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Les Agréemens, Parties 7 et 8

AVIS
AUX
GENS A MARIER.
CONCLUSION
Des agréemens & des Chagrins
du Mariage.
Vignette, bouquet de tulipes et de roses.

A PARIS,
AU PALAIS,
Chez la Veuve de GABRIEL QUINET
dans la Grand'-Salle proche la Chapelle,
vis-à-vis les Requettes de l'Hôtel,
à l'Ange Gabriel.
ET
Chez CHARLES OSMONT du côté de la
Cour des Aydes, à l'Ecu de France
.
Filet.
M. DC. XCVII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

AUX JEUNES GENS A MARIER.

MESSIEURS,

COMME J'ay offert aux Femmes le premier Tôme des Agréemens & des Cha grins du Mariage ; aux Maris le Second, & aux Filles le Troisiéme, je ne puis me dispenser de vous presenter le Quatriéme, puis que vous n’y êtes pas moins interessez qu’eux. Si vous êtes sages & prudens, vous ferez des reflexions tres-serieuses sur ce que vous y trouverez, parce que vôtre honneur & le repos de vôtre vie en dependent : vous verrez dans l’Histoire d’Antigame, la difficulté de trouver à Paris, tout grand qu’il est, une femme raisonnable & telle qu’elle doit être; & dans celle de Philogame le malheureux changement que produit le Mariage dans les cœurs les plus tendres & les plus passionnez ; aprés quoi vous vous determinerez à prendre la condition qui vous sera la plus avantageuse & que vous souhaite,
MESSIEURS, VOSTRE tres-humble & tres obeissant serviteur. J.D.D.C.

Bandeau fleuri. PHILOGAME ET ANTIGAME, OU LES AGRÉEMENS ET LES CHAGRINS DU MARIAGE. Septiéme Partie.

Antigame après avoir inutilement tenté tou 2 tes sortes de moyens pour obliger Lesbie à sortir du Couvent où elle étoit entrée, & perdant l’esperance d’y pouvoir reüssir, se retira dans une maison de Campagne qu’il a prés la Ville de Baugency, où il avoit resolu de rester, si un de ses Parens n’étoit venu lui donner avis que ses Creanciers vouloient faire vendre ses biens. Cela obligea Antigame 3 à s’en retourner avec son ami à Paris, où quelques messures qu’ils pûrent prendre, ils ne trouverent point de plus seur expedient pour détourner cet orage, que celui de faire promettre par Antigame à ses creanciers de se marier le plustost qu’il pouroit, & de les payer des deniers qu’il toucheroit de la femme qu’il épouseroit. Pour leur tenir parole 4 il prit le party de voir à Paris des Filles de toutes sortes de manieres & de conditions ; mais auparavant que de rien conclure, il voulut parler à Philogame, sçavoir de luy comment il se trouvoit du mariage, & prendre son party là‑dessus.
Lors qu’il lui rendit visite, il le trouva dans son logis si triste & si Abatu qu’il lui fit pitié. 5 Fraudelise sa femme étoit avec lui, mais si changée qu’il eût de la peine à la reconnoître ; car au lieu de cette aimable langueur & de ces agreémens qui paroissoient autrefois sur son visage, il n’y vit plus qu’un air chagrin & bouru, qu’un teint pâle & livide, & que des yeux enfoncez & noyez de chagrin & de tristesse.
Comment vous trou 6 vez-vous du mariage ? leur dit Antigame, (en souriant & aprés les avoir salués.) Ah que j’ay souvent pensé à vous, repartit Philogame en soûpirant, & que j’ay réflechy sur ce que je vous avois ouy dire contre cette malheureuse condition ! Vous aviez raison, Antigame, continua Fraudelise d’un ton malicieux & piquant, quand vous soûteniez 7 qu’il y avoit plus de chagrins & plus de peines dans le mariage que d’agréemens & de plaisirs ; oüy je soûtiens que le Convent le plus austere est beaucoup moins fâcheux pour une fille que le meilleur mariage du monde ; & je ne puis pardonner à mes parens de m’avoir empêchée d’être Religieuse. C’est une étrange chose que le cœur de l’hom 8 me, & si les filles en connoissoient comme moy les inégalitez & les déreglemens, elles auroient un grand mépris pour eux, les regarderoient tous comme leurs plus dangereux & plus cruels ennemis, & fuiroient toutes sortes d’engagemens avec eux. Philogame voyant que Fraudelise parloit d’un air emporté & bilieux, changea adroitement de 9 discours, pour éviter les suites d’une conversation qui ne pouvoit être que desagreable & fâcheuse; & il emmena peu de temps aprés Antigame dans son cabinet, feignant d’avoir à luy parler d’affaires de consequence. Lorsqu’ils y furent seuls & en liberté, Philogame interrogea Antigame sur plusieurs sujets, luy demanda où il avoit été si long-temps, ce qu’il avoit 10 fait, & les raisons de son éloignement de Paris. Antigame lui rendit un compte fidéle de tout ce qu’il voulut sçavoir; il lui dit que comme pour le bien de ses affaires il falloit qu’il pensât à se marier, il avoit voulu sçavoir auparavant comment il se trouvoit du mariage, & s’il lui conseilloit de s’y engager : & il finit en lui avouant qu’il étoit vray qu’il de 11 voit avoir quelque connoissance sur cette matiere, puisqu’il avoit été marié lui-même ; mais que comme il étoit alors fort jeune, il n’étoit pas capable de juger bien solidement d’une affaire aussi serieuse & d’une aussi grande consequence que celle du mariage. Philogame surpris qu’- Antigame eût sitôt changé de sentiment, lui repartit qu’il étoit trop de 12 ses amis pour lui rien cacher de ce qu’il lui demandoit ; mais qu’auparavant il le prioit de lui faire un recit exact & fidele de tout ce qui lui étoit arrivé depuis qu’il ne l’avoit veu ; ce que Antigame fit en ces termes.
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HISTOIRE D’ANTIGAME.

