     			
                     son pere, avant qu'on 
                     achevast le mariage, & 
                     que leur traité seroit secret jusque-là. 
                     
                  
                  
                   Ce Marquis eut cependant la permission de voit 
                     souvent Madlle de Roye 
                     dont la santé se rétablissoit chaque jour, & dont la 
                     beauté augmentoit encore 
                     depuis que son cœur étoit 
                     content. Elle sentoit vivement ce qu'elle devoit 
                     au Comte d'Amboise. Elle 
                     auroit voulu lui marquer 
                     combien elle en estoit 
                     
                     
                     156
                     		
                     touchée, & le dédommager s'il se pouvoit par sa 
                     reconnoissance des sentimens qu'elle n'avoit pas 
                     pris pour lui ; mais elle ne 
                     le voyoit plus, parce qu'- 
                     il prenoit soin de l'éviter. 
                     Il sçavoit cependant que 
                     son mariage avec Sansac, 
                     n'estoit pas prest à s'achever ; mais si cette penseé 
                     adoucissoit sa douleur, 
                     elle ne la lui ôtoit pas. 
                     
                  
                  
                   Mademoiselle de Sansac revint à Paris, elle 
                     apprit avec plaisir l'action 
                     
                     
                     157
                     		
                     de d'Amboise, & elle en 
                     parloit sans cesse à mademoiselle de Roye.   Un 
                     jour qu'elles se promenoient ensemble dans les 
                     jardins du Louvre, elles le rencontrerent qui 
                     estoit seul, & qui révoit 
                     si profondément, qu'il 
                     étoit proche de Mademoiselle de Roye, sans s'en appercevoir. Il continuoit à 
                     marcher, mais elle l'arréta. 
                     Vous voulez-bien, lui dit‑elle, que je profite des 
                     occasions que le hazard 
                     
                     
                     158
                     		
                     me donne de vous marquer mes sentimens ; il y 
                     a longtemps que je les 
                     cherche en vain. He, Mademoiselle, lui dit-il, il y 
                     auroit de la cruauté à vouloir me voir encore, je 
                     vous suis inutile. Il lui fit 
                     une profonde reverence, 
                     & il se retira sans regarder mademoiselle de Sansac. Elles furent surprises 
                     de cette fuite. Mademoiselle de Sansac eut de la 
                     colere de ce qu'il ne l'avoit pas seulement remar
                     159
                     	
                     quée. mademoiselle de 
                     Roye connut par la tristesse du Comte, & par sa 
                     promte retraite, combien 
                     sa passion estoit encore 
                     vive, & combien sa generosité avoit esté extraordinaire. Elle eut une trés‑sensible douleur d'avoir 
                     rendu un si honneste homme malheureux. 
                     
                  
                  
                   Il estoit au désespoir de 
                     l'avoir quitée si brusquement. Il craignit de l'avoir offencée, & qu'elle 
                     ne vinst à le haïr. Enfin il 
                     
                     
                     160
                     		
                     avoit encore senty du plaisir à la voir. Il s'en estoit 
                     privé de peur de s'y trop 
                     abandonner, mais qu'il 
                     trouvoit que sa raison lui 
                     avoit esté cruelle, & que 
                     pouvoit-il lui arriver de 
                     plus triste, que d'estre haï 
                     de Mademoiselle de Roye, 
                     & de ne la voir jamais? Cependant il ne vouloit plus 
                     aller chez elle, mais il sentoit que ce lui seroit une 
                     douceur que de la rencontrer.
                     
