Le mariage sous L'Ancien Régime
LE
COMTE
D'AMBOISE.
NOUVELLE.
LIVRE SECOND.
Vignette, feuilles, fleurs et plumes.
L'impreinte de la Bilbliotheque de l'Arsenal
A PARIS,Chez Claude Barbin, au
Palais, sur le Second Perron de la
Sainte Chapelle.
Filet simple.
M. DC. LXXXIX.
Avec Privilege du Roy. 1
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Bandeau, figures féminines et masculines. LE COMTE D'AMBOISE. Filet simple. NOUVELLE. LIVRE SECOND.
MAdemoiselle de
Roye vint enfin les
joindre ; ils n'estoient
pas loin de la porte du
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Jardin, & ils allerent au
devant d'elle jusque-là :
Elle felicita le Comte de
ce qu'il estoit en si bonne
Compagnie, & crut par
là l'obliger à dire quelque
chose de flateur pour Mademoiselle de Sansac ; mais
il affecta d'abord de justifier son intention d'une
maniere qui fit craindre à
Mademoiselle de Roye,
qu'il ne des-obligeast son
Amie ; elle prit un pretexte pour retourner sur le
champ, & emmena Ma
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demoiselle de Sansac. Je
veux, dit-elle à Monsieur
d'Amboise, vous l'enlever, pour vous punir de
vostre dissimulation. En
achevant ces parolles, elle
monta en Carrosse avec
tant de precipitation, qu'il
n'eut pas le loisir de répondre.
Il estoit au desespoir de
voir l'opiniâtreté de Mademoiselle de Roye, à se
persuader une chose qu'il
sçavoit pourtant bien qui
ne la fâcheroit pas ; soit
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qu'il apprehendast de luy
donner le moindre sentiment de jalousie, soit qu'il
apprehendast de ne luy en
donner aucun, il ne pouvoit s'en consoler, le chagrin, la joye, ou l'indifference de cette belle personne devenoient également cruels pour luy.
Il fut sur le point de courir apres elle, & de ne la
point quitter qu'il ne fût
pleinement justifié ; mais
le pretexte qu'elle avoit
pris pour retourner, luy
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donnant lieu de croire
qu'elle ne seroit pas si-tost
chez elle, il alla chez le
Roy, & il laissa malgré
luy ces deux Amies en liberté.
Lors qu'elles furent retournées au logis de Mademoiselle de Roye, & entrées dans sa Chambre, elle
se trouva embarassée. Le
peu de succez qu'elle prévoyoit à la passion de Mademoiselle de Sansac, luy
faisoit apprehender de la
mettre sur ce sujet ; cepen
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dant elle s'apperceut que
son silence l'affligeoit encore davantage ; de sorte
qu'elle la fit parler pour
luy laisser prendre quelque
soulagement, si ce n'estoit
plus pour la consoler.
Si l'on osoit, luy dit elle,
vous demander par quelles
manieres le Comte d'Amboise a pû s'attirer des sentimens dont il est si peu digne... Je sçay que j'ay tort,
interrompit Mademoiselle
de Sansac : mais je puis cependant m'excuser ; je
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voyois incessamment le
Comte d'Amboise avec
vous ; je le trouvois aimable par l'ardeur avec laquelle il aimoit ; j'estois
charmée de sa delicatesse.
Vous ne l'aimiez pas ; &
quoy que cette pensée me
donnast un plaisir secret,
je blâmois vostre injustice,
& j'allay trop loin en voulant l'éviter. Quand je parlay à la Reine pour empescher vostre Mariage avec
luy, je croyois m'y engager pour l'amour de vous,
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ou pour l'amour de mon
frere ; cependant j'ay connu depuis que c'estoit mon
interest seul qui me faisoit agir ; Madame de
Roye rendit tous mes projets inutiles, par sa fermeté
dans ses premiers sentimens
pour le Comte ; j'eus du
dépit d'avoir mal réüssi.
Vous retournastes à la
Campagne, le Comte vous
alloit voir souvent ; je ne
le voyois presque plus, cela me fit sentir à quel point
il m'estoit cher ; je voulus
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m'opposer à mon penchant, mais ce fut inutilement, & mesme en cherchant à rappeller ma raison, je songeois sans cesse
à luy, & j'achevay de la
perdre.
Elle se teut durant quelque temps ; puis elle poursuivit, voyant que Mademoiselle de Roye ne parloit pas. Je sentis distinctement la jalousie ; j'eus des
remords d'avoir essayé de
vous oster au Comte, puisqu'il n'en estoit pas plus à
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moy : mais je fus au desespoir, quand il songea une
seconde fois à vous épouser, & je n'eus de repos que
lors que par un excez d'amour extraordinaire, il
vous eut cedée à son Rival.
Cette action augmenta
beaucoup mon estime, il
me sembla qu'elle authorisoit ce que je sentois pour
luy,& mesme ce que j'avois fait contre luy ; quoy
que cét exemple de generosité me condamnast ; je
ne vis point la difference
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de son procedé & du mien;
je crûs que ma conduite
estoit justifiée par ce desinteressement, & par vostre
indifference ; mais ce n'étoit en effet qu'un peu d'esperance qui justifioit tout.
Helas ! je ne fus pas long‑temps dans cette situation ;
si j'eus des momens moins
des-agreables, ce ne furent
que des momens, vous
sçavez si j'ay eu lieu de me
flater.
Mademoiselle de Sansac
ne pût continuer un tel
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discours, & jettant un torrent de larmes, elle contraignit Mademoiselle de
Roye à luy parler. Je suis
plus mal-heureuse que
vous, luy dit-elle, je sens
tous vous maux comme
vous mesme, & j'ay encore le chagrin de vous les
avoir causez ; c'est par moy
que vous avez connu particulierement le Comte
d'Amboise, c'est peut-estre
pour l'amour de moy qu'il
ne prend pas les sentimens
qui sont deûs à vostre me
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rite ; enfin c'est mon indifference pour luy, qui a
donné lieu à vostre pitié ;
tout vous devient un poison, je n'ose rien entreprendre, & apres avoir fait
tous vos chagrins, j'ay la
douleur de ne pouvoir
vous en tirer ; vous ne devez plus avoir d'amitié
pour moy ; vous me regardez comme une Rivalle,
peut-estre vous me haïssez.
Non, interrompit Madeoiselle de Roye, c'est
d'Amboise qu'il faut haïr,
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& ce n'est point vous ;
mais je ne puis mesme
avoir le soulagement de
haïr l'un ou l'autre. Que
m'a-t-il fait ? il ne m'a point
trahie, puisqu'il ne m'a jamais aimée ; helas ! faut-il
que ce soit là ce qui m'oste
le droit de me plaindre?
Ses pleurs qui redoublerent, l'obligerent une
seconde fois au silence ; &
Mademoiselle de Roye
voyant de l'alteration sur
son visage, craignit qu'elle ne se portast mal, & l'o
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bligea de se mettre sur un
lit ; Elle passa en suite dans
son Cabinet pour parler à
un de ses Gens, on l'avertissoit de la part de Madame de Roye, que le
Comte d'Amboise devoit
venir, & qu'elle eût à le
recevoir s'il arrivoit avant
son retour. Il vint en ce
moment ; & n'ayant veu
personne dans l'Anti‑chambre, n'y mesme dans
la Chambre, parce que
Mademoiselle de Roye
avoit ordonné à ses Fem
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mes lors qu'elle estoit entrée avec Mademoiselle de
Sansac, de passer dans son
Cabinet, qui en estoit assez
éloigné, afin qu'elles ne
fussent pas témoins de leur
conversation. Il alloit sortir, mais Mademoiselle
de Sansac s'estant tournée
avec quelque bruit pour
voir qui arrivoit, il s'approcha du lit dont les rideaux estoient à demy fermez. Il ne la reconnut
point, elle avoit une partie de ses coëffes sur son vi
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sage ; il crût que c'estoit
Mademoiselle de Roye
qui se reposoit sur son lit ;
de sorte que l'esprit encore
tout remply de l'Avanture
du Jardin, & craignant
mesme de perdre l'occasion de luy parler, Mademoiselle, luy dit-il, je ne
puis differer un moment à
me justifier, auriez-vous
bien la dureté de croire
que je pourrois aimer Mademoiselle de Sansac ? je
n'eus pas hier de loisir de
vous répondre sur ce que
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vous me voulûtes : faire
penser de ses sentimens,
mais en estoit-il besoin ? Si
vostre indifference ne m'a
pas fait changer, toute la
passion qu'on pourroit
avoir pour moy ne le feroit
pas davantage.
Mademoiselle de Roye
qui comprit que quelqu'un entroit, & que mesme on vint avertir par un
autre costé que c'estoit
Monsieur d'Amboise, revint dans la Chambre, &
luy dit à demy bas, qu'une
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Dame de ses amies dormoit
sur ce lit, & qu'elle alloit
le recevoir dans une autre
chambre, mais elle ne
sçavoit pas qu'il en avoit
déja trop dit.
Mademoiselle de Sansac
en avoit esté frapée comme
d'un coup de foudre, &
ce dernier malheur estoit si
affreux, qu'il n'y avoit que
la mort qui pût luy en oster
la honte & la douleur. Elle
demeura sur le lit de Mademoiselle de Roye, accablée de mille pensées diffe
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rentes, sans prendre aucune resolution.
Monsieur d'Amboise
estoit avec Mademoiselle
de Roye ; il luy disoit les
mesmes choses qu'il avoit
crû luy dire, lors qu'il
avoit parlé à Mademoiselle
de Sansac ; mais elle luy
marqua, qu'elle prenoit
peu de plaisir à les entendre, & que si quelque
chose estoit capable de la
toucher, ce ne seroit que
les sentimens qu'il prendroit pour son Amie. Il fut
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outré de cette indifference,
& il demeura saisi d'une si
vive douleur, qu'il cessa
de luy parler.
Madame de Roye revint
plustost qu'elle n'avoit
pensé, & Mademoiselle
de Roye alla retrouver
Mademoiselle de Sansac,
dont le desespoir redoubla
par sa presence. Elle fit un
cry douleureux lors qu'elle
la vit ! Ha ! vous m'avez
trahie, luy dit-elle, j'esperois du moins que le
Comte ignoreroit ma foi
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blesse ; mais il manquoit
quelque chose à vostre
victoire, vous avez trouvé
de la gloire au sacrifice
qu'il vous a fait de moy.
Je vous demande pardon
de vous soupçonner de
cette pensée ; mais pourquoy luy dire que je l'aimois, puisqu'il vous aime ?
Elle n'eut pas la force de
poursuivre, ses larmes
couloient en abondance,
& elle ne pouvoit que
pleurer.
Mademoiselle de Roye
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comprit une partie de ce
qui s'estoit passé ; elle
n'avoit rien à luy réponddre, & il n'estoit pas temps
de justifier son intention,
quand elle estoit coupable
par de si tristes effets ; tout
ce qu'elle pouvoit faire,
estoit de l'asseurer qu'il seroit aisé de desabuser le
Comte de la pensée d'estre
aimé ; mais le remede n'etoit point encore du goust
de Mademoiselle de Sansac:
Non, dit-elle, qu'il le
sçache, & je ne le verray
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jamais. Là-dessus elle se
leva de dessus le lit où elle
estoit, elle sortit de chez
Madame de Roye dans le
dessein de n'y revenir plus,
& le lendemain elle alla à
une maison de campagne
que son Pere avoit auprés
de Tours. Là elle essaya
d'oublier tout le monde,
elle abandonna le dessein
de poursuivre le mariage
de son frere avec Mademoiselle de Roye, quoy
qu'il pût servir à la vanger
de d'Amboise ; & tous ses
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sentimens cederent à sa
honte ; ainsi elle ne laissa
à cette Amie que le chagrin d'avoir perdu une
personne à qui elle confioit ses sentimens, & de
conserver toûjours un
Amant mal-heureux.
La constance de Monsieur d'Amboise estoit si
cruelle à Mademoiselle de
Roye, par les suites qu'elle avoit eues, qu'elle
commença à luy en faire
un crime ; elle ne luy parloit plus qu'avec une sor
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te d'aigreur, contre laquelle il n'estoit point
preparé. Il n'avoit pas
pensé qu'elle le traiteroit
plus mal, parce qu'il ne
pouvoit aimer qu'elle. Il
entroit dans cette nouvelle rigueur une sorte
d'injustice & de mépris,
qui ne luy parut pas supportable ; il pensa qu'il
pourroit vivre sans aimer
une personne dont l'ingratitude meritoit sa haine, ou plusost son oubly, & il recommença à
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l'éviter plus qu'il n'avoit
jamais fait.
Sansac fut au desespoir
de l'absence de sa Sœur ;
il n'avoit plus personne
auprés de son Pere qui
parlast pour luy, de sorte
qu'aprés avoir écrit inutilement à Mademoiselle de
Sansac, il alla la trouver
au lieu où elle estoit. Il
fit tous ses efforts pour
l'obliger à revenir, mais
il n'obtint rien d'elle, &
il ne la tira pas un moment de l'accablement
30
mortel où elle esoit
plongée.
