Le mariage sous L'Ancien Régime
SERMON pour la Consolation DES COCUS prononcé au Sujet de Monsieur J...... B...... COCUS PAR ARREST.
A Colmarc,Chez Michel Laroce, au Bouc couronnéSERMON POUR LA CONSOLATION DES COCUS.
Domine, mulier quam sociam dedisti mihi; dedit mihi de ligno.Genese Chap. 3.
Seigneur, la femme que vous m’avez donné pour compagne, m’a donné du bois. Ces paroles sont tirées du 3. Chap. de la Genese.
Avoüons Messieurs que cét Oracle de l’Ecriture se trouve parfaitement accompli en
nos jours, & cette plainte que fit autrefois le malheureux Adam, informé par sa femme
même du criminel entretien qu’elle avoit eu avec le Serpent, convient si bien aujourd’huy
aux maris du siécle où nous sommes, qu’il semble à le bien prendre qu’elle avoit été
faite pour eux; mais en-
core pour son infortune posterité. En effet, Messieurs, où est l’heureux Epoux, où
est ce Mari sans pareil : Je ne dis pas dans Paris : des Lion, mais dans tout l’Univers
: Où est, dis je, ce mari privilegié, qui n’a pas sujet de repetter ces tristes paroles,
de proferer cette affligeante plainte, & de dire à Dieu, la tristesse & la confusion
sur le visage : Domine, mulier quam sociam dedisti mihi; dedit mihi de ligno !
Avouons le donc maintenant, Messieurs, que nous sommes tous les enfans malheureux
d’un pere desobeïssant & rebelle; que nous avons herité, non seulement de son crime,
mais encore de toutes ses infortunes qui des honorent la face de tant d’honnêtes gens,
& peut être celle de la plûpart de ceux qui m’entendent. Enfin adressons nous tous
humainement des plaintes à Dieu, ouvrons lui nos cœurs, & disons lui avec l’Ecriture
: Domine mulier quam, &c.
Encore Messieurs, si les Maris outragez par leurs femmes, avoient la foible consolation
d’entendre leurs voisins & leurs parens plaindre leur sort & leurs malheurs, ce seroit peut être une espece de soulagement
de se consoler ensemble de la même infortune, mais ô cruelle destinée, ô timidité
ridicule, d’un secret à quoy chacun s’étudie pour ne pas avoüer lui-même l’impudicité
de sa femme.
Telle est la misere des cocus, qui sont toûjours l’objet de la risée publique & qu’au
lieu d’une tendre & charitable compassion, leurs plaintes, quelque justes qu’elles
soient, ne leur attirent jamais que le mépris & la raillerie de ceux qui les entendent,
quoy qu’ils soient marquez du méme seau, & qu’il ayent l’écusson semblable. De sorte
que la plûpart des hommes sont reduits à gemir en secret sous le poids de leurs cornes,
& de dire à Dieu seul : Domine, mu-
lier quam dedisti mihi, &c.
Ils souffrent un espece de martyre d’autant plus rigoureux qu’ils n’osent se plaindre,
& qu’ils n’osent rien témoigner de ce qui les afflige. En un mot, ils sont forcez
d’étouffer leurs soupirs, de devorer leurs larmes, & de renfermer toutes leurs douleurs
& plaintes dans leur sein, n’avoüant qu’à Dieu seul le sort fatal de leur tristesse
: Domine, mulier quam sociam mihi &c.
Certes, Messieurs, ce seroit n’avoir point de charité; de que ne point compatir à
une affliction si commune, & d’abandonner ces malheureux dans ce triste état; & l’on peut dire d’eux ce que disoit le Prophête de Jerusalem affligé. Plorantes ploraverunt in nocte, & lacrimas eorum in maxillis eorum, & non est qui
consolateur eos. Aujourd’huy, Messieurs, que nous voyons qu’elles sont leurs peines par rapport à
nous-mêmes, aujourd’huy que nous connoissons
leurs peines par rapport à nous-mêmes, aujourd’huy que nous connoissons leurs soufrances & l’excez de leur misere; tâchons
d’y apporter quelques remedes, soyons charitables envers ces infortunez; puis qu’ils
sont d’entre nous-mesmes; puis qu’ils sont peut-être parmi nos peres, nos grans peres
: faisons leur voir dans les deux points de ce discours deux choses également importantes
pour leur consolation.