                  
                  
                   Sansac trouvoit le re 
                     
                     
                     161
                     	
                     tardement de son bonheur si insupportable, qu'il 
                     n'estoit guere moins affligé que lors qu'il estoit incertain d'estre aimé. C'étoit en vain qu'il pressoit 
                     Madame de Roye de consentir qu'il épousast sa fille, 
                     malgré le chagrin du 
                     Comte de Sansac, elle ne 
                     vouloit point lui laisser 
                     perdre une partie de sa 
                     fortune par trop de précipitation. L'estime que 
                     cette Comtesse avoit pour 
                     d'Amboise, lui faisoit sou 
                     
                     
                     162
                     		
                     haiter qu'il fût toûjours 
                     de ses amis. Cependant 
                     quoiqu'elle fût fâchée de 
                     n'avoir plus aucun commerce avec lui, elle n'osoit lui en faire des reproches, mais comme elle eut 
                     besoin de lui dans une affaire considerable, elle le 
                     lui fit sçavoir, & il ne put 
                     se dispenser d'aller chez 
                     elle. Il y retourna avec 
                     quelque peine & avec 
                     quelque plaisir. Il trouva 
                     d'abord mademoiselle de 
                     Roye seule dans la cham
                     163
                     	
                     bre de sa mere, & il fut 	
                     si frapé de cette veuë qu'il 	
                     demeura cõme immobile. 	
                     
                  
                  
                   Madame de Roye estoit 	
                     dans son cabinet avec une 	
                     personne de consideration, lorsqu'il entra. Comme elles estoient occupées 	
                     d'une affaire particuliere, 	
                     elle vint au devant de lui 	
                     le supplier de vouloir bien 	
                     demeurer un momẽt dans 	
                     sa chambre avec sa fille. 	
                     Mademoiselle de Roye 	
                     fut d'abord embarrassée 	
                     de la presence d'un hom 	
                     
                     
                     164
                     		
                     me à qui elle avoit des 
                     obligations infinies, & 
                     qu'elle jugeoit par ce qui 
                     s'étoit passé de puis peu, 
                     que sa reconnoissance méme pouvoit chagriner. Le 
                     défordre   de   Monsieur 
                     d'Amboise estoit extraordinaire, il se retrouvoit 
                     auprés d'une personne qu'- 
                     il avoit esté contraint d'abandonner, qu'il adoroit 
                     toûjuours, à qui il ne vouloit plus le dire, encore 
                     qu'il souhaitast qu'elle le 
                     sçeust, enfin avec une per
                     165
                     		
                     sonne qui lui donnoit une 
                     cruelle jalousie, & qui lui 
                     inspiroit un respect extrême. Ils garderent quelque temps le silence l'un 
                     & l'autre ; elle le rompit 
                     neanmoins la premiere. Je 
                     ne sçaurois m'empêcher de 
                     me réjouir de vous voir, 
                     lui dit-elle, quoiqu'il me 
                     paroisse que vous ne soyez 
                     pas content d'estre ici. 
                     Mademoiselle, lui dit-il, 
                     est-il possible que la presence d'un malheureux que 
                     vous avez forcé de renon
                     166
                     		
                     cer à vous, puisse ne 
                     vous pas estre desagreable? 
                     Je ne vous y ay point 
                     contraint, lui dit Mademoiselle de Roye, vous 
                     m'avez fait un sacrifice 
                     volontairement. Hé, reprit il, Mademoiselle, 
                     vouz mouriez si je ne vous 
                     l'eusse fait. Vous ne pouviez soûtenir la pensée 
                     d'estre à moy. Je vous 
                     ostois à celui sans lequel 
                     vous ne pouviez vivre. 
                     Vous en dites beaucoup, 
                     interrompit mademoiselle 
                     
                     
                     167
                     		
                     de Roye en rougissant. Hé, 
                     Mademoiselle, lui dit-il, 
                     pourquoi cette retenuë & 
                     cette contrainte? Auoüez 
                     moy que vous aimez mon 
                     Rival. Je le sçais, je le 
                     vous malgré vous, & la 
                     reserve dont vous usez, 
                     est un rafinement de tendresse dont je suis plus jaloux que de toute celle 
                     que vous me marqueriez 
                     avoir pour lui. Mais que 
                     vous dis-je, reprit-il, pourquoi vous montrer cette 
                     bizarerie? Je vous de
                     168
                     		
                     mande pardon. Je vous 
                     aime, je vous aimeray 
                     toute ma vie. Je n'ay pû 
                     estre le maistre de ne vous 
                     point parler une fois de 
                     Sansac, mais je ne vous 
                     en parleray plus. Je vous 
                     respecte assez pour respecter méme vostre passion. Je 
                     me contraindray sans cesse 
                     & je ne vous entretiendray jamais de la mienne. 
                     mais la seule grace que je 
                     vous demande, c'est que 
                     vous me regardiez comme quelque chose de plus 
                     
