Le mariage sous L'Ancien Régime
LE
COMTE
D'AMBOISE.
LIVRE PREMIER,
Vignette, feuilles, fleurs et plumes.
L'impreinte de la Bilbliotheque de l'Arsenal
A PARIS Chez C. BARBIN, Au
Palais, sur le second perron
de la sainte Chapelle.
Filet simple.
M. DC. LXXXIX.
Avec Privilege du Roy. 1
3
Bandeau.
A MADAME LA DAUPHINE.
MADAME
L'accueïl favorable
que vous avez eu
4
la bonté de faire à
ma premiere Nouvelle, me fait esperer la mesme grace
pour celle-cy. J'ay
mesme plus de besoin de vostre protection que jamais;
je fais l'Histoire
d' un Homme qui
est assez genereux
pour ceder sa Maî
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tresse à son Rival;
& comme il y a
peu de gens capables des grands efforts, & qu'on n'est
touché que des
choses ausquelles
on se sent quelque
disposition, j'ay lieu
de craindre pour le
succez de ce Livre.
Mais, MADAME,
6
les grands sentimens se trouvent
dans les Ames Royales. Ils sont sur tout
dans la vostre au
suprême degré, &
peut-estre que par
là le Comte d'Amboise pourroit vous
plaire. Si j'osois l'esperer, ie ne serois
pas à plaindre, puis
7
que ceux qui ne seroient pas propres
à le goûter, seroient
du moins capables
de respecter vostre
goût. Mais, MADAME, ce n'est
point dans cette
seule veüe que je
prends la liberté de
vous le presenter,
c'est pour avoir la
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gloire de vous rendre une seconde
fois un homage qui
vous est si legitimement dû par vôtre
rang, par vos qualitez éminentes, & sur
tout par vos bontez.
Je suis, avec un profond respect,
MADAME,
Vostre trés-humble
& trés-obéissante
servante ***
Bandeau. AU LECTEUR:
ON a trouvé que
dans ma premiere
Nouvelle il y avoit
des endroits où la Nature n'estoit pas assez
bien copiée, & tenoient plus de la pensée
10
que du sentiment. Quoy
que je ne sois pas honteuse de ce reproche, j'ay
tasché cependant sur les
Remarques qu'on m'a
faites, à porter mes
veües jusqu' à faire la
difference d'une veritable passion, d' avec ce
qui n'en est qu'une idée
trop raisonnée. Et j'espere qu'on trouvera cette Histoire plus naturelle que l' autre, par les
11
sentimens. Aussi on la
trouvera plus extraordinaire par l'action ; &
je croy que ce n'est pas
un deffaut, car quoy
que les gens d'un goût
mediocre soient accoûtumez à trouver ridicule tout ce qui n'est pas
ordinaire, les gens de
beaucoup d' esprit, trouvent du dégoût aux
choses communes. Il
leur semble qu'ils voyent
12
toûjours le mesme Roman, parce qu'ils voyent
toûjours de semblables
traits. Ie me flate que
l'on n'a point encore vû
ce trait-cy ; & mesme
si j'ay quelque chose à
craindre, c'est qu'il ne
soit trop peu vray-semblable qu' un Amant
soit genereux. La maniere dont on parle des
Amans donne lieu à ce
scrupule; mais aprés tout
13
ce n'est qu'un scrupule,
sur lequel je passe en faveur de ce qu'il y a de
grand dans cette idée.
Peut-estre se plaindra‑t-on de ce que je ne recompense pas la vertu
du Compte d' Amboise,
mais je veux punir sa
passion, & j'ay déja declaré dans la Préface d' E
leonor d' Yvrée, que
mon dessein estoit de ne
faire voir que des Amans
14
malheureux, pour combatre autant qu'il m'est
possible, le penchant qu'on
a pour l'Amour.
Cul de lampe fleuri avec une figure masculine au centre.
Vignette, fleurs et vignes. LE COMTE D'AMBOISE. Filet simple. NOVVELLE. Livre Premier.
LE Regne de
François second
sembloit dans
ses commencemens devoir
estre agréable & heureux.
2
La Reine sa femme estoit
une des plus belles & des
plus spirituelles personnes
du monde ; sa Cour estoit
composée d'une partie de
ces Hommes illustres qui
avoient formé celle de
Henry second, & les Dames avoient autant d'agrément, que les Hommes
avoient de valeur : Le
Comte d' Amboise, & le
Marquis de Sansac s' y
faisoient distinguer ; leurs
Familles avoient toûjours
esté opposées d'interest, &
3
quoy qu'ils ne fussent pas
ennemis declarez, ils avoient une certaine émulation qui sembloit devoir
avoir quelque suite. Ils
estoient tous deux également bien faits, rien ne
pouvoit estre disputé à
l'un que par l'autre ; aussi
sembloit-il qu'ils dûssent
se disputer toutes choses.
La Comtesse de Roye
estant veuve, s'estoit retirée à deux lieuës de Paris
à une maison de campagne, où elle ne recevoit
4
de visites que de quelques amis particuliers. Elle
avoit une fille parfaitement
belle, qui n'avoit point
encore parû. Elle vouloit
la marier avant que de la
mener à la Cour, & elle
choisit le Comte d'Amboise entre tous ceux
qu'on luy proposa. Ce mariage qui estoit également
avatageux pour luy & pour
Mademoiselle de Roye, fut
arresté avant mesme qu'ils
se fussent vûs ; mais comme elle avoit la reputa
5
tion d'estre fort belle,
Monsieur d'Amboise se fit
un grand plaisir de penser
qu'elle seroit à luy ; & l'on
peut dire que le desir &
l'esperance formoient déja
dans son cœur un commencement de passion, avant qu'il en eût vû l'objet.
Bien que Mademoiselle
de Roye dût avoir pris cette
espece d'indolẽce que la solitude dõne ordinarement,
la vivacité de son esprit
luy faisoit saisir aisément les
premieres impressions qui
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luy estoient données, &
ce qu'elle entendoit dire à
sa mere, de la bonne mine,
de l'esprit & de la generosité du Comte, la remplissoit d'une estime qui
la disposoit à quelque
chose de plus.
Le jour qu'il devoit luy
faire sa premiere visite,
elle s'estoit parée avec plus
de soin qu'à l'ordinaire,
& elle estoit d'une beauté
à charmer tous ceux qui
la voyoient. C'estoit un
de ces agreables jours
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d'Esté qui invitent à se
promener. Le Soleil qui
n'avoit point parû, laissoit une fraîcheur delicieuse ; & Mademoiselle
de Roye se promenoit
dans une des avenuës de
la maison, avec deux Dames des amies de sa mere,
qui estoient venuës dîner
avec elles. Comme il estoit
assez bonne heure pour
n'attendre pas encore le
Comte d'Amboise, & que
Madame de Roye estoit
occupée de quelques af
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faires, elle fut bien aise
que la promenade les amusât durant le temps qu'elle seroit obligée d'y donner. Elles avoient déja atteint le bout d'une allée
où estoit un cabinet ouvert de tous costez, fort
agreable, & dans lequel elles alloient entrer
pour s'asseoir, lors qu'elles apperçeurent un Cavalier qui mettant pied à
terre, laissa ses gens derriere luy, & s'avança vers
elles. A mesure qu'il s'apro
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choit, elle remarquoit sa
taille & son air, qui luy
parurent dignes de toute
l'attention qu'elle leur
donnoit. Elle ne douta
point que ce ne fût Monsieur d'Amboise ; il venoit au jour marqué, son
empressement ne pouvoit
luy déplaire. La bonne
mine de celuy qu'elle
voyoit, répondoit à l'idée
qu'elle s'estoit faite dù
Comte. Ces Dames qui
estoient avec elle, ne le
connoissoient point ; par
10
ce qu'elles n'estoient pas
de la Cour. Elles avoient
apris qu'on l'attendoit ce
jour là, & elles crurent aussi
que c'estoit luy. Elles luy
dõnerent des loüanges qui
aiderent encore à la prevenir en sa faveur.
Mademoiselle de Roye
trouva son devoir bien
doux, elle se hasta peut‑estre un peu trop de le
suivre ; c'estoit Monsieur
d'Amboise qui luy devoit
inspirer cette joye que
donne la premiere ren
11
contre de ce qui doit plaire ; & c'estoit pour le Marquis de Sansac qu'elle la
sentoit. Le hazard l'avoit
conduit en ce lieu, il venoit de chez une Dame de
ses parentes, & s'estant
trouvé proche de la maison de Madame de Roye
comme il avoit entendu
parler de la beauté de sa
fille, il prit l'occasion de
leur faire une visite. Il
n'avoit point vû Madame de Roye depuis la mort
de son mary ; Elle vivoit
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dans une si grande retraite,
qu'on n'avoit encore osé
la troubler ; cependant
aprés un an de veuvage,
il crût qu'elle ne feroit
pas de difficulté de le recevoir.
Il s'approcha de ces Dames, & quoy qu'il n'en
connût aucune, il leur dit
tout ce que la politesse & la galanterie luy inspirerent en cette rencontre, mais il distingua
d'abord Mademoiselle de
Roye des autres. Aussi quoi
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que l'une d'elles eût de la
jeunesse, & mesme de la
beauté, celle de Madamoiselle de Roye estoit si
parfaite qu'on ne pouvoit
regarder qu'elle en un lieu
où elle estoit ; Elle trouva
je ne sçay quoy d'agreable
dans cette avanture qui luy
donna envie de la faire durer. Elle pria ces Dames de
ne point dire son nom, &
sçachant que les affaires
qui retenoient sa mere, ne
seroient pas si-tôt finies,
elle proposa à la compa
14
gnie d'aller s'asseoir dans
le Cabinet.
Le chemin que le Marquis de Sansac avoit tenu,
ne permettoit pas de douter qu'il n'allast chez Madame de Roye ; il ne se
deffendit point d'avoir eu
ce dessein, & ces Dames
se confirmant dans la pensée qu'il fût Monsieur
d'Amboise, luy firent
plusieurs questions fines
sur Mademoiselle de Roye,
qui luy firent juger qu'elles le prenoient pour ce
15
Comte, qu'il sçavoit estre
sur le point de l'épouser.
Elles luy demanderent s'il
n'avoit rien à se reprocher,
de s'amuser avec elles lors
qu'il estoit sur le point de
voir une si belle personne.
Elle rougit malgré elle,
d'une maniere qui aida à le
persuader qu'il ne s'estoit
pas trompé quand il avoit
pensé qu'elle estoit Mademoiselle de Roye.
Le lieu où il la rencontroit, & son extraordinaire beauté, luy en a
16
voient déja donné de
grands soupçons ; il n'en
douta plus, il jugea mesme par ce qu'on luy disoit,
qu'elle n'avoit point encore vû le Comte d'Amboise, & qu'on l'attendoit. L'avanture luy parut
agreable à son tour, cette
erreur le faisoit regarder
favorablement d'une belle
personne, il prit le party
de ne pas répondre positivement pour ne les desabuser point, & pour pouvoir aussi se tirer de ce pas
17
lors qu'elles viendroient à
le connoître. On ne sçauroit, dit-il, avoir une plus
grande idée de la beauté
de Mademoiselle de Roye,
que j'en ay, cependant j'ay
peine à croire qu'elle soit
au dessus de ce que je vois
icy, ajousta-t'il en la regardant d'une maniere qui
la persuadoit qu'il en estoit
touché. Elle prenoit un
plaisir tres-sensible à ce qui
se passoit, & elle estoit flatée
de ce prompt effet de ses
charmes, d'une maniere qui
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aidoit encore à la rendre
favorable à celuy qui luy
en faisoit connoître le
pouvoir. Ils avoient déja
esté une heure dans ce Cabinet, lors qu'une grosse
pluye les y tint assiegez.
Personne n'en fut fâché, la conversation estoit
si brillante, qu'il ne leur étoit pas possible de songer
au temps qu'ils y demeuroient. Monsieur de Sansac avoit un agrément infiny dans sa personne, &
dans tout ce qu'il disoit,
19
& sa vivacité naturelle étoit encore augmentée
parce qu'il y avoit de piquant dans cette rencontre.
Mademoiselle de Roye
étoit charmée de le trouver
si digne de luy plaire, leurs
yeux se rencontrerent plus
d'une fois d'une maniere
qui la fit rougir, & qui luy
fit ensuite éviter ceux de
Monsieur de Sansac. En
effet bien qu'elle crût qu'il
estoit le Comte d'Amboise, & qu'elle devoit l'é
20
pouser, elle sentoit sans le
démesler, je ne sçay quoy
d'indépendant de son devoir. Elle eut tout le loisir
de s'abandonner à une erreur qui luy devoit estre si
fatale dans la suite : car l'orage ne cessoit point, &
ils ne pouvoient sortir du
Cabinet. Enfin Monsieur
d'Amboise arriva, & comme il vit des Dames dans
le Cabinet, il y entra, pensant que ce fût Madame
& Mademoiselle de Roye.