La premiere, qu’ils se trompent, que le cocuage n’est pas un si grand mal qu’ils se
l’imaginent.
La seconde, que supposé que ce fut un mal, & une honte ils ont lieu de s’en consoler
par le nombre infini de ceux qui partagent avec eux cette infortune : Consolatio miserorum est habere pares.u
I. POINT
La plus absurde et plus chimerique de toutes les idées au dire des Philosophes, est
celle dont nous
faisons nous même un monstre qui produit des effets dans nôtre entendement, la tristesse prend son
siege dans le cœur, qu'elle empoisonne le plus souvent des que nous n’egligeons les remedes.
Elle est, Messieurs, l’idée &l'imagination du cocuage : on le regarde comme un mal, parce qu’on le regarde comme une infamie
sans oser s’en plaindre à personne. Cependant il est certain que ce n’est, à le bien
prendre qu’un fantôme dont on s’alarme sans raison, qui ne doit épouventer que les
esprits foibles des hommes dont l’imagination est blessée. En effet, Messieurs, je
vous demanderois volontiers pourquoy vous faire une honte d’un mal necessaire, & une
infamie d’un mal inévitable, un mal qui est essentiellement attaché à la condition
de mari, d’un mal enfin qui dépend de l’inconstance et de la legereté des femmes.
Ce n’est donc qu’
une illusion à l’égard des hommes qui ne blesse en aucune façon leur honneur & leur
reputation, tout ce qui est involontaire est indifférent, disent mêmes les Philosophes,
Or qu’y a t il de plus à la mode dans le siecle où nous sommes? Je vous le demande
pauvres maris, qui poussez tant de soupirs qui versez tant de larmes dans les lieux les plus secrets de vôtre maison, parce que vous croyez être cocus. Je vous
demande pauvres jaloux, qui prenez tant de precautions, parce que vous avez peur de
le devenir.
Le cocuage est donc involontaire, & certainement quelle absurdité de croire que la reputation d’un mari dépend de la vertu de sa femme, &
de son inconstance, qu’on soit moins honnête hôme pour avoir une moitié qui aime le
changement, dont le temperament est lubrique, & se fait un ragoût de divers visages.
Malheur, malheur à celui qui s’aban,
donne aux noirs chagrins de sa jalousie, & se met le premier en téte que son sort
est entre les mains de sa femme, qu’elle peut en se divertissant le fletrir d’un éternel
opprobre, & que pour le rendre le plus malheureux de tous les hommes, elle n’a qu’à
rendre heureux quelqu’un de ses travaux & chercher ailleurs ce qu’il ne peut, peut
être lui donner pour sa satisfaction & assouvir les passions déreglées de sa lubricité.
Que nous serions à plaindre, que nous serions infortunez & que nous serions accablez
de malheurs & de miseres, si nôtre bonheur, ainsi attaché à celui de nos femmes comme
la chose au monde la plus fragile, étoit exposé au caprice de l’amour, & que sans
être coupables des desordres de nos infideles moitiez, nous en fussions réduits à
porter la peine & à souffrir la honte d’un peché auquel nous n’avons aucune part.
Mais passons plus avant, disons
que non seulement le cocuage n’est pas un mal comme on se l’imagine mais que l’on
peut dire sans craindre de tomber dans aucun excés, qui doit être consideré comme
un bien.
Vous sçavez, Messieurs, que ce que les Philosophes appellent bien ne renferme que
deux choses, l’agréable & l’utile. Or, est il que l’agreable & l’utile se renferment
dans le cocuage, & par consequent si tous les maris n’en font pas une heureuse experience,
qu’ils s’en prennent seulement au malheur de leur condition, & non pas aux foiblesses
de leurs femmes, mais à leur mauvaise humeur; & à la dépravation de leur gout, puisque
plus un chemin est frayé, plus il est aisé à tenir.