APrès que Lesbie se fut retirée dans un Convent, & qu’elle nous eust écrit à Cleante & à moy les deux lettres que vous sçavez ; je tentay toutes sortes de moyens pour la voir & pour lui faire perdre la resolution 14 qu’elle avoit prise d’être Religieuse : je lui écrivois tous les jours de la maniere la plus tendre & la plus passionée que je pouvois imaginer ; elle ne voulut jamais voir mes lettres & me les renvoya cachetées : je me presentay souvent au parloir ; mais il me fut impossible de pouvoir obtenir d’elle un moment de conversation : enfin desesperé je pris la reso 14 lution d’hasarder le tout pour le tout, & d’entrer dans ce Convent à quelque prix que ce fût, afin de pouvoir parler à Lesbie, & de décharger mon cœur de tous les sentimens que sa retraite y avoit fait naître. L’entrée de cette maison étoit comme inaccessible, & les moyens de pouvoir parler à Lesbie me paroissoient impraticables. Aprés avoir ima 16 giné mille & mille expedients fort éloignez du bon sens & de la vraysemblance, comme un soir je me promenois autour du clos de ce Convent & que je révois à la maniere d’y pouvoir entrer, j’en vis sortir un Jardinier : il me parut d’abord que son visage ne m’étoit pas inconnu; & à force de reflexions, je me souvins de l’avoir eu pour soldat dans la 17 Compagnie que vous sçavez que j’avois il y a quelques années. Je renouvellai connoissance avec luy ; je luy découvris mes intentions, & je l’engageai sous l’espoir d’une recompence à me servir dans cette occasion. C’étoit un gaillard qui en sçavoit long ; il étoit jardinier de ce Convent, & nous convinmes bientost de nos faits.
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Le lendemain j’allay le trouver de grand matin dans sa maison. La premiere chose qu’il fit, fut de me deshabiller de pied en cap, de me mettre un de ses habits, & de me charger d’un bissac plein de vivres & d’une calebace pleine de vin. En cet équipage je m’en allai avec lui au Convent ; l’on ne fit point de difficulté de nous ouvrir les portes 19 & de nous laisser entrer dans le Jardin. Mon Maître Jardinier commencea par me donner un râteau & par m’employer à nettoyer les allées où les Religieuses avoient coûtume de se promener : aprés avoir attendu quelque temps, & en avoir vû passer plusieurs, je vis enfin Lesbie. Mon cher Philogame, que ne se passa-t-il point dans le 20 fond de mon cœur ? une sueur froide se répandit dans toutes les parties de mon corps; je fremis, je tremblai de la resolution que j’avois prise & que j’allois executer ; vingt fois il me vint dans la pensée de me retirer sans me faire connoître à Lesbie; & j’étois sur le point de l’executer lorsque jettant les yeux sur elle, j’y vis quelque chose de si lan 21 guissant & de si doux que je repris ma premiere resolution, & que je me determinai à luy parler. Ce voile de Religieuse & cet abatement que la retraite & la penitence avoient imprimé sur son visage, luy donnoient un air de langueur si penetré de douleur & si touchant en même temps, qu’il étoit impossible de la voir en cet état sans émotion & sans ten 22 dresse. Aprés l’avoir observée quelque temps, je vis qu’elle poussoit de grands soûpirs, & qu’elle levoit les yeux au Ciel ; aussi-tost j’allai me jetter à ses pieds, & je lui dis : N’attendez pas, ingrate, que le Ciel soit sensible aux soûpirs d’un cœur infidele & parjure; Ouy, perfide, continuai-je, il n’est plus en vostre pouvoir de disposer de vostre 23 personne & de vostre cœur. Hé pourquoy me les avoir donnés aux pieds des Autels avec vostre main & vostre foy ? dénaturée, étoit-ce pour me les enlever ainsi, que ne m’arrachiez-vous en même temps la vie ? Juste ciel ! reprit Lesbie, en reculant deux pas ; est-ce vous, Antigame, est-ce vous qui êtes dans cet equipage ? A 24 quoy, grand Dieu, vous exposez-vous ? à quoy m’exposez-vous ? Quel ménagement, repartis-je; voulez-vous que j’aye, moi qui ne cherche qu’à mourir ; & vous que pouvez-vous craindre, puisque vous êtes avec vostre Epoux ? Ah quel indigne & quel malheureux mariage, répondit Lesbie, & qu’il me coûtera de penitence & de larmes ! 25 Quoy, des promessses, repris-je, signées de nostre sang ; des sermens reciproques reïterez dans les lieux les plus saints; & ces droits, ces seuls droits reservez aux maris, & dont vous m’avez laissé joüir si long-temps, ne sont -ce pas des actes suffisans pour établir ma qualité & les droits que j’ay sur vostre personne ? Vous n’en avez aucuns, 26 répondit Lesbie ; ces sortes de droits ne sont établis & ne subsistent qu’autant qu’ils sont soûtenus par les loix : vous n’avez jamais voulu en subir le joug, quoique je vous en aie prié mille & mille fois ; vous avez refusé le ministere des Notaires & du Curé ; & par là, vous m’avez conservé ma liberté, dont j’ai pû disposer comme j’ai fait : mais croyez-moi, 27 Antigame, continua-t‑elle, la perte que vous faites par ma retraite en cette solitude n’est pas de si grande consequence pour vous, que vous pouvez vous imaginer; tost ou tard vous vous seriez detaché de moy, n’en doutez point ; peut‑estre par un dépit ou par un dégout, & peut-estre par une jalousie ou par quelque autre engagement : mais suposé que 28 cela ne fût point arrivé, il faut convenir que nos plus beaux jours sont passez, ou peu s’en faut : quoy encore dix, vingt ans, si vous voulez, ce temps fini, que nous restera-t-il? ce qu’il nous reste de celui dont nous avons fait un si mêchant usage ; un regret éternel de l’avoir si mal emploié. Profitons donc, mon cher Antigame, de ce temps 29 à venir, qu’il nous serve à regagner celui que nous avons si malheureusement perdu, & pour y travailler permettez‑moi, ajouta-t-elle, de vous dire adieu ; Adieu, & pour toûjours adieu, acheva-t-elle en me quittant, & en se retirant avec tant de precipitation, qu’il me fût impossible de la suivre. Dans ce moment mon Jardinier vint m’avertir qu’il 30 falloit sortir de ce Jardin sans perdre temps, de crainte qu’il ne nous y survînt quelque affaire, plusieurs Religieuses m’aiant vû aux pieds de Lesbie pendant la conversation que j’avois euë avec elle; ce que nous fimes, & aprés avoir été reprendre mes habits, je me retirai l’esprit uniquement occupé de ce qui venoit de m’arriver.
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Enfin la maniere avec laquelle Lesbie avoit quitté le monde ; la vie austere qu’elle ménoit dans ce Convent, & que j’aprenois tous les jours; son visage abbatu & mortifié, que mon imagination se representoit à tout moment, & les dernieres paroles que Lesbie m’avoit dites en me quittant, firent un effet si prompt & si surprenant 32 sur mon esprit, que je devins insensible à tous les plaisirs de la vie, & que je ne regardai plus toutes les choses du monde qu’avec mépris & comme une pure vanité ; si bien que rebutté des douceurs de la societé & du séjour de Paris, & privé de l’esperance de pouvoir jamais parler à Lesbie, je pris la resolution de me retirer avec un seul valet, 33 qui me sert depuis long-temps. Je choisis pour cet effet une maison de campagne que j’ai prés d’une Abbaye de l’Ordre de Cisteaux, à quatre lieues de Baugency, apellée Hautinville ; je m’y rendis peu de jours après : mon plaisir dans ce lieu solitaire, étoit de me promener dans la forest qui environne cette Abbaye, & de m’entrete 34 nir souvent avec le Pere Larcher Abbé de ce Convent, de tout ce qui m’étoit arrivé & de la vanité des choses du siecle : ah l’excellent homme sur cette matiere ! je voiois encore souvent le Pere Texier Procureur de ce même Convent, le meilleur homme du monde, & les plus affable pourveu qu’il n’y allât pas du temporel de l’Abbaye. Ouy, je vous avoüe, 35 mon cher Philogame, que j’ai gouté dans cette solitude des douceurs qui m’avoient été inconnuës jusqu’alors, & que je ne l’ai abandonnée qu’avec regret, & par des raisons que je vais vous dire.