Madame de Tournon
qui le voyoit tres affligé,
& qui méditoit les moyens
de le retirer d'auprés
Mademoiselle de Roye,
feignit une nouvelle chaleur pour ses interests,
elle luy dit qu'un de ses
amis qui pouvoit tout
sur l'esprit du Comte de
Sansac, seroit bien-tost à
Paris, & qu'elle employeroit tout le credit qu'elle
avoit sur cét Amy, pour
31
faire réüssir le dessein du
Marquis.
Sansac sçavoit qu'en
effet celuy dont elle parloit, estoit fort consideré de son Pere. Quel plaisir d'envisager un moyen
de parvenir au bon heur
qu'il attendoit depuis si
long temps ! La force de
ses sentimens luy redonna de l'amitié pour cette
Comtesse. Il luy promit
une reconnoissance eternelle, & il retourna chez
elle avec assiduité.
32
Elle avoit introduit le
Comte de Sancerre chez
Madame de Roye : il
estoit d'un caractere d'es
prit à faire plaisir à tous
ceux qu'il voyoit ; il y
alloit souvent, & son
amour s'augmentoit tous
les jours par la connoissance particuliere de l'esprit de Mademoiselle de
Roye ; cette passion estoit
mesme irritée par celle
qu'il luy connoissoit pour
le Marquis de Sansac.
Bien souvent un Rival
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fait valoir le merite d'une Maistresse, & quand
il ne sçauroit la faire haïr,
il la fait infiniment aimer.
Quoy que Monsieur
d'Amboise évitast Mademoiselle de Roye, il n'étoit pas possible qu'il ne
la rencontrast jamais, &
il y avoit un mois qu'il
ne l'avoit veuë, lors qu'il
se trouva auprés d'elle un
jour que la Reine Regente recevoit des Ambassadeurs d'Espagne. D'a
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bord qu'il apperceut Mademoiselle de Roye, son
premier mouvement fut
de changer de place,
mais elle le salüa d'une
maniere, qui bien qu'assez indifferente, avoit un
charme par lequel il se
sentit arresté ; il n'osa cependant luy parler, mais
lors que la Ceremonie
fut achevée, les Hommes donnerent la main
aux Dames pour les remettre dans leur Carrosse.
Le Marquis de Sansac fut
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obligé de prendre celle
de Madame de Roye, &
Monsieur d'Amboise dit
à Mademoiselle de Roye
qu'il n'osoit luy offrir la
sienne ; elle ne luy répondit rien, & luy tendit la
main avec assez de civilité.
Jamais Mademoiselle
de Roye n'avoit esté si
parée ny si belle ; les applaudissemens qu'elle avoit
receus, faisoient paroistre
sur son visage une joye
modeste, qui auroit ex
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cité de l'amour dans les
cœurs les plus insensibles.
Quoy que la passion de
Sansac fût au point de ne
pouvoir augmenter, il
avoit neantmoins senty
un nouveau plaisir à la
regarder. D'Amboise se
souvint des premieres fois
qu'il l'avoit veuë ; il fit
un profond soûpir, & il
la regarda avec des yeux
moüillez de larmes.
Comme il y avoit de
grands Appartemens à
traverser, & que beau
37
coup de gens s'estoient
mis entre Madame &
Mademoiselle de Roye,
il eut le loisir de luy parler. Je suis honteux Mademoiselle, luy dit-il,
de vous marquer que vos
mépris & vostre haine
ne sçauroient m'empes
cher de vous aimer ; quels
remedes tenterez vous encore ? ils seront inutiles,
il n'y a que ma mort qui
puisse vous défaire de
moy. Vous m'aviez promis, luy dit Mademoi
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selle de Roye, que vous
ne me tiendriez plus de
pareils discours, que voulez-vous que je vous y réponde ? Rien, Mademoiselle, luy dit-il d'un air
indigné, je n'ay merité
que vostre indifference.
Hé bien, adjoûta-t-il tout
transporté, rendez-la moy,
puisque je suis assez malheureux pour croire que
vostre colere m'est encore un plus grand mal.
Mais, luy dit Mademoiselle de Roye, devez‑
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vous estre surpris de mon
ressentiment ? vous estes
cause que j'ay perdu mon
Amie. Mademoiselle, interrompit-il, dequoy pouvez-vous m'accuser ? ai-je
pris soin de toucher son
cœur ? m'estoit-il possible
d'aimer autre chose que
vous ? Non, Mademoiselle, adjoûta-t-il comme
hors de luy, vous ne me
devez point de tendresse,
je deteste la mienne ; mais
je vous aime, & je suis
digne de vostre pitié.
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Ne vous plaignez donc
point, luy dit Mademoiselle de Roye, je vous ay
donné ce que j'ay pû
vous donner, & hors l'amour vous avez eu tous
mes autres sentimens ; je
vous en promets la continuation, & ne nous
faisons plus de reproches.
Le Comte n'avoit pas
lieu d'estre content, mais
il n'avoit pas droit de se
plaindre. Il la remit au
Carrosse de sa mere, où
41
Sansac estoit qui l'attendoit. Ces deux Amans se
salüerent avec un soûris,
qui exprimoit tous les
mouvemens de leur cœur.
D'Amboise qui avoit feint
de ne pas regarder Mademoiselle de Roye, l'avoit cependant remarqué,
& il en fut penetré d'une
douleur mortelle ; alors
son mal fut extrême,
puisqu'il resolut de se
guerir. Il sentit qu'il seroit toûjours exposé à
chercher Mademoiselle de
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Roye, à la rencontrer, &
à souffrir tout ce que l'amour desesperé & la jalousie ont de plus affreux. De sorte que
voyant qu'il luy estoit
necessaire de quitter Paris, il alla à une Terre
qu'il avoit proche de
Reims, & il se promit
de ne plus revenir, qu'il
n'eût éteint tous les restes
de sa mal-heureuse passion ; ainsi Mademoiselle
de Roye fut délivrée pour
quelque temps d'unAmant
43
qui commençoit à l'importuner, parce qu'elle
avoit des égards pour luy,
& qu'elle n'osoit le maltraiter.
Mais c'estoit le Comte
de Sancerre & Madame
de Tournon, dont elle
n'avoit rien apprehendé,
qui devoient causer tous
les mal heurs de sa vie.
Sancerre vouloit l'engager avant que de se declarer son Amant ; de sorte qu'il avoit commencé
à entrer en liaison avec
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elle, en luy parlant souvent de Sansac, & à la faveur de ce nom il se rendoit aimable ; elle le
voyoit avec un plaisir qui
estoit mesme suspect à
Sansac, il craignoit de
trouver un Rival dans un
homme qui luy paroissoit
redoutable, & qui estoit
assidu chez Mademoiselle
de Roye ; il luy avoüa ses
soupçons, mais elle l'asseura si fortement qu'il
n'estoit qu'Amy, & elle
en estoit si persuadée,
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qu'elle ne fit mesme point
de reflection aux inquietudes de Sansac. Il avoit
aussi tant de raisons de
s'asseurer de l'inclination
de Mademoiselle de Roye,
qu'il voulut bien d'abord
luy soûmettre sa jalousie.
Madame de Tournon
qui par les promesses qu'-
elle luy avoit faites de
s'employer pour son Mariage, l'avoit engagé à
luy rendre des soins, fit
semer par le Comte de
46
Sancerre que ce Marquis
estoit devenu amoureux
d'elle. Quoy que Mademoiselle de Roye eût esté
avertie des raisons qu'il
avoit de la ménager, cette Comtesse estoit encore
assez aimable pour pouvoir donner des inquietudes à une Rivale.
Mademoiselle de Roye
apprit à Sansac ce qu'on
disoit de luy ; il demeura
dans une surprise qui parut naturelle ; il luy répondit d'une maniere si
47
tendre, & il l'aimoit si
veritablement, qu'il ne
pouvoit manquer d'estre
bien-tost justifié. Il luy
offrit de rompre avec
Madame de Tournon,
mais ils croyoient tous
deux avoir le mesme interest à la conserver pour
Amie. Elle le pria à la fin
de ne point changer de
conduite, & elle l'asseura
que jamais elle n'en auroit de chagrin.
Sa jalousie parut si tendre à son Amant, que
48
dans ce moment il perdit celle qu'il avoit euë
de Sancerre ; il fut mesme si honteux d'avoir pû
soupçonner d'infidelité un
cœur si delicat, qu'il craignit de la faire souvenir
des craintes qu'il luy
avoit marquées ; mais
cette paix ne dura pas
long-temps, Madame de
Tournon voulant qu'ils
prissent en mesme temps
de l'ombrage, gagna celle des Femmes de Mademoiselle de Roye, en qui
49
elle avoit le plus de confiance ; elle luy donna
une Lettre qui s'adressoit à Mademoiselle de
Roye, mais elle la pria
de ne la luy montrer pas,
& de faire en sorte que
Sansac la lût, sans qu'il
parût qu'on eût eu le
dessein de la luy laisser
voir.
Le hazard favorisa son
intention peu de jours
apres, & la chose fut
ponctuellement executée. Sansac vint le soir
50
chez Madame de Roye,
elle n'y estoit pas ; ses
amis attendoient quelquefois son retour, mais
ce jour-là elle devoit
soupper avec sa Fille
chez Madame de Tournon ; cependant cette
femme feignit de l'ignorer, elle dit à Sansac
qu'elles alloient revenir,
& elle voulut le faire entrer dans l'Appartement
de Madame de Roye,
dont elle avoit exprés
égaré la clef, pour avoir
51
lieu de le mener dans celuy de Mademoiselle de
Roye. Elle venoit d'y
porter promptement le
Billet dont elle estoit
chargée, il estoit sur la
table décacheté, & paroissoit y avoir esté oublié. Elle y laissa le Marquis seul, il leut le billet qui estoit de la main
du Comte de Sancerre,
dont Sansac connoissoit
l'écriture. Sancerre par
ce Billet, avoüoit à Mademoiselle de Roye qu'il
52
avoit crû long-temps
n'estre que son Amy ;
qu'en suite il luy avoit
déguisé ses veritables
sentimens à la faveur de
ce nom, & qu'enfin il
ne pouvoit plus s'empescher de les luy faire connoistre. Sansac le leut
avec le mesme chagrin,
que si en apprenant l'amour du Comte il eût
appris qu'il estoit aimé.
Cette femme rentra
dans la Chambre, lors
qu'elle jugea qu'il auroit
53
lû le Billet, & elle luy
dit que Madame de
Roye venoit de renvoyer
ses gens, & qu'elle passoit le soir chez Madame de Tournon. Il y
alla aussi tost, sans douter que Sancerre ne s'y
trouvast ; cependant ayant
reconnu de loin ses livrées à la porte, il fut
frapé de cette veuë comme s'il ne s'y estoit pas
attendu. Il entra chez
Madame de Tournon,
pour voir de quelle ma
54
niere Mademoiselle de
Roye se conduiroit avec
son nouvel Amant ;
mais comme elle n'avoit
pas veu la Lettre qui
pouvoit l'instruire des
sentimens de ce Comte,
elle ne changeoit point
de conduite avec luy.
Sansac estoit au desespoir de luy trouver sa
vivacité ordinaire ; la jalousie luy faisoit mesme
croire qu'elle estoit encore augmentée ; jamais
il n'avoit trouvé les cho
55
ses que Sancerre disoit,
si peu propres à plaire,
& jamais il n'avoit tant
craint qu'elles ne plûssent, enfin il sortit dans
le plus furieux chagrin
où il eut esté de sa vie.
Le lendemain il ne put
voir Mademoiselle de
Roye en particulier, &
le jour suivant on partit
pour aller à Reims au
Sacre de Charles Neuf.
Un temps considerable s'estoit déja écoulé
depuis la mort de Fran
56
çois Second ; les plaisirs
renaissoient à la Cour,
& mesme ils n'avoient
presque pas discontinué,
parce que la Reine Regente qui vouloit estre
absoluë, entretenoit tous
dans l'oisiveté & la molesse ; elle rendoit chaque jour celebre par
quelque Feste ; & estant
toûjours suivie des plus
belles Femmes qui faisoient agir leurs Amans
à son gré, elle regnoit
avec une pleine authori
57
té par le moyen de la galanterie.
Madame de Roye,
qu'une legere indisposition obligeoit à demeurer à Paris, voulut retenir sa Fille auprés d'elle,
mais la Reine la pria de
ne les point priver d'une
personne qui embellissoit sa Cour ; de sorte
qu'elle la confia à Madame de Tournon, qu'-
elle croyoit toûjours la
plus sincere de ses Amies.
Sa Fille ne luy avoit
58
point dit les soupçons
qu'elle avoit eus de cette Comtesse, de peur
qu'elle ne les eût trouvez trop peu raisonnables.
Durant le Voyage,
Madame de Tournon
obsedoit Mademoiselle
de Roye, & sur le pretexte d'amitié ne la quitta pas un moment ; comme la Lettre que Sansac
avoit veuë n'avoit esté
écrite qu'afin qu'il la
vît, Mademoiselle de
59
Roye n'en avoit point
entendu parler, Sancerre
se gardoit bien de luy
laisser soupçonner encore qu'il l'aimast. Il faloit
que son Rival fût détruit
auparavant, & il se contentoit de travailler de
concert avec Madame de
Tournon à broüiller ces
deux Amans, & à les
empescher de s'éclaircir.
