Le mariage sous L'Ancien Régime
Le Fantastique repentir des mal mariez
Si tu te plains que ta femme est trop bonne1
L’ayant gardée trois semaines en tout,
Attens un an, et tu perdras à coup
L’occasion de t’en plaindre à personne.
Mais, si elle est malicieuse et fière,
Par bon conseil, ne l’en estime moins :
Je prouveray tousjours par bons tesmoins
Que la meschante est bonne mesnagère.
Si par nature elle est opiniastre,
Commande-luy toute chose à rebours,
Et tu seras servy suivant le cours
De ton dessein, sans frapper ny sans battre.
Si au bourbier menteur elle se plonge,
Croy le rebours de ce qu’elle dira,
Et tu verras qu’elle te servira
De verité, pensant dire mensonge.
Si elle dort la grasse matinée,
C’est ton profit, d’autant qu’elle n’a pas
Tel appetit quand ce vient au repas,
Et son dormir luy vault demy-disnée.
Si elle fait la malade par mine,
Va luy percer la veine doucement,
Droict au milieu, et tu verras comment
Tel esguillon luy porte medecine.
Si elle est vieille ou malade sans cesse,
Tu la sçauras sage contregarder,
Attendant mieux, et si pourras garder
Pour un besoin la fleur de ta jeunesse.
Si tu te plains que ta femme se passe
De faire enfans, par faute d’un seul point,
Sois patient : mieux vaut ne s’en voir point
Que d’en avoir qui font honte à leur race.
Mais, si tu dis que la charge te presse
D’enfans petits, dont la teste te deult,
Ne te soucie, il n’en a pas qui veut :
Ils t’aideront à vivre en ta vieillesse.
Si quelquefois du vin elle se donne,
Cela luy faict sa malice vomie;
C’est un potus2 qui la faict endormir;
Femme qui dort ne faict mal à personne.
Si le ciclope a tasché son visage
D’une laideur qui ne se peut oster,
C’est pour du jeu d’amour te desgouter :
Qui moins le suit est reputé pour sage.
D’autre costé, ne sortant de ses bornes
En beaux habits, la blancheur de son taint
Ne te fera de jalousie attaint,
Ains te rendra franc de porter les cornes.
Si bien parée elle feint l’amiable 3
Sortant dehors, je te diray pourquoy :
C’est pour complaire à autruy plus qu’à toy,
Veu qu’au logis elle ressemble un diable.
Si tu me dis que toujours elle grongne,
C’est pour tenir en crainte sa maison;
Il m’est advis qu’elle a quelque raison,
Veu qu’en grongnant elle fait sa besongne.
Si elle est brave et superbe sans honte,
Tel te dira aujourd’huy et demain :
Bonjour, Monsieur, le bonnet en la main,
Qui paravant de toy ne faisoit conte.
Si, gracieuse en tenant bonne geste,
Au decouvert son beau sein elle a mis,
C’est qu’elle veut donner à tes amis
Opinion très bonne de son reste.
Mais, si elle a joué son pucellage,
N’en sonne mot : celui qui l’a gaigné
Perdant le sien, libre t’a espargné
Un grand travail; c’est autant d’avantage.
Si elle faict à tes amis service
De corps et biens, par liberalité,
Elle vaut plus que tu n’as merité
Elle n’est point subjecte à l’avarice.
L’avarice est un vice miserable;
L’on voit souvent qu’un faquin usurier
Va choisissant tel pour son heritier
Qui le voudroit voir mort sur une table.
L’avare encore à un pourceau ressemble,
Duquel jamais honnesteté ne sort
Pendant qu’il vit ; mais, depuis qu’il est mort,
Tous les voisins en font grand’ chère ensemble.
Si tu me dis qu’elle est insatiable,
Ne se pouvant d’aucun gain contenter,
Après sa mort tu te pourras venter
D’avoir trouvé le butin amiable.
Si tu te plains qu’elle a mauvaise teste,
Il m’est avis que tu te fais grand tort :
Elle en fera le vinaigre plus fort ;
Au demeurant elle est sage et honneste.
Si elle court et souvent se pourmeine
Par cy, par là, n’a-elle pas raison?
C’est pour laisser la paix en ta maison :
Quand elle y est, trop de bruit elle y mène.
Si tu la dis mauvaise mesnagère,
N’espargnant rien pour faire un hoschepot4 ,
Elle s’adonne à escumer le pot :
Vive tousjours la bonne cuisinière!
Si elle a faict voler son mariage
En gros estat et dissolutions,
Tu l’as permis par vaine ambition :
C’est pour te rendre en tes vieux jours plus sage.
Si ta femme est de pauvre parentage,
N’en sois fascheé, car le riche apparent,
Prompt au mespris de son pauvre parent,
Ne luy sert plus que d’un fascheux ombrage.
Socrates fut homme plein de science,
Qui, se voyant de sa femme outragé,
Ne la voulut battre comme enragé,
Mais fut contrainct de prendre patience.
1 Cette pièce a été donnée par M. G. Duplessis, mais avec quelques retranchements,
dans le charmant recueil qu’il a fait paroître sous le titre de Petit trésor de poésie récréative, etc., par Hilaire-Le-Gay. Paris, Passart, 1850, in-32, p. 150. M. Duplessis n’a
pas trouvé la date, mais il la place parmi les poésies du XVIIe siècle.
2 potus, potion.
3 Ce mot, qui ne s’emploie plus que dans la langue du droit, avoit alors le sens d’aimable,
de commode. On le rencontre très fréquemment. Au XVIIIe siècle, il étoit devenu hors
d’usage, et on ne s’en servoit plus qu’en le soulignant. V. Lettre de Mme du Deffand,
t. 2, p. 369.
4 Hachis de bœuf qu’on faisoit cuire dans un pot avec des marrons, des navets et toutes
sortes d’assaisonnement. On l’appeloit aussi pot-pourri. Rabelais compare à un mets de ce genre l’assemblage des moines mendiants de toute
robe qui couroient le monde, toujours se perpétuant, et il place à leur intention,
dans la librairie de Saint-Victor, le hochepot des perpétuons.—Le hochepot étoit encore une de ces soupes au grand pot qui se mettoient sur la table dans le
vase même où elles avoient cuit. Elles sont vantées dans un des contes d’Eutrapel
comme un vrai restaurant et elixir de vie.
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