Un de mes Parens vint me trouver dans ce lieu là, pour me donner avis que mes creanciers alloient faire vendre mes biens, & que 36 je devois revenir promptement à Paris pour y mettre ordre : je voulus au commencement me dispenser de quitter ce séjour qui me paroissoit si doux & si agreable ; mais quoique j’eusse deux fois autant de bien qu’il en falloit pour m’acquiter, mon parent me fit comprendre que si j’en souffrois la saisie réelle, les frais de justice en consommeroient 37 le prix par la tromperie & par l’artifice des Procureurs, qui n’agissoient dans ces sortes d’affaires avec d’autres veües que celles de ruïner leurs parties en procedures & en chicanes ; qu’il ne me resteroit pas un sol pour vivre, que les personnes qui m’avoient presté leur argent de si bonne foy, ne seroient pas payées ; qu’il y avoit de la foiblesse dans mes 38 manieres & dans ma conduite ; qu’un des principaux points de la Religion consistoit à ne pas retenir le bien d’autrui, & à payer ses dettes, ou à faire ses derniers efforts pour y parvenir ; & que cette regle étoit si constante que dans les Convents bien reglez l’on ne recevoit point de Religieux, qu’il n’eust payé ce qu’il devoit, de peur que ces Maisons 39 ne devinssent des retraites de faineans & des aziles contre les poursuites de leurs creanciers. Ces raisons m’obligerent de revenir à Paris afin de mettre ordre à mes affaires, & de pouvoir payer mes Creanciers ; mais il m’a été impossible d’y trouver de l’argent à emprunter, ni de pouvoir y vendre une partie de mes biens, tant l’argent y 40 est rare. Enfin aprés avoir veu inutilement tous les Notaires de Paris ; mes Creanciers & mes amis n’ont point trouvé d’autre moyen pour me tirer d’affaires que de me marier & d’employer les deniers de la dot à payer mes dettes. Il suffit, mon cher Philogame, continua Antigame, que vous sçachiez l’aversion, pour ne pas dire l’antipathie que j’ay pour le 41 mariage pour juger combien j’ay senti d’opposition & de repugnance à écouter cette proposition : cependant l’on me fit si bien connoître qu’il falloit estre reduit à la derniere necessité, & voir perdre à mes Creanciers les sommes d’argent qu’ils m’avoient prêtées si honnestement, ou m’engager dans le mariage, qu’enfin je m’y determinay.
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Paris est bien grand, & il y a bien des filles à marier ; cependant si l’on veut examiner les choses de bien prés, il est tres difficile de n’y estre pas trompé : j’en ay veu de toutes les façons & de toutes les conditions ; je ne scay à quoy me déterminer depuis le temps que je suis arrivé, & je n’ay point voulu prendre de resolution là-dessus qu’auparavant je ne 43 sçeusse vostre sentiment.
La premiere personne que j’ay veuë est la fille d’un Conseiller ; sa mere est morte, & elle a la conduite de la maison de son pere : elle est grande & bien-faite, elle a de l’esprit, un peu trop d’entestement sur sa condition, & sur le credit de sa famille parmy les gens de Robe1 ; & quoique sa grande jeunesse soit pas 44 sée, elle ne laisse pas d’avoir de l’agréement & de plaire. L’on m’avoit dit que son pere lui donnoit cent-mille-livres en mariage, le tiers en argent, l’autre tiers en meubles, & l’autre en heritages : quand j’ay voulu conclure & voir les choses à fonds, j’ay apris que l’argent étoit aux Consignations, & qu’auparavant que de le toucher il falloit faire juger un 45 procés qui dure depuis plus de vingt ans; que les meubles étoient fort anciens, que c’étoit ceux qui avoient été trouvez aprés le deceds de sa grand‑mere, & qu’ils consistoient en Turquoises de la vieille roche, en Saphirs, en Opales, en Statues, en bustes, en Miroirs, en Tableaux d’Italie, en Tapis de Turquie, en Cabinets de la Chine, en vieilles 46 Tapisseries & en d’autres semblables choses, que l’on vouloit faire prendre suivant l’estimation qui en avoit été faite aprés la mort de cette grand’-mere ; j’appris aussi que les heritages étoient scituez en Brie, que les bastimens étoient en ruine, qu’il n’y avoit point de Bestiaux pour faire valoir les terres & que le fermier étoit un malheu 47 reux qui devoit plus de dix années du prix de sa ferme.
Comme j’ay vu que ce party là n’accommodoit pas mes affaires, j’ay pensé à un autre; c’est à la fille d’un Avocat riche & bien employé au Palais ; elle ne m’a jamais plû, elle a l’air rude & le teint jaune comme de la cire : mais en l’état où sont mes affaires il faut renoncer à la deli 48 catesse & penser au bien; d’ailleurs je m’étois flaté que l’habileté de mon pretendu Beau-pere me sortiroit aisément d’affaires : mais les choses ont tourné tout autrement que je n’avois pensé ; car cet Avocat n’eut pas plûtost apris le commerce que j’avois eu avec Lesbie, & que j’avois des Creanciers, qu’il me donna mon congé.
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J’ay recherché depuis la fille d’un Marchand Drapier ; le peu de credit de cet homme & le bruit qui couroit qu’il alloit manquer, m’ont fait lâcher prise. Ensuite la fille unique d’un gros Marchand de Vin ; mais la meilleure partie de sa Marchandise qui s’est tarée à cause des chaleurs, & un grand nombre de lettres de change qu’il a laissé protester, 50 m’ont bientost dégouté de cette fille.
Enfin par la necessité de mes affaires & par le conseil de mes amis, j’ay veu des filles d’Artisans des mêtiers les plus bas & les plus mecaniques, dans la pensée de trouver du bien dans leur alliance ; mais rebuté par les vilaines manieres de ces gens là, & par les méchantes éducations de leur filles, je les ay 51 abandonnées, & je me suis adressé à une certaine Normande, dont le mêtier est de faire des mariages. La premiere fois que je vis cette femme, elle debuta par me faire entrer dans un Cabinet qu’elle a magnifiquement meublé ; & prenant un gros livre relié, en me regardant fixement, elle me dit, le droit d’avis ; je ne l’entendois pas, ce qui l’o 52 bligea de me dire que ceux qui m’avoient envoié chez elle étoient des mal-avisez de ne m’avoir pas appris qu’il faloit commencer par lui donner un Louis d’or2 pour le premier avis. Elle ne l’eût pas sitost receû qu’elle me demanda en ouvrant le livre, qu’elle somme je voulois que la fille eût en mariage ? Cent mille livres ou environ, luy 53 repartis-je ; aussitost elle ferma son livre en me disant brusquement qu’elle ne se mesloit point de ces petites affaires ; pour qui je la prenois ; & que je pouvois aller chercher de ces femmes qui font prester sur gages, & qui font ces sortes de mariages. Se radoucissant neanmoins un moment aprés, elle me dit que ma Phisionomie luy re 54 venoit, & qu’elle vouloit faire pour moy ce qu’elle ne feroit pas pour tout autre. Ensuite elle commençea par me faire une exhortation qui tendoit à m’inspirer qu’en se mariant il ne falloit pas rechercher la vie qu’avoit mené la fille que l’on vouloit épouser, que ce n’estoit point la mode, & que les gens de la premiere qualité en usoient ainsi, 55 parce que ce qui s’est passé avant nostre bail, ne doit estre compté pour rien à nostre égard.
La premiere fille qu’ elle m’indiqua, fut la fille d’un Banquier de la ruë Quinquempois. Je n’ay jamais veu tant de vanité & tant d’ambition qu’en avoit cette petite creature ; tout son entretien ne rouloit que sur la magnificence des habits 56 & des dentelles, & sur la beauté & le prix des pierreries des nouvelles mariées ; celle-cy avoit des habits tout dorés & des dentelles tres fines & d’un grand prix ; celle‑là un collier de deux mille-écus, & cette autre une croix & des brillans de mills pistoles. L’on voioit dans ses yeux quand elle parloit ainsi, l’envie qu’elle avoit d’en avoir de semblables : 57 tous ces discours ne tendoient qu’à m’engager à luy faire des presens de noces, aussi riches & aussi beaux; & pour me l’inspirer plus adroitement elle me disoit que les femmes dont elle me parloit n’avoient pas eu quatre-vingt mille livres de bien ; ce qui étoit une somme moindre que celle que son pere luy promettoit en mariage. Ces ma 58 nieres me convenoient peu ; ce qui acheva de m’en dégoûter, fut que Duchesne qui me servoit dans ma solitude d’Autinville, & que j’ay gardé depuis, à cause de l’attachement qu’il a pour moy, m’aprit qu’- elle voloit la Caisse de son pere pour aller jouër toutes les nuits ; & comme elle n’avoit plus sa mere, & qu’elle ne pouvoit sorter de sa 59 chambre sans passer dans celle du bon-homme qui l’observoit de prés, elle prenoit le temps pendant qu’il étoit couché pour le tromper, sous l’habit d’un Laquais, & s’échaper ainsi. Aprés cette fille j’en ay veu encore plusieurs autres qui m’ont été indiquées par cette Normande au gros livre : ce qui est fort plaisant, c’est qu’aussi-tost que je com 60 mençois à voir une fille, Duchesne commençoit aussi de son costé secretement l’information de ses vie & mœurs , l’observoit de fort prés, & me raportoit tres‑soigneusement ce qu’il en avoit apris : l’une étoit dans un commerce de débauche avec un Abbé, l’autre avec un Maltotier3, l’autre avec un Officier, & l’autre étoit grosse d’un second 61 enfant ; & voilà les filles que l’on vouloit me faire donner pour femme, & qui étoient écrites dans le gros livre.
J’en ay recherché encore plusieurs autres, avec qui il m’est arrivé des avantures si singulieres & si plaisantes que je ne puis me dispenser de vous en divertir.