Il n'y trouva point cette
21
Comtesse qu'il avoit veuë
à la Cour ; mais il reconnut
aussi-tost sa fille au portrait qu'on luy en avoit
fait, & sur les mesmes apparences qui avoient déja
fait croire au Marquis de
Sansac, que c'estoit elle; de
sorte qu'il luy adressa ses
complimens. Cependant
comme il pouvoit se tromper, & que la presence de
tant de personnes le retenoit, il ne luy dit rien qui
marquast précisément qu'il
estoit celui qu'elles attendoient.
22
Il ne meritoit pas moins
que le Marquis de Sansac
d'occuper cette Compagnie. Une taille agréable
& au dessus de la mediocre, un air noble, je ne
sçay quoy de fin & de
passionné, le rendoient trés
capable de plaire. Ces
Dames luy rendirent toute la justice qui luy estoit
deuë ; mais Mademoiselle
de Roye fut fâchée d'estre
déja contrainte de douter
qui des deux estoit son
Amant : Elle les regarda
23
l'un & l'autre, comme
pour leur demander lequel elle estoit obligée
d'aimer ; mais c'estoit avec une certaine difference qui sembloit marquer
qu'elle eût bien voulu que
c'eût esté Monsieur de
Sansac.
La plus âgée de ces
Dames, qui voyoit l'embarras de cette jeune personne, jugea qu'il falloit
le faire cesser. Comme les
Femmes de mademoiselle
de Roye avoient esté con
24
traintes de se retirer dans
le Cabinet, à cause de la
pluye, elle envoya l'une
d'elles demander le nom
de monsieur
d'Amboise à
ses Gens, & l'ayant sçu,
elle le fit connoistre à
mademoiselle de Roye.
Cette jeune personne
ne pût s'empescher de le
regarder avec plus de froideur que naturellement
elle ne devoit en avoir. La
vivacité de la conversation avoit animé son visage, & augmentoit enco
25
re sa beauté ; Monsieur
d'Amboise la consideroit
avec l'interest d'un homme à qui elle estoit destinée, & malgré l'idée qu'il
avoit conceuë d'elle, il
trouvoit lieu d'estre surpris ; mais la maniere
dont elle le receut, ne
luy permit pas de goûter
ce charme qu'exite dans
le cœur la naissance d'une
passion, & l'amour luy dénia jusqu'à son premier
plaisir.
Elle regarda, sans s'en
26
appercevoir, Monsieur
de Sansac avec moins
de précaution qu'auparavant, comme si elle luy
eût dit adieu par ce regard, & qu'elle fût devenuë plus hardie lorsqu'il
luy falloit ôter l'esperance,
qu'elle ne l'avoit esté un
moment plûtost, lors qu'-
elle avoit crû pouvoir luy
en donner.
Monsieur d'Amboise
avoit les yeux trop attachez sur Mademoiselle de
Roye, pour ne pas suivre
27
les siens ; peut-étre aussi
que l'opposition naturelle
de Sansac & de luy, avança
ses craintes, enfin il soupçonna une partie de la
verité.
L'orage continüoit toûjours, & Madame de Roye
qui avoit achevé les affaires qui l'avoient retenuë,
les vint reprendre dans son
Carrosse. Elle ne s'attendoit point de trouver le
Marquis de Sansac dans ce
lieu. Cependant elle ne
manqua pas de luy faire
beaucoup de civilités. Cet
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te Comtesse marqua à
Monsieur d'Amboise toute l'estime qu'elle avoit
pour son merite, & la joye
où elle estoit de le voir ;
mais ces honnestetez ne
luy ôtoient pas l'idée desagreable qu'il avoit prise
malgré luy.
Madame de Roye les mena dans son appartement,
& les divers mouvemens
qui partageoient cette
compagnie, y firent naître
quelque sorte d'ennuy. Le
Comte d'Amboise qui na
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turellement n'aimoit pas
Sansac, trouvoit la visite
de ce Marquis trop longue. Peu s'en faloit que
Monsieur de Sansac ne
trouvast la même chose de
celle du Comte d'Amboise,
quoiqu'il n'ignorast pas le
dessein qui l'amenoit, cependant il falut qu'il luy
cedast la place.
Les Dames s'en allerent
aussi, de sorte que le Comte
d'Amboise demeura le dernier. Il marqua à Mademoiselle de Roye combien
30
l'avantage de luy estre destiné le charmoit, mais il
luy dit en même temps que
s'il n'estoit pas assez heureux pour toucher son
cœur, il se trouvoit fort à
plaindre. Mademoiselle
de Roye luy repondit qu'-
elle n'avoit point de cœur
à donner, mais seulement
une devoir à suivre. L'air
dont elle prononça ces paroles n'estoit pas propre à
donner des esperances à un
Amant. Elle prit peu de
soin de soûtenir la conver
31
sation, mais elle laissa voir
assez d'esprit pour achever
ce que sa beauté avoit
commencé, & assez de difficultez à la possession de
son cœur, pour rendre la
passion du Comte d'Amboise trés-vive dés ce jour‑là.
Lors que Mademoiselle
de Roye fut seule, elle demeura dans une profonde
rêverie, & quoiqu'elle ne
démêlast pas encore ses
sentimens, à l'égard de
Monsieur d'Amboise & de
32
Monsieur de Sansac, il luy
sembloit neanmoins que
ce dernier estoit le plus aimable.
De son côté il avoit esté
frapé de la beauté de Mademoiselle de Roye. Il
avoit remarqué que sa conversation ne luy déplasoit
pas, & qu'elle avoit reçû
le Comte d'Amboise avec
assez de froideur, de sorte
qu'il ne remportoit que
des idées agreables.
Il parla d'elle à la Cour
avec de si grands eloges,
33
que la Reine eut de l'impatience de la voir,
& comme il avoit
sceu de Madame de
Roye, qu'elles ne reviendroient pas si-tôt de la
campagne, il le dit à la
Reine qui témoigna en
estre fâchée.
Sansac qui ne cherchoit
qu'un pretexte pour retourner chez Madame de
Roye, se fit un plaisir de
luy aller apprendre les sentimens de la Reine ; il vit
Mademoiselle de Roye
34
une seconde fois, il crut
démêler quelque joye dans
ses yeux ; il luy dit mille
choses, que les dispositions
où elle estoit pour luy, luy
faisoient entendre facilement, & qui ne pouvoient
cependant déplaire à Madame de Roye. Le Comte
d'Amboise qui estoit en
droit de les aller voir souvent, arriva dans le temps
que Monsieur de Sansac en
sortoit. Une seconde visite
de ce Marquis le chagrina.
Son inquiétude qui parut
35
malgré luy à Mademoiselle
de Roye, le luy fit trouver
bisarre, & acheva de le
perdre auprés d'elle.
Elle sentit son éloignement pour luy avant que
de connoistre que Sansac
en estoit la cause. Les soins
que le Comte luy rendoit
luy devinrent incommodes, & luy donnerent d'abord une repugnance
pour luy qu'elle combatoit
en vain. Un Amant pour
qui l'on est obligée d'avoir des égards, se fait
36
toûjours beaucoup haïr,
quand il ne se fait pas aimer.
Le Comte d'Amboise
s'appercevoit bien que
Mademoiselle de Roye ne
l'aimoit pas, il en soupçonnoit la cause, & suivant la
coûtume des Amans malheureux, il cherchoit à s'éclaircir plus particulierement de ce qu'il ne sçavoit pas assez pour estre
tout-à-fait miserable.
Un jour que le Roy étoit à la promenade, &
37
que toute la Cour le suivoit, ce Comte voyant
que Sansac estoit à quelques pas de la foule, s'approcha de luy pour parler
de Mademoiselle de Roye.
Mais quoiqu'ils eussent
également envie de parler
d'elle, aucun d'eux ne pouvoit se resoudre à commencer. Enfin d'Amboise
suivit son dessein, il la
loüa beaucoup, mais San
sac la loüa peu, autant peut
estre pour n'estre pas d'ac-cord avec son Rival, que
38
de peurde se découvrir. Cependant le Comte d'Amboise n'estoit pas en estat
de se r'assurer, il auroit
esté inquiet si le Marquis
de Sansac avoit trop admiré Mademoiselle de
Roye, & il le fut encore
de ce qu'il ne vouloit pas
l'admirer assez.
Peu d'heures aprés, sa jalousie fut entierement
confirmée. Le soir chez le
Roy, la conversation s'étant tournée sur la beauté de quelques femmes de
39
la Cour, le Marquis de
Sansac qui n'étoit plus
alors retenu par la presence
de Monsieur d'Amboise,
ne put s'empêcher de
loüer extrêmement Madamoiselle de Roye, & il en
parloit même avec beaucoup de vivacité, lorsque
le Comte arriva. Le Roy
l'appercevant de loin, voila Sansac, luy dit-il, en
élevant la voix, qui dit
plus de merveilles de la
beauté de Mademoiselle
de Roye, que vous ne nous
40
en avez jamais dit. Ces
deux Rivaux rougirent à
ce mot ; cette rougeur fut
remarquée; on leur en fit
la guerre le reste du soir,
& ils eurent besoin de tout
leur esprit pour la soûtenir.
Ils connurent plus particulierement dans cette occasion tout ce qu'ils en
avoient l'un & l'autre, &
ils ne s'estimerent que
pour se haïr davantage.
Le Comte de Sansac pere
du Marquis, souhaitoit de
marier son fils à Made
41
moiselle d'Anebault, de
qui la beauté pouvoit
rendre heureux un homme qui n'auroit pas aimé
Mademoiselle de Roye ; il
n'osoit s'opposer ouvertement aux volontez de son
pere, mais il reculoit ce
mariage, & il y avoit beaucoup de repugnance. Madame de Roye mena dans
ce temps-là sa fille à la
Cour, où elle receut tous
les applaudissemens qu'elle
meritoit.
Elle fit des Amans & des
42
Ennemies. La Comtesse
de Tournon fut de celles
à qui sa beauté donna le
plus de chagrin, & qui le
dissimula le mieux. Le
Comte de Sancerre la trouva parfaitement aimable,
& n'osa dire qu'il l'aimoit,
parce qu'il ne soupçonna
pas que Monsieur d'Amboise pût estre haï. Il fit
un voyage peu de temps
aprés qui luy servit à cacher sa passion, mais qui
ne l'en guerit pas.
Mademoiselle de Roye
43
ne tarda guere à apprendre qu'on marioit le Marquis de Sansac à Mademoiselle d'Annebault ; elle
fut surprise de cette nouvelle, & encore plus de s'y
trouver si sensible. Malgré
elle, elle s'attachoit à la
railler, & à luy trouver
des défauts.
Le mariage de Monsieur
d'Amboise estoit sur le
point de se conclure, lors
qu'il y survint des difficultez qu'on n'avoit pas preveuës. Le Roy eut quel
44
que connoissance d'un
soulevement que le Prince
de Condé vouloit exciter
dans le Royaume, & parce
que ce Comte étoit particulierement attaché à luy,
on crut qu'il y avoit quelque part, bien qu'on n'eût
aucune preuve contre luy,
il suffisoit qu'on eût des
soupçons pour devoir veiller de prés sur ses démarches. Il n'étoit point de la
politique de luy laisser
épouser une parente de la
Princesse de Condé, avant
45
que sa conduite fût éclaircie.
Il se passa beaucoup de
choses durant ce retardement. Madame de Roye
ne fçachant point les sentimens que Sansac avoit
pour sa fille, le recevoit
comme les autres Gens de
la Cour. Cette jeune personne s'informoit avec
trop de soin de ce qui regardoit le mariage de Mademoiselle d'Annebault,
pour ignorer la resistance
qu'il y apportoit, & il ne
46
luy estoit pas même difficile de comprendre qu'elle
y avoit part. L'application
qu'elle avoit pour toutes
les actions de ce Marquis,
la confirmoit à tous momens dans la pensée qu'-
elle l'avoit touché. Elle
suivoit son penchant avec
scrupule, mais elle le suivoit.