Je dis premierement que l’agreable se trouve dans le Cocuage : & pour établir cette
vérité, je m’adresse à vous prudens cocus, maris discrets, qui avez des yeuix qui
ne voyent point, des bouches qui ne disent
rien, des oreilles qui n’entendent point, semblables à des Divinitez dont parle le
Prophête Royal. Dites, paisibles Epoux, dites si vos femmes, soit pour éteindre leurs
feux, soit pour menager leur patience, ne redoublent pas toûjours à vôtre égard tous
leurs soins & tous leurs empressemens : Dites si leurs complaisances ne repondent
pas entierement à la vôtre, dites si elles s’avisent de troubler jamais vos plaisirs,
par de ridicules soupçons, par d’importunes demandes; dites enfin, si vous avez lieu
de vous plaindre de leurs caresses, si elles ne vous les prodiguent pas pas, si elles manquent jamais de les assaisonner de tout ce que le plus sévère amour a de plus doux et de plux tendre. Que si comme il est vray, une femme ne marque
jamais plus de tendresse & de respect, que lors qu'elle le trahit & le fait cocu, concluons, Messieurs, concluons que l’agréable se trouve
dans le Cocuage, & passons à l’utilité.
Combien de cocus, Messieurs, combien de cocus, dont les cornes sont des cornes d’abondance.
Un cocu n’apoint d’autre fond que celui de sa femme, & point d’autre revenu que les
liberalitez qu’elle s’atire.
Celuy cy remplit une Charge importante, celui là occupe un employ considerable, qui remperoit dans la poussière, sans le credit & les attraits
de sa femme. O que de gens trouvent en arrivant chez eux une table magnifiquement
servie, qui seroient reduis aux plus minces ordinaires, si leurs femmes étoient nées
avec moins d’appas, ou avec plus de chasteté & de continence. Nous qui vous parlons,
Messieurs, connoissons de ces infortunez maris, lesquels à l’ombre de leur cornes,
coulent doucement leurs jours dans les plaisirs & dans l’oisiveté, tandis que le vieux
fi-
nancier qui entretient leurs femmes passe sa vie dans le trouble & dans l’agitation,
courant le jour veillant la nuit, travaillant sans cesse & sans discontinuation pour
fournir à l’extreme despense de celle qui tient son cœur, & pour acheter bien cher
la complaisance interressée de celui dont il occupe la place, lequel, bien loin de
se plaindre & de gemir à l'ombre de ce grand feüillage, sçait bien profiter de l’heure & du momêt pour rendre sa maison
commode par son absence. Par consequent l’utile se rencontre dans le cocuage aussi
bien que l’agreable. Cela étant, comment ne se pas étonner de la bizarerie de la plûpart
des gens qui craignent non seulement d’être cocus : mais qui pour ne les pas devenir,
prennent des precautions les plus extraordinaires & extravagantes. Ce seroit icy, Messieurs, l’endroit de vous entretenir profusement si je voulois
vous expliquer toutes les inventions
dont on se sert aujourd’huy pour profiter d’une beauté, pour idolatrer de ses beaux
yeux, pour approcher cette bouche de corail, sentir des doux emportements de cette haine, les agreables transports d’un évanoüissement; & les soûpirs amoureux
d’un combat qui a toûjours le mari aisement pour vainqueur, puis qu’il profite ainsi
des lubricitez de sa femme & bien loin que sa jalousie le rend ridicule, bien loin
d’être incommode aux aproches de ce galant il prend lui même tous les soins imaginables
pour couvrir ce qui se passe par ses honnêtetez par ses entretiens par ses protestations
de services envers ceux qui la caressent. Mais que dis-je, cette premiere partie n’est
devenue que trop longue, l’impatience que j’ay de passer à la seconde, me fait envisager
cette belle femme comme en un second Paradis terrestre, puis qu’elle produit avec
abondance tout ce qu’un mary peut
souhaiter pour passer heureusement sa vie : l’or, l’argent, les présents : les coups de chapeau se trouvent avec tant de profusion, que l’on peut dire de
lui que son meilleur heritage & que ses revenus les plus précieux consistent dans
les bois qui couvrent son chef. Ainsi non seulement le cocuage est agreable & utile, mais suposé dis-je,
qu’on le regarde comme une infortune, on devroit au moins s’en consoler par le nombre
infini de ceux qui ont le même sort.