                      
                     
                     
                     169
                     	
                     qu'un amy. Je vous regarde même, lui dit-elle, 
                     comme quelque chose de 
                     plus qu'un Amant. Vous 
                     avez fait pour moy des 
                     choses si peu ordinaires, 
                     que je ne puis avoir pour 
                     vous des sentimens communs. 
                     
                  
                  
                   La conduite de ce Comte avoit esté si digne d'admiration, & Mademoiselle 
                     de Roye lui estoit si obligée, qu'elle crut lui devoir parler avec douceur, 
                     mais cependant d'une ma 
                     
                     
                     170
                     		
                     niere qui ne flatast point 
                     son amour ; aussi ces paroles le firent soupirer. 
                     Madame de Roye entra 
                     comme elle les achevoit. 
                     Cette Comtesse apprit à 
                     monsieur d'Amboise en 
                     quoi il pouvoit lui estre 
                     utile, & il lui promit de 
                     lui obéïr ponctuellement 
                     dans les choses qu'elle souhaitoit. Elles avoient quelque rapport à mademoiselle de Roye, & il se 
                     trouva encore sensible au 
                     plaisir de lui rendre un  
                     
                     
                     171
                     		
                     service. Ses honnestetez 
                     ou plûtost sa veuë, avoient 
                     remis une sorte de douceur dans son ame, quoiqu'elle ne lui eust rien dit 
                     de favorable à sa passion. 
                     C'estoit toûjours beaucoup qu'elle eût pour lui 
                     toute l'estime qu'il méritoit, & qu'elle la lui eust 
                     marquée. 
                     
                  
                  
                   L'affaire dont Madame 
                     de Roye l'avoit chargé, 
                     l'obligea à retourner chez 
                     elle plus d'une fois. Il n'évitoit plus mademoiselle 
                     
                      	
                     
                     
                     172
                     			
                     de Roye, & il reprenoit 
                     l'habitude de lui parler. 
                     Peut-estre même retrouvoit-il dans son cœur 
                     quelque penchant à l'esperance. Les obstacles qui 
                     s'opposoient au mariage 
                     du marquis de Sansac, pouvoient durer longtemps. 
                     Il n'estoit pas impossible 
                     qu'une conduite soûmise 
                     & désinteressée, ne lui attirast une bien-veillance 
                     particuliere de mademoiselle de Roye, & que ne 
                     lui parlant jamais de sa 
                     
                     
                     173
                     	
                     passion, & lui faisant neanmoins connoistre qu'elle 
                     n'estoit pas éteinte, il ne 
                     prist à la fin quelque chose 
                     sur les sentimens qu'elle 
                     avoit pour un Rival qui 
                     les méritoit moins que 
                     lui. 
                     
                  
                  
                   Madame de Tournon 
                     estoit au désespoir de n'avoir pû empêcher la liaison de Sansac & de mademoiselle de Roye ; elle 
                     cherchoit du moins à la 
                     rompre, & le Comte de 
                     Sancerre qui dans ce 
                     
                      
                     
                     
                     174
                     	
                     temps-là revint à Paris, 
                     lui parut propre à la servir dans ses desseins. Il 
                     estoit son amy particulier, 
                     cependant il ne lui avoit 
                     point fait confidence autrefois de son inclination 
                     pour mademoiselle de 
                     Roye, & ce n'estoit que 
                     par l'application qu'elle 
                     avoit toûjours euë pour ce 
                     qui regardoit cette belle 
                     personne, qu'elle l'avoit 
                     découverte; il avoit méme 
                     eu de la peine à lui avouër 
                     une passion dont il espe
                     175
                     		
                     roit si peu, qu'il l'avoit 
                     cachée à celle qui la causoit. 
                     