Sansac remarquoit tous
les jours de petits effets
de la passion de Mademoiselle de Roye, qui le charmoient ; cependant dans
47
les termes où elle étoit
avec Monsieur d'Amboise,
il n'osoit luy parler ouvertement de peur de perdre
ces marques de sa tendresse
s'il la forçoit de les démêler ; mais il fit confidence
à Mademoiselle de Sansac
sa sœur, des sentimens qu'-
il avoit pour Mademoiselle de Roye, & il la pria
de faire, s'il se pouvoit,
une étroite liaison avec
elle, & de tâcher à détruire
Monsieur d'Amboise dans
son esprit, afin que le ma
48
riage de ce Comte estant
déja reculé par des raisons
de politique, le fût encore
par l'éloignement qu'elle
auroit pour luy.
Mademoiselle de Sansac
eut d'abord quelque peine
à rendre de méchans offices à un homme pour
qui elle avoit une estime
singuliere; mais cette même estime la porta insensiblement à agir contre
son mariage. Comme elle
avoit beaucoup d'esprit, &
qu'elle étoit sœur de San
49
sac, il ne luy fut pas difficile d'entrer dans un
commerce d'amitié trésétroit avec Mademoiselle
de Roye, qui ne luy cacha
point le chagrin où elle
étoit, de se voir destinée
à un mary pour qui elle
avoit si peu d'inclination.
Elle rendoit justice à ses
bonnes qualitez, mais c'étoit avec une espece de
dépit. Son mérite luy étoit
un reproche secret de l'indifference qu'elle avoit
pour luy; Elle le haissoit de
50
ce qu'il l'aimoit, & de ce
qu'il estoit aimable.
Mademoiselle de Sansac
qui estoit fille2 de la Reine,
& celle qui en estoit la
mieux traitée, luy offrit
toute sa faveur auprés de
cette Princesse, pour faire
en sorte qu'elle parlast à
Madame de Roye, afin
qu'on rompît ce mariage.
Mademoiselle de Roye qui
craignoit de déplaire à sa
mere, s'y opposa d'abord
avec assez de vivacité ;
neanmoins elle laissa en
51
trevoir que si la chose
avoit pû se faire sans sa
participation, elle en auroit eu de la joye.
Il n'en falloit pas davantage pour obliger
Mademoiselle de Sansac à
la servir. Elle avoit besoin d'aller aux Eaux de
Spa pour sa santé, & elle
vouloit avant que de partir, en parler à la Reine,
afin de ne pas manquer le
temps d'obliger son amie.
Quoique Mademoiselle de
Roye fût bien éloignée de
52
luy avoüer l'inclination
qu'elle avoit pour son frere, c'estoit beaucoup qu'-
elle évitast de parler de
luy.
La haine du Comte
d'Amboise pour Sansac
augmentoit extraordinairement. Mademoiselle de
Roye sans s'en appercevoir
donnoit à ce dernier des
marques d'une estime toute particuliere, qui ne pouvoiẽt échaper à la penetration d'un Amant ; aussi balançoit-il quelque fois sur
53
le party qu'il devoit prendre. Il luy estoit désagreable d'épouser une personne prevenuë d'une autre
inclination ; la raison s'opposoit à ce dessein, mais
il estoit amoureux. Comment perdre l'esperance de
la voir à luy? Aprés bien
des incertitudes, il voyoit
qu'il ne luy étoit pas possible de prendre aucune
resolution.
Le Marquis de Sansac
témoigna tant de froideur
pour Mademoiselle d'An
54
nebault, qu'elle travailla
de son côté à éviter de
l'épouser, de sorte que ce
mariage fut rompu. Mademoiselle de Roye en eut
une joye si grande, qu'il
ne luy fût pas possible de
la cacher à Mademoiselle
de Sansac, à qui tous ces
mouvemens n'étoient pas
indifferens. Elle voyoit
souvent le Comte d'Amboise chez cette amie.
Elle l'avoit trouvé aussi
aimable que malheureux,
& insensiblement la pitié
55
l'avoit menée à d'autres
sentimens. Elle entroit
toûjours plus fortement
dans les interests de son
frere, & même elle croïoit
servir Monsieur d'Amboise, en l'empêchant d'épouser une personne qui le
haïssoit.
Le Comte de Sansac son
pere, fut poussé par elle à
souhaiter que son fils épousast Mademoiselle de
Roye; ce qui pouvoit n'étre pas difficile dans la conjoncture presente. La Mai
56
son d'Amboise n'avoit jamais ménagé les Sansacs
dans aucune occasion. Les
Sansacs que la faveur rendoit hardis, avoient souvent cherché à leur déplaire, de sorte que rien
ne les retint, & Mademoiselle de Roye estoit un
party si considerable, qu'-
ils entreprirent de faire
parler à Madame de Roye;
cependant ils ne voulurent
d'abord demander qu'une
preference, si le mariage
de monsieur d'Amboise ne
57
s'achevoit pas. mademoiselle de Sansac pria la Reine de vouloir bien entrer
dans cette affaire. Cette
Princesse le luy promit, &
Mademoiselle de Sansac
partit pour les Eaux de
Spa. Aprés cette promesse,
la Reine luy tint bien tôt
parolle ; elle fit des propositions à Madame de
Roye. Elle luy laissa comprendre que l'attachement
de Monsieur d'Amboise
pour le Prince de Condé,
le rendoit toûjours sus
58
pect, & qu'il estoit des
partis plus avantageux par
la faveur & par l'amitié
du Roy ; mais Madame de
Roye estoit de ces femmes
exactes à ce qu'elles ont
promis. Les bonnes qualitez du Comte luy avoient
donné pour luy une amitié que son malheur augmentoit encore. Elle supplia la Reine de souffrir
qu'elle tinst parole à Monsieur d'Amboise, & qu'elle
esperast que le Roy le reconnoîtroit innocent, &
59
luy rendroit sa bien veillance.
La Reine qui cherchoit
à obliger Mademoiselle
de Sansac, pressa Madame
de Roye encore plus fortement, & n'oublia rien de
ce qui pouvoit favoriser les
Sansacs. Enfin elle luy demanda sa parole pour le
Marquis, si elle rompoit
avec le Comte d'Amboise. Madame de Roye
fut blessée des propositions
qu'ils luy faisoient faire
dans le temps qu'elle étoit
60
engagée avec un homme
qu'ils n'aimoient pas, &
de ce qu'ils saisissoient si
promptement une occasion d'insulter à sa disgrace. Elle dit à la Reine qu'-
elle étoit au desespoir de ne
pouvoir luy rien promettre là dessus, parce que sa
fille avoit de l'antipathie
pour le Marquis de Sansac ; ce n'estoit pas qu'elle
le crût, mais elle se tiroit
parlà d'un pas embarassant.
Ce méchant succés mit
61
Sansac dans un chagrin &
dans une confusion étrange ; quoique les regards
de Mademoiselle de Roye
l'eussent souvent assuré qu'-
il n'estoit point haï, il
n'osoit plus les en croire.
Enfin il estoit seur de la
haine de Madame de Roye,
s'il doutoit encore de celle
de sa fille, & il perdoit
l'esperance d'estre jamais
heureux.
Madame de Roye ne
voulut point instruire cette jeune personne de ce
62
qui s'étoit passé, pour ne
la pas détourner des sentimens qu'elle devoit avoir
pour le Comte d'Amboise.
Elle jugea aussi qu'il falloit
qu'il l'ignorast luy-même,
de peur que malgré les
dispositions où l'on estoit
contre-luy à la Cour, il
n'en vinst à des extremitez
fâcheuses avec un homme
que le Roy aimoit. Elle
remena le lendemain sa
Fille à la campagne, à
une maison plus éloignée
que celle où elle estoit
63
d'abord, en attendant quelque changement aux affaires du Comte, auquel
elle témoigna que l'air de
disgrace où il estoit, n'apporteroit aucune alteration aux sentimens qu'elle
avoit pour luy.
mais que servoient ces
sentimens au Comte
d'Amboise? Il estoit presque seur que ceux de sa
maîtresse luy estoient contraires. Il resolut de s'en
éclaircir, & de faire en
sorte que mademoiselle de
64
Roye se trouvast engagée
par les prieres qu'il luy
feroit, ou par son propre
interest, de luy avouër une
chose dont le soupçon luy
estoit déja si funeste, que
la certitude ne pouvoit
l'estre davantage. Si Mademoiselle de Roye estoit
prevenuë d'une autre inclination, il valoit mieux
qu'il en fust une une fois persuadé, que de le craindre
toujours. Cependant il
eut des occasions de s'en
instruire, mais il n'avoit
65
pas la force d'en profiter;
& quand il estoit sur le
point de l'apprendre, il ne
vouloit plus le sçavoir.
Mademoiselle de Roye
étoit partie si promptement pour la campagne,
que Sansac n'avoit pû
trouver l'occasion de luy
parler. Les difficultez qu'-
il trouvoit à s'expliquer
avec elle, ne le rebutoient
point ; il étoit piqué des
paroles que Madame de
Roye avoit dites à la Reine, & l'amour joint au dé
66
pit, luy faisoit chercher
tous les moyens de s'éclaircir. Mademoiselle de Sansac étoit trop éloignée
pour pouvoir le servir auprés de Mademoiselle de
Roye. Il jetta les yeux
sur Madame de Tournon ; c'estoit la plus adroite & la plus insinuante de
toutes les femmes. Elle
avoit trouvé le secret
de s'attirer l'estime &
l'amitié de Madame de
Roye, & elles avoient
toûjours esté dans une
grande liaison ensemble.
67
Monsieur de Sansac pensa
qu'il pourroit aller chez
madame de Roye avec
elle, & qu'il trouveroit
les moyens de parler à mademoiselle de Roye. Il
rendit à madame de Tournon des visites qu'elle receut avec plaisir. Quoiqu'elle ne fust pas dans la
premiere jeunesse, elle étoit encore assez aimable
pour pouvoir se flatter aisement d'estre aimée ; &
le Comte de Tournon
dont elle estoit veuve, luy
68
avoit laissé des biens si
considerables, que la pensée de pouvoir faire une
fortune éclatante à ce
marquis, aida encore à la
seduire pour luy.
Bien qu'elle dûst connoître que les soins qu'il
luy rendoit, n'avoient pas
le caractere de l'amour, on
se trompe aisement sur une
matiere si delicate. L'application qu'on apporte à
l'examiner, est un moyen
presque seur de s'y méprendre; Ainsi madame de
69
Tournon donnoit à toutes les actions de Sansac,
les sens qui convenoit le
mieux aux sentimens qu'-
elle avoit pour luy.
mais elle ne put jouïr
longtemps de son erreur.
Il luy laissa le triste loisir
de faire des reflections distinctes ; elle vit la difference du procedé qu'il tenoit au sien. Enfin, comme il avoit peu d'application aux actions de la
Comtesse, & qu'il croyoit
qu'elles ne partoient que
70
de l'amitié, parce qu'il ne
sentoit rien de plus pour
elle, il luy proposa lorsque quelques jours furent
passez, d'aller avec elle
chez madame de Roye.
Cette proposition fit ouvrir les yeux à madame de
Tournon, & elle demeura
persuadée qu'il estoit
amoureux de mademoiselle
de Roye, lorsqu'elle luy
eut parlé de cette belle
personne. La honte de s'être trompée, la douleur
d'aimer en vain, & le dé
71
pit de voir triompher mademoiselle de Roye qu'elle
haissoit, ne pouvoient demeurer sans effet dans le
cœur de madame de Tournon ; cependant sa dissimulation naturelle l'empêcha d'êclater. Elle luy
promit de faire la partie
qu'il luy proposoit, mais
elle s'estoit déja apperçûë
que madame de Roye
avoit quelque chagrin
contre les Sansacs. Elle
luy écrivit que le marquis
l'avoit priée de le mener
72
chez elle. madame de
Roye qui aprés les propropositions qui s'estoient
faites, & ce qu'elle avoit
dit à la Reine, sentit qu'-
elle seroit assez embarassee
de cette visite, répondit
promptement à madame
de Tournon, pour l'engager à détourner Sansac de
ce dessein. madame de
Tournon qui en écrivant
à madame de Roye, n'avoit cherché qu'à s'attirer cette réponse, montra
la Lettre à Sansac, comme
73
à un amy pour qui elle n'avoit rien de caché.
Sansac, que ce méchant
succés chagrina, ne consulta plus la Comtesse sur
une chose dont il n'étoit
pas temps de lui découvrir le motif; il voulut aller chez Madame de Roye,
mais il ne vit point sa fille,
quoiqu'il l'eût demandée,
On lui dit qu'elle se portoit mal; il y retourna une
seconde fois, & on refusa
encore de la lui laisser
voir, sur des pretextes
74
qui luy parurent peu vraysemblables. Il sçeut que
Monsieur d'Amboise étoit
avec elle, de sorte que
honteux du peu de succés
de ses visites, & desesperé
d'avoir un Rival plus heureux que luy, il prit la resolution de quitter Paris,
& il alla à une de ses Terres qui en étoit fort éloignée.