II. POINT
J’ay Messieurs une grande verité à vous précher dans cette seconde partie, j’ay à
vous faire voir que le cocuage est le plus general de tous les maux, & que s’il est
vray que le nombre des malheureux soit leur consolation, vous avez tout sujet dessuyer
vos larmes, & de moderer l’excez du chagrin qui vous devore Consolatio enim miserorum est habere pares.
En effet Messieurs vous n’étes pas les premiers qu’on ait trahis : il y a toûjours
eu des cocus, il y en a maintenant plus que jamais; & si je l ose dire, il y en aura
jusqu’à la consommation des siècles. Je dis premierement qu’il y a toûjours eu des
cocus si vous doutez de cette verité, vous n’avez qu’à consulter l’Histoire, vous
trouverez dans vôtre propre famille & genealogie, que vos ayeuls, vos peres, vos oncles,
ont-peut être eu le seul bois pour partage de leurs Ayeuls : leurs ayeuls, des leurs
bisayeuls, & en retrogradant jusques à plusieurs siécles pour en trouver d’exempts
de cet heritage, vous avouërez que les plus grands Conquerans n’ont pas eu une destinée
plus favorable.
Agamemnon fut sans doute un très-grand Prince : les Grecs assemblez pour l’expedition
de Troye lui donnairent d’un consentement unanime le commandement de l’armée,
mais dans ce degré d’honneur peut-il éviter le cocuage? Vous les sçavez, Messieurs,
de la même querele dont il fut vainqueur il fut la victime. Pendant qu’il étoit éloigné
de son Royaume, où il exposoit ses jours pour venger l’injure faite à son frere, sa
femme entre les bras d’Egiste lui faisoit le même sort qu’avoit eu l’infortuné Menelaus.
Le premier des Césars ne fut guerre plus heureux; etant Maître de l’Empire Romain,
il ne peut l’être de sa femme; tout couvert de Lauriers, il ne fut pas exempt de cornes;
& chargé de depoüilles des ennemis, il ne peut empêcher qu’avec le cœur de son infidele
moitié, on ne lui enlevat le bien qui lui étoit peut être le plus cher & le plus precieux.
Tibère qui, comme remarque Tacite vit renverser ses ambitieux desseins par tant de
rivaux qui lui disputoient l’Empire, ne peut se garantir de ceux que l’amour de sa
femme lui suscita, ils triompherent malgré luy de toutes ses pretentions pour éviter
le sort D’Agrippa dont il avoit épousé sa femme : Toutes les pretentions, dis je &
de toute sa jalousie n’empêcherent pas que l’infame Julie ne continuât méme avec Simpronius,
& peut être avec beaucoup d’autres, les debauches dans lesquelles elle avoit toûjours
vêcu.
Les habitudes disent fort bien que les Philosophes se contractent par les actes souvent
reïterez. Et ainsi il est impossible à une femme naturellement belle, qui aime & qui
est aimée, de garder la continence, & ne se pas abandonner au doux penchant de l’amour,
pourquoy joindre à ces exemples ceux de Claudius; d’Othon; & de beaucoup d’autres,
& descendre par une suite d’illustres Cocus jusques à des avantures dont la memoire
est encore toute recente.