Madame de Tournon
avoit dit à Sanfac, qu'encore qu'elle voulût bien
60
le servir dans son Mariage auprés de son Pere,
elle ne vouloit point
entrer avec Mademoiselle de Roye dans la
confidence de son amour, & qu'il ne luy
convenoit point de prendre ces sortes de manieres avec une jeune personne. Il ne pouvoit la
blasmer de cette reserve,
& il en soupçonnoit d'autant mois qu'elle fût capable de prendre un autre interest en luy, que
61
celuy de l'amitié. Ce
Marquis entretenoit toûjours sa jalousie dans son
cœur. Il voyoit que Mademoiselle de Roye ne
rompoit point avec Sancerre, & il la trouvoit
déja trop coupable pour
meriter ses reproches,
mais il luy marquoit une
froideur extraordinaire ;
elle l'attribuoit à sa nouvelle passion pour la
Comtesse, & elle en
conservoit au dépit qui
ne parut aussi d'abord
62
que par sa froideur,
mais il estoit impossible
qu'ils demeurassent long‑temps dans cét estat. Ils
avoient des souçons mutuels qui devoient se
tourner en certitude, ou
il faloit qu'ils s'éclaircissent de leurs doutes ; il
leur arriva une Avanture qui acheva de les
broüiller.
La Reine donna le Bal
à Reims le soir du Sacre
de Charles Neuf ; comme c'estoit la Saison des
63
Masques, elle fit le plan
d'une Mascarade ; elle
ordonna qu'une Troupe
de Bohémiens & une
Troupe de Bohémiennes, vinssent separément
prédire la bonne fortune
du jeune Roy ; qu'en
suite chaque Bohémien
prendroit une Bohémienne, & qu'ils danseroient
ensemble pour se réjoüir
de s'estre rencontrez à
dire des choses agreables.
La Comtesse de Tour
64
non & Mademoiselle de
Roye estoient de la Mascarade ; leur taille estoit
à peu prés égale, leurs
cheveux estoient d'un
brun fort approchant, &
dont le peu de difference ne se remarquoit point
aux flambeaux ; l'habillement de ces Bohémiennes estoit mesme ordonné d'une maniere à ne
laisser presque pas distinguer celles qui avoient
le moindre rapport ; de
grandes robbes volantes
65
leur couvroient toute la
gorge, & descendoient
jusqu'à terre, sans que
rien marquast la taille ;
leurs cheveux qui retomboient sur les épaules,
estoient renoüez avec
quantité de rubans, &
les Dames faisoient part
à leurs Amans de ceux
dont elles devoient porter le jour de la Feste ;
parce que la Reine qui
vouloit entretenir tout
dans la galanterie, l'avoit ainsi souhaité, afin
66
que ceux qui avoient des
Maistresses dançassent avec elles. Mademoiselle
de Roye se trouva embarrassée dans cette conjoncture, la froideur qui
estoit entre Sansac & elle, luy donnoit de la repugnance à luy faire cette sorte de faveur, cependant il luy estoit impossible de la faire à un
autre, elle luy paroissoit
peu considerable en soy,
& c'estoit trouver une
occasion de se plaindre
67
qu'elle ne put negliger ;
elle luy envoya de ses
rubans, & elle luy écrivit avec tant de dépit,
de douleur & de tendresse, que cette Lettre
auroit necessairement produit un éclaircissement
entre-eux, si l'artifice de
Madame de Tournon n'avoit prévalu.
Le Billet ayant passé
par les mains de cette
femme que Madame de
Tournon avoit gagnée,
il luy fut montré ; cette
68
Comtesse vit quelque
ouverture à joüer un
mauvais tour à ces deux
Amans, elle garda les
rubans de Mademoiselle
de Roye, & elle en envoya d'autres au nom de
cette jeune personne,
c'estoit de ceux dont elle-mesme devoit porter.
Son intention estoit de
tromper Sansac, & de
passer pour Mademoiselle de Roye à la faveur
du déguisement, de mettre cette Amante dans la
69
derniere colere contre
luy, & de les empescher autant qu'elle pourroit de s'éclaircir, enfin
de rejetter la méprise des
rubans sur les femmes
qui les servoient, si l'on
en venoit à l'éclaircissement. Cependant elle
trouvoit elle-mesme l'artifice grossier, & elle en
esperoit peu de chose ;
mais elle avoit commencé à semer la mes-intelligence entre-eux, il faloit
hazarder tout ce qui pou
70
voit l'augmenter ; & leurs
cœurs estant déja prévenus de jalousie, les moindres apparences pouvoient achever de les revolter.
Sansac receut les rubans de Madame de Tournon, qu'on luy envoya
de la part de Mademoi
selle de Roye, & il écrivit à celle-cy avec tant
d'amour & tant de jalousie, que Madame de
Tournon à qui cette
Lettre fut montrée, ap
71
prehenda & espera tout
en mesme temps de cette disposition ; elle pria
cette femme qu'elle avoit
gagnée de faire dire à
Sansac que Mademoiselle
de Roye luy parleroit le
soir apres la Mascarade,
& elle avoit resolu de
luy dire sous le Masque
des choses qui le persuaderoient que son Rival
estoit aimé ; on supprima
les Lettres qu'ils s'écrivoient de part & d'autre,
& on dit seulement à
72
Mademoiselle de Roye
que Sansac luy estoit
tres-obligé de ses rubans ;
ce mépris qu'elle avoit si
peu merité, l'a mit dans
une colere inconcevable.
D'abord elle fut surprise
de ce procedé, mais son
esprit estoit aigry de longue main par la froideur
extraordinaire qu'on luy
marquoit, & tout paroist
vray-semblable à la jalousie. Combien s'accusa-t-elle de l'âcheté, d'avoir pû
faire une démarche si
73
mal receuë ; ce qui luy
avoit d'abord paru si leger, luy parut alors terrible ; & sa douleur l'auroit empeschée de se
trouver à la Mascarade,
si elle n'avoit encore
voulu voir de quelle
maniere il s'y conduiroit.
Les Masques danserent ; chaque Bohémienne avoit un Bohémien
qui portoit sa couleur.
Mademoiselle de Roye
vit quelqu'un qui por
74
toit la sienne, & d'abord elle ne le reconnut
pas pour estre le frere
de Madame de Tournon
qui devoit danser avec
cette Comtesse, mais elle remarqua aisément que
ce n'estoit point Sansac
qui dançoit avec elle.
Ce Marquis n'estoit
pas fait d'une maniere
à pouvoir estre confondu avec les autres, il
estoit plus grand que
tous ceux qui estoient de
la Mascarade, de sorte
75
qu'elle l'apperceut avec
les couleurs de Madame
de Tournon, qu'elle ne
pouvoit méconnoistre
parce qu'elle s'estoient
habillées ensemble. Sansac qui la prenoit pour
Mademoiselle de Roye,
trompé par les rubans
qu'on luy avoit envoyez
de sa part, dança toûjours avec elle, & elle
affecta si bien l'air de la
danse de celle qu'elle
vouloit representer, que
le Marquis n'ayant au
76
cun soupçon de l'artifice,
s'y méprit absolument.
Mademoiselle de Roye
sentoit le plus violent
dépit qu'elle eût eu de sa
vie, elle ne douta point
que la Comtesse n'eût
aussi envoyé de ses rubans à Sansac pour avoir
le plaisir de se voir preferer hautement ; dans la
disposition où elle estoit,
il ne luy en faloit pas
tant pour la convaincre
que Sansac & Madame
de Tournon estoient dans
77
une parfaite intelligence,
& le trouble de son esprit la fit danser avec
tant de desordre, que
personne ne soupçonna
que ce fût elle.
Apres qu'elle eut fait
une reveuë de tous les
personnages de la Mascarade, elle connut que
c'estoit avec le frere de
Madame de Tournon
qu'elle avoit dansé, elle
n'examina point si Sansac
avoit voulu la tromper
en mettant quelqu'un à
78
sa place, ou s'il n'avoit
songé qu'à se tirer d'affaire ; mais toûjours elle
se croyoit traitée d'une
maniere si fâcheuse, que
son amour propre estoit
presque aussi blessé que
sa tendresse.
Si-tost que la Mascarade fut finie, elle se
coula doucement vers la
porte, & sortit sans estre
remarquée que de Sancerre, qui avoit toûjours
eu les yeux sur elle, &
qui la reconnoissoit aux
79
rubans que Madame de
Tournon avoit interceptez, & qu'elle luy avoit
montrez. Il sortit aussi
pour luy donner la main,
& elle luy fut obligée de
cette honnesteté ; elle luy
dit qu'elle ne rentreroit
pas, de sorte qu'il la conduisit jusque chez elle.
Il avoit trop d'interest à
sçavoir ce qui se passoit
dans son cœur à l'occasion de Sansac, pour ne
luy en parler pas, & il
faloit dans ce desordre
80
porter les derniers coups
à son Rival ; il feignit
d'un air misterieux de
n'estre point tout à fait
surpris de ce qui estoit arrivé ; c'en estoit assez
pour engager Mademoiselle de Roye mal-gré
elle à luy faire plusieurs
questions, ausquelles il
répondit d'une maniere
qui augmentoit infiniment sa jalousie & sa
douleur ; quoy qu'elle
eut eu mille soupçons,
elle s'accusa en elle-mes
81
me de s'estre aveuglée,
& d'avoir conservé trop
de tranquillité dans le
temps qu'on la trahissoit.
Elle ne se lassoit point
de luy faire de nouvelles
demandes, & il demeura
plus long temps avec elle
qu'elle ne luy auroit permis d'y demeurer, si elle
avoit esté moins agitée.
Sansac apres avoir dansé
avec Madame de Tournon, qu'il prenoit toûjours pour Mademoiselle
82
de Roye, la mena en un
coin de la Salle pour luy
parler ; elle n'ostoit point
son Masque qui tenoit à
sa coëfure2, de sorte qu'il
ne se détrompoit point.
Il luy dit qu'il estoit desesperé, qu'il sçavoit que
Sancerre luy avoit écrit,
& avoit osé luy faire connoistre sa passion, que
cependant elle ne l'en avoit pas plus mal traité,
qu'elle le voyoit avec
plaisir, & qu'enfin il ne
pouvoit plus vivre si elle
83
continuoit d'avoir le mesme procedé avec luy.
Madame de Tournon feignant un ton embarrassé,
luy dit qu'il estoit difficile qu'elle rompît avec
un amy de sa Mere. Ha !
Mademoiselle, luy dit-il,
que me faites-vous envisager ? Pourquoy vous
allarmer, luy dit-elle
d'un ton encore plus embarrassé qu'auparavant ?
quand il seroit vray que
Sancerre auroit d'autres
sentimens pour moy que
84
ceux de l'estime & de
l'amitié, vous ne devez
point penser que j'en aye
d'autres pour luy. Quoy ?
Mademoiselle, reprit-il,
est-il possible que vous
ayez de l'estime & de
l'amitié pour un homme
qui se declare vostre Amant ? je suis perdu si
vous ne vous dédites de
ces cruelles paroles. Je ne
m'en dédiray point, luy
dit Madame de Tournon, il y a de l'injustice
à ce que vous demandez.
85
C'en est trop, interrompit Sansac, ou trompez‑moy mieux, ou achevez
de me détromper, je ne
sçaurois demeurer dans
l'incertitude où je suis ;
dites que vous aimez
Sancerre, que vous ne
sçauriez rompre avec luy,
& je ne vous importuneray plus de ma jalousie,
ny de mes reproches.
Madame de Tournon ne
luy répondit rien. Je
vous entends, Mademoiselle, luy dit Sansac trans
86
porté de fureur, vous
n'aurez plus à souffrir
mes plaintes, mais ce seroit en vain que vous auriez attendu de moy de
la moderation, & tant
qu'il me restera de la vie,
j'empescheray que mon
Rival ne soit plus heureux que moy. Là-dessus
il la quitta brusquement,
& elle ne fit aucune démarche pour le retenir.
Madame de Tournon
estoit dans une joye ex
87
traordinaire, jamais elle
n'auroit osé esperer un
tel succez, & tous ses
artifices estoient si heureux, qu'ils ne luy donnoient aucun remords.