Mademoiselle de Roye
que la precipitation avec
laquelle on l'avoit remenée à la campague, avoit
75
toûjours inquietée, & qui
voyoit avec chagrin qu'-
on l'empêchoit de recevoir les visites de Sansac,
pensa que peut-estre Madame de Roye avoit découvert ses sentimens pour
luy, & elle en étoit dans
une honte & dans un accablement extrêmes.
Monsieur d'Amboise lui
marquoit combien il étoit
affligé de luy voir cette
mélancolie, sans toutefois
s'en plaindre, & sans luy
marquer qu'il pouvoit en
76
partie la penetrer. Une
conduite si respectueuse
toucha Mademoiselle de
Roye, & la pitié succeda à
sa haine, mais l'amour ne
succeda point à la pitié.
Il estoit trop innocent
de la conspiration du Prince de Condé, pour en estre
accusé longtemps, & il en
estoit alors presque justifié. Mademoiselle de Roye
vit qu'elle alloit l'épouser,
il en usoit d'une maniere
qui meritoit quelque douceur de sa part, & il luy
77
sembla que le devoir suppléroit aux mouvemens
de son cœur.
Un jour que la tristesse
du Comte d'Amboise étoit extraordinaire, elle
luy dit plus de choses obligeantes qu'elle ne luy en
avoit jamais dit, mais elles ne firent que redoubler le chagrin de cét
Amant. Eh! Mademoiselle, lui dit-il, ne vous
contraignez point ; ces
dehors étudiez ne me
rendent pas moins à plain
78
dre, vous affectez de me
marquer de la bonté, &
que je serois heureux, si
vous en aviez assez pour
chercher à me la cacher!
Ce discours embarassa Mademoiselle de Roye, il étoit assez fondé pour luy
causer un peu de desordre, elle fut longtemps
sans répondre, & Monsieur d'Amboise s'enhardissant par ce silence, ou
plûtôt se confirmant dans
ses soupçons, n'eut plus
la force de les empêcher
79
de paroistre. Mademoiselle, luy dit-il, je ne vois
que trop que je vous suis
indifferent, pourquoi ne
voulez-vous pas que je le
voie? Ayez du moins de
la sincerité, si vous n'avez
pas de tendresse. Je suis reduit au point de vous étre
obligé, si vous m'avouëz
que vous ne m'aimez
pas. Il accompagnoit ces
paroles de larmes ; Mademoiselle de Roye en fut
vivement penetrée. Pourquoy cette contrainte éter
80
nelle? Elle n'estoit point
encore sa femme. Une pareille confidence ne pouvoit servir qu'à la dégager
& à la mettre dans la liberté de suivre ses sentimens.
Si la plus grande estime
qui fut jamais, lui dit‑elle.... Non Mademoiselle, interrompit-il, toute vostre estime ne sçauroit me consoler de vôtre
indifference, mais ajoûta‑t-il, pressé par sa jalousie,
si quelque chose pouvoit
81
l'adoucir, ce seroit une
confiance sans reserve, elle m'est bien deuë pour
me recompenser de tout
ce que vous ne me donnez pas. Quelle est cette
confiance que vous demandez encore, luy dit
Mademoiselle de Roye? Il
me semble que je vous en
marque beaucoup. Ah!
Mademoiselle, lui dit-il,
ce n'est point assez, marquez m'en davantage,
c'est me punir de ma curiosité, que de la satisfai
82
re, & toute la grace que
je vous demande, c'est que
vous m'appreniez mon
malheur tout entier. N'ai‑je point de Rival? Avoüez‑le moy. Devez-vous douter que je ne sois indifferente, lui dit Mademoiselle de Roye, puisque
vous ne m'avez pas renduë
sensible, vous qui m'estiez
destiné? Helas, Mademoiselle, lui dit-il, vostre
cœur pouvoit estre prevenu....Prevenu, luy dit
Mademoiselle de Roye?
83
connoissois-je quelqu'un
avant que d'estre engagée
avec vous? Eh! Mademoiselle, interrompit-il,
emporté par sa jalousie,
n'aviez vous vû personne
avant moy? Il ne faut qu'-
un moment pour faire naître l'amour.
A ce mot qui marquoit
si precisement ce qui s'étoit passé dans le cœur de
Mademoiselle de Roye,
une si grande rougeur lui
couvrit le visage, que
Monsieur d'Amboise ne
84
douta plus de sa disgrace;
il s'appuya sur un siége, ne
pouvant supporter sa douleur. Que me faites-vous
envisager, Mademoiselle,
lui dit-il? Eh! qu'il faut
vous respecter pour vous
marquer de la moderation,
en découvrant que vous
avez pour un autre les
sentimens qui m'étoient
dûs par la violente passion que j'ay pour vous!
Mademoiselle de Roye
que ces paroles penetrerent jusqu'au fonds de l'a
85
me, ne pût retenir ses larmes, & elle marquoit une
si vive douleur, que monsieur d'Amboise, malgré
son desespoir, fut touché
de l'estat où il l'avoit mise. Il la regarda avec toute la timidité que lui donnoit la pensée de lui avoir
déplû, & il sembloit par
son silence, lui faire réparation d'avoir trop parlé.
Enfin il lui demanda pardon de ce qu'il avoit dit,
ou plustost de ce qu'il
avoit vû. mademoiselle
86
de Roye estoit dans un
desordre extraordinaire.
Son trouble & sa rougeur
l'avoient trahie si cruellement, qu'elle n'osoit regarder monsieur d'Amboise sans la derniere
confusion, de sorte que
ne sçachant que lui répondre, & ayant du chagrin contre lui, elle se retira dans son cabinet en
le priant de la laisser en
paix & de l'oublier.
Quels ressentimens n'eut
point monsieur d'Amboise
87
contre celui qui lui enlevoit le cœur de sa maîtresse, & que s'il en avoit
suivy l'impetuosité, il se
seroit porté à de crüelles
extrêmitez contre lui !
mais il pensa que dans
cette occasion un éclat
lui attireroit toute la haine de mademoiselle de
Roye, & qu'il ne falloit
point abuser d'un secret
dont elle lui avoit découvert une partie, & qu'-
elle lui avoit laissé penetrer tout entier. Il se re
88
presentoit les larmes qu'il
lui avoit vû répandre, &
cette idée arrêtoit sa
vengeance, quoiqu'elle
augmentast son chagrin.
Ils furent quelque temps
sans se voir ; le Comte
d'Amboise estant sur de
ne pas plaire à mademoiselle de Roye, & l'ayant
en quelque sorte offencée,
n'osoit se montrer à ses
yeux ; mademoiselle de
Roye n'apprehendoit pas
moins de recevoir de ses
visites. Il n'est point
89
d'homme plus fâcheux
qu'un Amant jaloux,
quand il a raison de l'être, & droit de le témoigner.
Comme madame de
Roye s'apperçut que monsieur d'Amboise ne venoit
plus chez elle! Elle en demanda la raison à sa fille,
& soupçonnant par l'em
barras de cette jeune personne, qu'il y avoit eu
quelque démêlé entr'eux,
elle lui dit qu'elle vouloit
qu'on le menageast, luy
90
remit devant les yeux ce
qu'asseurement il lui seroit
un joir, & méme lui ordonna de faire dire au
Comte, par un de leurs
amis communs, qu'elle seroit bien aise de le voir.
Il falut que mademoiselle
de Roye obéît, mais elle
en fut plus revoltée contre lui.
monsieur d'Amboise
sentit bien qu'il ne devoit
pas penetrer plus loin que
l'apparence qui lui étoit
favorable ; encore qu'il
91
craignît de voir mademoiselle de Roye, il ne laissa
pas d'aller chez elle le lendemain avec empressement. Il la trouva seule
dans sa chambre, la teste
appuyée sur une de ses
mains, & dans une réverie si profonde, qu'à peine s'en tira-t-elle par le
bruit qu'il fit en entrant.
La pensée que le marquis
de Sansac l'occupoit à ce
point, renouvella la jalousie du Comte d'Amboise.
mademoiselle, lui dit-il,
92
en soupirant, que ceux
qui peuvent vous faire
rêver, sont heureux, &
qu'on est à plaindre quand
on est...
mademoiselle de Roye
fut fachée qu'il commençast ce discours. Le commandement de madame de
Roye l'avoit mise dans une
disposition chagrine, de
sorte que le regardant
avec quelque dépit, je n'ay
rien à vous répondre, lui
dit-elle, tout ce que je
dirois vous seroit suspect,
93
mais je prévois les malheurs que vôtre défiance
me prepare. Vous preparer des malheurs, Mademoiselle, lui dit-il, est-ce
à moy que vous parlez?
Oüy, lui dit-elle, je ne
dois point me flater, vous
avec eu des commencemens de jalousie, que j'ay
peut-estre augmentée par
ma faute, je ne puis plus
penser que vous ne me
haïssiez point.
Helas, Mademoiselle,
lui dit-il, ce n'est pas ma
94
haine que vous craignez,
vous ne craignez que mon
amour ; mais enfin je ne
me trouve plus digne de
vous, puisque je n'ay pû
vous plaire ; c'est assez, je
ne vous contraindray pas
davantage, je vous fuiray, puisque c'est la seule
marque de passion qui
vous puisse estre agreable
de moy. Je vous amieray
toujours avec un amour
violent, & je ne vous verray jamais.
Mademoiselle de Roye
95
ne lui en demandoit pas
tant, mais le chagrin où
elle l'avoit vû, & la disposition où il lui paroissoit estre de se dégager,
lui donna la hardiesse de
le lui proposer. Elle lui
representa avec douceur,
qu'il estoit desormais impossible qu'il fût content
en l'épousant, que puisqu'il avoit eu des soupçons une fois, il en auroit toujours, & qu'elle
l'estimoit trop pour vouloir le rendre malheureux.
96
Enfin, peu à peu elle
essaya de le porter à retirer la parole qu'il avoit
donnée à Madame de
Roye. Il estoit dans un
desespoir qui ne lui permettoit pas de répondre,
Ses yeux estoient attachez
sur Mademoiselle de Roye.
Il ne s'étoit point attendu qu'on ne le r'assureroit
pas. Songez vous bien à
ce que vous exigez de
moy, Mademoiselle, lui
dit-il, songez vous bien
que je vous aime, & le
97
plus grand effort de mon
amour, est-il dû à la plus
cruelle preuve de vôtre indifference? Vous pouvez
me refuser, luy dit tristement Mademoiselle de
Roye. Eh! Puis-je vous
désobéïr, lui dit-il en se
levant, vôtre cœur ne
consent point à mon bonheur, en voudrois-je malgré lui? Mais du moins,
Mademoiselle, jugez de
l'excés de ma tendresse,
par ce qu'elle me fait faire
contre moy.
98
Il retourna à Paris, d'où
il écrivit à Madame & à
Mademoiselle de Roye,
pour leur dire un éternel
adieu. Il prioit Madame
de Roye de lui pardonner
s'il partoit sans la voir, &
s'il répondit si mal aux
intentions qu'elle avoit
bien voulu avoir en sa faveur, mais que l'éloignement que Mademoiselle de
Roye avoit pour lui, y
mettoit un obstacle invincible, que le mariage ne
pouvoit faire son bon
99
heur, s'il ne faisoit celui de la personne qu'il
aimoit, & qu'il alloit porter sa douleur dans des
lieux éloignez pour se guerir, s'il se pouvoit, par l'absence. En effet, peu de
jours aprés, s'étant absolument justifié d'estre entré dans la conspiration
du Prince de Condé, il
passa en Angleterre avec
la permission du Roy.
Madame de Roye étoit
fort mécontente de ce
qu'un mariage qu'elle
100
avoit si ardemment souhaité, trouvoit de pareils
obstacles. Elle avoit une
si parfaite estime pour
Monsieur d'Amboise, qu'il
lui sembloit qu'il n'y avoit
que lui qui fût digne de
son alliance. Elle parla à
sa fille avec ressentiment,
& lui dit, qu'elle ne meritoit pas d'étre aimée du
Comte, & qu'elle seroit
bien punie de sa froideur
pour lui, lors qu'elle épouseroit quelqu'un, qui en
auroit pour elle. Elle es
101
suya l'indignation de sa
mere avec chagrin,
mais ces menaces lui faisoient peu de peur ; Elle
songeoit que Sanfac alloit
profiter de la liberté où
d'Amboise l'avoit laissée,
mais elle ne sçavoit pas ce
qui s'étoit deja passé à cette occasion.