La première est la petite fille d’un Marchand de Vin, c’est une 62 grosse gaguye, sans soin, qui ne demande qu’à rire, ( qu’en penses-tu ? disois-je un jour à Duchesne ) Si vous l’épousez, Monsieur, re parti-t-il en riant, vous n’avez qu’à faire bonne provision de Vin, car il luy en faut & du meilleur : en suite il me fit entendre qu’elle avoit été elevée chez sa grand’-mere qui avoit été fameuse Cabaretiere, où elle avoit 63 pris cette inclination, & que les frequentes migraines dont elle se plaignoit tous les jours venoient des vapeurs du Vin qu’elle beuvoit la nuit : & comme je traitois de médisances ce qu’il me disoit, il m’assura qu’il me convaincroit de ce qu’il avoit avancé, & qu’il me feroit boire des razades avec elle si je voulois. J’avois trop d’interest à cet 64 éclaircissement pour y manquer ; à une heure aprés minuit il me conduisit à la porte de la maison de la grand’- mere de cette fille : au premier coup de marteau, une jeune servante qui me parut fort éveillée & qui ne regardoit pas indifferemment Duchesne, ouvrit la porte ; nous montâmes ensemble à un troisieme étage où je trou 65 vay ma maîtresse assise dans un grand Fauteüil, les coudes sur la table, les yeux & le visage rouge comme du feu, tenant un grand verre de vin & fredonnant une chanson Bachique; à quoy trois commeres mal-mises, de méchant air, d’un visage rubicond, & dont les yeux distiloient le vin qu’elles beuvoient, répondoient avec leurs verres aussi 66 pleins de vin : leur table n’étoit point garnie de Patisserie, de confitures, ni de fruits comme celle des autres femmes ; elle n’étoit couverte que de Jambons de Mayence, de Saucissons de Boulogne4, Fromages d’Auvergne, & de Brie, bien affinez. J’apprehendois dedonner de la confusion à cette fille, mais elle avoit bû toute honte : car 67 sans se démonter & sans sortir de sa place, elle me presenta un grand verre, & quoy qu’il y eût tout autour les impressions de plusieurs bouches, elle ne laissa pas sans le faire laver de le remplir de vin, & de me presser de boire : je le bûs, & aussi-tost, elle & ses commeres commencerent à saluer mes inclinations, & à me porter des san 68 tez5, ausquelles il falut malgré moy faire raison. De ma vie je n’ay ouy dire tant de sottises & de gueullées qu’elles en debiterent au sujet de nostre pretendu mariage: & sans un expedient que me fournit Duchesne pour me tirer de cette compagnie, où il voioit que je m’ennuiois cruellement, je cois que j’y serois mort. C’est la derniere fois 69 que j’ay vu cette fille, & il faudroit que le hasard s’en meslât pour que nous nous rencontrassions jamais ensemble.
Si cette fille que je quittay ainsi, aime le vin & la goinfrerie, celle que je vis aprés n’aime que l’eau, les tisanes & les remedes : elle a un feu dans la poitrine que des seaux d’eau ne peuvent étein 70 dre, il ne se passe point de jour qu’elle ne prenne des remedes; & ce qui me déplaît d’avantage, c’est qu’elle ne rend pas l’air avec la même pureté & la même douceur qu’elle le reçoit.
J’en vis une autre qui se croit le plus bel esprit du monde ; elle emploie le jour & la nuit à la lecture des Romans & des Comedies, & son plus grand plaisir est de 71 declamer les actes entiers les plus tendres qu’elle y peut trouver, & d’y pleurer comme une folle. La plus forte raison qui m’obligea à la quitter, est que dans certain temps de la Lune, elle a des intervalles si extraordinaires qu’elle s’imagine estre l’Heroïne de ces Romans ou de ces Comedies.
Je m’attachay ensuite à une fausse devote qui 72 est fille d’un Procureur ; elle est vêtue d’une maniere singuliere, extraordinaire, & tournée à faire penser qu’elle est détachée de toutes les vanitez du monde ; elle parle si bien de la pieté & de la devotion que vous la prendriez pour une sainte : cependant elle n’est rien moins que ce qu’elle paroist ; car au fond du cœur elle crêve d’ambition & de 73 & son plus grand plaisir est de médire des plus honnestes gens. Duchesne m’aprit qu’elle entretenoit des commerces secrets avec des faux devots & avec des gens fort éloignez des sentimens de pieté qu’ils feignent d’avoir ; & ce que j’ay trouvé de plus desagreable & de plus dangereux à épouser cette fille, est que sa passion dominante est de pren 74 dre & de voler tout ce qu’elle peut : quand elle va au Palais, elle n’en revient gueres sans avoir escamoté une piece de ruban, des gands, un évantail , ou quelqu’autre chose semblable, & quoi qu’elle ait été surprise plusieurs fois dans ces sortes de vols, elle ne se corrige point ; & la raison qu’- en donne une vieille nourrice qu’elle a chez 75 elle, & qui l’a élevée , c’est que cette inclination lui vient de ce que sa mere étant grosse d’elle, elle ne pouvoit manger que de ce qu’elle voloit.
S’il y a du danger à épouser une fille de ce caractere, il y en a bien plus à épouser la fille que je recherchay ensuite, à cause de la violence de ses passions & de son mêchant naturel : il n’y avoit pas long-temps 76 que sa mere étoit morte, & elle est sous la conduite d’un pere qui est fort riche & le plus grand usurier de Paris : elle a de l’esprit, les manieres engageantes, & à ne point mentir, elle m’avoit touché ; ce qui m’obligea à estre plus galand & plus passionné auprés d’elle qu’- auprés des autres. Elle de son costé m’aimoit tres violemment comme 77 vous allez voir. Dans le temps que nous vivions avec beaucoup d’union & de tendresse, & que nous attendions avec impatience la conclusion de nostre mariage, son pere vint à sçavoir la vie que j’avois menée avec Lesbie, & que j’avois nombre de creanciers qui me pressoient pour les payer ; ce qui fit qu’il ordonna à sa fille de rompre tout commerce avec 78 moy : cependant ces deffences ne firent que nous donner plus d’empressement l’un pour l’autre, & nous exciter à chercher des moyens de nous voir plus souvent. Ce pere étoit si bien servy par ses espions qu’il sçavoit tous nos rendez‑vous; il en grondoit & queréloit sa fille, mais ny ses ménaces ny ses mauvais traitemens ne produisirent aucun effet, 79 & n’interrompoient pas nos frequentes conversations ; si-bien qu’il se détermina à faire enfermer sa fille dans un Convent. Elle en fut avertie & prit la resolution de se meiux ménager avec lui pendant certain temps, & de l’empoisonner. Pendant nos rendez-vous secrets Duchesne étoit entré dans nôtre confidence par la necessité que nous 80 avions de la ménager: cette fille qui luy avoit fait plusieurs presens & même des honestetez & des caresses ausquelles il avoit répondu en lui témoignant beaucoup de zele & d’affection pour ses interests, crut qu’elle pouvoit se servir de lui plus sûrement que de tout autre pour l’execution de ses desseins; elle lui découvrit donc ses intentions; & pour le mieux 81 engager, elle lui promit de lui donner tout ce qu’il lui demanderoit, pourveu qu’il voulût lui acheter du poison. Duchesne me raporta la proposition que cette fille luy avoit faite. Une conduite si dénaturée & si cruelle me donna tant de mépris & d’horreur pour elle, que je me déterminay à ne la plus voir; ce que je fis aprés m’en estre expliqué avec 82 Duchesne, aprés luy avoir ordonné de se donner bien garde de faire ce que cette fille desiroit de luy. Ce qui est de fort plaisant est que Duchesne ne quitta point prise comme moy; il continua à voir cette fille, il luy promit de luy apporter ce qu’elle demandoit, pourvû que de sa part elle voulût luy accorder ce qu’il desiroit d’elle, l’assurant 83 qu’il seroit discret & fidele. Enfin la fille aprés s’estre tres long‑temps deffenduë se rendit à ses empressemens ; luy de son costé luy donna une certaine doze de poudre qui pouvoit tout au plus servir à purger, & luy dit d’en mettre dans le boüillon de son pere, & qu’elle en verroit les suites. Elle executa ce que Duchesne luy avoit dit ; la poudre ne 84 faisoit point l’effet que cette fille attendoit avec impatience ; elle s’en plaignit à Duchesne qui s’en excusa sur la bonté du temperament du pere, & qui lui promit d’augmenter la doze, en lui disant qu’il ne falloit point aller si viste, & qu’il valloit mieux laisser agir le poison lentement, de peur que la mort prompte & violente de son pere ne fist 85 de l’éclat dans le monde & ne vînt aux oreilles des Officiers de Justice ; & ce qui est de plus divertissant, est que Duchesne toutes les fois qu’il aportoit de cette poudre, se faisoit payer par la fille de la même monnoye qu’elle l’avoit fait dés le commencement : foit qu’elle prît plaisir dans ce payement, ou que la nature se fût attendrie dans son 86 cœur, elle ne se plaignoit plus à Duchesne de la lenteur du poison, & fit durer ce commerce jusques à ce que son pere, irrité de sa conduite & des visites de Duchesne, la fit enfermer dans un Convent.
Bandeau.