Quoy que la Mascarade
fût finie, le Bal continuoit ; Madame de Tournon apres avoir changé
d'habits, rentra dans la
Salle où l'on dançoit ;
Sansac y estoit allé pour
chercher Sancerre, &
pour l'obliger à se venir
battre, mais il ne l'y
88
trouva pas, & il entendit que Madame de
Tournon disoit que Mademoiselle de Roye s'étoit retirée avec un grand
mal de teste. En effet,
Mademoiselle de Roye
l'avoit fait dire, afin
qu'on ne fût pas surpris
de ce qu'elle ne venoit
point au Bal. Comme
ce Marquis ne voyoit
point Sancerre, il pensa
qu'il pouvoit l'avoir suivie, & il ne luy fut pas
possible de ne point cher
89
cher à s'en éclaircir. Il alla chez Mademoiselle de
Roye, sur le pretexte
de demander des nouvelles de sa santé ; & ayant
sçeu par les gens de Sancerre qu'il y estoit, il demanda à la voir, pour
luy faire mal-gré sa promesse tous les reproches
qu'il croyoit qu'elle meritoit ; mais la colere où
estoit Mademoiselle de
Roye l'empescha de le
recevoir, elle luy envoya
dire qu'elle ne pouvoit
90
parler à cause de son mal
de teste, dans le mesme
moment elle renvoya
Sancerre ; mais comme il
comprenoit que Sansac
avoit remarqué ses gens,
& qu'il jugea que peut‑estre ce Rival auroit la
curiosité de sçavoir s'il
seroit long-temps avec
Mademoiselle de Roye,
il demeura dans l'Anti‑chambre avec celle de
ses Femmes que Madame
de Tournon avoit gagnée, sans que Made
91
moiselle de Roye sçeût
qu'il y estoit, & sans
qu'elle y songeast.
Sansac l'attendoit sur
son passage, agité de tout
ce que la rage a de plus
affreux ; il vit venir le
Comte d'Amboise, &
dans le trouble où il
estoit, il ne put se deffendre de luy parler.
D'Amboise ayant esté
obligé de se trouver à
Reims pour le Sacre de
Charles Neuf, avoit entendu dire que Made
92
moiselle de Roye se portoit mal, & s'estoit trouvé encore assez sensible à
ce qui la regardoit pour
venir avec empressement
s'informer de sa santé.
Vous voyez un homme
desesperé, luy dit Sansac
si-tost qu'il l'apperceut,
vous m'avez plongé dans
l'abisme où je suis, &
vous vous en estes retiré ; vous m'avez cedé une
personne qui fait tout le
mal heur de mes jours,
elle aime Sancerre, il est
93
presentement avec elle,
& elle refuse de me voir.
Je n'ay rien à vous répondre, luy dit Monsieur
d'Amboise, j'ay oublié
Mademoiselle de Roye
en vous la cedant ; là‑dessus il vit sortir le
Comte de Sancerre de
chez elle, & il quitta
Sansac brusquement, de
peur que son air ne démentît les paroles qu'il
venoit de luy dire.
Dans quelle bizarre jalousie ce Comte entra-t-il
94
alors ? il luy sembla que
Mademoiselle de Roye
luy faisoit une seconde
infidelité, elle avoit esté
forcée par son inclination
à aimer Sansac ; d'Amboise commençoit à croire qu'elle aimeroit toûjours celuy qu'elle luy
avoit d'abord preferé, &
cela avoit en quelque
sorte assoupy la premiere
ardeur de ses sentimens ;
mais ce changement le
réveilla, luy redonna des
desirs, du dépit & de
95
l'emportement. Il pensoit
qu'elle pouvoit estre inconstante, & il l'estimoit
moins, mais il en avoit
une nouvelle vivacité ;
il se sentoit prest à se
vanger de celuy qui luy
enlevoit un bien qu'il
avoit crû perdu pour luy,
mais il trouvoit qu'il y
avoit une sorte d'amour
à se vanger, qui ne convenoit point à un homme qui n'avoit jamais
esté aimé ; il avoit honte d'estre encore tour
96
menté par les démélez de
Sansac & de Sancerre,
pour Mademoiselle de
Roye, & il retourna à la
Campagne dés le mesme
moment.
Sansac ayant marqué à
Sancerre que son dessein
estoit de se battre contre
luy, ils allerent assez loin
du lieu où ils se trouvoient, de peur d'estre
détournez ils se battirent
avec une égale impetuosité, & ils auroient terminé leur querelle par la
97
fin de leur vie, si leurs
gens à qui ils avoient
deffendu de les suivre,
ne se fussent doutez de
leur intention, & n'en
eussent averty quelques‑uns de leurs amis qui les
trouverent, & qui les separerent.
Mademoiselle de Roye
fut quelques jours sans
sortir de la chambre, sur
le pretexte de son mal de
teste, de sorte qu'elle ne
voyoit point Sansac. Le
combat de ce Marquis
98
avec Sancerre faisoit beaucoup de bruit à la Cour,
mais on n'en disoit point
le sujet ; Sancerre avoit
de trop grandes raisons
de le cacher, tant qu'il
ne seroit point étably auprés de Mademoiselle de
Roye. Madame de Tournon entra dans cette affaire avec Sansac, & l'engagea au secret, luy disant qu'il devoit des
égards à une personne
qu'il avoit si long-temps
aimée, mais en effet, c'é
99
toit pour empescher que
Mademoiselle de Roye
n'approfondît ce démélé,
si elle avoit sçeu la part
qu'elle y avoit. Sansac
suivit les conseils de cette Comtesse, quoy que
sa colere contre Mademoiselle de Roye ne
fût point diminuée. Cét
Amant essayoit en vain
d'étouffer sa passion ; il
haïssoit Mademoiselle de
Roye, mais il songeoit
incessamment à elle, &
c'est l'oubly qui fait la
guérison.
100
Mademoiselle de Roye
ayant demandé à Sancerre le sujet de son combat
avec Sansac, il luy dit
que le Marquis l'avoit
querellé sur un pretexte
assez leger ; mais que la
veritable cause de sa haine pour luy, estoit qu'il
l'avoit rencontré trop souvent à son gré chez Madame de Tournon, pour
qui il ne pouvoit se persuader qu'on n'eût qu'une simple amitié. Mademoiselle de Roye ava
101
loit ce poison sans resistance, rien ne deffendoit
plus Sansac dans son cœur
contre ces sortes de surprises, & elle avoit une
facilité à croire toutes les
choses qu'on disoit de
luy au sujet de Madame
de Tournon, qui donnoit beaucoup d'esperance à son Rival.
Madame de Tournon
marquoit toûjours à Mademoiselle de Roye la
mesme amitié, mais on
la recevoit avec une
102
grande froideur ; ces deux
Rivales ne se parloient
plus du Marquis de Sansac, & ce n'estoit que
par leur affectation à éviter de prononcer son
nom, qu'elles se faisoient
de la peine l'une à l'autre.
Le Comte de Sansac,
pere du Marquis, estoit
Gouverneur de Touraine ; il estoit malade à
Tours, & dans cét âge
où l'on n'espere plus de
guerir ; la survivance de
103
son Gouvernement fut
en ce temps-là donnée à
son fils, par le credit de
Madame de Tournon ;
comme il ignoroit qu'elle fût la cause de tous
ses déplaisirs, il voulut
bien luy avoir cette obligation ; neantmoins il falut qu'il s'éloignast ; il
luy dit la necessité où il
estoit de fuïr Mademoiselle de Roye, & cette
Comtesse ne s'opposa
point au dessein qu'il
avoit d'aller à Tours,
104
l'absence devoit l'empescher de s'éclaircir avec
Mademoiselle de Roye,
& le guérir de sa passion.
Ce Marquis partit
promptement de Reims,
& peu de jours apres la
Cour retourna à Paris.
Madame de Tournon
prit de grands soins de
faire informer Mademoiselle de Roye de la part
qu'elle avoit euë à ce
qu'on avoit fait pour
Sansac ; en effet, il avoit
105
falu une personne qui
eût du credit sur l'esprit
de la Reine, pour l'engager à faire quelque
grace à cette Famille.
Mademoiselle de Roye
fut remise entre les mains
de sa mere, à qui elle
apprit que Madame de
Tournon estoit sa Rivale, & l'avoit trahie. Madame de Roye eut du
chagrin du changement
de Sansac ; l'engagement
où beaucoup de gens sçavoient qu'il estoit avec
106
Mademoiselle de Roye ;
avoit éloigné les partis,
& cette infidelité luy faisoit quelque tort ; Mademoiselle de Roye sentoit vivement cét affront, & ne se consoloit
pas de n'avoir point aimé d'Amboise, qui avoit
une si veritable passion
pour elle, & dont les
grandes qualitez & la constance devoient l'avoir arrachée à l'inclination qu'-
elle avoit pour Sansac.
Le Comte de Sancerre
107
qui estoit toûjours attaché à elle sous le nom
d'amy, crut que le temps
estoit favorable pour avoüer sa tendresse, mais
il resista à l'envie de se
faire un merite auprés
d'elle de l'avoir toûjours
cachée. Il craignit de se
charger des chagrins qu'-
elle avoit eus contre Sansac, s'il faisoit voir qu'il
avoit toûjours esté son
Rival, & de rendre suspectes les choses
qu'il avoit dites de luy ;
108
de sorte qu'il feignit un
commencement de passion, que l'occasion de
voir tous les jours une
belle personne sans engagement, faisoit naistre.
Mademoiselle de Roye
s'estoit trop mal trouvée
de l'amour, pour le suivre une seconde fois ; &
si son cœur pouvoit encore estre entraîné, ce
n'estoit que par la reconnoissance du costé de
Monsieur d'Amboise ; elle
répondit à Sancerre avec
109
cette indifference, qu'un
Amant trouve plus insupportable que la colere. Aussi comprit-il dés
ce moment tout ce qu'il
en devoit attendre ; cependant il ne se rebuta
point, il luy parla plus
d'une fois.
Son amour estoit las
de se contraindre, il importunoit s'il ne pouvoit
plaire ; de sorte que Mademoiselle de Roye fut
obligée de luy marquer
que s'il continuoit ces
110
discours, elle ne le verroit jamais. Elle le luy
dit d'un air si tranquille,
qu'il ne douta point qu'-
elle n'executast la menace, & il en eut un si
cruel dépit, qu'il cessa
luy-mesme de la voir.
C'estoit en vain que
le Comte d'Amboise
cherchoit à la campagne
un repos qu'il n'y avoit
pas trouvé la premiere
fois, une nouvelle raison
de se guérir ne faisoit
qu'augmenter son mal ;
111
le Comte de Sancerre,
Mademoiselle de Roye
& Sansac se presentoient
sans cesse à son imagination, & le tourmentoient.
Il retourna à Paris entraîné par son inquiétude, &
sans sçavoir ce qu'il y
vouloit faire. D'abord
il n'alla point chez Madame de Roye, & il
estoit tout à fait resolu
à éviter sa Fille ; cependant s'estant informé de
ce qu'elle faisoit, il sçeut
que Sancerre avoit cessé
112
de la voir, & on luy dit
en mesme temps que c'étoit parce que ce Comte
estoit devenu amoureux
d'elle ; que sa passoin l'avoit importunée, & qu'enfin elle l'avoit en quelque
sorte banny. Comme on
cache peu les choses qui
sont indifferentes, Mademoiselle de Roye avoit
avoüé la verité à quelques amies qui luy avoient demandé pourquoy Sancerre ne la
voyoit plus ; & d'Am
113
boise qui cherchoit à le
sçavoir, ne pouvoit manquer d'en estre instruit ;
il perdit par là toute sorte d'ombrage du Comte
de Sancerre, de l'idée duquel il avoit esté plus
importuné, que veritablement jaloux ; il pensa
que Mademoiselle de
Roye avoit seulement
voulu chagriner Sansac,
plustost que de le trahir
lors qu'elle avoit refusé
de le voir, apres la Mascarade qui s'estoit faite
114
à Reims, & qu'elle avoit
receu Sancerre ; qu'enfin
ce pourroit estre la suite
de quelque querelle d'Amans qu'il n'avoit point
sçeuë, & il ne luy estoit
que trop aisé de ramener
toute sa haine du costé
de Sansac ; mais il apprit
bien-tost aussi, que ce
Marquis estoit devenu
amoureux de Madame de
Tournon, & cette nouvelle produisit en luy
plusieurs mouvemens, entre lesquels il ne déméla
115
d'abord que la curiosité
de sçavoir ce que pensoit
Mademoiselle de Roye ;
il retourna chez elle avec
empressement.
Madame de Roye le
receut avec ses honnestetez ordinaires ; Mademoiselle de Roye luy parut
mélancolique, mais civile
& pleine d'égards ; comme il y avoit du monde
dans la chambre, il ne
put entrer dans aucune
conversation particuliere
avec elle ce jour‑là, mais
116
elle ne laissa pas de remarquer qu'il l'aimoit
encore, elle fit reflection
sur le procedé de ce Comte, & sur celuy de Sansac ; elle opposoit la constance de l'un à la legereté de l'autre ; & quoy
que des pensées si avantageuses pour d'Amboise
n'entraînassent point encore le cœur de Mademoiselle de Roye, c'étoit cependant beaucoup
qu'elle luy donnast une
si entiere preference dans
son esprit.
117
La premiere fois qu'il
la vit seule, il luy voulut parler de Sansac,
mais elle en évita d'abord le discours, par une
confusion secrette de luy
paroître abandonnée d'un
homme qu'elle luy avoit
preferé ; cependant il luy
fit connoistre qu'il n'ignoroit pas ce qu'on disoit du changement de
Sansac, & ce fut d'une
maniere qui en ostoit en
quelque façon la honte
à Mademoiselle de Roye ;
118
elle estimoit assez ce Comte pour prendre le party
de la sincerité avec luy.