Partout, Messieurs, par tout vous y trouverez des cornes : l’artisan est cocu par
son Aprantif, le Marchand par son gaçon, le Procureur & le Notaire par leurs clers,
l’Avocat par son clien, & à l’égard des autres, ne croyez pas qu’ils soient plus heureux ni que leur qualité soit un titre pour sauver & pour garantir
leur front de feuillage arboré de ce bois si commun à tous les hômes ensemble, leur
qualité ne servira le plus souvent qu’à faire éclater davantage leur infortune, &
à les rendre pour ainsi dire cocus de plus grande importance. Tel est, Messieurs,
le sort fatal des cocus d’apresent, sort qui pourroit les affliger si le mal n’étoit
pas universel, & qu’il fut dans le monde quelque endroit bien heureux & quelque lieu
privilegié où l’on fut exempt du cocuage. Mais j’ose dire, Messieurs, la source du
Nil seroit moins difficile à trouver, la rapidité des plus coulans ruisseaux & des
plus coulantes rivieres seroient plus faciles à arrêter que de trouver cette heureuse
demeure où les femmes soient entourées d’objets differens sans en être frapées, &
sans aucune impression dangereuse conserveroient leur cœur & leur concupiscence, pour
celui que le Ciel leur a donné pour
Epoux, sans le partager avec aucun Ament. Omnia vincit amor & nos cademus amori.
Par tout, Messieurs : par tout l’amour ancre son empire, par tout il fait éclater
son pouvoir, par tout il se plaît à détacher sa plus fidéle épouse des bras de l’époux
le plus tendre & le plus sincere, & de détruire & effacer l’impression de l’union
conjugale, & à separer ce que le Ciel a joint par des nœuds les plus sacrés & les plus indissolubles.
Consolez-vous donc, Messieurs, consolez vous si vos femmes ne vous sont pas fideles,
si elles s’abandonnent aux douces violences de leur temperamment, si elles suivent le secret penchant qui les porte
à chercher dans des nouveaux amans de nouveaux ragouts & de nouveaux plaisirs & en
un mot si elles vous traïssent & si elles vous cocufient, ce pretendu malheur, cette
infamie ridicule, & ce sort à la mode, vous
sont communs avec bien d'autres. Vous avez eu des Predecesseurs illustres, des compagnons de tous les rangs, de tous les
ages; tandis qu’il y aura des maris il y aura des Cocus. Les fêmes ont été infideles,
elles le seront toûjours : le present & le passé nous sont garants de l’avenir. Voulez-vous
sçavoir ce qui cause le cocuage, prenez vous en à vous même; Si vous faites reflexion
sur l’impuissance de vos vieux jours & l’abondance de vôtre jeunesse Ainsi reglez
vos lits & vos maisons; & que vôtre ordinaire n’ait jamais plus de mets que l’autre
pour y accoûtumer vos femmes dans le commancement du mariage. Mais où me porte l’ardeur
de mon zele C’est assez en parler des cornes; finissons ce discours, qui vous pourroit
ennuyer
Je vous ay montré dans les deux Points qui en ont fait la division en premier lieu,
que le Cocuage n’est
pas un mal comme on se l’imagine. En second lieu; supposé que cela fut, vous en devez
être consolé, par le grand nombre de ceux qui ont eu le même sort & qui l’auront tant
que le monde sera.
Que reste il donc, sinon que touché de compassion, presse du charitable desir de vous
tirer des peines où vous êtes. Je vous ay fait revenir de vôtre ancienne erreur :
ne regardez donc plus le cocuage que comme une chose indifferante, & à vivre d’une
telle maniere avec vos femmes, & leurs galans, que leurs plaisirs ne vous fassent
plus de noirs chagrins; que delivrez de tous soins& de toutes inquiétudes; vous puissiez
joüir long tems à l’abri de vos cornes du repos & de felicité que je vous souhaitte
avec les autres :
Aussi bien c’est assez insulter aux morts, & la souiller d’avantage dans
leurs tombeaux, je viens aux cocus de ce siécle. J’ay dit, si je ne me trompe, qu’il
y en a maintenant plus que jamais & ma raison est un mot qu’il est presque impossible
qu’il en ait tant eu : Autant de maris, dit un Auteur moderne autant de cocus, ou bien autant de victimes exposées au Cocuage. Ne m’en croyez pas Messieurs, mais parcourez vous méme tous
les états & toutes les conditions, entrez dans la boutique d’un Artisant celle c’un
Marchand, entrez dans l’étude d’un Procureur ou d’un Notaire, dans le cabinet de l’Avocat,
&c.