Madame de Roye la remena à Paris, & le bruit
s'étant repandu de sa rupture avec Monsieur d'Amboise, tous ceux qui pouvoient pretendre à elle
102
songerent à l'obtenir.
Le Comte de Sancerre
qui avoit eu de l'inclination pour elle, dés le méme instant qu'il l'avoit
veuë, n'étoit point alors
en France. Le Marquis de
Sansac qui ignoroit que
Monsieur d'Amboise se
fût degagé, estoit encore
aux Terres de son pere,
mais il ne fut pas long‑temps sans l'apprendre.
Entre tous ceux qui songerent à Mademoiselle de
Roye, le Vicomte de Ta
103
vanes fut le plus empressé,
& il fit des propositions
pour l'épouser. Si-tost
qu'elle fut à Paris, madame de Tournon l'appuya
de tout son pouvoir. Il
lui étoit d'une extrême
importance que ce mariage fût arresté avant que
Sansac eût sceu que le
Comte d'Amboise ne pretendoit plus à Mademoiselle de Roye. Elle exagera à Madame de Roye
tous les avantages de ce
party. Le Vicomte de
104
Tavanes possedoit de
grands biens, & cherchoit
encore à les augmenter,
de sorte qu'il regardoit
plus Mademoiselle de
Roye par ceux qui lui étoient destinez, que par
sa beauté.
Madame de Roye qui
n'avoit rien de caché pour
madame de Tournon, lui
avoit confié toute la conduite du Comte d'Amboise, à l'égard de sa fille,
& l'avoit priée de découvrir si cette jeune per
105
sonne n'avoit point quelque secrette inclination.
Quoique ses soupçons eussent d'abord tombé sur le
Marquis de Sansac, le refus qu'elle avoit fait de
lui, la mettant hors d'é
tat de renoüer avec bien-
séance, lui donnoit de l'é-
loignement pour ce ma-riage.
madame de Tournon ne
croyoit que trop que
puisqu'il aimoit mademoiselle de Roye, il en étoit
aimé, & elle n'en cher
106
choit point d'autre certitude. Cependant elle dit
à Madame de Roye qu'après l'avoir examinée, elle
lui trouvoit de l'indifference pour tous les hommes, & méme beaucoup
pour Sansac en particulier;
qu'apparemment trop d'amour de la part du Comte d'Amboise, l'avoit empéché d'épouser une personne incapable de sentir
jamais de passion, ny même de connoistre les sentimens qu'on avoit pour
107
elle. Enfin elle lui conseilla fortement d'accepter le Vicomte de Tavanes pour gendre. L'affaire
se traita avec un grand
secret, elle auroit esté
promptement achevée, si
la maladie du Roy n'eust
suspendu toutes choses.
Il fut saisi à la Chasse,
d'un mal de teste si violent & si extraordinaire,
que d'abord on en apprehenda les suites. Le péril
où il estoit, r'appella à Paris tous ceux qui s'inte
108
ressoient pour sa vie. Le
Marquis de Sansac y revint avec empressement.
Le Comte d'Amboise
quoiqu'il fût à peine arrivé en Angleterre, retourna en France. Cette maladie fut aussi funeste que
violente. Le Roy mourut
en huit jours, & sa mort
fit prendre une nouvelle
face à toutes choses. La
Reine Marie Stuart perdit
toute l'autorité qu'elle s'étoit acquise. Catherine de
Medicis fut declarée Re
109
gente durant la minorité
de Charles IX. & devint
absoluë. Prince de
Condé qui avoit esté arresté pour la conspiration
dont on le croyoit le chef,
fut mis en liberté; il conservoit toûjours beaucoup
d'estime pour d'Amboise,
& quoiqu'il n'eust pû le
faire entrer dans ses desseins, il ne l'en avoit pas
moins aimé.
Le Marquis de Sansac
parla à Mademoiselle de
Roye le lendemain qu'il
110
fut à Paris ; elle estoit
chez Madame de Tournon, où il y avoit beaucoup de monde, & elle
étoit un peu écartée des
autres, de sorte qu'il trouva moyen de se placer auprés d'elle, sans que Madame de Tournon pût s'y
opposer.
Il demanda pardon à
Mademoiselle de Roye des
propositions qu'il avoit
fait faire à sa mere, avant
que de l'avoir consultée ;
il en accusa la violence de
111
sa passion, & il lui dit que
ce qu'il avoit appris de sa
haine pour lui, & le refus
de Madame de Roye l'en
punissoient assez. Mademoiselle de Roye fut surprise de ce discours. Vous
m'apprenez des choses si
nouvelles, lui dit-elle, que
je suis embarrassée à y répondre ; j'ignore la haine
que j'ay pour vous, comme tout le reste.
Madame de Tournon
qui le vit attaché à parler
à Mademoiselle de Roye,
112
feignant de ne s'en appercevoir pas, la fit approcher d'elle, lui disant qu'-
elle estoit trop éloignée
du reste de la Compagnie.
Lors que Mademoiselle
de Roye fit reflexion sur
ce qu'il lui avoit dit, elle
crut que ces propositions
s'estoient faites ce mesme
jour, & que des raisons
de haine ou d'interst,
avoient déterminé sa mere à un refus ; ainsi elle
concluoit qu'elle n'épouseroit point Sansac, dans
113
le temps qu'elle s'assuroit
d'en estre tendrement aimée.
Ce Marquis cependant
reprenoit des esperances;
il voyoit qu'il n'estoit
point haï. Il comprenoit
mesme que peut-estre Madame de Roye en le refusant si cruellement, n'avoit cherché qu'à tenir
parole à Monsieur d'Amboise, & que les choses
ayant changé, une seconde tentative pourroit réussir. Il voulut engager son
114
pere dés le lendemain à
parler à Madame de Roye,
mais il le trouva si penetré de la mort du Roy,
dont il avoit esté Gouverneur, qu'il n'en put mesme estre écouté.
Ce Marquis estoit trop
amoureux pour ne pas
craindre d'estre prevenu
par ses Rivaux. Il connoissoit le pouvoir que
Madame de Tournon avoit
sur l'esprit de Madame de
Roye ; il lui déclara son
amour, & il la conjura de
115
parler en sa faveur, en attendant que son pere pût
entrer dans cet affaire.
Madame de Tournon fut
outrée de cette confidence, mais elle prit le party
de dissimuler, & elle sçavoit bien qu'elle devoit
peu craindre qu'il réussist.
Elle l'assura qu'il ne tiendroit pas à elle qu'il ne fût
heureux. Il la crut, & il
alla cependant voir Madame de Roye dés ce mesme
jour, mais bien des cho
116
ses s'estoient passées, qu'il
ignoroit.
Si tôt que Monsieur
d'Amboise avoit esté revenu d'Angleterre, il avoit
esté chez cette Comtesse
qui l'avoit receuë avec
beaucoup d'amitié. Elle
venoit d'apprendre à sa
fille qu'elle la destinoit au
Vicomte de Tavanes, &
cette nouvelle lui avoit
donné une si vive douleur,
qu'elle n'avoit eu que le
temps de lui répondre,
qu'elle lui obéïroit toû
117
jours, & elle estoit sortie
de la chambre de sa mere,
pour donner un cours libre à ses larmes.
Lors qu'elle vit qu'elle
n'avoit évité d'épouser le
Comte d'Amboise, que
pour estre au Vicomte de
Tavannes, elle fut inconsolable. Sa personne lui
avoit toûjours déplû, &
son dessein le lui rendoit
odieux. Elle pensoit que
la parfaite estime qu'elle
avoit pour le Comte
d'Amboise, lui pouvoit
118
tenir lieu d'amour, & qu'il
lui auroit esté plus supportable d'estre à lui, puisqu'elle ne croyoit plus épouser Sansac, que d'estre
au Vicomte de Tavanes.
Enfin, le mal passé ne lui
paroissoit plus un mal, &
elle ne donnoit ce nom
qu'au present.
Madame de Roye voulant faire connoistre à
d'Amboise qu'il n'avoit
point perdu sa confiance,
ne lui fit point un secret
du mariage de Monfieur
119
de Tavanes avec sa fille, &
elle lui en parla comme
d'une chose qui seroit
bien-tôt concluë. Mais
que ne produisit point
cette nouvelle dans l'esprit
de Monsieur d'Amboise?
Mademoiselle de Roye alloit épouser un homme
qu'il sçavoit bien qu'elle
n'aimoint pas. La pensée de
la perdre sans retour, &
de la voir posseder par un
mary qui l'avoit si peu
meritée, excitoit en mé
120
me temps son désespoir
& son indignation.
Il demanda à Madame
de Roye la permission de
voir sa fille, & il alla la
trouver à son appartement. Elle estoit dans un
était si triste, qu'il n'avoit
pas besoin de son amour
pour en estre sensiblement
touché. Son visage estoit
couvert de larmes qui ne
diminuoient point sa
beauté. Vous estes témoin
de ma douleur, lui dit-elle, sentant qu'elle ne
121
pouvoit cacher ses pleurs)
& vous sçaurez bien-tost
ce qui l'a causé. Je ne le
sçais peut-estre deja que
trop, lui dit-il, Mademoiselle, & j'ose dire que
je sens plus encore les
maux que vous sentez,
que je n'ay jamais senty
tous ceux que vous m'avez faits. Que vôtre honnesteté m'est cruëlle, lui
dit Mademoiselle de Roye,
que son chagrin faisoit
parler! Cachez-la moy par
pitié, afin que je con
Bilbliotheque de l'Arsenal
122
noisse moins le prix de
ce que j'ay perdu. Que
me dites-vous Mademoiselle, lui dit-il? Je n'ay
point acquis assez d'indifference, pour pouvoir entendre tranquilement ces
paroles de vôtre bouche.
Je ne cherche point à
vous flater, lui dit elle,
mais il est vray que je me
repentiray toute ma vie
du procedé que j'ay eu
avec vous, & que je me
trouveray trés-malheureuse d'épouser le Vicomte
123
de Tavanes. Ah! Mademoiselle, lui dit le Comte d'Amboise, je ne sçaurois me plaindre de ma
disgrace, puis qu'elle m'attire des paroles si obligeantes. Est-il possible que
vous me puissiez preferer
à quelqu'un? Je ne l'aurois
jamais sceu, si vous ne
m'aviez forcé de renoncer
à vous ; mais quelques
obstacles que j'aye mis à
mon bonheur, peut-estre
il ne me seroit pas impossible de les vaincre, si
124
vous y consentiez. Vous
auriez mon consentement
avec bien de la facilité,
s'il y faisoit quelque chose,
lui dit Mademoiselle de
Roye, qui ne voyoit encore que ' le suplice d'épouser Tavanes. Monsieur
d'Amboise fut si transporté de la joye que lui
donnoient ces paroles,
qu'il ne vit rien de ce qui
pouvoit la troubler. Les
soupçons qu'il avoit eus
de Sansac, s'effacerent de
son esprit. Il trouva qu'il
125
les avoit pris sur des fondemens legers. Madame
de Roye lui avoit parlé du
mariage de Tavanes, comme d'une chose avancée,
mais non pas concluë absolument. Il alla trouver
le Prince de Condé, il le
conjura de parler à Madame de Roye, parce qu'-
il eût esté embarassé à lui
parler lui-même, à cause
de l'irregularité qui pouvoit paroistre dans son
procedé. Ce Prince qui
avoit bien voulu entrer
126
dans les détails de sa passion, dés qu'elle avoit commencé, saisit cette occasion de lui rendre un office. Il alla voir Madame
de Roye, & il l'engagea
aisement à rentrer dans ses
premieres liaisons avec le
Comte d'Amboise, qu'elle avoit toûjours plus estimé que tous les autres
hommes. Elle dit à sa
fille que s'il estoit vray
qu'elle eût de l'éloignement pour le Vicomte de
Tavanes, elle n'iroit pas
127
plus avant avec lui, & qu'-
elle reprendroit ses premiers engagemens avec
Monsieur d'Amboise.
Mademoiselle de Roye qui
n'avoit songé d'abord qu'à
n'épouser pas Tavanes, vit
qu'elle avoit seulement
changé de malheur ; celui‑cy estoit moindre à la verité, mais il estoit assez
grand pour la mettre au
désespoir. Enfin elle se l'étoit attiré, il n'y avoit pas
moyen qu'elle l'évitât, &
elle dit à sa mere, qu'elle
128
lui obéïroit sans répugnance.
Madame de Roye fit
naître des difficultez sur le
mariage du Vicomte de
Tavanes, & comme elle
ne lui avoit point encore
donné de parole, elle le
rompit sans qu'il parût
qu'elle en eût eu le dessein.