Ayez le plaisir de vous
vanger de moy, luy dit‑elle, je dois vous laisser
joüir de ce triomphe ; hé
bien ? il est vray que
Sansac me quitte pour
Madame de Tournon.
Est-il possible, Mademoiselle, interrompit-il, cela
peut-il estre ? quoy qu'on
me l'ait dit, quoy que
vous me le confirmiez, je
connois trop l'impossibilité de cesser de vous aimer,
119
pour le pouvoir croire.
Rien n'est plus vray, luy
dit Mademoiselle de Roye;
mais qu'y a-t-il là qui soit
incroyable ? on ne voit
que des exemples d'inconstance. Mademoiselle,
luy dit-il, n'en voyez‑vous point d'autres ? ne
connoissez-vous point un
Amant méprisé, haï &
constant ? Je ne le connois point méprisé ni
haï, luy dit Mademoiselle de Roye, d'un air qu'il
ne luy avoit pas encore
veu, je commence à faire
120
la difference de luy au
reste des hommes ; j'étois destinée peut-estre à
luy rendre justice un
jour, & ce jour pourroit estre arrivé. Helas !
Mademoiselle, luy dit-il,
ne vous y trompez point,
ce jour est encore de ceux
que vous donnez à Sansac, & c'en seroit le plus
heureux, s'il sçavoit goûter son bon-heur ; quand
vous voudriez me faire
servir à vostre vengeance, ce seroit sans songer
121
à moy ; Sansac vous est
bien cher, puisque son
crime vous engage à dire des choses flateuses à
son Rival. C'estoit ainsi
que le Comte d'Amboise
faisoit connoistre à Mademoiselle de Roye qu'-
elle avoit moins d'envie
de luy marquer sa reconnoissance, que de faire
encore quelque déplaisir
à Sansac ; neantmoins l'esperance rentroit dans le
cœur de ce Comte ; c'étoit déja un grand point,
Empreinte de la BIBLIOTHEQUE DE L'ARSENAL
122
que de n'avoir plus à
craindre la tendresse d'un
Rival, & de n'avoir à
combattre que celle de
Mademoiselle de Roye,
qu'elle combatoit elle‑mesme.
Madame de Tournon
entretenoit un commerce de Lettres avec ce
Marquis, insensiblement
elle en estoit venuë jusqu'à luy faire comprendre, qu'elle auroit voulu
le consoler de l'infidelité de Mademoiselle de
123
Roye, il avoit saisi cette
occasion de l'oublier,
l'envie qu'il en avoit luy
faisoit quelquefois croire
qu'il y avoit réüssi, &
donnoit un air d'ardeur
à ses Lettres, dont Madame de Tournon estoit
contente. Il avoit cependant bien moins d'envie
de la persuader qu'il l'aimoit, que d'en persuader
Mademoiselle de Roye,
qu'il osoit encore revoir.
La maladie du Comte
124
de Sansac son pere estoit
une raison pour le retenir à Tours ; il écrivoit
à ses amis, qu'il estoit amoureux de cette Comtesse, & ils ne luy parloient plus de Mademoiselle de Roye, parce qu'-
il les en avoit priez sans
leur en dire la raison.
Dans le temps que Sancerre estoit encore des
amis de Mademoiselle de
Roye, Madame de Tournon luy avoit écrit qu'ils
estoient dans une parfai
125
te intelligence, & depuis personne ne l'en
avoit des-abusé. Cette
Comtesse qui recevoit
souvent des Lettres de
Sansac, parce qu'elle luy
écrivoit tous les jours,
faisoit montrer à Mademoiselle de Roye les plus
tendres de celles qu'elle
avoit de luy, comme si
on les avoit surprises.
Mademoiselle de Roye
entroit dans une colere
inconcevable lors qu'elle
les voyoit, & l'incon
126
stance de Sansac faisoit
plus auprés d'elle pour
Monsieur d'Amboise,
que tous les services de
cét Amant n'avoient pû
faire. Le Comte de Sansac mourut dans ce tempslà, & sa mort mettoit son
Fils en liberté d'achever
son Mariage avec Mademoiselle de Roye ; mais
il n'en profita pas. Madame de Tournon qui
n'y voyoit plus d'obstacles que ceux qu'elle y
apporteroit, redoubla ses
127
artifices ; elle fit dire par
tout qu'elle épouseroit ce
Marquis si-tost qu'il seroit de retour à Paris, où
il devoit revenir dans peu
pour prendre les ordres
du Roy. Le dessein de
Madame de Tournon
estoit d'engager avant cela Mademoiselle de Roye
à prendre un party. Madame de Roye ne pouvoit soûtenir l'affront
qu'on faisoit à sa Fille,
elle luy dit qu'il estoit de
leur gloire de prévenir
128
Sansac. Mademoiselle de
Roye estoit encore plus
irritée, & ne cherchoit
qu'à se vanger. Le Mareschal de Cossé fit faire
dans ce temps-là des propositions pour l'épouser ;
mais la disproportion de
leur âge faisoit balancer
Mademoiselle de Roye
mal-gré les avantages de
cét establissement. Le
Comte d'Amboise avoit
toûjours la mesme passion pour Mademoiselle
de Roye, mais il avoit
129
plus d'une fois renoncé à
elle. Il est vray que les
raisons qu'il en avoit
euës ne subsistoient plus,
rien ne convenoit mieux
à cette belle personne,
qu'un Amant qui l'avoit
toûjours tendrement aimée, & qu'elle estimoit
plus que tous les autres
hommes. Madame de
Roye demanda conseil à
ce Comte comme à un
amy, sur les desseins du
Mareschal de Cossé, il
fut saisi d'un trouble qui
130
l'empescha de répondre.
Je vois avec surprise, luy
dit-elle, que ce qui regarde ma Fille ne vous
est pas encore indifferent,
cependant tout ce que
vous avez déja fait me
donnoit lieu de croire
que vous la verriez sans
peine en épouser un autre ; vous sçavez que je
vous l'avois destinée, &
que je vous eusse preferé
à tous les hommes, si
vous aviez voulu profiter de mes sentimens. Je
131
n'ay rien à vous répondre, Madame, luy dit-il,
vous ne sçauriez ignorer
les dispositions où je seray toute ma vie pour
Mademoiselle de Roye,
je ne m'asseure point
qu'il y ait moins d'obstacles pour moy dans son
cœur, mais je m'en flate,
& il n'en faut pas tant
pour rendre ma passion
extraordinaire ; si vous y
aviez quelque égard,
vous souffririez que je
consultasse Mademoiselle
132
de Roye pour la derniere fois. Hé bien ! consultez-la, luy dit cette
Comtesse, j'ay pour
vous la mesme consideration que j'ay toûjours
euë.
La conjoncture estoit
delicate pour le Comte
d'Amboise, il s'estoit
déja engagé deux fois
avec Mademoiselle de
Roye, une troisiéme devoit le faire trembler,
mais la concurrence du
Mareschal de Cossé le
133
déterminoit à épouser
Mademoiselle de Roye
pour la luy oster ; il alla
se jetter aux peids de cette belle personne. Mademoiselle, luy dit-il, vous
voyez le plus amoureux
de tous les hommes,
cous sçavez que vos rigueurs ne m'ont point
empesché de l'estre, &
que n'ont point fait vos
honnestetez ? j'aurois dû
mal-gré elles estre seur
que vous ne m'aimerez
jamais, & cependant el
134
les m'ont fait esperer, ou
elles m'ont tenu lieu de
bon-heur, tant que vous
n'avez esté à personne ;
mais vous ne sçauriez
plus éviter d'estre à quelqu'un, & je crains que
vous n'en trembliez. Ce
ne serõt point les engagemens qui me feront peur,
luy dit Mademoiselle de
Roye, ce ne pourroient
estre que les gens avec
qui je serois obligée à
m'engager. Hé ! Mademoiselle, luy dit-il, estes‑
135
vous en estat de faire des
differences ? j'apprehende
que quelque fâcheux
souvenir ne vous rende
toûjours le choix d'un
Mary des-agreable, ou
du moins indifferent ;
tout vous sera égal. Mais,
adjoûta-t-il, pourquoy
vous presser de vous declarer ? vos bontez ne
me donnent point assez
de hardiesse pour me faire croire que si vous
estiez capables de distinctions, elle fussent en
136
ma faveur ; vous m'avez trop accoûtumé à
estre mal-heureux, pour
me laisser prendre des esperances.
Vous m'offensez, luy
dit-elle, par ces souvenirs que vous voulez que
j'aye, cependant je veux
bien vous répondre precisément sur le reste ;
vous avez d'ailleurs assez
merité que je m'expliquasse avec vous sans détour ; & puisque je ne
sçaurois me dispenser
137
d'entrer dans quelque
liaison, je serois fâchée
que ce ne fût pas avec
vous. Quelles paroles
pour Monsieur d'Amboise ? pouvoit-il faire des
reflections contraires à
son bon-heur ? Il pria
Madame de Roye de
le preferer au Mareschal
de Cossé ; & comme elle
y avoit beaucoup de penchant, son Mariage fut
une troisiéme fois resolu.
Il sembla alors à cét Amant, qu'il n'avoit plus
138
rien à redouter, & qu'il
estoit au dessus de tous
ses mal-heurs. Plus de
Rival. Plus d'obstacles.
Il alloit estre uny pour
jamais à une personne
qu'il avoit long-temps aimée, & dont il croyoit
enfin estre aimé. Son
mal-heur avoit tant duré,
qu'il ne vouloit plus retarder son bon-heur ; il
supplia Madame de Roye
de ne point faire differer
la Ceremonie de ses Nopces. Mademoiselle de
139
de Roye, qui par estime
pour Monsieur d'Amboise, & par un secret dépit
contre Sansac, s'estoit resoluë à ce mariage, n'eut
pas de peine à consentir
qu'il fût achevé promptement, & il le fut à
deux jours de là.
Quand il avoit esté arresté, les amies de Sansac
le luy avoient écrit, non
pas comme une chose
qui l'interessast, mais
comme une nouvelle.
Quel coup de foudre pour
140
luy ? & quels sentimens
se réveillerent dans son
cœur ? Il sentit que le
dépit, le temps, & l'absence, n'avoient fait que
les assoupir, & qu'ils ne
les avoient point affoiblis. Il ne concevoit pas
qu'elle eût aimé Sancerre,
& qu'elle épousast si-tost
d'Amboise, & cette reflection le portoit insensiblement à douter qu'elle eût aimé ce premier ;
cependant il pensoit qu'-
elle luy en avoit fait l'a
141
veu par son silence ; il
avoit veu sortir Sancerre
de chez elle, on luy en
avoit refusé l'entrée ; &
quoy que toutes ces circonstances rappellées dans
sa memoire, le fissent encore fremir, il se disoit
que ce n'estoit point des
certitudes, que peut-estre
quelque chose qu'il ignoroit avoit donné lieu à
ces irregularitez ; il redonnoit du prix à Mademoiselle de Roye dans son
imagination, à mesure
142
qu'il craignoit de la perdre ; tout ce qui pouvoit
la justifier luy venoit dans
la pensée, comme tout
ce qui pouvoit la rendre
coupable, s'y estoit autrefois presenté ; la bizarrerie d'épouser d'Amboise dans le temps qu'-
elle devoit épouser Sancerre, si elle l'eût aimé,
le mettoit hors de mesure, & luy faisoit croire
tout possible, jusqu'à n'avoir point esté trahy. Il
s'accusoit déja d'avoir
143
peut-estre donné trop tost
de la jalousie à Mademoiselle de Roye par Madame de Tournon. D'Amboise qu'il avoit toûjours
veu si éloigné d'estre aimé de Mademoiselle de
Roye, ne luy paroissoit
point avoir dû s'emparer
avec tant de promptitude
d'un cœur qui s'estoit
toûjours refusé à luy : cependant dans quelques
momens il pensoit que la
mesme inconstance qui
l'avoit portée à aimer
144
Sancerre, pouvoit l'avoir
portée aussi à aimer d'Amboise, mais cette idée luy
sembloit si cruelle, qu'il
la rejettoit d'abord ; enfin
il ne déméloit plus rien,
sinon qu'il ne pouvoit
souffrir que quelqu'un
fût heureux en épousant
Mademoiselle de Roye.
Il ne croyoit point que
son Mariage se deust faire avec tant de precipitation, & il espera d'y
mettre encore des obstacles, neantmoins il ne
145
pouvoit retourner à Paris
comme il l'auroit souhaité, parce que les Huguenots3 avec qui on avoit fait un Traité de
Paix l'avoient rompu,
& s'estoient emparés de
plusieurs Villes, ils avoient mesme des Troupes proche de Tours, de
sorte qu'il ne luy estoit
pas possible de quitter
son Gouvernement ; mais
il ne voulut point differer de faire sçavoir à
Mademoiselle de Roye
146
l'estat où son Mariage
l'alloit reduire, quoy
qu'il ignorast les dispositions où elle estoit pour
luy. Il alla chez Mademoiselle de Sansac sa
sœur, qui n'estoit qu'à
deux lieuës de là, il luy
apprit ce Mariage qu'il
sçavoit bien qui la devoit
toucher autant que luy,
il la conjura de partir sur
le champ, de donner à
Mademoiselle de Roye
une Lettre qu'il luy écrivoit, & de mettre en
147
usage tout ce qui pouvoit l'empescher d'épouser le Comte d'Amboise.