PHILOGAME ET ANTIGAME, OU LES AGRÉEMENS ET LES CHAGRINS DU MARIAGE. Huitieme & derniere Partie.

J’Avois résolu , continua Antigame, de vous taire les autres avantures 88 qui me sont survenuës au sujet des filles que j’ai veuës dans la pensée de me marier; mais j’en ay eu une trop singuliere & trop divertissante avec une tres-jolie fille pour ne vous en pas donner le plaisir. Ah l’aimable enfant ! si au fond elle étoit ce qu’elle paroît : son pere est Financier, il est separé d’habitation d’avec sa femme, il passe dans le monde pour 89 être fort riche ; sa fille est jeûne, elle a la taille belle & bien faite, les yeux bleus, la bouche petite, le teint vif & brillant, l’air doux & agreable & de certaines manieres ingenuës & enfantines qui touchent & qui la font prendre pour une novice dans le monde ; elle a la voix douce, agreable, & chante fort joliment. Aprés lui avoir rendu plusieurs visites 90 & observé qu’elles ne déplaisoient pas à son pere, comme un jour j’appris que l’un & l’autre étoient dans leur maison de Campagne, auprés de Paris, j’allay les voir : le pere m’obligea d’y rester quelque temps, ce qui me donna occasion de voir souvent sa fille. Une fois étant teste à teste avec elle dans sa chambre, & lui disant que je l’aimois 91 tendrement, elle me repartit avec un air ingenu & innocent qu’elle me prioit de luy dire sincerement, si cela me donnoit du plaisir, ou me faisoit de la peine ; que si c’étoit du plaisir, que je lui apprisse à aimer & qu’elle m’en auroit obligation ; & que si au contraire cela faisoit de la peine, elle n’en vouloit jamais rien sçavoir : ensuite elle me 92 pressoit par des manieres enfantines de luy aprendre comment cela se faisoit. Je vous assure qu’- elle m’embrassa pour lors plus que n’auroit fait une personne plus spirituelle; quand je la regardois quelque fois fixement & entre deux yeux, elle me regardoit de même, & comme s’il y eût eu de son honneur à me faire baisser la veûe. Un jour que je 93 tenois une de ses mains, en la serrant, & en la baisant, elle me demanda, quel plaisir je prenois à baiser ainsi sa main ; je lui repartis en riant, qu’il étoit grand: aussi-tost elle la dégagea & prit une des miennes qu’elle baisa plusieurs fois comme j’avois fait la sienne : & peu de temps aprés, quittant brusquement ma main, & la repoussant, elle me 94 dit toute en colere & en grondant, que j’étois un malicieux, que je me moquois d’elle, que je n’avois point de plaisir à luy serrer & à lui baiser ainsi la main, & que ce que j’en faisois n’étoit que pour luy faire du mal. Elle m’avoit fait cent autres ingenuïtez semblables que je raportay à Duchesne, qui me dit malicieusement que les 95 filles de son âge n’étoient point si sottes, qu’il y avoit quelque chose de caché la dessus, dont il s’instruiroit dans la suite, & qu’il me l’apprendroit. Comme j’aimois cette fille, & que j’étois prevenu en sa faveur, je traittai cette fois Duchesne de visionnaire & de méchant : il crût qu’il y alloit de son honneur de justifier ce qu’il avoit 96 avancé, & pour cet effet il se mit à examiner de prés les démarches & la conduite de cette fille; il vint à s’appercevoir qu’elle avoit souvent des tête-à-têtes avec le Commis de son pere, & un jour les observant sans estre veu, il remarqua qu’elle lui lisoit un billet en riant, & qu’elle le mit ensuite dans sa poche, d’où pendoient les coins d’un 97 mouchoir ; il jugea que ce billet pouvoit contenir quelque mystere, qu’en tirant adroitement ce mouchoir de cette poche, l’on feroit tomber aisément ce billet, & qu’en-suite il seroit facile de l’avoir. Il alla donc se placer dans un corridor par où il sçavoit que cette Demoiselle devoit passer, & lorsqu’il fut prés d’elle il prit son temps 98 pour tirer son mouchoir & faire tomber le billet comme il l’avoit projetté: mais au lieu d’un il en fit tomber deux, qu’il leva de terre , & qu’il alla lire aprés que cette fille fut passée; il trouva que c’étoient deux chansons l’une qu’elle avoit écrite de sa main & qui étoit conceuë en ces termes.
99
S’Il sort un feu de mes yeux,
Plus brûlant que la friture ;
Je porte dans d’autres lieux,
Ture-lure7,
De l’onguent pour la brûlure.
Robin ture-lure.
Et l’autre que le Commis avoit écrit & qui portoit.
Je ne suis pas pour vous,
Nanette,
Vous aimez par trop à causer;
Quand trois fois la nuit j’ay parlé,
Adieu paniers, Vendanges sont faites.
100
Duchesne jugea par ces deux Chansons qu’il falloit que ces deux personnes fussent bien ensemble & qu’ils eussent quelque commerce amoureux : aprés les avoir examinés plusieurs journées sans rien découvrir, il se mit en teste de les observer pendant la nuit ; & pour cet effet il se placea dans un endroit caché, d’où il pouvoit voir tous ceux 101 qui entreroient dans la chambre de cette belle & qui en sortiroient. Il remarqua qu’un soir en s’allant coucher, elle avoit ouvert la fenestre de sa chambre, quoique la saison ne le permît pas ; ce qui augmenta ses soupçons, & l’engagea à veiller toute la nuit pour observer quelle avoit été son intention, & ce qui se passeroit dans cette chambre; 102 si bien qu’aprés avoir attendu quelque temps, il vît venir le Commis, qui prenant une eschelle de laquelle on se servoit à monder les arbres du Jardin, la posa contre cette fenestre ouverte, y monta, & entra ainsi dans cette chambre, où il resta jusqu’à ce que le jour commenceant à paroître, il en sortit avec le secours de l’échelle qu’il porta ensuite dans 103 le lieu où il l’avoit prise. Duchesne ravy de cette découverte, vint m’en avertir ; d’abord j’eus de la peine à le croire, mais comme il m’offrit de me faire voir tout ce qu’il m’avoit dit, & même de me faire entrer dans cette chambre, je n’en doutay plus, & j’acceptay le party, afin de convaincre mon infidelle, & de luy faire des reproches de ses bas & 104 lâches engagemens.
La nuit suivante, le Commis vint à la même heure & entra comme il avoit fait la nuit precedente : Duchesne attendit pour m’en avertir jusqu’à ce qu’il vît que le jour alloit paroître ; je m’habillay promptement, & suivis Duchesne, il me placea dans un endroit d’où je pouvois aisément voir ce petit homme sans estre 105 veu : à peine eus-je attendu quelque moment que je le vis sortir par la fenestre de cette chambre & descendre par cette échelle ; si j’eusse cru mon courage, j’aurois assommé ce coquin, mais la crainte que j’eus d’achever de gaster mes affaires qui n’étoient pas déjà en trop bon état, & l’envie que j’eus de découvrir à cette artificieuse que je sçavois 106 sa conduite, & d’apprendre quelles raisons elle pouvoit me donner, me firent prendre le party de le laisser aller. Aussi‑tost donc qu’il se fut retiré, je fis apporter par Duchesne l’échelle & montay dans la chambre, comme le Commis avoit fait : cette friponne étoit couchée dans son lit, & entendoit bien le bruit que je faisois ; mais elle ne pouvoit 107 s’imaginer dans cette obscurité qu’il y eût d’autre personne dans sa chambre que le Commis : elle croyoit qu’il y étoit remonté comme il étoit arrivé plusieurs fois lorsqu ’ il étoit plus matin qu’il n’avoit crû; si-bien qu’étant persuadé qu’elle luy parloit, elle commençea par dire qu’il avoit cette nuit par trop causé , & qu’il avoit 108 entierement consommé son onguent pour la brûlure. Je n’osois, comme vous croyez bien, parler, de crainte qu’elle ne reconnût que ce n’étoit point la voix du Commis, si – bien que sans dire mot, je m’aprochay de son lit & commencay à promener mes mains : elle me laissoit faire, mais reconnoissant à leur grosseur que ce n’étoient pas celles du 109 Commis, elle commençea à crier comme une folle; si bien que je fus obligé de me découvrir à elle, & de me faire connoître. Vous jugez bien de sa surprise & de son émotion aprés ce qui s’étoit passé entre nous : je commençay par luy dire , que je n’ignorois plus son commerce & toute sa conduite avec ce Commis, & que je la publi 110 erois, si elle n’en vouloit pas convenir ; que si au contraire elle me parloit de bonne foi, & m’avouoit tout ce qui s’étoit passé entr’eux, & de quelle maniere l’engagement qu’elle avoit pris pour lui, avoit commencé, je lui garderois le secret, & je l’aiderois de mes conseils, & de tout ce que je pourois. Elle se mit à pleurer, & ensuite essuiant ses yeux, 111 elle me dit qu’elle me croioit honneste homme, & qu’elle alloit me dire ingenûment la verité sans en obmettre aucune circonstance, ce qu’elle fit en ces termes.
Comme j’étois encore petite fille ( me dit‑elle ) ce Commis qui étoit alors Laquais dans la maison, avoit soin de me chauffer les matins ; toutes les fois qu’il le faisoit, il me baisoit les 112 pieds & me faisoit cent autres semblables badineries ; selon que j’étois de bonne ou de méchante humeur, j’en riois & je le laissois faire , ou je l’en empêchois. A mesure que je devenois plus grande, ses libertés augmentoient ; enfin comme il outroit les choses, je le traitay fort rudement: je le chassay de ma chambre & luy deffendis d’y mettre ja 113 mais les pieds. J’en eûs de la douleur peu de temps aprés, pour luy il en parut inconsolable ; & comme nous cherchions tous deux à nous racommoder , & que nous étions à la campagne, un jour je le vis de loing qu’il caressoit une fille & qu’il luy mettoit la main sur la gorge: cette veuë me donna une si grande jalousie & tant d’émo 114 tion que je ne puis vous l’expliquer, & pour faire cesser ces caresses qui me déplaisoient extrêmement, je me mis à crier Au Loup, Au Loup8 : cette fille s’enfuit au plus viste, & ce Commis vint à moy, & après cent caresses il…… & alors elle se teut. Il ( repris-je ) ……… & comme je voiois qu’elle ne vouloit pas achever, pour la rassurer davan 115 tage, je luy dis d’un ton railleur & goguenard, qu’elle ne devoit point s’effraier ; que de semblables avantures étoient arrivées à des filles d’autre qualité qu’elle, qui n’en avoient pas été mariées moins avantageusement, & n’en estoient pas moins considerées dans le monde ; que ce n’étoit pas à moy, après tout ce que j’avois veu, tout ce que je sçavois, 116 & la parole que je luy avois donnée de luy garder le secret ) qu’il falloit faire du mystere; & que tout au contraire pour s’assurer de ma discretion, elle devoit m’avouer jusqu’aux moindres particuliarités. Elle me repartit, qu’elle ne s’étoit point teû dans la pensée de me rien cacher , & que seulement , par pudeur & par honte elle n’a 117 voit pas eu la force d’achever ; mais qu’une Chanson qu’elle avoit faite sur ce sujet & qu’elle alloit me dire, m’en apprendroit assez. Ensuite cette petite folle commença à me chanter cette Chansson aussi‑gayement comme s’il ne s’étoit rien passé entre‑nous ; vous serez peut‑être bien aise de sçavoir les paroles de cette Chanson. Les voicy.
118
Du haut de cette mon- tagne,
Un jour gardant mes moutons ;
J’aperceûs qu’à ma compagne
Michaut prenoit les tettons ;
Et pour empêcher son coup,
Je criay Au Loup, Au Loup.
Aussi-tost il quitta prise,
Pour venir me secourir ;
Mais, quelle fut ma sur prise
Lorsqu’il vit que par plaisir,
Où pour empêcher son coup,
Que j’avois crié Au Loup.
119
Il me retint pour gage,
De son pied me jette à bas;
Mais pour venger cet outrage,
De force je n’avois pas ;
Et j’eus beau crier Au Loup,
Michaut acheva son coup.
Enfin ( continua-t‑elle ) depuis ce malheureux jour, cet effronté a pris tant de pouvoir sur moy, que je ne puis lui rien refuser de tout ce qu’il veut, & je crois 120 qu’il m’a ensorcelée. Elle me dit ensuite par forme de confidence, & en se radoucissant la voix, qu’elle auroit esté ravie d’estre mariée avec moy, pour se delivrer des persecutions de ce miserable, & pour n’avoir plus de commerce avec luy : elle me parla d’une maniere si tendre & si persuasive, & je vis sur son visage à la faveur du jour qui com 121 mençoit à paroître quelque chose de si aimable & de si touchant, que non seulement j’eûs de la compassion de la voir en cet état, mais je me sentis encore de la disposition à l’aimer ; & je ne sçay pas si dans ce moment je n’aurois pas passé sur tout ce que je venois de voir, tant ce sexe artificieux, quand nous l’aimons, a d’adresse pour 122 nous engager à tout ce qu’il veut. Mais enfin comme le jour augmentoit, je trouvay à propos de me retirer promptement, de crainte qu’- on ne me surprît dans cette chambre, & qu’- on ne me fist épouser cette fille par force, je me contentay de luy representer auparavant qu’elle devoit quitter à quelque prix que ce fût, cet honteux & indigne 123 commerce qui la perdroit infailliblement s’il continuoit.
Le père de cette fille ne fut pas sitost levé que je luy dis qu’il m’étoit survenu une affaire de consequence, qui m’obligeoit de partir promptement, & pour cet effet je fis parler Duchesne, si - bien qu’aprés avoir pris congé du père & de la fille, je m’en revins à Paris. 124 Que faire, mon cher Philogame ? continua Antigame ; quel party prendre ? laquelle dois-je épouser ? dois-je encore en voir d’autres, ou plustost dois-je me marier ? que me conseillez - vous de faire, vous qui estes un homme de bon sens, & qui sçavez par experience, ce que c’est que le mariage? Je ne veux point, ( repartit Philogame ) 125 Vous donner du conseil là dessus, ny raisonner avec vous sur ce sujet , qu’auparavant je ne vous aye raconté, ce qui m’est arrivé depuis mon mariage, afin que vous preniez vos mesures là dessus. Ce qu’il fit en ces termes.
126