                  
                  
                   Le Comte de Sancerre 
                     estoit bien fait ; il estoit 
                     fin, adroit & spirituel. La 
                     Comtesse avoit empéché 
                     autant qu'elle l'avoit pû, 
                     qu'il n'aimast mademoiselle de Roye, & elle avoit 
                     beaucoup contribué à lui 
                     faire entreprendre le voyage qu'il avoit fait en partie pour la fuir. mais l'Amour la fit changer d'interests. Elle sacrifia la ja  
                     
                     
                     176
                     	
                     lousie de beauté, à la tendresse qu'elle avoit pour 
                     Sansac, & elle assûra le 
                     Comte de Sancerre qu'elle 
                     viendroit à bout de la lui 
                     faire épouser, s'il vouloit 
                     suivre exactement la conduite qu'elle lui prescriroit. Elle lui conseilla de 
                     tacher à s'insinüer dans 
                     son esprit sous le nom d'amy, & de lui cacher ses 
                     veritables sentimens jusqu'au temps de les faire 
                     éclatter avec succés. Sancerre goûta cét avis qui 
                     
                     
                     177
                     	
                     s'accordoit avec son humeur & avec son interest. 
                     
	
                  
                  
                   Mademoiselle de Sansac 
                     ne pouvoit soussrir l'indiference que d'Amboise 
                     avoit pour elle. Elle commença à le maltraiter, & 
                     à lui faire de petites incivilitez, qui de la part d'une 
                     personne raisonnable, ne 
                     pouvoieut estre que des 
                     marques de passion. Il 
                     connut avec chagrin des 
                     sentimens ausquels il ne 
                     pouvoit répondre, & dont 
                     ses propres malheurs le 
                     
                     
                     178
                     		
                     forçoient d'avoir pitié. 
                     mademoiselle de Roye 
                     s'appercevoit de l'état où 
                     estoit le cœur de son amie, 
                     par les plaintes bizares 
                     qu'elle lui faisoit sans cesse de ce Comte. Elle craignoit tout de la disposition de monsieur d'Amboise ; quelquefois elle 
                     esperoit que la tendresse 
                     de mademoiselle de Sansac 
                     le toucheroit ; elle vouloit 
                     lui en parler, mais quand 
                     elle faisoit reflection sur 
                     l'indépendance des incli
                     179
                     	
                     nations, ce qu'elle avoit 
                     dans le cœur la faisoit 
                     trembler pour son amie. 
                     
                  
                  
                   Mademoiselle de Sansac demeuroit dans une 
                     mélancolie qui empéchoit 
                     le retour de sa santé. Elle 
                     avoit demandé permission 
                     à la Reine de se retirer de 
                     la Cour, & elle vivoit 
                     chez son pere dans une 
                     assez grande retraite. Mademoiselle de Roye prenoit part à ses maux, & 
                     elle estoit assez équitable 
                     pour lui en estre obligée. 
                     
                     
                     180
                     	
                     L'indifference que mademoiselle de Roye avoit 
                     pour d'Amboise, la flatoit, & l'empêchoit de la 
                     haïr. Elle tâchoit d'adoucir l'esprit de son pere, sur 
                     le mariage de Sansac, & de 
                     Mademoiselle de Roye, & 
                     elle ne desesperoit pas d'y 
                     réussir, mais il lui arriva de 
                     nouveaux chagrins qui 
                     l'empécherent d' executer 
                     ce qu'elle s'estoit proposé. 
                     
                  
                  
                   Un jour qu'elles estoient 
                     ensemble dans le Carrosse 
                     de mademoiselle de San
                     181
                     		
                     sac, elles virent d'Amboise dans le sien entraîné par 
                     ses Chevaux, avec tant de 
                     violence, que sa vie étoit 
                     en danger. Mademoiselle 
                     de Sansac pâlit, & dit à 
                     ses gens de mener son Carrosse sur leur passage, afin 
                     de les arrester. Elle leur 
                     parloit d'une maniere si 
                     vive & si pressante, que 
                     malgré le risque qu'ils 
                     couroient à lui obéïr, ils 
                     executerent cét ordre; cependant ce fut avec tant 
                     de bonheur, que les Che
                     182
                     			
                     vaux dont la premiere fureur commençoit à se rallentir, rencontrant les autres de front, ne passerent 
                     pas outre. 
                     