La passion de Mademoiselle de Sansac estoit
de celles que rien ne peut
guerir, elle fut saisie d'étonnement & de douleur ; & quoy qu'elle essayast de cacher ces mouvemens, elle asseura son
frere qu'il pouvoit se reposer sur elle du soin de
cette affaire, dont elle
viendroit infailliblement
à bout si quelqu'un y
148
pouvoit réüssir, & qu'elle n'oublieroit rien pour
le servir. Il retourna à
Tours apres cette asseurance, & elle ne songea
plus qu'aux moyens de
luy tenir parole.
Elle ne balança point
à choisir les voyes les
plus promptes, & qui luy
parurent les plus seures,
il luy sembla que ce seroit en vain que Mademoiselle de Roye seroit
persuadée de la tendresse
de Sansac, & que quand
149
elle rentreroit dans ses
premiers sentimens pour
luy, ils seroient inutiles,
parce que sa timidité l'emporteroit toûjours sur son
inclination, & qu'enfin il
seroit plus aisé de jetter
dans l'esprit de d'Amboise des scrupules qui l'obligeassent à prendre le
party qu'il avoit pris plus
d'une fois, que d'entreprendre aucune autre chose pour rompre son Mariage ; qu'apres tout, ce
ne luy seroit pas un mal
150
heur de n'épouser point
une personne qui avoit
esté si long-temps prévenuë pour Sansac ; qu'il
n'y avoit presque pas lieu
de douter que sa tendresse ne se réveillast, lors
qu'elle le verroit revenir
à elle.
Mademoiselle de Sansac écrivit à Monsieur
d'Amboise, & elle luy envoya la Lettre que Sansac écrivoit à Mademoiselle de Roye ; elle déguisa son écriture, afin
151
qu'on ne sçeût pas que
ces Lettres vinssent de sa
part, & elle partit quelques momens apres pour
apprendre l'effet qu'ellles
auroient produit. D'Amboise les receut le lendemain de son Mariage, &
lors qu'il croyoit que sa
felicité ne seroit jamais
troublée ; il ouvrit celle
de Mademoiselle de Sansac, dont il ne connut
point le caractere, & qui
estoit conceuë en ces
termes.
152
Bandeau. LETTRE.
IE n'ignore point vôtre delicatesse ; puisque vous épousez Mademoiselle de Roye,
vous croyez estre Maître de son cœur ; je vous
donne un moyen de vous
en asseurer, voicy une
Lettre que Sansac luy
153
écrit, puisqu'il l'aime
encore, il peut en estre
encore aimé, consultez‑la sur cette Lettre ; si elle
la reçoit avec indifference, vous n'en aurez
que plus de repos dans
vostre Mariage ; & si
vous vous appercevez
que sa passion ne soit
pas éteinte, vous pourrez éviter un engagement qui ne feroit jamais vostre bon-heur.
154
Il leut en suite celle
de Sansac dont il connoissoit l'écriture, & il y
trouva ces paroles.
Bandeau.
155
Motif géométrique A MADEMOISELLE DE ROYE
ON m'apprend que
vous allez épouser
Monsieur d'Amboise,
& cette nouvelle fait
une impression si vive
sur moy, que je ne sçaurois m'empescher de vous
156
écrire, mal-gré tous les
sujets que j'ay de me
plaindre de vous. Ie ne
suis pas en estat de vous
faire des reproches ; je
vous aime, & je vous
perds, c'est à moy de me
justifier, & de vous
demander grace ; j'ay
feint d'aimer Madame
de Tournon ; j'ay voulu me guerir ou plustost
me vanger, mais je n'ay
fait qu'entretenir ma
157
passion par cette esperance. Peut-estre aussi que
ma conduite vous a déplû. Peut-estre a-t elle
precipité la resolution
que vous prenez. Helas ! je me flate, je serois encore trop heureux
d'avoir part aux raisons
de vostre Mariage, tout
funeste qu'il est pour
moy. Non, vous aimez d'Amboise comme
vous en avez aimé un
158
autre. Ie vous demande
pardon si je vous offense ; je souhaite de vous
offenser, faites cesser ce
reproche s'il vous est
trop sensible ; faites revivre cette inclination
dont vous m'aviez flaté, & qui devoit durer toûjours. Quoy ?
vous la porteZ à d'Amboise, apres que vostre
cœur m'avoit distingué
de luy d'une maniere si
159
obligeante ; je m'oppose
à vostre Mariage, par
le droit que m'ont donné sur vous vos premiers
sentimens ; & s'il vous
en reste quelque chose,
je vous aime asseZ, pour
pouvoir pretendre de les
rappeller tous. Vous
croyiez autrefois que
nous en estions nez l'un
pour l'autre ; pourquoy
nous separer, quand je
vous aime encore ? Ha !
160
quittez la pensée d'entrer dans un nouvel engagement, sinon, craignez la fureur d'un
Amant qui perdra tout,
plustost que de perdre un
bien qu'il a merité par
sa tendresse & par la
vostre.
Quel effet produisit la
lecture de ces Lettres
dans le cœur de Monsieur d'Amboise ? il se
voyoit contraint de dou
161
ter s'il estoit aimé, dans
le temps qu'il estoit possesseur de la personne
qu'il aimoit. Quelle horreur se presentoit à son
esprit ? il demeuroit accablé de cette idée, & son
Mariage estoit encore le
plus funeste de tous ses
maux. Tant qu'il n'avoit
esté qu'Amant, l'entiere
asseurance de n'estre pas
aimé luy avoit paru moins
cruelle, que l'incertitude
où il se voyoit alors reduit ; comme il n'avoit
162
jamais aimé si vivement,
jamais il n'avoit esté si
sensible aux atteintes de
la jalousie ; estre au comble de ses vœux, & voir
renverser tout son bonheur par des pensées insupportables, par des doutes dont il ne pouvoit s'éclaircir, ne pouvoir abandonner ny haïr la Comtesse d'Amboise, n'y l'aimer, estoit l'estat où il se
trouvoit, & auquel il n'y
avoit point de remede.
La Comtesse d'Amboise
163
s'apperceut de sa froideur
& de son chagrin ; elle
luy en demanda la cause
d'une maniere qui devoit
le rasseurer, mais ses amitiez luy devenoient suspectes, ou plustost il luy
sembloit qu'il n'en joüissoit que par surprise ; il
fut plusieurs fois sur le
point de luy montrer la
Lettre de Sansac, pour
n'avoir plus à douter du
mal-heur qu'il apprehendoit, & pour se faire s'il
se pouvoit là-dessus un
164
triste repos ; mais il se retint autant de fois, & il
sentit qu'il avoit encore à
en craindre la certitude ;
il ne répondit à cette
Comtesse que des choses
qui ne la satisfaisoient pas,
& qui la mettoient dans
une inquietude extraordinaire.
Lors que Mademoiselle
de Sansac fût arrivée à
Paris, elle apprit que
Mõsieur d'Amboise estoit
marié avec Mademoiselle
de Roye ; elle comprit
165
tout le desordre que les
Lettres qu'elle avoit envoyées avoient dû faire,
& le chagrin de son imprudence joint à celuy
qu'elle avoit de ce Mariage, luy fit prendre dés
ce mesme jour le party
de se mettre dans un Convent, tant pour éviter les
reproches de son frere,
que pour se faire une vertu capable de surmonter
la passion qu'elle avoit
dans le cœur ; elle écrivit
cependant au Marquis de
166
Sansac avant que d'y entrer, elle luy apprenoit
que Mademoiselle de
Roye estoit mariée ; elle
luy avoüoit aussi que
croyant le servir, & ignorant que le Comte d'Amboise fût déja hors d'état
de profiter des avis qu'on
luy donnoit, elle luy avoit envoyé la Lettre qu'
il écrivoit à Mademoiselle de Roye, avec un Billet d'un caractere inconu, qui pouvoit le porter à rompre encore luy‑
167
mesme son mariage ; enfin elle prioit ce Marquis
de la laisser en repos, &
de ne luy parler jamais de
cette faute, qu'elle alloit
expier toute sa vie.
Sansac ne receut point
cette Lettre à Tours, parce que les Troupes du
Prince de Condé qui avoient eu dessein de surprendre la Ville, en
ayant esté empeschées par
la vigilance du Gouverneur, s'estoient jettées
dans Orleans, & luy
168
donnoient lieu de revenir à Paris. Il apprit en arrivant que Mademoiselle
de Roye estoit mariée, &
il en eut autant de surprise que de douleur ;
quoy qu'il eût craint ce
Mariage, il n'avoit pû se
persuader qu'il se feroit ;
mesme ses reflections n'avoient fait qu'attendrir
son cœur, & le rendre
plus capable de sentir cette perte ; bien loin de le
preparer à la supporter, il
s'abandonna à tout ce que
169
le desespoir a de plus affreux ; mais il ne fut pas
long-temps dans cette peine, d'Amboise estoit destiné à mourir de chagrin
au milieu de son bonheur, & on apprit bien‑tost le peril où estoit ce
Comte.
Monsieur d'Amboise
n'avoit pû soûtenir les diverses agitations de son
esprit, la fiévre luy prit
avec une violence si extraordinaire, que dés les
premiers jours sa vie fut
170
en danger ; la Comtesse
d'Amboise estoit incessamment auprés de luy,
fondant en larmes ; l'affliction qu'elle luy faisoit
paroistre, & les soins qu'-
elle prenoit pour sa conservation, le touchoient
sensiblement, mais ils le
desesperoient quand il
songeoit qu'il n'osoit les
prendre pour des marques
d'amour ; cependant il ne
pouvoit se deffendre d'en
avoir de la reconnoissance, il voyoit que Mada
171
me d'Amboise estoit digne d'une estime infinie,
& que s'il n'avoit pû toucher son cœur, il faloit
en mourir sans se plaindre d'elle ; il sentit qu'il
n'avoit que peu de jours
à vivre, & il resolut de
ne luy parler point des
Lettres qui luy donnoient
la mort, de peur de luy
marquer de la jalousie,
& de luy oster peut-estre
par là la liberté de suivre
son inclination quand il
ne seroit plus. Cét effort
172
de generosité luy coûtoit neantmoins encore, ses sentimens n'étoient pas assez affoiblis
pour ne point s'opposer à
une resolution qui leur
estoit si contraire, & ses
delires découvroient quelquefois ce qu'il vouloit
cacher.
Madame d'Amboise qui
cherchoit à penetrer la
cause de son affliction &
de sa maladie, déméla
enfin que la jalousie le
tourmentoit. L'estime &
173
l'amitié qu'elle avoit pour
son Mary, ce qu'elle se
devoit à elle-mesme, ne
luy permettoient pas de
le laisser vivre ou mourir avec des pensées si
des-avantageuses pour elle ; elle se jetta plus d'une fois à ses pieds, luy
disant que le mépris qu'il
luy faisoit paroistre en la
privant de sa confiance,
luy estoit insupportable.
Madame, luy dit-il, que
cherchez-vous à sçavoir ?
croyez que la tendresse
174
que j'ay pour vous est la
cause du secret que je
vous fais. Vous ne sçauriez m'entendre, adjoûta-t-il en soûpirant, & je
perds tout le plaisir que
j'aurois à me faire un
merite auprés de vous de
ce dernier Sacrifice, mais
c'est pour vous laisser
plus de repos & de tranquillité.
Ces paroles augmenttoient encore l'inquietude de Madame d'Amboise, & luy faisoient re
175
doubler ses instances,
tant qu'enfin la mort de
ce Comte d'estant plus
incertaine & les Medecins l'ayant annoncée à
sa femme, la douleur extraordinaire qu'elle luy
faisoit paroistre jusques‑là, & la maniere dont
elle le pressoit, eut le
pouvoir de luy arracher
ce qu'il avoit gardé jusques-là. On croit que
vostre mal redouble, luy
dit-elle en l'embrassant,
sans doute vostre inquie
176
tude y contribuë. Je ne
vous parle point de la
mienne, vous m'avez découvert mal-gré vous,
une partie de ce que vous
pretendiez me cacher ; je
sçais que vous avez des
pensées injustes de moy,
vous ne voulez pas me
donner lieu de me justifier, & vous negligez
d'estre content d'une personne que vous n'aimez
plus ; j'ay avec la crainte
de vous perdre, la certitude d'avoir déja perdu
177
vostre amitié ; mais je
vous l'ay dit, je ne pretens point vous toucher
par mes douleurs. Il ne
s'agit icy que de vous‑mesme, plaignez-vous
de moy pour vous soulager, & vous éclaircissez
pour vous mettre plus en
repos. Peut-estre ne me
trouverez-vous pas coupable, si vous me faites
parler. Hé bien ! Madame, luy dit Monsieur
d'Amboise, puisque mes
resveries ont commencé
178
à me trahir, & vous ont
chagrinée, il faut vous
apprendre tout, & reparer ce qu'elles ont fait.