HISTOIRE DE PHILOGAME.

APrès que Fraudelise fut revenuë de son indisposition, nous travaillâmes à la conclusion de nostre mariage ; 127 il est impossible de concevoir combien je m’estimois heureux quand je venois à penser que j’étois sur le point de posseder entierement la personne que j’aimois le plus, & de qui je me croiois le plus tendrement chery. Qu’- on est fol lorsqu’on raisonne ainsi ; & que l’on connoit peu les femmes quand l’on s’imagine que le mariage peut donner 128 des plaisirs veritables & solides ! voicy quel fût le commencement, & quelle a été la suite des chagrins & des peines que je souffre dans cette mal-heureuse condition. Nos parens & nos amis communs me firent entendre qu’il falloit envoyer de riches presens de Nopces à Fraudelise; & quoyque je leur representasse de bonne foy que je n’avois point d’ar 129 gent, & que de la maniere dont elle & moy nous vivions ensemble, nous ne devions point être esclaves de ces sortes de modes, qui ne font que ruïner ceux qui veulent s’y assujetir : ils ne laisserent pas de m’obliger à lui donner un collier de perles de six cens Pistoles 9, une croix & des boucles d’oreilles de Diamants de huit mille - francs , & une bourse de cinq 130 cens Louis10. Je voulois bien luy envoier le collier de Perles & les Diamants de feu ma mere ; mais ils s’y opposerent, à cause que les Perles étoient jaunes & barocs11, & que les Diamants n’étoient plus à la mode & étoient taillés en table ; si - bien qu’il m’en coûta pour les Perles & pour les Diamants quatorze cens Pistoles12, c’est à dire un tiers plus 131 qu’ils ne valoient, parce que j’avois esté obligé de les acheter à credit ; à l’égard des cinq cens Louis13, un Notaire qui demeure dans l’Isle me les fit prêter pour trois mois, & me fit obliger pour six cens Louis ; l’on m’avoit flaté que le lendemain de la Nopce je trouverois la bource & l’argent sur la toilette de la mariée : cependant je n’en ay jamais veu un 132 sol14, & voilà de quelle maniere les gens commencent à se ruïner dés les premiers jours de leurs mariages.
Jusqu’à la premiere nuit des Nopces j’avois crû Fraudelise honnête, douce, & complaisante ; mais lors qu’on la coucha & qu’elle fut dans le lit, ce n’étoit plus qu’un dragon, ce n’étoit plus qu’une furie : 133 tout autre moins aveugle que moi auroit commencé dés ce jour-là à reconnoître le malheur d’estre engagé avec une semblable femme; mais la passion & l’amour que j’avois pour elle, faisoient que je regardois sa fureur & ses emportemens comme un témoignage certain de sa pudeur & de sa modestie.
Il faut avoüer qu’il y a quelque chose de fort 134 bizare, & de bien singulier dans ma destinée, & dans mon temperament : la passion & la jouissance d’une femme donnent en peu de temps à son mary de l’indifference, & souvent même du dégoût pour elle, mais pour moi j’étois devenu par-là plus passionné pour Fraudelise, & amoureux au de-là de tout ce que vous pouvez concevoir : Je ne 135 sçai point si l’excés de cette amour venoit de ce que le mariage avoit augmenté sa beauté ; ou bien si parce que elle ne répondoit pas à la violence de ma passion, les oppositions & les resistances impreveuës qu’elle y aportoit servoient à croître mon amoure, & à la rendre plus vive & plus forte; quoi qu’il en soit je n’avois l’esprit uniquement 136 occupé que de ce qui pouvoit plaire à Fraudelise, & j’allois aveuglément au devant de tout ce qui lui étoit aagréable, & de tout ce qui pouvoit lui donner du plaisir : je n’avois pas plûtost observé que son gout étoit touché de quelque friandise, & de quelque mets délicat que je le lui achetois, & que je lui en faisois sa provision : se vendoit‑ 137 il au Palais une coêfure15, une garniture, ou quelqu’autre ajustement joli & nouveau ? le lendemain matin elle en trouvoit sur sa toilette ; la voyois-je chagrine, je n’avois point de repos que je ne l’eusse menée à la Comedie, à l’Opera, à la promenade & dans les lieux où je croiois qu’elle pouvoit se divertir. Enfin jamais courtisan n’a eu plus d’honnesteté & 138 plus de ménagement pour son Prince & pour ses favoris que j’en avois pour elle & pour les personnes qu’elle consideroit.
Un procedé aussi honneste & aussi obligeant de la part d’un mari, devoit sans doute toucher le cœur d’une femme raisonnable, & l’engager à l’aimer plus fortement; cependant tous mes soins & tous mes 139 empressemens ont fait des effets tout opposés dans le cœur de Fraudelise.
Ha ! quel sexe, quel maudit sexe ! plus un mari a d’honnesteté & de tendresse pour sa femme, plus elle devient fiere, insolente & souvent mesme dénaturée; les honnestetés & les complaisances que j’avois pour Fraudelise ne servoient qu’à me faire 140 perdre l’estime & la consideration qu’elle devoit avoir pour moi, qu’à m’attirer ses mépris & des choses desobligeantes & fâcheuses, & qu’à l’engager à me traiter plus indignement qu’un esclave.
A son gré je ne faisoit jamais rien de bien; c’estoit une obstination & une contrarieté perpetuelle de sa part pour tout ce que je disois, & 141 pour tout ce que je faisois ; à l’entendre parler je n’étois qu’un innocent qui se laissoit duper dans toute sorte d’occasions, & un ridicule dont tout le monde se moquoit ; tout autre mari que moi auroit esté rebuté d’un procedé aussi mal-honneste & aussi dur, & en auroit témoigné de l’indignation & de la colere, mais quand on aime avec autant de tendresse 142 que je faisois, ces manieres ne servent qu’à toucher plus sensiblement, & qu’à augmenter la violence de la passion.
Après avoir receu ces mauvais traittemens , j’avois le cœur touché jusqu’au vif, & je mourois de chagrin & de douleur : ensuite ma passion ingenieuse à me tromper & à me tourmenter, me faisoit en 143 tendre que Fraudelise avoit raison dans tout ce qu’elle avoit blâmé dans ma conduite & dans ma personne, me faisoit faire des reflexions serieuses sur mes actions, & prendre la resolution de devenir plus prudent & plus sage, ou plus conforme à son goût.
C’est une étrange chose qu’une jeune femme quand elle croit n’avoir 144 point de maître, & qu’elle ne suit dans sa conduite que son humeur & sa passion ; pendant que Fraudelise étoit sous la conduite de sa tante ou de sa mere, elle étoit modeste dans ses habits & dans ses manieres, & paroissoit éloignée de toute sorte de vanités ; elle ne cherchoit point les grandes compagnies, les jeux, les repas ni les cadeaux; son plus grand 145 plaisir étoit d’estre seule à travailler ou à lire, encore avoit-elle tourné sa chambre de maniere à la faire prendre pour une cellule de Religieuse : mais quand elle se vît mariée, qu’elle se crût libre & maîtresse de ses actions, & que la tendresse que j’avois pour elle ne me permettoit pas de contrarier ses volontés ; elle commença en méprisant les con 146 seils de la raison & de la prudence, à écouter les pernicieux discours de ces femmes, qui aprés avoir ruiné la fortune de leurs maris & les avoir perdu de reputation & d’honneur, se divertissent à empoisonner les cœurs des jeûnes mariées à leur avenement dans le monde ; & conduite par de si mauvais guides elle s’abandonna à toute sorte 147 de vanité & à tout ce qu’- il y a de magnificences d’habits & d’ameublemens; & elle eut une passion violente & si outrée pour le jeu, qu’elle y a consumé la meilleure partie de nostre bien, & nous a reduits dans un tres-fâcheux état.
Gautier n’avoit pas d’étoffes pour elle assez belles & assez magnifiques, ny la Picarde de dentelles & de points 148 assez fins & d’un dessein assez beau ; ny Bouché de broderies, & de galons d’or assez riches, & assez éclatants ; & ce qu’il y a de fort singulier est qu’elle s’imaginoit qu’il y alloit de son honneur d’en changer tous les mois.
Je fus obligé de faire un voyage pour tres‑peu de temps; à mon retour je ne reconnus plus ny ma Salle ny mes 149 chambres, elles avoient entierement changé de face. Fraudelise en avoit vendu tous les meubles, & en avoit mis à leur place des plus à la mode & des plus riches de Paris.
Elle ne jouoit point que dans les gros jeux ; & souvent son Laquais à une & deux heures aprés minuit venoit m’éveiller pour me dire d’envoier de l’argent à Madame ; je luy en ai 150 fourny autant que j’ay pû, & la tendresse que j’avois pour elle ne me permettoit pas de l'exposer à recevoir des affronts dans les Jeux faute d’y pouvoir payer, & aux extremités basses & honteuses où se portent plusieurs jolies femmes pour avoir de l’argent : j’ay vendu la meilleure partie de mes contrats, de mes rentes, & de mes fermes, & 151 j’ay emprunté de toute part pour soûtenir cette dépense, ne pouvant me deffendre des caresses, & des flatteries de Fraudelise, & des belles paroles qu’elle me donnoit de changer de vie, & d’être plus réglée. Enfin le credit est venu à me manquer ; je me suis veu hors d’état de pouvoir plus fournir, à cette dépense & de payer les Creanciers de Fraudelise.
152
Au commencement j’ay voulu par vanité luy taire le malheureux état de nostre fortune; mais comme elle étoit incessamment à me demander de l’argent & que ma maison ne desemplissoit point de ses Creanciers ou d’huissiers, je fus à la fin obligé de lui avouer la situation fâcheuse de mes affaires. Elle ne considera point qu’elle en étoit la seule cause, & 153 sans vouloir écouter aucune de mes raisons, elle se mit dans une colere effroiable contre moy ; & ce qui la piqua plus sensiblement, fut que dans la suite me sentant poursuivy par ses Creanciers, & à la veille de voir vendre mes meubles, je recourus à un conseil de Palais, & je me deffendis en Justice en disant que Fraudelise étant sous ma puissance 154 & n’étant autorisée de moy, les dettes qu’elle avoit contractées étoient nulles & que je n’étois pas obligé de les payer. Vous ne pouvez concevoir tous les emportemens qu’elle eut contre moy; à l’entendre dire, j’étois un dissipateur, un voleur, un mal-heureux, un gueux, qui avoit mangé son bien, & qu’elle avoit tiré de la necessité : elle poussa 155 sa fureur bien plus avant, elle voulut se faire separer d’habitation d’avec moy, & pour y parvenir elle me disoit des injures tres-honteuses & tres‑outrageantes en presence de plusieurs personnes, dans la pensée de m’obliger à la frapper & de se faire par-là un moyen de separation.