                  
                  
                   Comme il voulut aller 
                     rendre grace à ceux qui 
                     s'étoient mis en péril pour 
                     le sauver, il apperçut les 
                     Livrées de Sansac, il crut 
                     que c'estoit son Rival, & 
                     il fut au désespoir de lui 
                     devoir la vie; cependant 
                     pour ne lui point faire 
                     connoître une ingratitude 
                     qu'il n'avoit pas volontai
                     183
                     	
                     rement,  il s'avança vers 
                     ce Carrosse, mais il n'y 
                     vit que des femmes. mademoiselle de Roye se presenta d'abord à ses yeux. 
                     Mademoiselle de Sansac 
                     s'êtoit trouvée si mal de 
                     l'émotion que cette avanture lui avoit causée, qu'- 
                     elle avoit esté contrainte 
                     de s'appuyer sur une de ses 
                     mains. Il commençoit à 
                     remercier Mademoiselle 
                     de Roye en des termes où 
                     sa passion        s'exprimoit 
                     malgré-luy, mais elle luy 
                     
                     
                     184
                     		
                     dit qu'il avoit toute l'obligation à Mademoiselle de 
                     Sansac, &  quoiqu'il fût 
                     fâché de s'estre trompé à 
                     une chose qui luy plaisoit, 
                     il ne put se dispenser de la 
                     remercier avec beaucoup 
                     de reconnoissance ; il les 
                     quitta pour les laisser poursuivre leur chemin. 
                     
                  
                  
                   Aprés qu'il les eut quittées, Mademoiselle de Sansac se trouvant seule avec 
                     Mademoiselle de Roye, 
                     Vouz avez vû ma foiblesse, 
                     luy dit-elle, il n'est plus 
                     
                      
                     
                     
                     185
                     			
                     temps que je vous la dissimule. Je me suis toûjours 
                     refusé le soulagement de 
                     me plaindre avec vous, 
                     pour ne point entretenir 
                     une douleur que je condamne. Ayez pitié de moy 
                     & me donnez quelque 
                     consolation. Vous n'estes 
                     point coupable, luy dit 
                     Mademoiselle de Roye, 
                     personne n'est exempt des 
                     passions  ,  il suffit de les 
                     combatre.  Je voudrois 
                     que la confiance que vous 
                     me têmoignez, vous pust 
                     
                      
                     
                     
                     186
                     		
                     estre utile. Elle l'embrassa 
                     en disant ces paroles. mademoiselle de Sansac vit 
                     avec chagrin qu'elles étoient arrivées au lieu où 
                     on les attendoit.  Cette 
                     conversation  luy  faisoit 
                     plaisir, & elle pria Mademoiselle de Roye de venir, s'il se pouvoit, le lendemain se promener avec 
                     elle, dans un lieu agreable où son peu de santé 
                     l'obligeoit à aller prendre 
                     l'air tous les matins. 
                     
                  
                  
                   Mademoiselle de Roye 
                     
                     
                     187
                     		
                     revit ce même jour le 
                     Comte d' Amboise chez 
                     Madame de Tournon  On 
                     y joüoit. Ils estoient les 
                     seuls qui ne joüoient pas. 
                     Mademoiselle de Roye 
                     s'approcha de la fenêtre 
                     pour parler à ce Comte. 
                     Elle vouloit sçavoir de 
                     quelle maniere il reconnoîtroit ce que Mademoiselle de Sansac avoit fait 
                     pour luy. J'avois du plaisir 
                     à penser que c'estoit à 
                     vous que je devois la vie, 
                     luy dit-il, mademoiselle, 
                     
                      
                     