Lisez ces Lettres, luy dit‑il en luy presentant celles qu'il avoit receuës,
voila ce qui cause mes
maux, je n'ay pû vivre
& douter que je fusse aimé de vous, je meurs
pour vous laisser à un autre qui ne vous aimera
jamais comme moy, mais
avec qui vous serez plus
heureuse, parce que vous
179
l'aimerez davantage.
Madame d'Amboise
trembla de l'imprudence
ou de la malice de ceux
qui avoient envoyé la
Lettre d'avis à son Mary ;
elle ne les devinoit point,
& elle estoit si occupée
de le voir mourant pour
elle, que mesme dans ce
moment la Lettre de Sansac ne fit aucune impression sur son esprit ; Monsieur d'Amboise qui estoit
appliqué mal-gré luy à
examiner les mouvemens
180
de son visage, ne la vit
point changer de couleur. Hé bien ! luy dit‑elle, Monsieur, vous avez donc crû que je ne
pourrois recevoir une
Lettre de Sansac, sans reprendre pour luy des sentimens qui vous fussent
des-agreables ; je voudrois qu'on me l'eût donnée, je vous l'aurois remise entre les mains comme je l'y remets presentement. Ha ! s'il est vray,
Madame, luy dit-il avec
181
un transport qui abregea
encore ses jours, faut-il
mourir ? Quoy ! vous auriez oublié Sansac, adjoûta-t-il avec des yeux
où l'amour n'estoit pas
éteint ? Je suis honteuse,
luy dit-elle, d'avoir à
vous en donner de nouvelles asseurances, mais
j'en seray contente si elles peuvent vous tirer de
l'estat où vous estes.
Non, Madame, luy dit‑il, je meurs avec autant
de satisfaction que de re
182
gret ; mais enfin vos premiers sentimens ont esté
pour Sansac, je ne suis
point injuste ny Tyran,
c'est beaucoup pour moy
que d'avoir pû les éteindre un moment durant
ma vie, ils se rallumeront apres ma mort ; je
n'en murmure pas, ne
leur opposez point ma
memoire, vous sçavez
que tant que je l'ay pû,
j'ay preferé vostre bonheur au mien, & j'envisage avec quelque sorte
183
de joye que vous serez
parfaitement heureuse,
sans que j'en sois malheureux. A peine eut-il
achevé ces parolles, qu'il
s'évanoüit ; on mena la
Comtesse d'Amboise hors
de la chambre, mal-gré
ses pleurs & ses cris. Madame de Roye qui n'étoit guére moins affligée
de l'estat où elle voyoit
ce Comte, taschoit neantmoins à la consoler au -
tant qu'il luy estoit possible.
184
Monsieur d'Amboise
revint de son évanoüissement, il fit prier sa femme de ne plus entrer dans
sa chambre, afin qu'elle
s'épargnast un spectacle
affligeant, & parce que
sa veuë luy faisoit quitter
la vie avec trop de regret ; il mourut le lendemain.
Madame de Roye mena la Comtesse d'Amboise dans un Convent,
où elle demeura quinze
jours, & en suite elles
185
allerent ensemble à la
campagne. L'affliction de
cette veuve ne se moderoit point, il luy sembla
qu'elle ne consoleroit jamais de la mort de son
Mary ; elle connut tout
le prix de l'affection qu'il
luy avoit portée, & combien son cœur & son
merite estoient au dessus
de celuy des autres hommes ; elle alloit jusqu'à
l'admiration pour luy, &
elle estoit bien éloignée
de soupçonner qu'elle
186
pût jamais avoir de sentimens plus vifs pour
quelqu'un ; elle ne croyoit
mesme point en avoir eu
d'aussi vifs, elle évitoit
de penser à la Lettre du
Marquis de Sansac, il
luy sembloit que c'estoit
par indifference, mais elle songeoit incessamment
à la generosité qu'avoit
euë son Mary, de consentir en mourant qu'elle
l'épousast, quoy qu'elle
n'eust pas dessein d'en profiter.
187
Sansac avoit repris des
esperances par la mort
de Monsieur d'Amboise,
mais il comprit qu'il seroit quelque temps sans
oser voir sa veuve, & il
alla à Tours lors qu'elle
partit pour la campagne,
où elle demeura trois
mois sans recevoir personne ; cependant ses affaires l'obligerent de retourner à Paris , & il y
revint aussi dés le moment qu'il le sçeut ; quoy
qu'il n'osast aller chez
188
elle, il cherchoit les promenades solitaires dans la
veuë de l'y rencontrer.
En effet, il ne fut pas
long-temps sans avoir ce
plaisir, ny mesme sans se
faire remarquer. La Comtesse d'Amboise se sentit
émeuë la premiere fois
qu'elle le revit, il luy
sembla que la presence
d'un homme qui l'avoit
offensée pouvoit luy causer ce trouble ; comme
elle estoit avec une Dame de ses parentes à qui
189
elle ne vouloit point faire connoistre qu'elle avoit remarqué Sansac,
elle fut contrainte de
continuer son chemin.
Sansac la suivoit toûjours, & enfin elle retourna le plustost qu'il
luy fut possible.
Lors qu'elle fut revenuë chez elle, elle entra
dans son Cabinet, & elle ne pût s'empêcher de
lire la Lettre que Monsieur d'Amboise luy avoit
donnée de ce Marquis,
190
& qu'elle avoit gardée ;
elle la trouva pleine de
passion, & elle la releut
encore, en suite elle entra dans une profonde
resverie, dans laquelle
elle ne vouloit point distinguer ses propres pensées.
Quelques jours apres
Monsieur de Sansac ayant
gagné quelques-uns de
ses gens, pour sçavoir de
quel costé elle devoit se
promener, la devança,
parce qu'elle ne vint que
191
tard ; & lors qu'il la rencontra, il la salüa d'une
maniere triste & respectueuse, qui luy donna
encore plus d'émotion
que la premiere fois.
Elle estoit descenduë de
son Carrosse pour prendre l'air ; mais apres avoir
salüé ce Marquis, elle y
remonta avec precipitation ; cependant à peine
eut-elle fait quelques pas,
que son Carrosse rompit ;
il estoit tard, elle estoit
assez loin de Paris, & elle
192
se trouva dans un tresgrand embarras.
Monsieur de Sansac qui
vit de loin le desordre
qui estoit arrivé à son
équipage, s'approcha ; &
n'osant parler à Madame
d'Amboise, il pria une
des Femmes qui accompagnoient cette Comtesse,
de luy offrir de sa part
son Carrosse pour la remener. Madame d'Amboise ne put se dispenser
de répondre à cette honnesteté, elle le remercia,
193
& elle luy dit qu'on alloit chercher des gens
pour raccommoder son
Carrosse. En effet, elle y
envoya à l'heure mesme ;
il luy dit qu'il estoit bien
mal-heureux d'estre refusé dans une occasion où
il estoit presque impossible de ne pas accepter le
party qu'il proposoit ;
que le Carrosse de Madame d'Amboise ne pouvoit estre en estat d'aller
que la nuit ne fût fort
194
avancée ; qu'il alloit attendre le retour de ceux
qu'elle envoyoit, & que
peut-estre la necessité
vaincroit la repugnance
qu'elle avoit à luy faire
une grace. Madame d'Amboise tascha à luy répondre sans incivilité, mais
sans luy promettre aussi
qu'elle se serviroit de son
secours ; insensiblement
ils entrerent en conversation, Monsieur de Sansac trouva l'art de la fai
195
re durer, en disant à Madame d'Amboise des choses qui l'obligeoient à répondre ; les gens qu'on
estoit allé querir pour
raccommoder le Carrosse
arriverent, & dirent qu'il
estoit impossible qu'on
le menast à Paris ce jour‑là.
Madame d'Amboise
esoit dans une furieuse
inquietude, la nuit estoit
commencée ; Sansac offroit de luy donner son
196
Carrosse, & d'attendre en
ce lieu qu'il fût de retour. Il y auroit eu de la
mal-honnesteté à l'y laisser, elle avoit cependant
de la peine à se resoudre
de se mettre dans le mesme Carrosse, avec un
homme qui l'avoit aimée,
& qu'elle craignit qui
ne luy fût pas encore
indifferent. A la fin
la necessité l'obligea de
le prier de la mener
jusqu'aux premieres mai
197
sons, en attendant qu'-
elle envoyast querir un
Carrosse à Paris. Comme ces maisons estoient
tres-éloignées, elle ne
pouvoit avec bien-séance
le laisser dans la campagne, & il trouvoit trop
de plaisir à accompagner
Madame d'Amboise pour
s'en deffendre un moment ; de sorte qu'il la
mena avec deux de ses
femmes jusqu'au village
prochain. Quel charme
pour luy de se retrouver
198
avec elle ? il n'osoit luy
dire que des choses indifferentes, mais il luy parloit, il la voyoit, & il esperoit que cette rencontre ne seroit pas sans suites ; mesme l'air de mistere qui se trouvoit par hazard dans cette avanture,
luy donnoit beaucoup de
plaisir.
Les raisons qui faisoient
la joye de cét Amant,
allarmoient la severité de
Madame d'Amboise ; elle
esoit si agitée de ses pen
199
sées differentes, qu'elle
ne parla qu'en desordre.
Ce Marquis qui s'en apperceut, n'en tiroit pas
un méchant augure ; cependant il n'osa luy demander la permission de
la voir plus long-temps,
apres qu'il l'eût mise où
elle souhaitoit d'aller,
mais il demeura aux environs de la maison jusqu'à ce qu'elle en fût
partie.
Le lendemain il luy
écrivit, pour luy deman
200
der une heure d'audience,
avant qu'il allast à Chartres où le Roy l'envoyoit
avec un renfort de quatre mille hommes, qui devoient se jetter dans la
ville, que les Huguenots4
avoient assiegée.
Cette Comtesse fut
embarrassée de la conduite qu'elle devoit tenir
dans cette occasion ; toute la nuit elle avoit esté
occupée de la rencontre
qu'elle avoit faite, Sansac luy avoit paru plus
201
amoureux que jamais,
mais elle n'osoit le trouver aussi aimable ; cependant il esoit presque justifié dans son esprit, au
sujet de Madame de Tournon, par sa Lettre qu'elle avoit releuë plusieurs
fois. Monsieur d'Amboise bien loin de craindre
qu'elle ne l'épousast, le
luy avoit en quelque sorte ordonné en mourant,
toutefois il luy sembloit
que ce n'estoit point assez
pour l'épouser, mais que
202
c'estoit assez pour le voir
sans scrupule ; qu'il faloit
qu'elle luy parlast, & qu'-
elle sçeût qui avoit envoyé à Monsieur d'Amboise les Lettres qui avoient causé tant de desordres ; qu'enfin elle devoit apprendre à Sansac
la resolution qu'elle avoit
faite de demeurer veuve ;
dans cette pensée elle luy
fit dire qu'il pouvoit la
voir.
Avec quelle joye revint-il chez elle, & se re
203
trouva-t-il en liberté de
luy parler de ses sentimens ? Il luy sembla que
sa beauté estoit encore
augmentée ; ses habits de
deüil, & l'émotion qui
paroissoit sur son visage,
luy donnoient mille charmes. Il se jetta à ses pieds,
sans pouvoir prononcer
une seule parolle, & sans
songer mesme à ce qu'il
faisoit.
Madame d'Amboise l'obligea de se relever, avec
un serieux qui le glaça
204
de crainte ; il prit un siege comme elle luy ordonnoit, & il fut long‑temps sans oser lever les
yeux sur elle ; ce respect
la toucha plus que le
transport de son amour
n'avoit fait.
J'ay eu la hardiesse de
demander à vous voir,
Madame, luy dit-il, sans
presque la regarder, mais
j'en suis assez puny, &
vostre air m'annonce des
mal-heurs que j'avois
évité de prévoir. Mada
205
me d'Amboise d'abord ne
luy répondit point. Vous
ne me dites rien, Madame, adjoûta-t-il ? parlez,
desesperez-moy ; les duretez que vous me direz,
me seront moins cruelles
que vostre silence. Je
vous parleray aussi, luy
répondit-elle, je ne vous
aurois pas laissé venir, si
je n'avois eu beaucoup de
choses à vous dire, & je
suis seulement embarrassée
par où je commenceray.
Je croy que je ne dois
206
point me réjoüir, Madame, luy dit-il, des choses que vous avez à me
dire, il m'est aisé de prévoir qu'elles ne me seront
pas avantageuses, & vous
diminuez beaucoup la
grace que vous me faites, qui auroit esté trop
grande si vous n'aviez eu
qu'à m'entendre. Je ne
feray point de difficulté
de vous avoüer, luy dit‑elle, que j'ay veu la Lettre que vous m'avez écrite à l'occasion de mon
207
Mariage, & qui fut envoyée à Monsieur d'Amboise, il faut que je sçache de vous à qui vous
l'aviez donnée, & comment fut conduite une
affaire si mal-heureuse
pour moy, par la mort
de Monsieur d'Amboise.