Pour ne vous ennuier pas davantage par un recit plus long, je vous 156 diray que Fraudelise ne sçachant plus de quel bois faire fléche: elle eut recours à la consolation des Joueurs ruïnez , c’est à dire qu’elle se mit en teste qu’elle pouroit regagner l’argent qu’elle avoit perdu ; & dans cet espoir, elle fit de l’argent de ses bijoux & de ses nippes qu’elle mit en gage: ensuite de ses habits, & une partie de meubles de la mai 157 son, & passoit les jours & les nuits à le jouer : elle eût aussi la destinée des Joueurs ruïnés, c’est à dire qu’elle perdit generalement tout ce qu’elle pouvoit perdre, & elle se trouve à present sans un sol, sans resource & réduite à rester dans sa maison, où elle nous desole tous ; sa principale occupation est de me contrarier à tout moment, de me gronder, 158 de me faire des reproches, & de me dire des injures; aucun domestique ne peut vivre avec elle ; à tout moment elle les querelle & les bat, & nous n’avons jamais huit jours les mesmes; elle est devenuë d’une avarice & d’une lezine éfroyable, & fait mourir de faim sa maison, & toutes ses épargnes ne tendent qu’à faire de l’argent pour porter au jeu.
159
Quelque forte qu’ait esté la tendresse que j’ay eûë pour Fraudelise ; vous jugez bien, mon cher Antigame, qu’elle n’a pû tenir contre un procedé aussi rude, & aussi degoûtant, & contre le changement que sa maniere de vie dereglée & sa conduite ont aporté à l’éclat de son teint & à sa beauté. Entre nous, continua Philogame, je vous avoüe que je me 160 trouverois à present fort heureux, si je pouvois ne la voir de ma vie; elle n’approche pas sitost du lieu où je suis que je ne sente de l’émotion & du chagrin : j’avois autrefois pour elle toute la tendresse qu’on peut avoir pour une femme ; elle n’y a point répondu, & elle n’a eû pour moi que de l’ingratitude & des duretés; elle a dissipé la meilleure 161 partie de mon bien pour se satisfaire & pour se contenter : & aujourd’huy elle me fait l’injustice de me blâmer, & de me charger des fautes qu’elle a faites, & dont je ne suis coupable que pour avoir eu trop de complaisance pour ses volontés & pour ses plaisirs.
L’on oublie difficilement un procedé aussi injuste & aussi dur que 162 le sien ; cependant je suis contraint de vivre avec elle comme auparavant, de dissimuler & de cacher mon ressentiment, autrement ce seroit tout perdre, j’aigrirois son esprit, & je l’exciterois à me tourmenter davantage ; je ne doute point qu’elle ne fît de l’éclat & du scandale dans nos familles, dans le monde & sur tout parmi nos creanciers, qui 163 prévoiants un divorce & une separation de biens, ne manqueroient pas de tout faire saisir, & de nous en dépouiller.
Vous avez entendu, mon cher Antigame, continua Philogame, des choses que je n’aurois jamais dites à d’autres qu’à vous, & que j’ay crû ne devoir pas vous cacher à cause de nostre ancienne amitié, & aprés la priere que vous 164 m’en avez faite : c’est à vous à present à faire les reflexions que vous jugerez necessaires sur tout ce qui m’est arrivé avec Fraudelise, avec cette femme dont je me flatois d’estre si tendrement aimé, & dont je croiois que la seule possession devoit faire ma felicité; & c’est à vous à choisir ensuite la condition que vous trouverez la plus avanta 165 geuse, du mariage ou du celibat.
Aprés que Philogame eût achevé ce discours, Antigame prenant la parole luy dit qu’il luy étoit extrêmement obligé de la sincerité avec laquelle il luy avoit parlé, & de ce témoignage qu’il luy avoit donné par-là de son amitié : qu’il luy auoüoit de bonne foy qu’il étoit extrêmement surpris de 166 tout ce qu’il venoit d’entendre de Fraudelise, aprés luy avoir veu autrefois un esprit qui paroissoit si raisonnable & une humeur si douce & si affable; & que tous ses discours ne contribuoient pas peu à luy donner du dégout pour le mariage : que si pourtant il vouloit luy permettre de luy parler franchement, il luy diroit qu’il s’étoit attiré par 167 sa trop grande facilité, & ses manieres trop indulgentes, les chagrins & les peines qui luy étoient arrivées; qu’aussitost qu’il avoit commencé à s’appercevoir que Fraudelise faisoit un méchant usage des témoignages qu’il lui donnoit de son amour & de sa complaisance, & qu’elle prenoit trop de liberté, il devoit devenir plus réservé & plus severe à son égard, & 168 se servir de cette honnête authorité dont les maris doivent user envers leurs femmes lors qu’elles sont im prudentes & déraisonnables.
Quand une femme veut quelque chose, interrompit Philogame, & qu’elle se l’est mis en tête, que le mari s’en deffende tant qu’il voudra, elle en viendra à bout, soit par ses flateries & ses ca 169 resses, soit par ses fourberies & ses artifices, soit par son obstination & son opiniatreté, & le mary n’aura point de repos qu’elle n’ait obtenu ce qu’elle demande.
Toutes les femmes, reprit Antigame, n’ont pas les mêmes inclinations, & ne suivent pas la même conduite que Fraudelise. Il y en a qui aiment leurs maris, qui 170 haïssent le jeu & le dépense & qui sont bonnes ménageres. Quoyqu’elles n’ayent pas ces sortes de defauts, repliqua Philogame, les maris n’en sont pas plus heureux, & elles en ont d’autres qui ne sont gueres moins incommodes : il y a toûjours de l’excés & quelque chose d’outré dans ce qu’elles font ; celles qui aiment leurs maris sont 171 d’une jalousie insuportable & avec leurs reproches continuels, elles ne leur donnent de repos ni nuit ni jour ; les ménageres deviennent chagrines, bourruës , avares, font mourir de faim toute leur maison, & tombent dans mille bassesses & dans mille vilainies dont elles infectent dans la suite leurs maris , qu’elles font tourner en ridicules dans 172 le monde : enfin il n’y a point de femmes qui n’aient des imperfections & des defauts tres fâcheux & tres-insuportables ; elles ne different entr’elles sur cet article que du plus ou du moins; les unes sont coquetes, débauchées, infidelles , & sans honneur : les autres hipocrites, bigottes, malicieuses, vindicatives & orgueilleuses ; les autres precieuses, sça 173 vantes-ridicules, & extravagantes, & les autres quereleuses , emportées & violentes ; & il n’y en a point, ou tres-peu, qui avec leurs manieres inquietes & insuportables ne chagrinent, & ne desesperent tous les jours leurs maris.
Que voulez-vous donc que je fasse, interrompit brusquement Antigame, pour empêcher que mes creanciers ne fassent ven 174 dre mes biens, & pour me tirer de la necessité que je prevois, puisque je ne sçay point d’autre moien pour remettre mes affaires que le mariage & le secours de la dot d’une femme.
Ne vous y trompez pas, repartit Philogame ; une femme ruïne plûtost les affaires de son mari qu’elle ne les accommode : quelque bien qu’elle luy apporte 175 elle fait une dépense proportionnée à sa fortune, & son mariage attire aprés elle une suite tres-grande ; les presens de nopces, les habits, les festins, & les repas, les équipages, les domestiques, les ameublemens, les grossesses, les couches, les nourices, les enfans, leurs éducations, leurs établissemens, & cent autres dépenses qui ne man 176 quent pas de ruïner entierement un pauvre mari, & de consumer son bien, aussi-bien que la dot que sa femme lui a aportée.
Il est vrai qu’un mari peut se soûtenir quelque temps avec ce secours ; mais il faut toûjours qu’il tombe lors qu’il n’a pas de bien pour supporter les charges du mariage ; & ce qui est de plus fâcheux, 177 c’est que sa chute est bien plus cruelle & plus scandaleuse, parce qu’elle attire aprés elle celle de sa femme & de ses enfans, & qu’elle les rend malheureux le reste de leurs vies.
Hé bien, interrompit Antigame, que feriez‑vous, si vous étiez à ma place?
Moy, reprit Philogame, j’abandonnerois une partie de mes biens 178 à mes creanciers jusqu’à la concurence de ce que je leur dois, & j’obligerois les moins traitables & les plus durs à accepter mes offres, en les effraiant par des menaces de faire, comme plusieurs autres debiteurs, consumer en frais de justice, & en provisions le prix de mes biens ; & ensuite avec ce qu’il m’en resteroit, mes dettes payées, je me ferois un revenu 179 certain, que j’irois manger dans le lieu où je me plairois davantage. C’est à vous, Antigame, dit Philogame en finissant, à voir si ce conseil vous convient; mais tout ce que je puis vous dire, c’est qu’aiant l’esprit aussi bien fait & le cœur aussi tendre que vous l’avez, la plus penible & la plus dangereuse de toutes les extrémités que vous puis 180 siez prendre est celle du mariage.
Antigame aiant rendu mille graces à Philogame de ses bons avis où il trouva beaucoup de prudence & de sagesse, les suivit de point en point ; alla demeurer dans sa maison d’Autinville, & aprés y avoir passé quelque temps, il se retira dans l'Abbaye de Cisteaux , où il mene à present une vie 181 exemplaire, & entretient avec Lesbie un commerce innocent de lettres remplies de pieté & de devotion.