Partout, Messieurs, par tout vous y trouverez des cornes : l’artisan est cocu par
son Aprantif, le Marchand par son gaçon, le Procureur & le Notaire par leurs clers,
l’Avocat par son clien, & à l’égard des autres, ne croyez pas qu’ils soient plus heureux ni que leur qualité soit un titre pour sauver & pour garantir
leur front de feuillage arboré de ce bois si commun à tous les hômes ensemble, leur
qualité ne servira le plus souvent qu’à faire éclater davantage leur infortune, &
à les rendre pour ainsi dire cocus de plus grande importance. Tel est, Messieurs,
le sort fatal des cocus d’apresent, sort qui pourroit les affliger si le mal n’étoit
pas universel, & qu’il fut dans le monde quelque endroit bien heureux & quelque lieu
privilegié où l’on fut exempt du cocuage. Mais j’ose dire, Messieurs, la source du
Nil seroit moins difficile à trouver, la rapidité des plus coulans ruisseaux & des
plus coulantes rivieres seroient plus faciles à arrêter que de trouver cette heureuse
demeure où les femmes soient entourées d’objets differens sans en être frapées, &
sans aucune impression dangereuse conserveroient leur cœur & leur concupiscence, pour
celui que le Ciel leur a donné pour
Epoux, sans le partager avec aucun Ament. Omnia vincit amor & nos cademus amori.
Par tout, Messieurs : par tout l’amour ancre son empire, par tout il fait éclater
son pouvoir, par tout il se plaît à détacher sa plus fidéle épouse des bras de l’époux
le plus tendre & le plus sincere, & de détruire & effacer l’impression de l’union
conjugale, & à separer ce que le Ciel a joint par des nœuds les plus sacrés & les plus indissolubles.
Consolez-vous donc, Messieurs, consolez vous si vos femmes ne vous sont pas fideles,
si elles s’abandonnent aux douces violences de leur temperamment, si elles suivent le secret penchant qui les porte
à chercher dans des nouveaux amans de nouveaux ragouts & de nouveaux plaisirs & en
un mot si elles vous traïssent & si elles vous cocufient, ce pretendu malheur, cette
infamie ridicule, & ce sort à la mode, vous
sont communs avec bien d'autres. Vous avez eu des Predecesseurs illustres, des compagnons de tous les rangs, de tous les
ages; tandis qu’il y aura des maris il y aura des Cocus. Les fêmes ont été infideles,
elles le seront toûjours : le present & le passé nous sont garants de l’avenir. Voulez-vous
sçavoir ce qui cause le cocuage, prenez vous en à vous même; Si vous faites reflexion
sur l’impuissance de vos vieux jours & l’abondance de vôtre jeunesse. Ainsi reglez vos lits & vos maisons; & que vôtre ordinaire n’ait jamais plus de mets
que l’autre pour y accoûtumer vos femmes dans le commancement du mariage. Mais où
me porte l’ardeur de mon zele C’est assez en parler des cornes; finissons ce discours,
qui vous pourroit ennuyer
Je vous ay montré dans les deux Points qui en ont fait la division en premier lieu,
que le Cocuage n’est
pas un mal comme on se l’imagine. En second lieu; supposé que cela fut, vous en devez
être consolé, par le grand nombre de ceux qui ont eu le même sort & qui l’auront tant
que le monde sera.
Que reste il donc, sinon que touché de compassion, presse du charitable desir de vous
tirer des peines où vous êtes. Je vous ay fait revenir de vôtre ancienne erreur :
ne regardez donc plus le cocuage que comme une chose indifferante, & à vivre d’une
telle maniere avec vos femmes, & leurs galans, que leurs plaisirs ne vous fassent
plus de noirs chagrins; que delivrez de tous soins& de toutes inquiétudes; vous puissiez
joüir long tems à l’abri de vos cornes du repos & de felicité que je vous souhaitte
avec les autres :
Cornua cum cornibus; Cornua sunt omnibus
Cocu en herbage,
Cocu le reste du tems; hélas! quel outrage.
Tu en verra bien d’autres,
Marie toy & tu seras Cocu comme les autres.
ben hurou qui n’escapo.
x