                     
                     188
                     	
                     mais vous ne voulez pas 
                     seulement me souffrir une 
                     erreur qui me soit agréable. Que me dites vous, 
                     interrompit Mademoiselle 
                     de Roye  ?  Je serois au 
                     désespoir si vous aviez 
                     toûjours des sentimens qui 
                     vous donnassent lieu de 
                     n'estre pas content de moi, 
                     & qui me donnassent aussi 
                     lieu de n'estre pas contente de vous. Mademoiselle 
                     luy répondit-il ,   je ne 
                     croyois pas vous importuner. Je ne vous deman
                     189
                     	
                     de point de passion, ajoûta-t-il malgré luy, laissez 
                     moy la mienne, c'est tout 
                     ce que je vous demande. 
                     Je n'y puis consentir, luy 
                     dit-elle, la consideration 
                     que j'ay pour vous s'y oppose, & si vous sçaviez 
                     en quelle extrême on se 
                     trouve quand on est remplie d'estime, de reconnoissance, & si on l'ose 
                     dire, de pitié pour une personne qui mériteroit quelque chose de plus,  je ne 
                     vous paroîtrois peut-estre 
                     
                     
                     190
                     		
                     guére moins à plaindre 
                     que vous-méme. Ils garderent là-dessus tous deux 
                     le silence; puis mademoiselle de Roye se representant vivement l'état où 
                     elle avoit vû son amie, 
                     ne put resister à l'envie de 
                     luy en faire un mérite auprés du Comte ; elle voulut le rendre sensible à la 
                     douceur d'estre aimé d'une 
                     belle personne ; elle luy fit 
                     une peinture  touchante 
                     des sentimens de Mademoiselle de Sansac. Enfin, 
                     
                     
                     191
                     	
                     elle sçavoit bien qu'elle 
                     ne risquoit rien à luy faire 
                     une pareille confidence. 
                     La discretion du Comte 
                     étoit connuë,  & l'on 
                     estoit seur que s'il ne se faisoit point un plaisir de sa 
                     conqueste, du moins il ne 
                     s'en feroit pas d'honneur. 
                     Il ne put répondre à ce 
                     qu'elle luy disoit, parce 
                     que madame de Roye qui 
                     avoit cessé de jouër, se leva pour sortir, & emmena 
                     sa fille, avant méme qu'- 
                     elle eût achevé ce qu'elle 
                     
                     
                     192
                     	
                     avoit à dire, mais il ne 
                     pensa à rien qu'à l'empécher de croire qu'il y eust 
                     fait la moindre reflexion. 
                     
                  
                  
                   Mademoielle de Roye 
                     ne vouloit point instruire 
                     Monsieur de Sansac, que 
                     le Comte d'Amboise n'étoit pas encore indiferent, 
                     de peur de l'aigrir contre 
                     un homme à qui il avoit 
                     l'obligation de luy avoir 
                     cedé ses droits. Elle devoit méme ce foible égard 
                     au Comte, en consideration des choses extraordi 
                     
                     
                     193
                     		
                     naires qu'il avoit faites 
                     pour elle. Ces sentimens 
                     ne blessoient point sa passion. Elle étoit bien éloignée d'en prendre d'autres pour Monsieur d'Amboise, que ceux de la pitié; & si elle estoit partagée entre ces deux Amans, 
                     elle plaignoit l'un, & elle 
                     aimoit l'autre. 
                     
                  
                  
                   D'Amboise avoit trouvé un pretexte pour aller 
                     le lendemain matin chez 
                     Madame de Roye, mais 
                     il la rencontra à la porte 
                     
                      
                     
                     
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                     du Louvre. Il lui dit qu'- 
                     il avoit eu ce dessein, & 
                     qu'ayant plusieurs choses 
                     à luy dire, il l'executeroit 
                     lors qu'elle seroit de retour. Il demanda à une 
                     des femmes qui l'accompagnoient, pourquoi Mademoiselle de Roye n'étoit pas avec sa mere. Cette femme luy dit qu'elle 
                     estoit allée se promener, &  
                     luy nomma le lieu, mais 
                     elle ne luy dit point que 
                     c'estoit avec Mademoiselle 
                     de Sansac, parce qu'elle 
                     
                     
                     195
                     	
                     suivoit Madame de Roye, 
                     & qu'elle n'en eut pas le 
                     loisir. 
                     