Noms propres

Autainville

Tout petite commune qui se trouve dans le département de Loir-et-Cher, dans la région Centre. Pour obtenir plus d'informations portant sur Autainville, veuillez consulter le site-web official du village : http://www.autainville.com/.

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Auvergne

Région administrative située au centre de la France. L'Auvergne compte quatre départements : Allier, Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme.
  • Auvergne, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Beaugency

Ch.-1. de cant. du Loiret, arr. d'Orléans, sur la rive d. de la Loire. 6 917 hab. (Balgentiens). Vestiges de l'enceinte. Donjon (XIe s.). Anc. abbatiale Notre-Dame (XIIe s., restaurée). Château Dunois du XVe s. (musée de l'Orléanais). Hôtel de ville Renaissance (tentures du XVIIe s.). Pont sur la Loire, en partie gothique. HIST. Un concile s'y tint en 1152 pour prononcer le divorce de Louis VII et d'Aliénor d'Aquitaine.
  • Beaugency, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Bologne (en it. Bologna)

Ville située dans le nord-est de l'Italie, entre les Appenins et le Pô.
  • Bologne en it. Bologna, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Brie

Région de l'E. du Bassin parisien, plateau recouvert de limons fertiles, situé entre la Seine et la Marne (Briards). [...] C'est une région de grandes propriétés pratiquant une agriculture mécanisée : culture du blé, de la betterave à sucre, du maïs ; fromages réputés. [...] HIST. Il y eut sous les derniers Carolingiens et les premiers Capétiens une Brie française (cap. : Brie-Comte-Robert) et une Brie champenoise (cap. : Meaux) dont les seigneurs s'intitulaient comtes de Meaux. Celle-cit fut rattachée à la Couronne, avec la Champagne, en 1361.
  • Brie, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Mayence (en all. Mainz)

Ville d'Allemagne, sur la rive gauche du Rhin, près de son confluent avec le Main et près de la ville de Francfort.
  • Mayence en all. Mainz, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Ordre de Cîteaux

  • Cîteaux-l'Abbaye : Hameau de la comm. de Saint-Nicolas-lès-Cîteaux (Côte d'Or), à l'E. de Nuits-Saint-Georges, en Bourgogne. Abbaye fondée en 1098 par Robert de Molesme.
  • Cisterciens : Moines de l'ordre bénédictin réformé de Cîteaux. Fondé par Robert de Molesme en 1098, l'ordre se développa à partir de l'abbatiat d'Étienne Harding (1109-1133) et sous l'impulsion de Bernard de Clairvaux. Le routour à la règle bénédictine appliquée dans toute sa rigueur, l'idéal de retrait du monde et de pauvreté absolue assurèrent le succès de la spiritualité cistercienne. Après la fondation en 1113 - 1115 des abbayes de La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond (les « quatre filles de Cîteaux »), qui à leur tour essaimèrent, les cisterciens s'organisèrent en une fédération d'abbayes observant la Charte de charité (1114, confirmation pontificale en 1119) et regroupées en lignes sous la direction d'« abbayes mères ». Ils connurent leur âge d'or aux XIIe-XIIIe s., lorsqu'ils furent appelés à intervenir dans maintes affaires de l'Église, cependant qu'ils constituaient de puissants domaines agricoles.
  • Cîteaux-l'Abbaye, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
  • Cisterciens, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.

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Robin

ROBIN. s. m. Nom propre qu'on ne met ici, que parce qu'il est employé dans quelques phrases proverbiales. Ainsi en parlant d'Un homme qui revient sans cesse à ses projets, à ses intérêts, à ses anciennes habitudes, on dit, Toujours souvient à Robin de ses flutes. En parlant d'Un homme méprisable, et du témoignage de qui l'on fait pen de cas, on dit, C'est un plaisant Robin.
  • Robin, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1798), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 24 août 2009.

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Rue Quincampoix

Rue qui se trouve dans les IIIe et IVe arrondissements de Paris.

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Notes

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