
La Response des Servantes aux langues calomnieuses qui ont frollé sur l’ance du panier ce caresme
Si c’est la fille de quelque meschant savetier, elle a un demy ceing de quarante
ou cinquante francs sur ses costez; la voyez-vous cheminer par les rues! Voyla madame
qui fait piaffe1, et elle se marie à quelque porteur d’eau. Est-elle dix-huit mois en mesnage, a-elle
eu un enfant, voilà ma pauvrette et glorieuses de servante à la merde jusques aux
oreilles.
Si c’est la fille de quelque crocheteur qui serve à quelque bonne maison, et que
de petite marmitonne elle parvienne à estre fille de chambre, elle se fardera aussi
bien que sa maistresse, et elle se fera croire qu’elle sera la fille de quelque bon
marchant; toutefois elles ont raison, car leur père sera marchant de paille, de cotterests
ou de fagots; il se trouvera quelque valet de chambre qui aura bonne mine, et rien
plus, croira que ma glorieuse aye force pistoles, et n’aura que le cul et trois ou
quatre paires de meschans habits, la prendra en mariage. Ont-ils esté un an et demy,
ont-ils grugé leur fait, il n’y a plus personne au logis, il faut vendre tout pièce
à pièce, et puis mon cadet se met au regiment des Gardes, et ma glorieuse, toute crottée,
salle, puante de pauvreté, sera bien heureuse de trouver quelque maison de procureur
pour estre servante de cuisine.
Si c’est la fille de quelque fruicterie, et que pour l’honneur de Dieu l’on la prenne
en quelque bonne masion pour nettoyer les souliers, ou bien laver la vaisselle, et
qu’elle parvienne à estre servante de cuisine, a-elle esté deux ou trois ans à cet
exercice, elle deviendra glorieuse, sans faire semblant de cognoistre ses parens,
voire sa propre mère, qui demandera un pauvre morceau de pain à la porte du logis,
et elle s’amusera à se faire brave aux despens de l’ance du panier; après, aura-elle
ferré la mule, il faut faire l’amour et attraper le cocher ou le cuisinsier du logis;
sont-ils mariez, ils auront soixante ou quatre-vingts escus, il faut faire bonne chère
et ne rien faire tant que l’argent dure; au bout de 106) quatre ou cinq mois, ils
ont un petit Populo, car ils ont commencé de bonne heure à faire cet enfant; l’argent
est-il mangé, il faut commencer à vendre la chaisne des ciseaux2, et après les chaisnes du demy ceing; tout est-il frippé, il faut vendre le corps,
il n’y a plus que le fagot qui demeure par après; tout cela est-il fricassé, s’il
y a quatre ou cinq bagues d’or, il les fault aller vendre chez l’orphèvre l’une après
l’autre, et après il en ira acheter à dix-huit deniers ou à deux carolus la pièce
soubs les charniers Sainct-Innocent; cela fait, faut vendre la meilleure des cottes;
tout est-il mangé, on ne dit plus : ma fille, ny mon petit coeur, ny m’amour, ny ma
mignonne; Martin-Baston3 est employé et marche plus souvent que tous les jours. Et puis les maudissons vont
leur train l’un à l’autre tous les jours à la maison : Et va, carogne!—Tu en as menty,
fils de putain! tu as tout mangé mon bien!—Vous avez menty, vesse! vous avez tousjours
dormy jusques à dix ou unze heures; mais, par la serpe-bleu, je vous romperay le col,
double chienne. Et le mary s’en va à la guerre, et ma pauvre diablesse reduite à la
porte 107) d’une eglise, avec trois ou quatre enfans : voylà une de ces pauvres glorieuses.
Si c’est la fille de quelque vendeuse de lunettes, et qu’elle demeure chez quelque
bon marchant, elle a bien moyen de ferrer la mule, car sa maistresse est tousjours
au contoir; elle sera six mois à faire la bonne menagère, après elle se frotte au
pilier, c’est encore pis que les filles de chambre et de cuisine; elles s’amuseront
à faire comparaison au maistre du logis, ou bien au fils du logis, ou à quelques garçons
de la boutique, et la maistresse, voyant tout cela, luy donne son sac et ses quillles.
Et ma pauvre fretileuse sera deux ou trois mois sans trouver condition; elle mangera
tout son fait jusques à ses habits. Il faut aller aux recommandaresses pour trouver
condition, quelquefois trois semaines sans rien trouver, et ce passer à manger pour
un sol de pain et boire de l’eau tout le saoul : voilà ma petite trotteuse bien esbahie.
Quelquefois elles seront bienheureuses de demeurer chez quelque cordonnier ou savetier.
Ont-elles passé l’hiver de la façon, ont-elles deux ou trois escus, il faut avoir
une cotte et quelque meschante hongreline à la fripperie, et de là chercher quelque
meilleure condition. Sont-elles r’adressées à quelque bonne maison, ils ne se souviennent
plus du mauvais temps; elles sont plus glorieuses que jamais, et ferrer la mule comme
il faut et amplir leur bource; après il viendra quelque compagnon cordonnier, tailleur,
serrurier, ou savetier, ou marechal, pour luy faire l’amour; vous luy 108) verrez
faire la roue comme un paon, sur l’ombre qu’elle aura soixante ou quatre-vingts escus;
neantmoins l’amour luy commande de se marier; elle est si transportée qu’elle ne se
soucie des moyens ny du travail, pourveu qu’elle aye un beau polly, et qui luy mange
bientost son faict. Voylà mariée, il faut porter le mouchoir de col, les cheuveux
aux boufons4 il est question d’aller promener à Vanve, à Vautgirard, à Gentilly, à Belleville-sur-Sablon.
A-elle un petit enfant, l’a-elle nourri quatre ou cinq mois, ont-ils tout grugé, il
faut que le pauvre mary s’en retourne travailler chez les maistres, et ma petite muguette
envoye son enfant nourrir au village, et elle est contraincte d’aller estre nourrice
chez madame. Voylà un très bon menage. Prenez-y bien garde, mes petites glorieuses.
Notes
- L’ostentation dans les habits↑
- Toute servante un peu huppée s’attachoit ses ciseaux sur le côté avec une chaînette d’argent.↑
- Martin-Bâton :
s. m. Homme armé d'un bâton, et, par extension, le bâton personnifié qui sert à battre les animaux récalcitrants
. Il faut ajouter que dans notre corpus,le bâton personnifié qui sert à battre les animaux récalcitrants
sert aussi à battre la femme. Martin-Bâton, Émile Littré : Dictionnaire de la langue française (1872-77), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 26 mai 2011.↑ - Coques bouffantes.↑
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