Madame de Tournon
qui estoit trop avant dans
sa confidence, pour ignorer ce qui se passoit, lui
fit les propositions de San
129
sac, lors qu'elle vit qu'il
n'y avoit plus rien à esperer pour lui, de sorte qu'il
fut une seconde fois refusé. Cette Comtesse le
lui apprit avec toute la malice dont elle estoit capable. Elle lui fit confidence des desseins de Tavanes & de leur progrez, en
lui disant ensuite que Mademoiselle de Roye n'avoit
pû soûtenir la pensée d'étre à un autre qu'à d'Amboise ; qu'une legere cause
les ayant brouïllez, leur
130
raccommodement avoit
esté aisé, & qu'elle avoit
engagé elle-même son
Amant à faire parler à sa
mere. La chose estoit vraye
en apparence. Elle la conta de la même maniere à
quelques personnes, afin
qu'on le redît encore à
Sansac. Il entra dans un
violent dépit contre Mademoiselle de Roye; il l'accusa de l'avoir trompé par
sa fausse douceur. Il s'accusa de s'être voulu tromper soi même. Il examina
131
combien les choses qui
l'avoient flaté, estoient foibles. Enfin, il s'abandonna au désespoir aussi facilement qu'il s'étoit abandonné à l'esperance, & il
cessa de voir Mademoiselle de Roye.
Elle avoit pris une resolution qu'elle avoit de la
peine à soûtenir, sa tristesse estoit extraordinaire,
& d'Amboise n'estoit pas
assez heureux pour ne la
point penetrer. Les soupçons qu'il avoit eus de
132
Sansac, lui rentroient dans
l'esprit ; cependant la preference qu'elle lui avoit
donnée sur le Vicomte de
Tavanes, & les choses flateuses qu'elle lui avoit dites à cette occasion, venoient le soûtenir contre
ses defiances ; & si ces reflexions troubloient le
bonheur qu'il attendoit,
elles ne l'empêchoient pas
de l'attendre.
Tout se disposoit pour
son mariage, Mademoiselle de Roye avoit beau
133
coup d'égards pour lui ;
mais quand elle estoit seule, elle en dédommageoit
Sansac par un torrent de
larmes. Elle se regardoit
elle-même comme la cause de ses malheurs. Jamais
elle ne s'étoit veuë si
preste d'entrer dans un engagement, contre lequel
tout son cœur se revoltoit.
Elle ne put soûtenir ces
diverses agitations, & elle tomba malade.
Quel désespoir pour
Monsieur d'Amboise ! Il
134
ne pouvoit douter que sa
maladie ne fût l'effet du
chagrin qu'elle avoit de
l'épouser. Il se sentoit
neanmoins entraîné à la
voir tous les jours, & il
la voyoit pleine d'honnêteté pour lui. Malgré les
maux qu'elle lui causoit, il
l'estimoit davantage, & il
ne l'aimoit pas moins ; au
contraire l'admiration &
la pitié se joignant à ses
autres sentimens, rendoient sa passion plus forte, mais en méme temps
135
plus capable de raison. Le
moyen de contraindre
une personne qui se contraignoit elle-méme pour
l'amour de lui? Il vit qu'-
il devoit se dégager une
seconde fois, mais en rendant Mademoiselle de
Roye à elle, il la mettoit
entre les mains de son Rival. Cette pensée le faisoit
trembler, & il ne resolluoit rien.
Cependant la maladie
de Mademoiselle de Roye
augmentoit. Il sentit alors
136
qu'il l'aimoit assez pour
ne la disputer pas davantage aux depens de sa vie.
Il vit qu'il faloit la ceder
à son Rival, qu'elle ne
pouvoit estre que malheureuse avec un autre. Il
crut qu'il estoit capable
de cet effort. Il se flata
méme qu'une action extraordinaire produiroit
peut-estre un effet extraordinaire, & que s'il ne ramenoit pas Mademoiselle
de Roye vers lui, en faisant pour elle une chose
137
dont un autre ne pouvoit
estre capable, il rendoit
du moins tous les autres
hommes indignes d'en étre aimés. Enfin il se formoit du debris de toutes
ses esperances, une nouvelle sorte d'espoir. Toûjours il pensa qu'il empoisonneroit le bonheur
de son Rival, en lui donnant luy-méme sa maîtresse. Mais aprés tout, ce
n'estoiét que des idées. Son
cœur ne goûtoit point ses
raisons, & il lui auroit en
138
core esté plus aisé de faire
la chose, que de la resoudre.
Il alla voir Mademoiselle de Roye le lendemain.
Il remarqua qu'elle pleuroit, quoiqu'elle essayast
de cacher ses larmes, & de
montrer un visage ouvert
& tranquile. Il est dificile
de se representer l'état où
il se trouva. L'effort qu'on
se faisoit pour lui, le portoit à celui qu'il se devoit
faire. L'amour, la pitié,
le désespoir formoient
139
mille combats dans son
ame. Il demeura long‑temps sans parler ; mais
enfin regardant Mademoiselle de Roye avec
des yeux baignez de larmes, Mademoiselle, lui
dit-il, vous avez eu jusqu'ici plus de force que
moy. Je tremble de mon
projet, mais peut-estre je
l'executeray. Vous me
donnez l'exemple de mourir, s'il le faut en se contraignant. Eh bien, ç'en
est fait, il faut m'arracher
140
à moy-méme ; ne me cachez point vos sentimens
pour Sansac. Je veux tout
entreprendre pour luy faire
obtenir un bonheur dont
vous le jugez plus digne
que moy, aussi-bien puis‑je estre plus malheureux
que je le suis. Je vous
plairay du moins en vous
donnant à mon Rival. Il
remarquoit pendant ce
discours une impression
de joye sur le visage de
Mademoiselle de Roye,
141
qu'il ne lui avoit jamais
veüe. Il se désesperoit de
ce qu'il alloit faire, sans
neanmoins s'en repentir.
Il est des momens où l'on
semble agir par une force
superieure ; ce qu'il faisoit
tenoit plus du Heros que
de l'Amant, & le rendoit
digne en même temps de
pitié & d'envie. Je pars,
lui dit-il, Mademoiselle,
pour un dessein qui ne s'achevera pas s'il se retarde,
& toute la grace que je
vous demande, c'est de
142
n'oublier point en me
voyant, que je suis le plus
malheureux de tous les
hommes pour l'amour de
vous. Mademoiselle de
Roye ne put resister à ces
divers mouvemens, la surprise, la crainte, la
honte agitoient son cœur.
Sa fiévre en un instant
redoubla si considerablement, qu'on jugea que sa
vie alloit estre dans un
trés-grand danger. Il n'en
faloit pas tant pour déterminer Monsieur d'Am
143
boise. Il courut à l'appartement de Madame de Roye,
il lui apprit le péril où
estoit sa fille, & la passion
qu'elle avoit dans le cœur.
Il la conjura de n'avoir
plus d'égards pour lui, &
de ne songer qu'à Mademoiselle de Roye. Cette
mere aimoit veritablement
sa fille. La maladie de cette jeune personne la mettoit dans une cruelle inquietude, & tout ce qui
pouvoit contribuer à sa
guerison, lui paroissoit
144
agreable. Elle marqua à
Monsieur d'Amboise combien elle estoit touchée
de sa generosité, & lui
donna des louanges ausquelles il estoit peu sensible. Il vit qu'il réüssissoit
trop aisément dans ce qu'-
il entreprenoit. Il quitta
Madame de Roye, & il alla se renfermer chez lui,
où il s'abandonna à tout
ce que le désespoir à de
plus affreux. Quand il ne
se vit plus rien à faire, il
pensa à ce qu'il avoit fait;
145
il envisagea à loisir le mariage de Madlle de Roye &
du Marquis de Sansac, auquel il n'y avoit plus d'obstacles. Il vit qu'il l'avoit
lui-même livrée à celui
qu'il devoit le plus craindre qui ne la possedast,
& il fut mille fois sur le
point de le punir de ce
qu'il venoit de faire pour
lui, & de l'empécher par
sa mort d'obtenir un bien
qu'il venoit de lui abandonner. Ensuite il se representoit l'état où il
146
avoit vû Mademoiselle
de Roye. Cette idée le retenoit, mais il voyoit à
quel excés la pitié l'avoit
porté. Il revenoit comme
d'un songe, & il avoit
peine à croire ce qu'il
avoit esté capable d'executer. Il songea que Mademoiselle de Roye perdroit le souvenir de ce
qu'il avoit fait pour elle,
& de ce qu'il lui en coûtoit, dans la joye qu'elle
auroit d'estre à un homme qu'elle aimoit tendre
147
ment. Cette réflection lui
rendoit tout insupportable; il pensoit haïr Mademoiselle de Roye autant
que Sansac, & il croyoit
ne pouvoir jamais voir
l'un non plus que l'autre.
Madame de Roye employa un des ses amis qui
l'étoit aussi du Marquis de
Sansac, pour lui faire sçavoir que Monsieur d'Amboise estoit absolument
dégagé d'avec Mademoiselle de Roye, & que s'il
faisoit quelques démarches
148
pour l'obtenir, il n'y trouveroit plus d'obstacles. Ce
Marquis estoit trop amoureux pour songer aux refus qu'il avoit déja deux
fois essuyés. L'avance que
Madame de Roye lui faisoit en estoit la réparation,
mais il vouloit sçavoir les
sentimens de sa fille. Il
alla chez cette Comtesse;
il vit Mademoiselle de
Roye, à qui la joye redonnoit la santé, que le chagrin lui avoit ôtée. Il ne
lui fut pas dificile de con
149
noître qu'il estoit aimé; il
le comprit en partie par
les choses qu'elle laissoit
échaper, & plus encore
par celles qu'elle évitoit
de lui dire.
Le Marquis de Sansac
apprit à son pere le changement favorable pour lui
qui s'étoit fait dans l'esprit de Madame de Roye,
mais il ne le trouva plus
dans les mêmes dispositions pour son alliance. Le
refus qu'elle avoit fait de
son Fils, l'avoit irrité au
150
point de ne pouvoir jamais revenir de sa colere;
mais d'autres raisons se
joignoient encore à cellelà. Le Comte de Sansac
estoit haï de Catherine de
Medicis, parce qu'il avoit
esté Gouverneur de François II. qu'elle n'avoit jamais aimé. Elle se plaignoit que ce Gouverneur
l'avoit élevé dans une
grande indépendance à
son égard, & elle en avoit
pris de l'éloignement pour
son Fils méme. Elle eut
151
lieu de voir lorsqu'il mourut, combien ses sentimens estoient respectez
de toute la Cour, excepté des Sansacs. Le Corps
du feu Roy fut porté à
saint Denis sans aucune
pompe. messieurs de Guise
oncles de la Reine sa
femme, ne le suivirent
mesme pas, & le Comte
de Sansac seul & son Fils,
l'accompagerent.
La Regente ne fut pas
longtemps sans marquer
ses ressentimens au Comte
152
de Sansac en plusieurs
rencontres. Il n'estoit plus
appuyé de personne, il
vit qu'il avoit besoin d'étre soútenu.
Mademoiselle de Roye
& mesme madame de Roye
qui ne s'occupoit que de
ce qui convenoit à sa fille,
ayant toûjours esté de la
Cour de Marie Stuart, plus
que de celle de Catherine
de Medicis, n'estoient pas
propres à le remettre en
bonne posture auprés d'elle. Il avoit d'autres veuës,
153
& il dit à son Fils, qu'aprés le refus désobligeant
que Madame de Roye
avoit fait 'de le recevoir
pour gendre, il devoit
estre honteux de songer
encore à le devenir, & il
lui déclara qu'il ne consentiroit jamais à ce maraiage. Cét Amant se jetta
aux pieds de son pere ; il
lui dit que tout le bonheur de sa vie dépendoit
d'épouser mademoiselle de
Roye, mais il ne le fit pas
changer de dessein.
154
Le marquis de Sansac se
revolta par cette dureté.
Sa mere lui avoit laissé de
grands biens, & quoique
ceux de son pere fussent
considerables, ils les sacrifioit sans peine à son party, qui
qui firent tous les pas qu'-
il falloit faire auprés de
madame de Roye, & dont
les propositions furent receuës, mais à condition
que le marquis de Sansac
se raccommoderoit avec
155
son pere, avant qu'on
achevast le mariage, &
que leur traité seroit secret jusque-là.