Sansac luy conta que
luy estant impossible de
revenir à Paris, parce
qu'on craignoit une entreprise des Huguenots5
sur Tours, il avoit confié sa Lettre à sa Sœur,
208
qui luy promettoit de la
luy remettre entre les
mains ; que Mademoiselle de Sansac ignorant
aussi bien que luy que
son Mariage fût déja fait,
avoit crû que les plus seur
moyen de l'empêcher,
estoit d'envoyer ces Lettres à Monsieur d'Amboise : mais, Madame,
adjoûta-t-il, je vois que
leur méchant succez m'est
imputé, & que mesme
quand ma Lettre n'auroit
esté veuë que de vous,
209
je n'en devois attendre
que vostre colere. Sans
doute, luy dit-elle, puisque j'estois femme de
Monsieur d'Amboise,
mais j'avois eu lieu de
croire que Madame de
Tournon vous auroit
consolé de mon Mariage,
ou plustost qu'il ne vous
auroit point affligé. Madame de Tournon, s'écria-t-il ? Est-il possible,
Madame, que vous croyez
qu'elle ait pût me consoler un moment de vous !
210
Madame d'Amboise ne
pût s'empêcher de luy
parler de la préference
qu'il avoit donnée à cette Comtesse le jour de la
Mascarade ; mais il luy
protesta avec tant d'ingenuité qu'il avoit crû danser avec elle, & la conversation qu'il pensoit
avoir euë avec elle aussi,
sur le sujet de Sancerre,
les embarrassant l'un &
l'autre, ils démélerent
enfin que Madame de
Tournon les avoit joüez.
211
La verité se montroit à
eux à mesure qu'ils se
parloient ; il se retrouvoient innocens, une
douce joye rentroit dans
leurs cœurs, que de long‑temps ils n'avoient sentie.
Lors qu'ils n'eurent plus
de plaintes à faire, ils
se regarderent quelque
temps. Mais, Madame,
reprit le Marquis de Sansac, que me sert-il que
vous n'ayez point aimé
Sancerre, si je vous suis
212
indifferent ? Du moins
vous me le devez
estre, interrompit Madame d'Amboise, j'avois
épousé le Mary le plus
digne d'estre aimé qui fut
jamais. Ses dernieres parolles meritent que je sois
eternellement occupée de
luy. J'estois resoluë à
vous en faire un secret,
mais je me sens engagée
à vous les dire, pour vous
marquer mieux l'obligation où je suis de l'aimer
toûjours. Elle luy fit un
213
recit de la conversation
que Monsieur d'Amboise
avoit euë avec elle sur
son sujet, en adoucissant
neantmoins les termes
qui pouvoient trop le
flater ; mais cét Amant
ne laissa pas d'estre charmé de cette confidence.
Ha ! Madame, luy dit-il
en se jettant encore une
fois à ses pieds, executez
les dernieres volontez de
Monsieur d'Amboise ; j'ay
merité de luy succeder,
puisque je suis choisi par
214
luy, il n'y a que vostre
indifference qui puisse
m'en rendre indigne ;
Mais, adjoûta-t-il, pourquoy vous serois-je indifferent ? je n'ay pas
cessé un moment d'estre
le plus amoureux de tous
les hommes ; je suis autorisé à vous le dire, &
vous ne devez plus faire
de scrupule que de ne
m'aimer pas. Je vois que
je vous en ay trop dit,
interrompit - elle en rougissant, & en l'obligeant
215
à se lever avec plus de
douceur que la premiere
fois, il n'est plus temps
de déguiser avec vous.
Hé bien ! sçachez que
mon inclination n'est
pas éteinte. Que n'ay-je
plustost appris vostre innocence? je n'aurois point
esté à Monsieur d'Amboise, il ne seroit point
mort, & rien ne m'auroit empeschée d'estre à
vous ; mais puisque je l'ay
épousé, ie luy dois un
sacrifice pour tous ceux
216
qu'il m'a faits, j'ay par
cette raison formé le dessein de demeurer veuve ;
& si j'avois assez de foiblesse pour ne le pas executer, je ne serois point
heureuse en vous épousant ; quelque amitié
que j'eusse pour vous,
mes reflections m'empescheroient de joüir de
la vostre, & m'osteroient
peut-estre la mienne à la
fin. Ah ! Madame, luy
dit-il, avec le desespoir
dans l'ame, je vois que
217
vous ne m'avez jamais
aimé. Je voudrois qu'il
fût vray, luy dit-elle en
soûpirant. Hé ! Madame,
s'il ne l'est pas, reprit-il,
pourquoy me dire des
choses si cruelles, &
pourquoy vouloir que
je renonce à vous ? je ne
sçaurois le faire, il m'est
plus aisé de mourir.
Quoy ? interrompit-elle,
vous ne sçauriez faire un
effort pour me laisser à
moy-mesme, comme
Monsieur d'Amboise en
218
a fait pour me laisser à
vous. Non, luy dit-il,
Madame, ne me proposez point d'exemples,
j'ay trop d'amour pour
songer seulement à vous
perdre ; & si vous m'ôtez l'esperance, les perils
où je vais estre exposé,
& où je ne me ménageray point, vous délivreront d'un Amant trop
passionné, pour vaincre
ses sentimens, ou pour les
cacher. Répondez moy
encore une fois, Mada
2296
me, ma vie ou ma mort
sont entre vos mains.
Ha ! que me dites-vous,
luy dit Madame d'Amboise avec des yeux grossis de larmes, pourquoy
voulez-vous que je me
determine ? laissez moy
du moins irresoluë, puisque vous ébranlez déja
ma resolution. Sansac
voulut l'engager à luy
donner parolle positive
de l'épouser, mais elle en
demeura à ce qu'elle venoit de dire. Il fut obli
230
gé de prendre congé
d'elle, & il alla à Chartres avec les quatre mille
hommes qu'il conduisoit.
Lors qu'il fut party,
Madame d'Amboise vit
combien elle avoit déja
fait de chemin ; que les
soupçons que Sansac avoit dissipez, luy estoient
devenus, pour ainsi dire,
un merite auprés d'elle,
& qu'elle avoit trouvé
un grand sujet de se
loüer de luy, à n'avoir
231
pas un grand sujet de
s'en plaindre ; elle crût
qu'elle s'estoit démentie
trop aisément & trop
tost ; & que lors qu'il
seroit des retours sur cette conduite, il auroit
moins d'estime pour elle
que d'amour ; cette pensée la chagrina, elle se
dit mesme qu'un Mary
comme celuy qu'elle avoit eu, meritoit une
femme capable de grands
sentimens & de fermeté ;
qu'enfin le plaisir de pen
232
ser à luy, & d'estre contente d'elle, devoit l'occuper toûjours.
Mais elle fit bien-tost
apres d'autres reflections ;
Monsieur de Sansac fut
tué devant Chartres, en
faisant une sortie sur les
Huguenots7, & elle en
eut une douleur si cruelle, qu'elle jugea qu'il ne
luy auroit pas esté possible de vouloir meriter
long-temps son estime
aux dépens de la tendresse qu'elle avoit pour
233
luy ; elle retourna à la
campagne, où elle passa
le reste de ses jours, remplie de ses diverses afflictions, & sans oser les
déméler, de peur de reconnoistre la plus forte.
FIN.
L'empreinte de la BIBLIOTHEQUE DE L'ARSENAL
Cul de lampe.
Extrait du Privilege du Roy.
PAr Grace & Privilege du Roy,
donné à Versailles le 17. jour de
May 1688. Signé, Noblet: Il est
permis à Catherine Bernard de faire imprimer un Livre
intitulé, Le Comte D'Amboise,
Nouvelle, & ce pendant le temps
de huit années consecutives, à
compter du jour qu'il sera achevé
d'imprimer pour la premiere fois ;
Et deffenses sont faites à tous autres de l'imprimer, vendre ni distribuer, sans le consentement de l'Exposante, ou de ses ayans cause, à
peine de confiscation des Exemplaires, de tous dépens, dommages &
interests, ainsi qu'il est plus au long
porté par ledit Privilege.
Ladite Catherine Bernard a cedé & transporté son
droit de Privilege à Claude
Barbin, Marchand Librarie,
suivant l'accord fait entre-eux.
Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraries de
Paris, le 17. Septembre 1688. suivant
l'Arrest du Parlement du 8. Avril
1653. celuy du Conseil Privé du Roy
du 27. Février 1665. & l'Edit de Sa
Majesté donné à Versailles au mois
d'Aoust 1685. Le present Enregistrement fait à la charge que le debit
dudit Livre se fera par un Imprimeur
ou Librarie, suivant l'Edit, Statuts
& Reglemens.
J.B. Coignard, Syndic.
Achevé d'imprimer pour la
premiere fois, le 4. Octobre 1688.
Filet simple.
De l'imprimerie de Iacques Langlois.
Noms propres
Catherine de Médicis
Cette célèbre reine de souche italienne, né en 1519 et morte en 1589, était la femme
d'Henri II et la mère de François II, de Charles IX et de Henri III sur qui elle exerça une influence politique importante.
- Catherine de Médicis, Wikipédia, The Free Encyclopedia (14 novembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_de_M%C3%A9dicis.
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Charles IX
Second fils d'Henri II et de Catherine de Médicis, il devint roi de France (1560-1574) à l'âge de dix ans sous la régence da sa mère.
Son règne fut dominé par les guerres de religion entre les catholiques et les protestants.
Ses efforts de
réconcilier les deux factions finirent par entraîner plus d'hostilité. En particulier,
sous la pression des catholiques et sa mère,
Charles IX ordonna le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), dans lequel des milliers
de protestants furent tués.
- Charles IX, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Charles IX de France, Wikipédia l'encyclopédie libre (17 mai 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 19 mai 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_IX_de_France.
- Saint-Barthélemy (massacre de la), Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
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François II
Le fils aîné d'Henri II et de Catherine de Médicis, François II devint le roi de France à l'âge de 15 ans lors de la mort accidentelle
de son père. De santé faible, il décéda seulement dix-sept mois plus tard. Ayant doté
de pouvoir les frères Guise, les oncles de sa femme Marie Stuart, sous François II la suppression dure des protestants déclencha plusieurs décennies
de guerres de religion en France.
- François II (roi de France), Wikipédia, The Free Encyclopedia (8 septembre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_II_(roi_de_France).
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Henri IV
Chef du parti des protestants qui devint roi de Navarre (1572-1610) et de France (1589-1610).
En 1572, il
épousa Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, dans l'espoir de réconciler les catholiques et les protestants, mais ce
mariage fut suivi du massacre de la Saint Barthélemy dans lequel milliers de protestants
furent assassinés. En 1576, Henri IV
reprit la tête de l'armée protestante; en 1593, il se convertit définitivement au
catholicisme pour réunir son peuple. Il
promulgua en 1598 l’Édit de Nantes, un édit de tolérance qui mit fin aux guerres de
religion. Sans héritiers légitimes, Henri IV
épousa Marie de Médicis en deuxième noces en 1600 après l’annulation de son mariage
avec Marguerite. Le futur Louis XIII
naquit de cette union. Henri IV fut assassiné en 1610 par le fanatique catholique
Ravaillac.
- Henri IV, Le Petit Robert : Dictionnaire illustré des noms propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 1994.
- Henri IV de France, Wikipédia l'encyclopédie libre (17 mai 2010), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 20 mai 2010. https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_IV_de_France.
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Louis Ier de Bourbon-Condé
Louis 1er de Bourbon (1530-1569), prince de Condé et duc d'Enghien, était le principal
chef protestant pendant les guerres de religion (1562-1598) en France.
- Louis Ier de Bourbon-Condé, Wikipédia, The Free Encyclopedia (31 octobre 2016), Los Angeles, Wikimedia Foundation, Internet, 15 novembre 2016. https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Ier_de_Bourbon-Cond%C3%A9.
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Notes
- Cote de la Bibliothèque Nationale de France: 8°-B.L. 17.714.2↑
Coeffure. s. f. Couverture, ornement de teste.
. Coiffe, Dictionnaire de l'Académie française en ligne (1694), The ARTFL Project, Department of Romance Languages and Literatures, University of Chicago, Internet, 21 novembre 2016.↑- Les protestants ou réformateurs. Nous sommes en 1562, à l'époque de la première des huit guerres de religion entre protestants et catholiques. Cette première guerre se termine en 1563, la huitième en 1598 avec l'accession au trône d'Henri IV.↑
- Les protestants ou réformateurs. Nous sommes en 1562, à l'époque de la première des huit guerres de religion entre protestants et catholiques. Cette première guerre se termine en 1563, la huitième en 1598 avec l'accession au trône d'Henri IV.↑
- Les protestants ou réformateurs. Nous sommes en 1562, à l'époque de la première des huit guerres de religion entre protestants et catholiques. Cette première guerre se termine en 1563, la huitième en 1598 avec l'accession au trône d'Henri IV.↑
- P. 219; erreur d'impression.↑
- Les protestants ou réformateurs. Nous sommes en 1562, à l'époque de la première des huit guerres de religion entre protestants et catholiques. Cette première guerre se termine en 1563, la huitième en 1598 avec l'accession au trône d'Henri IV.↑
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