	
                  
                  
                   Monsieur d'Amboise y 
                     courut sans rien examiner. 
                     C'estoit à un de ces beaux 
                     lieux que les maîtres se 
                     font un honneur de laisser 
                     voir.  On y venoit par 
                     deux côtez; il entra dans 
                     le jardin, & il n'y trouva 
                     d'abord que mademoiselle 
                     de Sansac. Mademoiselle 
                     de Roye avoit esté arrétée 
                     par la Comtesse de Tournon, qui l'ayant rencontrée 
                     
                      
                     
                     
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                     l'avoit voulu accompagner, de sorte qu'elle 
                     avoit feint d'aller ailleurs, 
                     pour pouvoir estre seule 
                     avec son amie. 
                     
	
                  
                  
                   D'Amboise qui avoit 
                     esté apperçû de Mademoiselle de Sansac, n'avoit pû éviter de lui parler. Elle lui avoit dit qu'- 
                     elle attendoit Mademoiselle de Roye, & qu'elle 
                     s'ennuïoit de l'attendre ; 
                     de sorte qu'il n'avoit osé 
                     la quitter, que sa compagnie ne fût venuë. Ils fu
                     197
                     		
                     rent embarassez l'un & 
                     l'autre. Le Comte songeoit que Mademoiselle 
                     de Roye en le voyant 
                     avec Mademoiselle de Sansac, jugeroit qu'il auroit 
                     fait reflexion à ce qui s'étoit dit le soir precedent, 
                     & il l'auroit quittée brusquement, s'il n'avoit êté 
                     arresté par l'envie de voir 
                     Mademoiselle de Roye. 
                     Mademoiselle de Sansac 
                     n'estoit pas dans une peine moins grande. Elle 
                     n'auroit point esté fâchée 
                     
                     
                     198
                     		
                     qu'il eust connu une partie de ses sentimens, & elle auroit esté au désespoir 
                     de les lui faire connoître 
                     elle-même. 
                  
                  
                  
                  
                     Fin du premier Livre.
                     
                  L'impreinte de la Bilbliotheque de l'Arsenal
                  
                  
                  
                  Noms propres
Catherine de Médicis
Cette célèbre reine de souche italienne, né en 1519 et morte en 1589, était la femme
                        d'Henri II et la mère de François II, de Charles IX et de Henri III sur qui elle exerça une influence politique importante.
                     
                     
                     
                     - Catherine de Médicis, Wikipédia, The Free Encyclopedia (14 novembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_de_M%C3%A9dicis.
 
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Charles IX
Second fils d'Henri II et de Catherine de Médicis, il devint roi de France (1560-1574) à l'âge de dix ans sous la régence da sa mère.
                        Son règne fut dominé par les guerres de religion entre les catholiques et les protestants.
                        Ses efforts de 
                        réconcilier les deux factions finirent par entraîner plus d'hostilité. En particulier,
                        sous la pression des catholiques et sa mère, 
                        Charles IX ordonna le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), dans lequel des milliers
                        de protestants furent tués.
                     
                     
                     
                     - Charles IX, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
 - Charles IX de France, Wikipédia l'encyclopédie libre (17 mai 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 19 mai 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_IX_de_France.
 - Saint-Barthélemy (massacre de la), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
 
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François II
Le fils aîné d'Henri II et de Catherine de Médicis, François II devint le roi de France à l'âge de 15 ans lors de la mort accidentelle
                        de son père. De santé faible, il décéda seulement dix-sept mois plus tard. Ayant doté
                        de pouvoir les frères Guise, les oncles de sa femme Marie Stuart, sous François II la suppression dure des protestants déclencha plusieurs décennies
                        de guerres de religion en France.
                     
                     
                     
                     - François II (roi de France), Wikipédia, The Free Encyclopedia (8 septembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_II_(roi_de_France).
 