Ce Marquis eut cependant la permission de voit
souvent Madlle de Roye
dont la santé se rétablissoit chaque jour, & dont la
beauté augmentoit encore
depuis que son cœur étoit
content. Elle sentoit vivement ce qu'elle devoit
au Comte d'Amboise. Elle
auroit voulu lui marquer
combien elle en estoit
156
touchée, & le dédommager s'il se pouvoit par sa
reconnoissance des sentimens qu'elle n'avoit pas
pris pour lui ; mais elle ne
le voyoit plus, parce qu'-
il prenoit soin de l'éviter.
Il sçavoit cependant que
son mariage avec Sansac,
n'estoit pas prest à s'achever ; mais si cette penseé
adoucissoit sa douleur,
elle ne la lui ôtoit pas.
Mademoiselle de Sansac revint à Paris, elle
apprit avec plaisir l'action
157
de d'Amboise, & elle en
parloit sans cesse à mademoiselle de Roye. Un
jour qu'elles se promenoient ensemble dans les
jardins du Louvre, elles le rencontrerent qui
estoit seul, & qui révoit
si profondément, qu'il
étoit proche de Mademoiselle de Roye, sans s'en appercevoir. Il continuoit à
marcher, mais elle l'arréta.
Vous voulez-bien, lui dit‑elle, que je profite des
occasions que le hazard
158
me donne de vous marquer mes sentimens ; il y
a longtemps que je les
cherche en vain. He, Mademoiselle, lui dit-il, il y
auroit de la cruauté à vouloir me voir encore, je
vous suis inutile. Il lui fit
une profonde reverence,
& il se retira sans regarder mademoiselle de Sansac. Elles furent surprises
de cette fuite. Mademoiselle de Sansac eut de la
colere de ce qu'il ne l'avoit pas seulement remar
159
quée. mademoiselle de
Roye connut par la tristesse du Comte, & par sa
promte retraite, combien
sa passion estoit encore
vive, & combien sa generosité avoit esté extraordinaire. Elle eut une trés‑sensible douleur d'avoir
rendu un si honneste homme malheureux.
Il estoit au désespoir de
l'avoir quitée si brusquement. Il craignit de l'avoir offencée, & qu'elle
ne vinst à le haïr. Enfin il
160
avoit encore senty du plaisir à la voir. Il s'en estoit
privé de peur de s'y trop
abandonner, mais qu'il
trouvoit que sa raison lui
avoit esté cruelle, & que
pouvoit-il lui arriver de
plus triste, que d'estre haï
de Mademoiselle de Roye,
& de ne la voir jamais? Cependant il ne vouloit plus
aller chez elle, mais il sentoit que ce lui seroit une
douceur que de la rencontrer.
Sansac trouvoit le re
161
tardement de son bonheur si insupportable, qu'il
n'estoit guere moins affligé que lors qu'il estoit incertain d'estre aimé. C'étoit en vain qu'il pressoit
Madame de Roye de consentir qu'il épousast sa fille,
malgré le chagrin du
Comte de Sansac, elle ne
vouloit point lui laisser
perdre une partie de sa
fortune par trop de précipitation. L'estime que
cette Comtesse avoit pour
d'Amboise, lui faisoit sou
162
haiter qu'il fût toûjours
de ses amis. Cependant
quoiqu'elle fût fâchée de
n'avoir plus aucun commerce avec lui, elle n'osoit lui en faire des reproches, mais comme elle eut
besoin de lui dans une affaire considerable, elle le
lui fit sçavoir, & il ne put
se dispenser d'aller chez
elle. Il y retourna avec
quelque peine & avec
quelque plaisir. Il trouva
d'abord mademoiselle de
Roye seule dans la cham
163
bre de sa mere, & il fut
si frapé de cette veuë qu'il
demeura cõme immobile.
Madame de Roye estoit
dans son cabinet avec une
personne de consideration, lorsqu'il entra. Comme elles estoient occupées
d'une affaire particuliere,
elle vint au devant de lui
le supplier de vouloir bien
demeurer un momẽt dans
sa chambre avec sa fille.
Mademoiselle de Roye
fut d'abord embarrassée
de la presence d'un hom
164
me à qui elle avoit des
obligations infinies, &
qu'elle jugeoit par ce qui
s'étoit passé de puis peu,
que sa reconnoissance méme pouvoit chagriner. Le
défordre de Monsieur
d'Amboise estoit extraordinaire, il se retrouvoit
auprés d'une personne qu'-
il avoit esté contraint d'abandonner, qu'il adoroit
toûjuours, à qui il ne vouloit plus le dire, encore
qu'il souhaitast qu'elle le
sçeust, enfin avec une per
165
sonne qui lui donnoit une
cruelle jalousie, & qui lui
inspiroit un respect extrême. Ils garderent quelque temps le silence l'un
& l'autre ; elle le rompit
neanmoins la premiere. Je
ne sçaurois m'empêcher de
me réjouir de vous voir,
lui dit-elle, quoiqu'il me
paroisse que vous ne soyez
pas content d'estre ici.
Mademoiselle, lui dit-il,
est-il possible que la presence d'un malheureux que
vous avez forcé de renon
166
cer à vous, puisse ne
vous pas estre desagreable?
Je ne vous y ay point
contraint, lui dit Mademoiselle de Roye, vous
m'avez fait un sacrifice
volontairement. Hé, reprit il, Mademoiselle,
vouz mouriez si je ne vous
l'eusse fait. Vous ne pouviez soûtenir la pensée
d'estre à moy. Je vous
ostois à celui sans lequel
vous ne pouviez vivre.
Vous en dites beaucoup,
interrompit mademoiselle
167
de Roye en rougissant. Hé,
Mademoiselle, lui dit-il,
pourquoi cette retenuë &
cette contrainte? Auoüez
moy que vous aimez mon
Rival. Je le sçais, je le
vous malgré vous, & la
reserve dont vous usez,
est un rafinement de tendresse dont je suis plus jaloux que de toute celle
que vous me marqueriez
avoir pour lui. Mais que
vous dis-je, reprit-il, pourquoi vous montrer cette
bizarerie? Je vous de
168
mande pardon. Je vous
aime, je vous aimeray
toute ma vie. Je n'ay pû
estre le maistre de ne vous
point parler une fois de
Sansac, mais je ne vous
en parleray plus. Je vous
respecte assez pour respecter méme vostre passion. Je
me contraindray sans cesse
& je ne vous entretiendray jamais de la mienne.
mais la seule grace que je
vous demande, c'est que
vous me regardiez comme quelque chose de plus
169
qu'un amy. Je vous regarde même, lui dit-elle,
comme quelque chose de
plus qu'un Amant. Vous
avez fait pour moy des
choses si peu ordinaires,
que je ne puis avoir pour
vous des sentimens communs.
La conduite de ce Comte avoit esté si digne d'admiration, & Mademoiselle
de Roye lui estoit si obligée, qu'elle crut lui devoir parler avec douceur,
mais cependant d'une ma
170
niere qui ne flatast point
son amour ; aussi ces paroles le firent soupirer.
Madame de Roye entra
comme elle les achevoit.
Cette Comtesse apprit à
monsieur d'Amboise en
quoi il pouvoit lui estre
utile, & il lui promit de
lui obéïr ponctuellement
dans les choses qu'elle souhaitoit. Elles avoient quelque rapport à mademoiselle de Roye, & il se
trouva encore sensible au
plaisir de lui rendre un
171
service. Ses honnestetez
ou plûtost sa veuë, avoient
remis une sorte de douceur dans son ame, quoiqu'elle ne lui eust rien dit
de favorable à sa passion.
C'estoit toûjours beaucoup qu'elle eût pour lui
toute l'estime qu'il méritoit, & qu'elle la lui eust
marquée.
L'affaire dont Madame
de Roye l'avoit chargé,
l'obligea à retourner chez
elle plus d'une fois. Il n'évitoit plus mademoiselle
172
de Roye, & il reprenoit
l'habitude de lui parler.
Peut-estre même retrouvoit-il dans son cœur
quelque penchant à l'esperance. Les obstacles qui
s'opposoient au mariage
du marquis de Sansac, pouvoient durer longtemps.
Il n'estoit pas impossible
qu'une conduite soûmise
& désinteressée, ne lui attirast une bien-veillance
particuliere de mademoiselle de Roye, & que ne
lui parlant jamais de sa
173
passion, & lui faisant neanmoins connoistre qu'elle
n'estoit pas éteinte, il ne
prist à la fin quelque chose
sur les sentimens qu'elle
avoit pour un Rival qui
les méritoit moins que
lui.
Madame de Tournon
estoit au désespoir de n'avoir pû empêcher la liaison de Sansac & de mademoiselle de Roye ; elle
cherchoit du moins à la
rompre, & le Comte de
Sancerre qui dans ce
174
temps-là revint à Paris,
lui parut propre à la servir dans ses desseins. Il
estoit son amy particulier,
cependant il ne lui avoit
point fait confidence autrefois de son inclination
pour mademoiselle de
Roye, & ce n'estoit que
par l'application qu'elle
avoit toûjours euë pour ce
qui regardoit cette belle
personne, qu'elle l'avoit
découverte; il avoit méme
eu de la peine à lui avouër
une passion dont il espe
175
roit si peu, qu'il l'avoit
cachée à celle qui la causoit.
Le Comte de Sancerre
estoit bien fait ; il estoit
fin, adroit & spirituel. La
Comtesse avoit empéché
autant qu'elle l'avoit pû,
qu'il n'aimast mademoiselle de Roye, & elle avoit
beaucoup contribué à lui
faire entreprendre le voyage qu'il avoit fait en partie pour la fuir. mais l'Amour la fit changer d'interests. Elle sacrifia la ja
176
lousie de beauté, à la tendresse qu'elle avoit pour
Sansac, & elle assûra le
Comte de Sancerre qu'elle
viendroit à bout de la lui
faire épouser, s'il vouloit
suivre exactement la conduite qu'elle lui prescriroit. Elle lui conseilla de
tacher à s'insinüer dans
son esprit sous le nom d'amy, & de lui cacher ses
veritables sentimens jusqu'au temps de les faire
éclatter avec succés. Sancerre goûta cét avis qui
177
s'accordoit avec son humeur & avec son interest.
Mademoiselle de Sansac
ne pouvoit soussrir l'indiference que d'Amboise
avoit pour elle. Elle commença à le maltraiter, &
à lui faire de petites incivilitez, qui de la part d'une
personne raisonnable, ne
pouvoieut estre que des
marques de passion. Il
connut avec chagrin des
sentimens ausquels il ne
pouvoit répondre, & dont
ses propres malheurs le
178
forçoient d'avoir pitié.
mademoiselle de Roye
s'appercevoit de l'état où
estoit le cœur de son amie,
par les plaintes bizares
qu'elle lui faisoit sans cesse de ce Comte. Elle craignoit tout de la disposition de monsieur d'Amboise ; quelquefois elle
esperoit que la tendresse
de mademoiselle de Sansac
le toucheroit ; elle vouloit
lui en parler, mais quand
elle faisoit reflection sur
l'indépendance des incli
179
nations, ce qu'elle avoit
dans le cœur la faisoit
trembler pour son amie.
Mademoiselle de Sansac demeuroit dans une
mélancolie qui empéchoit
le retour de sa santé. Elle
avoit demandé permission
à la Reine de se retirer de
la Cour, & elle vivoit
chez son pere dans une
assez grande retraite. Mademoiselle de Roye prenoit part à ses maux, &
elle estoit assez équitable
pour lui en estre obligée.
180
L'indifference que mademoiselle de Roye avoit
pour d'Amboise, la flatoit, & l'empêchoit de la
haïr. Elle tâchoit d'adoucir l'esprit de son pere, sur
le mariage de Sansac, & de
Mademoiselle de Roye, &
elle ne desesperoit pas d'y
réussir, mais il lui arriva de
nouveaux chagrins qui
l'empécherent d' executer
ce qu'elle s'estoit proposé.
Un jour qu'elles estoient
ensemble dans le Carrosse
de mademoiselle de San
181
sac, elles virent d'Amboise dans le sien entraîné par
ses Chevaux, avec tant de
violence, que sa vie étoit
en danger. Mademoiselle
de Sansac pâlit, & dit à
ses gens de mener son Carrosse sur leur passage, afin
de les arrester. Elle leur
parloit d'une maniere si
vive & si pressante, que
malgré le risque qu'ils
couroient à lui obéïr, ils
executerent cét ordre; cependant ce fut avec tant
de bonheur, que les Che
182
vaux dont la premiere fureur commençoit à se rallentir, rencontrant les autres de front, ne passerent
pas outre.
Comme il voulut aller
rendre grace à ceux qui
s'étoient mis en péril pour
le sauver, il apperçut les
Livrées de Sansac, il crut
que c'estoit son Rival, &
il fut au désespoir de lui
devoir la vie; cependant
pour ne lui point faire
connoître une ingratitude
qu'il n'avoit pas volontai
183
rement, il s'avança vers
ce Carrosse, mais il n'y
vit que des femmes. mademoiselle de Roye se presenta d'abord à ses yeux.
Mademoiselle de Sansac
s'êtoit trouvée si mal de
l'émotion que cette avanture lui avoit causée, qu'-
elle avoit esté contrainte
de s'appuyer sur une de ses
mains. Il commençoit à
remercier Mademoiselle
de Roye en des termes où
sa passion s'exprimoit
malgré-luy, mais elle luy
184
dit qu'il avoit toute l'obligation à Mademoiselle de
Sansac, & quoiqu'il fût
fâché de s'estre trompé à
une chose qui luy plaisoit,
il ne put se dispenser de la
remercier avec beaucoup
de reconnoissance ; il les
quitta pour les laisser poursuivre leur chemin.
Aprés qu'il les eut quittées, Mademoiselle de Sansac se trouvant seule avec
Mademoiselle de Roye,
Vouz avez vû ma foiblesse,
luy dit-elle, il n'est plus
185
temps que je vous la dissimule. Je me suis toûjours
refusé le soulagement de
me plaindre avec vous,
pour ne point entretenir
une douleur que je condamne. Ayez pitié de moy
& me donnez quelque
consolation. Vous n'estes
point coupable, luy dit
Mademoiselle de Roye,
personne n'est exempt des
passions , il suffit de les
combatre. Je voudrois
que la confiance que vous
me têmoignez, vous pust
186
estre utile. Elle l'embrassa
en disant ces paroles. mademoiselle de Sansac vit
avec chagrin qu'elles étoient arrivées au lieu où
on les attendoit. Cette
conversation luy faisoit
plaisir, & elle pria Mademoiselle de Roye de venir, s'il se pouvoit, le lendemain se promener avec
elle, dans un lieu agreable où son peu de santé
l'obligeoit à aller prendre
l'air tous les matins.
Mademoiselle de Roye
187
revit ce même jour le
Comte d' Amboise chez
Madame de Tournon On
y joüoit. Ils estoient les
seuls qui ne joüoient pas.
Mademoiselle de Roye
s'approcha de la fenêtre
pour parler à ce Comte.
Elle vouloit sçavoir de
quelle maniere il reconnoîtroit ce que Mademoiselle de Sansac avoit fait
pour luy. J'avois du plaisir
à penser que c'estoit à
vous que je devois la vie,
luy dit-il, mademoiselle,
188
mais vous ne voulez pas
seulement me souffrir une
erreur qui me soit agréable. Que me dites vous,
interrompit Mademoiselle
de Roye ? Je serois au
désespoir si vous aviez
toûjours des sentimens qui
vous donnassent lieu de
n'estre pas content de moi,
& qui me donnassent aussi
lieu de n'estre pas contente de vous. Mademoiselle
luy répondit-il , je ne
croyois pas vous importuner. Je ne vous deman
189
de point de passion, ajoûta-t-il malgré luy, laissez
moy la mienne, c'est tout
ce que je vous demande.
Je n'y puis consentir, luy
dit-elle, la consideration
que j'ay pour vous s'y oppose, & si vous sçaviez
en quelle extrême on se
trouve quand on est remplie d'estime, de reconnoissance, & si on l'ose
dire, de pitié pour une personne qui mériteroit quelque chose de plus, je ne
vous paroîtrois peut-estre
190
guére moins à plaindre
que vous-méme. Ils garderent là-dessus tous deux
le silence; puis mademoiselle de Roye se representant vivement l'état où
elle avoit vû son amie,
ne put resister à l'envie de
luy en faire un mérite auprés du Comte ; elle voulut le rendre sensible à la
douceur d'estre aimé d'une
belle personne ; elle luy fit
une peinture touchante
des sentimens de Mademoiselle de Sansac. Enfin,
191
elle sçavoit bien qu'elle
ne risquoit rien à luy faire
une pareille confidence.
La discretion du Comte
étoit connuë, & l'on
estoit seur que s'il ne se faisoit point un plaisir de sa
conqueste, du moins il ne
s'en feroit pas d'honneur.
Il ne put répondre à ce
qu'elle luy disoit, parce
que madame de Roye qui
avoit cessé de jouër, se leva pour sortir, & emmena
sa fille, avant méme qu'-
elle eût achevé ce qu'elle
192
avoit à dire, mais il ne
pensa à rien qu'à l'empécher de croire qu'il y eust
fait la moindre reflexion.
Mademoielle de Roye
ne vouloit point instruire
Monsieur de Sansac, que
le Comte d'Amboise n'étoit pas encore indiferent,
de peur de l'aigrir contre
un homme à qui il avoit
l'obligation de luy avoir
cedé ses droits. Elle devoit méme ce foible égard
au Comte, en consideration des choses extraordi
193
naires qu'il avoit faites
pour elle. Ces sentimens
ne blessoient point sa passion. Elle étoit bien éloignée d'en prendre d'autres pour Monsieur d'Amboise, que ceux de la pitié; & si elle estoit partagée entre ces deux Amans,
elle plaignoit l'un, & elle
aimoit l'autre.
D'Amboise avoit trouvé un pretexte pour aller
le lendemain matin chez
Madame de Roye, mais
il la rencontra à la porte
194
du Louvre. Il lui dit qu'-
il avoit eu ce dessein, &
qu'ayant plusieurs choses
à luy dire, il l'executeroit
lors qu'elle seroit de retour. Il demanda à une
des femmes qui l'accompagnoient, pourquoi Mademoiselle de Roye n'étoit pas avec sa mere. Cette femme luy dit qu'elle
estoit allée se promener, &
luy nomma le lieu, mais
elle ne luy dit point que
c'estoit avec Mademoiselle
de Sansac, parce qu'elle
195
suivoit Madame de Roye,
& qu'elle n'en eut pas le
loisir.
Monsieur d'Amboise y
courut sans rien examiner.
C'estoit à un de ces beaux
lieux que les maîtres se
font un honneur de laisser
voir. On y venoit par
deux côtez; il entra dans
le jardin, & il n'y trouva
d'abord que mademoiselle
de Sansac. Mademoiselle
de Roye avoit esté arrétée
par la Comtesse de Tournon, qui l'ayant rencontrée
196
l'avoit voulu accompagner, de sorte qu'elle
avoit feint d'aller ailleurs,
pour pouvoir estre seule
avec son amie.
D'Amboise qui avoit
esté apperçû de Mademoiselle de Sansac, n'avoit pû éviter de lui parler. Elle lui avoit dit qu'-
elle attendoit Mademoiselle de Roye, & qu'elle
s'ennuïoit de l'attendre ;
de sorte qu'il n'avoit osé
la quitter, que sa compagnie ne fût venuë. Ils fu
197
rent embarassez l'un &
l'autre. Le Comte songeoit que Mademoiselle
de Roye en le voyant
avec Mademoiselle de Sansac, jugeroit qu'il auroit
fait reflexion à ce qui s'étoit dit le soir precedent,
& il l'auroit quittée brusquement, s'il n'avoit êté
arresté par l'envie de voir
Mademoiselle de Roye.
Mademoiselle de Sansac
n'estoit pas dans une peine moins grande. Elle
n'auroit point esté fâchée
198
qu'il eust connu une partie de ses sentimens, & elle auroit esté au désespoir
de les lui faire connoître
elle-même.
Fin du premier Livre.
L'impreinte de la Bilbliotheque de l'Arsenal
Noms propres
Catherine de Médicis
Cette célèbre reine de souche italienne, né en 1519 et morte en 1589, était la femme
d'Henri II et la mère de François II, de Charles IX et de Henri III sur qui elle exerça une influence politique importante.
- Catherine de Médicis, Wikipédia, The Free Encyclopedia (14 novembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_de_M%C3%A9dicis.
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Charles IX
Second fils d'Henri II et de Catherine de Médicis, il devint roi de France (1560-1574) à l'âge de dix ans sous la régence da sa mère.
Son règne fut dominé par les guerres de religion entre les catholiques et les protestants.
Ses efforts de
réconcilier les deux factions finirent par entraîner plus d'hostilité. En particulier,
sous la pression des catholiques et sa mère,
Charles IX ordonna le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), dans lequel des milliers
de protestants furent tués.
- Charles IX, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Charles IX de France, Wikipédia l'encyclopédie libre (17 mai 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 19 mai 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_IX_de_France.
- Saint-Barthélemy (massacre de la), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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François II
Le fils aîné d'Henri II et de Catherine de Médicis, François II devint le roi de France à l'âge de 15 ans lors de la mort accidentelle
de son père. De santé faible, il décéda seulement dix-sept mois plus tard. Ayant doté
de pouvoir les frères Guise, les oncles de sa femme Marie Stuart, sous François II la suppression dure des protestants déclencha plusieurs décennies
de guerres de religion en France.
- François II (roi de France), Wikipédia, The Free Encyclopedia (8 septembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_II_(roi_de_France).
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Guise (Maison de)
Une famille illustre de la noblesse française, les Guise intervinrent de façon importante
pendant les guerres de religion au XVIe siècle, du côté catholique. La puissance des
Guise s'aggrandit sous Henri II et surtout sous François II car leur nièce, Marie Stuart, était l'épouse de ce jeune roi.
- Maison de Guise, Wikipédia, The Free Encyclopedia (31 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_de_Guise.
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Henri II
Le second fils de François Ier, Henri, né en 1519, mourut en en 1559 suite à un accident lors d'un tournoi où il
est blessé à l'oeil. Pendant sa vie, poursuivit l'œuvre politique et artistique de
son père. Dans les guerres d'Italie, il parvint à mettre en échec Charles Quint du Saint-Empire romain. Le règne d'Henri connut aussi l'essor du protestantisme, encore plus sévèrement
réprimé que sous le règne de son père. En ce qui concerne les arts, sous Henri II
la monarchie fit travailler ensemble poètes, architectes, sculpteurs et peintres pour
magnifier le pouvoir royal.
Sa femme, Catherine de Médicis, exerça une influence politique importante sur ses trois fils, François II, Charles IX et Henri III qui lui succédèrent au trône tous les trois.
- Henri II (roi de France), Wikipédia, The Free Encyclopedia (28 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_II_(roi_de_France).
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Louis Ier de Bourbon-Condé
Louis 1er de Bourbon (1530-1569), prince de Condé et duc d'Enghien, était le principal
chef protestant pendant les guerres de religion (1562-1598) en France.
- Louis Ier de Bourbon-Condé, Wikipédia, The Free Encyclopedia (31 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Ier_de_Bourbon-Cond%C3%A9.
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Marie Ire Stuart
(1542 – 1587). Reine d’Écosse (1542-1567) et de France (1559-1560). Fille de Marie
de GuiseGuise et de Jacques V d’Écosse. Tandis que sa mère exerçait la régence, elle fut fiancée
au dauphin et élevée en France, où elle reçut une éducation très soignée. Après un
règne très bref, la mort de son mari François II (1560) l’obligea à regagner l’Écosse.
La révolte presbytérienne et nobiliaire s’opposait à son catholicisme et à son désir
d’autorité. Elle épousa en 1565 Henry Stuart, lord Darnley, chef du parti catholique,
père du futur Jacques VI d’Écosse. En 1567, Darnley fut assassiné et Marie Stuart
se remaria avec Bothwell, l’un des principaux responsables de ce meurtre. Cette union
provoqua une révolte générale, et la reine, vaincue, fut contrainte d’abdiquer en
faveur de son fils Jacques VI (1567). Réfugiée en Angleterre (1586), elle se laissa
impliquer dans plusieurs complots contre Élisabeth, ce qui provoqua sa mise en jugement
(1586) et son exécution (1587). La fermeté et le courage dont elle fit preuve lors
de sa fin tragique, sa beauté, sa culture, sa vie romanesque inspirèrent de nombreux
écrivains.
- Marie Ire Stuart, Encyclopédie Larousse en ligne Paris, France, Éditions Larousse, Internet, 1 mai 2014. https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Marie_I_re_Stuart/131842.
- Marie Ire Stuart, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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Saint Denis (Basilique cathédrale)
"Construite sur la tombe de saint Denis, évêque missionnaire mort vers 250, l’abbaye
royale de Saint-Denis accueille dès la mort du roi Dagobert en 639 et jusqu’au XIXe
siècle,
les sépultures de 43 rois, 32 reines et 10 serviteurs de la monarchie. En 1966, la
basilique est élevée au rang de cathédrale."
- Basilique cathédrale de Saint-Denis, Internet, 15 novembre 2016. https://www.saint-denis-basilique.fr/.
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Notes
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