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Guise (Maison de)
Une famille illustre de la noblesse française, les Guise intervinrent de façon importante
                        pendant les guerres de religion au XVIe siècle, du côté catholique. La puissance des
                        Guise s'aggrandit sous Henri II et surtout sous François II car leur nièce, Marie Stuart, était l'épouse de ce jeune roi.
                     
                     
                     
                     - Maison de Guise, Wikipédia, The Free Encyclopedia (31 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_de_Guise.
 
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Henri II
Le second fils de François Ier, Henri, né en 1519, mourut en en 1559 suite à un accident lors d'un tournoi où il
                        est blessé à l'oeil. Pendant sa vie, poursuivit l'œuvre politique et artistique de
                        son père. Dans les guerres d'Italie, il parvint à mettre en échec Charles Quint du Saint-Empire romain. Le règne d'Henri connut aussi l'essor du protestantisme, encore plus sévèrement
                        réprimé que sous le règne de son père. En ce qui concerne les arts, sous Henri II
                        la monarchie fit travailler ensemble poètes, architectes, sculpteurs et peintres pour
                        magnifier le pouvoir royal.
                     
                     
                     
                     Sa femme, Catherine de Médicis, exerça une influence politique importante sur ses trois fils, François II, Charles IX et Henri III qui lui succédèrent au trône tous les trois.
                     
                     
                     
                     - Henri II (roi de France), Wikipédia, The Free Encyclopedia (28 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_II_(roi_de_France).
 
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Louis Ier de Bourbon-Condé
Louis 1er de Bourbon (1530-1569), prince de Condé et duc d'Enghien, était le principal
                        chef protestant pendant les guerres de religion (1562-1598) en France.
                     
                     
                     
                     - Louis Ier de Bourbon-Condé, Wikipédia, The Free Encyclopedia (31 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Ier_de_Bourbon-Cond%C3%A9.
 
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Marie Ire Stuart
(1542 – 1587). Reine d’Écosse (1542-1567) et de France (1559-1560). Fille de Marie
                        de GuiseGuise et de Jacques V d’Écosse. Tandis que sa mère exerçait la régence, elle fut fiancée
                        au dauphin et élevée en France, où elle reçut une éducation très soignée. Après un
                        règne très bref, la mort de son mari François II (1560) l’obligea à regagner l’Écosse.
                        La révolte presbytérienne et nobiliaire s’opposait à son catholicisme et à son désir
                        d’autorité. Elle épousa en 1565 Henry Stuart, lord Darnley, chef du parti catholique,
                        père du futur Jacques VI d’Écosse. En 1567, Darnley fut assassiné et Marie Stuart
                        se remaria avec Bothwell, l’un des principaux responsables de ce meurtre. Cette union
                        provoqua une révolte générale, et la reine, vaincue, fut contrainte d’abdiquer en
                        faveur de son fils Jacques VI (1567). Réfugiée en Angleterre (1586), elle se laissa
                        impliquer dans plusieurs complots contre Élisabeth, ce qui provoqua sa mise en jugement
                        (1586) et son exécution (1587). La fermeté et le courage dont elle fit preuve lors
                        de sa fin tragique, sa beauté, sa culture, sa vie romanesque inspirèrent de nombreux
                        écrivains. 
                     
                     
                     
                     - Marie Ire Stuart, Encyclopédie Larousse en ligne Paris, France, Éditions Larousse, Internet, 1 mai 2014. https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Marie_I_re_Stuart/131842.
 - Marie Ire Stuart, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
 
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Saint Denis (Basilique cathédrale)
"Construite sur la tombe de saint Denis, évêque missionnaire mort vers 250, l’abbaye
                        royale de Saint-Denis accueille dès la mort du roi Dagobert en 639 et jusqu’au XIXe
                        siècle, 
                        les sépultures de 43 rois, 32 reines et 10 serviteurs de la monarchie. En 1966, la
                        basilique est élevée au rang de cathédrale."
                     
                     
                     
                     - Basilique cathédrale de Saint-Denis, Internet, 15 novembre 2016. https://www.saint-denis-basilique.fr/.
 
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Notes
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